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Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et de Léon de 1790 à 1801

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PRÉFACE.

L'étude qui paraît, à l'heure présente, aurait être écrit, il y a soixante ans : il eut été plus complet, car l'auteur aurait pu recevoir, dans leurs détails, de la bouche des témoins oculaires eux-mêmes, les faits qui le composent.

Tel que nous le publions aujourd'hui, cette étude nous semble offrir de l'intérêt, tout incomplet qu'il est.

Le marin qui, au lendemain d'une tempête, s'en va sur la grève recueillir les débris d'un navire naufragé peut facilement en réunir une assez grande quantité pour construire un nouveau bâtiment, avec lequel il affrontera derechef les périls de l'Océan.

Mais si cet homme attend plusieurs mois, avant de se mettre à la recherche des épaves de son vaisseau, il n'en trouvera presque plus, emportées qu'elles auront été ou brisées par les flots de la mer...

Que si cependant, arrivant en quelque sorte à la dernière heure, il recueille cà et là ce qui reste sur la plage, enfoui sous le sable et dans les grottes profondes, pour en faire un navire, peu considérable, il est vrai, mais apte à la navigation, ne devrait-on pas lui savoir gré, quand même, de son œuvre ?

Tel est le travail que nous avons entrepris. Semblable, si nous osons le dire, à ce marin, nous sommes venu, longtemps après la tourmente révolutionnaire, quérir cà et là les éléments épars de l'histoire de la persécution religieuse dans notre pays.

Ecrivant près d'un siècle après les évènements qui ont signalé cette époque, beaucoup de documents inédits jusqu'à ce jour ayant disparu, ou étant enfouis dans la poussière des bibliothèques publiques ou particulières, il nous a fallu, non sans peine, y rechercher ceux qui avaient échappé au naufrage : nous les avons réunis et assemblés, de manière à former un tout suffisant pour atteindre le but que nous nous sommes proposé dans cette étude : montrer ce que fut chez nous la Révolution pour l'Eglise catholique ; ce que furent le clergé et les fidèles, en présence de ses persécutions.

Pour rester dans la vérité historique, nous avons écarté avec soin de notre étude les faits plus ou moins romanesques racontés par nos chroniqueurs de la campagne, plus soucieux d'amuser que d'instruire... Tout ce que nous y relatons, nous l'avons puisé aux sources les plus authentiques qui sont :

1° Les notes de M. l'abbé Boissière, secrétaire de Monseigneur de Saint-Luc, Evêque de Quimper, témoin de tout ce qu'il raconte ;
2° Les archives de l'Évêché et de la ville de Quimper ;
3° Les ouvrages des auteurs qui ont écrit sur ce sujet ;
4° Les lettres ou notes des familles ou des communautés.

Après avoir consacré quelques pages à une notice sur M. l'abbé Boissière, à cause de la part importante qu'il a dans la composition de cet ouvrage, puisque c'est à lui que nous devons les meilleurs documents, nous commençons par la vie de Monseigneur de Saint-Luc, écrite par son fidèle secrétaire : nous l'avons fait imprimer telle que nous l'avons trouvée manuscrite, nous bornant à couper certaines phrases trop longues et à remplacer certains mots impropres ou vieillis. Nous aurions pu y ajouter quelques développements et donner un peu plus de couleur à la forme, mais nous avons pensé qu'il était préférable de nous en tenir au texte original.

Nous y avons seulement joint quelques notes et plusieurs pièces concernant la protestation de l'Évêque et du clergé de Quimper contre la Constitution civile du clergé, etc.

Nous devions cette explication à nos lecteurs.

Nous le savons à l'avance : plusieurs trouveront que nous avons omis de mentionner des actes importants connus d'eux, relatifs à des localités, à des familles, à des personnes...

Nous répondrons d'abord : l'historien de faits, tels que beaucoup de ceux qui entrent dans la trame de notre œuvre, peut les ignorer, sans être accusé de négligence : ils sont inédits et seulement dans la mémoire d'un petit nombre ; puis, s'il les connaît, pour rester dans son rôle d'historien, il ne doit les relater qu'avec réserve, de crainte de tomber dans la légende ou le roman.

Au reste, pour éviter ce reproche, nous avons fait appel à l'obligeance de tous ceux qui pouvaient nous fournir des renseignements : il n'a pas dépendu de nous que les trésors cachés nous fussent ouverts... Que les possesseurs avares de ces trésors, qui les ont gardés pour eux, ne se plaignent donc pas ; s'ils préfèrent produire eux-mêmes leurs richesses au grand jour, rien de plus légitime ; nous leur avons donné, l'exemple ; nous serions heureux qu'il fût suivi.
Au surplus, l'écrivain ne peut pas tout dire ; il doit savoir se borner, sous peine de se perdre dans des détails excessifs et de devenir fastidieux, suivant ce proverbe : Le secret d'ennuyer est celui de tout dire.

ll n'était pas facile d'échapper à ce défaut dans le récit d'évènements qui se ressemblent presque tous : puissions-nous n'y être point tombé !

A cause des difficultés que présentait notre étude, nous comptons sur l'indulgence de nos lecteurs : nous avons tenté un essai que l'on pourra compléter plus fard.

Nous remercions ceux de nos confrères et les autres personnes qui ont bien voulu nous apporter leur concours, en nous communiquant les documents qu'ils avaient entre les mains : ils auront ainsi contribué à une œuvre qui, nous l'espérons, ne sera pas inutile à la sainte Eglise.

Aussi bien, n'était-il pas opportun, à l'heure actuelle, de montrer, d'un côté, ce que furent les partisans de la Constitution civile du clergé, c'est-à-dire les ennemis de l'Eglise catholique ; — de l'autre, ce que furent les prêtres et les chrétiens qui la repoussèrent, c'est-à-dire les seuls vrais serviteurs de cette Eglise ?

En ce moment où des écrivains prennent à tâche de glorifier les évêques et les prêtres constitutionnels, pour déverser le blâme sur les prélats et les prêtres rebelles au serment, n'était-il pas bon de rendre aux uns et aux autres leur véritable physionomie, en louant et en plaignant les premiers, en huant et en exaltant les derniers ?

En ce moment où ces écrivains osent appeler les évêques intrus, qui ont joué le rôle le plus désastreux dans notre pays, les personnalités les plus pures de la Révolution française, les sauveurs de la patrie..., n'était-il pas bon de prouver qu'ils en furent la honte et les perturbateurs, tandis que les prélats fidèles à l'Église en seront toujours la gloire et les meilleurs soutiens ?

En ce temps de faiblesse morale et d'amoindrissement des caractères, n'était-il pas utile de mettre sous les yeux les caractères fermes de nos pontifes, de nos prêtres et des simples chrétiens qui, pour obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, savaient tout souffrir : la persécution, les cachots, l'exil et la mort ?

N'était-il pas bon, également, de rappeler la faiblesse de quelques-uns, pour nous en préserver nous-mêmes ? Si l'exemple des soldats courageux porte au courage, l'exemple de ceux qui ont failli ne doit-il pas nous prémunir contre notre propre faiblesse ?

En résumé, un triple enseignement ressort de notre étude :
1. L'État ne peut porter atteinte à la constitution de l'Église, sans rencontrer une résistance qui ne doit pas céder même devant l'échafaud ;
2. Nous devons nous proposer d'imiter la force des confesseurs de la foi ;
3. Nous devons nous garder de la défection de ceux qui la trahirent. Plaise à Dieu que ce soit le fruit que l'on retire de la lecture des pages qui vont suivre.
Faxit Deus !

NOTICE
SUR M. L'ABBÉ BOISSIÈRE.

Dominique–Henri-Alexandre Boissière était né à Rennes. Lorsque Monsieur l'abbé de Saint-Luc fut nommé à l'évêché de Quimper (mai 1773), il voulut s'attacher ce jeune ecclésiastique. dont il avait déjà connu et apprécié les qualités. Chargé plus tard du secrétariat de l'évêché, M. Boissière ne tarda pas à conquérir l'estime, l'affection et la confiance des prêtres du diocèse, dans les délicates fonctions qu'il remplit pendant dix-huit ans et que son titre d'étranger rendait plus délicates encore.

Plein d'intelligence et d'activité, il était d'un puissant secours pour son évêque dans l'expédition des affaires. Son aptitude pour l'administration et l'énergie de son caractère le firent nommer vice-promoteur diocésain [Note : Le promoteur, suivant les canonistes a pour office principal de poursuivre devant le tribunal ecclésiastique les crimes qui en relèvent. Il est chargé de défendre la discipline de l'Eglise, d'arrêter les vices et les scandales du clergé. De plus, il a pour mission de soutenir, en justice, les droits du fisc ecclésiastique, c'est-à-dire tout ce qui, dans l'ordre temporel, regarde le bien et l'intérêt public de l'Eglise. On voit immédiatement l'importance de ces fonctions : elles demandent un homme instruit dans la science du droit canonique, un homme d'énergie et au-dessus de tout respect humain.]. D'une solide piété, il était pour tous un sujet d'édification.

Après la mort de son évêque, il fut signalé à la haine des révolutionnaires, comme ayant été le confident et l'ami d'un prélat qui n'avait pas craint de flétrir publiquement les mauvaises doctrines.

A l'occasion du décret de l'Assemblée nationale, du 13 Avril 1790, qui refusait de reconnaître la religion catholique pour la dominante, etc., il signa la déclaration par laquelle Monseigneur de Saint-Luc et le Chapitre protestaient de leur attachement inviolable à l'Église Romaine, la seule vraie, et de leur obéissance à ses décisions, demandant qu'il fût décrété que la religion catholique seule est la religion d'État ; qu'elle seule doit y jouir d'un culte public et autorisé. Il avait signé, au mois d'Octobre de la même année, la protestation contre la nomination d'un évêque schismatique et la Constitution civile du clergé. Il refusa toujours le serment... Malgré toutes les menaces qui lui furent faites, il répondit qu'il mourrait plutôt que de trahir son devoir.

Afin de ne pas voir, de ses yeux, le siège qu'avait honoré et illustré Monseigneur de Saint-Luc, souillé et avili par un évêque intrus, M. Boissière se retira au château du Bot, appartenant au comte de Saint-Luc, ancien président à mortier du parlement de Rennes, et frère de l'évêque défunt. Il ne vécut pas longtemps en paix dans cette retraite.

Le châtean dut Bot [Note : La terre du Bot dépend de la paroisse de Quimerc'h, près du Faou] n'était pas d'ailleurs, en ce temps de désordre, un asile sûr, car c'était la maison du bon Dieu, la maison de la piété, de la charité, de l'attachement à l'Église et à tous les bons principes. Aussi, le jeudi saint 1791, vers les sept heures du matin, des soldats nationaux envahissent le château ; ils arrêtent M. de Saint-Luc et M. Penanros, son chapelain. M. Boissière parvint à s'échapper par les jardins ; puis il se cacha dans les bois où l'on fit, à plusieurs reprises, d'inutiles recherches pour le trouver. Revenu au Bot, trois ou quatre jours après avoir échappé aux mains des patriotes, il y demeura jusqu'au retour du comte de Saint-Luc qu'on avait conduit en prison, mais qu'on n'osa pas condamner cette fois.

Enfin la famille, voyant les dangers incessants qu'on y courait, quitta cette résidence : de son côté, M. Boissière, ne croyant pas prudent d'y rester, se retira au bourg d'Elliant, chez le frère de M. Penanros, prieur commendataire de Saint-Herbot. Il avait du reste lui-même son prieuré du Moustoir sur cette paroisse.

Malgré tous les dangers auxquels il s'exposait, M. Boissière trouvait le moyen de sortir, quelquefois, de sa cachette d'Elliant, pour venir à Quimper conseiller et fortifier les communautés religieuses contre les tracasseries et persécutions d'Expilly, nommé par le département évêque du Finistère. Il fut surtout le conseil et le soutien des Dames de la Retraite dont Mademoiselle Victoire de Saint-Luc faisait partie. Déjà il avait rendu de grands services à ces dames, en prenant, dans diverses circonstances, les intérêts de leur communauté notamment il les avait défendues victorieusement, en 1778, lorsqu'on s'empara de leur maison.

Arrêté à Elliant avec son compagnon, le prieur de Saint-Herbot, dans la nuit du 4 Juin 1792, il fut conduit avec quatre autres prêtres au château de Brest. Il resta renfermé dans cette forteresse jusqu'au jour où il fut déporté en Espagne, c'est-à-dire jusqu'au 12 Août 1792.

Nous avons de lui un grand nombre de lettres écrites de sa prison de Brest à diverses personnes, surtout à la famille de Saint-Luc, du Bot. Ces lettres faisant connaître la manière de vivre des pauvres prêtres prisonniers à Brest et la façon dont on les y traitait, nous les publierons à la fin de cette étude et elles nous feront aussi connaître le caractère de leur auteur.

Transporté en Espagne avec les autres compagnons de sa captivité, il y resta jusqu'au retour des émigrés en France. Revenu à Quimper, après le concordat du pape Pie VII avec Napoléon 1er, il reprit ses fonctions de secrétaire de l'évêché, et fut nommé en même, temps chanoine titulaire de l'église cathédrale, le 6 Décembre 1803, par Monseigneur Claude André [Note : Installé comme évêque de Quimper, le 30 Juillet 1803, Monseigneur André se démit de son évêché dans le mois de Mars 1805. Il fut alars pourvu d'un canonicat à Saint-Denis].

Plusieurs lettres écrites à M. Boissière, à son retour de l'émigration, par les prêtres les plus haut placés du diocèse, témoignent de l'estime et de l'affection dont il jouissait dans tout le pays. Nous citerons, en particulier, à l'appui de ce que nous disons, une lettre de M. l'abbé Floyd, ancien vicaire général de Mgr de Saint-Luc et recteur de Plusquellec. Ce vénérable prêtre avait émigré à Jersey: il devint, après la nouvelle circonscription des diocèses, chanoine de la cathédrale de Saint-Brieuc.

Voici ce qu'il écrivait, le 21 Février 1803 : « Monsieur, J'apprends avec plaisir que vous vous êtes déterminé à rentrer dans votre patrie, et à y reprendre la place que vous y occupiez avec, autant de zèle que de succès, avant notre révolution désastreuse. Je félicite le prélat qui a eu le bon esprit de vous attirer auprès de lui et de vous confier la partie la plus embarrassante de ses fonctions, bien persuadé que vous la remplirez avec satisfaction, tant pour lui que pour le vaste diocèse dont il est chargé et dont vous aviez précédemment mérité et la confiance et l'estime, et de ma part l'attachement et l'amitié la plus sincère. La Providence, qui nous avait écartés l'un de l'autre, n'a point permis que nous ayons entretenu une correspondance suivie qui pouvait alléger nos malheurs ; la guerre qui divisait les royaumes hospitaliers que nous avons habités a rendu inutiles toutes les moyens que j'ai employés pour savoir de vos nouvelles, et vous donner des miennes, car n'ayant pas reçu de réponse aux trois ou quatre lettres que je vous ai écrites, je me suis persuadé qu'elles ne vous étaient point parvenues. J'espère que celle-ci n'aura pas le même sort, et qu'elle me procurera l'avantage de me rappeler à votre souvenir, dont je serai toujours jaloux. La circonscription des diocèses me jette hors de celui auquel j'étais attaché par droit d'origine et par sentiment d'attachement et de reconnaissance ; mais elle ne me fera jamais oublier les amis dont je ne suis séparé que de corps ; la distance des lieux ne rompra jamais les liens que l'amitié avait formés et qu'elle resserrera toujours : c'est une jouissance qui devient plus agréable, à raison des malheurs qu'on a éprouvés… ».

La santé de M. Boissière assez délicate, avant tous les malheurs qui étaient venus fondre sur notre pauvre pays, s'était beaucoup altérée par le chagrin et les privations de l'exil ; il mourut à l'âge de 60 ans, le 21 Février 1805, trois ans après son retour de l'émigration.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Vie de Monseigneur Toussaint Conen de Saint-Luc ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Expilly et Le Coz, des évêques constitutionnels et révolutionnaires bretons ".

Nous avons déjà vu la conduite de Monseigneur de Saint-Luc et de son clergé en face de la Constitution civile du clergé ; nous avons vu comment MM. les vicaires capitulaires accueillirent la nomination d'Expilly. Nous allons montrer, dans cette partie de notre travail, l'attitude de ces messieurs, celle des prêtres, des religieux et des fidèles du diocèse, en présence des exigences anti-catholiques de la Révolution, surtout en ce qui touchait le serment.

 

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Attitude des vicaires capitulaires suite à la nomination de l'évêque Expilly ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (prison du couvent des Carmes de Brest) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (prison du château de Brest) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (prison du couvent des capucins d'Audierne) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (prisons de la Retraite de Quimper et de l'abbaye de Kerlot) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (prison du château du Taureau) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution du clergé catholique (collégiales, séminaires et collége) ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des recteurs, vicaires, prêtres et religieux dans le Finistère ".

 

PERSÉCUTION CONTRE LES COMMUNAUTÉS DE FEMMES.

« Nous sommes à même de donner plus de détails et de renseignements, dit M. l'abbé Boissière, sur la conduite qu'ont tenue les religieuses da diocèse de Quimper : Et, si pour rendre hommage à la vérité, nous sommes forcé de dire que le grand nombre des religieuses de deux communautés de ce diocèse, trompées et séduites par leurs directeurs assermentés ont donné dans le schisme, en reconnaissant le faux évêque Expilly, nous avons la satisfaction de n'avoir que les plus grands éloges à faire de tous les autres couvents de religieuses du même diocèse » [Note : Trois religieuses de ces deux communautés ne tardèrent pas à rétracter le serment qu'elles avaient eu le malheur de prêter].

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des religieuses de l'abbaye de Kerlot de Quimper ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des Hospitalières de Quimper (rue Sainte-Catherine) ".

 

BÉNÉDICTINES. - CALVAIRIENNES. - DAMES DE SAINT THOMAS. - FILLES DU SAINT-ESPRIT DE QUIMPER.

Les Bénédictines du prieuré de Loc-Maria et les Calvairiennes de Quimper demeurèrent plus longtemps dans leurs monastères que les deux communautés dont nous venons de parler : ce n'est pas cependant qu'elles eussent donné, pour cela, aucun gage à la Révolution; elles étaient, sans doute, moins en évidence , à cause de leur situation dans la banlieue de la ville, et il faut le dire : on avait moins besoin de leurs maisons que de celles des Hospitalières et des Bernardines de Kerlot... Quant à leur fidélité à tous leurs devoirs, elle ne se démentit jamais, pendant tout le temps que dura la persécution... Inébranlables dans la foi, elles rejetèrent toujours avec horreur les moindres apparences du schisme, refusant, jusqu'à la fin, de reconnaître l'évêque intrus qui l'avait introduit dans le diocèse.

Il en fut de même des Dames de Saint-Thomas de Villeneuve chargées de l'hôpital général et des Filles du Saint-Esprit ou soeurs blanches, consacrées au soin des malades pauvres de la ville.

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des dames de la Retraite de Quimper ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des Ursulines et Hospitalières de Carhaix ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des Ursulines de Quimperlé et du Faouet ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des Soeurs de la Sagesse de Quimperlé ".

 

PERSÉCUTION CONTRE LES LAIQUES.

LES FEMMES.

Si, dans quelques villes, comme à Paris et ailleurs, on a vu certaines femmes jouer, pendant la persécution, un rôle odieux ; si l'on en a vu quelques-unes dépasser les hommes les plus sanguinaires par leur cruauté : il faut le dire, à la gloire de ce sexe, les femmes ont, en général, donné les plus beaux exemples de fidélité à la sainte Église et de constance dans tous leurs devoirs, tant que dura la tourmente révolutionnaire. Elles se firent remarquer partout par leur piété et leur patience dans les souffrances qu'elles eurent à essuyer pour la bonne cause. Nous savons que la Bretagne, et notamment notre diocèse, eurent à compter une multitude d'actes de dévouement et de fermeté de la part de femmes du peuple et de la haute société, dont nous n'avons pas le détail. Ce que nous savons c'est que, dans nos campagnes, les femmes étaient les plus empressées à tacher dans leurs maisons les prêtres fidèles, et les plus décidées, quand il s'agissait de s'éloigner des intrus et des assermentés. Elles étaient les premières à braver tous les dangers, la prison et la mort même, pour aller assister au saint sacrifice de la messe, dans une grange abandonnée ou dans une grotte solitaire...

Aux veillées du soir, le paysan et le marin de nos côtes racontent encore que, souvent, la femme encourageait l'homme à se dévouer, envers et contre tout, pour sauver soit un prêtre, soit toute autre personne persécutée. Qui de nous, enfants de la vieille Armorique, assis au foyer paternel, n'a entendu de ces récits où l'héroïsme de la femme bretonne, poussant son mari au sacrifice, était dépeint sous les couleurs les plus touchantes ? Qui de nous, enfants des bords de la mer, n'a entendu, avec émotion, quelqu'une de ces histoires où le pêcheur hésitant à prendre, dans sa barque, un prêtre poursuivi, était pressé par son épouse de mettre à l'abri les jours du ministre de Jésus-Christ ?

C'était au milieu des ténèbres de la nuit ; le vent soufflait avec force ; les flots de l'Océan violemment agités venaient se briser avec fracas sur les galets retentissants du rivage ; le fugitif frappe à la porte de la cabane, demandant, au nom de Dieu, l'hospitalité. On reconnaît la voix du recteur : on lui ouvre. Il raconte qu'il est traqué par les agents de la Révolution ; encore quelques heures, et il sera atteint... Le seul moyen d'échapper est de s'embarquer ; la tempête rend la navigation périlleuse et, de plus, le pilote s'expose, à son retour, à tomber lui-même entre les mains des patriotes ; à la pensée de sa femme et de ses enfants, qu'il va laisser sans soutien et sans protecteur dans la vie, s'il périt dans les flots ou sur l'échafaud, celui-ci hésite. Alors, n'écoutant que la voix de la charité chrétienne, qui remplit son noble cœur, s'oubliant elle-même et les siens, confiante en la Providence de Dieu qui l'inspire, cette femme anime son mari et lui commande l'acte de dévouement devant lequel il s'arrête. — « Pars, lui dit-elle, prends Monsieur le recteur sur ton bateau; conduis-le au large sur tel ou tel rocher, et s'il le faut, plus loin, sur les côtes d'Angleterre. Dieu te protégera et te ramènera sain et sauf ».

SIMPLES CATHOLIQUES.

C'est un fait incontestable : tant dans les villes que dans les campagnes, les populations des diocèses de Quimper et de Léon ont montré le plus grand attachement à leurs pasteurs légitimes, l'éloignement le plus prononcé pour les intrus, la charité la plus étendue envers le clergé persécuté. Il faudrait des volumes pour raconter les traits multipliés qui confirment cette assertion. Que l'on interroge les vieillards qui gardent encore le souvenir de ce qui se passa dans les tristes jours de la Révolution, et ils rediront les mille et mille actes d'héroïsme et de dévouement par lesquels se signalèrent surtout nos bons villageois ! Combien s'exposèrent à la mort pour sauver la vie à leurs prêtres qu'ils cachaient dans leurs maisons ! Il n'est guère de famille, en notre pays, qui ne revendique ce précieux honneur et ce beau titre de gloire. Nous l'avons remarqué, lorsque nous adressions à Rome des suppliques pour demander dispense des empêchements matrimoniaux : une des raisons fréquemment apportées par les gens de la campagne était celle-ci : les services rendus à l'Église dans la personne de ses ministres fidèles, pendant la persécution de la fin du siècle dernier.

 

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution de la noblesse et de la magistrature dans le Finistère ".

 

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " L'administration du diocèse de Quimper suite au décès de l'évêque constitutionnel Expilly ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " L'évêque constitutionnel du Finistère Yves-Marie Audrein ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le diocèse de Quimper suite au décès de l'évêque constitutionnel Yves-Marie Audrein ".

 

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L'ÉVÊCHÉ DU LÉON

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution dans l'évêché du Léon durant la période révolutionnaire ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Les prêtres réfractaires et assermentés ou intrus de l'évêché du Léon ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Persécution des religieuses dans le diocèse ou évêché de Léon ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Victimes ayant caché des prêtres proscrits, ou défendu les droits de l'Eglise ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Monseigneur de la Marche, dernier évêque du Léon, durant la persécution religieuse ".

 

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Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Députés du clergé du diocèse de Quimper aux États-Généraux en 1789 ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le clergé dans les Maisons d'Arrêt du Finistère, en 1793-1794 ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le clergé en arrestation à Quimper et Brest en 1795-1796 ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le clergé des diocèses de Quimper et du Léon déporté en 1793-1794 en rade de l'île d'Aix, à l'île Madame ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le clergé des diocèses de Quimper et du Léon déporté en 1798-1799 à l'île de Ré ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " Le clergé des diocèses de Quimper et du Léon déporté à Rochefort puis Cayenne ".

Voir   Persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et Léon (Bretagne) " La complainte des prêtres détenus au château de Brest durant la Révolution ".

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I - LETTRES DE MM. BOISSIÈRE ET PENANROS
ÉCRITES DU CHATEAU DE BREST A LA FAMILLE DE SAINT-LUC.

A M. Le Meur, [Note : Intendant du château du Bot] à la terre du Bot.
Au château de Brest, 10 Mai 1792.

Comme tout ceci devient long, Monsieur Le Meur, et que je ne vois plus le terme de notre réunion au B,.. Je suis bien aise de vous rembourser les différentes avances que vous avez bien voulu faire pour moi depuis notre séparation, soit pour la charrette que vous avez envoyée prendre à Quimper le reste de mon bagage, soit pour ports de lettres, soit pour les bas faits au Faou et dont je n'entends point parler, soit pour autre commission. J'ignore absolument où sont mes fonds. Mademoiselle du Bot pourra vous le dire. Il doit y avoir un sac en argent blanc. Prenez-y, je vous prie, tout ce que je vous dois …. de plus cent écus que je vous serai bien obligé de m'envoyer par occasion sûre chez M. Delongraye. J'en aurai besoin pour payer les seconds six mois de ma pension. Je voudrais ne pas toucher à l'or que vous m'avez fait passer il y a du temps, et il ne serait pas honnête que je payasse M. Penanros en papier. Il en a déjà assez.

Par suite de commission, faites moi le plaisir de me donner des nouvelles du château. On nous annonça, samedi dernier de Quimper, que le calme dont vous aviez tous joui depuis le retour des maîtres, était un peu troublé par certains bruits et certaines menaces de descente aux fins de séquestre et même d'opérations mille fois plus désastreuses. De loin comme de près de pareilles nouvelles sont assommantes pour nous. Cependant quoiqu'il faille s'attendre à tout, nous espérons que la Providence continuera de protéger et les personnes et leurs propriétés. Nous prions Dieu tous les jours pour leur conservation. C'est à peu près le seul bien et la seule faculté que la Nation n'a pu nous ôter.

Vous savez qu'un gros orage vient encore de menacer les non-conformistes. Les deux pèlerins ont été prévenus de se tenir sur leurs gardes et dans la méfiance. Il paraît qu'on ne leur en veut pas personnellement. Mais dans le cas d'une proscription générale, ils ne peuvent manquer d'y être enveloppés. Il en sera ce qu'il plaira à Dieu. Les deux pèlerins commencent à s'habituer à l'infortune et aux événements présents et à venir. Tout cela dans le fait ne doit point abattre le courage, ni lasser la patience, quand on a le bonheur de croire à une autre vie. Intereà, on vient de nous assurer que dix prêtres de Brest ont été dernièrement remis en liberté et que sous peu les autres obtiendront la même justice. Si vous avez du neuf des gens d'affaire du maître du château, veuillez-bien nous en faire part. Calculent-ils sur le prochain jugement du procès ? Il paraît que les avis ne sont pas uniformes pour le succès. Ce qui est à la disposition des hommes est toujours bien incertain, à moins que Dieu ne daigne s'en mêler. Mais Spiritus ubi vult spirat. Malheur à ceux qui faciem. Domini non interrogaverunt !

Le bataillon de Quimper passe dimanche dans notre voisinage pour se rendre à Nantes et s'y embarquer.... Nous ne savons aucunes nouvelles certaines de la guerre qu'on dit être déjà commencée. Les feuilles aristocrates et les feuilles patriotes les racontent, chacunes à leur manière. Suivant ces dernières, les émigrés et les despotes qui ont épousé leur querelle sont f..... et le politique Mallet du Pan assure qu'ils ne sont pas en mesure. Les armées Hongroises, Prussiennes, Suédoises, Espagnoles etc, ne se forment et ne se rassemblent pas si facilement que les phalanges nationales qui depuis longtemps étaient prêtes et qui grillent de moissonner des lauriers dans le champ de la liberté.

Mes hommages très-humbles, s'il vous plaît, à tous les maîtres et maîtresses du château. Je vous présente, Monsieur Le Meur, mes civilités accoutumées et celles de mon compagnon.

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A M. de Saint-Luc, à la terre du Bot.
Au château le Brest, 17 Mai 1792.

Je reçus, samedi dernier votre lettre du 8, nous étions dans les transes au sujet des bruits répandus dans vos cantons, et dont on nous avait instruits. Dieu soit béni d'avoir encore dissipé cet orage. Les explications données par votre district sont aussi rassurantes qu'on pouvait l'espérer dans les circonstances. J'ai la ferme confiance qu'on vous laissera aussi tranquille que vous laissez les autres, et qu'on saura apprécier dans votre voisinage le bien qu'y fait votre présence et les secours que votre charité y répand.

Mademoiselle de Saint-Luc vous a-t-elle envoyé une lettre de Mademoiselle du T....? Si cette lettre existe encore, je vous prie, Monsieur le Président, de me faire dire l'adresse que Mademoiselle du T…. me donnait en partant pour Paris : j'ai oublié d'en prendre note.

J'ai lu, il y a bien 15 jours, la sœur de la première, en date du 19 mars dernier ; le terme de la seconde monition expire samedi prochain, et celui de la troisième le 19 juillet. On ne peut rien de plus touchant, de plus tendre, de plus paternel, mais en même temps de plus pressant et de plus ferme. Tout est sagement prévu ; plus de subterfuge sophistique à opposer : la tête du serpent est frappée ou du moins menacée de l'être, et le coup est dirigé par une main sûre de ne le pas manquer. Fasse le ciel que ceux qui ont déjà fait schisme, en se séparant de Rome par leur propre fait, ne le consomment pas par le mépris de la voix qui daigne encore les inviter à revenir, avant de les exclure de l'Église par les peines de droit, qui sont au moment d'être décernées nommément contre chacun d'eux ! Mais hélas ! qu'il est rare de voir des hérétiques et des schismatiques se convertir, quand ils le sont de propos délibéré et par une mauvaise foi réfléchie et systématique ! Le pauvre M. Donnart, vicaire constitutionnel d'une trêve de Briec, a eu il y a quelques jours le bonheur et le bon esprit de rétracter son serment. Je doute que M. Masle, évêque constitutionel du Morbihan, en fasse autant : cependant il est peut-être plus que temps, car on mande de Vannes que, donnant la confirmation à Lorient et ayant reçu un paquet à son adresse, il lut sur une seconde enveloppe ces mots foudroyants : lisez et méditez. C'était le Bref.... Peu après il est tombé dangereusement malade d'une fièvre putride. On mande aussi de Vannes que le feu ayant pris dans une chambre du petit couvent, attenante aux autres par de mauvaises cloisons, l'incendie a été arrêté sans autre secours que ceux de la maison. On avait jeté dans les flammes une image du Sacré-Cœur et un scapulaire ; on les a trouvés intacts.

Nous sommes menacés ici d'avoir, le 22, une garnison, si sous ce temps les impôts ne se payent pas. Même menace pour Briec, etc.... Je crois et j'espère que l'on va se mettre ici en règle pour s'épargner des frais frustratoires.... il vient d'en coûter 1200 fr. à la paroisse de Fouesnant pour avoir recalcitré.

On débite que des bâtiments marchands, de Concarneau, ont été poursuivis par des corsaires qu'on prétend être d'Alger ou de Tunis. Viendraient-ils attendre les prêtres non assermentés ? mais ils n'ont pas pu savoir la motion faite à l'assemblée de les leur livrer, moins encore les pieuses litanies du sieur Girard père.

On varie beaucoup sur la perte faite dans les deux échecs que nous venons d'avoir : il ne faut pas se déconcerter pour si peu de chose, surtout si M. Destaing prend, comme l'annonce Perlet, le commandement de l'armée à la place du Maréchal Rochambeau qui se retire, ainsi que bien d'autres officiers généraux.... On lisait hier cependant à Rosporden une lettre fanfaronne d'un émigré qui annonce qu'une fois le pied mis en France on ira droit à Paris. Les piques sont toutes prêtes à les recevoir et l'on va aussi en donner 6,000 par département.

Nos santés sont assez bonnes ; conservez la vôtre, Monsieur le Président, et celle de tout ce qui vous est cher ; nous vous offrons à tous les respectueux hommages de notre petit club.

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A M. de Saint-Luc, à la terre du Bot.
Au château de Brest 11 Juin 1792.

Vous avez gagné, Monsieur le président, les œuvres de miséricorde, en faisant visite et en donnant de vos nouvelles aux bienheureux captifs. Nous ne pûmes vous répondre hier par le jardinier. Les deux argus qui veillent à notre porte avaient les yeux trop ouverts, et il fallut que le docteur du Breuil usât de ruse pour nous remettre vos dépêches. Le meilleur moyen est de nous écrire par la poste. Les lettres nous sont fidèlement remises sans être décachetées. Il ne serait cependant pas prudent d'y parler trop inconstitutionnellement. Custodite vos à murmuratione quæ nihil prodest : c'est l'avis que nous donne le Sage. Patientia bortunt opus hobet.

Nous nous réjouissons, Monsieur le président, de vos bonnes santés à tous. Les nôtres sont excellentes. Je crois que j'ai déjà engraissé depuis que je suis en mue. L'estomac peu fatigué de la bonne chère fait bien ses fonctions, grâce à l'air de la mer que nous respirons de tous nos poumons.

Nous sommes bien reconnaissants de vos démarches et de celles de nos amis de Quimper et d'Elliant pour nous procurer la liberté. Ce sera sûrement peine perdue, car les corps administratifs ont pris leur parti de ne rien écouter. Mais enfin il est toujours bon qu'on leur fasse des pétitions et qu'on leur prouve que, si l'on est incarcéré, ce n'est pas pour cause d'insurrection, de révolte et d'incivisme, quoique ce soit là leur prétexte. Je vais écrire à M. de Kergariou. J'ai des matériaux qu'il ne pourra méconnaître, mais encore une fois rien à espérer des hommes. Heureusement qu'ils n'ont de pouvoir que sur nos corps : l'âme peut bien s'affecter du mal physique qu'on leur fait éprouver, mais Celui qui l'a créée à son image peut aussi lui donner la force et le courage de s'armer des sentiments de l'apôtre. Aporiamur, sed non destituimur..... persecutionem patimur, sed sustinemus… Voilà la grâce que nous devons tous demander à Dieu, la grâce du moment, grâce que j'espère de la divine bonté. Reposita est haec spes in sinu meo.

Nous prions tous les jours pour les bienfaiteurs des détenus, conséquemment pour tout le Bot. Mon compagnon va rendre à Madame la présidente les remerciments que nous lui avons votés et à vous, Monsieur le président, pour les secours pécuniaires que nous avons reçus hier. Ils nous serviront au besoin. Quant à présent, nous pouvons nous en passer, au moyen de quelques pièces de 6 fr. et, de quelques assignats qui se trouvaient dans nos poches, lors de notre capture.

L'intérêt tendre que vous voulez bien prendre tous à nous doit vous porter tous à ne pas vous affliger et à ménager vos santés pour vous et pour nous. Si la Providence veut nous conduire au ciel par le chemin du Calvaire, et il n'y en a pas d'autre, qu'est-ce qu'un moment de peines et de tribulations en comparaison du poids éternel de gloire qu'elle réserve à ceux qui n'auront pas rougi de Jésus-Christ et qui l'auront confessé devant les hommes ?

Puisque vous nous permettez, Monsieur le président, de demander ce qui pourrait nous être utile ici, je désirerais qu'outre les chemises et mouchoirs dont j'ai parlé dans ma lettre à Madame la présidente, vous voulussiez bien me faire envoyer une paire de gros souliers qui sont dans la chambre que j'occupais ; je n'ai que la mauvaise paire avec laquelle je suis venu à Brest — plus la plus vieille de mes deux soutanes d'été, elle servira ici à ceux qui n'en ont pas porté pour dire la messe ; la soutane d'hiver que j'ai sur le corps est déjà commune à un de mes camarades qui n'en a pas — plus une culotte non percée, s'il y en a dans ma pacotille ; la mienne s'en va en pièces. Je vous offre mon respect, Monsieur le président.

Pour Madame la Présidente.

Madame,
J'ai laissé entre les mains de Madame Penanros votre tabatière d'écaille garnie en or et ornée du portrait de feu M. de Quimper. Je vous prie de vouloir bien la réclamer en temps et lieu. Je vous remercie de la bonté que vous avez eue de me laisser le portrait à l'huile placé dans un médaillon ovale, pendant que j'ai habité le Bot. J'espère que vous ne me refuserez pas la même grâce, si j'y retourne jamais. L'usage que vous m'accorderez de ce meuble précieux ne nuira point à votre propriété, et j'aurai le double avantage de vous devoir le sacrifice que vous me ferez en cela et de pouvoir vous en témoigner chaque jour ma reconnaissance.

Recevez, Madame, l'assurance de mon inviolable respect et permettez que j'offre les mêmes sentiments à Madame de Lantivy, à son cher époux et à Mademoiselle du Bot. Tous les prisonniers vous remercient de votre souvenir et prient pour vous. Salut à M. l'abbé et aux autres amis et à M. Le Meur, etc., etc.

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A. M. de Saint-Luc, à la terre du Bot.
Au château de Brest, 14 juin 1792.

Vous avez paru désirer, Monsieur le président, que les deux prisonniers vous donnassent souvent de leurs nouvelles, c'est un besoin pour eux de vous demander des vôtres et une jouissance d'en recevoir. Nous n'en avons pas eu, depuis l'apparition du jardinier. Vous avez dit avoir des nôtres, lundi matin et hier ou aujourd'hui encore. Nous nous portons à merveille par continuation. Mon camarade serait cependant mieux, s'il était moins constipé. On mange ici beaucoup de pain, on fait peu d'exercice et cela n'accommode guère les tempéraments échauffés. Peu à peu on se fera au régime de la communauté. La nation devrait bien nous permettre de respirer le grand air deux fois par jour. Mais elle préfère nous laisser en mue : sa volonté soit faite. Cependant nous faisons partir, mon compagnon et moi, une lettre à M. de Kergariou, par laquelle nous demandons un passeport pour nous retirer chez quelque puissance étrangère, amie de la France, en attendant que nous puissions revenir dans notre patrie jouir de la liberté décrétée pour tous les citoyens de quelqu'opinion qu'ils soient. C'est par là que nous finissons notre épitre. Mais avant de prendre cette conclusion nous prouvons par les lettres que nous avait écrites M. de Kergariou, par celle du procureur-syndic du district, par les certificats de la municipalité et du curé d'Elliant que nous sommes dans le cas d'avoir notre liberté et la faculté de retourner de suite à notre résidence. Nous verrons la réponse qu'on nous fera. Sans doute qu'elle sera négative. Grâces à Dieu, nous sommes disposés à tout et nous prendrons les événements comme ils viendront, soit bons, soit mauvais. L'aimable et joyeuse compagnie que nous avons ici nous fait oublier que nous sommes captifs ; elle vient d'augmenter de M. Morvan, recteur de Plonéour. MM. les gardes nationaux sont jour et nuit sur pied pour l'accroître encore, mais il paraît que les prêtres se sont bien cachés.

Je crois que mon compagnon n'écrira pas aujourd'hui au Bot. Je le fais, pour lui et pour moi, sur une table fort commode, sur mon grabat qni me sert le jour de canapé et de bureau. Nous n'avons pas même de chaises. C'est un plaisir et une satisfaction de plus de voir comment chacun s'industrie pour suppléer, à sa manière, à ce qui lui manque. Le noviciat ne dure pas ici plus d'un ou deux jours, pour peu qu'on ait de bonne volonté et d'aptitude. La nécessité a bientôt fait tout apprendre, et même on perfectionne souvent les inventions de ses devanciers. Il n'y a que l'odeur des latrines que nous ne pouvons corriger. C'est une infection surtout la nuit que les fenêtres sont fermées. Le jour elle est plus supportable au moyen d'une quarantaine ou cinquantaine de fumeurs qui embaument les salles. Par ailleurs mesdames les puces commencent à nous tourmenter. Toutes les paillasses et les couvertures ne sont pas neuves, et les matelas ne sont pas fraichement rebattus. Mais nos confrères les galériens sont encore moins bien que nous. (Ils n'ont pas par exemple la faculté d'avoir chacun un pot de chambre à vider et à nettoyer, etc., etc.....).

Quant aux exercices communs, ils sont réglés comme dans un couvent. Dès 3 heures on commence à dire des messes. A 7 heures et demie, la méditation et la messe de communauté. Puis les petites heures. Vacat jusqu'à onze heures qu'on fait la lecture spirituelle elle et celle de l'histoire ecclésiastique. On récite ensuite les litanies du Sacré-Cœur de Jésus et quelques autres prières. On dîne après cela au grand couvert. Chaque individu porte et met devant lui son gobelet, sa cuillère, sa fourchette et sa pitance, et la réfection prise, le tout est remis sur la planche au chevet du lit. Vient la recréation, le bréviaire, etc.;; à 5 heures et demie, lecture en commun de l'Écriture sainte et de l'histoire ecclésiastique. Suivent quelques prières, surtout pour les bienfaiteurs. Le souper à 7 heures, recréation, prière du soir à 8 heures et demie, enfin on se couche à 9 heures et l'on dort, si l'on peut et comme l'on peut, très-bien pour l'ordinaire.

Voilà, Monsieur le président, notre vie en abrégé. Vous voyez que nous ne sommes pas trop à plaindre, et il ne faut pas nous apprécier au delà de ce que nous valons et de ce que nous pouvons éprouver de pénible. Car enfin, quid hoc ad æternitatem ? Ce qui est sans prix ne saurait être acheté trop cher.

Recevez, Monsieur le président, pour vous, pour Madame la présidente et pour tout le Bot, les hommages de mon compagnon et les miens et ceux de tous les reclus. Je fais mention particulière de MM : Le Clerc, Jannou, Quiniquidec, Légerville, etc.

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A Madame de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 18 juin 1782.

Madame,
Nous reçûmes hier votre bonne lettre du 15. Vous versez, comme de coutume, le baume de consolation dans le cœur des captifs, mais nous sommes affligés que vous en gardiez pour vous une dose si légère et que vos larmes continuent de couler. Sans doute que nous en avons tous bien des sujets qui nous sont communs, mais la miséricordieuse bonté de notre Dieu nous ferait presque dire, à nous qui l'éprouvons d'une manière particulière dans notre prison : Filles de Jérusalem, si vous ne pouvez retenir vos pleurs, répandez-les sur vous et non pas sur nous qui avons le bonheur d'être associés à la passion de Jésus-Christ et de lui rendre témoignage au milieu de Jérusalem. Ce qui nous arrive, il l'avait prédit. Jusqu'ici nous ne l'avions vu que de loin, que dans l'histoire des combats des premiers disciples. Dieu veuille que, soit qu'on nous chasse de ville en ville, soit qu'on en vienne jusqu'à verser notre sang, nous demeurions fermes dans la foi et que la haine qu'on nous a vouée, les persécutions qu'on nous prépare, deviennent, par notre courage et notre constance à les supporter, l'heureuse semence qui fasse germer dans le royaume de nouveaux fruits de religion.

Je reviens à vous, Madame la présidente, car c'est vous qui nous occupez, vous et tout ce qui vous touche. Il n'est point étonnant que, dans des temps aussi orageux, vous vous regardiez comme étrangère dans votre propre maison. Tout ce qu'on voit, tout ce qu'on entend, fait qu'à peine peut-on jouir de la moitié de soi-même ; mais la Providence, mais nos saints anges veillent sur nous. Si contre toute apparence on exigeait le serment de tous les catholiques, si l'on tentait d'emprisonner ou de bannir tous ceux qui s'y refuseraient, point d'autre parti que celui d'adorer et de se soumettre à tous les évènements. Plus le nombre des victimes sera multiplié, plus Dieu sera glorifié. Il aura une éternité pour nous récompenser et les maux auxquels nous sommes exposés ne peuvent durer qu'un moment. Mais, encore une fois, ayons confiance et espérons que le calme renaîtra du désordre même. Jordanis prétend que vos voisins du Faou ne sont plus si entreprenants et qu'ils vous laisseront tranquilles : on se lasse enfin de guerroyer et il est temps que tout le monde contribue à ramener la paix, les uns en oubliant et en pardonnant le passé, les autres en cessant de vexer et de persécuter.

L'abbé Thiberge et M. de Rosaven ne sont point avec nous, mais bien M. Morvan de Plonéour.

Le docteur du Breuil a bien des mesures à prendre ; il est prudent plutôt que trembleur. Il nous remettra sans difficulté les nippes que vous avez la bonté de nous envoyer. Des personnes charitables nous fournissent des serviettes; ainsi, Madame la présidente, si celles que vous nous annoncez ne sont pas parties, vous pourriez les retenir. J'aurais mieux aimé à la place une veste d'été ; j'en ai une grosse d'hiver qui est assommante. Mais on n'est pas en prison pour avoir ses aises et ses commodités. Cependant, depuis samedi matin, on nous a accordé la grâce de la promenade. A 7 heures du matin, un sergent et une sentinelle nous conduisent sur le donjon du château et nous y prenons l'air jusqu'à neuf heures, on ferme sur nous la porte et un seul argus nous reste. A 6 heures, autre promenade jusqu'à sept heures du soir, avec les mêmes cérémonies. Cela fait du bien, car il commence à taire grand chaud dans nos salles. Quant à la pension, elle ne change pas, le souper est assez bon pour ceux qui mangent de la viande. Le garçon se contente d'un morceau de pain et de beurre, faute de mieux, et il se porte à ravir ainsi que son camarade.

Je reçois une réponse de M. de Kergariou. Elle porte que « nous avons été arrêtés à la diligence et sur réquisition du procureur- syndic du district ; qu'on avait rapporté que nous nous étions approprié deux chapelles, le Moustoir et la Trinité, où nous allions dire la messe, confesser et tenir des conciliabules ou conférences, avec d'autres prêtres non assermentés, que ces mouvements tendaient à occasionner du trouble et à écarter les cultivateurs du culte paroissial et constitutionnel... ». Autant de ridicules calomnies... M. de Kergariou ajoute que sur notre pétition d'être autorisés à sortir du royaume, le directoire a jugé qu'il n'y avait lieu à délibérer, attendu que le décret n'était pas sanctionné. Voilà où nous en sommes, c'est-à-dire que nous allons rester ici. Dieu soit loué de tout. Je vais envoyer à M. Penanros la lettre de M. de Kergariou. Je ne doute pas que la municipalité d'Elliant et le recteur ne démentent nos dénonciateurs.

Recevez, Madame la présidente, et veuillez bien faire agréer à M. le président et à tous autres qu'il appartient, l'assurance de mon respect. Prions par continuation les uns pour les autres. Il serait inutile que M. Le Meur vint. Il ne pourrait nous parler que difficilement ; tout au plus un instant, en présence du sergent de planton. A 5 heures, nous avons eu trois recrues : 2 jacobins et un récollet de Morlaix. On en annonce toujours d'autres.

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Lettre de M. Penanros à Madame de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 18 Juin 1792.

Dieu vous récompense, Madame, et dans ce monde et dans l'autre, de votre compatissante charité pour les captifs ; nous vous devons un million de remerciments pour les offres de service que vous avez la bonté de nous faire. Permettez-moi de vous dire que votre cœur s'alarme à l'excès sur notre sort ; la nation ne s'épuise ni en dépenses ni en fines attentions pour nous ; mais elle ne nous laisse pas mourir de faim. Si nous ne buvons que de très-mauvais vin, nous mangeons de bon pain. Il y a trois jours qu'on nous accorde 2 heures de promenade le matin et autant le soir, j'en profite une fois par jour, et j'en profilerai tant que la permission durera. Nous achetons mon compagnon et moi du cidre et du vin blanc pour corriger le vin que nous donne le fournisseur national qui nous traite comme il veut, et qui ne nous affectionne guère. Nous avons reçu aujourd'hui de M. le prévôt du département les motifs de notre arrestation : ils ne sont fondés que sur la calomnie la plus grossière qu'on puisse imaginer. Il n'est pas un paysan dans la paroisse d'Elliant qui ne soit en état d'en démontrer la fausseté. On prétend que nous nous étions approprié 2 chapelles de la paroisse, où nous disions la messe, où nous tenions des conciliabules avec d'autres prêtres, où enfin nous confessions les paysans. Nous n'avons jamais mis les pieds dans une des chapelles indiquées dans les motifs : elle est à une lieue et demie du bourg : nous n'avons pas pu fréquenter l'autre qui n'existe pas. S'il y avait de la bonne foi et de la justice, notre captivité serait bientôt finie. Rien de plus facile que de faire voir l'imposture de ce qu'on avance contre nous, mais on ne voudra pas nous écouter, et ceux qui n'ont pas été témoins de notre conduite nous croiront coupables au moins d'imprudence. Depuis notre entrée dans ce donjon, Messieurs Corvaisier et Morvan sont les seuls qui soient venus augmenter notre société : la nation nous fournit lit et draps, nous avons des serviettes je ne sais d'où. Nous verrons M. le Meur avec plaisir ; mais ce ne sera qu'un instant, si on lui permet de parvenir jusqu'à nous, et pendant ce court entretien il sera bien observé par un vigilant argus. Ce n'est pas la peine de se mettre en frais pour une pareille visite.

Je me recommande aux prières de la sainte communauté que je prie d'agréer les assurances de mes respectueux hommages. Trois nouveaux prisonniers nous arrivent.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 23 Juin 1792.

Je reçus hier, Monsieur le président, votre numéro premier. Je numérote aussi puisque vous le voulez, quoique ma correspondance ne mérite pas d'être conservée. La réponse que nous avait faite M. de Kergariou est absolument conforme à ce qu'il vous mande : risum teneatis amici ! De suite j'ai rédigé une pétition à la municipalité d'Elliant dans laquelle après avoir rappelé les deux certificats à nous donnés par elle l'année dernière et au mois de février dernier, nous la requérons de les répéter et d'attester 1° qu'il n'y a point dans la paroisse de chapelle de la Trinité ; 2° que jamais nous n'avons mis les pieds à celle du Moustoir (c'est celle de mon prieuré) ; 3° que nous avons toujours dit la messe dans l'église paroissiale, à des heures avouées par elle et par le curé constitutionnel ; 4° que nous n'avons confessé personne de la paroisse et que nous n'y avons fait aucune fonction publique ; 5° que nous n'avons tenu nulle part aucune assemblée, aucun conciliabule etc. Nous lui disons fièrement que nous ne demandons pas de grâce, mais justice. Nous avons envoyé cette pétition signée de nous à M. Penanros pour la présenter à la municipalité, même au curé constitutionnel, et nous croyons devoir en demeurer là jusqu'à la réponse. Il serait inutile que nous écrivissions à M. de Kergariou avant d'avoir une pièce probante à mettre sous les yeux du Département. Si elle nous est délivrée, comme nous l'espérons, nous formerons la pétition de notre élargissement, attendu 1° que notre arrestation est illégale, inconstitutionnelle et fondée sur des faits calomnieux ; 2° attendu qu'au moyen de pièces par nous produites ou plutôt à produire, nous ne sommes point dans le cas de l'arrêté pris par le conseil général du département au mois de novembre dernier. Nous ne manquerons pas d'observer que plusieurs des détenus, malgré cet arrêté, ont été élargis et qu'en nous rendant la même justice le Directoire ne contreviendra point à l'arrêté du conseil général du département…. Voilà, Monsieur le président, notre marche, et sûrement vous l'approuverez. Nous sommes pénétrés de tout ce que vous voulez bien faire en notre faveur. Si l'on avait affaire à d'autres gens, ce serait bientôt affaire finie. Mais c'est peine perdue que de les fatiguer par des sollicitations, si l'on n'a pas des preuves palpables à leur fournir, encore est-il bien douteux qu'on réussisse. Du reste notre patience, grâces à Dieu, n'est pas encore à bout. Il fait bon ici. Je vous le dis, comme je le pense et comme je le sens : Beati estis cum maledixerint vobis homines et dixerint omne malum adversum vos, mentientes. S'il y a des grâces d'état, il y en a aussi de situation. Nous l'éprouvons tous et moi spécialement. Quand j'étais à même de prendre du thé, de la sauge, des sirops et mille autres friandises, je ne m'en faisais faute. A présent que tout cela manque, je n'en ai pas le moindre besoin et je me porte d'or. Ne voilà-t-il pas déjà un profit tout clair dans l'ordre temporel ; mais dans l'ordre spirituel il y en a bien d'autres qui valent infiniment mieux ……… Mon cher camarade jouit également d'une bonne santé. Nous prenons depuis quelques jours notre ration de mauvais et très-mauvais vin en cidre, et nous en avons une bouteille à chaque repas, entre nous deux. Au moyen de ce on a du moins le ventre libre, tandis que le reste est aux fers. Ajoutez à cela qu'à la place du ragoût du soir, on a gratifié deux fois la communauté de bons artichauts et de bonnes asperges et que votre serviteur a fait trève ces deux fois avec le beurre, sa nourriture ordinaire. Quant aux jours maigres, nous nous sommes bien aperçus que la mer n'est pas loin de nous. Bonne grosse raie, congre mort bien accommodé à la sauce blanche sans oignon, ou à la sauce rousse relevée par un goût tris-évident de laurier. Quand la marée manque, on a à dîner chacun un œuf moins un quart, à la sauce à l'oseille, plus, honnête portion d'asperges. Le soir, des fayots bien accommodés et des asperges. Vous voyez que notre cuisinier remplit à merveille les intentions du département : bonne et saine nourriture.

La promenade va son train deux fois le jour sur les remparts de la plate-forme du Château. Nous y prenons les grands et les beaux airs, et nous comptons à loisir les vaisseaux du port. Le District a exigé que nous nommassions entre nous, toutes les semaines, quatre commissaires pour répondre des ambulances, je commence ce soir ma semaine. La responsabilité n'est pas gênante, car nous sommes sous la clef à chaque bout des remparts et sans communication avec les profanes. Bien entendu que la sentinelle est toujours avec nous.

Je savais le bref envoyé à Kerlot.... Nous recevons ici les papiers publics, tant patriotes qu'aristocrates…. l'arbre de la liberté n'est point encore planté à Brest : apparemment qu'on remet à ce jour-là à nous accorder la nôtre, car enfin devant le bonnet de la liberté on ne voudrait pas laisser des captifs soupirer après la leur.

Nous écrivons à Quimper et à Elliant et nous vous prions, Monsieur le président, de vous épargner cette peine. Vous n'en prenez déjà que trop pour nous.

Vous ai-je mandé qu'il nous était venu du renfort ? Deux Jacobins, un Récollet de Morlaix, plus deux prêtres de Léon, enfin dernièrement le respectable abbé de Lanlay, recteur de Ploujean en Tréguier : c'est un homme charmant, fort instruit, d'une grande et belle prestance, les cheveux blancs comme cygne, et qui n'a encore que 70 ans. On l'a arrêté au Guérand. Nous avons renouvelé connaissance ensemble.

C'est demain la Saint-Jean, nous la souhaitons bonne à tous ceux qu'il appartient. Elle ne sera pas brillante à votre chapelle, moins encore que l'année dernière.

Le docteur du Breuil ne nous est pas venu depuis sept ou huit jours. Il paraît qu'il n'a pas reçu la pacotille annoncée du Bot.

Nous vous offrons, Monsieur le président, nos hommages et nos remerciements, veuillez bien les partager avec Madame la présidente, Madame et Monsieur de Lantivy, Mademoiselle du Bot, etc., etc.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 2 Juillet 1792.

Je reçus hier, Monsieur le Président, votre lettre du 29, n° 2, j'y réponds dès aujourd'hui pour pouvoir profiter de la première occasion que j'aurai de la faire partir.

On nous a mandé d'Elliant que notre pétition fut remise, le dimanche 24, à la municipalité, que le nombre des officiers se trouvant trop petit, ils la communiquérent au curé constitutionel, lequel fut d'avis qu'on assemblât la commune pour le vendredi 29, afin de rendre notre justification plus éclatante : il dut ajouter qu'il ferait lui-même le rapport de notre pièce. Si l'on a statué favorablement, ou plutôt si l'on a voulu dire la vérité le 29, M. Pennanros a du se rendre à Quimper le lendemain et s'adresser au district, attendu que nous avons été arrêtés par son ordre, puis au département. Nous attendons des nouvelles un de ces jours, mais nous sommes toujours persuadés que ce sera un coup d'épée dans l'eau. On continue de parler de notre déportation, et l'on débite ici que le département a pris et envoyé un arrêté à ce sujet.. J'en ignore la teneur, mais je voudrais bien qu'avant qu'on nous notifie les ordres, un gros et vilain rhume de poitrine, qui me tient depuis trois jours, fut entièrement dissipé. J'ai eu une extinction de voix presque totale, quelques, mouvements de fièvre, etc. J'avais écrit au Docteur de m'envoyer quelques remèdes, du Guéritôt par exemple. Apparemment qu'il est absent ou que mon billet ne lui est pas parvenu, car il ne nous donne plus aucun signe de vie depuis très-longtemps. La pacotille envoyée du Bot n'est point arrivée. Si Mesdemoiselles de Saint-Luc et du Bot ont porté celle qui était chez M. Longraye, nous serions enchantés de l'avoir, le plus tôt le mieux.

Si vous me demandez ce que j'ai fait et ce que je fais pour mon rhume, voici la recette, bonne à insérer dans les journaux, pour que d'autres enrhumés puissent s'en servir : Faire ses repas comme à l'ordinaire, ne prendre ni tisannes, ni calmants, ni autres remèdes, quand on ne peut s'en procurer, s'abstenir, de la promenade, demeurer dans une vaste salle dont les fenêtres sont ouvertes depuis quatre heures du matin jusqu'à dix heures du soir, se tenir tantôt levé, tantôt se mettre sur son grabat et attendre patiemment sa guérison sans aucun secours de la médecine. Cette recette m'a réussi, du moins suis-je mieux .... Mon camarade a aussi été incommodé, la semaine dernière pendant une nuit, il ne put dire la messe le lendemain; vers neuf heures il déjeûna bien, et tôt après le voilà à merveille, cela lui continue, Dieu merci.

Le dernier prêtre conduit ici, M. Guillerme, de Plounéour-Ménez, a eu dès le lendemain de son arrivée une attaque affreuse de fièvre chaude avec délire, ou plutôt folie ; à neuf heures du matin on en instruisit le district, à trois heures après midi on écrivit encore et à huit heures du soir on le transporta à l'hôpital. Deux jours auparavant, on y en avait mis un autre qui est à peu près dans le même état. Il y en a 12 à l'hôpital en ce moment.

Nous ne sommes pas plus resserrés qu'à l'ordinaire, excepté dans certains moments. Suivant les sergents de planton qui nous viennent, assez communément on laisse entrer le beurre, les fruits et autres comestibles qu'on porte du dehors, et on laisse à certaines heures marquées parler pendant quelques moments aux personnes qui se présentent, mais toujours en présence du sergent de planton. Cependant plusieurs fois on nous a privés de ces douceurs. Les lettres de la poste viennent encore sans être ouvertes, peut-être cela ne durera-il pas ; peu nous importe à mon camarade et à moi qui n'avons de relations qu'avec des personnes discrètes, incapables de penser et de parler contre la constitution, amies du bon ordre et de la nation.

Mon camarade a reçu la lettre du 22, de Madame la Présidente, il lui a répondu de suite, mais sa lettre n'a pu partir que samedi dernier faute d'occasions. Je vous écrivis mercredi ou jeudi dernier, n° 2.

Nous plaignons bien nos confrères qui sont cachés ou en fuite, ils seraient plus tranquilles ici, au moins pour un temps ..... Nous vous félicitons d'avoir Sainte Victoire .... A l'instant, les lettres de Quimper arrivent et nous annoncent l'arrêté du 30, pris par le conseil général du département extraordinairement assemblé. Dieu soit béni, on va nous déporter, soit en Italie, soit en Portugal, soit en Espagne, fut-ce même en Guinée, qu'aurions nous à craindre des tigres ?

Le juste est invulnérable,
De son bonheur immuable
Les anges sont les garants. etc. etc.
Ses pieds écrasent la tête
Du dragon et de l'aspic :
Il affronte avec courage
La dent du lion sauvage
Et les yeux du basilic.

Le frère de M. Jannou vous remettra ma lettre ; en grâce, tâchez de nous procurer du linge et notre pacotille de Quimper ; nos bréviaires y sont et il faut bien en avoir pour un voyage de long cours.

Ci-jointe la liste des détenus, elle est assez exacte. Je prie M. Le Meur de nous la transcrire en caractère bien fin et sur papier de même et de nous l'envoyer : j'y mets de l'intérêt parce que je l'ai rédigée sur plusieurs autres qui toutes diffèrent entre-elles.

Le bon Dieu est bien bon : l'arrêté du département nous console plus qu'il ne nous afflige, au moins voyons-nous un terme ; encore une fois ce n'est pas nous qui sommes à plaindre, mais ceux qui restent.

Recevez, Monsieur le Président, nos respectueux hommages pour vous, pour Madame la Présidente et tout le Bot.

A deux heures j'ouvre ma lettre pour vous dire qu'on vient de nous signifier que d'ici à mercredi point de promenade, parce qu'il y a beaucoup de paysans en ville pour la foire ; on nous a défendu aussi de voir personne.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 2 Juillet 1792, 1 h. 1/2 du soir.

Une lettre écrite cet après-midi n'a pu partir. C'est partie remise à demain matin. Le frère de M. Jannou lui parlera à 6 heures, grâce à notre cantinier, pourvoyeur et nourricier. Sachez-moi quelque gré d'avoir quitté un bon souper consistant en veau rôti, salade et pain chaud sortant du four, pour venir vous dire encore un mot à côté. Mais n'allez pas croire que je n'ai pas soupé pour mon compte. J'ai trouvé un vieux croûton de pain que j'ai mangé avec du beurre. C'est là mon régime tous les soirs, depuis ma bienheureuse incarcération.

La journée n'a pas été fort plaisante pour qui n'aime pas les contradictions. Notre sergent de planton n'a laissé entrer ni beurre, ni fruits, ni, etc., etc. On n'a pu parler â personne aujourd'hui. Enfin, nous avons montré les dents et des dents bien longues et bien blanches : bien longues, car on nous coupe les vivres en nous privant de beurre et de fruits : bien blanches, car les ragoûts ne les gâtent pas. Nous avons donc montré les dents au sergent qui s'est assez mal défendu sur les prétendus ordres qu'il disait avoir reçus, mais enfin il a gagné son procès, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Mais encore, ce n'est pas cela, on nous a signifié que la promenade est supprimée. Mon rhume n'en souffrira pas. Ce soir, il est plus civilisé, quoique je parle toujours comme une cloche fendue. Au reste une cloche fendue vaut mieux qu'une cloche fondue au profit de la nation.

Vous riez et moi aussi de me voir en folie ; mais que voulez-vous : il faut que je me mette à l'unisson des autres. Nous avons secoué, ou nous secouerons la poussière de nos souliers : on ne veut plus de nous. Eh bien ! il faut déguerpir, attendons pourtant, nous ne sommes pas encore partis. Les moments de crise sauvent souvent : au moins qu'on nous permette d'aller passer quelques heures au Bot. Je crois que nous ne nous y dirons pas le dernier adieu, car si l'on nous chasse, on pourra bien aussi nous rappeller. Oh ! dame, c'est là que nous chanterons le Te Deum, plus gaiment que nous n'allons chanter in exitu Israël de Ægypto domus Jacob de populo barbaro.

Bonsoir, Monsieur le président, il est plus que temps de finir, car je scandaliserais la pieuse Mademoiselle du Bot et sainte Victoire [Note : Mademoiselle Victoire de Saint-Luc].

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A M. de Saint- Luc, à sa terre du Bot.
Au château de Brest, 12 Juillet 1792.

Je n'ai reçu qu'hier, Monsieur le président, votre lettre du 6. Je vous remercie bien et M. Le Meur de qu'il m'a transcrit. Je n'ai pas besoin de l'original de la liste. M. Le Meur pourra y ajouter : district de Quimper, M. Trouboul, vicaire de Pluguffan et M. Briand, vicaire de Tréméven, arrêtés aux Glénans et arrivés ici le 7 ; plus M. Laviec, vicaire de l'Ile-de-Batz, district, je crois, de Morlaix, arrivé hier.

Le certificat de la municipalité d'Elliant a été expédié. Il est à peu près tel que nous le voulions, mais c'est chose inutile dans l'état. M. Penanros, de Quimper, en est saisi.

J'ai vu le docteur un instant, les premiers jours de la semaine. Il avait été absent. Il nous aime toujours bien et il est toujours bien prudent. On ne saurait jamais l'être trop…. Il paraît que notre linge et nos hardes sont perdus ou au moins égarés. On pourrait s'en informer au Faou ou à Landerneau. La messagerie doit répondre de ce dont on l'a chargée. Nous sommes fort aises que vous ayez bien voulu écrire pour faire venir de suite chez vous nos effets et nos hardes d'Elliant. Il n'y a pas d'apparence que nous y retournions de sitôt.

Hier, à 5 heures du soir, deux de messieurs les officiers municipaux, en écharpe, vinrent, accompagnés du secrétaire de la municipalité, nous notifier que le directoire du district nous avait remis entre leurs mains. Ces Messieurs nous firent donner lecture de l'arrêté pris le 1er de ce mois par le conseil général du département. Cet arrêté nous donne huit jours pour faire nos réflexions, et nous en profiterons pour nous décider. On donne l'option de l'arrestation permanente ou de la déportation à ceux qui ne feront pas le serment.

MM. les officiers Municipaux, avant de se retirer, nous notifièrent 1° que deux fois le jour d'ici au 19 des commissaires se rendraient ici pour recevoir nos pétitions soit collectives, soit individuelles ; 2° que nous n'aurions plus de communication avec les personnes du dehors ; 3° que toutes lettres qui nous seraient adressées, même par la poste, ainsi que tous paquets, etc. ; leur seraient remis, qu'ils nous les feraient porter, pour lesdites lettres être lues et lesdits paquets ouverts en leur présence ; 4° qu'il en serait de même des lettres que nous voudrions écrire et des paquets que nous aurions à envoyer... Cette nouvelle consigne ne gênera ni mon camarade ni moi, ni aussi ceux qui sont en relation avec nous, puisque nous sommes tous habitués à ne nous rien permettre de suspect et qui mérite l'animadversion, ou qui puisse nous compromettre.

Quand nous aurons pris notre parti, nous vous le manderons. A tout événement on pourrait toujours nous faire une petite pacotille et la tenir prête à partir soit pour Brest, soit pour aller plus loin.

Mon rhume est à peu près dissipé, grâces à Dieu. L'air de Brest est un peu vif pour ma triste poitrine, mais l'estomac s'en accommode bien ; mon camarade se porte à merveille. Nous vous offrons l'un et l'autre nos hommages très-humbles, ainsi qu'à Madame et à tous vos entours.

Vous n'en aurez pas davantage aujourd'hui. Je pense que Messieurs les municipaux ne tarderont pas à arriver ; il faut que ma lettre soit prête à leur être remise, afin qu'elle parte par le courrier ; elle sera cachetée à la municipalité.
P. S. du 13.
MM. les municipaux ne nous vinrent hier qu'à plus de 6 heures du soir. L'heure de la poste était passée ; elle ne partira que demain. Je vais tâcher de ne la pas manquer .. Nous sommes resserrés au delà de ce que je puis dire : rien, absolument rien ne passe : ni fruits, ni beurre, ni autres comestibles, ni aucune boisson. Vive la nation Nous l'aimons toujours malgré ses rigueurs, parce qu'elle est trompée sur notre compte ; non, les prêtres ne sont pas si noirs qu'on les présente.

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Lettre de M. Penanros à M. Le Meur, à la terre du Bot.
Au château de Brest, 17 Juillet 1792.

Vous savez à présent que, le 11, fut notifié aux détenus l'arrêté du département. Depuis ce temps ils sont au secret, et toutes les lettres à eux adressées par la poste y sont restées: ne vous étonnez donc pas de n'en point recevoir d'eux. Je crois pouvoir vous assurer que les deux qui vous intéressent se portent bien.

Le jour de la fédération, tous les détenus coururent le plus grand danger. A 5 heures du soir, un peuple immense, des gardes nationaux, etc. précédés d'un tambour, se rendirent au château dansant des farandoles ; après avoir fait en dansant et en criant le tour des salles en dehors, ils se présentèrent aux portes, voulant entrer. Heureusement la municipalité s'y trouva à temps et vint à bout de dissiper l'attroupement et d'apaiser leur fureur. Le lendemain 15, dans l'après-midi, des ouvriers du port passèrent en grand nombre devant les fenêtres des salles, tenant une longue corde, vomissant mille injures, faisant mille menaces. Ils ne vinrent point à la porte des salles et le tumulte ne dura pas une demi-heure. Il est impossible aux prisonniers de savoir rien du dehors et d'y rien faire passer, on leur remet cependant leur linge blanc et on prend leur linge sale, en présence d'un officier municipal qui fait tout examiner scrupuleusement. On ne sait trop ce que ceci deviendra. Jusqu'ici les prisonniers n'ont fait aucune pétition à la municipalité, on dit que c'est pour mercredi, et qu'ils doivent demander le recours vers l'Assemblée nationale et vers le Roi.

Si je puis vous mander autre chose dans quelques jours, je le ferai : vous connaissez mon écriture ; si vous ne vous la rappelez pas, pensez à Dominique. Le docteur n'ose plus aller au château ; cela serait d'ailleurs inutile ; écrivez lui toujours, peut-être que dans quelque temps il sera permis de faire parvenir des lettres aux prisonniers, s'ils ne sont pas exportés comme on les en menace.

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A M. Le Meur, à la terre du Bot.
Château de Brest, 19 Juillet 1792.

Je prévois que j'aurai une occasion pour faire partir aujourd'hui la présente. Les prisonniers remirent hier à la municipalité une pétition dont elle a dù s'occuper. Mais les détenus s'attendent qu'on n'y fera pas droit et que, sans leur permettre de recourir à l'Assemblée nationale et au Roi, on les va déporter. Le bruit de la ville est que ce sera pour samedi. Comme les huit jours de délai expirent aujourd'hui, la municipalité va sans doute aller au Château notifier ses ordres. On dit qu'aucun des prisonniers n'est disposé au serment. On dit aussi que plusieurs préféreront l'arrestation permanente à la déportation, mais qu'on déportera tout le monde. Les pauvres patients sont au secret le plus rigoureux. Ils ne reçoivent aucune lettre ni de la poste, ni d'ailleurs. Beaucoup d'entre eux manquent de bréviaires, de leurs lettres de prêtrise, de linge et d'argent. Quant au dernier article on assure que chacun ne pourra emporter au delà de 150 francs en espèces. Mais ceux qui ont des connaissances comptent prendre à Brest ou obtenir d'ailleurs des lettres de crédit ou des mandats etc. L'embarras est qu'on ignore où se fera la déportation. On craint qu'elle n'ait pas lieu pour les trois pays désignés, mais dans d'autres plus éloignés. Les prisonniers paraissent résignés à tous les sacrifices. On ne leur en épargne pas les occasions. Des pères, des mères, des parents proches ont demandé à la municipalité à voir leurs parents : refusé net.

Toute la confiance des détenus est en Dieu. Le Sacré-Cœur de Jésus souffrant allège leurs peines d'une manière sensible. J'ai su qu'ils ont reçu avec reconnaissance 24 images en étoffe et en toile brodées de ce Cœur adorable. Malheureusement il n'y en avait pas assez pour tout le monde.

« Les promenades sont absolument supprimées depuis huit jours et le seront jusqu'à nouvel ordre…. Défense sous des peines sévères de passer au dehors furtivement aucune lettre..... Ordre à la sentinelle d'être dans l'intérieur de la salle pendant les repas.... ordre de rendre compte à la municipalité de tous les mouvements que le sergent de planton observera parmi les prisonniers, etc., etc…. Toute personne qui voudra remettre aux prisonniers, hardes, linges, effets, lettres, papiers, etc., sera renvoyée à la municipalité qui les fera délivrer par l'un des commissaires par elle nommé..... » telle est la consigne faite le jour d'hier et qui doit être affichée aujourd'hui dans les salles. Suivant ce que j'ai ouï dire, elle était déjà en grande vigueur.

D'après cela ne vous attendez point à recevoir de nouvelles directes des deux pigeons. Mais je vous en donnerai, quand je pourrai. Mon ami et le vôtre se porte bien et moi aussi.. Celui qui vous a vu dans une maladie ne peut absolument approcher du château ; il vous enverra la note du contenu au paquet de hardes qui avait chomé si longtemps.

Ne vous affligez pas plus que moi et plus que les détenus. Il faut vouloir ce que Dieu veut ou permet. Je suis persuadé que les prêtres du château n'ont d'autre chagrin que celui de passer aux yeux de bien des gens pour être coupables des délits que l'arrêté du département leur suppose. C'est, dit-on, ce qui les a portés à remettre à la municipalité leur profession de foi civile et politique, en déclarant les motifs qui les empêchent de faire le serment.

Je vous présente mes hommages et à tout ce qui vous entoure. Vous connaissez le garçon, sa main et son cœur.

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MM. Penanros et Boissière à Mlles de Saint-Luc. [Note : Cette lettre est écrite de la main de M. Boissière].

Rolland et Dominique, captifs pour Jésus-Christ aux très-respectables et très-chères en Notre-Seigneur, Victoire, Angélique, Félicité et Euphrasie, la grâce et la paix de N.-S. J. C.

Nous rendons grâces à notre Dieu, devant lequel nous faisons sans cesse mémoire de vous, de la charité et de la foi qu'il entretient dans vos cœurs envers nous et envers tous nos co-captifs. Nous avons fait la distribution des gages précieux de votre dévotion et de la nôtre pour le divin cœur de Jésus. Il nous en reste encore au moins deux douzaines, qui seront placés à fur et mesure qu'il nous arrivera des confrères, si toutefois ils ne sont pas tous en sûreté à présent.

Prenez garde, nous vous en prévenons, de nous faire perdre le mérite du peu que nous souffrons, par la trop grande idée que vous en avez et par les éloges que vous donnez à des serviteurs inutiles qui ne font que leur devoir. Priez Dieu que nous ne nous mettions pas dans le cas d'entendre de sa bouche ces terribles paroles : vous avez déjà reçu votre récompense.

Suivant les apparences, on va nous transporter dans une terre étrangère. Tous les pays le doivent être pour des chrétiens. Ce que nous voyons, ce que nous éprouvons nous le prouverait assez, si nous en doutions. Demandons les uns pour les autres l'esprit de détachement et ayons confiance que celui qui a commencé en nous l'ouvrage de notre salut l'achèvera pour sa gloire et pour notre bonheur.

En attendant, nous bénissons le Dieu de toutes consolations qui daigne nous en donner de si abondantes que nous puissions nous-mêmes consoler ceux qui sont dans la peine à notre sujet. Nous vous exhortons donc à ne vous pas contrister, mais à vous réjouir plutôt de nous savoir exposés à plus d'une espèce de danger de la part des hommes. Dieu les écartera de nous. Si c'est sa sainte volonté et s'il veut que nous consommions le sacrifice, il nous a donné trop de marques de sa protection et de son amour pour que nous n'y puissions pas compter avec confiance jusqu'à la fin.

Du reste, nous ne renonçons pas au plaisir de vous revoir, et ce désir subordonné aux desseins de la Providence sur nous est aussi vif que notre position le permet. Conservez-nous celui de nous obtenir par vos prières les grâces dont nous avons besoin pour correspondre à celles que nous avons déjà reçues et en mériter de nouvelles. Les deux captifs vous saluent pour eux et pour leurs confrères... la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit.

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Lettre de M. Penanros à Madame de Saint-Luc.
Au château de Brest, 23 Juillet 1792.

Vos amis, madame, sont encore au château de cette ville, malgré les menaces de déportation subite qu'on fait sans cesse retentir à leurs oreilles. La municipalité ne leur a pas encore annoncé ce qu'on a définitivement statué sur leur sort. On croit dans le public que leur incertitude ne peut plus durer longtemps. Je plains bien ces malheureux captifs dans la circonstance présente : privés de toute communication avec le dehors, ignorant tout ce qui se fait contre eux ou pour eux, ils ne savent quel parti prendre, si on leur laisse le choix de la détention ou de la déportation. Ils ne sortiront de leur prison que pour être mis sur un vaisseau, où ils seront livrés aux caprices d'un équipage qui ne leur épargnera aucune espèce de désagréments, et qui peut-être... je m'arrête. La vie de ces honnêtes gens est à la disposition du Maître suprême : sans sa permission, il ne tombera pas un cheveu de leur tête. S'ils ne peuvent plus être utiles à leur patrie, si Dieu a réprouvé le gros de notre nation, une pareille mort serait pour eux le comble du bonheur. La lenteur qu'on met dans l'exécution de l'arrêté me fait presque croire que les corps administratifs ont reçu des ordres supérieurs qui enchaînent leur fureur. Ce n'est qu'une conjecture que je fais ; car je ne suis pas au courant des nouvelles; depuis quelque temps tout ce qui se passe dans le monde est étranger pour moi.

Vos amis se portent à merveille ; j'en ai des nouvelles certaines. Ils pensent sans cesse à ceux qui s'intéressent à leur sort. Ils s'occupent surtout des habitants du Bot, et s'en occupent toujours avec de nouveaux sentiments de reconnaissance et de dévouement. Je les recommande aux prières de la sainte communauté. Prions tous ensemble, prions Dieu d'avoir pitié de la France et de ne pas ôter à ce royaume le flambeau de la foi. Profitons de nos maux pour fléchir la colère du Ciel, qui cessera de nous punir, dès que nous cesserons d'être coupables.

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A. M. de Saint-Luc à sa terre du Bot.
Château de Brest, le 24 Juillet 1792.

Notre ami Rolland vous a écrit hier, mais sa lettre ne partira qii'aujourd'hui quoiqu'il l'ait envoyée à la poste. Nous ne faisons guère à Brest attention au courrier de Basse-Bretagne. Je ne saurois pas moi-même les jours de son départ, sans que je m'en suis informé depuis que les deux prêtres que vous connaissez sont au Château. Je n'ai pas ouï dire qu'ils soient moins bien portants que la dernière fois que je vous ai écrit. Il est vrai qu'on ne peut plus du tout communiquer avec eux, ni de près ni de loin.... Je vous parlais dans ma dernière lettre d'une pétition remise le 18 à la municipalité par les détenus. Je suis parvenu à m'en procurer une copie que je vous envoie. Peut-être suis-je le seul à Brest qui a copie des lettres écrites au Roi et au ministre. Ne dites pas encore que je vous les fais passer, il y a temps pour tout. Il paraît que ni le Roi, ni le ministre n'ont répondu. La municipalité ne l'a pas fait non plus à la pétition. Suivant des bruits qui courent, ce sera pour demain ou après demain. Mais j'ignore absolument quelle sera cette réponse. On parle toujours de la déportation prochaine et on dit le bâtiment prêt : rien de positif à ce sujet. Bien des gens pensent que les démarches qu'on a faites ou qu'on va faire au département retarderont l'exécution de l'arrêté. Mais les détenus auront-ils la liberté de s'adresser à l'Assemblée et au Roi ? C'est un problème. M. Gigaut recteur de Plouzal en Tréguier, fut mis dimanche au soir à l'hôpital. Il est devenu fou. Il n'a été que quelques jours au Château. Voilà le troisième, les deux premiers attaqués d'une fièvre chaude sont mieux.

Ce matin avant 4 heures, des commissaires de la municipalité ont été vus dans les rues et prenant la route du château avec des dragons nationaux. On a su depuis que le maire de Ploudalmézeau aussi, en écharpe, était de la compagnie. Il a fortement réclamé MM. Pelleteur, Le Meur, et Heliès, arrêtés le dimanche 15 du présent dans l'église paroissiale, au milieu des Vêpres. On dit que le procès-verbal de capture portait que l'arrestation avait été faite à domicile. Le maire a exigé et obtenu l'élargissement des trois détenus ci-dessus dénommés. Les dragons ont dû les aller reconduire dans leur paroisse. On assure que l'affaire n'en demeurera pas là et que les dragons captureurs ne sont pas fort à l'aise. Ce coup de vigueur de la part d'un maire de campagne (il est cependant homme de loi,) va faire sensation.

Hier arrivèrent ici les volontaires nationaux qui étaient à Morlaix. Il paraît que ce qui reste au château du régiment de l'Isle, de France, va embarquer et que la garde des prisonniers sera confiée sous peu aux volontaires nationaux : les prisonniers pourraient bien n'y pas gagner.

M. Thévenard est arrivé ici pour prendre le commandement des troupes de terre et de mer. On assure qu'il doit les assembler incessamment et montrer de la fermeté. On le dit porteur d'ordres. On lui a parlé des prêtres. Le moment de s'en occuper, a-t-il répondu, n'est pas encore venu.

Voilà toute ma retenue, à moins qu'il ne vous importe de savoir qu'on conduisit samedi dernier au château M. Le Bris, recteur de Brélevenès en Tréguier, arrêté à Morlaix, et hier, M. le Roux, vicaire d'une trève de Ploudiry, et M. le Guillou, directeur des Ursulines de Landerneau, tous deux arrêtés dans la paroisse de Ploudiry, district de Landerneau.

A ça, adieu, portez-vous bien et point de chagrin pour vos amis qui n'en prennent sûrement pas, du moins je le suppose avec fondement. Avez vous eu la bonté d'envoyer les 300 fr. en espèces sonnantes ? Mon correspondant en est en peine.

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Lettre de M. Penanros à Madame de Saint-Luc.
Château de Brest, 28 Juillet 1792.

Je crois, Madame, vous faire plaisir, en vous donnant des nouvelles de nos prêtres détenus. Ce seroit une grande consolation pour eux de recevoir des vôtres ; mais c'est un avantage dont la municipalité de notre ville ne leur permet pas de jouir. Depuis le 11 de ce mois on ne laisse pénétrer dans leur prison ni lettres ni nouvelles. Ils ignorent ce que les clubs et les corps administratifs veulent faire à leur égard. Livrés à leurs propres réflexions, ils ne savent si on leur laissera le choix de la détention ou de la déportation ; le choix même de l'une de ces deux peines les embarrasse. Mardi 24 de ce mois, toute notre municipalité, en écharpe, se transporta au château. Là, dans une chambre secrète, elle fit comparaitre chacun des prisonniers devant son tribunal. Celui qui avoit comparu ne pouvait plus parler à ceux qui n'avaient pas encore été interrogés. Des soldats armés, répandus dans les salles, et postés aux portes de communication, empêchaient la coalition des réponses. Les interrogatoires durèrent près de 4 heures. On demanda aux prisonniers le serment tel qu'il est dans l'arrêté du département. La réponse de chacun fut négative, si l'on excepte deux jacobins qui achetèrent leur liberté au prix du serment. Ces deux messieurs n'ont plus reparu parmi les captifs depuis ce moment ; de la chambre municipale ils passèrent dans la cour du château, et de là en ville. Depuis ce jour, les pauvres prisonniers n'éprouvent que rigueur de la part des commissaires municipaux.

Les personnes qui lavent le linge des prêtres eurent mercredi dernier bien de la peine à obtenir qu'on leur fit passer le linge sale de ces messieurs. Le commissaire ne voulait pas y consentir. Quand on lui représentait qu'on blanchissait le linge des plus grands criminels, il répondait que les prêtres réfractaires du château méritaient moins de considération que les derniers scélérats. Il s'adoucit pourtant, et le linge sale sortit, après avoir été scrupuleusement visité.

Les municipaux ont été aussi à l'hôpital de la marine interroger 14 ou 15 ecclésiastiques malades qui y sont. Je crois qu'ils n'y ont pas fait plus de conquêtes à la constitution qu'ils n'en avaient fait au château. Jusqu'ici la tentation n'a pas été forte, et les ministres de J. C. n'ont pas vu l'appareil effrayant de la mort. Prions Dieu qu'il leur donne les grâces de force et de courage dont ils auront peut-être besoin dans le cours de la persécution actuelle. Ce n'est pas le tout de bien commencer, il faut persévérer jusqu'à la fin. La faiblesse de l'homme est extrême. Il y a des grâces si spéciales, qu'on n'ose presque pas espérer de les obtenir. Ce qui soutient, c'est que ce qui est impossible à l'homme est facile à Dieu. Ce que l'homme ne peut mériter est souvent accordé aux mérites infinis du Rédempteur dont la force vient au secours des plus faibles.

On m'a dit qu'il y avait aujourd'hui à Brest un de vos voisins. Si je puis en être assuré, je lui remettrai ma lettre que vous recevrez plus tôt par cette voie que par la poste. Mes affaires ne me permettent pas de lui parler ; mais je verrai des personnes qu'il voit toutes les fois qu'il vient dans notre ville, et par ce moyen j'apprendrai de vos nouvelles. Si je me vois plus libre avant la fin de la belle saison, j'irai prendre auprès de vous le bon air de la campagne ; mais je ne prévois pas encore que cet heureux moment soit prochain. Quand on est attaché à un poste, il faut y rester pour en remplir les devoirs. Vos amis se portent à merveille, et me chargent d'un million de respectueux hommages pour vous, et pour tout ce qui vous appartient. Vous connaissez ma main et mes sentiments. Priez pour moi.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Château de Brest, 28 Juillet 1792.

Les prêtres du château sont, comme à l'ordinaire, si fort resserrés que personne ne peut ni les voir, ni les approcher. Ne vous étonnez donc pas si vous n'avez pas de leurs nouvelles par voie directe. Je ne puis vous dire de celles de vos amis que par conjecture. Il y a quelque temps qu'on n'a mis aucun détenu à l'hôpital, d'où il faut conclure que les 69 sont bien portants.

Je vous mandai par ma dernière lettre que les trois prêtres de Ploudalmézeau réclamés par leur maire étaient sortis, et que, le 24, deux jacobins avaient été élargis après avoir sermenté. On a voulu répandre que les trois de Ploudalmézeau avaient aussi juré : c'est archi faux.

Depuis le 21 que la municipalité est allée au château, il paraît très-certain qu'elle ni le district n'ont rien dit aux prisonniers. On ne peut non plus rien mander de positif sur la déportation. Il y a des gens qui assurent que la gabare l'Aurore est armée à cet effet, mais apparemment qu'avant de déporter personne on demandera, suivant l'arrêté du département, quels sont ceux qui veulent voyager ou rester en prison. C'est bien dommage que vos amis ne puissent pas avoir votre avis sur un objet si important.

J'en étais là, Monsieur le Président, quand on m'a dit, à 9 heures du matin, que Jannou était à Brest, il ne pourra remplir qu'à 8 heures ce soir ses commissions. S'il en a quelques-unes pour MM. Rolland et Dominique ils tâcheront de vous répondre, s'ils les reçoivent à temps ; vous pouvez être assuré de tout leur zèle à traiter vos affaires qui sont aussi les leurs.

Je reviens aux prisonniers, car ils m'occupent beaucoup. On assure que, depuis le 11 courant, toutes les lettres à eux adressées par la poste y sont restées, de l'ordre de la municipalité... ils furent, recrutés le 25 d'un nouveau confrère, Monsieur Casuc, prêtre de Guician, district de Morlaix. On serait tenté de mire que l'exportation n'aura lieu qu'après qu'on aura mené au château tous les non-sermentès qu'on pourra attraper. Les sentiments sont partagés sur la question de savoir si les détenus doivent prévenir le district du choix qu'ils feront entre la déportation et l'arrestation permanente, ou si le district les forçera de s'expliquer.... Vous ai-je marqué que la municipalité était allée également le 24 à l'hôpital et que les malades, infirmes et convalescents qui y sont, avaient refusé le serment, comme les prêtres du château ?

Vous savez que les prisonniers avaient envoyé le 10 à un avocat de Quimper leur procuration, avec prière d'agir en leur nom auprès du département, de l'Assemblée nationale et du Roi. Bien leur avait pris d'user de cette précaution, puisqu'on les a mis depuis au secret... Le même individu qui avait rédigé les différentes pièces, que je vous ai adressées le 24, avait fait deux lettres pour le Roi et pour l'Assemblée : toute réflexion faite, ces deux lettres n'ont point été signées par les prisonniers. Comment les leur aurait-on pu présenter ? comment d'ailleurs les auraient-ils signées et fait parvenir à leur adresse ? C'eût été s'attirer un orage, si la municipalité s'en était aperçue, après les défenses faites d'écrire.... Je vous envoie les deux lettres en question, avec copie de la pétition. Je pense que vous servirez bien les détenus, en faisant passer le tout à M. Penanros à Quimper, qui pourra peut-être en tirer profit, peut-être même signer et envoyer les lettres, comme porteur de procuration : il n'y a pas de temps à perdre pour agir efficacement.

Agréez les respects du garçon et de son camarade.

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M. de Saint-Luc à sa terre du Bot.
Château de Brest, 28 Juillet 1792, 7 h. 1/2 du soir.

Dieu soit béni de tout, Monsieur le Président, ce soir à 4 heures, au moment où nous y pensions le moins, le district et la municipalité sont venus nous demander notre option individuelle. 40 du nombre desquels sont vos deux amis ont opté pour la déportation en Espagne. Quand aura-t-elle lieu, je n'en sais rien ; peut-être de jour à autre. 30 restent ici, parmi ceux là il y a beaucoup d'infirmes et de vieillards. quelques-uns aussi de jeunes. J'ignore la réponse que feront ceux qui sont à l'hôpital.

M. Bolloré, de Douarnenez, nous est arrivé à 2 heures, mais nous avons eu la douleur de voir un de nos confrères de Tréguier faire le serment et sortir.

Au moyen de la séance de cette après-dînée, les papiers et lettres ci-jointes deviennent inutiles : je vous les envoie néanmoins ; permettez-moi de vous bien recommander la pétition où sont toutes nos signatures, peut-être serait-il bon de la faire imprimer ainsi que les autres pièces que je vous ai fait passer.

Nous quittons à regret notre patrie, quoiqu'elle nous rejette, mais rien ne me consolera, Monsieur le Président, de m'éloigner de vous, de Madame la Présidente et de tout ce qui vous est cher. J'espère que la Providence nous réunira, même en ce monde ; mais. si mon Dieu m'appelle à lui pendant mon exil, j'ai la ferme confiance que nous nous réunirons tous dans son sein et qu'il daignera avoir pitié de nous dans sa miséricorde : oremus pro invicem. Que de gràces ceux des détenus qui ont eu le bonheur de persévérer n'ont-ils pas à rendre à ce Dieu de bonté ! Je lui en rends de très-particulières de celle qu'il fait à mon camarade et à moi de nous bien porter et de conserver, ainsi que nos autres confrères, notre paix et notre tranquillité. Oh! que notre sort est préférable à celui de nos persécuteurs, passez-moi ce terme, je le dis sans rancune et je désire de tout mon cœur qu'ils se convertissent et qu'ils vivent.

J'ai une plume détestable et j'écris dans l'obscurité : vous me devinerez. A demain matin un petit mot, si Jannou revient. Nous n'aurons ses dépêches qu'à neuf heures ce soir. Adieu, Monsieur le Président, continuez-moi les mêmes sentiments, je porterai partout ceux de reconnaissance, de respect et d'attachement que je vous ai voués et à Madame la Présidente, ainsi qu'à tout ce qui vous appartient.

Je vous prie, je vous conjure de ne vous point affecter. Nous vous donnerons notre adresse, si nous parvenons au terme. Soyez sûr que le garçon s'en va gaiement, autant qu'il est possible en pareil cas. Il eut passé la mer, s'il n'avait pas été gobé, mais il l'eut fait volontairement : mieux vaut d'y être forcé nationalement, c'est plus méritoire.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Château de Brest, 2 Août 1792.

Je reviens, Monsieur le Président, à votre no 7 du 25 passé. Notre porteur de procuration à Quimper a mis une requête, dont il espère quelque succès ; il a aussi envoyé un nouveau mémoire à Paris. Du train dont on mène les choses ici, et vu l'activité de la partie adverse, il est bien à craindre d'être pris de vitesse. Mais enfin, que voulez-vous, ce sera un bon procès perdu, nous ne serons pas les seuls à en souffrir, voilà le grand mal.

Les prisonniers ne peuvent qu'être très-reconnaissants des lettres que vous avez écrites à M. de Kergariou, d'après ce que je vous avais dit de leur position. Mais je vous observerai que, comme ils ont défense de communiquer au dehors, soit verbalement, soit par écrit, les témoignages même de votre zèle pour eux peuvent leur devenir funestes, parce qu'on ne manquera pas de croire que c'est par eux que vous avez été instruit et non par moi, auquel on ne pensera pas. Je vous prie donc instamment, Monsieur le Président, de suspendre absolument toute sollicitation. C'est chose inutile, et Rolland appuie encore bien plus fortement que moi la motion que je viens de faire.

Tout ce que vous avez envoyé pour les détenus est resté entre les mains de la personne à laquelle la pacotille était adressée. Les détenus n'ont demandé, quant à présent, que leurs bréviaires et leurs lettres de prêtrise. Il pourra se faire qu'ils se contentent de cela, dans la crainte de perdre leurs effets dans la traversée. D'ailleurs peut-être n'auront-ils pas le temps de se faire porter ce dont ils pourroient avoir besoin. Si on les conduit en Espagne, à Bilbao ou à Saint-Sébastien, ils y vivront à bon marché. Les prêtres déjà rendus dans ces deux endroits ont donné de leurs nouvelles. Ils sont à merveille pour tout. On m'a dit que M. Le Gac était revenu malade en France.

Vous savez à présent qu'il y a 41 ou 42 prêtres pour la déportation, y compris 2 de l'hôpital. On dit que le district attend demain les ordres du département. Si l'embarquement a lieu, on semble craindre pour les déportés, à leur sortie du château. Mais sans doute qu'on prendra de grandes précautions pour leur sûreté.

On publie ici dans ce moment, avec l'appareil requis, que la patrie est en danger. Il faut espérer que cette publication ne portera pas le peuple vers le château.... Depuis plusieurs jours on conduit à la municipalité les étrangers qui arrivent à Brest. Il est tout simple qu'on prenne toutes les précautions possibles pour éviter des surprises. Malheur à des voyageurs ou à des commissionnaires qui seraient arrêtés avec des lettres ou papiers suspects. Il se pourrait bien faire aussi qu'on surveillât de très près la poste aux lettres: ainsi la plus grande circonspection est nécessaire.

Recevez, Monsieur le Président, les respects de Rolland et les miens, item pour Madame la Présidente, Madame Sophie et tous vos autres entours. Rolland écrit à Madame la Présidente, il est toujours tranquille sur tout. Son ami l'est autant qu'il peut. Ces deux personnages sont bien assurés que leurs deux amis détenus ne seraient pas fâchés de partir le plus tôt possible pour l'Espagne.

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M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Château de Brest, 5 Août 1792.

On parle beaucoup d'une séance que tinrent hier au château MM. Daniel du Colohé, et Prédour, commissaires et membres du département. Ils étaient accompagnés d'un officier municipal, du procureur syndic du district et d'un secrétaire. Leur opération ne dut pas commencer avant 4 heures 1/2, il en était 9 1/2 quand ils sortirent. Voici ce qu'on a pu en savoir, je vous le donne au prix coûtant. On a donné aux prisonniers lecture d'un nouvel arrêté du département qui porte : 1° que l'on fera derechef comparaître individuellement chacun des détenus pour savoir s'ils persévèrent dans le refus du serment civique et dans l'option par eux faite de la déportation, ou de la permanence en arrestation ; 2° Qu'on leur annoncera qu'il sera délivré à chacun de ceux qui partiront une somme de 300 francs en assignats ; 3° Que l'embarquement aura lieu à la fin de la semaine ou au plus tard au commencement de l'autre. Il paraît très-certain que c'est M. Expilly qui a demandé qu'on revint à interroger itérativement sur le serment et qu'on s'attendait à voir quelques-uns des détenus le prêter ; mais on assure que les 73 prêtres, qui sont actuellement au château, ont tous persisté dans leur refus. On dit aussi que plusieurs de ceux qui avaient d'abord opté pour la permanence se sont décidés pour la déportation. On fait monter à 49 ou 50 le nombre des Espagnols, car c'est ainsi qu'on les nomme. Suivant les apparences, ils seront conduits à Saint-Sébastien ou à Bilbao. Bien des gens pensent que les permanents auront ici des dangers à courir, et l'on m'a dit que même les commissaires s'en étaient assez clairement expliqués, qu'ils n'ont pas même caché que par cette raison ils auraient désiré de voir tout le le monde partir. Du reste, quelqu'un qui leur a parlé m'assure qu'ils prendront toutes les précautions possibles pour la sûreté tant des partants que des restants. Le département les en a, dit-on, très-spécialement chargés.

Je ne vous dirai rien des prêtres qui sont à l'hôpital, je n'ai là aucune relation ; il s'est seulement débité que deux ou trois, peut-être quatre d'entre eux, voyageront aussi.

Tout le monde ne parle pas de la même manière du refus du serment. Les uns y voient beaucoup d'entêtement, d'autres admirent la fermeté des détenus d'avoir eu le courage de résister à ce second choc. Des personnes de votre connaissance disent que les prisonniers ont rendu un nouveau témoignage à leur religion et qu’ils ne sauraient trop remercier Dieu de les avoir tous maintenus dans les mêmes sentiments.

Je vous préviens que les détenus sont toujours inabordables aux lettres et aux personnes qui voudraient les voir. Vos deux pélerins sont heureux d'avoir à Brest leur pacotille. J'ai su qu'ils ne l'avaient point encore fait demander. Au moyen des 300 fr. que le département accorde à chacun, ils pourront, en prenant ici du papier sur l'Espagne, vivre quelque temps, en attendant qu'on leur envoie en même monnaie les fonds ou partie des fonds qui leur étaient destinés : il est absolument défendu d'exporter le numéraire du royaume.

Je ne termine pas ma lettre, parce que d'ici mardi, jour du départ du courrier, je pourrai peut-être encore accrocher quelque nouvelle.

Rolland et Dominique me rendent de bons services, ils sont bientôt grands comme père et mère [Note : Artifice de langage, pris par M. Boissière, de crainte de se compromettre dans sa correspondance. Rolland, c'est M. Penanros, Dominique c'est lui-même]. Je leur laisse pour leur compte partie de mon négoce, mais aussi ils ont à leur charge le soin des correspondances. Quand vous aurez besoin de mes marchandises, toute ma boutique est à vos ordres, comme de coutume.

Je crois le docteur encore absent, sa femme est à Brest. J'espère la voir aujourd'hui ; à l'occasion de vos deux amis, elle a le projet d'aller au château au moment où elle saura que la municipalité s'y rendra pour faire remettre en sa présence ce que différents particuliers auront pour les prisonniers. Elle y alla la semaine dernière, et elle leur fit passer un panier de prunes.

(Du 6.) Mon associé [Note : Ce paragraphe est de la main de M. Penanros] veut bien me permettre de vous dire un petit mot dans sa longue épître, et j'en profite avec empressement. Nous ne pouvons pas vous dire encore des nouvelles flatteuses de nos affaires : dans ces jours d'anarchie tous les états souffrent. Je suis à la veille d'entreprendre un long voyage pour nos intérêts les plus chers, j'aurai de la peine, et je courrai des risques, mais il n'y a plus à reculer. J'espère qu'avant mon retour l'ordre sera rétabli en France. J'ai vu le manifeste des puissances étrangères, il est d'un style qu'on ne trouve pas dans les motions de nos législateurs, il est propre à glacer d'effroi les corps administratifs. Dès que je serai au terme de mon voyage, je vous donnerai en détail des nouvelles de nos affaires, je n'y emploierai que le moins de temps que je pourrai ; et je reviendrai le plus tôt possible ; priez pour moi pendant mon absence. Mille choses respectueuses à tous vos entours.

Je retourne à mon écritoire.

Mon associé vient de vous écrire. Je ne sais si je dois approuver son voyage jusqu'à un certain point ; mais son parti est pris. Ce qui me console et me rassure, c'est qu'un mien ami l'accompagne et qu'ils auront bien soin l'un de l'autre. Cet ami a été tout à fait d'avis d'aller apurer de vieux crédits sur les lieux. Une absence de deux ou trois mois au moins, va un peu me déconcerter, mais n'importe... il faut bien compter sur vos bontés pour vous entretenir de nos affaires de commerce ; mais je n'ignore pas l'intérêt que vous y prenez et le désir que vous avez de nous voir réussir. Si la France pouvait devenir tranquille, nous en aurions presque la certitude. Par suite de votre bonne volonté pour nous, demandez à notre porteur de procuration à Quimper un mémoire qu'il a dernièrement fait pour nous. Vous en serez content. Peut être ferions nous hien de l'imprimer avec les autres piècces du procès, mais nos consorts craignent la dépense, et d'ailleurs comme nos parties adverses sont chatouilleuses, et qu'on les mène un peu rudement, il pourrait résulter dans l'état quelqu'inconvénient de la publicité et de l'impression.

Je n'ai pas su de nouvelles depuis hier. On donne pour très avéré que les captifs furent tournés samedi par les commissaires dans tous les sens ; flatteries, menaces, etc., tout cela n'a abouti qu'à augmenter le nombre des Espagnols. On dit qu'il y en a 61, y compris ceux de hôpital.

A çà, adieu, portez vous bien.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Château de Brest, 10 Août 1792.

Eh ! bien, M. le Président, ce n'est plus une plaisanterie ; nous partons demain ou dimanche, et nos ballots sont faits. Hier MM. les commissaires du département vinrent avec des membres du district et de la municipalité nous notifier un arrêté tout neuf du département, dans lequel après avoir beaucoup tonné contre notre entêtement et notamment contre notre opiniâtreté à ne pas profiter de la troisième tentative faite pour nous ramener, on nous déclare que le marché est fait pour notre déportation en Espagne, à Saint-Sébastien, à Bilbao, à la Corogne ou à Cadix ; qu'on nous donne à chacun 300 livres en assignats, pour indemnité ; que la nation se charge de notre déportation et de notre nourriture pendant la route, etc.

Nous avons vu ici plusieurs fois le capitaine marchand qui nous conduira. C'est un brave garçon. Son bâtiment est de 160 tonneaux, et l'équipage de 9 ou 10 hommes. Il nous promet de l'agrément, et je crois qu'il nous traitera bien. Nous sommes obligés de fournir nos hamacs et nos couvertures. C'est 10 livres pour chacun, mais aussi ces meubles commenceront notre ménage en Espagne. On nous compta hier au soir notre argent de papier, c'est-à-dire à ceux qui partent. Si quelques-uns des désignés ne sont pas exemptés du voyage, nous serons 74. Notez que ceux qui avoient opté pour la permanence, sont comme les autres forcés de partir, en vertu de l'arrêté du département; les 15 ou 16, auxquels leur âge ou leurs infirmités ne permettent pas de partir, vont être transférés aux capucins d’Audierne où ils seront en arrestation, sous la surveillance de la municipalité qui y fera tous les jours l'appel à midi. Ainsi finit l'histoire, mironton-mirontaine.

Or, nous allons donc faire des châteaux en Espagne. Puisse le vôtre être préservé de tout mauvais cas, comme il l'a été jusqu'ici ! Dieu sait si et quand nous aurons le bonheur d'y revenir.

Même les commissaires du département furent hier fort honnêtes. Ils nous dirent que nos malles ne seraient pas fouillées et que nous pouvions porter tout ce que nous avions. Un municipal avait exclu le numéraire le matin, en conséquence j'avais dit à madame du Breuil que je n'en voulais pas. Je m'en repentis bien le soir, d'autant plus qu'elle était partie pour Landerneau. J'ai trouvé le moyen de lui faire envoyer un exprès à 2 heures, ce jour après midi ; nous ignorons encore si nous aurons de l'argent. Je vous le dirai avant de fermer ma lettre. Le papier de France ne nous procurera pas des piastres en Espagne. Dieu soit béni en tout ! il nous fait la grâce d'être paisiblement soumis aux événements quelconques, On pense qu'avant trois jours de traversée nous serons au but.

J'avais interrompu ma lettre : à l'instant, par un monsieur de Brest, je reçois 50 fr. en or, plus 180 fr. en argent blanc : ci 1380 fr. Nous voilà bien garnis. Je vous ferai remettre les 600 fr. en assignats reçus de la nation. M. de Silguy s'en charge. Vous en tirerez ce que vous pourrez. Au moyen de ça, nous n'emportons effectivement que 780 livres des fonds que vous aviez envoyés à madame de Silguy, puisque nous remplaçons les autres 600 fr. par du papier.

Je finis : nous avons un tumulte affreux ici, la municipalité est occupée à faire délivrer les paquets aux uns et aux autres. Chacun pense à son départ, va, court et vient dans les salles... Voilà l'abbé de Silguy qui arrive, il vous présente son respect. Nous ferons le voyage de conserve... J'ai renvoyé chez madame du Breuil des hardes inutiles. Nous emportons le reste dans la malle. Que vos saints Anges vous gardent et que les nôtres nous conservent et nous ramènent à vous tous en joie et en santé. Amen.

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A M. de Saint-Luc, à sa terre du Bot.
Château de Brest, 11 Août 1192.

M. de Silguy n'étant pas revenu ici, comme il me l'avait promis, j'ai remis à mademoiselle Petitpré les 600 fr. en assignats que je vous avais annoncés dans ma lettre d'hier, dont M. de Silguy s'est chargé. Il ne sera au Bot que mardi ou mercredi... Mademoiselle Petitpré fera passer les assignats à madame du Breuil pour vous les envoyer. Il parait sûr que nous partons demain, à 11 heures. Hier au soir, on a conduit ici les convalescents et guéris de l'hopîtal. La plupart d'entre eux viennent en Espagne. Les 16 permanents vont aller à Audierne dans la maison des capucins.

Nous nous portons bien, Dieu merci, car le rhume qui m'est revenu n'est pas une maladie. Nous sommes 74 à partir, y compris l'abbé de Silguy arrivé hier.

Bonne santé à tout le monde. Priez pour nous : nous nous préparons au voyage et le temps est court. J'espère que même les officiers municipaux laisseront passer mon billet. Ils sont ici depuis 6 heures, il n'en est pas encore 7. Les Audiernistes vont partir.

Je vous prie de mander à madame du Breuil à Landerneau que je laisse les 600 fr. en assignats à Mademoiselle Petitpré. Elle pourra les faire prendre chez elle. Recevez les respects et les adieux de mon camarade et les miens.

Je vous prie aussi de mander à madame du Breuil ce que nous avons reçu de sa part.

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Lettre de M. l'abbé Boissière à M. Le Guillou-Penanros, avocat à Quimper.
Mondonédo, 5 novembre 1796.

J'ai reçu, monsieur et bon ami, le 17 du passé, la vôtre du 21 Septembre. Elle m'a beaucoup consolé par la conformité de vos intentions avec ce que j'ai déjà fait pour procurer des messes et des prières à notre cher défunt. Quand je vous écrivis le 20 Août dernier, je ne voulus vous rien dire de l'état des choses, jusqu'à voir si les lettres d'ici parvenaient en France, vu qu'on m'avait assuré qu'il était survenu des difficultés pour la communication avec nous autres. Aujourd'hui je vais vous parler librement.

1° M. Penanros n'avait fait aucun testament, ni même mis par écrit aucune note déclaratoire de ses volontés, et comme il perdit tout-à-coup la parole le troisième jour de sa maladie, je ne puis absolument vous rien dire sur cet objet.

2° Le 13 Septembre, nous avons acheté, entre nous autres Français, le peu de hardes et de linge qu'il a laissé, ce qui a produit une somme de cent cinquante-et-une livres treize sols, laquelle a été de suite distribuée pour dire des messes.

3° Quant à l'argent, nous le comptâmes en particulier, M. de Silguy, confesseur du défunt et moi, ne croyant pas devoir prendre un plus grand nombre de témoins. Nous trouvâmes dans la bourse, en tout, une somme de trois cent quatre-vingt-huit livres, argent d'Espagne.

4° Je vous avais parlé d'une somme de deux cent vingt-sept livres que lui devait M. Le Cap. J'ai écrit à ce dernier pour savoir si notre ami l'avait touchée ; j'ai à présent la certitude qu'il n'avait reçu que cent francs sur cette somme. Quant aux cent vingt-set livres restantes, M. Le Pennec, recteur de Melgven, qui se trouvait dans le besoin, ainsi que ses deux frères, m'a mandé dernièrement que le défunt lui avait fait remettre les dites 127 livres, en lui marquant que ce serait un prêt s'il pouvait les rembourser, et quelque chose de plus qu'un prêt si le remboursement ne pouvait avoir lieu. Ce sont les termes de la lettre du défunt. M. Le Cap m'a mandé de plus que les boucles de jarretières et les boutons qu'il avait en mains ont été vendus six livres, sur lesquelles il s'était remboursé de trois livres pour frais par lui faits, offrant de remettre les trois autres livres à votre ordre.

5° En exécution de vos intentions qui, je vous le répète, m'ont fait. le plus grand plaisir et m'ont confirmé de plus en plus dans l'opinion que j'ai toujours eue de la bonté de votre cœur, j'ai fait passer à M. Le Guellec, qui vit, avec sept autres confrères, dans une communauté abandonnée dont on leur a accordé l'usage, une somme de trois cent dix livres pour la fondation d'une messe quotidienne pendant un an, à la charge de remplacer, dès ce moment, les trois messes des jeudi, vendredi et samedi saints, pour compléter les 365 messes convenues.

6° Le cher défunt avait positivement défendu qu'on lui envoyât sa montre au château de Brest. Il ne l'a donc pas portée en Espagne, non plus que sa tabatière d'écaille à charnières d'or. Il n'avait qu'une vieille tabatière bleue qui, s'étant rompue ici, l'avait mis dans la nécessité d'en acheter une de 15 sols.

7° Il n'avait porté avec lui, de son propre argent, que ce qu'il y avait dans sa poche quand nous fûmes arrêtés, c'est-à-dire, je crois, cent francs au plus ; mais une personne ou plutôt des personnes charitables, qui sont mortes depuis [Note : Gilles-René-Conen de Saint-Luc, ancien président au Parlement de Rennes, frère de l'évêque de Quimper, et sa femme Amélie-Laurence Dubois, née à Quimper, condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire de Paris et exécutés le 19 Juillet 1794], nous avaient fait remettre quelque argent pour nos besoin communs. Nous en avons dépensé, le défunt et moi, une petite partie au château, et nous avions puisé dans la même bourse commune dans les premiers temps de notre arrivée en Espagne. Depuis que Mgr l'évêque de Mondonédo et son Chapitre avaient bien voulu pourvoir à nos besoins, nous avions cessé de prendre dans notre bourse commune, que j'ai toujours eue dans ma malle, et nous avions en réserve, par ce moyen, une somme de douze cents livres, argent de France, que nous gardions pour les cas extraordinaires. Connaissant la source d'où nous était venu cet argent et la volonté des bienfaiteurs défunts qui nous l'avaient fait passer avant notre déportation, je regarde comme hors de doute que je pourrais disposer du tout à mon gré et en ma faveur ; mais n'en ayant pas, au moins quant à présent, un besoin décidé, il m'est plus doux d'en employer la moitié, c'est-à-dire six cents livres, pour des messes et autres bonnes oeuvres pour le repos de l'âme de mon cher défunt et inséparable compagnon, et ce en interprétation de ses intentions. Le bon recteur de Tourc'h, qui est assez mal à l'aise, y entrera au moins pour cent francs ; ainsi du reste. Je ferai comme je voudrai qu'on fit pour moi en pareil cas, vu que cet argent ne peut et ne doit en aucune manière aller à nos familles. C'est l'avis de Mgr l'évêque de Mondonedo que j'ai consulté et auquel j'ai exposé le tout. Qui a plus droit de décider sur nos affaires qu'un prélat bienfaisant, qui nous entretient depuis le mois de Novembre 1792 ? Et par les 388 livres qu'a laissées mon compagnon, vous devez juger qu'indépendamment de notre nourriture, de notre logement, de notre habillement et autres besoins, nous trouvons le moyen de ménager quelque chose, en faisant toutefois petit ordinaire, comme cela doit être pour des bannis.

J'aurai pu, cher bon ami, me dispenser de vous parler de l'article 7 ci-dessus, mais je devais cette effusion de cœur et de confiance à l'amitié qui nous unit plus que jamais, puisque vous voulez bien me regarder comme un autre frère, et je suis persuadé d'avance que vous approuverez tout ce que j'ai fait et ferai sur les objets dont je vous ai rendu compte.

8° Comme il peut être intéressant pour vous et votre famille d'avoir l'extrait mortuaire, je vous le fais passer en bonne forme, avec, la traduction exacte et littérale que j'en ai faite.

9° Vous ferez de la note, ci-jointe, écrite de la main du défunt, mais sans signature, l'usage que vous croirez bon. Peut-être jugerez-vous comme moi que ce doit être affaire finie quant aux deux premières lignes. Au reste, cette note parait être de vieille date, et c'est la seule qui se soit trouvée. Je soupçonne qu'elle a été écrite au château de Brest, dans les premiers temps de notre captivité. J'en juge par ce qui suit : avant notre départ pour l'Espagne, on nous compta à chacun , à Brest, 300 livres en assignats de la part du département ; je crois que le défunt les envoya à la personne dont il parle en tête de la note ci-jointe, pour vous être remises, et cependant il n'en dit rien.

10° Enfin, depuis le jour de notre arrestation jusqu'à la mort de mon ami, j'ai été chargé de notre dépense commune et du soin du ménage. Etant au château, mon camarade avait mis vingt francs plus que moi, dans la bourse, en assignats ; je payais tantôt en argent, tantôt en papier. Jamais nous n'avons liquidé ce vieux compte. Le fait est qu'il en restait 15 livres en assignats, quand nous nous embarquâmes. Vous les prendrez, si vous voulez, en remboursement à valoir aux vingt francs que je devais au cher défunt, avec cinq livres que je vous offre en argent, ou bien tirez sur moi pour la somme de vingt livres en argent; je dois et veux satisfaire à cet objet.

Voilà, mon cher ami, tous les renseignements que je puis vous donner concernant les affaires de mon camarade en Espagne. Il me reste à vous remercier de ce que vous me dites d'honnête et d'obligeant dans votre lettre du 21 Septembre. Si jamais la Providence me rappelait en France, ce que je désire plus que je ne l'espère, soyez bien assuré qu'une de mes premières visites serait pour mon nouveau frère, pour sa chère moitié et pour ses enfants. Quel plaisir j'aurai à vous témoigner à tous les sentiments que méritent de ma part une dénomination si chère à mon cœur.

Vous avez vu, par l'article 2 ci-dessus, que toutes les hardes du défunt ont été vendues ; j'ai payé, comme mes autres compagnons, le peu que j'en ai acheté. Je n'en suis pas moins reconnaissant de l'offre que vous me faites de prendre desdits effets tout ce qui pourrait me convenir. Outre que j'ai payé mes emplettes, j'ai aussi, comme de raison, tenu compte dans l'état ci-joint des petites provisions que nous avions en commun, M. Penanros et moi.

Veuillez bien me marquer la destination que vous donnerez à la somme qui me reste entre les mains, observant que j'aurai encore quelques frais à faire pour ports de lettres et autres objets. J'ai honte de vous parler de ces misères, mais ma bourse n'est pas si garnie que l'était celle de mon compagnon, ayant plus dépensé que lui pour me procurer des hardes et du linge, celui que j'avais emporté de France étant absolument usé. — Adieu, cher bon ami et bien aimé frère ; je vous embrasse tendrement ; mes humbles respects à Madame Penanros, et mille choses à ses huit pendants d'oreille. Je suis à vous pour toujours BOISSIÈRE, prêtre.

EXTRAIT MORTUAIRE DE M. PENANROS.

Don Benoit-Antoine Vellasquez del valle (de la vallée), curé-recteur de l'unique paroisse de la ville de Mondonedo, royaume de Galice, en Espagne, etc., certifie à tous ceux qui la présente verront, que dans le registre courant où se relatent les décès de la dite ville, lequel a commencé au mois d'Octobre 1791, au folio 201, se trouve le rapport de la teneur suivante :

Le quatorze Août de l'an mil sept cent quatre-vingt-seize, mourut, après avoir reçu le sacrement de la Pénitence, sous condition, et celui de l'Extrême-Onction, sans recevoir le Saint-Viatique, à cause d'un accident qui le prive d'en pouvoir faire usage, Don Hervé-Rolland Le Guillou de Penanros, prêtre français, exilé depuis quatre ans pour n'avoir pas voulu prêter le serment civique : il était originaire de la paroisse d'Elliant, diocèse de Quimper, en Bretagne, âgé de cinquante-neuf ans sept mois, et prieur de Saint-Herbot, et il n'avait point fait de testament. De tout quoi, ses compagnons, prêtres également exilés et résidant dans cette ville de Mondonedo, ont fait la déclaration. — Le corps du dit Don Hervé-Rolland a été enterré dans l'église cathédrale, revêtu des sacrés habits sacerdotaux ; il y a eu messe et vigiles chantées avec diacre et sous-diacre, aidés et assistés par les chantres et musiciens de la cathédrale, avec son des grandes et petites cloches, le chapitre de la dite sainte église ayant fait les frais de cette fonction. Et afin qu'il en conste, je le signe comme curé-recteur de l'unique paroisse de monsieur Saint-Jacques de la dite ville. — Signé : Benoit-Antoine Vellasquez del valle.

Collationné avec l'original y recours, et en foi de ce, pour qu'il en conste partout où besoin sera, je donne le présent certificat à la réquisition de Don Dominique Boissière et autres prêtres français, et je le signe le 28ème jour du mois d'Octobre 1796 : Vellasquez del valle, avec paraphe.

Comme échevin et alcade majeur de cette ville de Mondonedo, royaume de Galice, je signe le présent et y fais apposer le sceau des armes de cette très-noble et très-fidèle ville, ce 4 Novembre 1796, Joseph - Ferdinand Maseda. Joseph-Rodrigues del Riégo. — François-Joseph de Cura et Miranda. etc.

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Lettre de M. Liscoat, Supérieur du séminaire de Quimper, à Mgr de La Marche. Janvier 1791.

MONSEIGNEUR,
Dimanche la prestation du serment s'est faite ici. Tous les MM. du collége y ont figuré. On croyait que quatre d'entr'eux ne le faisaient pas, parce qu'ils n'avaient pas fait leur soumission le vendredi. Mais le samedi deux de ces quatre se ravisèrent. Le dimanche matin, un troisième se joignit à eux. Le dernier écrivit l'après-midi au club. (On vient de me dire que ce dernier n'a pas sermenté, et qu'il avait écrit autre chose). Outre ces neuf Messieurs, il y a eu deux recteurs de la cathédrale et deux religieuses, un carme, et un cordelier.

Trois ecclésiastiques de ce pays-ci sont dénoncés, à savoir : le recteur de Saint-Matthieu, celui de Kerfeunteun et un autre. Celui de Saint-Matthieu est en fuite. On poursuit, dit-on, son affaire au criminel. Il n'y a pas cependant encore de décret lancé, que je sache.

On s'attend ici à avoir demain une bulle du Pape approbative du décret fameux. Plusieurs lettres l'ont annoncée. J'ai beau dire que c'est une fable ; mes assertions et celles de beaucoup d'autres ne peuvent pas obtenir créance dans bien des esprits.

Vous serez peut-être surpris que nous ayons interrompu, depuis dimanche, nos classes de théologie. Plusieurs personnes respectables ont dit qu'il y avait une autorisation de la part du comité ecclésiastique, et soit que la municipalité y croye ou veuille agir de son chef, elle demande que nous reprenions nos exercices. Elle en a écrit au district, donc l'affaire doit aller au département; mais elle n'y est pas encore parvenue ; et l'on vient de me dire que dans le cas même où le département serait provoqué là-dessus, il ne statuera rien par écrit, mais que j'aurai une visite pour conférer avec moi verbalement, apparemment de notre renvoi. Interim les ordinands partent les uns après les autres, et je crois, qu'à l'exception de trois, ils sont décidés à ne jamais recevoir l'ordination du nouvel évêque, s'il n'était pas bullé canoniquement. Je soupçonne que c'est en partie pour lui procurer une ordination à faire, à son arrivée qu'on dit prochaine, qu'on veut retenir ici les ordinands. Mais je n'ose pas éclaircir ce soupçon. Vous sentez combien il est essentiel pour moi de garder là-dessus un silence absolu, de peur de faire naître chez certaines gens une idée qu'ils n'ont pas tous, si tant est que quelques-uns l'aient. Aussi, je ne le dis qu'à vous seul.

M. Le Coz vient de publier une réponse à ses censeurs, que je joins à ce paquet.

J'y joins aussi un post-scriptum où, page 3, il fait un défi que j'accepte, en le priant de trouver bon que : 1° il n'y ait que six ou huit témoins, pour éviter la confusion ; 2° que les citations faites dans les observations, soient confrontées l'une après l'autre avec les auteurs d'où elles sont tirées, et ses sources, s'il est nécessaire, et que le rapport en soit dressé et signé par les commissaires que nous choisirons de part et d'autre ; 3° que ces confrontations ou plutôt les morceaux confrontés soient imprimés sur deux colonnes ; 4° que, si M. Le Coz le juge à propos, l'on en envoie des exemplaires à quelques facultés de théologie, même hors du Royaume, avec prière de prononcer sur la matière y contenue. Ma lettre pour M. Le Coz est toute prête, mais elle n'est pas encore rendue : 1° parce que M. Cossoul veut montrer mon plan à MM. les grands vicaires, ses confrères, et demander leur agrément et leurs observations ; 2° parce que je suis bien aise de voir décidée au district l'affaire du séminaire en général, avant d'envoyer mon acceptation du défi. C'est grand dommage que je ne puisse pas attendre votre réponse sur ce plan, et vos instructions.

Je suis, etc.

Brûlez ma lettre, je vous en prie.

On m'a dit aussi qu'on nous attribuait, la désertion du collége, et d'avoir des assurances de secours temporels de la part des nobles pour refuser le serment. Dieu soit béni !

A Quimperlé, on a publié une défense d'insulter les prêtres pour avoir refusé le serment. On y a permis au recteur de Saint-Colomban, après son refus, de continuer ses fonctions.

M. le recteur de Loperhet, qui a signé la circulaire du département, vient de rétracter publiquement sa signature. M. le recteur de Moëlan, autre administrateur, refuse le serment.

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Lettre de M. Liscoat à M. l'abbé de Silguy, à Bilbao.

Monsieur l'abbé,
Je ne puis que louer les motifs de charité qui animent les auteurs du projet exposé dans la circulaire dont vous m'avez envoyé une copie, mais l'exécution de ce plan, tel qu'il est présenté, me paraît presqu'impossible.

1° Je ne vois pas que personne puisse s'engager pour aucune somme déterminée par mois. Tel à qui au commencement d'avril, par exemple, il reste quelques fonds, suffisants pour le faire vivre jusqu'à la Saint-Michel, risque de n'avoir plus rien à la fin de mai, si dans l'intervalle il lui survient une maladie grave et dispendieuse, s'il vient à perdre ses bienfaiteurs, s'il vient à manquer des honoraires sur lesquels il comptait, si voyant ses frères dans l'indigence il partage avec eux, s'il est obligé de taire quelque. voyage coûteux, s'il est volé ou s'il perd son petit avoir, etc.

2° Je ne vois pas comment un prêtre, quelque bonne volonté qu'il ait, puisse faire passer au loin les petites sommes qu'il serait en état de remettre au dépositaire qui serait choisi pour les recevoir.

Dans une ville notahle ou plusieurs se trouvent réunis, il serait possible absolument de faire de ces aumônes modiques un total notable et de le faire passer à un dépositaire, par une lettre de change, mais ce ne sera pas sans des frais qui diminueront d'autant le secours destiné pour les nécessiteux. Cette voie est d'ailleurs très-lente, et interim les nécessiteux peuvent rester sans soulagement.

Dans les endroits où un prêtre se trouve seul ou presque seul, comment pourra-t-il faire parvenir au but une piécette ou un petit nombre de piécettes ? Il les fera passer peut-être dans une ville voisine ; mais quand et comment ?

Enfin, il est possible et il est très naturel de penser qu'un prêtre, qui serait en état de fournir quelque petite somme pour soulager les nécessiteux, veuille donner la préférence à ceux de son pays, de son diocèse, de sa connaissance, de sa famille. On ne peut pas blâmer cette espèce de prédilection, qui en elle-même est conforme aux règles sur l'ordre de la charité. Or, ce prêtre pourra-t-il spécifier tout cela aux dépositaires les plus voisins de lui, et ces dépositaires pourront-ils suivre littéralement ses intentions, surtout si ceux qu'il désignera sont éloignés du dépositaire ?

3° Je ne vois qu'obscurité dans le triage à faire entre les différents pauvres éparpillés de différents côtés. Je ne conçois pas comment les évêques qu'on indique pour dépositaires pourront faire ce triage parmi des gens qu'ils ne connaissent pas, et surtout connaître les différents degrés d'indigence où se trouvent ces pauvres : circonstance cependant à laquelle il faut faire attention, eu égard à la modicité des secours.

On dira peut-être qu'en Angleterre on trouve moyen de pourvoir à tout, je veux bien le croire, quoique je n'en sois pas bien certain. Mais remarquez bien qu'en Angleterre les secours sont incomparablement plus abondants, comme vous le savez déjà, et comme vous le verrez par la lettre ci-jointe de M. Coguiec, l'aîné : plus les secours sont abondants, et moins il y a d'embarras pour la répartition. Mgr l'évêque de Léon, qui est le caissier général, a dans les différents endroits des distributeurs secondaires, qui n'ont autre chose à faire qu'à distinguer les riches de ceux qui ne le sont pas, et de compter à ceux-ci périodiquement la somme convenue. On ne voit dans tout cela rien d'impossible, mais c'est autre chose dans ce pays-ci, où la modicité des secours comparée à la multitude des indigents exige un travail singulièrement pénible et difficultueux.

D'après ces observations, il me semble qu'il est plus simple que chacun partage avec ceux dont il connaît distinctement l'état, à proportion de ses facultés, en suivant, autant que les circonstances le permettront, l'ordre de la charité, qui exige que, dans les différents degrés de nécessité, on préfère les plus nécessiteux aux moins nécessiteux, et que dans le cas de besoins égaux ou à peu près égaux, on préfère ses parents, ses amis, ses compatriotes, à ceux qui ne sont ni parents, ni, etc.

Je crois pouvoir témoigner que les nôtres ont agi ainsi, soit ici, soit ailleurs. Ceux qui avaient quelque chose à donner ont aidé leurs frères, immédiatement par eux-mêmes, ou médiatement par les mains de M. Coatpont et de votre serviteur. Aux uns on a donné plus, aux autres moins, eu égard à leurs besoins distinctement connus et appréciés ex æquo et bono, sans qu'on ait eu la moindre inquiétude sur la réalité et le degré de leur misère : par ce moyen personne n'est mort de faim. J'espère que la Providence continuera à nous aider, dans le surcroit d'indigence qu'occasionnent nécessairement l'interdiction prononcée contre nous tous in globo, et l'obligation imposée à tous de déguerpir. La première mesure prive quelques-uns de quelques honoraires de messe, de dix sols, de douze sols et demi, de quinze sols, et quelque fois plus. La seconde force à des dépenses impossibles à plusieurs ; mais Dieu par dessus tout.

Je suis étonné qu'on vous ait parlé, comme en confidence, du désastre des prêtres réfugiés à Valence. L'affaire est notoire et publique ici, quoique je ne sache pas les causes de ce malheur.

Il n'y a ici que deux prêtres de Léon, encore ne demeurent-ils pas en ville, mais dans une paroisse voisine. Un d'eux, c'est M. Liard, lazariste, professeur au séminaire de Saint-Pôl, l'autre c'est M. Thomas, curé de Porspoder. Le premier, m'a-t-on dit, est assez à l'étroit, l'autre est moins angustié. Ils avaient eu ici cinq autres compatriotes, mais ils sont partis, l'an passé, pour Tolède. Le recteur de Porspoder est dans cette ville-là même. Ses quatre compagnons peuvent y être aussi ou dans les environs : ce sont les recteurs de Taulé, de Lanildut, de Lampaul, et M. Léostic prêtre.

Je me recommande à vos saints sacrifices, et suis avec respect votre très-humble serviteur.

LISCOAT, Supérieur du séminaire.
Bilbao, le 12 avril 1794.

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Lettre de M. Tymen, vicaire à Briec, (1) à M. Lardiagon, prêtre de la même paroisse, à Mondonêdo.

Note : M. Tymen est mort curé de Briec. Il exerçait sur sa paroisse une très-grande et très-heureuse influence. Rien ne s'y faisait, sans qu'on l'eut préalablement consulté. Il y éteignait les différends ; il réconciliait les familles désunie : c'était en un mot le père et l'ami de ses paroissiens

MONSIEUR ET CHER BON AMI ,
Je ne sais pas si vous avez reçu la dernière lettre que je vous écrivais d'ici, le 17 janvier 1799. Pendant mon absence, on a présenté à mon hôtesse plusieurs lettres à mon adresse, peut-être y avait-il quelqu'une de vous : on les a renvoyées à Badajoz et aucune ne m'en est encore revenue.

Je viens de faire un voyage plus qu'inutile : le 21 février, on nous signifia l'ordre de sortir tous du continent d'Espagne. Et comme on nous offrait indifféremment des passe-ports pour Majorque, Canaries et Portugal, je me décidai pour ce dernier pays. Je partis le 24 du même mois et le 4 du présent j'arrivais au susdit Badajoz avec 31 autres confrères; plusieurs autres nous y suivirent. Nous députâmes 3, pour aller à Gelbes, ville frontière de Portugal, distante de 3 lieues de Badajoz, pour demander l'entrée en Portugal. Nos députés furent sèchement reçus et notre demande fut absolument refusée. En conséquence de ce, le gouverneur de Badajoz, en plaignant beaucoup notre position, nous expédie de nouveaux passeports pour la Corogne ou Barcelone. Je me déterminai pour la Corogne, par l'envie que j'ai de me réunir encore à quelqu'un de mes confrères de nos anciens cantons. Nous savons d'avance qu'il n'y a point d'embarcation ni pour Majorque, ni pour les Canaries. Le 10 de ce même mois, je repartis de Badajoz et ne pouvant passer en Galicie par la plus courte voie, à cause des neiges qui couvrent les montagnes que je côtoyai jusqu'à Talavera, je profitai d'une occasion que je trouvai dans cette dernière ville pour aller à Tolède.

A mon arrivée ici, le 21 mars, on sommait, pour la troisième fois, ceux qui n'étaient pas encore sortis, (il y en avait une trentaine), de partir dans le jour même, sous peine d'amende pour les habitants qui les logeraient. Néanmoins, ils sont encore en place ; à nous autres, nouveaux arrivés, on semblait accorder quelques jours de repos. On nous a encore laissés tranquilles, nous ne paraissons que très-peu en public. Tous les jours il nous revient quelqu'un de nos compagnons de voyage. Je ne sais ce que l'on nous fera, mais il est probable que nous serons obligés de suivre nos derniers passeports ; en ce cas, cher bon ami, je tâcherai de m'unir à vous, si la chose est possible ; je prévois bien que j'aurai de la misère, et je ne puis m'attendre à d'autre sort, quelque part que j'aille.

Grâces à Dieu j'ai fait la route de Badajoz, sans éprouver la moindre incommodité, et après plus de cent lieues, dontj'ai fait plus des trois quarts à pied, je me trouve aussi fort et aussi frais que le premier jour du voyage. Aussi, s'il me faut recommencer, je compte voyager comme les militaires. Comme on pourrait nous laisser ici quelque temps, car le corrégidor est un brave bomme et ne nous inquiétera qu'autant qu'il y sera obligé, écrivez-moi au plus tôt, en me marquant comme on vit à Mondonedo, à quelle distance et de quel côté de la Corogne est située votre demeure, et par où à peu près, il faudrait passer, pour s'y rendre de Madrid, car je compte raser cette capitale, si je n'y puis entrer, comme on nous le dit.

Adieu, cher bon ami : oremus pro invicem. TYMEN.
P. S. — En sortant d'ici, je vous écrirai pour vous prévenir. A Tolède, plazuela de San-Ginez, 27 mars 1799.

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Lettre de M. Tymen à M. Lardiagon, prêtre de Briec, à Mondonêdo.

Tolède, 4 janvier 1801.
Monsieur et cher ami,
Le 10 décembre dernier, je recevais votre lettre du 2 du même mois, si j'ai différé à vous écrire, c'est que, d'un côté, j'étais fort incommodé et continue de l'être, par une humeur interne, qui s'est fixée à ma poitrine et qui gêne la respiration, quand je veux me donner quelque mouvement ; ce qui me rend paresseux à écrire. D'un autre côté, sachant que vous étiez sans secours (ce qui me porte à croire qu'on a cessé de donner les 3 réaux par jour, dont vous m'aviez parlé), je cherchais le moyen de vous faire passer une somme de 60 livres ; mais j'avais beau m'adresser ici aux négociants, aucun n'a de relations avec les parages du Mondonedo. J'ai enfin pensé d'avoir recours à un de mes anciens protecteurs à Madrid, et de le prier de me procurer une lettre de change. Il vient de me répondre, par une lettre du 2 du présent, qu'il vous ferait compter, par l'administrateur de la poste à Mondonêdo, la dite somme de 240 réaux ; il m'ajoute qu'il allait écrire par le premier courrier, pour cette commission. Ainsi, cher Lardiagon, vous ne devez pas tarder à recevoir ce petit secours ; parlez en au dit administrateur, en lui demandant s'il n'a pas reçu ordre de vous remettre cette somme de 60 francs, et quand vous en serez saisi, écrivez aussitôt la lettre ci-jointe, pour remercier Don Pedro Ybanes, l'un des administrateurs du courrier à Madrid. Ecrivez le plus clairement que vous pourrez, et en français, car il entend fort bien cette langue, quoiqu'il ne la parle pas. Mettez-y l'adresse en la forme que je vous donne. Si vous aviez déjà, ou si vous veniez à avoir surabondance de messes, vous pourriez m'en faire passer jusqu'à une trentaine, que je desservirai à votre décharge ; vous en garderiez les honoraires et par là vous vous rendriez service à vous même, ainsi qu'à moi, car les messes deviennent assez rares ici, du moins les messes à 20 sols. Au reste, grâce au dit Don Pedro je n'en ai pas encore manqué jusqu'ici. Je vous ai dit surabondance, car il ne faut pas vous en priver vous-même. Je suppose d'ailleurs que ces messes ne soient pas locales et que la translation puisse s'en faire sans vous compromettre ni vous faire soupçonner en aucune manière. Agissez, cher ami, avec la même franchise dont j'use envers vous, vous connaissez mon cœur et la volonté sincère que j'ai de vous obliger ; ne craignez pas de me gêner, j'ai par devers moi le simple nécessaire, et cela me suffit. Ainsi ne soyez pas embarrassé sur le remboursement ; un jour nous compterons en France, je l'espère. Si on tardait à vous payer la susdite somme de 60 francs, mandez-le moi, afin que j'en donne avis à Don Pedro.... Ne soyez pas inquiet au sujet de mon incommodité, les médecins m'assurent que j'en serai quitte pour la peine.

Ici, nous avons depuis quelque temps peu de nouvelles, du moins peu sont parvenues à ma connaissance. Voici celles que j'ai apprises, depuis la dernière lettre que je vous écrivais, le 22 novembre, vous en savez déjà probablement une partie.

1° L'évêque de la Rochelle écrivait, le 23 octobre, et transcrivait une lettre qu'il avait reçue de celui d'Uzès, qui disait : « Dites donc aux partisans de la promesse de ne pas croire et surtout de ne pas répéter les mensonges qu'on leur dit, ou qu'on leur mande : cela leur fait grand tort, v. g. ils débitent que tous les évêques qui sont ici (Londres), sont pour la promesse, et moi qui y suis, j'en connais 18 sur 20 très-prononcés contre ; la même chose me conste d'Allemagne, même de la Russie, par l'archevêque d'Alby, qui m'écrit, Mgr l'évêque de Nancy m'en dit autant de Vienne ; Mgr l'archevêque de Reims m'est garant du reste d'Allemagne ».

2° On ne cesse de répéter que le légitime évêque de Saint-Malo est à Paris, avec Mgr l'archevêque de Corinthe, pour y traiter de la part du Pape, avec le gouvernement, d'affaires de religion.

3° Une lettre de Quimper, du 9 novembre, assure que Messieurs de Cheffontaines, de Plœuc, Gelin, et plusieurs autres chefs de Chouans, s'y promènent librement et publiquement.

4° M. le recteur de Clohars-Carnoët, est mort, comme vous savez, mais vous pouvez ignorer qu'il était nommé par Audrein, archiprêtre, titre ignoré dans notre pays.

5° Les papiers français du 30 novembre annoncent la mort tragique du seigneur Audrein ; ils disent qu'à cinq quarts de lieue de Quimper, revenant de Brest dans la diligence avec plusieurs autres personnes, la voiture fut assaillie par 30 hommes armés, qui firent à tout le monde mettre pied à terre, demandant à chacun son passeport. Le seigneur évêque du Finistère n'en avait pas, mais il fut reconnu. On lui demanda si ce n'était pas lui qui, par 3 fois et sous différents noms, avait voté pour la mort de Louis XVI, et sans autre forme de procès, on le fusilla.

6° On nous débite que les ecclésiastiques de Paris avaient fait demander à Bonaparte qu'il changeât la promesse fidélité à la constitution en la soumission au gouvernement et que Bonaparte avait répondu que l'affaire était soumise au jugement du Pape et que tous auraient à se soumettre à sa décision, quand elle paraîtrait. Deux lettres de France assurent néanmoins que Bonaparte avait provisoirement décrété le dit changement.

7° Aujourd'hui un homme de marque nous a débité avoir appris, d'un parent qu'il a au conseil du roi, que Bonaparte a pensé perdre la vie, et voici comment : En revenant de la comédie, il passa par un endroit où l'on avait préparé une mine pour l'exterminer. Heureusement pour lui, il avait dépassé cet endroit de 6 toises, avant l'explosion. 150 de ses gardes ont été tués ou blessés ; son écuyer a sauté en l'air plus haut que les maisons, les vitres de la voiture ont été brisées... cette nouvelle mérite d'autant plus de confirmation que la date en fait douter ; car on suppose la chose passée, la veille de Noël : comment a-t-elle pu être annoncée dans si peu de jours, de Paris à Madrid et de Madrid à Tolède ?

Vous avez lu dans la gazette que nous avons un nouvel archevêque. A son arrivée, il y eut ici 4 jours d'illuminations ; ensuite, il partit pour la cour, pour recevoir le chapeau de cardinal, il nous revint deux jours après. Actuellement on travaille à la cathédrale et à la maison de ville, même les dimanches et fêtes, pour les réjouissances qui doivent se faire, le jour de la prise de possession, qu'on ignore encore, car il n'a pas encore reçu les bulles... (N'en deo quet fallet deon receo deputation ebet abers ar veleyen frances ; ar pez a ra lec'h domp da grena ne viomp muin peet eguis quent, petra benac en deus laquet lavaret domp ne chancheo netra d'euz ar pez a re on tad coz).

Adieu cher ami, bonne santé, bonne année et à vous et à tous vos Messieurs commensaux à Mondonèdo. Tout à vous ex toto corde.

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REFUS DU SERMENT PAR M. COROLLER, RECTEUR DE SAINT-MATHIEU.

MES CHERS PAROISSENS,
Ma bouche n'éclatera jamais en vains murmures, en invectives amères, en déclamations séditieuses contre ce fatal Décret qui dépose tous les Titulaires du Royaume dans le Clergé, contre ce fatal Décret qui va livrer la France à l'anarchie spirituelle la plus déplorable ; contre le Décret nul et injuste, proposé, rédigé par un Protestant et prononcé par un Juif d'origine ; contre ce Décret inscrit dans les annales de l'Univers ; contre ce fatal Décret qui introduit le schisme le plus déplorable dans la France. Qu'il est à craindre que la division dans le sanctuaire n'enfante la division dans l'Empire, malgré tous nos efforts pour faire régner la charité dans les cœurs !

Français autant par les sentimens de mon cœur, que par ma naissance, je déclare que l'insurrection est à mes yeux un crime ; que la révolte est le plus grand de tous les attentats dans l'ordre de la société ; que la Religion a gravé ces sentimens dans mon cœur en caractères ineffaçables ; que je soutiendrai toujours par la force de mes exemples une doctrine que j'ai toujours prêchée; que je ne troublerai jamais l'ordre public et social ; que le titre de Chrétien, le caractère auguste de ministre de la Religion sont les sûrs garants de ma soumission, de ma fidélité, de mon patriotisme ; mais que ces titres m'imposent des devoirs essentiels, et l'obligation de refuser le serment relativement à la Constitution, dite Civile du Clergé ; que je veux vivre et mourir dans le sein de l'Eglise dans laquelle le Ciel a placé mon berceau ; que je veux vivre et mourir dans le sein de la Religion catholique, apostolique et romaine, hors laquelle il n'y a point de salut.

Je vous déclare qu'en prêtant le serment qu'on exige de moi, je renoncerais à la Religion catholique, apostolique et romaine ; que mon refus est un hommage que je dois à la foi, un exemple que je dois aux Chrétiens ; que le serment serait un scandale aux yeux de tous les catholiques dont les regards sont fixés sur leur Pasteur ; que je refuse le serment qu'on exige de moi, avec d'autant plus de satisfaction, que je le fais en présence d'un peuple vertueux à qui rien n'est plus cher que la religion de ses ancêtres, et qui veut vivre et mourir dans le sein de l'Eglise romaine.

Je vous déclare, mes chers paroissiens, que je vous suis attaché depuis 27 ans, depuis ma jeunesse, par les nœuds les plus sacrés, par les sentiments de la reconnaissance, et un tendre et respectueux attachement que rien n'a jamais pu altérer. Je n'ai jamais voulu me séparer de vous ; j'ai résisté aux sollicitations, aux importunités ; les promesses n'ont pu me tenter ; les offres les plus avantageuses n'ont jamais pu m ébranler ; j'aurais pu être riche ailleurs, mais je ne pouvais être heureux sans vous.

Des motifs encore plus impérieux, mon devoir, ma religion m'imposent l'obligation de résider au milieu de vous, et je remplirai ce devoir sacré, à moins que la violence ne m'arrache à ce que j'ai de plus cher. Vous êtes mes enfans dans l'ordre de la grâce ; je ne cesserai jamais d'être votre père ; je vivrai et je mourrai votre seul Pasteur. Je porterai dans le tombeau ce titre si cher à mon cœur. Je veux que mes cendres reposent dans le lieu saint où vos corps seront déposés. Oui, que la mort même ne sépare pas des cœurs qui ont été unis par le lien de la charité. Je porterai le titre d'une juridiction que les hommes ne m'ont pas donné, et que les hommes ne peuvent m'arracher, au pied de ce Tribunal où Jésus-Christ, revêtu de gloire et de majesté, jugera tous les hommes ; au pied de ce Tribunal redoutable où j'attends et j'appelle les confrères dont la conduite accuse la mienne.

Je prends à témoin le soleil qui nous éclaire, le Dieu qui nous voit, que la déclaration, que je viens de vous faire, est dictée par la religion, est commandée par ma conscience ; qu'elle est aussi sincère qu’elle est irrévocable. Je voudrais en avoir pour témoins tous les chrétiens de la France, tous mes confrères dans le sacerdoce, tous mes supérieurs dans l'ordre hiérarchique.

Ah ! quelle consolation pour moi d'être uni de cœur et de sentiments à ces illustres Prélats de l'Eglise Gallicane qui présentent un spectacle d'admiration à la France, à l'Europe, à l'Univers entier. Il est réservé à la vertu seule, à la Religion de produire de pareils prodiges, et d'élever l'homme au-dessus de la nature.

Elle sera à jamais consignée dans les annales de la Religion cette année mémorable par la conduite aussi ferme que sage de tant de Pasteurs qui confessent la foi de Jésus-Christ à la face du monde chrétien ; elle sera une époque glorieuse à l'Eglise Gallicane, cette année annoblie par les efforts généreux de tant de Pasteurs pour conserver dans la France la religion de Clovis.

Quoi ! mes chers Paroissiens, vous versez des larmes ; vous pleurez. Ah ! ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants ; ne pleurez pas sur moi, mon âge et mes chagrins me font entrevoir un terme prochain à mes maux. La mort est un bienfait, quand la vie est un supplice ; mais pleurez sur vous et sur vos enfants ; ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur nos temples déserts, sur nos autels abandonnés, sur cette chaire bientôt muette, ou qui cessera d'être celle de la vérité ; ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur tant de Pasteurs, sur tant de ministres de la religion ébranlés par la crainte, éblouis par l'intérêt séduits peut-être par les conseils d'une amitié perfide, ou égarés par l'ignorance et la crédulité. Ah ! pleurez, pleurez sans cesse. L'Eglise de Jésus-Christ, baignée dans les premiers siècles dans le sang des chrétiens, est noyée au dix-huitième siècle dans les larmes de ses Pasteurs. Ah ! pleurez, peuple vertueux, vous ne pleurerez jamais assez ; toutes les larmes de la terre ne suffisent pas pour pleurer les maux de la Religion, les malheurs qui désolent l'Eglise de France. Pleurez, pleurez, l'Eglise de France est couverte de deuil, et la Religion ne vous demande que des larmes et des prières.

COROLLER. Recteur de Saint-Matthieu,
Docteur en Théologie de la Faculté de Paris.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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