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PERSÉCUTION CONTRE LE CLERGÉ CATHOLIQUE
** PRISON DU CHÂTEAU DE BREST **

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A l'entrée du port de Brest, en face de cette rade que l'on dit une des plus belles du monde, se dresse un château fart, aux vieux murs crénelés, flanqués de quatre tours ou donjon. Battue des flots, cette forteresse est exposée à toute la violence des vents d'ouest qui, soufflant du large, viennent par le goulet s'engouffrer avec véhémence dans la vaste baie qui sert de mouillage aux vaisseaux de l'État.

C'est dans ce château que l'on conduisit et que l'on tint captifs, les prêtres fidèles qui préférèrent la détention permanente à l'exil ou à la déportation. C'est là qu'entassés, comme des prisonniers vulgaires, comme des criminels, on condamna ces dignes prêtres à une cruelle détention, sans aucun égard pour leur caractère sacré, sans aucune considération pour l'honorabilité et la pureté de leur vie antérieure : on n'eut pas agi autrement à l'égard de voleurs ou d'assassins. Que dis-je ? On aurait eu plus de compassion pour ces malfaiteurs, car, en ces temps malheureux, le vol et l'assassinat étaient de moindres crimes que la fidélité à Dieu, et à l'Église.

Nous allons dire, un peu en détail, de quelle manière on traita dans cette forteresse les prisonniers que l'on y renferma.

Il serait difficile de donner une idée juste des sentiments révolutionnaires qui se sont manifestés à Brest, dès le commencement des agitations et des troubles politiques. La licence, sous le nom de liberté ; l'irréligion, sous les apparences de l'attachement à la religion constitutionnelle ; le républicanisme, ou pour mieux dire, l'anarchie la plus outrée, substituée non-seulement aux lois anciennes, mais encore souvent à celles de l'Assemblée et aux ordres et arrêtés du département du Finistère, y avaient exalté les têtes à un point incroyable. La haine contre les prêtres non assermentés y était à son comble ; l'autorité départementale le savait et comptait avec cette haine fanatique jusqu'à plier souvent devant la volonté des Brestois qui, dans toutes les assemblées électorales, parlaient et commandaient en maîtres. Elle ne devait pas avoir oublié tous les mauvais traitements, les violences et les brutalités qu'avaient subis, au couvent des Carmes de Brest, les pauvres prêtres qu'elle y avait fait renfermer, par un arrêté du 2 Juillet 1791. Elle ne l'avait pas oublié ; et c'est cependant dans cette même ville qu'elle envoya ceux dont elle ordonna l'emprisonnement, par son arrêté du 29 Novembre de la même année.

Indépendamment des injures auxquelles les proscrits étaient en butte, chemin faisant, dans les différents lieux où ils passaient, pendant qu'on les conduisait à Brest, on ne peut se figurer tout ce qu'ils avaient à souffrir, à leur arrivée dans cette ville : pour cela, il faut en avoir été témoin, ou se représenter ce qui se passait dans les amphithéâtres où les païens exposaient les chrétiens à la dent des bêtes féroces. Mêmes acclamations de la part du peuple, mêmes hurlements, mêmes cris de mort, et toujours le refrain national : à la lanterne ces f... aristocrates, ces b... de prêtres, etc... [Note : Nous citons textuellement ces vilaines et indécentes appellations qui expriment la note de la fureur de ce malheureux peuple].

C'était au milieu de ces huées et vociférations, à travers une foule immense de gens furieux qui les auraient volontiers mis en pièces, si la troupe, l'épée nue à la main, ne les avait protégés ; c'était au milieu des propos les plus obscènes, vomis par des filles de mauvaise vie, que les prisonniers étaient obligés de passer, avant de parvenir au Château , où ils arrivaient rassasiés d'opprobres et souvent les vêtements en lambeaux...

C'est ainsi que l'on traitait les prisonniers qui étaient conduits à Brest par la voie de terre ; mais ceux, que l'on y menait par la route de Lanvéoc [Note : Paroisse du canton de Crozon, où il y a un petit port d'embarquement pour Brest], avaient d'autres périls à essuyer, d'autres insultes, d'autres menaces à souffrir. Après avoir fait la traversée des trois lieues qui séparent ce petit port de celui de Brest, il eût été facile et tout simple de les faire débarquer tout près du Château : mais non, on leur eût, par ce moyen, épargné les cris et les insultes de la canaille, avide du spectacle des prêtres traînés en prison, et il fallait la contenter, en les livrant à ses injures...

On les débarquait donc sur le quai de Recouvrance, c'est-à-dire, sur la rive opposée à la forteresse; on les laissait sur ce quai ou sur le pont du paquebot même, pendant plusieurs heures, exposés à toute la fureur des gens de la lie du peuple. Quand, après avoir subi le supplice de cette longue exposition, on se décidait à les faire passer en bateau du côté de Brest, ils étaient soumis à mille avanies, dans ce petit passage que l'on prolongeait à dessein. Les uns refusaient aux vieillards la main pour les aider, soit à embarquer dans les canots de passage, soit pour en débarquer ; les autres feignaient de vouloir chavirer les embarcations ; d'autres criaient qu'il fallait leur attacher des pierres au cou et les précipiter dans la mer ; d'autres qu'il fallait les pendre au haut de la mâture, c'est-à-dire de la machine destinée à mâter les vaisseaux, etc., etc.

Depuis les premiers jours de Décembre 1791 jusqu'à la fin de Mai 1792, tous les prisonniers furent entassés dans une seule et même salle ; au-dessous d'eux et dans une salle voisine, séparée seulement par des cloisons de planches, était un grand nombre de malades, victimes de la débauche et du libertinage, auxquels on appliquait les remèdes nécessaires à leur honteuse et douloureuse situation. On juge facilement les incommodités et les inconvénients qui résultaient de ce voisinage. Mais, outre l'odeur pestilentielle, les plaintes et les cris continuels de ces malades, qui leur étaient on ne peut plus désagréables, les prêtres détenus avaient de plus à souffrir d'abord de la fumée d'un poêle qui les aveuglait, au lieu de les garantir contre les rigueurs d'un hiver extrêmement rude, puis de la fumée plus épaisse et plus insupportable encore, provenant de deux grandes lampes, qui corrompait et infectait l'air qu'ils respiraient.

Gardés et surveillés de très près par les soldats, les prisonniers ne pouvaient écrire ou recevoir des lettres, sans qu'elles passassent par les mains de leurs geôliers qui souvent même les lisaient. Ces geôliers examinaient et fouillaient tous les paquets qui entraient au Château ou en sortaient, et il dépendait d'eux de diminuer ou d'augmenter, selon leur caprice, les entraves mises à la liberté des captifs, d'accepter ou de renvoyer les secours temporels que quelques personnes sensibles et charitables faisaient porter à la prison... Dans l'espace des six premiers mois, on ne leur permit la promenade que pendant quinze jours seulement, dans une cour du Château assez petite, et cernée d'un côté par un rempart fort élevé et de l'autre par un arsenal.

Mais toutes ces incommodités et gènes physiques ne sont rien, en comparaison de celles que les prisonniers eurent à supporter, au point de vue spirituel. Quatre mois environ s'écoulèrent, avant que le Département leur accordât la faculté de jouir de la consolation d'entendre ou de célébrer la sainte messe. On sait que la plus dure privation que l'on puisse imposer à un bon prêtre est celle de l'empêcher d'offrir les divins mystères... Enfin, après des prières, mille fois réitérées, les administrateurs permirent l'érection d'un autel, à l'un des bouts de la première salle, qui était alors la seule disponible à cet effet. Il fallut que les prisonniers pourvussent eux-mêmes à tous les frais de leur chapelle : mais, il est vrai, ils furent peu considérables, grâce à la charité d'une communauté de religieuses et de quelques autres personnes qui se firent un plaisir de leur procurer des calices, des ornements, des linges sacrés et tous les autres objets nécessaires pour la décente célébration de l'auguste sacrifice. Bien que l'on commençât de très-grand matin, il n'était pas possible que chacun des prêtres détenus pût avoir le bonheur de monter, tous les jours, à l'autel, parce qu'on cessait de dire la messe, une fois les portes des salles ouvertes et occupées par les sentinelles qui entraient dans l'intérieur, vers les huit ou neuf heures. Mais, au moyen d'un tableau où le jour et l'heure de chacun étaient marqués, tous avaient l'avantage inestimable de la célébrer, à leur tour, et de se nourrir ainsi du Pain des forts, dont ils avaient tant besoin, pour accepter avec courage et avec joie leur pénible situation.

Qu'il était beau le spectacle de ces dignes prisonniers de Jésus-Christ, tous unis dans un même sentiment de foi et de charité fraternelle, offrant à Dieu, au milieu de leur prison, l'adorable Victime qui, la première, avait souffert pour eux, leur donnant l'exemple et le précepte de la souffrance résignée ! Qu'il était beau de voir ces pieux soldats de la croix édifier ainsi leurs geôliers, et rallumer sans doute dans leurs cœurs pervertis la flamme mourante de cette foi attaquée alors avec un acharnement inénarrable !

Mais, ce n'est pas tout : apprenons comment nos pères dans le sacerdoce employaient les longues heures de leur captivité. Afin de s'animer les uns les autres à supporter chrétiennement les dégoûts , l'ennui et les peines de la prison ; afin de les rendre méritoires aux yeux de Dieu, ils faisaient, le matin, la prière et l'oraison en commun ; à onze heures, la lecture de la Sainte Écriture et de l'histoire ecclésiastique, que l'on terminait par la récitation des prières en usage dans les séminaires ; dans l'après-midi, on lisait l'Imitation de Jésus-Christ et encore l'histoire de l'Église ; cette lecture était terminée, comme celle du matin, par différentes prières, dans lesquelles les prisonniers n'oubliaient jamais leurs ennemis et leurs persécuteurs. Le soir, avant de se mettre au lit, ils faisaient également la prière en commun : c'est ainsi qu'ils tâchaient de sanctifier tous les moments de la journée. Ils auraient désiré pouvoir réciter, en deux chœurs, l'office divin : mais, comme il y avait, au Château de Brest, des prêtres de cinq diocèses différents, et que les offices n'étaient pas tous les mêmes, ils étaient, à leur grand regret, forcés de réciter le bréviaire en particulier.

Nous ne dirons rien des aliments que l'on servait aux détenus : il suffira de savoir qu'on en avait mis la fourniture au rabais et que l'on ne donnait que 20 sous par tête à l'adjudicataire.

Privés eux-mêmes d'une nourriture substantielle, et dénués de presque toute ressource, ils trouvaient moyen de les partager avec un certain nombre de criminels, détenus dans une autre partie du Château. Ces malheureux, connaissant la charité sacerdotale, leur avaient adressé une lettre collective pour solliciter leurs aumônes et leurs prières. Les confesseurs de la foi se cotisèrent entre eux pour leur donner, du peu qu'ils avaient, de quoi se procurer un repas plus fortifiant.

Quel touchant exemple de l'amour du pauvre et de l'oubli de soi-même pour subvenir à ses besoins ! Quel hommage en même temps rendu à la compatissante charité du prêtre de Jésus-Christ, que l'on n'implore jamais en vain !

Quant à leur vie ordinaire, nous l'avons fait connaître. Occupées par la prière et la lecture, leurs journées se passaient dans le calme que procurent la paix de la conscience et l'union parfaite qui régnait entre eux ; mais ce calme intérieur était souvent interrompu par des orages venant du dehors. Il était rare, même dans les six premiers mois de leur captivité, qu'il se passât quelque temps, sans que les prêtres détenus n'en éprouvassent de plus ou moins violents, qu'il serait fastidieux de narrer ici. Quelquefois cependant on leur annonçait leur délivrance comme prochaine, mais à de certaines conditions. Bientôt après, on cherchait à les intimider, en leur insinuant que le peuple demandait leur tête et qu'il était disposé, si leur résistance se prolongeait, à envahir la prison pour satisfaire sa haine contre eux. On leur racontait avec affectation les poursuites exercées dans différentes provinces contre les prêtres non assermentés, les massacres qui s'en suivaient, etc. En un mot, on ne négligeait rien pour les amener à renoncer à leur foi et à leur religion.

Au reste, les prisonniers ne savaient que trop ce qu'ils pouvaient attendre ou craindre de leurs persécuteurs ; ils étaient prêts à tout, plutôt que de manquer à leur devoir ; et, tandis que leurs vrais amis et les vrais catholiques tremblaient pour eux, ils se fortifiaient de plus en plus dans leurs principes, et la grâce de Jésus-Christ les soutenait visiblement.

Cependant, à l'exemple de saint Paul et d'autres saints martyrs et confesseurs qui, au mépris de tous les tourments et de la mort, osaient interroger leurs tyrans et les défier de prouver les prétendus crimes dont ils les accusaient, les prêtres détenus crurent pouvoir et même devoir solliciter instamment, à plusieurs reprises, de l'administration leur mise légale en jugement, la défiant aussi de faire la preuve juridique de leur culpabilité. Mais les corps administratifs savaient bien qu'en les renvoyant devant les tribunaux établis pour connaître des délits, c'était leur fournir l'occasion de faire éclater leur innocence, comme cela avait eu lieu dans quelques circonstances relativement à d'autres ecclésiastiques légalement jugés par les ministres de la justice. « Eh ! Quelles peines, en effet, les juges auraient-ils pu porter contre des prêtres munis de toutes les preuves nécessaires, pour démontrer que la persécution allumée contre eux n'avait d'autre aliment que les plus insignes calomnies contre des prêtres qui, aux termes de la loi même, pouvaient rejeter le serment... ; contre des prêtres qui, dans leurs moyens de défense, auraient développé, de la manière la plus victorieuse, les raisons invincibles qui légitimaient leur façon de penser et d'agir : raisons d'après lesquelles ils étaient invariablement résolus à tout souffrir, plutôt que de trahir leur conscience; plutôt que de scandaliser l'Église catholique, apostolique et romaine par une làche et criminelle défection ; plutôt que de manquer à l'obéissauce, à la soumission, à la fidélité dues à leur Roi, dont la force et la violence avaient bien pu suspendre l'autorité, mais qui n'en était pas moins, à leurs yeux, l'image de la divinité, de laquelle seule il tenait son sceptre et sa couronne... ; à laquelle seule il devait compte de ses actions ? » (Notes de M. Boissière).

N'ayant plus l'espérance d'obtenir la justice qu'ils demandaient, en vain, aux corps administratifs, ils se déterminèrent à s'adresser au Roi et à ses ministres. Un avocat, aussi connu par ses talents que par la pureté de ses sentiments religieux, osa braver tous les préjugés et les périls du moment, en se déclarant ouvertement leur défenseur. Il fit remettre au Roi, sous forme de requête en faveur des détenus, un mémoire appuyé sur les motifs les plus propres à faire impression. Hélas ! il n'en fallait pas tant pour émouvoir le cœur compatissant de Louis XVI. Mais l'oppression, dans laquelle ce malheureux monarque gémissait lui-même, ne lui laissait d'autre pouvoir que celui de faire des vœux pour la délivrance des prêtres captifs. Désolé d'être réduit à ce rôle impuissant, en présence d'une cause si juste, le Roi donna des ordres pour qu'on remit à ces pauvres prêtres des secours pécuniaires auxquels la Reine et la famille royale s'empressèrent de joindre d'autres aumônes particulières, qui furent appliquées à leur soulagement par les soins de personnes sûres. Suivant cet auguste exemple, des personnes charitables, touchées de compassion, ouvrirent à Paris une souscription pour le même objet. Le mémoire dont nous venons de parler fut imprimé et vendu au profit des prisonniers, et toutes ces aumônes réunies suppléèrent pendant un certain temps à leurs besoins.

Au mois de Mai 1792, un grand nombre de citoyens de Quimper forma le projet de demander leur liberté à l'Assemblée nationale. La pétition fut rédigée par des hommes de loi, pleins de zèle et de religion, et signée de tous les habitants de la même ville, qui avaient tenu leur esprit et leur cœur à l'abri des fausses doctrines. Au moment où cette pétition allait partir pour sa destination, le Département en eut connaissance. Craignant sans doute qu'elle n'obtint quelque succès, il ordonna immédiatement des perquisitions pour en découvrir les dépositaires ; ce qui ne fut pas difficile.

La municipalité s'empara de la pièce : et non contents d'en empêcher l'envoi, les administrateurs s'en vengèrent sur les signataires, en vexant les uns et en forçant les autres à quitter des places et des emplois qu'ils possédaient.

Depuis cette tentative, les prêtres détenus furent encore gardés et resserrés de plus près, et, à mesure qu'on faisait plus d'efforts pour la leur enlever, les Brestois semblaient plus avides de conserver leur proie. Le Département, comme nous l'avons déjà dit, subissait les impressions du club forcené de Brest qui le dominait en maître.

Étant donnée d'ailleurs son animosité particulière et bien marquée contre les prêtres non assermentés, ceux-ci ne pouvaient s'attendre qu'à de nouvelles persécutions : elles redoublèrent donc, vers la fin de Mai, et comme nous l'avons encore mentionné plus haut, les agents de la police nationale furent lancés de tous côtés pour remplir de plus en plus la prison de Brest.

Il est vrai qu'outre ce que nous venons de rapporter, les corps administratifs avaient un autre prétexte pour enlever aux paroisses le peu de prêtres fidèles qui avaient pu s'y maintenir. Le troisième bref de Sa Sainteté, Pie VI, venait de paraître : ils craignaient donc, et avec raison, la sensation qu'il devait naturellement produire sur les populations, et qui aurait pour résultat nécessaire leur éloignement des pasteurs intrus et leur attachement plus fort que jamais aux pasteurs légitimes.

L'autorité administrative arrêtait, autant qu'elle le pouvait, la circulation du nouveau bref pontifical, mais son existence n'en n'était ni moins publique, ni moins notoire, et ce n'était pas sans raison qu'on attribuait au clergé, uni au vicaire de Jésus-Christ, la propagation de tout ce qu'il contenait.

Le nombre des prêtres que l'on conduisait, tous les jours, à Brest, devint si considérable que la première salle, malgré ses larges proportions, se trouva insuffisante pour les renfermer tous : d'ailleurs, le Département et les Districts se flattaient que, sans tarder, d'après les ordres donnés vers la fin de Mai, on parviendrait à s'emparer de tous ceux qui restaient. En conséquence, on prépara une seconde salle communiquant de plain-pied à la première : les nouveaux prisonniers eurent le bonheur d'obtenir la permission d'y ériger aussi un autel. Ce local servait d'infirmerie à la catégorie de malades dont nous avons déjà parlé : on l'avait évacué depuis peu de jours, soit que ces malades fussent guéris, soit qu'ils eussent été tranférés ailleurs. Au-dessous, on avait établi une caserne, et aux malades, qui étaient dans l'appartement inférieur à la première salle, avaient également succédé des soldats qui faisaient partie de la garnison du Château.

Il n'est personne qui ne voie tout de suite les inconvénients et les ennuis qu'entraîne un pareil voisinage pour des prêtres, qui se trouvaient ainsi dans le cas d'entendre sans cesse les jurements et les imprécations les plus horribles, les chansons les plus obscènes, et souvent les injures les plus outrageantes et des menaces de toute espèce... Si les échos de ces lieux pouvaient redire tous les odieux propos de cette soldatesque saturée de haine contre l'Église et ses ministres, on frémirait d'horreur et d'épouvante... Mais si, d'un côté, le nom de Dieu et tout ce qu'il y a de plus sacré au ciel et sur la terre étaient blasphémés sous les voûtes de cette forteresse par la voix impure de cyniques geôliers, de l'autre, ce nom, trois fois saint, était béni et loué par la voix pure de leurs innocentes victimes qui demandaient, en même temps, pardon pour ces malheureux blasphémateurs.

Mais, à mesure qu'on multipliait les prisonniers, la situation de ceux-ci devenait plus critique : l'acharnement plus grand que l'on mettait à arrêter les bons prêtres dénotait que la Révolution gagnait du terrain et faisait craindre que, sans tarder, elle ne triomphât. Cependant, au milieu de ces jours sombres, présage d'un orage prochain, un moment d'éclaircie sembla paraître à leurs yeux, vers la fin de Juin. Le Roi venait de donner sa confiance à M. Demonciel. Les détenus profitèrent de cette circonstance pour écrire à Sa Majesté [Note : Malgré la vigilance des sentinelles, les prisonniers trouvaient quelquefois les moyens de faire passer des lettres, au dehors, à des personnes qui les envoyaient dans d'autres villes, pour être mises à la poste] et à son nouveau ministre, afin de solliciter ou leur élargissement, ou leur renvoi devant les tribunaux. Ils ignoraient encore que, le 21 du même mois, Louis XVI avait couru le plus grand danger : ce fut seulement, quelques jours après, que cette nouvelle pénétra dans leur prison, avec celle de la résistance héroïque de l'infortuné monarque aux vues cruelles et sanguinaires des factieux.

Ce fut à la suite de cet évènement que, s'appuyant sur le décret des 26 et 27 Mai 1792 de l'Assemblée législative, le Département du Finistère prit son fougueux arrêté du 1er Juillet 1792, eu vertu duquel soixante-douze des prisonniers furent condamnés à la déportation : il savait, il est vrai, que ce décret était resté sans effet, parce que le Roi s'était constamment opposé à son exécution. Mais ce Département avait eu, le premier, l'idée de cette odieuse mesure et le triste honneur de la provoquer par délibération du 18 Novembre 1791 ; il devait donc se signaler aussi par son zèle barbare à l'exécuter. « Influencée par Expilly, dit le chanoine Tresvaux, cette administration se faisait remarquer par son acharnement contre le clergé catholique » (Histoire de la persécution en Bretagne, T. I, p. 321).

Qu'on nous permette ici une réflexion : c'est un prêtre, c'est un évêque qui attise le feu de la persécution contre des prêtres ; c'est un évêque qui souffle autour de lui la haine contre eux ; c'est lui qui pousse le gouvernement à les jeter en exil. Mais qu'on le remarque aussi : ce prêtre était un apostat ; cet évêque était un schismatique et un intrus. Dès lors sa conduite inhumaine n'étonne plus. Le propre du pasteur légitime, c'est la douceur et la bonté de l'agneau : le caractère distinctif du mercenaire, c'est la cruauté du loup ! ut mactet

Informés tout d'abord par une vague rumeur de l'arrêté du Département, qui les condamnait à l'exil, les prisonniers n'eurent plus de doute, à moins d'une protection puissante et spéciale, sur le sort qui leur était réservé, lorsqu'ils eurent connaissance du décret rendu par l'Assemblée nationale et de la proclamation faite par le Roi, le jour même où il avait failli être assassiné au palais des Tuileries. Aux termes de ce décret, la déportation ne devait être prononcée que contre les seuls prêtres juridiquement jugés et condamnés ; les corps administratifs devaient protéger les personnes et empêcher qu'elles ne fussent incarcérées et punies, avant qu'elles n'eussent été jugées coupables de certains délits, dûment prouvés devant les tribunaux. Ces formalités n'ayant pas été observées envers eux, les détenus du Château de Brest prirent la liberté d'écrire à Sa Majesté une seconde lettre, le 6 Juillet, pour réclamer la justice élémentaire que leur refusait le Directoire du Finistère. Au reste, ils s'attendaient, d'un moment à l'autre, à la signification de l'arrêté de cette inique autorité. On est porté à croire que cette signification ne fut différée qu'en conséquence d'ordres reçus du ministre pour élargir les prisonniers. Quoiqu'il en soit, ceux-ci réussirent à se procurer, le 10 Juillet, par une personne dévouée, un exemplaire imprimé du fameux arrêté. Leur surpise fut extrême, en lisant les motifs pour lesquels le Département disait y avoir été déterminé. « Nous n'exagérons point, en avançant qu'il paraissait dicté par Néron ou par Julien l'apostat : même acharnement, mêmes atrocités, mêmes calomnies, même haine contre les ministres de la religion » (Manuscrit de M. Boissière). Sans perdre de temps, les proscrits l'adressèrent au ministre du Roi, avec une lettre pleine d'énergie dans la forme et écrasante de logique dans les arguments qu'ils y apportaient, pour prouver l'injustice de la peine qui les frappait. Nous n'avons pas malheureusement cette lettre dont M. Boissière dit dans ses notes : « Nous ne saurions pas l'analyser, sans en énerver toute la force et la solidité ».

Le même jour, 17 Juillet 1792, considérant qu'après la signification de l'arrêté, il leur serait peut-être impossible de se défendre par eux-mêmes, les détenus avisèrent à un moyen de ne pas rester tout-à-fait sans défense. Ils transmirent secrètement, par la voie de la poste, à un avocat de Quimper dont ils étaient surs, une procuration par laquelle ils l'autorisaient à rédiger, pour eux et en leur nom, toutes les pétitions et les mémoires qu'il jugerait convenables, de concert avec deux autres avocats de son choix. L'évènement ne tarda pas à justifier le bien fondé de cette précaution.

Le lendemain, onze, le maire et la municipalité de Brest vinrent au Château, vers les quatre heures du soir, avec tout leur appareil : ils étaient accompagnés de l'officier de garde et d'un greffier. Ils font rassembler tous les prisonniers dans la même salle, et on leur donne lecture de l'arrêté du 1er Juillet. Ces derniers entendent cette lecture avec un calme inaltérable, sans qu'aucun profère la moindre parole. C'était chose convenue entre eux, à l'avance. Etonnés de cet air serein et tranquille, ainsi que de leur profond silence, les municipaux leur notifient que, désormais, ils n'auraient plus aucune communication au dehors : que si quelqu'un cependant voulait écrire quelque lettre, il la remettrait décachetée aux commissaires qui viendraient, deux fois la semaine, au Château ; que toutes les lettres à eux adressées, soit par la poste ou autrement, leur parviendraient par la voie des mêmes commissaires, en présence desquels elles seraient ouvertes et lues en entier. Enfin ils annoncèrent qu'ils reviendraient, au bout de huit jours, terme accordé aux prisonniers par l'arrêté pour délibérer et prendre leur parti, c'est-à-dire pour déclarer s'ils voulaient acheter leur liberté au prix du serment, ou, en cas de refus, opter entre la déportation hors du royaume et l'arrestation permanente. Or, voici une partie des moyens que l'on mit en œuvre pour les intimider et leur extorquer le serment.

Le 14 Juillet, jour de la fédération, on les laissa tranquilles jusqu'à trois heures et demie de l'après-midi où un bruit confus de voix et d'instruments militaires se fit entendre tout-à-coup aux portes du Château. Une multitude immense de gens du peuple et de soldats nationaux, dragons et fantassins, se précipitent dans la cour principale, poussant des cris et des hurlements semblables à ceux des sauvages et des cannibales, qui se disposent à égorger leurs prisonniers et à se repaître de leur chair et de leur sang. Ces forcenés, tous ivres de fureur et la plupart ivres encore de vin et d'eau-de-vie, se tiennent par la main et exécutent des danses appelées nationales, mais qui seraient mieux nommées infernales ; ils se présentent sous les fenêtres des deux salles où étaient renfermés les prêtres, vont et viennent, montent et descendent, se gonflent et se roulent autour de la prison, comme les flots de la mer montante, en vomissant les injures les plus infâmes et les menaces les plus effrayantes : ils prolongent, pendant près d'une heure, ce manège satanique...

Mais une autre scène plus terrible et plus barbare va succéder à la première. Un groupe considérable se détache de la foule et, dirigeant sa marche vers la porte de la prison, il veut forcer les sentinelles à lui en donner l'entrée. Celles-ci refusent [Note : La garde des prisonniers était confiée à l'ancienne troupe régulière], en représentant que les prisonniers étaient sous la sauvegarde de la loi qui ne les avait pas condamnés à mort. Cependant, comme les assaillants gagnaient du terrain, demandant toujours la tête des prêtres, les sentinelles se mettent en devoir de repousser la force par la force. Pendant que ceci se passait à la porte de la prison, d'autres enragés, grimpant sur les épaules les uns des autres, étaient déjà parvenus à la hauteur des fenêtres et allaient s'élancer dans les salles pour commencer peut-être le massacre : mais Dieu veillait sur les jours de ses fidèles ministres... En ce moment, arrive en toute hâte la municipalité, qui parvient à calmer les esprits et à dissiper cette meute de tigres avides de sang et de carnage. Cela fait, les municipaux entrent dans les salles, affectant un ton d'intérêt et de compassion qui ne leur était pas ordinaire. Mais les détenus ne se méprirent pas à ces sentiments apparents : car, malgré les belles protestations de ces messieurs de remplir avec zèle leur obligation d'empêcher qu'on ne touchât à aucun d'eux, il leur était facile, en un jour tel que celui du 14 Juillet, de prévoir cette insurrection et d'y remédier, soit en défendant de baisser le pont-levis, soit en donnant au corps de garde placé à la porte de la cour, la consigne de ne laisser entrer personne.

Quoiqu'il en soit, les prisonniers, heureux d'avoir échappé au péril, remercièrent beaucoup leurs protecteurs du moment. Ces derniers se flattaient, sans doute, que la crainte et la frayeur avaient pu ébranler la constance des premiers, inviolable jusqu'alors. C'est peut-être pour cette raison que l'un d'entre eux, adressant la parole aux captifs, leur dit : « Messieurs, nous avons renouvelé, aujourd'hui, le pacte fédératif. Tous les citoyens de cette ville y ont publiquement répété leur serment sur l'autel de la patrie ; le clergé constitutionnel de cette ville y a publiquement déclaré ses sentiments... La fête a été des plus brillantes, mais il manquait à notre satisfaction de vous voir à cette auguste cérémonie ». Un silence profond, mêlé d'un mouvement d'indignation peint sur tous les visages, fut la seule réponse des martyrs de la foi.

Dès le lendemain, dans l'après-midi, une scène à peu près semblable se renouvela sur le rempart, en face des fenêtres de la prison, du côté de la mer. La populace, et principalement les ouvriers du port, poussent les clameurs et les cris habituels ; instantanément se forme une longue chaîne de furieux. Les uns tiennent à la main des cordes qu'ils montrent aux prisonniers; d'autres, les apostrophant avec rage, s'avancent vers les fenêtres comme pour les escalader, et, du geste et de la voix, menacent les prêtres de les étrangler. Cette fois, les compatissants municipaux ne parurent pas, mais quelques sentinelles en imposèrent tellement à la multitude qu'elle se dispersa comme par enchantement. Au milieu de ces orages toujours renaissants, les détenus ne négligeaient pas de s'occuper, devant Dieu, de leur réponse à la notification de l'arrêté du premier Juillet. Aussi, sans attendre l'expiration des huit jours qu'on leur avait fixés pour cette réponse, tous jugèrent que, dans les circonstances, il fallait s'expliquer par écrit, en motivant leur nouveau refus de prêter le serment, et en protestant contre la violence à eux faite par le Département, et contre les peines auxquelles on les condamnait. Puis, afin de reculer encore l'exécution de l'arrêté, ils résolurent d'en appeler au Roi et à l'Assemblée nationale : tel fut le plan de la pétition qu'ils rédigèrent d'un commun accord, qu'ils signèrent tous et qu'ils remirent, le dix-sept, aux commissaires de la municipalité, venus tout exprès au Château, sur leur demande.

Voici le texte de ce document d'autant plus précieux, qu'il contient les noms des signataires :

Copie de la pétition de Messieurs les ecclésiastiques séculiers et réguliers détenus dans les prisons du Château de Brest, le 18 Juillet 1792.

A MESSIEURS LES MAIRE ET OFFICIERS MUNICIPAUX DE LA VILLE DE BREST.

« Messieurs,
Vous nous avez fait l'honneur de nous déclarer, le 11 du courant, par messieurs vos Commissaires, que la Municipalité était disposée à recevoir toutes les pétitions, soit collectives, soit individuelles, que nous désirerions leur adresser : c'est toujours un adoucissement à nos maux et une consolation dans notre captivité.

Nous nous attendions, Messieurs, à être mis dans l'état de liberté requis, pour prendre notre détermination relativement à l'arrêté du Conseil général du Département, en date du 1er de ce mois.

De quoi peut-on être capable quand on est dans les fers ?

Notre situation ne nous a cependant pas empêchés de nous occuper des inculpations contenues dans le préambule de cet arrêté et des peines énoncées dans son dispositif.

Le préambule nous représente, Messieurs, comme des rebelles, des malfaiteurs, des ennemis de l'ordre et de la patrie. La preuve de pareils délits, si elle était acquise, devrait, sans doute, attirer sur nous les peines les plus sévères. On nous objecte que l'opinion publique nous rend suspects de ces délits, qu'elle nous dénonce même pour en être coupables ; mais les tribunaux, chargés de punir les crimes, n'ont informé contre nous, ni collectivement, ni individuellement, ou plutôt il y a eu des instructions commencées dans plusieurs tribunaux, et pas un seul prêtre n'y a été compromis, ni jugé digne de punition exemplaire. Nous demandons en grâce, Messieurs, au nom de la loi, d'être livrés à toute sa rigueur. C'est à la loi que nous en appelons et à ceux qui doivent, par son application, punir ou absoudre les accusés.

Mais si, pour des raisons et pour des considérations qu'il ne nous appartient pas d'examiner, le Directoire du Département se refuse à soumettre notre conduite à la justice des tribunaux constitués, nous demandons du moins, Messieurs, que l'exécution des peines portées par l'arrêté soit suspendue, parce que nous déclarons vouloir, dans ce cas, recourir à l'Assemblée nationale et au Roi.

Si le recours à l'Assemblée nationale et au Chef de la nation est, pour les Français, un droit imprescriptible, que les corps administratifs ne sauraient entraver, nous réclamons l'usage de ce droit précieux et nous nous soumettons d'avance à la décision suprême qui interviendra.

Libres dans nos opinions, même religieuses, nous n'avions pas cru, Messieurs, et nous ne croyons pas pouvoir prêter le serment. Il n'existe aucune loi qui nous y oblige, sous peine d'être traités comme des rebelles. La loi, au contraire, nous laisse dans l'état toute liberté à cet égard ; par conséquent, permettez-nous de le dire, avec tout le respect que nous devons et que nous conserverons toujours pour les corps administratifs :

L'arrêté du Département serait nul et inconstitutionnel, il serait encore illégal, puisqu'il serait rendu par un corps incompétent, au terme de l'acte constitutionnel, qui n'attribue qu'aux corps judiciaires le droit d'infliger des peines afflictives et infamantes.

Faites connaître, Messieurs, nous vous en supplions, faites connaître au Département que si, fidèles à notre Dieu, à notre sainte religion, à nos consciences, nous ne prêtons pas le serment que la loi exige de nous, nous n'en sommes pas moins fidèles à la patrie qui nous a vus naître, que nous chérissons et dont nous ne cesserons de nous regarder comme les enfants. Dites-lui que ce serait à, nos yeux un crime affreux d'en déchirer le sein , en excitant des troubles, en nous soulevant contre elle, en y fomentant des divisions, soit par nos exemples, soit par nos discours. Dites-lui que soumis à toutes les lois civiles et politiques, émanées de l'autorité temporelle, seule compétente en cette matière, nous nous croyons obligés, non-seulement par la crainte du châtiment, mais par la loi impérieuse de notre conscience, d'y obtempérer, toutes les fois qu'elles n'exigent de nous rien de contraire à ce que nous devons à Dieu.

Dites-lui enfin, Messieurs, que fidèles à notre Roi, nous ne nous écarterons jamais du respect et de l'amour que nous lui devons.

C'était un besoin pour nous, Messieurs, de manifester les sentiments qui nous animent pour la nation, pour la loi et le roi. Toujours ils furent, toujours ils seront profondément gravés dans nos cœurs. Toujours ils furent, toujours ils seront répétés dans notre conduite et dans nos actions, parce que nous sommes Français, parce que nous sommes chrétiens, parce que nous sommes les ministres d'un Dieu qui nous a appris que toute puissance vient de lui et que résister ou n'être pas soumis aux puissances dans les choses qu'elles ont droit de commander, c'est résister à l'ordre de la Providence, c'est troubler l'harmonie, c'est devenir coupable.

Ce sera de plus une jouissance pour nous si vous voulez bien, Messieurs, rendre publique la déclaration que nous venons de vous faire.

Nous taire dans la circonstance où nous nous trouvons, et nier les inculpations dont on nous charge, seraient un scandale pour nos concitoyens, pour nos frères. Il ne faut qu'être connu d'eux pour être assuré du retour de leur bienveillance.

Enfin nous prenons la liberté de vous demander acte de notre présente pétition et de vous supplier de la transmettre au Département. Nous osons, Messieurs, compter, sans réserve, sur vos bons offices, sur votre protection et sur votre justice.

Les prêtres détenus au Château de Brest :
Plessix. — Richaud. — Mével. — Lagadec. — Bernard. — Durans de Linois, prêtre de Saint-Louis de Brest. — Laot. — Gloaguen. — Brélivet. — nom illisible — Autret, eudiste. — Le Noanès, recteur de Saint-Melaine de Morlaix. — Moillard, capucin, aumônier des vaisseaux. — Troboul, curé ou vicaire de Pluguffan. — Jannou, recteur de Plozévet. — Le Mignon, prêtre de Crozon. — Le Breton. — Labous, prêtre de Saint-Louis de Brest. — Guezengard, curé ou vicaire de Pleyben. — Kerhervé. — Bozec. — Corrigou. — Le Rouzic, maître des cérémonies du Chapitre de Quimper. — Le Guellec. — de Leissègues. — nom illisible. — Quéméneur. — Roudot. — nom illisible. — Pelléteur. — Décourt. — Lannurien, prêtre de Saint-Martin de Morlaix, ancien jésuite. — Caulet. — Le Sec'h. — Morvan. — Meur. — Héliés, sous-diacre. — Le Clerc, prêtre de Ploaré. — Quiniquidec, curé ou vicaire de Saint-Ségal. — Boustouler. — Collet. — Bozec. — Rochedreux, curé ou vicaire de Guilers, en Mahalon. — Pellen. — Ballay, dominicain. — Kéruel, prêtre, secrétaire du Chapitre de Quimper. — Jourdren. — nom illisible. — Le Guillou-Penanros, ancien jésuite, aumônier du château du Bot. — Henry. — Briand. — Kernau, recteur de Plougonven. — Dominique Nouvel, prêtre récollet. — Gaillard, prêtre dominicain. — Denis. — Paul. — Le Men. — Thépault. — Bleuviec. — Boissière, ancien secrétaire de Monseigneur de Saint-Luc. — Le Guillou. — Légerville, directeur au seminaire de Quimper »
[Note : Nous avons reproduit la liste qui précède, telle que nous l'avons trouvée sur une vieille copie presque illisible : nous avons essayé de la compléter, en mettant après chaque nom le titre du signataire ; mais la similitude d'un grand nombre de ces noms qui peuvent s'appliquer à plusieurs prêtres nous a arrêté : nous avons craint de nous tromper. Nous avons, en vain, recherché aux archives de Quimper et de Brest la liste des prêtres renfermés au Château de Brest].

Il est à présumer que cette pétition fut envoyée sur le champ au Département et qu'elle fut cause que la municipalité Brestoise laissât passer le terme de huit jours, puisqu'elle ne se présenta que le vingt-quatre, pour connaître la détermination des prisonniers. Sans leur dire un mot de la pétition, les municipaux leur ordonnèrent de passer tous dans la même salle, et ils établirent des sentinelles pour interrompre toute communication de l'une à l'autre. Retirés dans un appartement voisin, les délégués de la ville appellent individuellement, et l'un après l'autre, chaque détenu qui est conduit à l'interrogatoire, et reconduit de même, mais dans la salle restée vide, entre un de ces délégués et un sergent de planton. Le Maire demandait à chacun s'il entendait, oui ou non, prêter le serment civique, et rien de plus. Le secrétaire inscrivait la réponse dans le procès-verbal, à la suite de chaque nom. L'appel nominal étant fini, et la communication rétablie entre les détenus, ceux-ci n'eurent qu'à se féliciter mutuellement de la grâce, que Dieu leur avait faite, de demeurer fermes dans leur foi et de l'avoir confessée, de rechef, devant les hommes. Leur joie cependant ne fut pas complète. Deux religieux dominicains qui, jusqu'à ce moment, n'avaient fait qu'un cœur et qu'une âme avec leurs compagnons de captivité, intimidés, sans doute, par les conséquences de leur premier refus du serment, eurent le malheur de le prêter alors et d'obtenir, à ce prix, leur élargissement. Malgré ce triomphe, les municipaux se retirèrent confus de n'avoir fait que deux apostats. Mais ce triomphe lui-même ne fut pas de longue durée : tombés, comme saint Pierre, par la crainte des châtiments humains, ces deux religieux, touchés par la grâce de leur divin Maître, comme le prince des apôtres, se, relevèrent presque immédiatement de leur chute, en rétractant leur serment : ils passèrent ensuite en Espagne.

Le 28 Juillet, un nouvel assaut fut tenté contre la fermeté des prêtres fidèles.

Plusieurs membres du District conjointement avec ceux de la municipalité se présentèrent, sans être attendus, dans les salles où se tenaient les captifs. Après leur avoir fait subir le même mode d'interrogatoire que quatre jours auparavant, ils procédèrent à un second scrutin, qui avait pour objet de connaître ceux qui opteraient pour la déportation ou pour l'arrestation permanente.

Prévoyant qu'on leur ferait infailliblement cette question, les intéressés en avaient préalablement conféré entre eux, mais ils étaient partagés entre trois avis. Le premier était pour la détention permanente; le second pour la déportation et le troisième, mitoyen, pour le refus d'opter entre deux peines, puisqu'on n'en méritait aucune. Nous ne rapporterons pas ici les puissants motifs sur lesquels on appuyait ces différents avis : il est facile de les apercevoir, et l'histoire de l'Église fournit des exemples qui légitiment également chacun d'eux. L'essentiel était de garder la foi, en toute occurrence, et de déjouer les complots des corps administratifs qui s'attendaient à une grande défection.

Voici quel fut le résultat de l'interrogatoire : le nombre de ceux qui optaient pour la déportation excédait de peu le nombre de ceux qui choisirent l'arrestation permanente. Un seuil ecclésiastique, du diocèse de Tréguier, perdit dans cette séance le fruit et le mérite d'un détention de sept mois, en faisant le serment, pour être rendu à la liberté.

Quelle liberté que celle qui s'achète au détriment de son devoir ! Cependant les avocats de Quimper, chargés de la procuration des détenus, présentèrent au Département, au nom de ces derniers, une pétition où, en dévoilant l'iniquité de la persécution, ils prouvaient, en même temps, d'après les décrets mêmes, l'injustice évidente et l'illégalité flagrante des peines infligées aux persécutés. Déposée au Département, le 31 Juillet, cette pétition y fut examinée le lendemain. Après quelques débats pour et contre, le Directoire déclara qu'il n'y avait pas lieu à délibérer et ordonna l'exécution de l'arrêté du premier Juillet. Cependant, pour pallier un peu ce déni de justice, il prit un second arrêté, portant que deux commissaires du Département se rendraient à Brest, pour entendre de nouveau les prisonniers, après quoi il serait statué définitivement sur leur sort.

Arrivés à Brest, le 3 Août, les commissaires se rendirent, le lendemain, au Château, et donnèrent aux détenus lecture du nouvel arrêté. Dans le préambule, on enchérissait tout d'abord sur toutes les couleurs sous lesquelles on avait dépeint précédemment les prêtres fidèles ; puis, changeant tout-à-coup de style et affectant une commisération plus injurieuse encore pour eux que les invectives et les calomnies, on ajoutait que le Département ne pouvait que plaindre leur entêtement et leur erreur... que la patrie, les regardant toujours comme ses enfants, allait encore faire une tentative pour leur offrir les moyens de rester dans son sein, etc... qu'au reste, s'ils persévéraient dans leur obstination, les commissaires feraient, sur-le-champ, toute diligence pour la déportation des uns et la constitution des autres en arrestation permanente.

Après cette lecture, les prisonniers reçurent l'ordre de passer tous dans la même salle. Il était alors trois heures de l'après-midi. Accompagnés de quelques membres du District et de la municipalité, les commissaires se transportèrent dans la salle qui venait d'être évacuée, où, s'étant assis devant une table, ils firent comparaître l'un après l'autre, chacun des patients ; un greffier écrivait leur réponse sur le procès-verbal. Cette séance, qui aurait pu être terminée en peu de temps, fut prolongée jusqu'à dix heures du soir, parce que les commissaires entraient en discussion avec les comparants, auxquels ils essayaient, par des argumentations sophistiques, d'arracher le serment. C'était pour les braves soldats de Jésus-Christ le jour décisif de la victoire ou de la défaite : c'était pour ces élus de la persécution, le jour qui allait éclairer leur persévérance ou leur lâche défection.

Dieu leur inspira à tous l'esprit de force et de conseil, si bien qu'après avoir tous, sans exception, et séparément refusé et rejeté le serment avec horreur, chacun fit sa déclaration pour la déportation ou pour l'arrestation permanente, les commissaires l'exigeant impérieusement. Il faut observer que, pendant l'interrogatoire, ceux-ci laissaient apercevoir qu'ils inclinaient plutôt pour la déportation, que pour l'arrestation permanente : cette conduite et ce que nous allons rapporter prouveront que le Département, tout en semblant donner l'option, ne le faisait guère que pour la forme, et dans le but de cacher son intention d'expatrier le plus grand nombre possible de prêtres détenus.

Le jeudi, neuf Août, les commissaires revinrent au Château, armés d'un nouvel arrêté du Département encore plus terrible et plus chargé de fiel que le dernier. « Il portait que les corps administratifs ne pouvant plus répondre de retenir la colère et la vengeance du peuple contre les prêtres renfermés au Château de Brest, — et pour les soustraire à une mort qui paraissait presque inévitable, le Département, révoquant l'option ci-devant accordée, avait statué qu'à l'exception des septuagénaires ou de ceux dont les infirmités auraient été constatées par la visite des médecins, tous seraient immédiatement déportés en Espagne ».

Les commissaires avaient prévenu les prisonniers qu'il leur serait défendu de porter sur eux aucune espèce d'or ou d'argent monnayé. C'était sans doute pour les consoler de cette privation qu'ils annoncèrent aussi que le Département accordait, par son dernier arrêté, une somme de trois cents livres en assignats à chacun des déportés, en forme d'indemnité. Poussant la plaisanterie jusqu'à la moquerie la plus amère, un de ces commissaires alla jusqu'à dire que ce papier national avait cours en Espagne et s'y changeait même à un taux avantageux.

Ce jour-là même, neuf Août, la liste de ceux qui devaient être déportés fut formée et fixée à soixante-douze : le nombre des septuagénaires et des infirmes reconnus et jugés tels ne monta qu'à dix-huit. On délivra à chacun des premiers 300 francs en assignats, et on leur annonça qu'ils partiraient, le douze.

Le dix. Août, à dix heures du soir, les prêtres convalescents qui étaient à l'hôpital furent conduits au Château, sous bonne escorte. C'est par eux que leurs confrères apprirent que les infirmes et les septuagénaires devaient être transportés par mer à la petite ville d'Audierne [Note : Petit port de mer situé dans le fameux raz de Seins, dont le passage est si périlleux], pour y être mis en état de détention permanente dans le couvent des capucins. En effet, le lendemain, onze, on embarqua pour cette destination quinze des infirmes : trois autres, étant assez dangereusement malades, restèrent à l'hôpital.

Le même jour, les soixante-douze prisonniers, condamnés à la déportation, voulurent, en prévision de leur prochain départ, se tracer un régime de vie. Ils savaient par expérience que la règle est la sauvegarde et l'entretien de la vie pieuse, — qui regulœ vivit, vivit Deo. Se trouvant seuls, après la prière du soir, ils commencèrent par se choisir un chef parmi eux. Bien qu'ils fussent de différents diocèses, ils se soumirent tous librement et volontairement à reconnaître pour leur chef, pendant le voyage, M. l'abbé de Silgay, l'un des vicaires capitulaires de Quimper. Puis, ils réglèrent entre eux l'ordre et la conduite à tenir, depuis la sortie du Château jusqu'au lieu de l'embarquement et durant la traversée.

Le lendemain, douze Août 1792, jour fixé pour leur départ, était un dimanche. Comme ils ne pouvaient avoir tous le bonheur de monter à l'autel, ce jour-là, ils entendirent, de très-grand matin, la messe qui fut célébrée par l'un d'eux dans une des salles. Le saint sacrifice achevé, ils récitèrent l'itinéraire des clercs : au moment où ils terminaient cette touchante prière, vers cinq heures, arrivent les deux commissaires du Département, avec plusieurs membres du district et de la municipalité, suivis d'un détachement de douze ou quinze hommes de la troupe de ligne. Les portes du Château étaient fermées, et le pont-levis dressé, afin que l'on ne put pas entrer du côté de la ville. L'ordre du départ est donné. Au lieu de conduire les prisonniers par la rue du Château où ils auraient, peut-être, été exposés aux insultes de la plèbe, on les fit passer par les cours, puis par l'esplanade de la batterie neuve, qui garde l'entrée du port. Leur maintien annonçait le calme et la tranquillité de leur âme, et Dieu, qui leur avait donné la force de tout abandonner pour son amour et pour sa gloire, leur accorda la grâce de n'être nullement effrayés, à la vue de l'Océan sur lequel on allait les jeter, à la vue de cet élément, si fécond en périls, et qui, pour cela même, en impose ordinairement à ceux qui n'y sont pas habitués.

Rendus au port, vis-à-vis du bâtiment sur lequel ils devaient s'embarquer, on leur ordonna de s'arrêter quelques instants. Alors, on procéda à l'appel nominal, et, lorsque chacun était appelé, il passait sur le navire, puis il descendait dans l'entrepont. Cette opération faite, et tout étant d'ailleurs disposé pour le départ, les administrateurs recommandèrent aux exilés de ne point paraître sur le pont jusqu'à la sortie du port, afin d'éviter les clameurs et les huées du peuple rassemblé sur le quai de Rocouvrance. Mais, chose étonnante ! à peine entendit-on, pendant l'embarquement, quelques voix proférer faiblement, contre les prêtres déportés, les injures ordinaires. Parmi les soldats de ligne qui les escortèrent jusqu'au port, comme parmi les personnes qui se rencontrèrent sur leur passage, on en remarqua plusieurs qui versaient des larmes. Ce silence, gardé d'un côté par cette populace qui s'était fait une habitude et une joie barbares d'insulter les prisonniers ; — ces larmes versées, de l'autre, par des cœurs compatissants, ne disaient-ils pas clairement l'iniquité de la mesure qui punissait, sans jugement, par la déportation des prêtres auxquels ou ne pouvait reprocher d'autre crime que leur fidélité à la sainte Église ?

Le capitaine du navire, le Jean-Jacques du Hâvre-de-Grâce, avait dit la veille aux prisonniers que son bâtiment jaugeait quatre-vingt-dix tonneaux : il en jaugeait réellement à peine quarante. Aussi, les déportés y furent-ils très-resserrés et très-gênés pendant le voyage. La plupart furent atteints du mal de mer et en souffrirent d'autant plus qu'ils pouvaient difficilement se mouvoir dans l'étroit espace où ils étaient littéralement pressés les uns contre les autres. Au bout de six jours de traversée, ils entrèrent dans le port de Ribadeo, après avoir couru les plus grands dangers dans une tempête qui s'éleva le 16, et fut si violente, le 17 et surtout le 18 au matin, que le capitaine et son équipage furent eux-mêmes effrayés.

Un des confesseurs de la foi, détenus au Château de Brest, composa, suivant l'usage du pays, une complainte où il fait le tableau des vexations et des privations auxquelles les prêtres fidèles furent en butte pendant leur captivité. Cette complainte, colportée par le mendiant des campagnes qui venait, le soir, frapper, au nom de son frère, Jésus-Christ , à la porte toujours ouverte du fermier bas-breton, était chantée par cet hôte du bon Dieu, ar paour kez, au milieu des soupirs et des larmes de l'auditoire catholique. On ne lira pas, sans émotion, ces couplets écrits sous les sombres voûtes d'un cachot, dans la vieille langue de l'Armorique, si propre à reproduire les accents de la tristesse et de l'affliction.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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