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L'ÉVÊQUE CONSTITUTIONNEL YVES-MARIE AUDREIN DU FINISTÈRE

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Il y avait déjà environ quatre ans qu'Expilly était allé rendre compte de sa vie au Souverain Juge, et il n'avait pas encore de successeur. Quel fut le motif de la vacance si prolongée du siége qu'occupa d'une façon si désastreuse pour l'Église et pour lui-même ce malheureux intrus ?.

Les évêques assermentés étaient de trop puissants auxiliaires de la Révolution, pour que les chefs des départements ne tinssent pas à avoir toujours près d'eux ce point d'appui de leurs principes. Qu'est-ce qui empêcha l'autorité départementale du Finistère, si zélée pour la diffusion de ces principes, de se pourvoir de nouveau d'un de ces auxiliaires, en convoquant, au plus tôt, les électeurs chargés de le désigner ?

Était-ce la difficulté de trouver un digne remplaçant à celui qui avait disparu si tragiquement de la scène où il joua, au gré de cette autorité, si bien son rôle ? Il est vrai que, au point de vue où elle se plaçait, Expilly devait lui convenir, car il était difficile de trouver pour l'emploi un prêtre qui avait ouvert aussi largement son âme à toutes les pernicieuses doctrines, un serviteur aussi dévoué, un sectaire aussi fanatique de la nouvelle constitution...

Était-ce la difficulté de trouver ici ou là un prêtre qui consentit à continuer son intrusion ? — Hélas ? trop de prêtres étaient tombés dans le schisme par ambition, pour que plusieurs d'entre eux ne se fussent pas laissés facilement entrainer à ceindre la mître et à porter la crosse, envers et contre les rois de l'Église ; et puis, la Nation n'était pas difficile à cette époque : elle, élevait à l'épiscopat les sujets les plus incapables et les plus indignes, pourvu qu'ils fussent ses partisans : la qualité de bon patriote suppléait à la science et à la vertu ; c'était à ses yeux un brevet de toutes les qualités et capacités !

Peut-être le presbytère ou conseil schismatique qui gouvernait provisoirement le diocèse faisait-il suffisamment les affaires du Département et de la nouvelle église : il faut avouer que chacun des membres de ce triste gouvernement s'avilissait assez pour cela ; ils étaient entre les mains de l'autorité civile les instruments les plus souples et les plus serviles. Leur chef, Guino, n'est-il pas appelé par M. Boissière un persécuteur enragé, le commis ou scribe servile du commissaire du pouvoir exécutif ?

Quoiqu'il en soit, cette commission presbytérale n'était que provisoire ; et si elle pouvait contenter quelques-uns, elle ne suffisait pas aux chaleureux tenants de la Constitution civile du clergé. Claude Le Coz, métropolitain de Rennes, voyait avec déplaisir se prolonger cette situation de son diocèse d'origine ; évêque, malgré le Pape, il brûlait de conférer lui-même la consécration épiscopale au successeur de celui qui osa lui donner l'institution canonique.

Très-intrigant et très-insinuant de sa nature, l'ancien principal du collège de Quimper, qui avait laissé dans cette ville de chauds amis sur lesquels il avait une réelle influence, correspondait activement avec eux. Il stimula d'un côté le zèle de ses anciens collègues du syndicat de ce District ; d'un autre, il agit sur le presbytère qui lui était tout dévoué, si bien que ce dernier provoqua l'élection d'un second évêque intrus.

Les divers colléges électoraux se réunirent à cet effet : mais il paraît que le nombre des votants ne fut pas considérable ; les abstentions furent remarquables surtout dans certains centres. « A Brest, dit M. Tresvaux, les marins de la paroisse de Recouvrance, qui généralement sont républicains, prirent part à cette élection et y donnèrent leur vote. A Saint-Louis, principale paroisse de la ville, le curé intrus voulut rester étranger à cette opération et ne l'annonça même pas à ses partisans » [Note : Histoire de la persécution en Bretagne, tom. II, p. 309]. Mais peu importait le nombre des votants : il suffisait pour être élu d'avoir la majorité des suffrages, quels qu'ils fussent. Celui qui eut le triste honneur de conquérir cette majorité fut Audrein, vicaire de Le Masle, évêque constitutionnel du Morbihan. C'était, on peut le dire, aller de mieux en mieux. Après Expilly, le chantre éhonté du sanguinaire refrain : Ça ira, Audrein, le régicide !

Les lois de l'Église repoussent du sacerdoce comme irréguliers ceux qui ont trempé leurs mains dans le sang de leurs semblables ou même voté leur mort... Audrein a voté la mort de son roi... Peu importe : on l'élève à l'épiscopat, qui est le sommet du sacerdoce ! Cette tache de sang qui souille son front n'est-elle pas pour ses coréligionnaires républicains la plus sûre garantie qu'il sera un évêque selon leur cœur ?

Au reste, la nomination de ce nouvel intrus ne fut pas le fait de la multitude appelée à son élection. Cette multitude inconsciente ne fut menée à l'urne électorale qu'après avoir été saturée de liqueurs alcooliques. On se souvient de l'élection d Expilly : telle fut celle de son successeur. Le peuple aviné vota pour le candidat choisi à l'avance par les coryphées du parti.

Heureux de voir enfin cesser le veuvage du diocèse de Quimper, Le Coz se hâta de venir sacrer son suffragant. Il fit la cérémonie dans l'église cathédrale, le dimanche 22 Juillet 1798, assisté de Le Masle, évêque du Morbihan, et de Jacob, évêque des Côtes-du-Nord.

L'occasion était trop belle pour que le verbeux consécrateur n'en profitât point pour prononcer un discours : il parla, et fit tout naturellement l'éloge d'Audrein.

Suivant le rédacteur des Annales de l'église constitutionnelle, la cathédrale pouvait à peine contenir la foule du peuple qui assistait au sacre ; il prétendit même que des catholiques en grand nombre voulurent en être les témoins. Nous avons peine à croire à la vérité de cette assertion inventée, sans doute, ou du moins notablement exagérée par les amis des schismatiques, car les vrais catholiques savaient qu'ils ne pouvaient communiquer dans les choses sacrées avec les intrus. Si quelques fidèles se portèrent, ce jour, à la cathédrale, ce fut par une curiosité mal entendue et non par sympathie pour la fonction sacrilège qui s'y accomplissait.

L'article 19 de la Constitution civile du clergé défendait au nouvel évêque de s'adresser au Pape pour en obtenir la confirmation canonique ; mais, pour avoir l'air de reconnaître la primauté d'honneur de celui qu'il dépouille de son pouvoir de juridiction, dans un point essentiel, cet article prescrit à l'évêque « de lui écrire comme au Chef visible de l'Église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il doit entretenir avec lui ».

Pour obéir à cette prescription dérisoire et injurieuse au Souverain Pontife, Audrein, dés le lendemain de son sacre, écrivit au Pape, Pie VI, une lettre, qui ne contient que des formules banales de respect et d'attachement.

Quel mensonge ! Il ose dire qu'il respecte le Vicaire de Jésus-Christ, alors que, déjà séparé de lui par le serment qu'il a prêté, il consomme cette séparation par un double crime : se faire sacrer, et se placer à la tête d'un diocèse, contre sa volonté expresse. Il ose dire encore qu'il l'aime : et, fils révolté, il abreuve d'amertumes, par son obstination dans le mal, le cœur du plus tendre et du plus éprouvé des pères !

Qu'on juge du ton de cette lettre par la première phrase : « Les ministres et les citoyens catholiques du diocèse du Finistère viennent de me choisir pour succéder, en qualité de premier pasteur, au vertueux Expilly, immolé par la tyrannie ».

N'était-ce pas le comble de l'insolence ?

Audrein sait bien que le Pape a condamné l'élection des évêques par le peuple : et il s'en prévaut auprès de lui comme d'un titre pour s'asseoir sur le siège de Quimper. Il sait que le Pape a employé les expressions les plus fortes, pour caractériser l'intrusion d'Expilly, en l'appelant : « Faux évêque, trompeur des ignorants, misérable, un malheureux tellement avancé dans la voie de perdition qu'il déteste la vérité, un intrus que le peuple, au lieu d'accueillir comme son pasteur, doit repousser avec horreur ; un imitateur du Diable ; qui abuse du masque d'honneur et du nom qu'il s'est audacieusement donnés, etc., etc. » [Note : « Pseudo-episcopus Expilly ad imperitiorum deceptionem... Væ misero ! Infelix iste, qui adeo longe in via perditionis processit... quam odit veritatem... Quapropter, loco illum suscipiendi tanquam pastorem, debet populus cum horrore tanquam invasorem respicere .... Imitator Diaboli. Male utens specie perversi honoris et nominis... » (Lettre de Pie VI aux cardinaux, archevêques, évêques, aux chapitres, au clergé et au peuple de France, en date du 13 Avril 1791)].

Il sait tout-cela, et cependant il a l'impudence d'appeler cet homme le vertueux Expilly !

Après avoir outragé par ce langage inqualifiable le Vicaire de Jésus-Christ, Audrein écrivit à ses prétendus diocésains une lettre pleine d'hypocrisie. Il n'est qu'un loup dans cette bergerie qu'il envahit, et il se présente sous la peau des brebis ; il n'est qu'un mercenaire, et il apparaît sous le vêtement du vrai pasteur... Au reste, d'un style peu élevé, sa lettre est sèche et sans onction. Comment celui qui usurpe le nom de père parlerait-il à ceux qui ne sont pas ses enfants le touchant langage du père ?

Il commence par dire que c'est Dieu qui l'envoie ; mais il se garde bien de le prouver. Il rappelle qu'il a quitté le diocèse, depuis vingt-quatre ans, après avoir, pendant quatorze ans, professé les humanités au collège de Quimper. S'il est évêque, c'est grâce à ses anciens élèves, qui ont appelé sur lui le choix du peuple, en s'oubliant eux-mêmes. Puis, parlant de sa mission épiscopale, il essaie par des exclamations emphatiques d'en affirmer la légitimité. Écoutons-le :

« Pour effrayer notre zèle, voudrait-on nous faire accroire que des esprits prévenus vont méconnaître notre mission ? Quoi ! chez un peuple qui, attaqué par deux grands monstres, le fanatisme et l'athéisme, a osé leur dire : Vous viendrez jusqu'ici, et ici vous briserez les flots de votre orgueil, des individus favoriseraient de prétendus pasteurs contre le gouvernement de leur pays ? Quoi l l'exemple de cette ville départementale devenue, par le bon esprit de ses habitants, un sujet d'admiration pour les autres contrées de la République, cet exemple ne serait pas suivi par toutes les villes du département ? Lorsque les premiers magistrats, par la sagesse de leur administration, sont en possession de faire aimer les nouveaux principes aux plus grands partisans même de l'ancien régime, il se trouverait ailleurs des esprits brouillons, des cœurs assez mauvais pour tourner au profit de l'anarchie une confiance qui ne leur a été donnée que pour le bien de leurs frères ? ».

L'intrus craignait avec raison de voir sa mission contestée par le peuple auquel il s'adressait. Aussi, comme il le flatte ; comme il exalte son bon esprit ; comme il caresse bassement son amour-propre, espérant, sans cloute, en jetant devant ses yeux ce réseau délicat tissu par l'orgueil, l'aveugler et le gagner à sa cause. Oiseleur habile, il veut, par son miroir enchanteur, attirer l'oiseau charmé dans le piège qu'il lui a tendu.

Après avoir prodigué son encens aux simples fidèles, qu'il voulait séduire, il le distribue avec la même profusion aux autorités civiles, dont il veut se ménager la bienveillance, en louant leur sagesse. Comment un évêque pouvait-il louer cette sagesse dans des administrateurs généralement hostiles à l'Église, dont ils persécutaient les ministres rebelles à leurs principes ?

Mais là où apparaît le loup, bien que revêtu de la peau de l'agneau, c'est quand il accuse ses frères dans le sacerdoce, les signalant comme des esprits brouillons, des cœurs mauvais, des fauteurs de l'anarchie...

Cet accusateur de ses frères est plus qu'un loup ; c'est un démon, car en agissant de la sorte, il fait une œuvre essentiellement diabolique, comme le dit l'apôtre saint Jean dans son Apocalypse [Note : Diabolus... accusator fratrum... Apoc. 12, 10].

Tout en voulant plaire au gouvernement révolutionnaire, dont il subissait docilement, depuis son origine, les phases et les mouvements, pareil au léger esquif qui suit les ondulations de la mer où il navigue ; tout en se montrant le plus dévoué serviteur du parti qui l'avait élevé sur le pavois des honneurs, Audrein ne parvint pas toujours à satisfaire ces deux maîtres exigeants. Nous en trouvons une preuve dans une procession publique qu'il ordonna et présida lui-même à Pleyben, chef-lieu de canton du diocèse de Quimper.

Afin de flatter le peuple des campagnes et d'y acquérir ainsi cette popularité qu'il recherchait : auram popularen colens, comme disaient les anciens classiques ; malgré les lois de l'époque qui défendaient tout acte extérieur du culte ; malgré une récente condamnation, pour violation de ces lois, de trois prêtres constitutionnels qu'il était allé défendre en personne devant le tribunal de Châteaulin : se croyant sans doute, vu sa qualité d'évêque, à l'abri de toute attaque, fit solennellement la procession. Dénoncé pour ce fait et appelé, à son tour, devant le tribunal de Quimper, il plaida lui-même sa cause, avec l'emphase qui le distinguait, se parant tout d'abord devant le public accouru, en foule, pour entendre le citoyen évêque, de son républicanisme que personne ne pouvait vraiment suspecter. Puis, faisant une violente sortie contre les royalistes, il s'écria : « Nos royalistes se flattent de lasser notre zèle, à force de tracasseries et d'humiliations. Eh bien ! nous, nous avons juré à la Religion de travailler nuit et jour à démasquer le fanatisme, et juré à la République de ramener les bons villageois au gouvernement de leur pays, destiné à faire leur bonheur ».

On se demande pourquoi cette sortie contre les partisans du roi, dans cette occasion. Audrein ne pouvait pas les accuser de l'avoir dénoncé ?... Non, mais le meilleur argument pour se défendre était alors, il le savait bien, la déclamation contre la noblesse et le clergé fidèle qu'il dénonce, toujours accusateur de ses frères, en disant qu'il a juré de travailler nuit et jour à démasquer le fanatisme.

On comprend que ce langage devait attiser contre les bons prêtres le feu de la persécution. N'était-ce pas aux yeux des patriotes une excuse toute trouvée ? « Vous nous reprochez, pouvaient-ils répondre, de molester les prêtres insermentés ; mais notre évêque nous les signale comme des hypocrites fanatiques qu'il faut démasquer et réduire par de continuelles vexations ».

C'est ce qui eut lieu dans notre pays comme dans tous les autres diocèses de Bretagne, tous pourvus d'évêques intrus. Pendant l'année 1798, le clergé catholique fut constamment poursuivi, emprisonné et même déporté, lorsqu'on put en saisir quelques membres... Les simples fidèles eux-mêmes ne furent pas épargnés. Ceux d'entre eux qui donnaient quelques marques de religion ou de dévouement à l'Église étaient également en butte aux plus odieuses vexations...

L'année 1799 ne s'ouvrit pas sous des auspices plus favorables. C'était le même gouvernement ; c'étaient les mêmes hommes qui en tenaient les rênes : donc c'était aussi la même haine contre l'Église et ses ministres.

Pareil à un trait qui a pénétré fort avant, cette haine était d'ailleurs trop profonde, pour qu'elle tombât aussi vite...

Aussi, la persécution continua-t-elle son cours ; les lois les plus tyranniques contre le clergé subsistant toujours, le Directoire ne cessa pas d'envoyer à Ile de Ré les prêtres qu'il appelait réfractaires.

Dans les six premiers mois de cette année, on transporta dans cette île trente-cinq prêtres bretons et un diacre, dont trois du Finistère : le père Ballay, dominicain de Morlaix, ancien détenu du château de Brest ; M. Le Floch, recteur de Sizun, et M. Prigent, recteur de Plouguernével.

Tandis que les prêtres catholiques gémissaient, soit dans les prisons, soit dans l'exil, ou erraient dans leur pays, traqués comme des bêtes fauves, les évêques intrus travaillaient à perpétuer autour d'eux le schisme, en prenant tous les moyens de se recruter d'abord eux-mêmes, puis de renforcer la troupe des prêtres jureurs.

A la tête de ces ardents sectaires se distinguait, comme cela convenait, le métropolitain de l'Ouest, Claude Le Coz. Il sacra, le 7 Avril 1799, évêque de la Mayenne, Dorlodot, curé intrus de Saint-Vénérand, à Laval, avec l'assistance de Jacob, intrus de Saint-Brieuc, et de Le Masle, intrus de Vannes.

Il tint un synode, peu de temps après, à Rennes. Marchant sur les traces de son ami, Audrein se remuait aussi à Quimper. Dès le mois de Janvier 1799, il avait adressé à son troupeau schismatique une lettre soi-disant pastorale, qui avait pour objet le recrutement du sacerdoce, tel qu'il l'entendait, c'est-à-dire formé à son école et à celle de ses partisans. Toujours déclamateur et sonore, il débute dans cette lettre par une fougueuse apostrophe aux athées qu'il interpelle ainsi : « Non, matérialistes éhontés ; non, ennemis de mon pays comme de ma religion ; non, le culte catholique ne cessera point en France par défaut de ministres, et votre atroce système ne sera point établi sur ses ruines... Le Très-Haut saura bien, si nous le méritons conserver parmi nous le sacerdoce de Jésus-Christ. Plutôt qu'il ne s'éteigne, ce Dieu bon la couvrira, notre République, de tant de gloire et de prospérité ; il enverra à ceux qui nous gouvernent de telles pensées que, loin de rencontrer nulle part des obstacles, il ne trouvera, au contraire, partout que faveur et protection ».

On voit que l'évêque patriote ne perd pas une occasion de chanter, sur le ton lyrique, la gloire de sa République et de ceux qui la dirigent !

Il continue, modérant un peu ce ton pindarique, difficile à soutenir longtemps, à exalter les bienfaits de cette République à laquelle il devait sa fortune, hélas ! une triste fortune. Il invite les parents à former leurs enfants à la vertu et à l'adoration du Dieu de leurs pères, pour les préparer ainsi à l'état ecclésiastique, les assurant que le gouvernement ne leur défendait pas de leur inculquer ces sentiments... Quelle audacieuse assertion, alors que le Directoire travaillait, à cette époque, à faire disparaître la religion catholique du sol de la France !

S'attaquant ensuite aux rois, il espère qu'ils seront à l'avenir plus adroits, qu'ils verront la nécessité de chercher leur salut dans la paix, et qu'à l'ombre de cette paix les ministres du culte pourront se former des successeurs...

Cependant, comme il y aura encore des luttes et des batailles à soutenir pour réduire les ennemis de la République, rien n'empêchera les jeunes aspirants au sacerdoce de prendre part à ces batailles : une fois les bons principes enracinés dans leurs cœurs, ils n'auront rien à redouter de la vie des camps...

Voilà, on l'avouera, un évêque qui connaissait fort peu cette vie, ou plutôt voilà un évêque, auquel son amour aveugle pour l'ordre de choses qu'il encensait, fait émettre les propositions les plus insensées et les plus contraires à ce qu'il se proposait d'obtenir : recruter le sacerdoce. Ne savait-il donc pas que la caserne et le corps-de-garde sont malheureusement une bien mauvaise école pour des jeunes clercs ?

Les radicaux de nos jours l'ont si bien compris qu'ils voudraient imposer à tous les élèves du sanctuaire cette périlleuse épreuve, qui serait la mort de presque toutes les vocations ecclésiastiques.

Un évènement politique qui survint, le 28 Avril 1799, donna encore occasion à Audrein de manifester publiquement, et avec bruit, ses sentiments patriotiques. La France avait envoyé au Congrès de Rastadt trois plénipotentiaires pour y traiter de la paix avec l'Autriche. Or, deux d'entre eux furent assassinés, en se retirant du Congrès où ils n'avaient pu rien conclure [Note : Les deux qui furent tués étaient Bonnier et Roberjot, l'un et l'autre membres de la Convention ; le second était un prêtre apostat. Le troisième, Jean de Bry, qui survécut à ses blessures, avait dit à la tribune qu'il eut voulu que tous les souverains n'eussent qu'une tête pour l'abattre d'un seul coup; c'est lui encore qui avait proposé une légion de régicides dont il voulait être membre]. Le Directoire fut accusé de leur mort, qui aurait favorisé ses plans.

Celui-ci crut tirer un grand parti de cet évènement pour animer les Français contre les Autrichiens ; ces derniers furent dénoncés à la tribune, à la République, à l'Europe, comme des assassins; les murs de toutes les villes de France furent tapissés de placards accusateurs ; ils ne persuadèrent qui que ce fut ; et telle était la détestable réputation du Directoire que des rumeurs assez générales lui imputèrent le crime qu'il reprochait à l'Autriche. On supposa qu'il l'avait ordonné pour échauffer l'esprit public fort attiédi ; les assassins, dit-on, s'étaient travestis en hussards de Szeckler, et parlaient très-bon français ; mais la vérité à cet égard ne fut jamais connue [Note : Voir l'Histoire de France, par Royou, tom. 6, p. 539 et 540].

Au lieu de garder sur cette affaire ténébreuse un prudent silence, que la charité lui dictait, l'intrus du Finistère, en vil et flatteur courtisan du pouvoir auquel il voulait plaire avant tout, publia un éloge funèbre des citoyens Roberjot et Bonnier, dans le style ampoulé que le lecteur connaît. Il représente ces vertueux citoyens heureux au sein de l'immortalité, puisqu'ils ont péri si épouvantablement, victimes de leur amour pour la paix. Cela dit, comme s'il doutait (et il y avait lieu) qu'ils fussent en possession de ce bonheur, il invite à prier pour eux...

Voilà par quels actes et par quel langage ce malheureux cherchait à égarer et à pervertir le sens chrétien et moral de nos populations bretonnes !

Brutalement enlevé de Rome par ordre du Directoire, le Pape Pie VI était mort à Valence, en Dauphiné, le 29 Août 1799, âgé de prés de 82 ans, épuisé par les fatigues d'un voyage de trois mois...

On comprend que, voyant le gouvernement traiter ainsi le Chef de l'Église, les autorités départementales continuassent, à son exemple, à persécuter les simples prêtres.

Cependant, le 9 Novembre 1799, Bonaparte, revenu d'Égypte, le front ceint des lauriers qu'il y avait cueillis, renversa, de concert avec Sieyès [Note : Ancien chanoine de Tréguier], le Directoire, devenu odieux par ses excès de foute sorte, et le remplaça par le Consulat. Ce gouvernement commença immédiatement par rendre la liberté aux prêtres non assermentés qui avaient cessé d'exercer les fonctions ecclésiastiques, avant la loi du 17 Vendémiaire an IV. Puis, par un arrêté du 28 Décembre 1799, il substitua à tous les serments exigés jusqu'alors des ministres du culte et des autres fonctionnaires la simple formule qui suit : « Je promets fidélité à la Constitution ».

Un grand nombre de prêtres détenus ayant fait cette promesse, ils furent mis en liberté ; d'autres, parmi lesquels étaient les déportés aux îles de Ré et d'Oléron, ne crurent pas pouvoir souscrire même à cette formule : au nombre de quatre-vingts, ils préférèrent gémir plus longtemps sous les verrous que prendre un engagement qui répugnait à la délicatesse de leur conscience... Ainsi se termina l'année 1799.

Le 14 Mars 1800, le cardinal Chiaramonte est élu Pape, sous le nom de Pie VII : Dieu prenait pitié de son Église. Dans son encyclique du 15 Mai suivant, le Pape manifesta à la Chrétienté la douleur que lui causait la situation de l'Église en France. Il signala, en même temps, le courage des prêtres et des fidèles qui n'avaient pas voulu se souiller du serment illicite et coupable... On le voit, un des premiers actes de Pie VII fut de flétrir ce serment sacrilège, ainsi que l'avait fait son vénérable prédécesseur.

Comme tous les évêques intrus, Audrein fut peu flatté et peu réjoui de ce langage. Il dissimula habilement son dépit, mais il se garda bien de publier l'encyclique qui le condamnait lui et ses adhérents.

Voyant que l'ère de la liberté s'annonçait pour l'Église catholique et que les bonnes dispositions du gouvernement en faveur de ses ministres proscrits s'accentuaient de plus en plus, les évêques schismatiques tremblaient déjà pour leur parti... Aussi essayèrent-ils, pour le fortifier, de réunir un concile national, qui n'eut pas lieu cette année-là. En attendant, ils annonçaient solennellement la prochaine réunion de leurs synodes : ainsi firent Le Coz et Le Masle, évêque intrus du Morbihan. Non content d'une simple annonce, celui de Quimper adressa, le 28 mai 1800, un mandement où il informe son clergé qu'il tiendra un synode dans la ville épiscopale, le 15 Juillet. C'est une harangue déclamatoire, assez courte d'ailleurs, dans laquelle il exhorte les prêtres constitutionnels à faire à leurs frères dissidents, — c'est ainsi qu'il désigne les prêtres fidèles, — les plus tendres invitations pour se réunir à eux et s'entendre désormais... — Cette union et cette entente seraient toutes faites, le jour où lui et les siens, abjurant leurs erreurs, reviendraient franchement à la vérité, c'est-à-dire au Pontife romain qui avait les bras ouverts pour les recevoir.

Il parle ensuite du concile national dont l'ouverture est fixée au jour de l'Ascension 1801, et des délégués que devra y envoyer le diocèse du Finistère. Ce concile, suivant lui, sera l'aurore des jours les plus heureux pour la religion dans notre pays. « L'Église de France, s'écrie-t-il, que d'immondes cannibales, aidés de l'absurde athéisme, s'étaient vantés d'avoir anéantie dans son sang, recouvrera son ancien lustre, et reprendra son premier rang dans les fastes catholiques ». Toujours le même style chargé d'épithètes sonores : on dirait une amplification de rhétorique ! L'ancien professeur de littérature avait dû cependant enseigner jadis à ses élèves que l'épithète est en général ennemie du substantif : mais si la vérité ne se paie pas de mots à effet, l'erreur en a besoin pour séduire les faibles et tromper les ignorants : elle s'en pare comme d'un vermillon pour dissimuler sa couleur, ou comme d'une étoffe brillante pour cacher ses haillons….

Audrein, simulant jusqu'au bout le pasteur légitime, termine son mandement par une tirade pompeuse contre les prêtres qui, au mépris de l'autorité canonique, s'ingéraient d'eux-mêmes dans l'administration des sacrements, et déshonoraient le sacerdoce par des scandales; il engage son clergé à projeter avec lui des mesures contre ces prêtres...

Mais quelle était cette autorité canonique dans le diocèse de Quimper ? Ce n'était pas, à coup sûr, l'évêque qui avait reçu la consécration épiscopale et s'était introduit sur le siège de saint Corentin, contre toutes les lois canoniques. Puisqu'il n'était lui-même qu'un prélat sans mission, ne l'ayant pas reçue de celui-là seul qui pouvait la lui donner, que signifie cet appel du mercenaire contre les prêtres qu'il désavoue ? Ceux-ci ne pouvaient-ils pas, à meilleur droit, lui dire : mais qui êtes-vous ? médecin, soignez-vous vous-même. Vous nous reprochez notre intrusion : n'êtes-vous pas le premier intrus du diocèse ? Vous nous reprochez notre vie scandaleuse : n'avez-vous pas donné le plus grand des scandales, en votant la mort de votre roi ?

Le synode si bruyamment annoncé eut lieu à l'époque fixée et dura trois jours. Audrein ouvrit la première séance par un discours ; il fit prononcer aux prêtres une formule de profession de foi ; puis, l'assemblée nomma une députation qui fut chargée d'aviser les autorités civiles de l'ouverture du synode « et de leur renouveler l'assurance de la fidélité de ses membres à la Constitution de l'an VIII, ainsi que de leur respectueux attachement aux magistrats du peuple... ».

Les sept séances de cette assemblée schismatique furent consacrées à prendre quelques règlements disciplinaires. On y défendit notamment de célébrer dans des lieux profanes, lorsque de toutes parts les temples étaient ouverts. C'est ici où l'on voit la haine du sectaire contre les prêtres catholiques, car cette défense était dirigée uniquement contre ces derniers qui, ne pouvant encore rentrer dans les églises, occupées par les intrus, étaient obligés de remplir leurs fonctions dans des maisons particulières.

Audrein fit un second discours pour la clôture du synode, puis le promoteur prononça des acclamations auxquelles il répondit. Cette réunion, composée de cinquante-neuf prêtres, parmi lesquels environ vingt-quatre recteurs, se termina par un service funèbre pour les prêtres décédés depuis le dernier synode, et pour les défenseurs de la patrie morts depuis la Révolution.

Afin d'affirmer par là son autorité chancelante, l'évêque du Finistère voulut donner aux actes de cette réunion la plus grande publicité possible. Il les fit imprimer et les adressa aux divers membres, avec un mandement qui en ordonnait la publication.

Rien de plus curieux que le début de cette pièce ; l'auteur y prend un ton triomphateur, trop exalté pour qu'il soit sincère :

« O les bien-aimés de mon cœur; ma gloire et ma joie en Jésus-Christ ! Les voici ces actes, fruits précieux de votre zèle. Vont-ils devenir des règles de conduite pour vous et pour les fidèles que vous dirigez ? Déjà les malveillants et les imposteurs s'agitent et se disent dans leur cœur plein de rage : C'est fait de nous, s'ils font tous ce qu'ils ont arrêté dans leur synode ».

Dans la dernière phrase de cet exorde incomparable, où le faux pasteur a commencé par emprunter hypocritement le langage de saint Paul, apparaît l'accusateur de ses frères dans le sacerdoce ; on sait que ce sont les bons prêtres qu'il désigne par les malveillants et les imposteurs qui s'agitent... le cœur plein de rage... Où est donc la douce charité qui doit régner dans son cœur d'évêque ? Hélas ! nous l'avons déjà dit : cette charité n'habite que dans le cœur du vrai pasteur.

Au reste, cette ardeur, pleine de fiel, à dénoncer le clergé insermenté n'était pas particulière à Audrein. Commune, à un degré plus ou moins grand, à tous les évêques intrus, elle était partagée par Le Coz, intrus de Rennes, et surtout par l'intrus de Saint-Brieuc. Furieux de voir Monseigneur Le Mintier, évêque de Tréguier, prémunir les fidèles de son diocèse contre les principes du schisme, en leur adressant d'Angleterre un catéchisme à cet effet, Jacob écrivit à ses adhérents une lettre où la colère est à son paroxysme :

« Jusqu'à quand les évêques émigrés serviront-ils la cause des ennemis de la France ? Jusqu'à quand ceux qui devraient conserver dans toute sa pureté l'enseignement public, chercheront-ils à le corrompre ? Les fanatiques ! ils accusent les prêtres constitutionnels d'erreur et de schisme, et ce sont ces prêtres constitutionnels qui sont obligés, chaque jour, de s'élever contre les nouveaux livres dogmatiques que les apôtres de l'erreur s'efforcent de répandre ».

Celui qui parlait ainsi était l'ancien recteur de Lannebert, toute petite paroisse rurale du diocèse de Saint-Brieuc. Ce malheureux, devenu évêque constitutionnel, parut si rustique et si vulgaire, quand il vint au sein de l'assemblée, après son sacre, que ses patrons eux-mêmes osèrent à peine l'avouer [Note : Voici comment il expliquait sa prestation du serment : « Après avoir étudié ma théologie pendant huit heures, j'ai vu que je pouvais faire le serment ! ». Au reste, son bagage théologique n'était pas aussi lourd que son esprit et sa personne : Jacob était dans l'espèce ce que nos anciens prêtres appelaient avec une malicieuse gaieté : un soldat armé à la légère : miles levis armaturae].

Cette irritation des intrus à l'endroit des prêtres catholiques est facile à comprendre : la persécution contre ces derniers diminuait partout, notamment en Bretagne. Les constitutionnels voyaient donc le terrain se mouvoir et se dérober peu-à-peu sous leurs pieds chancelants. A mesure que l'espérance d'affermir leur église s'amoindrissait, à leurs yeux, les évêques schismatiques s'agitaient et lançaient dans le public ces écrits ou plutôt ces pamphlets, dont toute la logique consistait à entasser sophisme sur sophisme et à faire des sorties violentes contre les pasteurs légitimes.

Le Coz et Audrein, plus lettrés que Jacob, en leur qualité d'anciens professeurs de littérature, écrivaient sans cesse. Transformés en profonds théologiens et en savants canonistes, depuis que leur front, qui ne savait plus rougir, était orné d'une mître sacrilège, ils inondaient leurs prétendus diocèses de leurs élucubrations impies. C'est ainsi que l'intrus de Quimper adressa à ceux qu'il appelle les catholiques dissidents de son diocèse une lettre où il essaie de prouver que les bulles du Pape ne sont pas nécessaires pour avoir une vraie mission ; et que pour être schismatique, il faut se séparer volontairement soi-même de la communion du Pape, ou en être séparé par l'autorité légitime, qui est celle de l'Église. (Le Souverain Pontife, chef de l'Église, ne compte pour rien à ses yeux).

Après avoir cité à l'appui de sa thèse, dont la fausseté est évidente pour tout catholique, des docteurs et des écrivains de son école, il s'écrie triomphalement : « Nous ne sommes donc schismatiques ni par aucune séparation volontaire de la communion du Pape, ni par aucune décision de l'Église. Nous avons déjà pour nous des suffrages faits pour en imposer. On peut donc, en toute sûreté de conscience, communiquer avec nous. Prétendre désormais le contraire, serait imposture ; le croire serait stupidité ».

Il termine par ces mots : « Mes frères, un gouvernement sage et bon nous appelle à la paix : son envoyé parmi nous inspire la plus douce confiance... Bannissez du Finistère cet odieux mot de schisme. Il est beau de reconnaître son erreur. Il est doux de sacrifier à la paix ».

S'il est si beau de reconnaître son erreur, pouvait-on lui répondre : reconnaissez donc, vous le premier, votre erreur. S'il est si doux de sacrifier à la paix. : sacrifiez donc à cette paix l'ambition qui vous a introduit sur un siège qui ne vous appartient pas. Brûlez, sur cet autel, tout ce que vous adorez depuis quelques années ; adorez ce que vous avez brûlé... Faites-le, pendant qu'il en est temps encore pour vous, car voici arriver la nuit où vous ne le pourrez plus, — la nuit où Dieu vous demandera votre âme...

MORT D'AUDREIN.

C'était le 19 Novembre 1800, vers neuf heures du soir ; le temps était couvert et la nuit fort obscure : un vieillard, enveloppé dans un large manteau, sort de sa maison située sur le pont Sainte-Catherine, à Quimper ; il traverse la place Saint-Corentin pour se rendre à la diligence qui allait à Brest. En passant il entend ces mots : « Bonsoir, Audrein, nous ne te reverrons plus... » [Note : Audrein se rendait à Morlaix, où il était attendu pour administrer la confirmation et prêcher l'Avent. D'après M. Tresvaux, son voyage avait un autre but : celui d'affermir dans l'erreur un recteur intrus de cette ville, nommé Derrien, qui était presque décidé à se rétracter. On dit qu'il avait été averti du danger qu'il courait ; il crut l'éviter, en prenant la voiture publique].

Audrein, car c'était lui, ne comprit pas, sans doute, le sens de ces paroles de sinistre augure, car, un instant après, il montait dans la voiture qui partit, par la vieille route de Châteaulin, au moment où neuf heures sonnaient à l'horloge de la cathédrale.

Les chevaux marchaient lentement et péniblement, à cause de la difficulté de la route et des ténèbres épaisses qui la rendaient plus difficile encore... Aussi, trois heures après le départ, n'avaient-ils guère parcouru qu'une distance d'une lieue un quart. Il était environ minuit, lorsqu'au sommet de la butte de Saint-Hervé, un coup de fusil se fait entendre derrière la voiture, et un bruit confus de voix, dont une proféra distinctement ces paroles adressées au conducteur : « Arrête, coquin, ou je te brûle la cervelle ! ». Au même instant, la voiture est arrêtée et cernée par une vingtaine d'hommes armés de fusils et de pistolets, vêtus les uns en paysans, les autres en bourgeois. Ils demandent la feuille où sont inscrits les noms des voyageurs, puis ils les font descendre successivement, en exigeant d'eux leurs passeports que tous s'empressent d'exhiber. Un seul, Audrein, caché dans un coin de la malle-poste, essayait de dissimuler sa présence ; mais aperçu, il fut sommé, en ces termes, de se montrer : — « Si vous n'avez rien à vous reprocher contre le Roi et contre nous, ne craignez rien ; nous ne sommes pas des voleurs, mais des royalistes ».

Plus mort que vif, Audrein descend tout tremblant. Reconnu par l'un d'eux, à la lueur de la lanterne qui éclairait l'intérieur du compartiment où il se tenait, l'évêque constitutionnel est ainsi interpellé en bas-breton : « As-tu avec toi tes ornements pontificaux ? ». Sur sa réponse affirmative, il lui fut dit : « Eh ! bien : revêts-toi de tes vêtements épiscopaux, car il y a longtemps que nous n'avons vu d'évêque ». Forcé d'obéir à cette injonction qui lui était intimée, le pistolet sur la gorge, le malheureux fait ce qu'on lui commande. Sa toilette épiscopale terminée, (c'était celle du condamné à mort), la troupe des assaillants se range en cercle autour de lui, puis, après l'avoir considéré quelque temps à la terne lueur d'un fanal, ils lui disent : « Maintenant, nous allons procéder à ton jugement. Prêtre de Jésus-Christ, tu as trahi la sainte Église ; enfant de la France, tu as voté la mort du roi, Louis XVI. Qu'as-tu à répondre ? ».

Le coupable balbutie : Citoyens, Messieurs... Il leur demande grâce à plusieurs reprises, en les appelant mes amis. « Je me repens, dit-il, d'une voix pleine de sanglots, de ce que j'ai fait ; j'en demande pardon à Dieu et aux hommes ».

« Les hommes, répond un des membres de ce coupable tribunal, ne peuvent te pardonner, car tu recommencerais de nouveau ; le révolutionnaire change de peau, mais jamais de cœur. Tu n'as plus que la mort à attendre des hommes. Implore Dieu, pour qu'il te soit plus indulgent ».

Le régicide incline la tête, comme pour réfléchir... Puis la relevant tout d'un coup, il s'écrie : « J'ai voté la mort du Roi avec une sorte de sursis ; le Roi était innocent, mais j'avais peur ! ». Alors, lui fut-il répondu : « Tu n'es qu'un lâche et un apostat. Nous ne sommes pas prêtres, nous, et cependant nous allons être plus justes que toi. Ta as fait mourir un innocent ; nous punissons un coupable ».

Affolé de terreur, Audrein supplie ses juges, par deux fois, de lui accorder le temps de se réconcilier avec Dieu…

Mais insensibles à toutes ses supplications, ils tirent sur lui à bout portant, et le malheureux tombe, baigné dans son sang, presque sous les roues de la voiture, non loin de laquelle se tenaient, saisis d'épouvante, ses compagnons de voyage.

Ce crime accompli, — car c'était un grand crime, — les assassins, — car c'étaient de vrais assassins, — dépouillèrent leur victime de ses ornements sacrés, en s'écriant : « Nous sommes plus contents d'avoir tué cet homme que si nous avions trouvé cent louis ! ».

L'un prit sa mître, l'autre sa crosse, un troisième son rochet et son étole, dont ils firent plus tard un auto-dafé. Après l'avoir ainsi dépouillé, ils lui mirent dans une main une boîte renfermant du saint chrême, et dans l'autre un exemplaire d'un mandement qu'il venait de publier.

Puis, revenant vers les voyageurs, ils les firent remonter dans la voiture, les rassurant par ces paroles : « Vous n'avez rien à craindre, ni pour vous, ni pour ce qui vous appartient ; nous avons puni un homme qui avait voté trois fois et sous des noms différents la mort du Roi ; nous ne sommes pas des voleurs de grand chemin, ni des brigands, mais des royalistes ».

Nous n'avons pas à rechercher ici quel fut le parti ou l'influence auxquels est dû l'assassinat de l'évêque Audrein. Quels qu'ils soient, l'historien doit les blâmer sévèrement et les flétrir ; quelles que soient les mains qui ont trempé directement ou indirectement dans son sang, ces mains restent souillées d'une tache d'autant plus flétrissante que celui qu'elles ont frappé était, malgré son indignité, revêtu d'un caractère sacré auquel on ne peut toucher sans un double crime.

D'ailleurs, quelles que fussent les iniquités de l'intrus du Finistère vis-à-vis de la société et de l'Église, ceux qui osèrent le juger et lui enlever la vie n'avaient ni qualité ni mandat pour en agir ainsi.

Quatre de ses meurtriers furent arrêtés, deux mois après l'assassinat ; l'un d'eux fut reconnu à la morsure qu'Audrein lui avait faite au doigt, dans la lutte que celui-ci avait essayé de lui opposer, pour ne pas descendre de la voiture. « Tous, dit le chanoine Tresvaux, étaient du pays, et de la classe du peuple, à l'exception de leur chef et d'un déserteur qui ne parlait qu'allemand » (Tom. II, p. 399).

Le corps de la victime abandonné sur la route fut, le lendemain, transporté à Quimper et déposé dans la sacristie de la cathédrale, où le département tint à lui faire de magnifiques funérailles. Il fut enterré dans le cimetière de Saint-Marc où l'on voit encore sa tombe. Elle est recouverte d'une modeste pierre en granit sur laquelle on a gravé un calice, une mître et une crosse avec cette inscription : « Ci-git Audrein, évêque du Finistère, décédé le 19 Novembre 1800. Priez pour lui ».

Un partisan de l'église constitutionnelle fit peindre sur cette mître les trois, couleurs nationales. Renouvelées à mesure qu'elles s'effaçaient, ces couleurs ont disparu, depuis quelques années, sans doute avec l'ami dévoué qui les entretenait avec un soin digne d'un meilleur sentiment.

Nous avons raconté la triste fin d'Expilly : il périt sur l'échafaud, sans donner aucune marque extérieure de repentir. Par un juste châtiment du Ciel, Audrein meurt aussi violemment ; il demande au moins pardon à Dieu et aux hommes ; il dit qu'il se repent de ce qu'il a fait ; il sollicite instamment le temps de se réconcilier avec Dieu. Puissent ces paroles avoir exprimé une vraie douleur de ses fautes, une douleur suffisante pour lui obtenir la grande miséricorde dont il avait besoin ! Mais qu'il est périlleux et peu rassurant de tomber ainsi entre les mains du Souverain Juge !

Yves-Marie Audrein était né à Gouarec, trêve de Plouguernével, en 1741 : cette paroisse faisait, à cette époque, partie du diocèse de Quimper ; elle appartient aujourd'hui à celui de Saint-Brieuc.

D'une famille peu aisée, ses parents purent cependant lui donner de l'instruction au collège de Plouguernével.

Devenu prêtre, il obtint la chaire de professeur de quatrième au collège de Quimper, après l'expulsion des Jésuites de cet établissement. Le principal, Monsieur Bérardier, ayant été choisi pour grand maître du collège Louis-Le-Grand, Audrein l'y suivit, en qualité de préfet des études. Plus tard, il occupa le poste de vice-recteur de celui des Grassins : c'est dans ces fonctions que le trouva la Révolution, préparé à embrasser ardemment ses principes.

Nommé vicaire épiscopal de Le Masle, évêque intrus du Morbihan, il fut élu député de ce département à l'Assemblée législative et à la Convention. Là, il se lia avec les hommes les plus avancés dans les idées du temps.

En 1791, il proposa à l'Assemblée d'enlever les collèges et l'instruction publique aux congrégations religieuses enseignantes, pour arriver à un système d'éducation nationale. L'Église, on le voit, n'était plus rien pour ce prêtre dévoyé : la Nation, c'est-à-dire la Révolution était tout pour lui. Il voulait lui former non des chrétiens, mais des patriotes sans foi : voilà à quel point était arrivé cet homme ! Voilà quel était le degré de son zèle à servir la cause qui l'a conduit à sa perte ! Ce zèle le porta encore à dénoncer l'ambassadeur d'Espagne en France à cette époque ; il le signala à l'Assemblée comme entretenant des relations d'amitié avec les ennemis de la Constitution. Non content de dénoncer ce diplomate, il se fit aussi l'accusateur de ses frères dans le sacerdoce, les prêtres non assermentés. Il les appela des perturbateurs, et proposa de leur supprimer une partie de leur traitement.

Il fut du nombre des députés qui furent envoyés aux prisons de Paris, pour arrêter les massacres des 2 et 3 Septembre 1792. Il revint, avec ses collègues, de cette mission, sans avoir pu ou voulu remplir son mandat. Dans le procès de Louis XVI, il vota la mort de son roi, avec sursis. Après la Terreur, il parut revenir à des sentiments plus humains ; il aurait contribué, dit-on, à faire mettre en liberté l'infortunée princesse Marie-Thérèse de France, depuis Madame la Dauphine, qui gémissait, depuis trois ans, dans la plus douloureuse captivité ; il se constitua otage pour la duchesse de Bourbon, la duchesse d'Orléans et le prince de Conti. Par ces actes d'humanité à l'égard de la famille royale, il voulut, sans doute, faire oublier ou se faire pardonner son vote régicide !

Le prince de Conti lui en témoigna sa gratitude, en lui assurant une pension et en lui offrant un logement dans son palais. Il assista au concile des constitutionnels en 1797.

Audrein était humaniste et n'était pas sans talent. Il a laissé un Recueil de discours à la jeunesse, qui ne manque pas d'une certaine littérature ; il renferme le discours qu'il prononça, pendant qu'il était attaché au collège Louis-Le-Grand.

On a encore de lui un Discours sur le serment, un Mémoire à l'Assemblée nationale sur l'importance de maintenir les lois qui organisent le culte catholique, 1792, quelques écrits en faveur de la liberté des cultes, et une Apologie de la religion contre les prétendus philosophes, 1797.

Maintenant le lecteur connaît et peut apprécier le second et dernier évêque constitutionnel du Finistère.

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MORT DE M. AUDREIN, ÉVÊQUE CONSTITUTIONNEL DU FINISTÈRE.

Déclaration de sept témoins devant le juge de paix du canton de Châteaulin, relativement à l'assassinat de la personne du citoyen AUDREIN, évêque de Quimper.

L'an neuf de la République française une et indivisible, le vingt-neuf Brumaire, cinq heures du matin ;

Devant nous, Jean-Baptiste Blondin, juge de paix, officier de police judiciaire du canton de Châteaulin, ayant pour adjoint Pierre Brunou, secrétaire greffier.

Sont comparus, Jean-Marie-François Foucault, Jean Chartier, Julien Ridar, Louise Cothereau, femme Fidière, Aymard-Joseph-Emmanuel-Raphaël de Blois, Jean-Baptiste Ferey et Yves-Bonaventure Ollivier, homme de loi, à l'effet de déclarer l'attentat qui a été commis devant eux dans la nuit du vingt-huit au vingt-neuf du courant, par des malfaiteurs, envers la personne du citoyen Audrein de Quimper, et du vol commis dans la diligence dans laquelle il était.

Lesquels déclarants volontaires ont fait leur déclaration ainsi qu'il suit, séparément :

Jean-Marie Foucault, conducteur de la diligence de Rennes à Brest, par Lorient, domicilié d'Houdom. commune du même nom, département de Seine-et-Oise âgé de trente-cinq ans, a dit ne connaître d'aucune manière les malfaiteurs dont est cas, et après avoir promis de dire vérité.

Déclare, en français, qu'il est parti hier de Quimper, à neuf heures du soir, que rendu au haut de la montagne de Saint-Hervé, environ minuit, il entendit un coup de fusil fort près de la diligence, avec les cris d'halte-là coquin ou je te brûle la cervelle, qu'aussitôt, plusieurs se sont présentés autour de la voiture, le sommèrent de leur donner les fonds chargés dans la dite diligence, ou qu'on lui aurait brûlé la cervelle ; que lui déclarant descendit de suite du cabriolet et fut forcé d'ouvrir ladite voiture pour faire descendre les voyageurs qui y étaient ; qu'ils descendirent effectivement et furent forcés d'exhiber leurs passe-ports aux malfaiteurs, excepté le citoyen Audrein qui dit n'en avoir pas. Lequel fut saisi au collet et fusillé sur-le-champ, et que d'après cette expédition, il entendit dire par ses assassins qu'il y avait longtemps qu'ils le cherchaient, que ces derniers ont fouillé la voiture et se sont emparés de différents effets, et surtout de ceux appartenant à leur victime ; que le nombre de ces assassins pouvait être de vingt à vingt-cinq, tous armés de fusils et pistolets, vêtus en costumes de ville et en cultivateurs, dont il n'en connaît aucun.

Telle est sa déclaration, de laquelle lecture lui faite en français, a dit qu'elle contient vérité et y persister ; interpellé de signer a déclaré ne le savoir faire.

Signé : Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Julien Ridar, courrier de la malle de Brest à Quimper, domicilié de Rennes, commune du même nom, département d'Ille-et-Vilaine, âgé de seize ans, a dit ne connaître les assassins dont est cas, et après avoir promis de dire vérité.

Déclare, en français, que revenant de Quimper, il a trouvé la diligence, aux environs de minuit, à la hauteur de Saint-Hervé, qu'on lui a tiré un coup de fusil, qu'il a entendu crier halle-là, et menacer le conducteur de lui brûler la cervelle s'il ne remettait pas les fonds qu'il y avait ; que des personnes à lui inconnues, qu'il reconnaîtrait en partie, s'il les voyait, ont entouré la voiture, ainsi que lui monté sur son cheval ; auquel ont demandé ses dépêches et de l'argent s'il en avait, qu'ils ont fait la fouille de sa valise, mais qu'il ne croit pas qu'on lui ait rien pris ; qu'il a vu sortir de la diligence des personnes qui y étaient, montrer leurs passe-ports aux voleurs; que ces derniers se sont saisis d'un de ces voyageurs et qu'ils l'ont fusillé, et ensuite ont emporté une valise et une boite de la voiture ; qu'un de ces assassins qu'il présume le chef est d'une hauteur moyenne, habillé en carmagnole bleue, chapeau rond, a dit à haute voix en parlant de l'assassiné : Ce bougre-là m'a blessé la main; mais je suis plus enchanté de l'avoir tué que si l'on m'avait donné cent louis ; a dit le déclarant que la bande des assassins pouvait être du nombre de vingt à vingt-cinq, armés de fusils et pistolets, les uns vêtus en bourgeois et les autres en paysans.

Telle est sa déclaration, de laquelle lecture lui faite en français a dit qu'elle contient vérité et y persister ; interpellé de signer a déclaré ne savoir signer.

Signé : Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Jean Chartier, postillon de la diligence, demeurant à Châteaulin, âgé de trente ans, ne connaît les malfaiteurs dont est cas et, après avoir promis de dire vérité.

Déclare que, conduisant la diligence de Quimper à Châteaulin, rendu, aux environs de minuit, à la hauteur de Saint-Hervé, un coup de fusil a été tiré sur lui et des cris d'halte-là se sont faits entendre ; qu'une compagnie de voleurs au nombre à peu près de vingt, armés de fusils et pistolets, vêtus en carmagnoles de différentes couleurs, en bourgeois et en cultivateurs, ont entourés la diligence et le postillon de la malle, les ont fouillés, menacé le conducteur de la diligence de lui brûler la cervelle, s'il ne leur remettait pas les fonds y chargés, fait descendre les voyageurs excepté un qui se trouvait dans le cabriolet, visité leurs passeports, se sont saisis de l'évêque de Quimper et l'ont fusillé, et ensuite ont pris de la diligence son porte-manteau et une petite boite ; avoir entendu un des chefs de ces assassins dire qu'il était blessé à la main, mais qu'il était plus content d'avoir tué ce bougre-là que si on lui avait donné cent louis.

Telle est sa déclaration de laquelle lecture lui faite en français, a dit qu'elle contient vérité, y persister et a déclaré ne savoir signer.

Signé : Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

La citoyenne Louise Cothereau, épouse du citoyen Fidière, vérificateur des domaines nationaux, demeurant à Quimper, âgée de vingt-trois ans, a dit ne connaître aucunement les malfaiteurs dont est cas et, après avoir promis de dire vérité.

Déclare volontairement qu'aux environs de minuit, rendu dans la diligence à la hauteur de Saint-Hervé, des voleurs ont tiré un coup de fusil et arrêté la diligence, ont demandé au conducteur l'argent de la République, les passe-ports aux personnes qui y étaient, excepté au citoyen Ollivier, qui se trouvait dans le cabriolet, caché, qu'ils se sont emparés de l'évêque en lui observant qu'ils le cherchaient depuis longtemps et l'ont fusillé sur-le-champ, ensuite fouillé la dite diligence et pris une valise et une boîte; que le nombre de ces assassins pouvait être de vingt à vingt-quatre, armés de fusils et de pistolets, vêtus en artisans et paysans.

Telle est la déclaration de laquelle lecture lui faite en français, elle a dit qu'elle contient vérité, y persister et a signé.

Ainsi signé : Louise Cothereau, femme Fidière ; Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Le citoyen Aymard-Joseph-Emmanuel-Raphaël de Blois, demeurant au Launay, près de Morlaix, commune de Ploujean, département du Finistère, âgé de quarante ans, a dit ne connaître les assassins dont est cas et après avoir promis de dire vérité.

Déclare volontairement, qu'à la distance d'une lieue et quart de Quimper, il a entendu plusieurs voix qu'il n'a pu distinguer, suivies d'un coup de fusil tiré derrière la voiture, qui s'est arrêtée ; que la dite voiture a été cernée par plusieurs hommes qui ont demandé au conducteur par différentes reprises si elle ne contenait pas d'argent, d'en faire représenter la feuille ; qu'ils ont ensuite fait ouvrir la voiture et fait descendre successivement les voyageurs, dont lui déclarant se trouva le second ; qu'ils lui ont fait exhiber son passe-port ainsi qu'au premier et refusé de voir celui de la citoyenne Fidière qu'il leur a présenté ; qu'ils ont également demandé au citoyen Audrein son passe-port; qu'il leur a dit n'en avoir pas ; sur quoi ils l'ont fait descendre de la voiture et l'un d'eux paraissant l'avoir reconnu parce qu'il était louche, a dit qu'on le cherchait depuis longtemps, ils l'ont ensuite entraîné sur le côté du chemin, il s'est débattu pendant quelque temps avec eux et a reçu un coup de fusil qui l’a jeté presque sur la petite roue gauche de la voiture ; les dits hommes sont revenus vers les autres voyageurs et les ont rassurés, en leur disant qu'ils n'avaient rien à craindre, ni pour eux ni pour leurs propriétés; qu'ils avaient puni un homme qui avait voté trois fois et sous trois noms différents la mort de son Roi ; qu'ils n'étaient point des voleurs de grands chemins ni brigands, mais royaliste. Pendant ce temps d'autres fouillaient la voiture et menaçaient de tuer le conducteur, s'ils y trouvaient de l'argent ; ensuite ils ont permis aux voyageurs d'y remonter, excepté le citoyen Ollivier qui était resté caché dans le cabriolet. Ils se sont emparés d'une valise et d'une caisse longue ayant une poignée au milieu, laquelle valise a été ouverte par eux sur le grand chemin ; et après avoir délibéré s'ils emporteraient lesdits effets, ils ont paru vouloir les mettre sur un cheval qui paraissait accompagner la voiture, et ils se sont enfin déterminés à les emporter eux-mêmes, ce qu'ils ont fait en rassurant derechef les voyageurs et les laissant continuer leur route. Il a paru au déclarant que les malfaiteurs étaient au nombre d'environ vingt à vingt-cinq, la plupart vêtus en paysans, les autres en artisans, et un d'entre eux qui paraissait le chef, habillé d’une carmagnole verte ou bleue avec un gilet rouge, lequel s'est plaint d'avoir été blessé à la main et a dit qu'il eut mieux aimé perdre cent louis que d'avoir manqué ce coup-là ; ils m'ont paru armés de fusils de munition ou de chasse, et de pistolets.

Telle est sa déclaration de laquelle lecture lui faite en français, a dit qu'elle contenait vérité, y persister et a signé.

Signé : Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Jean-Baptiste Ferey, négociant de Brest, Agé de trente-quatre ans, a dit ne connaître les assassins dont est cas et après avoir promis de dire vérité.

Déclare, qu'environ une lieue et quart de Quimper, la diligence dans laquelle il était fut arrêtée dans la nuit du vingt-huit au vingt-neuf aux environs de minuit, par vingt à vingt-cinq hommes, armés de fusils et de pistolets, costumés en carmagnoles, artisans et paysans ; qu'ils ont tiré un coup de fusil dirigé sur la voiture, en criant halte-là, qu'elle s'est arrêtée ; qu'aussitôt les voleurs l'ont environnée, fait descendre le conducteur, le sommant de remettre l'argent appartenant à la République et la communication de la feuille, et de faire descendre les voyageurs auxquels ils ont demandé leurs passe-ports, et sur la réponse du conducteur qu'il n'avait pas d'argent, ont visité les coffres de la voiture en menaçant ce dernier de l'assassiner, s'il s'en trouvait dans lesdits coffres ; ont lu les passe-ports, se sont saisis de l'évêque de Quimper, l'ont fusillé, et pris dans la voiture une valise et une caisse longue lui appartenant, et un d'eux qui paraissait le chef d'une moyenne hauteur, vêtu d'une carmagnole bleue, gilet rouge, se plaignait d'avoir été mordu à la main, et même temps se félicitait d'avoir commis cet homicide, qu'il préférait cet assassinat à cent louis, parce que l'assassiné avait voté sous trois différents noms, trois fois, la mort du Roi et qu'il fallait punir les coquins ; ajoute le déclarant qu'un de ces brigands qu'il ne connaît pas, lui dit l'avoir vu à Brest.

Telle est sa déclaration de laquelle lecture lui faite en français, a dit qu'elle contient vérité, y persister et a signé.

Signé : Ferey, Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Le citoyen Bonaventure Ollivier, homme de loi, demeurant à Landerneau, âgé de soixante-quatre ans, a dit ne connaître aucun des brigands dont est cas et, après avoir promis de dire vérité.

Déclare volontairement que, voyageant dans le cabriolet de la diligence, venu la nuit dernière de Quimper pour se rendre à Brest, dans lequel était Foucault, conducteur de la dite diligence, il entendit entre onze heures et minuit de la nuit dernière, aux approches de la descente de Saint-Hervé, distant d'environ une lieue et quart de Quimper, un coup de fusil qui paraissait dirigé vers ladite diligence, qu'il donna un coup de coude au dit Foucault qui lui paraissait sommeiller et qui avait fermé ou tiré le rideau dudit cabriolet, lui disant, je crois que l'on veut attaquer la voilure ; qu'un instant après il entendit plusieurs voix crier arrête, arrête et aussitôt, pour ainsi dire, crier qui vive, à quoi plusieurs voix répondirent Royalistes ; qu'aussitôt il vit à travers un trou dudit rideau un homme de la structure de cinq pieds un pouce, visage maigre et pâle, barbe noire ; qu'il aperçut d'autres hommes habillés en paysans à la mode du pays, tous parlant français, qu'il vit lesdits malfaiteurs à la lueur de la bougie qui éclairait la voiture ; que l'homme de moyenne hauteur vêtu de bleu, autant que les couleurs peuvent se distinguer à une faible lumière, dit à Foucault : donne-moi l'argent que tu portes pour la nation ; que plusieurs voix répétèrent la même chose, qu'il aperçut, par le trou du dit rideau différents fusils au bout desquels il y avait des bayonnettes ; que Foucault leur répondit qu'il n'avait certainement pas d'argent, à quoi ils lui répliquèrent qu'ils allaient fouiller partout, casser à coups de hache les coffres et que si il se trouvait de l'argent à la nation, ils le feraient périr sur-le-champ ; ils ordonnèrent ensuite à Foucault de sortir dudit cabriolet, d'où il sortit après avoir levé un des côtés du rideau qui retomba dans sa place et ne permit pas de voir le déclarant; Foucault descendit sur le grand chemin, ils lui demandèrent s'il y avait des voyageurs, il répondit affirmativement; ils lui ordonnèrent d'ouvrir la grande caisse de la voiture, où étaient la citoyenne Fidière, le citoyen Audrein, évêque de Quimper, le citoyen de Blois et le citoyen Ferey ; ils leur demandèrent la représentation de leurs passe-ports ; tous les représentèrent excepté le citoyen Audrein auquel ils dirent : puisque tu n'a pas de passe-port, tu vas venir avec nous ; à cette menace il dut leur faire voir son passe-port ; qu'ils lui dirent alors : Je te connais Audrein, louche, tu as voté la mort du Roi sous trois noms différents, tu vas mourir. Audrein leur demanda grâce plusieurs fois, les appelant ses amis : Non. répliquèrent-ils, tu vas mourir, Audrein leur demanda le moment, par deux fois, de se réconcilier avec Dieu. Auparavant ils lui avaient dit : Tu as l'air d'un préfet. Un moment après le déclarant entendit un coup de fusil ; environ deux minutes après, il entendit une voix dire : Donne-lui un coup de fusil à la tête, et le déposant entendit un second coup de fusil. Les quatre particuliers qui étaient dans la diligence et autres témoins lui ont dit que ledit Audrein tomba du premier des deux coups de fusil tirés à peu de pas de distance, mais le déposant n'a pas vu tirer ces coups, il les a seulement entendus. Il entendit une voix qui disait : Je suis plus charmé de la mort d'Audrein que si j'avais trouvé cent louis dans la voiture. Les malfaiteurs fouillèrent la voiture à ce que lui ont dit les autres témoins, sans y avoir trouvé d'argent. Ils lui ont aussi dit qu'ils avaient enlevé de la voiture des effets audit Audrein et qu'il avait été dépouillé par les malfaiteurs après sa mort. Il entendit lesdits malfaiteurs dire auxdits voyageurs : Soyez tranquilles, ne craignez point, nous ne sommes point des voleurs. Ils n'ouvrirent point le cabriolet où était le déclarant, qui ne se montra pas à eux, et la malheureuse scène finie, la voiture continua sa route.

Telle est sa déclaration de laquelle lecture lui faite, a dit qu'elle est véritable et a signé.

Signé : Ollivier, l'aîné ; Blondin et Brunou, secrétaire-greffier.

Fait et arrêté, à Châteaulin, environ dix heures du matin, sous nos seings et celui de notre secrétaire-greffier, lesdits jour et an.

Signe en la minute : BLONDIN et BRUNOU, secrétaire-greffier.

Pour copie conforme, MAPPAS, greffier.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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