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PERSÉCUTION DANS L'ÉVÊCHÉ DU LÉON DURANT LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

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A l'époque, à jamais lamentable, dont nous venons, à grands traits, d'esquisser les sinistres couleurs, et de signaler les méfaits à l'endroit de l'Église et de ses fidèles ministres, Monseigneur Jean-François de La Marche occupait le siège épiscopal de Saint-Pol-de-Léon. Né en 1729, au château de Lezergué, dans la paroisse d'Ergué-Gabéric, près de Quimper, il avait tout d'abord suivi la carrière des armes. Il se trouva, en 1747, au combat de Plaisance où sa compagnie périt tout entière, au point qu'il survécut seul, dit-on, à cette désastreuse journée... Il avait obtenu le grade de capitaine d'infanterie au régiment de la reine, lorsqu'après le traité d'Aix-la-Chapelle il donna sa démission, pour entrer dans l'état ecclésiastique. En s'enrôlant dans la milice sacrée, le jeune officier ne dépouilla pas la vaillance de son caractère : il savait qu'il en aurait besoin pour soutenir d'autres combats, car, s'il n'était plus soldat de son souverain temporel, il devenait soldat de Jésus-Christ et de son Église, auxquels il se consacra tout entier. C'est dire que Monseigneur de La Marche était trempé pour la lutte, et qu'il était prêt à résister à tous les assauts, lorsque la guerre fut déclarée à la religion dans notre pays. L'évêque de Léon, aux prises avec les ennemis de la foi de son peuple, se souviendra du guerrier du champ de bataille de Plaisance ; comme il sut, à cette bataille, tenir vigoureusement son épée pour en frapper les ennemis de la France, il saura aussi tenir énergiquement la plume et porter courageusement la parole pour réfuter les théories des apôtres du schisme et défendre les droits de l'Église et de son siège.

Monseigneur de La Marche, évêque de Léon, s'opposa à la célébration de la messe solennelle demandée par la municipalité de Brest, pour la prestation du serment à la Constitution, que devaient prononcer les fédérés.

Voici le texte de la lettre par laquelle le clairvoyant prélat refusa de concourir à cette cérémonie qu'il regardait comme schismatique et hérétique :

« Messieurs,
J'ai toujours été et j'irai toujours au-devant de ce que pourront désirer la ville de Brest et ses administrateurs, lorsque ma conscience me le permettra. Il est vrai que j'ai permis ce que vous me demandiez lors de l'installation de la municipalité ; mais depuis cette époque les circonstances sont bien changées ! Personne n'est plus que moi ami de la liberté, dont on établissait les principes ; personne n'est plus ennemi des abus qu'on travaillait à détruire. Je voyais une puissance civile qui portait des décrets sur l'administration politique de l'État. Aujourd'hui, je vois cette même puisance, sans le concours de l'autorité ecclésiastique, statuer sur la discipline générale et particulière de d'Église entière, disposer à son gré de la juridiction, l'ôter et la donner aux métropolitains, aux évêques, aux curés, selon sa volonté ; briser le lien de la juridiction, qui subordonne tous les ministres de l'Église catholique à leur chef, et toutes ces dispositions sont décrétées sous le nom de constitution ecclésiastique, faisant partie de la constitution de l'État.

S'il ne s'agissait, Messieurs, que de la fédération des troupes nationales avec les troupes de ligne, pour maintenir la paix, la liberté, l'inviolabilité des propriétés et des personnes ; que de resserrer entre tous les citoyens les nœuds de la fraternité, je voudrais pouvoir me multiplier, et remplir les premières fonctions à toutes les fêtes religieuses. Mais il s'agit de se liguer par un serment pour maintenir une constitution qui renferme des dispositions essentiellement contraires à la religion, en détruisant le régime constitutionnel que lui a donné Jésus-Christ.

Je vous déclare que je ne puis, sous aucun rapport, concourir à ce serment. L'Église est infaillible sur le dogme, les mœurs et la discipline générale : les évêques en sont les juges et les dépositaires.

D'après les raisons qui justifient mon refus et que j'ai cru devoir vous faire connaître, je serais à vos yeux un dépositaire infidèle, et je ne mériterais que votre mépris, si je sacrifiais ma conscience et mon devoir au désir de vous plaire. Quand je ne serai pas guidé, dans l'accomplissement de mes devoirs, par des motifs d'un ordre supérieur, j'en trouverais un puissant dans l'ambition de conserver votre estime.

Je suis avec un très-respectueux attachement, etc.
+ JEAN-FRANÇOIS, Évêque de Léon »
.

Mais il ne suffisait pas à la sollicitude du bon pasteur d'avoir mis ses ouailles de Brest en garde contre la nouvelle constitution civile du clergé, il lui parut urgent de signaler à tout son troupeau le venin des mauvaises doctrines qu'elle contenait. Pour atteindre ce but, il écrivit aux prêtres de son diocèse une lettre, que nous reproduirons en entier. Au reste, il affermit si bien son clergé dans la ligne du devoir, qu'il n'y eut dans son diocèse qu'un petit nombre de prêtres à faire le serment.

« Messieurs,
Plusieurs recteurs et autres ecclésiastiques de mon diocèse m'ont paru désirer que je leur donnasse des idées nettes et précises sur la véritable position de l'Église de France, depuis les décrets relatifs à la constitution du clergé, annoncée comme faisant partie de la constitution nationale.

Il est de mon devoir de fixer les sentiments, et de ne laisser aucun doute sur un objet aussi important.

Je vais rapidement rappeler les principes, exposer les faits et tirer les conséquences.

Principes. — Tout catholique doit reconnaître que l'Église est infaillible sur le dogme, les mœurs et la discipline générale ; que le pape et les évêques en sont les juges [Note : Le 18 Juillet 1870, dans la IVème session du Concile du Vatican, sacro approbante concilio, Pie IX a déclaré dogme divinement révélé l'infaillibilité du Pontife Romain définissant une doctrine touchant la foi ou les mœurs, de sorte que ses définitions sont irréformables par elles-mêmes: ex sese, mais non par le consentement de l’Église : non autem ex consensu Ecclesiæ] ;

Que la juridiction de ceux qui sont légitimement revêtus de l'institution canonique ayant été limitée à un territoire déterminé ne peut pas, sans l'intervention ou le consentement du pouvoir ecclésiastique, recevoir d'extension ;

Que le Souverain Pontife, comme chef de l'Église, a reçu de Jésus-Christ la même primauté d'honneur et de juridiction que Jésus-Christ a donnée à saint Pierre.

Faits. — L'Assemblée nationale, sans aucun concours de la puissance ecclésiastique, a décrété qu'en vertu de ses seuls décrets, sanctionnés par le roi, des évêques et des évêchés seront supprimés ;

Que les différents diocèses renfermés dans la nouvelle circonscription d'un département ne renfermeront plus qu'un seul diocèse gouverné par un seul évêque ;

Que le nombre des métropolitains, celui des métropoles et leurs suffragants seront désignés par l'assemblée ;

Que les paroisses seront supprimées et réunies, et, dans les règles établies pour ces suppressions et réunions, il n'est pas parlé du décret et du jugement de l'évêque diocésain ;

Qu'un nouvel évêque élu s'adressera à l'évêque métropolitain pour en recevoir l'institution canonique ;

Que le nouvel évêque élu ne pourra s'adresser au pape pour obtenir aucune confirmation ;

Que, pendant la vacance du siège épiscopal, la juridiction sera dévolue au premier, ou à son défaut au second vicaire de l'église cathédrale.

Les bornes d'une lettre ne me permettent pas d'entrer dans le détail des autres décrets qui sont plus ou moins contraires à la discipline générale et à la discipline particulière de l'Église de France, et qui, tous portés par une puissance purement civile, ont le vice radical d'incompétence ; ce qu'ont déclaré les évêques présents à l'Assemblée, qui ont en même temps protesté contre ces décrets, et se sont abstenus de prendre aucune part à leur émission.

Conséquences. — Jusqu'à ce que l'Église ait ratifié, d'une manière légale et canonique, ces dispositions de la puissance civile, parmi lesquelles il y en a qui ne peuvent être validées que par l'Église universelle, ou par le concours du Souverain Pontife et de l'Église de France, et le silence approbatif des autres Églises, les archevêques, les évêques et les curés supprimés conserveront seuls la juridiction sur leurs suffragants, leurs diocésains et leurs paroissiens ; et ceux qui leur seraient substitués, n'en auraient aucune sur les nouveaux suffragants diocésains et paroissiens qui leur seraient assignés [Note : En vertu de sa suprême autorité, le Souverain Pontife, quand il le juge nécessaire, peut supprimer les siéges épiscopaux, sans le consentement des évêques. (Voir concordat de 1801, art. 3)].

Un nouvel évêque élu, qui ne recevrait l'institution canonique que du métropolitain ou de l'ancien évêque auquel l'Église n'a pas donné ce pouvoir, ne recevrait aucune juridiction, et ne pourrait, par conséquent, la communiquer aux nouveaux curés. De là toutes les absolutions qu'ils donneraient en vertu de leurs titres, à l'exception de l'article de la mort, et tous les actes de juridiction qu'ils feraient seraient frappés de nullité.

Lors de la démission ou à la mort d'un évêque, les chapitres auxquels l'Église avait attribué les pouvoirs du siége vacant, ne subsistant plus, toute juridiction serait suspendue ; enfin, le lien qui forme l'ordre hiérarchique resterait brisé.

Quel désordre et quelle désolation !

Cependant, si tous les archevêques et évêques et tous les curés, en attendant que l'Église ait parlé, sont fidèles à Jésus-Christ et à son Église, il n'y a point de schisme à craindre ; mais il naîtrait inévitablement de leur désunion et de leur infidélité.

J’espère que Dieu me fera la grâce de ne pas m'écarter des vrais principes, et de ne pas trahir mon devoir. J'ai une pleine confiance que tout mon clergé ne montrera pas un attachement moins inviolable à l'Église, à sa discipline et à la parfaite dépendance de son chef.

Il ne me reste, Messieurs, après vous avoir recommandé d'instruire le clergé de votre paroisse sur tous ces points, qu'à vous dire, avec saint Jean : Esto fidelis usque ad mortem ; à vous engager à gémir et à redoubler de zèle pour le salut de vos paroissiens ; mais que votre zèle soit réglé par la prudence ; évitez avec le plus grand soin tout ce qui pourrait porter le trouble parmi les habitants des campagnes ; exhortez-les et travaillez de concert avec eux à maintenir l'ordre, la justice et la paix. Les mouvements extraordinaires, les grandes agitations éloignent les hommes de Dieu ; les maux, les afflictions les en rapprochent. Les maladies, la misère sont des fléaux qui s'appesantissent sur ce diocèse. Servez-vous de ces motifs pour leur rappeler que leur Père, le Père des miséricordes est aux cieux ; que c'est lui qu'ils doivent conjurer de venir à leur secours et de les délivrer de leurs maux : ils fléchiront sa colère par la prière et par la pénitence ; dans le même esprit, joignez-vous à eux et à nous, Messieurs, pour demander à Dieu qu'il jette un regard de miséricorde sur ce royaune, sur l'Assemblée nationale, sur le Roi et sur l'Église.

Je suis, avec un sincère attachement, etc. ».

Ceci se passait avant que la Constitution civile du clergé n'eut été revêtue de la sanction du Roi : cette formalité était nécessaire pour qu'elle devint loi de l'État, que l'on pût la publier et la rendre exécutoire. Louis XVI eut la faiblesse d'y accorder sa sanction, le 24 Août 1790 ; il fut d'autant plus coupable, en posant cet acte, que cette constitution avait déjà été condamnée et réprouvée par la majeure et la plus saine partie du clergé de son royaume. Comme un homme, que les flots de la mer environne, perd la tête et ne sait plus quel parti prendre pour sauver ses jours, ainsi l'infortuné monarque, débordé de tous côtés par le flot révolutionnaire, perdit aussi la tête, et signa, pour épargner le sang de ses meilleurs sujets, son arrêt de mort et celui de tous les prêtres fidèles de la France, oubliant qu'il n’est jamais permis de faire le mal, pour qu'il en arrive du bien.

S'inspirant de l'exemple de leur courageux évêque, les prêtres et les chanoines de Léon protestèrent de toutes leurs forces, le 22 Octobre 1790, contre la constitution civile, au nom de laquelle on supprimait leur diocèse, leur chapitre, etc.

Rien de plus touchant que cette démarche unanime de ce clergé ; rien de plus touchant que la réponse de Monseigneur de La Marche, le remerciant de son attachement aux principes de l'Église et de son dévouement à sa personne : on l'a vu dans la première partie de cet ouvrage.

Le 30 Octobre 1790, parut l'Exposition, des principes sur la constitution, civile dit clergé, rédigée par Mgr de Boisgelin et signée par trente prélats députés à l'Assemblée nationale ; Monseigneur de La Marche y adhéra, le 3 Décembre, avec tous les évêques de France : il n'y eut à se séparer de leurs collègues, dans cette grande manifestation, que quatre prélats, qui ne tardèrent pas à rouler au fond de l'abîme du schisme et de l'apostasie.

L'administration du District de Morlaix lui ayant écrit une lettre portant l'adresse d'ancien évêque de Léon, Monseigneur de La Marche, profondément blessé de ce procédé, par lequel on avait biffé d'un trait de plume ses droits sacrés sur son diocèse, releva fièrement cette insolence, par la réponse suivante, dont tout le monde admirera l'apostolique fermeté :

« Messieurs,
Il m'est parvenu un paquet par la poste, adressé à l'ancien évêque de Léon. Je ne suis point ancien, mais actuel évêque de Léon ; ce paquet n'est donc point à mon adresse, et je ne le reçois point. Ayant reconnu le cachet du District de Morlaix, j'ai cru que vous jugeriez convenable que je vous le fisse passer, afin que vous puissiez rectifier l'adresse, s'il est dans votre intention que je le reçoive. Au reste, Messieurs, si comme le bruit s'en répand, la lettre que vous m'adresseriez contenait une notification de la constitution civile du clergé, j'ai l'honneur de vous prévenir franchement que je n'en accuserais pas la réception. Ce n'est pas que je pense qu'il pût en résulter quelque changement dans ma qualité et mes pouvoirs d'évêque ; mais, parce que je n'ignore pas qu'il y a des personnes que l'erreur aveugle, au point qu'elles pensent que l'Assemblée nationale peut me faire perdre ma juridiction, et qu'il ne faut, pour cela, qu'une notification authentique de ses décrets, je ne veux pas concourir librement à constater une notification d'après laquelle elles se croiraient fondées à ne plus me reconnaître pour leur pasteur. Vous me paraissez, Messieurs, penser différemment, quant à la notification personnelle ; mais la dénomination d'ancien évêque, par laquelle vous me désignez, me fait présumer que, dans votre opinion, j'ai cessé d'être évêque de Léon, depuis la publication de la constitution civile du clergé.

Je manquerais à mon devoir de pasteur, si je négligeais de combattre une opinion dont il est si facile de faire apercevoir l'erreur.

Permettez-moi de vous proposer quelques réflexions qui méritent toute l'attention des vrais enfants de l'Église, au nombre desquels je dois vous compter.

On n'est hérétique ou schismatique formel, que lorsqu'après avoir été éclairé et instruit par ceux qui en ont reçu la mission, on s'obstine à fermer les yeux à la lumière et les oreilles à la vérité. Je vous crois, Messieurs, trop fidèles catholiques, apostoliques et romains, pour persévérer dans une erreur qui blesserait votre obéissance à l'Église, dès qu'elle vous sera montrée par l'autorité légitime, qui seule peut et doit diriger votre croyance, celle de votre pasteur uni au corps des autres pasteurs et à leur chef. Or, Messieurs, le Souverain Pontife et tous les évêques vous diront, comme moi, que votre évêque ne peut pas cesser, en vertu des décrets de l'Assemblée nationale, sanctionnés, proclamés et notifiés, d'être votre pasteur légitime.

Instruits de la religion divine que vous professez, vous savez que Jésus-Christ a institué et établi une Église qui est essentiellement une par l'union des fidèles à leurs pasteurs, de ceux-ci entre eux, et de tous au chef visible de l'Église, vicaire de Jésus-Christ, centre d'unité : si vous vous séparez de votre pasteur légitime, si vous le méconnaissez, vous rompez cette union, vous brisez ce lien qui retient la brebis dans le même bercail, sous le même pasteur, vous êtes hors de l'unité, vous vous séparez de l'Église, vous vous constituez dans un état de schisme et de damnation, parce que hors de l'Église point de salut.

L'Assemblée nationale vous dit, j'en conviens, que les évêchés de Tréguier et de Léon sont et demeurent supprimés ; d'après cela, croyez-vous que les évêques de ces diocèses ont perdu leur juridiction, et qu'ils ne sont plus que d'anciens évêques sans pouvoirs ? Croyez-vous que Jésus-Christ ait confié le gouvernement de son Église à une assemblée politique ? Croyez-vous qu'il lui ait dit : Ce que vous lierez sera lié, ce que vous délierez sera délié ? Croyez-vous qu'en vertu des décrets de cette assemblée, vous puissiez vous trouver tout-à-coup sans évêques, et qu'il n'y ait plus maintenant de juridiction épiscopale dans toute l'étendue du département ? Vous n'en connaissez plus à Tréguier ni à Léon ; il n'y en a plus à Quimper. Vous n'en douterez pas d'après la décision du comité ecclésiastique du 12 Octobre 1790, signée Expilly, président : « Le Directoire du département du Finistère ayant fait notifier officiellement, le 26 Septembre, au chapitre de Quimper, la constitution civile du clergé, le chapitre n'est plus rien, et ne peut ni nommer des grands vicaires pendant la vacance du siège épiscopal, ni se charger de l'administration du diocèse ».

Toute juridiction épiscopale est donc éteinte dans le département. Pouvez-vous le penser, Messieurs, pouvez-vous présenter une idée plus affligeante aux pieux fidèles d'une immense contrée ? Telles sont cependant les conséquences nécessaires et immédiates des décrets sur lesquels vous vous fondez pour me qualifier d'ancien évêque de Léon, et méconnaître ma juridiction. Direz-vous, Messieurs, que l'on est occupé de l'élection d'un évêque du Finistère ? Ce n'est rien répondre sur l'état actuel ; et, en effet, dans vos principes, vous n'avez point de réponse. Mais considérons l'état futur. Je suppose un évêque élu à Quimper, s'il n'est pas canoniquement institué, il ne sera évêque de nulle part. Supposons-le canoniquement institué ; il n'aura pu l'être que par une autorité ecclésiastique, vous en convenez : or, il n'y a jamais eu, et il n'y aura jamais d'autorité ecclésiastique qui veuille ni qui puisse donner la juridiction sur un diocèse qu'elle ne reconnaît point vacant ; et il n'y a point d'autorité ecclésiastique qui reconnaisse vacants les diocèses de Tréguier et de Léon, tant que leurs évêques n'auront pas donné leur démission, ou n'auront pas perdu leur juridiction par un jugement canonique ; le nouvel élu ne pourra recevoir la juridiction par l'institution canonique que sur le diocèse de Quimper ; ii n'y aura donc pas d'évêque du département.

En vain l'Assemblée nationale portera des décrets, en vain ses agents en presseront l'exécution, il y a des points essentiels du gouvernement de l'Église contre lesquels ni la puissance des hommes, ni les efforts de l'enfer ne prévaudront jamais. Non, Messieurs, le corps des pasteurs ne laissera point envahir les droits que Dieu a confiés à son Église, et sans lesquels elle ne peut subsister; vouloir les forcer à reconnaître que leur juridiction spirituelle et que la discipline de l'Église sont à la disposition d'une assemblée politique, serait vouloir en faire des apostats de cette même Église ; le sang de Jésus-Christ en a cimenté les fondements, celui des martyrs en a arrosé les progrès ; elle aura toujours des pontifes prêts à s'immoler pour la conserver et la défendre.

Si donc vous veniez, Messieurs, me sommer de reconnaître qu'en vertu des décrets de l'Assemblée nationale sur la constitution civile du clergé, je ne suis plus évêque de Léon, et que je ne dois plus m'ingérer à en faire les fonctions, je vous dirais avec toute la liberté de mon ministère : Que l'homme ordonne ; si Dieu défend, ce n'est point aux hommes, c'est à Dieu seul qu'il faut obéir ; je vous dirais : Il s'agit ici de la religion, ce n'est point à la brebis à commander au pasteur ; je vous dirais une vérité révélée, qu'aucun catholique ne peut révoquer en doute, que le lien qui m'attache au troupeau, que Jésus-Christ m'a confié, est purement spirituel ; qu'il ne peut être rompu par aucune puissance temporelle ; qu'aucun pouvoir civil ne peut s'étendre sur la juridiction spirituelle de l'Église : s'obstiner à penser autrement, c'est vouloir s'en séparer.

Vous avez, Messieurs, librement accepté la qualité d'agents d'un pouvoir qui commande en souverain, et peut-être vous ordonne-t-il de donner plus d'éclat à ma prétendue suppression, par une notification personnelle, afin de persuader plus efficacement aux peuples de mon diocèse que je ne suis plus leur pasteur. Mais, Messieurs, la clarté des principes que j'ai établis et des conséquences que j'en ai déduites, vous aura intimement convaincus qu'il ne vous est pas permis d'exécuter de pareils ordres ; et je me tiens bien assuré que vous ne préfèrerez pas l'amitié des Césars à celle de Dieu, la fausse prudence des enfants du siècle à la docilité des vrais enfants de l'Église.

J'ai accompli ce que Dieu m'ordonne : loqueris verba mea ad eos, si forte audiant et quiescant. (ÉZÉCH.).

Je serai toujours avec l'inviolable attachement que j'ai voué à mes diocésains, et avec le respect dû à des administrateurs distingués par leur mérite personnel, Messieurs, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
+ J. FR., Évêque de Léon. A Léon, le 3 Octobre 1790 »
.

Bien qu'entraînés par le torrent révolutionnaire, les administrateurs du District de Morlaix n'avaient pas abjuré la foi de leurs pères ; ils ne purent donc rester insensibles aux justes plaintes de l'évêque de Léon. Il exposait si vigoureusement et si clairement l'inviolabilité de ses droits sur son diocèse, que ces Messieurs décidèrent unanimement qu'ils surseoiraient à l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale touchant la suppression du siège épiscopal de Léon ; de plus, déclarant que leur conscience ne leur permettait pas de s'associer à une telle mesure, ils refusèrent d'y prêter leur concours. Grâce à cette résistance, Monseigneur de la Marche et son chapitre obtinrent quelques semaines de répit.

Mais cet acte d'énergie ne fut pas de longue durée : cédant, sans doute, aux menaces et à la terreur qui régnaient déjà partout, les mêmes administrateurs allèrent, le 2 Décembre, signifier au chapitre de Léon qu'il n'existait plus, avec injonction de se séparer à l'instant...

Tous les autres chapitres de la province avaient déjà été supprimés.

C'est alors que se réunissant, les chanoines de l'église. cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, dignes en tout de leur évêque, dont ils étaient, plus que jamais, l'appui et le conseil, rédigèrent la protestation suivante :

CHAPITRE EXTRAORDINAIRE DU JEUDI 2 DÉCEMBRE 1790.

« Nobles et vénérables Messires Jean-Corentin de Troérin, chanoine, chantre et président ; Jean-Louis Roussel, archidiacre de Quiminidilly ; Jérôme-François de Keroulas, chanoine et archidiacre d'Acre ; Honoré Le Dall ; Jacques-Marie de Mathesou ; Pierre-François de Puifferré ; Jérôme-Marie Prigent ; François-Marie Quentric ; Louis-François de Limoges ; Jean-Guillaume Le Gac ; Guillaume Hardy ; Michel Henry ; Jean-Marie-Dominique de Poulpiquet ; Hyacinthe Niquet, tous chanoines ou dignitaires de Léon, assemblés aux fins d'une lettre de ce jour de la part de MM. les commissaires du District de Brest, et portant pour adresse : à Messieurs, Messieurs du chapitre de Léon.

En l'endroit se sont présentés les dits sieurs commissaires, qui, d'après lecture de leurs pouvoirs, ont notifié au chapitre le décret de la constitution civile du clergé, avec injonction de s'y soumettre dans l'instant, et de s'y conformer en se séparant : sur quoi le chapitre a répondu par la protestation suivante, qui leur a été lue et remise aux mains de l'un d'eux pour être consignée dans leur procès-verbal.

« Messieurs,
Les monuments sacrés et antiques de la religion, la foi de nos pères, les propres sentiments des députés de l'Assemblée, ce respect qui ne leur a pas permis, disent-ils, de délibérer sur l'existence de la religion, tout enfin semblait devoir nous mettre à l'abri d'innovations alarmantes pour les fidèles, et ne nous pas faire craindre qu'ils vinssent agiter la patrie par des entreprises sur la puissance spirituelle.

Mais ils sont arrivés ces jours de deuil et de tristesse pour l'Église, où dépouillée de son ancienne splendeur, elle va gémir dans l'opprobre et dans l'affliction. Il est arrivé, Messieurs, ce terme fatal auquel vous exposant librement à perdre l'amitié de Jésus-Christ pour conserver celle des Césars, vous venez nous notifier l'acte du pouvoir absolu qui, tendant à nous ôter notre état civil et religieux, entreprend aussi de renverser tant de prélats de leurs chaires pontificales, d'arracher tant de pasteurs à leurs troupeaux, et de fermer les portes de tant d'asiles sacrés où se forment les nouveaux lévites.

A la vue des suites nécessaires de pareilles entreprises, nous frémissons. Les ministres du Seigneur deviendront rares : cette rareté entraînera celle du sacrifice, et la rareté de cet acte, le plus important de notre religion, s'augmentant de jour en jour, n'aboutira-t-elle pas à son entière cessation ? Craignez, Messieurs, les funestes effets qui doivent en résulter. Lorsque les ministres du Seigneur seront rares et plus rare encore le sacrifice, s'écriait le prophète Daniel, l'iniquité prévaudra, la charité se refroidira, et tous les hommes consternés succomberont sous le poids de tous les malheurs.

Cette prédiction effrayante se réalisa chez nos voisins, dans les derniers siècles, et devrait nous servir de leçon. Depuis quand en effet ces nations autrefois éclairées des plus pures lumières de l'Évangile, sont-elles tombées dans un affreux cahos d'erreurs ? Depuis qu'elles ont abandonné la vérité de cet adorable sacrifice, abrégé de toutes les vérités de la foi. Depuis quand ces sujets si soumis et si fidèles, ont-ils secoué le joug de l'obéissance, et se sont-ils révoltés contre toutes les puissances légitimes ? Depuis que leurs chefs audacieux ont banni cet adorable sacrifice, acte solennel de dépendance. Depuis quand ces citoyens, autrefois si étroitement unis, ont-ils été livrés à l'esprit de faction, de cabales et de division ? Depuis qu'ils ont proscrit cet auguste sacrifice, centre de la paix et de l'union. Depuis quand enfin ces hommes qu'on appelait des anges pour la pureté de leurs mœurs, ont-ils déshonoré l'humanité par des attentats et des forfaits inouis ? Depuis qu'ils ont renoncé à ce saint sacrifice, source de toutes les vertus et remède à tous les vices.

Menacés de pareils malheurs, et de plus grands peut-être, il ne nous est plus permis, Messieurs, de garder le silence, et nous nous voyons forcés de réclamer contre l'autorité incompétente dont vous venez de nous notifier les décrets. A Dieu ne plaise cependant que nous prétendions opposer aucune résistance active au pouvoir absolu qui nous fait ressentir toutes ses rigueurs. Instruire, représenter, prier et reprendre, voilà les seules armes qu'un Dieu de paix a mises entre nos mains, et dont nous ferons usage.

C'est aux chapitres des églises cathédrales qu'a été confié l'exercice de la majestueuse solennité du culte et la continuité de la prière publique pour la conservation et l'accroissement de la Religion, pour le bonheur de l'État et le salut des âmes ; ce sont eux qui sont constitués conseil permanent des évêques ; c'est à eux qu'est déléguée la juridiction épiscopale dans la vacance des siéges. Ces fonctions augustes et nécessaires, Messieurs, ils ne les tiennent que de l'Église à qui Jésus-Christ a donné le pouvoir indépendant de se gouverner. Nulle autre puissance par conséquent ne peut les en dépouiller.

Par quelle fatalité voyons-nous donc des mains profanes chasser du temple des ministres inviolablement attachés à leurs fonctions ! Si on nous réduit à l'impossibilité absolue de les exercer, nous n'y renoncerons pas ; mais, par amour pour la paix, nous les suspendons, jusqu'à ce que des temps plus heureux nous en permettent le libre exercice. Nous chargeons expressément, devant Dieu et le peuple catholique, la conscience de ceux qui nous forcent à ce sacrifice douloureux de l'obligation sacrée de respecter et d'exécuter les volontés expresses des pieux fidèles, autorisées par les lois et consignées, dans les titres de leurs fondations. Nous déclarons que toute justice civile, religieuse et canonique serait violée, si l'on omettait ou si l'on interrompait les sacrifices et les prières stipulés dans les actes de donation des biens dont on nous dépouille.

Spoliation contre laquelle nous sommes obligés par serment de réclamer ! Spoliation funeste ! car ces biens, étant répandus dans le sein des habitants de cette ville, en devenaient comme le patrimoine commun. Tous étaient appelés à leur partage ; les membres du bas-chœur par leurs appointements; l'artisan par le salaire ; le cultivateur par la consommation ; les pauvres par l'aumône.

Ce qui met le comble à notre douleur, c'est que la main qui nous dépouille entreprend aussi de renverser de sa chaire pontificale et d'arracher à son troupeau un pasteur, qui aurait honoré les plus beaux siècles de l'Église. Peuple de Léon, nous vous appelons à témoin ; rendez hommage à son zèle et à sa bienfaisance. Votre ville ne présente-t-elle pas de toute part des monuments qui réclament votre admiration et votre reconnaissance ? Citoyens de toutes classes, n'avez-vous pas toujours trouvé des ressources dans les trésors inépuisables de sa charité ? Si, cédant à la force, il s'éloignait de vous, portez-le toujours dans votre cœur, et apprenez qu'il conservera toujours le droit exclusif de vous instruire, de vous diriger et de vous gouverner.

Pour nous, Messieurs, fondés sur ces principes, nous ne reconnaissons et ne reconnaîtrons pour notre évêque, que ce prélat que Dieu nous a donné dans sa Miséricorde. Toujours nous nous regarderons comme composant son chapitre. Toujours nous lui demeurerions unis par un lien indissoluble. Si la mort nous en séparait, pour perpétuer dans ce diocèse les secours spirituels qui sont du ressort de la juridiction épiscopale, nous déclarons que ces précieux trésors, que l'Église nous a confiés, ne seront pas stériles entre nos mains, et que nous continuerons à les répandre dans le sein des fidèles, jusqu'à ce qu'ils ne soient pourvus d'un pasteur légitime.

Il nous reste encore à gémir sur les atteintes portées par la Constitution civile du clergé à la discipline générale de l'Église et à sa divine hiérarchie. Nous nous croyons obligés, Messieurs, de faire ici, pour l'instruction publique, notre profession de foi.

Nous croyons, comme articles de foi, que tout ce qui concerne le gouvernement de l'Église, dans l'ordre de la religion, appartient exclusivement aux successeurs des apôtres, auxquels seuls Jésus-Christ a donné la puissance des clefs.

Que dans l'ordre hiérarchique de ce gouvernement institué par Jésus-Christ même, le Souverain Pontife, comme successeur de saint Pierre, a une primauté d'honneur et de juridiction sur tous les évêques, toutes les églises particulières, sur les ministres inférieurs, sur tous les fidèles ; qu'il n'est au pouvoir d'aucune puissance sur la terre d'empêcher l'exercice de cette juridiction, ni la relation nécessaire qu'elle suppose entre le chef et les membres de l'Église ; que les prêtres sont subordonnés aux évêques.

Que la discipline ecclésiastique ne peut recevoir sa sanction, en ce qui regarde la religion, que de la puissauce de l'Église ; que par conséquent dans tous les temps la discipline actuelle adoptée, reçue par cette puissance, et confirmée par la pratique, doit être, jusqu'à ce qu'elle ne soit changée par la même puissance qui l'a établie, la règle de son gouvernement actuel, sans qu'il soit permis à quiconque de la violer.

Nous déclarons en conséquence que les évêchés ne peuvent être ni érigés, ni supprimés, ni partagés, ni circonscrits, que par l'autorité du Souverain Pontife uni à l'épiscopat, de même que les paroisses ne peuvent l'être que par la puissance de l'évêque. [Note : Il est bien entendu que le Pape a le même pouvoir, à fortiori].

Nous déclarons enfin réclamer, et réclamons en effet contre tous les décrets et entreprises de la puissance séculière au préjudice de la religion de Jésus-Christ, de la doctrine et de la discipline de son Église, de ses droits, priviléges et propriétés, et en particulier des droits et propriétés de l'église de Léon, de son évêque, de son chapitre et de son clergé, persistant dans nos protestations déjà faites et réservant toutes celles à faire. Fait et signé en chapitre, le 2 Décembre 1790, et arrêté que des expéditions en forme de la présente déclaration seront déposées en nombre suffisant chez divers officiers publics, pour servir au besoin et en ce que de raison.

Signé de Troérin, chanoine, chantre, président ; et par procuration, pour M. de Gouzillon de Kermeno, trésorier ; de Keroulas, chanoine, archidiacre d'Acre ; Roussel, archidiacre de Quiminidilly ; Le Dall de Tronielin, chanoine ; de Mathésou ; de Puifferré, chanoine ; Quentric , chanoine ; de Limoges , chanoine ; Le Gac, chanoine ; Hardy, chanoine ; Henry, chanoine, théologal, pour lui-même, et par procuration pour Poulpiquet Preuxi, chanoine ; de Poulpiquet ; pour adhésion, H. Niquet, chanoine.

A laquelle protestation les dits sieurs commissaires ont déclaré ne pas s'arrêter, et ont réitéré par écrit l'ordre qui suit :

Nous, commissaires députés du Directoire du district de Brest, chargés de l'exécution des ordres du conseil d'administration du Département du Finistère, et notamment de son arrêté du 23 du mois dernier, sans nous arrêter à la protestation de Messieurs du ci-devant chapitre de Léon, sur la notification que nous leur avons faite de la proclamation du 24 Août concernant la Constitution civile du clergé et la fixation de son traitement, leur faisons expresse défense au nom de la Nation, de la Loi et du Roi, de se qualifier à l'avenir de chapitre ou chanoines de Léon, d'en faire les fonctions, ni de s'assembler en corps dans la ci-devant cathédrale ou partout ailleurs, et leur ordonnons de nous représenter tous les titres et papiers concernant le temporel des canonicats et fondations, avec les rentiers et tous les autres actes en général y relatifs ; ensemble, de nous représenter les ornements, vases sacrés, argenterie et effets mobiliers dépendant de la cathédrale et du ci-devant chapitre ; même de nommer un ou plusieurs d'entre eux pour être présents à l'inventaire des dits papiers et effets, auquel nous devons incessamment procéder. Fait en commission à Léon, ce jour 2 Décembre 1790. Ainsi signé : MM. Brichet, Hanot, Laligne, Paurin, secrétaire.

Les dits sieurs commissaires retirés de la salle capitulaire, la compagnie a arrêté et délibéré ce qui suit :

Le chapitre persistant dans toutes ses précédentes protestations, notamment dans celle de ce jour, déposée entre les mains d'un des commissaires du District de Brest, réclame contre le refus fait à la compagnie d'avoir égard aux dites protestations ;

Et considérant qu'elle ne saurait continuer à remplir les fonctions, qui lui sont si chères et auxquelles elle demeure inviolablement attachée, sans s'exposer à se voir repoussée par la force, ce qui, dans un moment de fermentation et dans la douleur profonde dit peuple de la suppression du chapitre, occasionnerait une insurrection dont les plus grands malheurs seraient la suite inévitable ;

Frappée de ces considérations, et par amour de la paix, la compagnie a été d'avis de suspendre ses offices, néanmoins sous la répétition de toutes ses précédentes protestations, avec ordre de faire remettre copie du présent arrêté, signé du président du chapitre, à MM. les commissaires du District de Brest.

Ainsi signé : de Troérin, chanoine, chantre, président ».

A peine l'évêque de Léon eut-il appris l'élection d'Expilly qu'il adressa au président des électeurs la lettre qui suit :

« Monsieur,
Que M. Le Coz, procureur-syndic du district de Quimper n'eût attaqué que ma personne, je ne m'en serais pas occupé ; mais, dès qu'il attaque ma doctrine, je ne puis garder le silence : c'est principalement devant vous, Monsieur, qu'elle est calomniée, c'est devant vous que je dois la justifier. Dans un écrit imprimé à Quimper, chez Derrien, intitulé : Observations sur le décret de l'Assemblée nationale pour la Constitution civile du clergé…., on lit, pag. 18, P. S. : « Il vient de nous tomber entre les mains une lettre manuscrite, datée du 8 Juillet 1790, que l'on assure avoir circulé dans tout le diocèse... ». Après avoir rapporté, non les propres termes de cette lettre, j'ignore pourquoi, l'ayant entre les mains, mais une phrase entière qui n'y est pas, et quelques autres qui n'y sont qu'en substance, pag. 19, il s'écrie :

« De bonne foi, est-ce avec d'aussi étranges assertions que l'on pense soutenir la religion et faire respecter ses ministres ; et quels reproches n'a pas à se faire le théologien, qui, abusant de la confiance d'un prélat, le porte à souscrire et à publier de pareilles erreurs ! ».

Je déclare que cette lettre du 8 Juillet 1790, que cite M. Le Coz, est celle que j'ai fait imprimer à Morlaix, chez Guyon, que j'ai envoyée à tous les recteurs de mon diocèse, et qui, sans mon aveu, a circulé dans toute la France par la voie de différents journaux.

Je déclare de plus, que, si elle contenait quelque erreur contraire aux vrais principes, elle ne devrait être imputée qu'à moi seul ; j'ai puisé ces principes dans les connaissances que j'ai acquises par une longue étude de la vraie doctrine de l'Église. J'ai bien lieu de croire qu'elles me mettent à l'abri du danger de souscrire et de publier des erreurs sur la foi d'autrui. Si M. le Coz avait également puisé dans les bonnes sources la connaissance des matières sur lesquelles il s'est permis de dogmatiser, il n'eût point été réduit à copier le rapport de M. Martineau et les dires de MM. Treilhard et Camus. Ils ont tous été victorieusement réfutés, ainsi que M. l'abbé Bertholio. On a fait voir à celui-ci la différence qu'il y avait entre le premier établissement de la religion dans un royaume infidèle, et son maintien dans un royaume depuis longtemps catholique, et que, s'il fallait une autorité ecclésiastique pour fixer les premières limites de la juridiction à la Chine, elle n'était pas moins nécessaire pour changer les limites déjà fixées en France.

On a fait voir à ceux-là qu'ils étaient des apôtres sans mission, et que, sous le spécieux prétexte de ramener la discipline actuelle à la discipline primitive, ils renversaient l'une et l'autre pour en établir une nouvelle. On leur a fait voir leur ignorance dans l'application de l'Écriture Sainte et l'interprétation des textes des Actes des apôtres, leur mauvaise foi et leur infidélité dans leurs citations des passages tronqués des conciles et des saints Pères, de Bossuet et de Fleury.

En sorte que l'écrit qu'on vous a mis entre les mains, et qu'on a répandu avec profusion, se trouve complètement réfuté avant d'avoir paru, écrit que, sans doute, M. Le Coz n'eût pas publié, si la connaissance de cette réfutation avait rectifié ses raisonnements et ses idées ; et c'est certainement sans s'en douter, je dois du moins le supposer, qu'il vous prêche la doctrine proscrite des Travers et des Richer.

Quant à la mienne, que M. Le Coz taxe d'erronée, je me borne, dans ce moment, à vous dire que, si elle n'avait pas été exacte, elle n'aurait pas obtenu le suffrage de savants théologiens, de mes collègues dans l'épiscopat, et celui du Souverain Pontife, consigné dans la lettre qu'il a eu la bonté de m'écrire [Note :Animum interim in te nostrum rapuit doctrinae integritas ..... merito enim consideras nulli esse datum, Sede Apostolica non approbante, episcopale ministerium, vel ad alios fines traducere, vel ad angustiores limites redigere].

Je crois que ces autorités vous paraîtront plus graves que celle de M. Le Coz et des auteurs modernes dont il n'est que l'écho. Une simple lettre ne me permet pas de justifier ma doctrine par la réfutation détaillée de celle qu'on lui oppose ; mais elle doit l'être suffisamment à vos yeux par les autorités sur lesquelles elle est appuyée.

Quelles seraient amères les larmes que nous aurions à verser, si l'on parvenait à égarer les fidèles jusqu'à leur persuader de régler leur croyance sur la parole des juristes, des philosophes et des grammairiens, plutôt que sur l'enseignement de leurs pasteurs, de leurs évêques et du chef de l'Église, auxquels seuls Dieu a dit : Celui qui vous écoute m'écoute.

Je suis avec respect, etc. ».

Malgré les persécutions violentes et les outrages sanglants auxquels il était en butte de la part des administrateurs du District, Monseigneur de La Marche continua à gouverner son diocèse, soutenu qu'il était par les sympathies de son peuple, vivement attaché à l'Église et à sa personne.

Au commencement de Février 1791, il fut dénoncé à l'Assemblée nationale, par le procureur général du Département, comme étant un sujet de trouble, parce qu'il exerçait les fonctions épiscopales dans son diocèse. Le tribunal de Morlaix reçut ordre d'informer contre l'évêque de Saint-Pol-de-Léon : on se souvient que, quelques mois auparavant, les administrateurs du. District, tenant compte de sa réclamation contre la suppression de son siége, avaient refusé de dissoudre le chapitre de Léon ; mais, depuis cette époque, ils avaient cédé aux idées révolutionnaires. Aussi, oubliant le respect qu'ils devaient à leur évêque, ils lui écrivirent une lettre où règne un ton de hauteur et d'arrogance inqualifiables. Ils osèrent lui dire qu'ils le regardaient comme un perturbateur du repos public ; qu'il répondrait sur sa tête d'une seule goutte de sang versée dans le département. « Nous vous engageons, ajoutaient-ils, à quitter des lieux où vous allumez les torches du fanatisme et de la discorde, et nous vous prévenons que votre résistance à la loi nous forcera à demander des ordres qui ne seront pas sans efficacité ».

On va voir qu'ils ne tardèrent pas à exécuter leurs menaces.

Les habitants des campagnes de Vannes s'étant armés pour défendre les jours de leur évêque que l'on tracassait de toutes les manières, un sieur Vieillard, avocat de Saint-Lô, et membre de l'Assemblée nationale, fit adopter, le 14 Février 1791, un projet de décret par lequel ordre était donné d'arrêter et de conduire à Paris ce prélat et ses voisins, les évêques de Léon et de Tréguier. On sait que Monseigneur Amelot, évêque de Vannes, fut arrêté, le 28 février, et amené à Paris, le 1er Mars, entre deux gardes nationaux. Monseigneur Le Mintier, évêque de Tréguier, échappa, en se cachant, aux mains des émissaires de la Révolution.

Le décret du 14 Février étant parvenu, le 24, au Directoire du département du Finistère, celui-ci s'assembla immédiatement et détacha un gendarme pour aller le notifier, à toute bride, à l'évêque de Léon. Le gendarme, ayant rempli sa commission dans la soirée du jeudi 28 Février, se rendit à Morlaix, chargé de remettre un paquet au procureur-syndic du District et de prendre ensuite ses ordres. Pour ce qui se passa ensuite, nous reproduirons textuellement le récit de M. l'abbé Tresvaux, parce qu'il est fidèle, puisqu'il émane d'un témoin oculaire, M. de Kermenguy :

« Ce délai donna le temps à Mgr de La Marche d'être instruit des desseins de l'autorité contre lui. Dès le 26 Février, il en avait été informé par un courrier que lui envoya M. de La Fruglaye, respectable gentilhomme des environs de Morlaix, et son ami. Il s'était adressé au District, afin de pouvoir sortir sans bruit et sans escorte ; mais bientôt il apprit que la maréchaussée, c'est ainsi qu'on nommait alors la gendarmerie, avait été commandée, et il pensa avec raison que c'était pour le saisir. Le peuple de la ville de Saint-Pol et des campagnes voisines manifestait l'intention de s'opposer à cette violence. L'évêque, craignant qu'il n'y eût effusion de sang, céda par cette considération aux instances de son clergé et des personnes de toute condition qui tremblaient pour lui et redoutaient les suites d'un événement capable d'exciter des troubles dans la ville. Il quitta donc son palais et se mit en lieu de sûreté, en se cachant chez Mme du Laz, puis au château de la Ville-Neuve, habité par M. de Coëtlez. Peu de temps après sa sortie de l'évêché, la maréchaussée y arriva, et y fit, ainsi que dans la ville, des perquisitions infructueuses.

Cependant le danger qu'avait couru le vénérable prélat ne lui permettait plus de rester dans le pays, et il dut songer à chercher un asile en Angleterre ; mais il fallait que son embarquement s'effectuât en secret pour ne pas donner l'éveil à ses persécuteurs. Le dimanche 6 Mars, M. de Kermenguy, gentilhomme de la ville de Saint-Pol, prévint son fils, de qui nous tenons les détails suivants, qu'il eût à se tenir prêt pour huit heures du soir, afin qu'il allât prendre Mgr l'évêque au château de la Ville-Neuve, près de la ville, et qu'il l'escortât jusqu'à un bateau de fraudeur qui devait le transporter sur-le-champ en Angleterre. A l'heure fixée, M. de Kermenguy, fils, accompagné de M. Salaun de Kertanguy, se rendit à la Ville-Neuve, et trouva Mgr de La Marche tout disposé à les suivre. ils sortirent ensemble par une porte du jardin qui ouvrait sur la grève, et, conduits par un guide qu'on leur avait donné, ils traversèrent la grève de Paimpoul et arrivèrent à la chapelle de Sainte-Barbe, située sur un rocher, près de Roscoff, à une lieue de Saint-Pol. Là, ils virent le bateau du fraudeur échoué sur le sable, dans une petite anse, et, à force de bras, ils réussirent à le mettre à flot. Mgr de La Marche y monta, après avoir reçu les adieux de ses conducteurs, auxquels il donna sa bénédiction. Il n'y avait dans le bateau ni lit, ni siége ; il ne contenait que des barils d'eau-de-vie, que le patron voulait introduire en fraude en Angleterre. La traversée était de trente-six lieues, et il y avait à craindre que le bateau ne pût échapper à la surveillance de la douane anglaise. Dieu protégea son digne ministre ; le respectable évêque de Léon arriva en Angleterre sans aucun accident » (T. I. p. 232).

M. Pol de Courcy raconte de la manière suivante le départ de l'évêque de Léon :

« Le prélat, qui était dans sa chambre, demanda seulement la permission de passer dans le cabinet voisin pour faire sa toilette, et le lieutenant, ayant examiné les lieux et ne voyant tout autour que des rayons de bibliothèque chargés de livres ; resta à la porte et attendit ; mais la toilette ne finissant pas, il se décida à ouvrir et reconnut qu'une porte secrète dont la disposition de la bibliothèque lui avait d'abord masqué la vue, avait favorisé la fuite » [Note : Biographie bretonne, t. II. p. 121].

Le récit de M. l'abbé Tresvaux nous paraît plus vraisemblable et plus digne de la noblesse de caractère de Mgr de La Marche.

Le mandement publié par ce prélat avant son départ, à l'occasion du Carême, fut lu à l'Assemblée nationale, ce fait est ainsi constaté par le Moniteur du 8 Mars :

« Le secrétaire commence la lecture de la lettre pastorale du ci-devant évêque de Léon. Cette lecture est interrompue par les murmures et l'indignation de l'auditoire. L'Assemblée renvoie la lettre et les autres pièces annexées au comité de surveillance ».

Dès qu'il eut touché le sol de son exil, un de ses premiers soins fut d'adresser à son troupeau une lettre pastorale, datée du 8 Avril 1791 ; mais le ballot que formaient les exemplaires de cette lettre ayant été saisi sur les côtes de France, ils tombèrent entre les mains de l'administration du Finistère qui sans doute les détruisit [Note : Cette lettre est très-rare : nous n'avons pu nous la procurer].

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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