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VIE DE MONSEIGNEUR TOUSSAINT CONEN DE SAINT-LUC

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Monseigneur Toussaint Conen de Saint-Luc (Bretagne)

  

I.

Toussaint-François-Joseph Conen de Saint-Luc naquit à Rennes, en Bretagne, le 17 Juillet 1724. Ses parents lui inspirèrent, dès la plus tendre enfance, la crainte de Dieu et l'amour de la vertu, dont ils étaient eux-mêmes pénétrés. A l'âge de sept ans, il reçut la tonsure des mains de Monseigneur de Vaureal, son Évêque. Après avoir fait ses humanités au collège des Jésuites de Rennes et avoir été le modèle de ses condisciples par une conduite toujours régulière et édifiante, il fut envoyé à Paris, au séminaire de Saint-Sulpice, où son attrait pour la piété et son goût pour l'état ecclésiastique se fortifièrent de plus en plus. Il n'avait encore que le grade de bachelier [Note : Dans la suite on exigea de lui que, à défaut de la licence en théologie, il prit des grades en droit canonique, mais il s'en tint à celui de bachelier : et nous savons de personnes qui avaient sa confiance, que son motif pour ne pas aller plus loin fut la crainte de s'exposer, étant licencié, à la tentation de prétendre à des places qui eussent demandé ce grade, qu'il ne reçut qu'après sa nomination à l'Évêché de Quimper] en théologie, quand ses parents, craignant pour sa santé qui s'altérait notablement, le rappelèrent à Rennes, d'après l'avis des médecins de la capitale. Les soins qu'il trouva dans la maison paternelle, ou plutôt la Providence conserva à l'Église un sujet sur lequel elle avait des vues particulières et de prédilection. Élevé au sacerdoce, l'abbé de Saint-Lut se livra tout entier à tous les devoirs de son état, catéchisant, prêchant, confessant, visitant les hôpitaux, assistant les malheureux, n'ayant d'autre ambition que celle de se sauver en travaillant au salut des autres.

Cependant, à l'âge de 28 ans, il fut pourvu d'un canonicat dans l'église cathédrale de Rennes. Une résidence continuelle, la plus scrupuleuse exactitude à tous les offices : tel fut le plan de vie qu'il se proposa et qu'il observa rigoureusement, pendant 15 ans qu'il fut chanoine, partageant tout son temps entre le chœur et les mêmes bonnes œuvres dont il s'occupait auparavant. Il célébrait tous les jours le saint sacrifice de la Messe, à moins qu'il n'en fut empêché par quelque infirmité ; et cette pratique, il l'a retenue jusqu'à la fin de sa vie, ainsi que celle de s'y disposer comme s'il devait monter à l'autel pour la dernière fois. Aussi la dévotion tendre dont Dieu le favorisait, se manifestait-elle sensiblement au dehors par les larmes qu'il répandait souvent en offrant les saints mystères.

Nommé, en 1767, à l'abbaye de Langonnet, quelques instances qui lui fussent faites, même par Monseigneur Desnos, alors évêque de Rennes, pour qu'il gardât son canonicat, jamais il n'y voulut consentir, disant que les règles prescrites par le saint Concile de Trente devaient être observées ; mais il accepta avec reconnaissance le titre de chanoine honoraire que lui accorda le Chapitre ; et quoiqu'il n'y fut plus obligé, il assistait fréquemment à l'office public avec ses anciens confrères.

M. l'abbé de Saint-Luc ne regarda l'augmentation survenue dans sa fortune que comme une obligation qu'il contractait de verser de plus abondantes aumônes dans le sein des pauvres, et loin de penser que son titre d'abbé put l'affranchir des travaux du ministère, il continua de s'y livrer comme auparavant.

Ce serait peut-être ici le lieu de parler de ce qu'il eut à souffrir pendant les troubles de Bretagne, et de citer les traits héroïques de patience, de charité, de pardon des injures [Note : Un jour que nous l'accompagnions dans une rue de Rennes, on lui tira un coup de fusil, en plein midi. Nous nous rappelons parfaitement l'heure, la rue et la maison d'où le coup partit. M. l’abbé de Saint-Luc n'en reçut aucune atteinte, et il continua son chemin, comme s'il ne se fut aperçu de rien] et de tant d'autres vertus qu'il pratiqua dans un degré si sublime, que ceux-mêmes du parti, opposé à celui pour lequel il s'était déclaré, ne pouvaient lui refuser leur admiration et leur estime. Mais ne rappelons pas le souvenir de ces malheureuses divisions, et contentons-nous de dire qu'alors, comme depuis, il s'est toujours montré fidèle au roi et à son autorité.

II.

Le 1er Mai 1773, M. l'abbé de Saint-Luc fut nommé à l'Évêché de Quimper [Note : Il succéda à Monseigneur de Flamarens qui fut transféré à Périgneux. (Note de M. l'abbé Téphany)]. Il fallut user de violence pour l'engager à l'accepter, et nous pourrions en donner la preuve, en citant les personnages infiniment respectables, et dans l'épiscopat et dans le clergé du second ordre, qui furent employés pour lui persuader de se rendre à Paris : encore est-il certain qu’il partit dans l'intention de refuser. En effet, dès la première visite qu'il fit à Son Éminence, le Cardinal de la Roche-Aimond, il le supplia de faire agréer au roi ses excuses et son refus. Le Cardinal, sans lui donner le temps de s'expliquer, lui répondit, avec un ton et un air qui manifestaient clairement combien il s'applaudissait de son choix, qu'il fallait obéir et que tel était l'ordre de Dieu, comme celui du roi. « Au moins, répliqua M. l'abbé de Saint-Luc, Votre Éminence voudra bien accepter ma démission de l'abbaye de Langonnet ». — « Pas davantage, reprit Son Éminence ; j'ai été trompé sur la valeur du siége de Quimper, qui est grevé d'une pension de mille écus quitte. Si vous n'aviez pas une abbaye, le roi vous en donnerait une ».

Cependant cette pluralité de bénéfices inquiétait M. l'abbé de Saint-Luc, et il voulait absolument remettre ou son abbaye ou l'évêché. Enfin M. de Beaumont, Archevêque de Paris, quelques autres Évêques et d'anciens amis qu'il avait parmi les directeurs du séminaire de Saint-Sulpice vinrent à bout de l'engager à garder l'abbaye, au moins pour quelque temps.

Le nouvel Évêque de Quimper étant venu prendre possession, au mois de Septembre 1773, reconnut par lui-même l'insuffisance de la dotation de son siège, mais il ne renonça pas pour cela au désir qu'il avait de n'avoir qu'un seul bénéfice.

Il retourna à Paris, dès le mois d'Octobre ou de Novembre de la même année, résolu de solliciter l'union de l'abbaye de Langonnet à l'évêché, et en même temps des secours pour son église cathédrale qui était très pauvre. Le peu de succès qu'il eut alors ne le rebuta point. De retour à Quimper, il renouvela continuellement ses instances, jusqu'à ce qu'enfin il obtint, sous le ministère de M. de Marbœuf, en 1781, l'abbaye de Landévennec pour être unie à son siège. Alors il envoya par deux fois sa démission de celle de Langonnet, et le Ministre de la feuille la lui renvoya autant de fois, lui enjoignant d'attendre que l'union fut consommée, vu les frais considérables qu'elle lui occasionnerait. Il fallut donc encore obéir ; mais Monseigneur l'Évêque fut fidèle à se démettre, aussitôt que les formalités furent remplies ; et l'un des moments les plus délicieux qu'il ait jamais éprouvés fut celui où il se vit libre de la pluralité de bénéfices.

III.

Nous allons maintenant parcourir rapidement sa vie publique et privée, pendant les dix-sept années de son épiscopat, et continuer à raconter une partie de ce dont nous avons eu le bonheur d'être témoin oculaire.

Monseigneur l'Évêque de Quimper mit constamment un soin particulier à connaître le troupeau qui lui était confié, et à s'en faire connaître par l'accomplissement de toutes les obligations que lui imposait sa charge. Il visita régulièrement, chaque année, tout son diocèse, si l'on en excepte la première où il séjourna à Paris (comme nous l'avons dit) pour des raisons essentielles, et l'année 1789 où il essuya une maladie aussi longue que dangereuse : encore se fit-il mi devoir de se faire remplacer par ses vicaires généraux.

Ses visites étaient toujours précédées d'une lettre pastorale remplie des plus salutaires instructions pour le clergé et le peuple. En arrivant dans la paroisse qu'il devait visiter, sa coutume était d'aller d'abord adorer le Saint Sacrement dans l'église. Le lendemain matin, il disait ordinairement lui-même la messe de la visite, à moins que, pour raison de santé, comme il arriva les dernières années, il ne la célébrât auparavant ; afin de pouvoir prendre quelque aliment. Après la messe, il assemblait le clergé à la sacristie et lui parlait pendant une demi-heure ou trois-quarts d'heure, tantôt sur les devoirs de l'état ecclésiastique, tantôt sur les abus qu'il avait remarqués ; et ses discours, nourris de l'Écriture-Sainte et des Saints-Pères et toujours accompagnés de la plus grande onction, parlaient puissamment aux cœurs et inspiraient à tous l'amour de la vertu et de la perfection. Au moment de conférer le sacrement de Confirmation, il parlait également au peuple et aux enfants ; et la seule voix du pasteur faisait impression, avant même qu'un des ecclésiastiques de sa suite eut répété, en langue bretonne, ce qu'il avait dit en français, ne sachant pas l'idiome du pays. S'il survenait un baptême pendant que le prélat était sur les lieux, c'était pour lui une satisfaction de l'administrer. Il distribuait lui-même des croix, des chapelets et autres récompenses aux enfants qu'on lui présentait comme les mieux instruits de leur religion ; et sans oublier les pauvres, ou il leur faisait l'aumône par ses propres mains, ou il remettait à Messieurs les recteurs ce que la modicité de ses ressources lui permettait de donner en chaque endroit. Nous passerions les bornes d'un abrégé, si nous voulions rapporter en détail tout le bien qui résultait de ces visites assidues, soit pour la correction des mœurs, l'extirpation des abus et la digne fréquentation des sacrements, soit pour le maintien de la discipline ecclésiastique et pour l'encouragement du clergé dans l'exercice du saint ministère.

IV.

Attentif à pourvoir aux besoins spirituels de son peuple, il tâchait de lui procurer le nombre suffisant de ministres, et afin, comme il le disait, de perpétuer la race sacerdotale, il s'informait auprès de Messieurs les recteurs s'ils n'avaient pas dans leurs paroisses de jeunes enfants qui annonçassent de bonnes dispositions pour l'étude, et dont les parents fussent hors d'état de pourvoir à leur entretien au collège ; dans ce cas, il se chargeait d'y faire face en tout ou en partie. Par le même motif il encourageait de tout son pouvoir Messieurs les prêtres à faire les petites écoles, et souvent, quand il avait à nommer des pasteurs, les services rendus en ce genre par les ecclésiastiques influaient beaucoup sur son choix.

Afin d'éviter les importunités et les sollicitations trop communes lors de la vacance des cures, Monseigneur l'Évêque de Quimper avait fait connaître, dès les premiers moments de son entrée dans son diocèse, qu'il était décidé à ne les donner qu'aux sujets qu'il croirait devant Dieu en être les plus dignes, et il eut constamment présente à la pensée cette maxime de saint Bernard : Qui petit pro alio, sit tibi suspectus ; qui pro se petit, jàm judicatus est. — Celui qui demande pour autrui doit vous être suspect ; quant à celui qui demande pour lui-même, il est déjà jugé. Une liste exacte de tous les ecclésiastiques et de leurs mérites respectifs qu'il avait été à même de reconnaître dans le cours de ses visites, lui facilitait les moyens de suivre dans les nominations les règles prescrites par les saints Canons ; et pour ne rien négliger sur un point de cette importance, il ne manquait jamais de communiquer à quelques amis de confiance, des lumières et de la droiture desquels il était bien assuré, le choix qu'il se proposait de faire, et d'examiner avec eux les motifs qui le déterminaient. Si, malgré le soin qu'il mettait à pourvoir de nouveaux pasteurs, dans le plus court délai, les paroisses qui en étaient privées, il arrivait quelquefois que des personnes puissantes eussent le temps de lui écrire ou de lui parler en faveur de leurs protégés, il répondait avec honnêteté et fermeté tout ensemble que, devant rendre un compte rigoureux au Chef des pasteurs du choix qu'il ferait de ceux de son diocèse, il ne pourrait prendre sur cet objet d'autre engagement que celui qui lui serait prescrit par sa conscience, sans écouter la voix du sang ou de l'amitié. Dans d'autres circonstances, il représentait qu'il ne concevait pas comment les gens du monde ne remarquaient pas qu'en sollicitant un Évêque pour un sujet, c'était lui faire une espèce d'injure, puisqu'on lui disait équivalemment, par une telle conduite, qu'il ne connaissait pas les ecclésiastiques propres pour telle ou telle paroisse : si on le pressait, en lui alléguant que celui pour lequel on s'intéressait était un sujet recommandable par sa science et sa piété, il répliquait, sans entrer en discussion, qu'il n'en disconvenait pas ; mais en même temps, il demandait à son tour aux protecteurs s'ils connaissaient tous les bons sujets du diocèse, et s'ils étaient bien assurés qu'il n'y en eut pas d'autres plus méritants que celui qu'on lui proposait.

« Je suis, disait-il, en d'autres occasions, placé au haut du clocher, et je puis tout découvrir d'un coup d'œil. Mais vous qui êtes au bas, vous ne pouvez voir que ce qui vous environne. Vous vous bornez à solliciter en faveur de tel et tel, parce que vous leur voulez du bien, et vous oubliez que je dois en vouloir également à tous, sans autre distinction que celle qui m'est imposée par les besoins des paroisses auxquelles il m'incombe de préposer ceux que je juge en être dignes ». C'est à cette vigilance extrême que Monseigneur l'Évêque apportait dans la distribution des cures qu'on doit attribuer la réputation bien méritée, dans laquelle s'est conservé le diocèse de Quimper, d'avoir un corps pastoral qui ne le cédait en rien à ceux des diocèses les mieux composés.

Les conférences ecclésiastiques sur le dogme et la morale, auxquelles il ajouta celles sur l'Écriture-Sainte, les retraites annuelles pour le clergé dans les deux séminaires de son diocèse, et l'instruction des peuples, surtout par les prônes et les catéchismes, étaient les trois objets qu'il recommandait particulièrement, et sur lesquels il veillait sans cesse : il entretenait ainsi le goùt de l'étude, la science et la perfection chez les prêtres, et il éclairait et encourageait la religion et la piété des fidèles.

Affable envers tout le monde, sa porte était ouverte aux pauvres comme aux riches, et quoique l'on voulut souvent l'engager à fixer des heures d'audience, jamais il ne consentit à établir cette étiquette dans sa maison, préférant être détourné de ses occupations, plutôt que de faire attendre ceux qui avaient affaire à lui, ou de les forcer à revenir dans d'autres moments. Il écoutait avec patience et intérêt tout ce qu'on voulait lui dire, se faisant tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ ; il avait le talent précieux d'assaisonner toujours la conversation de quelques paroles édifiantes et propres à porter à la vertu.

Son attachement et son affection pour l'excellent clergé de son diocèse allaient jusqu'à le mettre de niveau avec lui, et à le faire se regarder plutôt comme ami et comme égal que comme supérieur de ses chers coopérateurs. S'il était quelquefois obligé d'user de sévérité contre quelques ecclésiastiques, il était facile de s'apercevoir qu'il le faisait à regret et uniquement pour le bien et la correction de ceux qu'il punissait.

Humble souvent jusqu'à l'excès, il recevait avec reconnaissance les représentations et les conseils ; et continuellement en défiance contre ses propres lumières, il ne faisait ordinairement rien d'important, sans consulter ceux qu'il jugeait être capables de l'aider dans les difficultés qui se rencontraient, et dans tout ce qui avait rapport à son gouvernement.

A tant de grandes qualités et de vertus, Monseigneur l'Évêque de Quimper joignait le zèle le plus ardent pour la gloire de la maison de Dieu, pour la décence et la majesté du culte. Il eut la satisfaction, pendant son épiscopat, de voir rebâtir à neuf ou réparer un très-grand nombre d'églises, et d'obtenir de la piété des pasteurs et du peuple qu'elles fussent toutes pourvues d'ornements, de vases sacrés et de linges convenables.

Son âme naturellement compâtissante lui faisait sentir vivement les besoins des malheureux, surtout des pauvres honteux, et il les soulageait avec un plaisir et un empressement admirables. Afin de se ménager des ressources, il n'admit jamais soit dans ses meubles, soit dans ses habillements, soit dans le train de sa maison rien de ce qui pouvait ressembler à du luxe, rien même de ce que l'usage reçu pouvait autoriser, au point qu'il n'avait ni carosse, ni chevaux, et que, pour les visites de son diocèse, il se servait d'une litière et de chevaux de louage. Mais cette économie, si louable dans son principe et si utile dans ses effets, ne l'empêchait pas, dans les occasions où les devoirs de sa position l'exigeaient, de recevoir avec une sorte de magnificence les personnes de distinction qui passaient par Quimper [Note : Quimper se trouvant sur la route de Lorient à Brest, les plus grands seigneurs de la cour et des provinces avaient occasion d'y passer fort souvent. Monseigneur le Comte d'Artois témoigna, la plus grande satisfaction de la réception que lui fit Monseigneur l'Evêque. Les commandants, les intendants de la province, les inspecteurs généraux des troupes, etc. tous lui ont constamment rendu le même témoignage] : il disait qu'un Évêque doit donner l'hospitalité et se régler, en la donnant, sur le rang de ceux auxquels il l'offre.

V.

Nous avons déjà dit que Monseigneur de Saint-Luc, n'étant encore que chanoine ou abbé, avait poussé au plus sublime degré le pardon des injures ; mais la dignité épiscopale parut encore rehausser l'éclat et perfectionner de plus en plus en lui la pratique de cette vertu. Quiconque a connu Monseigneur l'Évêque de Quimper et les circonstances dans lesquelles il fut élevé sur ce siège, rendra justice à ce que nous avançons ; il conviendra que, s'il est peu de prélats qui aient eu à essuyer plus de tracasseries, plus de mauvais procédés et d'outrages de la part de personnes de toutes conditions et de tout état, il en est peu aussi qui aient montré plus de patience, plus de douceur, plus de charité envers leurs ennemis, plus d'empressement à les gagner par des manières contraires et à vaincre, le mal par le bien. Aussi, bien des gens se plaignaient quelquefois de ce qu'il témoignait plus d'attention et de déférence pour ceux qui l'avaient offensé que pour ceux qui lui étaient sincèrement attachés, et qu'il suffisait d'avoir eu des torts vis-à-vis de lui, pour prétendre plus sûrement à des bienfaits et à des grâces particulières de sa part.

Nous pourrions rapporter ici, en ce genre, un nombre infini de traits honorables à la mémoire de Monseigneur de Quimper ; mais la prudence et la circonspection nous imposent un silence profond sur des évènements encore trop récents et trop désavantageux à plusieurs personnes dont quelques-unes existent encore : cependant, il en est deux que nous ne craignons pas de citer, parce qu'ils ont eu dans le temps la plus grande publicité.

Monseigneur l'Évêque de Quimper avait appelé, en 1776, dans la ville épiscopale environ quarante ecclésiastiques de son diocèse, distingués par leur science, leurs talents et leurs vertus, pour donner le jubilé en forme de mission. Parmi les sujets importants et locaux sur lesquels on proposa de parler et d'instruire le peuple, on mit la franc-maçonnerie qui faisait dans plus d'une classe de citoyens les progrès les plus déplorables. Des émissaires de cette secte obscure et dangereuse séduisaient même les gens du peuple et de la campagne par la promesse de les enrichir, moyennant qu'ils payassent, en s'enrôlant, une certaine somme dont on leur donnait quittance.

Monseigneur l'Évêque avait la preuve écrite de ces malversations ; et par ailleurs le scandale et les dommages qui résultaient, pour la religion et les mœurs, des assemblées clandestines de la loge, n'étaient que trop notoires. Mais comme les principaux chefs tenaient dans la ville un rang et une autorité qui les rendaient redoutables, il y avait des risques évidents à courir, en attaquant ouvertement la secte. Monseigneur déclara donc aux missionnaires que, comme premieur pasteur, c'était à lui de s'exposer d'abord ; et après y avoir bien pensé devant Dieu, et pris l'avis de ses coopérateurs, il fut décidé qu'il devenait d'autant plus nécessaire d'élever la voix que les francs-maçons ne dissimulaient pas qu'ils étaient persuadés qu'on ne l'oserait point faire. Le prélat monta donc en chaire, et en présence d'un peuple immense et des francs-maçons mêmes qui étaient venus en assez grand nombre grossir l'auditoire, il attaqua la secte et dans ses principes et dans ses conséquences. Il dévoila une partie de ses turpitudes ; il montra qu'elle était opposée aux lois de l'État comme à celles de l'Église : en un mot il fit valoir, avec un zèle vraiment apostolique, toutes les raisons et tous les motifs qui devaient éloigner de ces assemblées tout bon chrétien, comme tout bon citoyen et tout sujet fidèle.

Ce discours fit une sensation étonnante. Cependant les francs-maçons dissimulant leur dépit et leur mauvaise volonté se contentèrent de faire prévenir le prélat que si l’on revenait à traiter cette matière, comme il l'avait annoncé, on le dénoncerait au tribunal. Monseigneur l'Évêque, sans s'effrayer de semblables menaces, résolut de porter à la secte un dernier coup, la veille de la clôture de la mission. A cet effet, il monta une seconde fois en chaire, et il s'expliqua avec une nouvelle force. En rentrant chez lui, il trouva dans le vestibule de sa maison une assignation qu'on y avait jetée, sans parler à aucun de ses gens ; elle lui enjoignait de comparaitre le lendemain devant le lieutenant criminel, pour déposer, comme témoin sur un sermon prêché le jour d'hier dans la Cathédrale, circonstances, dépendances. Monseigneur l'Évêque fit signifier au procureur du Roi un déclinatoire : réplique de celui-ci et nouvelle assignation… Monseigneur comparaît au tribunal où l'on entendait déjà d'autres témoins, choisis pour la plupart et propres à entrer dans le projet formé de lui susciter une affaire sérieuse. Le lieutenant criminel lui fait donner lecture de la plainte. Monseigneur l'Évêque voit qu'il est question de son sermon, et qu'on cherchait à donner à ce qu'il avait dit une interprétation et une tournure dignes de la chicane la plus raffinée et la plus méchante. Alors il prend lui-même la plume, et pour prévenir toute surprise et les effets de la mauvaise foi, il rédige sa déposition en ces termes.... a déclaré qu'il n'a comparu ici que pour obéir à la justice et pour donner à ses diocésains l'exemple qu'il leur doit en tout genre, mais que dès qu'il est question d'un sermon par lui prêché, il n'a rien à déposer, ne devant compte de sa doctrine qu'à Dieu et à ses supérieurs ecclésiastiques, protestant, etc… [Note : On pourra lire, à la fin de la première partie de notre étude, le résumé du discours de Mgr de Saint-Luc, écrit de sa main, pour se défendre devant le Présidial. (Note de M. l'abbé Téphany)].

Cependant Monseigneur l'Évêque, pour satisfaire à ce qu'il devait à la religion et à sa dignité, crut devoir instruire M. le Garde des sceaux et MM. les agents du clergé de ce qui se passait. Le premier ordonna au Présidial de Quimper de lui envoyer la procédure, et peu de temps après il écrivit au prélat, pour lui donner avis qu'il avait mandé, de la part du roi, à la suite du conseil, le lieutenant criminel et le procureur du roi. Monseigneur l'Évêque, qui était alors en cours de visite, s'empresse de répondre à M. le Garde des sceaux et de le supplier, avec les plus vives instances, de renvoyer les deux magistrats à leurs fonctions. Mais malgré les puissantes raisons qu'il alléguait au Ministre de la justice, on les retint plusieurs mois à Paris. Depuis cette époque jusqu'à sa mort, Monseigneur l'Évêque a mis tout en œuvre pour leur prouver combien il était éloigné de conserver le souvenir de leur conduite vis-à-vis de lui, les prévenant en tout, leur marquant même, dans les occasions, des attentions distinguées et leur rendant tous les services qui dépendaient de lui.

VI.

Tandis que le Ministre de la justice agissait de son côté et punissait ceux qui avaient si publiquement outragé le prélat, Mgr le Cardinal de la Roche-Aymond, Ministre de la feuille des bénéfices, instruit des persécutions et des désagréments qu'il éprouvait, le fit nommer, sans l'en prévenir, à l'Évêché de Saint-Flour, et en le lui annonçant, il lui fit envisager les avantages qu'il trouverait, pour sa tranquillité, dans cette translation. Monseigneur l'Évêque, en remerciant le Cardinal de la Roche-Aymond de sa bonne volonté, lui dit entre autres choses, que son Éminence avait déjà à se reprocher devant Dieu de l'avoir placé sur le siège de Quimper, mais que, puisque la Providence l'avait ainsi permis, jamais il ne quitterait sa première épouse ; que la crainte des persécutions et les persécutions elles-mêmes n'avaient pas paru à saint François de Sales et à tant d'autres grands Évêques un motif suffisant pour changer d'évêché, et qu'il était décidé à les imiter, au moins en cela ; qu'en conséquence il le priait de faire agréer au roi sa profonde reconnaissance et son refus formel... ; qu'au reste il espérait, avec la grâce de Dieu, gagner par ses bons procédés celles de ses ouailles, qui s'étaient écartées des sentiments qu'elles devaient à leur pasteur, etc.

Le Cardinal ayant montré cette lettre au roi, sa Majesté voulut bien agréer le refus de Monseigneur l'Évêque de Quimper, et ordonner qu'on reportât la pension de mille écus dont, son siège était grevé sur celui de Saint-Flour.

L'année suivante, Monseigneur de Saint-Luc eut encore à souffrir des insultes bien graves de la part du Sénéchal du Présidial de Quimper [Note : Ce magistrat était jeune alors. On ne doit pas oublier qu'il a rendu plus tard, de grands services aux émigrés bretons, dans un temps où il y avait du courage à les défendre. (Note de M. l'abbé Téphany)]. Le prélat, pendant qu'il rebâtissait le palais épiscopal, s'était logé dans une maison voisine et très-peu spacieuse, où il eut l'honneur de recevoir Monseigneur le Comte d'Artois. Il avait fait prier le Présidial d'attendre, dans le parloir d'une communauté qui était vis-à-vis, l'arrivée du prince. Ayant su que quelques chanoines étaient dans l'intérieur de la maison de l'Évêque, le Présidial voulut y entrer également et se présenta au bas de l'escalier. Monseigneur l'Évêque descendit, afin de remontrer à ces Messieurs que toute sa maison était occupée pour le service du prince, les tables dressées etc. Alors le Sénéchal, transporté de colère et apostrophant le prélat avec la dernière insolence, en présence d'une multitude de peuple, lui dit : Sachez, Monseigneur, que vous n'êtes point aujourd'hui chez vous ; vous avez manqué au Présidial, et dans toutes les occasions, telle a été votre conduite : je suis bien aise de vous donner cette leçon publique ; et, à l'instant, il repousse Monseigneur l'Évêque, et monte l'escalier suivi des autres magistrats. Monseigneur se contente de répondre avec douceur : Ceci, Monsieur, est bien fort, et se retire. Cette scène venait de se passer, quand arrive un des officiers des gardes du prince, chargé de le précéder pour donner les ordres nécessaires. Il rencontre le Présidial dans le salon où était dressé la table, et dit avec honnêteté : « Vous ignorez sûrement, Messieurs, l'étiquette de la cour, et que les gens de robe ne peuvent se présenter sans permission préalable. Je vous prie de laisser ce salon libre… ». Le Présidial sort et va au jardin. Le prince ne le reçut qu'au moment où il allait se remettre en voiture, après son souper, et l'accueil ne fut pas tel que les magistrats s'en étaient flattés.

Averti que ces derniers avaient été assemblés, une partie de la nuit, pour verbaliser contre lui et porter des plaintes à M. le Garde des sceaux, Monseigneur jugea qu'il convenait de mander à son Excellence le véritable état des choses : et en même temps il écrivit à l'officier des gardes du prince, pour le prier d'en rendre témoignage au Ministre de la justice, à son retour à la cour ou même avant.

Au bout de quelque temps, le Sénéchal reçut ordre de venir rendre compte de sa conduite. Nous ne nous rappelons pas bien positivement si Monseigneur de Saint-Luc écrivit à M. le Garde des sceaux pour l'engager ne pas retenir ce magistrat ; mais nous attestons que le charitable prélat, non content de lui pardonner, l'a depuis invité plusieurs fois à manger à sa table, surtout quand il avait chez lui des personnes de distinction : outre cela, il lui a donné dans différentes circonstances des preuves d'un oubli total du passé, par exemple en nommant un de ses frères successivement à deux cures de choix.

Peut-être trouvera-t-on que nous nous sommes un peu trop étendu sur les deux traits que nous venons de rapporter ; mais le lecteur attentif y découvrira d'autres objets, dont nous n'avons pas cru devoir faire un article séparé et qui font également honneur à la mémoire du prélat.

VII.

Que n'aurions-nous pas à dire, si nous voulions suivre notre Évêque, pas à pas, dans sa vie privée ? Nous n'exagérons rien, en assurant qu'elle était une édification continuelle pour les peuples confiés à ses soins, et qu'il ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer à leur salut. C'était pour lui une satisfaction sensible de donner lui-même la première communion aux enfants de la ville, et même à ceux des paroisses de la campagne, quand l'occasion se présentait de la donner à ceux-ci dans le cours de ses visites. Dans cette auguste cérémonie, il ne se bornait pas à leur distribuer le pain des anges ; il la commençait et la terminait toujours par des discours pathétiques et proportionnés à la capacité de ceux à qui il parlait. Si on venait l'avertir qu'il y avait dans la ville des malades qui n'avaient pas reçu le sacrement de confirmation, il quittait tout à l'instant et se rendait auprès d'eux pour le leur administrer, laissant d'abondantes aumônes pour le soulagement corporel de ceux qui étaient dans le besoin.

Outre qu'il se faisait un devoir rigoureux d'officier dans son église cathédrale, tous les jours de fêtes pontificales de l'année, à moins qu'il n'en fût empêché par quelque indisposition, ou qu'il ne se trouvât en cours de visite, il y célébrait la messe basse, tous les dimanches et fêtes, à l'autel du Saint-Sacrement. Après avoir donné la communion à ceux qui se présentaient, il assistait à la grand'messe du chœur, et, autant qu'il le pouvait, il assistait, l'après-midi, aux vêpres et au sermon, quand il y en avait, surtout pendant le Carême et l'Avent.

Quant aux ordinations, il les faisait exactement ; il se préparait, pour cette fonction redoutable, par un redoublement de recueillement et de ferveur. Le jour même de l'ordination, il rassemblait après dîner, dans une des salles de son palais, tous les nouveaux prêtres, et après leur avoir adressé une exhortation familière sur les devoirs de leur état, il assignait à chacun d'eux la paroisse ou le poste auquel il le destinait, lui donnait tous les avis analogues à sa mission et le baiser de paix, lui recommandant d'être fidèle à pratiquer le règlement de vie qu'il avait rédigé et dont chaque ordinand prenait une copie pendant la retraite qui précédait l'ordination. Afin de leur témoigner de plus en plus la tendre affection qu'il leur portait, il leur distribuait à tous quelque livre propre à les entretenir dans le goût de la piété et de l'étude.

Pour ce qui regarde la résidence, on peut dire qu'il l'a observée avec la plus scrupuleuse exactitude, depuis son retour de Paris, en 1774, jusqu'à sa mort ; jamais il n'est sorti de son diocèse, sinon pour assister, tous les deux ans, aux États de la province.

Nous commencerons le récit de la vie privée de Monseigneur Conen de Saint- Luc par les exercices de piété qu'il pratiquait journellement, afin de se soutenir et d'avancer de plus en plus dans le chemin de la vertu. Toujours levé de grand matin, en hiver comme en été, il passait un temps considérable dans la prière et l'oraison. C'est là qu'il puisait cette dévotion tendre et sensible, ce goût décidé pour toutes les choses de Dieu, cette onction qu'il répandait dans presque toutes ses conversations, cette facilité avec laquelle il s'exprimait sur tout ce qui avait rapport à la vie spirituelle. Lorsque ses occupations ne lui permettaient pas de faire, au sortir de l'oraison mentale, une lecture réfléchie, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, jamais il ne manquait d'y vaquer, dans un autre moment de la journée, quelques affaires qui lui survinssent. S'il ne pouvait pas toujours réciter l'office divin à des heures réglées, au moins avait-il soin de n'en pas renverser l'ordre, en renvoyant à l'après-midi les petites heures. Toujours, après les vêpres, il disait les matines pour le lendemain, et ordinairement avec son aumônier et son secrétaire. « J'aime beaucoup, disait-il quelquefois, à réciter le bréviaire avec d'autres, parce qu'au moins il y en a une partie de bien récitée ». Il voulait faire entendre par là qu'il ne s'acquittait pas de cette obligation, comme il convenait ; mais la vérité est que sa manière affectueuse de prier inspirait de la dévotion à ceux qui avaient le bonheur de le faire avec lui.

Rien ne pouvait le détourner d'offrir, tous les jours, le saint sacrifice de la messe, et d'employer à sa préparation et à son action de grâces un temps assez considérable, qu'il savait cependant abréger suivant les circonstances. Une heure ou une heure un quart entre ces exercices et la célébration de la messe était sa règle ordinaire, et celle qu'il conseillait à son clergé, d'après tous les auteurs qui ont écrit sur les saints mystères.

Tous les soirs, après souper, [Note : C'est-à-dire après le souper des personnes de sa maison, car il ne faisait jamais qu'un repas ; le soir, il prenait seulement un verre d'eau froide ou de limonade] il descendait à l'église cathédrale par un escalier, qui y conduisait directement, sans qu'il fût nécessaire de sortir hors du palais.

Là, accompagné seulement d'un domestique, il passait une demi-heure ou trois-quarts d'heure devant l'autel du Saint-Sacrement, en méditation et eu prières pour ses propres besoins et ceux de son troupeau, et quelque dure que fût la saison, il ne s'abstint jamais de cette excellente pratique qu'il appelait son pèlerinage.

De retour de l'église, il rassemblait dans sa chambre les personnes de sa maison qu'il faisait asseoir autour de lui. Alors il leur faisait lui-même une lecture de piété, ou quelquefois une instruction familière, qu'il terminait par la prière en commun, et ensuite chacun se retirait en silence.

Il passait souvent une partie des nuits dans son église cathédrale, devant le très Saint-Sacrement.

Une fois, qu'il était sorti seul de son palais, après le coucher de tous les gens de sa maison, il se rendit dans une chapelle de dévotion dédiée à la Sainte Vierge, et située au pied de la montagne qui domine la ville de Quimper. — (Cette chapelle détruite par les révolutionnaires s'appelait Le Piniti.) - Le saint prélat fût aperçu revenant à l'Évêché, avant le jour, les pieds nus et la corde au cou : il venait de s'offrir en sacrifice pour son troupeau.

De pieux fidèles et les prêtres qui habitaient le palais épiscopal l'ont surpris, plusieurs fois, au milieu de la nuit, prosterné sur le marchepied du maître-autel de sa cathédrale, qu'il arrosait de ses larmes.... Il priait pour la conversion de ses pauvres diocésains égarés.., il pleurait sur les malheurs de son pays : il priait Dieu de les écarter loin de lui. Pour obtenir ce qu'il demandait, il s'offrait lui-même en victime pour son peuple ; il joignait la mortification à la prière, se rappelant que le Seigneur exauce surtout l'oraison qu'accompagne la pénitence corporelle. — Bona est oratio cum jejunio, disait l'ange Raphaël aux deux Tobie.

Nous ne rendrions qu'un compte bien imparfait de tout ce que faisait ce digne et saint prélat pour se sanctifier, si nous nous ne arrêtions, quelques moments, à parler de la dévotion tendre et solide qu'il avait envers la très-sainte Vierge. Il la regardait, à l'exemple de tous les saints, comme sa bonne mère, et il s'adressait continuellement à elle avec toute la confiance d'un fils. Outre le chapelet qu'il récitait, tous les jours, il s'était imposé différentes pratiques propres à attirer sur lui la protection de la Reine du ciel, et il tâchait dans toutes les occasions de les inspirer aux autres.

Après la dévotion qu'il conserva, toute sa vie, pour le divin Cœur de Jésus, celle du Sacré-Cœur de Marie lui était la plus chère et la plus familière. Plusieurs gravures des ces divins Cœurs, placées dans différents endroits de sa chambre et surtout dans son oratoire, lui rappelaient sans cesse ce qu'ils avaient fait pour le salut des hommes, l'amour qu'ils leur portent et celui que nous devons avoir pour eux. Il gémissait amèrement sur l'audace et l'aveuglement des hérétiques du dernier siècle, qui blasphémaient sur une dévotion autorisée par le Saint-Siège, et qui était en particulier celle de toute l'Eglise de France où elle était établie dans tous les diocèses par une fête particulière en l'honneur du Sacré-Cœur de Jésus, et dans différentes congrégations érigées en l'honneur du Cœur de Marie.

Ce fut pour lui une gloire et un triomphe, quand un journaliste janséniste publia dans une de ses feuilles, avec un air de mépris et de dérision, qu'il était cordicole, et que sa chambre était remplie d'estampes des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie.

Monseigneur l'Évêque de Quimper mettait un soin tout particulier à la stricte exécution de la loi du diocèse qui obligeait tous les ecclésiastiques, curés ou non, à faire, chaque année, dans l'un des deux séminaires, une retraite spirituelle. Il était trop convaincu des avantages et de la nécessité de ce saint exercice pour ne pas en donner l'exemple. Ayant reconnu, dans une retraite à laquelle il vaqua avec ses prêtres au séminaire de Quimper, qu'il lui était bien difficile de s'occuper uniquement de lui-même, tandis qu'il était réuni avec eux, il se vit contraint de prendre d'autres moyens pour se recueillir et se renouveler dans la ferveur de son état. Ces moyens, dont tous les membres de son clergé avaient connaissance, ne faisaient pas moins d'impression que s'il avait été présent au milieu d'eux. Tous les deux ans, soit en allant, soit en revenant des États de la province, il se retirait à la Chartreuse d'Auray où il passait dix ou douze jours dans la méditation des années éternelles. La pensée de la mort qu'il avait toujours présente ; une revue sérieuse et refléchie des fautes qu'il avait commises depuis sa dernière retraite ; son plus ou moins de fidélité dans l'exécution des résolutions qu'il y avait prises ; le renouvellement de ces mêmes résolutions, auxquelles il en ajoutait d'autres, suivant qu'il les croyait plus propres à son avancement spirituel : telle était son occupation dans cette profonde solitude, dont il ne sortait qu'à regret, laissant les saints cénobites qui l'habitaient édifiés de ses vertus, ainsi qu'il avait été lui-même animé par leurs exemples.

Aussi éloigné du rigorisme que du relâchement, et rmpli de l'esprit de saint François de Sales, auquel il avait une devotion particulière, il regardait la vie unie et régulière comme le moyen le plus sûr pour parvenir à la perfection, répétant souvent, d'après ce grand maître : qu'une fidélité constante et soutenue dans la pratique du bien, une exactitude ponctuelle à se bien acquitter de tous les devoirs de son état, était une pénitence continuelle, aussi agréable à Dieu que les plus grandes mortifications.

Une conscience délicate, qu'il plait à ceux qui ne connaissent pas bien le vrai chemin de la vertu, d'appeler scrupuleuse, le tenait sans cesse en garde contre les moindres manquements ; et s'il se contentait quelquefois, avant d'approcher de l'autel, de conférer avec son directeur sur ceux qui lui échappaient, quand ils ne lui paraissaient pas matière nécessaire pour la confession sacramentelle, il préférait, le plus souvent, les lui soumettre dans le tribunal de la pénitence, afin de ne pas s'exposer aux troubles de la perplexité.

Intimement convaincu de l'extrême difficulté de se conserver dans le monde, et du danger que courent les âmes les plus religieuses de contracter, en le fréquentant, quelques souillures, quand elles se répandent inconsidérément et sans précautions dans ses assemblées, il évitait soigneusement de s'y rencontrer, et se bornait aux visites que lui prescrivaient la bienséance, la nécessité ou la charité ; encore étaient-elles ordinairement fort courtes, et quoiqu'il sût tous les jeux de société, jamais il ne consentait à s'y livrer, disant qu'il lui était bien plus aisé de s'abstenir entièrement que de se contenir, s'il se lissait aller, une seule fois, à l'attrait qu'il avouait, se sentir pour eux. Sa compagnie ordinaire était, ou MM. ses grands vicaires et des amis particuliers qu'il avait dans son Chapitre, ou MM. les supérieurs et autres directeurs de son séminaire pour lesquels il avait une affection spéciale, ou enfin MM. les recteurs et autres ecclésiastiques qui se rendaient fréquemment à l'Évêché pour leurs affaires et celles de leurs paroisses. On remarquait en lui une satisfaction et un contentement singuliers, les jours où il officiait pontificalement, et où, suivant l'usage, il donnait à dîner à tout son Chapitre, et il n'en montrait pas moins, quand, les jours d'examen pour les saints ordres, il voyait à sa table MM. les examinateurs, et quand, les jours de bureau ecclésiastique, il y invitait MM. les députés à la chambre syndicale. Dans ces occasions, sa table était toujours bien servie, quoique sans profusion, et il en faisait les honneurs avec une cordialité qui enchantait tous les convives. Il en était de même, en d'autres circonstances, où les devoirs de sa place et ceux de l'honnêteté l'obligeaient à inviter soit des personnes laïques de la ville épiscopale, soit les officiers des régiments qui s'y trouvaient en garnison. Quant aux autres jours de de l'année, sa table, frugalement mais décemment servie, annonçait qu'il savait tenir un juste milieu entre la prodigalité et cette espèce de parcimonie qui n'est pas toujours exempte de critique dans les gens en grande place. Mais, soit dans les festins d'apparat, soit dans ses repas particuliers, il observait constamment les règles de la plus stricte sobriété, se bornant dans le boire et dans le manger aux choses les plus communes [Note : Il était également modeste dans ses ameublements ; quoiqu'il aimât naturellement toutes les jouissances du luxe, il ne s'en permit aucune : un lit en toile peinte, des rideaux de coton, des chaises de paille faisaient tout l'ornement de son palais ; on n'y voyait pas une petite glace ou un meuble de goût.

VIII.

Quoique nous eussions pu parler de la conduite de Monseigneur de Saint-Luc envers les communautés de filles religieuses, en retraçant sa vie publique dans le gouvernement de son diocèse, nous avons jugé à propos de réserver cet article essentiel pour sa vie privée, parce qu'il y appartient plus particulièrement. Si la sollicitude des églises paroissiales, au nombre de 171, sans compter au moins 90 trêves ou annexes, ne lui permit pas de se livrer, comme avant son élévation à l'épiscopat, à son goût et à son inclination pour la direction des personnes du sexe consacrées à Dieu par les vœux solennels de religion, nous pouvons du moins assurer qu'à l'exemple des plus grands et des plus saints Évêques, il les regarda toujours comme la plus précieuse portion du troupeau de Jésus-Christ, et qu'il n'omit rien pour maintenir ou renouveler parmi elles toute la ferveur de leur premier institut.

Dès les premiers temps de son arrivée à Quimper, il se procura une connaissance détaillée de toutes ces saintes maisons, des personnes qui les composaient, de leurs biens, de leurs revenus et de leur exactitude à observer la règle. Mais comme il ne pouvait satisfaire entièrement son zèle, sans prendre par lui-même sur les lieux les renseignements nécessaires pour remplir complètement vis-à-vis d'elles les devoirs de père et de pasteur, il ne tarda pas à leur annoncer et à effectuer le dessein où il était de les visiter en personne.

Nous passerions les limites d'un abrégé, si nous entreprenions de décrire tout le bien que produisaient ces visites par l'augmentation de la régularité, par l'observation plus parfaite de la vie commune, si recommandée par le saint Concile de Trente, et par la pratique des sages avis qu'il laissait par écrit dans chacune de ces maisons. Afin d'entretenir parmi ces vierges si respectables l'esprit intérieur et toutes les autres vertus propres à leur état, il porta toujours la plus grande attention dans le choix des ecclésiastiques qu'il chargeait de leur direction ordinaire, et dans l'approbation de ceux qu'il leur accordait, suivant les saints Canons, pour entendre, aux Quatre-Temps de l'année, celles qui voulaient profiter de cette juste et salutaire indulgence.

Dans le cours de ses visites, dès qu'il arrivait dans une ville où se trouvaient quelques communautés, il s'y rendait sans délai et y passait tout le temps que ses autres occupations lui laissaient libre, conférant d'abord avec les supérieures, pour savoir d'elles ce qu'il était à propos de corriger ou d'encourager, écoutant avec patience et charité toutes les autres religieuses qui désiraient lui parler en particulier, et donnant à la communauté assemblée les conseils que les circonstances lui paraissaient exiger. Si, pendant son séjour dans les lieux où il y avait de ces maisons religieuses, il se présentait quelque novice dans le cas de prononcer prochainement ses vœux, il examinait lui-même sa vocation, et si le temps de la profession était venu, il recevait lui-même ses vœux, présidant également à l'élection des supérieures, lorsque le temps des anciennes était fini.

Indépendamment de l'inspection générale qu'il s'était réservée sur toutes les communautés soumises à sa juridiction, il avait établi des supérieurs particuliers dans leur voisinage, afin que, dans les cas ordinaires ou dans les occasions urgentes, elles pussent s'adresser à eux avec plus de facilité et de promptitude ; mais cela n'empèchait pas que chaque religieuse ne put recourir directement à lui ; il se faisait un devoir de répondre lui-même de sa main à toutes celles qui lui écrivaient. Ses lettres pleines de douceur, de condescendance et de la plus onctueuse spiritualité, peignaient son âme au naturel et produisaient des effets merveilleux dans l'esprit et dans le cœur de ces saintes filles, toujours disposées à se conduire par les avis d'un père, dont elles connaissaient le zèle pour leur perfection.

C'est à la grande et haute idée que ce Pontife s'était formée de la vie religieuse et du bonheur de celles que Dieu daignait y appeler par une prédilection spéciale, qu'on peut attribuer sa sévère attention à ne jamais souffrir de la part des gens du monde, ces fades et indécentes plaisanteries trop communes dans le siècle qui ignore combien le joug du Seigneur est doux, surtout pour les personnes retirées dans le cloître, afin de pratiquer plus facilement et plus sûrement les conseils évangéliques. Nous avons été plus d'une fois témoin de la fermeté avec laquelle il s'expliquait dans ces occasions, et des bénédictions que Dieu répandait sur ses discours, au point que nous ne craignons pas de le dire : il parut dans différentes rencontres animé de l'esprit prophétique ; on crut que Dieu lui faisait discerner clairement les vues de miséricorde qu'il avait sur le cœur de plusieurs jeunes personnes qui montraient le plus d'éloignement pour la profession religieuse.

Un jour entre autres, une demoiselle de 18 à 20 ans, qui avait été invitée à dîner avec beaucoup d'autres dans la maison d'un recteur, lors de la visite épiscopale, tint quelques propos qui dénotaient qu'elle ne pensait à rien moins qu'à sortir du monde. L'Évêque, lui adressant publiquement la parole, lui dit qu'elle aurait beau faire, qu'elle serait certainement religieuse. Effectivement, peu de temps après, elle entra dans une communauté où elle fit profession.

Une autre jeune demoiselle, douée de tous les agréments qui peuvent attirer les regards du monde, dans lequel elle était fort répandue, assista à la cérémonie d'une profession. Étant venue au parloir où se trouvait également le prélat qui avait officié, la conversation tomba sur le bonheur de celles qui renoncent à tout pour suivre Jésus-Christ. La jeune personne en question, à laquelle Monseigneur prenait un intérêt particulier et à laquelle il avait souvent reproché sa dissipation, témoigna ne pas goûter beaucoup les paroles qu'il venait de prononcer.

Sa Grandeur, sans rien ajouter, se contenta de prendre vis-à-vis d'elle l'air le plus sérieux et le plus sévère. Le moment de la grâce était arrivé, ou du moins l'impression ne tarda pas à faire naître les plus salutaires réflexions dans l'esprit et dans le cœur de cette jeune fille, et Dieu achevant son ouvrage la conduisit, comme par la main, dans une communauté éloignée de son pays, où elle fut accompagnée par une de ses amies qui y fit égaiement profession.

Celle-ci dut aussi, sans doute après Dieu, à son Évêque l'abandon généreux qu'elle fit du monde, et cet heureux changement fut remarquable par la circonstance dans laquelle il arriva.

Sachant qu'elle avait ressenti, depuis longtemps, des velléités d'entrer en religion et qu'il ne lui manquait qu'un peu de force et de courage pour se rendre à la voix de l'Esprit-Saint qui l'appelait, le prélat vint, par hasard ou plutôt par un arrangement spécial de la Providence, faire une visite à une dame respectable chez laquelle vivait la demoiselle dont nous parlons.

C'était un jour de carnaval. Peu de temps après l'arrivée du prélat, survient aussi cette demoiselle, tout en sueur et excédée des fatigues d'un bal d'où elle sortait. Confuse à la vue de l'Évêque qu'elle ne comptait pas rencontrer dans la maison, elle ne fait que traverser l'appartement où il était et se hâte de se rendre dans un autre. Monseigneur ne lui dit pas une parole, mais levant les yeux au ciel et poussant un soupir de compassion, il l'atterra tellement par l'éloquence de son silence que, dès le lendemain, elle vint lui déclarer qu'elle était dans la ferme résolution de se faire religieuse. Cette résolution fut invariable, et il facilita à la prosélyte tous les moyens de l'exécuter promptement.

Parmi le très-grand nombre de personnes du sexe qui embrassèrent la vie religieuse, pendant la durée de son épiscopat, il s'en trouvait beaucoup, ou qui n'avaient pas de dots suffisantes, ou qui n'en avaient pas du tout. Ce défaut ne fut jamais à ses yeux un obstacle capable de les empêcher de suivre leur vocation, dès qu'il reconnaissait clairement qu'elle était véritable et solide. Sa confiance en la Providence était telle qu'il ne balançait pas à engager les communautés à recevoir tous les bons sujets qui se présentaient, disant que Dieu pourvoirait à tout et qu'il bénirait la charité qu'on aurait exercée en admettant les personnes même qui n'auraient rien apporté, et en les traitant de la même manière que celles qui auraient payé leur pension.

L'événement répondit toujours à une conduite si sage, et toutes les communautés soumises à l'Ordinaire, sans être riches, ont constamment subsisté jusqu'au moment de la Révolution, sans éprouver les rigueurs du besoin. Nous pouvons en citer une entre autres qui, lors de la venue de Monseigneur de Saint-Luc dans son diocèse, était au moment de tomber, faute de sujets, encore plus qu'à raison de son peu de revenu. Le saint Évêque lui conseilla, d'admettre sans dot une ou deux filles dont la vertu était assurée et de se contenter du peu que d'autres offrirent ensuite. Au bout de quelques années, cette communauté devint extrêmement florissante et eut tout lieu de s'applaudir d'avoir suivi les sages avis de son premier pasteur. Au reste, cette façon de penser et d'agir ne diminuait en rien la persuasion où il était qu'il ne pouvait faire un meilleur usage d'une partie de ses revenus qu'en dotant les filles pauvres qui, sans cela n'auraient pas pu suivre leur attrait pour le cloître, ou en payant leur pension dans les communautés où elles faisaient profession. Ces communautés seules pourraient rendre compte des secours pécuniaires qu'elles recevaient de lui, car il prenait un soin particulier pour cacher cette espèce de bonne œuvre à ceux-mêmes qui l'approchaient de plus près.

Nous ne devons pas omettre d'observer qu'un des moyens, dont il se servit pour maintenir les maisons religieuses dans une honnête aisance, ne fut jamais de leur permettre d'exiger des dots considérables, mais de veiller attentivement à ce que celles qu'elles recevaient ne fussent pas employées à subvenir à des besoins souvent imaginaires. « Si vous dépensez ces dots, leur disait-il, vous vous trouverez dans le cas de nourrir et d'entretenir ensuite les sujets, sans qu'il vous reste de quoi faire face par la suite à cet objet, et vous vous trouverez grevées ; placez ces dots à constitut, ainsi que tout ce qui ne vous sera pas absolument nécessaire pour votre subsistance et les autres charges ordinaires indispensables : de cette manière, vous augmenterez insensiblement votre revenu, et quand les sujets qui apportent des dots mourront, la communauté qui ne meurt point, continuera à en bénéficier ».

Les détails dans lesquels nous venons d'entrer, relativement au régime observé par Monseigneur l'Évêque de Quimper dans le gouvernement des communautés, pourront paraître prolixes et peut-être minutieux à ceux qui ne jugent que superficiellement des choses, et ne voient rien de digne d'être rapporté que ce qui enlève l'admiration par l'éclat de traits frappants et extraordinaires. Mais ceux qui savent apprécier, dans les serviteurs de Dieu, l'accomplissement ponctuel de toutes leurs obligations jugeront que notre prélat a mérité les plus justes éloges, en s'occupant ainsi des vierges du cloître, suivant l'exemple de saint Paul qui, se devant à tous, se donnait à tous, et celui de tous les saints qui ne trouvaient rien de petit ni d'infime dans la maison du Seigneur. Ces personnes n'ont-elles pas en effet préféré se cacher dans l'obscurité d'un couvent, plutôt que de vivre exposées à enfreindre même les préceptes de la loi, en demeurant au milieu d'un monde corrompu et corrupteur !

IX.

Quoique nous ayons déjà dit quelque chose de la tendre compassion de Monseigneur de Saint-Luc pour les malheureux, nous devons revenir sur un objet qui a toujours caractérisé les bons cœurs et qui paraissait inné dans celui de sa Grandeur. Ceux qui sauront les dépenses considérables auxquelles il était obligé par le passage fréquent d'un grand nombre de personnages distingués et le séjour des officiers des régiments qui étaient en garnison à Quimper ; ceux surtout qui considéreront qu'il a été dans la nécessité de payer, pendant beaucoup d'années, les intérêts d'un emprunt de soixante mille, livres qu'avait entraîné la reconstruction d'une partie de son palais, et dont il a définitivement remboursé le principal ; ceux enfin qui se rappelleront les nombreux procès injustes qu'on lui a suscités et qu'il lui a fallu soutenir, pour ne pas priver son siège de ses droits et de ses revenus, ceux-là seront étonnés qu'il ait pu faire tant d'aumônes et de largesses. Mais comme la charité est toujours industrieuse dans les moyens, dont elle se sert pour subvenir aux besoins du prochain, celle de notre prélat employa tous ceux qui furent en son pouvoir, et particulièrement celui de la plus stricte économie, hors des occasions dont nous avons parlé.

Pour s'interdire à lui-même tout prétexte de dépense inutile, il avait confié à un respectable jésuite, homme très capable et très habile à administrer une maison, le gouvernement temporel de la sienne, lui laissant la plus ample liberté, au point qu'il avait pris vis-à-vis de lui, et qu'il observa fidèlement l'engagement de ne disposer de rien, sans l'avoir consulté et s'être assuré de son consentement. Ceci s'entend seulement de ses revenus ecclésiastiques, dont il voulait assurer le bon usage, conformément aux règles prescrites par les saints Canons.

Il s'était réservé plus de latitude pour l'emploi de ses biens de famille, afin de pouvoir faire par lui-même, avec plus de secret, certaines aumônes qui lui étaient particulièrement chères, et de dérober à la connaissance du public les pauvres honteux qu'il soulageait. Quant aux aumônes qui se distribuaient sur les revenus de la mense épiscopale, outre celles qui se faisaient dans des cas imprévus et qui n'étaient rien moins que rares, il y en avait d'autres réglées pour tout le cours de l'année ; et pour y mettre l'ordre et la discrétion convenables, les pauvres qui remettaient à son secrétaire, préposé à ce soin, le témoignage de MM. les Recteurs ou d'autres personnes dignes de foi, étaient inscrits de préférence sur les listes que l'on conservait avec soin à l'Évêché : parmi eux les infirmes, les Vieillards, les pères et les mères chargés d'enfants attiraient plus spécialement son attention.

Les hôpitaux et les prisonniers n'étaient pas oubliés, non plus que les malades de la ville qui manquaient de secours. Il faisait compter chaque mois, pour le soulagement de ces derniers, une somme assez forte, aux sœurs de la Charité établies à Quimper pour les visiter, les soigner dans leurs infirmités, leur administrer les remèdes et leur distribuer le pain et les bouillons. En un mot, sa vigilante charité s'étendait à tout ; il ne négligeait même pas les mendiants qu'il rencontrait dans les rues et auxquels il donnait lui-même l'aumône, ayant toujours soin de porter sur lui de la monnaie destinée à cet effet.

Nous n'avons fait qu'esquisser une partie des vertus qui ont rendu si chère et si recommandable la mémoire de ce saint Pontife. Si Dieu veut bien nous faire la grâce de retourner dans notre patrie et d'y retrouver les matériaux que nous avions rassemblés à cet effet, et ceux qu'on avait promis de nous fournir, nous tâcherons de les mettre en œuvre, afin de ne pas frustrer les ecclésiastiques et les fidèles des droits qu'ils out à s'édifier par le récit circonstancié d'une infinité de traits, qui peuvent leur servir d'exemple et de modèle, dans le chemin de la perfection chrétienne. Mais nous ne pouvons terminer cet abrégé, sans nous étendre un peu sur les événernents, à jamais mémorables, qui se sont passés en France, dans les deux dernières années de la vie de notre Évêque, et sans rendre un compte fidèle de la conduite qu'il a tenue, pendant la Révolution jusqu'au mois de Septembre 1790. Ce compte-rendu appartient à l'histoire générale, et comme il est possible que, dans le bouleversement total qui a tenu dans la crainte et l'inaction ceux qui auraient pu s'en occuper, personne n'ait entrepris cette tâche honorable, nous allons la remplir, avec d'autant plus de confiance que nous avons été à même de tout voir de nos propres yeux. On remarquera par ailleurs, dans notre narration, qu'elle sert de supplément a beaucoup d'omissions que nous avons faites exprès dans l'abrégé de la vie publique et privée de Monseigneur de Saint-Luc, afin de n'être pas dans le cas de les répéter deux fois, ou de renvoyer le lecteur à ce que nous aurions déjà rapporté plus haut.

XI.

L'Évêque de Quimper fut peut-être un des évêques de France qui sentit le plus vivement les maux de la religion et les malheurs de la monarchie. Les différentes époques de sa vie en fournissent des preuves bien multipliées et bien connues dans la province de Bretagne. Jamais il ne fut dupe des spécieux prétextes dont on se servait pour amener l'infortuné Louis XVI à convoquer les États Généraux ; et il prévit dès lors que l'Église et le clergé, le Roi et son autorité étaient des victimes qu'on se disposait à sacrifier. Aussi, lors des assemblées primaires, au mois de Mars 1789, quand les ecclésiastiques et bénéficiers séculiers et réguliers du diocèse, réunis pour former des cahiers de représentations et nommer des électeurs, lui envoyèrent une députation, à l'effet de l'engager à venir présider l'assemblée, répondit-il très clairement qu'il ne pouvait, dans les circonstances, se prêter à ce qu'on désirait de lui. A son exemple, ni ses vicaires généraux, ni les membres de son Chapitre ne voulurent y assister, et l'évènement n'a que trop démontré combien ils avaient tous raison.

Le 9 Avril 1789, Monseigneur tomba malade, et il le fut très dangereusement, pendant et longtemps après les assemblées électorales, dans lesquelles furent nommés les députés aux États.

Cette maladie était la première qu'il eut essuyée, depuis son épiscopat. Elle s'annonça par des symptômes si sinistres, elle fit des progrès si rapides, elle eut des caractères de malignité si effrayants, et en même temps des variations si successives de mieux et de rechutes, qu'on désespérait de sa vie, à chaque instant. Il faut avoir été témoin de sa patience, de sa résignation et de la paix inaltérable qu'il montrait dans tous les intervalles, où le mal lui laissait la tête libre et l'usage de la raison, pour juger des consolations intérieures que Dieu répand dans l'âme de ses amis, quand il afflige leur corps par les douleurs de la maladie.

Comme on connaissait l'impression qu'auraient pu faire sur notre Prélat les différentes scènes de trouble et d'horreur qui, dès les premiers moments des États Généraux furent le prélude de la chute de l'autel et du trône, on était attentif à les lui cacher, ou au moins à lui en dissimuler une partie ; mais le peu, qu'on croyait pouvoir lui en découvrir, suffisait pour faire voir sa persévérance dans les sentiments qui l'avaient toujours animé et dans lesquels il était déterminé à mourir.

Afin de s'y préparer, il se confessait très-souvent, et profitant des facultés que sa dignité lui donnait, il faisait dire de temps en temps la messe dans la chapelle de son palais, de très grand matin. Le prêtre, qui l'avait célébrée, lui portait ensuite le très-saint Sacrement et le communiait à jeun dans sa chambre, car il ne voulut pas y faire dresser d'autel. Mais, comme il savait qu'outre cet acte de dévotion et de piété qu'il pratiquait avec tant de goût dans le silence de la nuit, et presque en secret, il devait à l'édification publique de recevoir la Sainte Eucharistie, dans la forme prescrite par le cérémonial des évêques, il demanda, dés qu'il vit le danger augmenter, qu'elle lui fût administrée par le premier dignitaire de sa cathédrale, en présence de tous les chanoines et de tout le bas-chœur. Ce fut pour tous les assistants, qui fondaient en larmes, un spectacle aussi attendrissant que douloureux de voir leur chef au moment de leur échapper, dans des circonstances si critiques pour la religion. Par cette considération, avant d'administrer la communion à son Évêque, le premier dignitaire lui fit en latin une exhortation, dans laquelle, à l'exemple des disciples de saint Martin, il lui adressa ces paroles :
« Cur nos, Pater deseris ? aut cui nos desolatos relinquis ? Invadent enim gregem tuum lupi rapaces...., mane nobiscum ! » [Note : O père, pourquoi nous abandonnez-vous ? ou pourquoi nous laissez-nous désolés ? Des loups ravissants envahiront votre troupeau, .... demeurez avec nous].

Sans répondre à cette 'invitation, le prélat se contenta d'adresser à son chapitre un discours concis, mais tout de feu, dans lequel il exprima les sentiments qu'il avait toujours eus pour lui et chacun de ses membres, les remerciant de ceux qu'ils avaient conservés à son égard et s'abandonnant entièrement à la volonté de Dieu pour le temps et pour l'éternité.

A peine le Chapitre se fut-il retiré que, le malade appelant son secrétaire qui se trouvait auprès de son lit, le chargea avec un air de douceur mêlé de mécontentement, de dire à M. D., premier dignitaire du Chapitre, de ne pas manquer de se réconcilier avec Dieu, avant de célébrer la messe, pour avoir flatté un moribond, en le comparant à saint Martin.

Cependant immédiatement après la touchante cérémonie, MM. les grands vicaires, de concert avec le Chapitre, ordonnèrent que le Saint Sacrement serait exposé, pendant trois jours consécutifs, pour demander à Dieu le rétablissement de la santé du Pontife.

Avant d'exaucer les prières du peuple, le Seigneur permit que le malade parvint jusqu'aux portes de la mort. Déjà on avait sonné l'agonie ; toutes les dispositions étaient faites pour ouvrir et embaumer son corps. Quelle fut la joie générale, quand on s'aperçut tout-à-coup d'un mieux décidé ! Enfin, au bout de quelque temps, toutes les craintes cessèrent, et Monseigneur l'Évêque entra en pleine convalescence, au mois de Juillet, après environ quatre mois de maladie et de souffrance.

Dès qu'il eut pris quelque force, il alla rendre grâces à Dieu dans la chapelle de son palais, en assistant tous les jours au saint sacrifice, jusqu'à ce qu'il put le célébrer lui-même, sans inconvénient. Bientôt après, quoiqu'il fut encore assez faible, il descendit, un dimanche, à la cathédrale pour assister aux vêpres. Dès qu'elles furent finies, MM. les chanoines transportés de plaisir de revoir leur chef au milieu d'eux, entonnèrent le Te Deum et chantèrent les prières marquées dans le rituel pour les actions de grâces solennelles. Ce mouvement imprévu et auquel le prélat ne s'attendait pas, fit sur tout le monde une impression qu'il est plus aisé de sentir que d'exprimer.

Pendant la convalescence de Monseigneur de Saint-Luc, la fatale invention de la cocarde tricolore avait passé de la capitale dans les provinces, sous le nom séduisant de nœud patriotique. Les officiers et soldats nationaux de Quimper vinrent la présenter en grande cérémonie à l'Évêque, aussitôt qu'ils surent que sa santé commençait à lui permettre de recevoir du monde, et lui adressèrent à ce sujet un long discours, analogue à l'effervescence des esprits. Monseigneur leur répondit sur-le-champ, avec cette fermeté et cette dignité qui lui étaient propres en pareilles occasions; et dans l'intention de leur faire connaître combien on les abusait par ces signes extérieurs d'un prétendu patriotisme, il leur dit : « J'accepte, Messieurs, ce nœud patriotique, parce que je le considère comme un engagement solennel que prennent ensemble les trois ordres de l'État de se réunir, pour le maintien de la Religion et de ses ministres, pour la défense de la personne sacrée du Roi, de l'honneur et des droits de sa couronne, et pour assurer les propriétés de tous les individus ».

XII.

Au mois d'Octobre de la même année, le Roi ayant écrit aux Évêques d'ordonner des prières publiques dans leurs diocèses, afin d'implorer le secours du Ciel dans les circonstances critiques où se trouvait le royaume, l'Évêque de Quimper s'empressa de rédiger et de faire imprimer un mandement dans lequel il n'oublia rien pour éclairer les fidèles soumis à ses soins, et leur inspirer les sentiments dont il était lui-même si profondément pénétré.

Non content d'envoyer ce mandement dans toutes les paroisses et communautés de son diocèse, et d'en ordonner la publication, il voulut la faire lui-même dans son église cathédrale. En conséquence, le dimanche ...... d'Octobre, à l'issue des vêpres, en présence de tout son Chapitre, en habit de chœur, et d'un peuple immense, il monta en chaire, et avec cette éloquente facilité, cette abondance pathétique qui l'accompagnaient toujours, quand il parlait des choses de Dieu et de la religion, il lut d'abord, paraphrasa et expliqua ensuite la lettre du Roi, puis son propre mandement avec le dispositif et l'ordonnance rendus, suivant les pieuses intentions du monarque.

Le prélat et la très-majeure partie de l'auditoire furent attendris jusqu'aux larmes, tandis que les séditieux frémissaient de rage.

L'exemple de l'Évêque, de ses vicaires généraux, de son Chapitre et de presque tout son clergé retint dans le devoir le peuple du diocèse et le préserva, pendant plusieurs mois, des horribles excès qui se commirent dans d'autres parties du royaume. Il ne tint pas à eux que tous ne se refusassent aux serments multipliés qu'on inventa ensuite pour gagner des partisans au système destructeur qui se développait, de jour en jour, d'une manière effrayante. Jamais le prélat, ses grands vicaires et son Chapitre ne voulurent en prêter aucun, d'aucune espèce ; quelques instances qui leur en fussent faites, quelques menaces qu'on employât, ni les comités, ni les clubs, ni le district, ni le département ne purent les ébranler ......

Après le trop fameux décret du mois-d'Avril 1790, qui refusait de reconnaître la religion catholique romaine pour la dominante, et d'ordonner que son culte fut le seul autorisé en France, Monseigneur de Saint-Luc s'empressa de s'expliquer sur ce point le plus important de tous. Pour le faire, avec tout l'éclat et la publicité qu'il demandait, il disposa une adhésion à l'acte déjà donné par le Chapitre de Paris ; puis, en ayant conféré avec ses vicaires généraux et les chanoines de sa cathédrale, cette adhésion fut unanimement adoptée et adressée, tant au dit Chapitre de Notre-Dame, qu'au Président de l'Assemblée et aux ministres du Roi, par des lettres particulières et motivées. Ces lettres furent toutes signées de lui, de ses vicaires généraux, de tous les membres du Chapitre et du secrétaire de l'Évêché ; et, afin que tout le diocèse et toute la France fussent instruits de cette démarche, sa Grandeur fit imprimer dans un même cahier ces différentes pièces dont on répandit le plus d'exemplaires qu'il fut possible. Ceci se passa, vers le 23 Mai 1790.

Le 14 Juillet de la même année fut assigné à Quimper, comme dans toute la France, pour la prestation solennelle du serment civique. La municipalité invita Monseigneur l'Évêque par une lettre officielle et pressante à assister à cette cérémonie. Le prélat répondit, par écrit et très-clairement, qu'il ne voulait, ni ne pouvait l'autoriser par sa présence. On ne fut pas plus heureux auprès des grands vicaires et des chanoines qui tous s'abstinrent d'y paraître, par suite des bons et vrais principes qui les dirigeaient. On conçoit aisément combien ce refus constant de prêter le serment attira de reproches et de haines à l'Evêque et à son Chapitre, de la part des principaux conspirateurs.

XIII.

Au mois d'août suivant, les nouveaux corps administratifs reçurent la nouvelle de la prochaine arrivée de la bannière destinée au département du Finistère, et apportée par les gardes nationaux qui avaient assisté à la trop célèbre fédération de Paris. Aussitôt une députation composée de plusieurs membres du département, du district et de la municipalité vinrent inviter Monseigneur l'Évêque à chanter un Te Deum dans la cathédrale pour la réception de cette bannière. La circonstance était délicate et périlleuse, vu l'exaltation des têtes. Mais la crainte du danger ne peut rien sur une âme pénétrée de l'amour da devoir. Aussi la réponse de Sa Grandeur fut-elle très-négative, et malgré le mécontentement qu'elle donna aux députés, ces messieurs ne purent s'empêcher d'admirer la fermeté épiscopale du prélat.

La veille de l'arrivée de la bannière, d'anciens amis de l'Évêque, même parmi les premiers membres des corps administratifs, lui firent donner avis des dangers qui le menaçaient, vu ses refus, et le conjurèrent de s'absenter, pour éviter des malheurs qu'ils ne seraient peut-être pas les maîtres d'arrêter, ou du moins de sortir de son palais et de se retirer incognito dans quelque maison particulière.

Sans craindre pour sa personne, mais désirant épargner des crimes, Monseigneur consulta de bonne foi des amis de confiance, entr'autres M. le Comte de Toulougeon, colonel du régiment du Rouergue, alors en garnison à Quimper. Celui-ci lui répondit qu'eu égard à la détermination où il le voyait de se refuser à toute cérémonie religieuse et même civique, dans la circonstance, il lui paraissait que le seul parti à prendre était de disparaître pour quelques jours ; que s'il suivait celui de rester, il pouvait bien penser qu'il ferait l'impossible pour écarter de Sa Grandeur toute violence, mais qu'il ne pouvait répondre de l'exécution des ordres qu'il donnerait...

Monseigneur était bien éloigné de désirer qu'on usât d'aucun moyen de force pour le mettre à couvert des insultes et même de la mort. Après avoir remercié ce brave colonel, il examina les choses devant Dieu, pesant au poids du sanctuaire les raisons pour et contre. Enfin, considérant, d'un côté, qu'il était moralement impossible qu'il pût partir de Quimper ou s'y cacher, sans qu'on sût où il se serait refugié, et sans exposer par conséquent les personnes qui lui auraient donné asile ; d'un autre côté, ses grands vicaires et son Chapitre étant d'accord avec lui de ne point faire chanter le Te Deum, quoiqu'on les en eut priés ; de plus, ces Messieurs ayant même donné ordre de tenir fermées les portes du chœur et de la sacristie, afin qu'on ne pût avoir des ornements. Convaincu que, s'il se trouvait caché ou absent, l'orage ne manquerait pas de tomber sur eux, il se détermina à demeurer dans son palais, jugeant que c'était le seul poste que dût occuper un Évêque, dans la crise où il se trouvait. Il y resta donc, malgré les nouvelles instances qui lui furent faites, de grand matin, le jour où la bannière arrivait. Après avoir célébré le saint sacrifice de la messe dans sa chapelle, animé d'un courage extraordinaire, il attendait sans crainte les événements.

Vers les dix heures du matin, toute la milice nationale et tous les habitants, ainsi que le régiment de Rouergue, sous les armes, allèrent recevoir la bannière, hors la ville et marchèrent droit à la cathédrale, avec ceux qui l'avaient portée de Paris. Le département, le district et la municipalité étaient aussi du cortège. Le clergé, qui se trouva à la cérémonie pour le Te Deum, consistait en deux recteurs assermentés et un petit nombre d'autres ecclésiastiques. On enfonça, ou l'on fit ouvrir par force les portes du chœur et de la sacristie ; et quand on fut placé, les deux recteurs susdits et un autre prêtre vinrent en chape entonner le Te Deum.

A peine avait-on chanté les premiers versets qu'il s'éleva un murmure, puis des cris épouvantables, poussés surtout par les soldats patriotes de Brest et de Lorient. On demanda s'il n'y avait pas un Évêque ; le Président du département et le maire répondirent à la troupe mutinée qu'il était inutile de faire vis-à-vis de lui d'autres tentatives que celles qu'avaient déjà faites les corps administratifs. A l'instant, une multitude de voix se réunirent pour demander qu'on l'amenât mort ou vif. Ce n'était que jurements, serments exécrables, et tout ce que la colère et la fureur peuvent inspirer de plus affreux. Enfin, on obtint un moment de répit, et des esprits plus modérés proposèrent d'envoyer au prélat des députés de la garde nationale. Cinq ou six furent chargés de cette commission, la plupart de Brest et du nombre des confédérés venus de Paris avec la bannière. Le Président du département leur recommanda d'avoir pour l'Évêque tous les égards dus à sa place et à sa personne.

Les députés furent introduits par l'ordre de Sa Grandeur dans le salon de compagnie de l'évêché, et elle s'y rendit seule, sans s'effrayer de les voir armés et les yeux étincelants de dépit et de rage. D'abord, ils s'expliquèrent en termes assez honnêtes. Monseigneur de Saint-Luc leur répondit sur le même ton : « qu'il était fâché de la peine qu'ils avaient prise, mais qu'il avait déjà déclaré sa façon de penser et qu'il ne varierait pas.
— Il est étonnant, reprirent les députés, qu'un Évêque se refuse à paraître à la tête de son troupeau dans une cérémonie religieuse...
— Je m'étonne, moi, messieurs que vous vous croyiez en droit de faire le catéchisme à un Évêque. Peut-être serait-ce à moi de vous le … »
.

Suivirent bientôt des menaces de la part des députés sur les suites d'un pareil refus. Monseigneur n'y opposa que la plus grande douceur, mêlée cependant de fermeté. Enfin, ne pouvant rien gagner, les députés se retirèrent, aussi confus que désespérés. Alors l'un d'eux s'approche de lui, et d'un air de courroux lui dit ces paroles énergiques : « Vous ne voulez donc pas, monsieur l'Évêque ?... Vous allez vous en repentir, et tout à l'heure !
— Il en arrivera ce qui plaira à Dieu, reprit le courageux pontife, ma détermination est prise »
.

De retour à la cathédrale, les députés rendirent compte du peu de succès de leur commission. Il serait impossible de dépeindre le tumulte qui s'éleva et l'excès des partis qu'on proposa... Les uns voulaient qu'on allât, de force arracher l'Évêque de son palais et qu'on le promenât sur un âne ; les autres qu'on lui coupât le cou, etc.

Les hommes modérés qui se trouvaient dans l'assemblée desséchaient de crainte de voir s'effectuer ces excès, et il paraissait impossible de les arrêter, lorsqu'élevant la voix de toutes ses forces, le maire dit qu'il allait déployer toute l'autorité dont il était revêtu, si l'on ne faisait silence. Peu à peu les esprits se calmèrentet enfin le Te Deum fut tristement chanté par les prêtres lâches et sans pudeur dont nous avons parlé plus haut.

C'est de cette manière que Monseigneur, ses vicaires généraux, et son Chapitre donnèrent au peuple une instruction plus éloquente que celle des mandements ou de tous les autres écrits qu'ils auraient pu publier, pour lui ouvrir les yeux sur le précipice dans lequel on l'entraînait, par des apparences perfides de religion et de patriotisme, dans le temps même où tout était préparé pour abattre d'un seul coup l'autel et le trône.

Le jour même de cet évènement, de grand matin, avant que la bannière arrivât, le Président du département avait écrit à Monseigneur l'évêque de faire effacer sur les murs de l'évêché ses armes et celles de ses prédécesseurs, afin de ne pas augmenter, si la troupe nationale les voyait encore subsister, le mécontentement que lui donnerait son refus de chanter le Te Deum. Cet objet était trop mince et trop étranger au caractère épiscopal pour que le prélat mît la moindre importance à conserver ces décorations ; il fit donc venir un maçon auquel il commanda de piquer les armoiries sculptées sur son palais. Il donnait ainsi une légère satisfaction aux destructeurs de la noblesse, de ses titres et de ses prérogatives !

A peine la dernière bannière fut-elle déposée au département, que trois de ceux qui avaient été députés vers Monseigneur lui vinrent présenter un billet du maire pour les loger dans son palais.

« Nous étions chargés, lui dirent-ils, il y a quelques instants de vous porter des paroles menaçantes ; nous venons maintenant, en suppliants, vous demander l'hospitalité.

— Dieu soit béni, Messieurs, répondit le bon Évêque, de m'avoir procuré, dans un si court espace de temps, l'occasion de pratiquer l'Évangile, en oubliant les injures et en vous recevant comme mes hôtes ».

Comme il était près de midi, il les invita à dîner. Ces Messieurs s'excusèrent, vu qu'ils devaient assister au festin patriotique préparé sur le Champ-de-Bataille : mais ils promirent de venir souper et dîner le lendemain, ce qu'ils firent.

On avait invité au dîner du Champ-de-Bataille, outre les troupes nationales accompagnant la bannière, des personnes de tous les ordres. Monseigneur l'Évêque et tous les membres du Chapitre n'avaient pas été oubliés; mais leurs principes ne leur permettant pas de prendre part à de semblables fêtes, ils avaient remercié.

Dans l'après-midi, la troupe nationale de la ville se réunit, avec les troupes des autres cantons, dans une chapelle voisine du lieu du repas civique. Il s'y fit de nouvelles motions violentes contre Monseigneur de Saint-Luc ; mais, chose admirable, ceux qui avaient montré le matin le plus d'animosité contre lui, notamment ses trois hôtes, prirent sa défense, déclarant qu'ils ne permettraient pas qu'on fit à sa personne aucune insulte, ni à son palais le moindre dommage. En effet, il en fut quitte pour la terrible épreuve à laquelle il avait été mis le matin.

XIV.

Le 23 septembre 1790, Monseigneur l'Évêque tomba malade. Peu de temps après son dîner, ii avait pris lecture d'une lettre que le confesseur du vénérable Labre, mort à Rome en odeur de sainteté, écrivait à l'un des supérieurs des séminaires de Paris, lui rendant compte de ce que son pénitent avait manifesté, dans une circonstance, relativement aux malheurs de la France, et même à certains évènements qui devaient arriver à Rome.

Cette lettre fit une telle impression sur son esprit que la fièvre s'annonça presque aussitôt par des vomissements. Le premier accès fut long et des plus violents. Le 25 au matin, Monseigneur se trouvant mieux, célébra la sainte Messe dans sa chapelle avec une grande ferveur. Le 26 mai, à midi, un second accès étant passé, il se leva pour dîner. Le médecin jugea que la fièvre avait tout le caractère de la fièvre tierce. Vers les trois heures de l'après-midi, même jour, dimanche 26, on vint lui signifier, de la part du département, la prétendue Constitution civile du Clergé, sans doute pour l'empêcher de nommer à la la paroisse de Kerfeunteun, vacante ; mais il avait déjà fait expédier les provisions, et le pourvu était en possession. La Constitution civile lui était bien connue longtemps auparavant, mais la notification qui lui en fut faite si précipitamment, et peut-être avant qu'elle fût notifiée à aucun des autres Évêques du Royaume, fut pour lui un coup de foudre.

Il entra dans son cabinet où était son secrétaire, et lui dit avec la douleur la plus profonde [Note : Le saint Prélat répéta ces mêmes paroles à Mesdemoiselles de Marigo et de Larchantel qui l'allèrent voir, ce même jour. Il leur dit avec l'accent de la plus grande affliction : « Voilà notre arrêt de mort ! » Ces deux demoiselles étaient Dames de la Retraite à Quimper : la première en était supérieure] : « Voilà notre arrêt de mort ! Je veux répondre sur-le-champ au département ; c'est mon devoir : il faut protester contre cette pièce destructive de la hiérarchie ecclésiastique et contre tout ce qu'a fait l'Assemblée, au préjudice de la religion et des droits de tous les ordres ».

Son secrétaire lui représenta que, relevant de deux accès de fièvre, ce n'était pas le moment de s'occuper de cette besogne qui demandait à être faite avec un soin tout particulier ; que, le lendemain, il serait assez à temps d'accuser réception de la pièce, comme l'exigeait le département, et qu'il allait faire instruire le président de son indisposition, peu connue encore du public, attendu qu'on ne la regardait pas comme dangereuse. Mais Monseigneur persévéra dans sa résolution, et il se mit à son bureau pour l'exécuter. Le secrétaire lui offrit alors de lui épargner la peine d'écrire lui-même, sachant parfaitement ses intentions. « Eh bien ! soit, reprit l'Évêque ; vous savez où sont les matériaux que j'ai rédigés ; conformez-vous-y exactement. : il ne s'agit que de les mettre au net ».

Dés le jour même, il entendit, en présence de son médecin, la lecture de l'écrit intitulé : Déclaration adressée à M. le Procureur-général-syndic du département du Finistère par Monseigneur l'Évêque de Quimper, en lui accusant la réception des décrets de la Constitution civile du Clergé. Il la reconnut et l'approuva pour sienne, comme elle l'était en effet : et le lendemain matin, il n'eut rien de plus pressé que de la communiquer à quelques amis venus pour le visiter. Il la remit au Supérieur du séminaire, M. Liscoat, pour qu'il la fit transcrire proprement, avant de l'envoyer au département.

Le lendemain, la maladie de Monseigneur parut avoir fait les progrès les plus alarmants, et on parla de lui administrer les derniers sacrements. Alors, il fut arrêté qu'au lieu d'adresser la déclaration au département, Sa Grandeur ferait prier le président et quelques membres de ce corps de se rendre à l'évêché, au moment où elle recevrait le saint Viatique, et qu'elle la leur mettrait elle-même en main, en présence de ses vicaires généraux et de son Chapitre. Mais le mal fut si violent, le lendemain, jour indiqué pour la remise de la pièce, et le délire si fort, qu'il fut impossible de remplir le projet. On espérait le pouvoir faire, le jeudi 30 Septembre, vu que, dans la nuit, le prélat ayant recouvré tout son jugement s'était confessé et disposé à recevoir le Viatique.

Mais Dieu voulait, sans doute, lui épargner la vue et les angoisses de la mort, à laquelle il s'était préparé toute la via, et sûrement d'une manière particulière, en célébrant la messe, le samedi précédent, dans l'intervalle du mieux qu'il éprouva, après un fort accès de fièvre ; Dieu permit qu'il perdit entièrement la connaissance, ledit jour, 30 Septembre, vers les sept heures du matin. On remarqua qu'elle lui revint, une ou deux fois, avant midi, mais seulement pendant quelques minutes ; le peu de mots qu'il put proférer dans ces courts moments indiquait visiblement la paix de son âme. Enfin, il entra dans sa dernière agonie, et il mourut tranquillement, vers les cinq heures du soir, muni du sacrement de l'extrême-onction.

XV.

La mort de Monseigneur de Saint-Luc causa parmi les bons catholiques et tous les sujets fidèles à leur roi une consternation générale, tandis que ceux qu'on appelait patriotes, loin de dissimuler leurs sentiments contraires, disaient hautement : C'est un aristocrate de moins !

Les obsèques furent fixées au 5 Octobre, et il s'y trouva un concours prodigieux d'ecclésiastiques et de peuple des différents cantons du diocèse.

Malgré les nouvelles lois qui détruisaient toute distinction entre les citoyens et les rendaient tous égaux, les corps administratifs, connaissant la vénération du peuple pour la mémoire de son premier pasteur, n'osèrent pas s'opposer à ce qu'on l'inhumât dans son église cathédrale, dans le lieu et de la manière qu'il avait ordonné, c'est-à-dire à l'entrée de la porte principale, avec cette épitaphe qui fut gravée sur sa tombe, telle qu'il l'avait lui-même laissée écrite de sa main :

« HIC JACET TUSSANUS-FRANCISCUS-JOSEPHUS, PECCATOR, NATUS DIE 17 JULII 1724, CONSECRATUS DIE 29 AUGUSTI 1773, OBIIT DIE 30 SEPTEMBRIS 1790 » [Note : Ci-git Toussaint-François-Joseph, pécheur, né le 17 Juillet 1724 ; sacré le 29 Août 1773 ; mort le 30 Septembre 1790].

Le Chapitre, en faisant exécuter cette dernière volonté de son Évêque, arrêta de faire mettre à la suite de l'épitaphe ces paroles tirées des Proverbes, chap. 18 v. 17 : « Justus prior est accusator sui » [Note : Le juste est le premier à s'accuser lui-même. (Note de M. l'abbé Téphany)].

C'était peindre en peu de mots l'opinion que l'on avait d'un pontife que tous les gens de bien, même pendant sa vie, qualifiaient de saint, toutes les fois qu'il était question de lui.

Tel fut l'empire de cette opinion, dans la circonstance même dont nous parlons, que, si le département, le district, la municipalité et le présidial craignirent de se compromettre, en marchant en corps à la suite du convoi, il y eut peu de leurs membres qui crussent pouvoir se dispenser d'assister aux funérailles, comme particuliers.

Le colonel du régiment de Rouergue, M. de Toulongeon, quelque désir qu'il eût de rendre à l'Évêque défunt les honneurs accoutumés dans des temps plus heureux, jugea qu'il était de la prudence de se conformer, au moins en partie, à la conduite observée par les corps administratifs. En conséquence, il se contenta de faire dire de sa part à sa troupe qu'il ne lui donnait aucun ordre pour assister au convoi, mais qu'elle lui ferait plaisir de n'y pas manquer. Le régiment s'y trouva donc, quoique sans armes, et tous les officiers, le colonel en tête, vinrent au palais épiscopal et accompagnèrent la pompe funèbre, marchant à la suite du clergé.

Quant au cœur du prélat qui, suivant ses ordres, avait été séparé de son corps, lorsqu'on en fit l'ouverture, il fut porté sans aucune cérémonie au séminaire, dans une boite de plomb et enterré, comme il l'avait recommandé, au bas de la dernière marche du grand autel [Note : Monseigneur de Saint-Luc avait recommandé à sa famille de le faire enterrer le plus simplement possible et sans tentures, vingt-quatre heures après son décès. Sur quoi le Chapitre délibérant, plein de vénération pour les pieux et humbles sentiments du saint prélat, a déclaré ne pouvoir entièrement se conformer à ses volontés, sans manquer à ce qui est justement dû à sa mémoire et à sa dignité. Il croit faire un grand sacrifice, en consentant qu'il soit inhumé, mardi prochain (le sixième jour après la mort), au bas de l'église, comme il l'a demandé, malgré le désir qu'il aurait de le placer dans un des endroits les plus distingués et d'attendre le délai de huitaine pour l'enterrer, selon l'usage de cette église et le cérémonial des obsèques des Evêques. (Extrait du déal du vénérable Chapitre, folio 137, inverso). En 1843, les restes de Monseigneur de Saint-Luc furent transportés dans la chapelle de la Victoire. En 1870, M. le comte Gaston de Saint-Luc, petit neveu de l'illustre prélat, a fait orner la fenêtre qui se trouve à l'entrée de cette chapelle, du côté de l'épître, d'une très-belle verrière, œuvre de M. Hirsch, peintre-verrier. Le sujet du vitrail rappelle un des grands actes de la vie du saint Evêque. Monseigneur de Saint-Luc, ayant à sa droite saint Corentin, est debout, tenant à la main sa protestation contre la Constitution civile du Clergé, qu'il offre au Souverain Pontife Pie VI, assis dans un fauteuil. Derrière le Souverain Pontife se tient saint Pierre. Au fond du tableau on aperçoit les tours de la cathédrale de Quimper. Nous félicitons M. le comte de Saint-Luc d'avoir eu l'heureuse idée de choisir pour sujet de sa verrière l'acte qui fait le plus d'honneur à la mémoire de son courageux parent, l'acte qui résume toute sa vie : faire toujours son devoir, même au péril de ses jours. Nous félicitons aussi M. Hirsch d'avoir si bien exécuté son travail. (Note de M. l'abbé Téphany)].

Après avoir rendu les derniers devoirs à leur chef, considérant de quelle importance ii était de prémunir les fidèles contre les assauts que leur foi aurait à soutenir, lorsqu'en vertu des décrets de l'Assemblée les électeurs du Finistère se réuniraient pour nommer un nouvel Évêque et ouvrir conséquemment la première porte au schisme, le Chapitre et le clergé déclarèrent unanimement qu'ils ne reconnaîtraient jamais le nouvel Évêque, à moins que son élection ne se fit suivant les formes anciennes, ou que l'autorité ecclésiastique ne les eut changées. Ils priaient Messieurs du département de suspendre toute démarche préparatoire à l'élection, pour ne pas donner au diocèse un pasteur avec lequel il ne serait pas possible de communiquer in divinis.

Afin d'expliquer plus en détail les raisons et les motifs de leur déclaration, ils adoptèrent en entier et signèrent la protestation préparée par Monseigneur l'Évêque, quelques jours avant sa mort. Ces pièces, étant revêtues de la forme et de l'authenticité requises, furent portées, le jour même, au département par MM. Bernetz, recteur de Querrien et doyen des recteurs du diocèse, et Mauduit du Plessix, recteur de Plovan, vicaire-général de feu Monseigneur de Saint-Luc, et vicaire capitulaire, le siége vacant.

Les autorités départementales parurent dissimuler d'abord l'impression qu'une démarche de cette nature ne pouvait manquer de leur faire. Elles répondirent aux deux députés en ces termes : « Le bruit s'étant répandu que le clergé venait de rédiger et de signer une pièce contraire au décret de l'Assemblée, les officiers municipaux ont sur-le-champ commencé une procédure criminelle contre les auteurs et signataires ; mais, vu la remise à nous faite de cette pièce, nous allons ordonner de suspendre les informations. ».

Mais loin de tenir sa promesse, le département ordonna à la municipalité, en lui envoyant la dénonciation de l'accusateur public, de suivre l'action commencée et d'entendre des témoins pris, pour la plupart, parmi ceux qui avaient signé la protestation, dans le clergé tant séculier que régulier.

La municipalité s'occupa, plus de huit jours, de cette audition de témoins. Elle affecta de réserver, en dernier lieu, le secrétaire de Monseigneur l'Évêque, le supérieur et quelques-uns des directeurs du séminaire, bien que ceux-là fussent plus à même que personne de lui donner les éclaircissements qu'elle cherchait. Mais son but était de leur attribuer ladite déclaration et de les poursuivre comme s'ils en avaient été les auteurs.

Le Conseil municipal fut cependant bien déçu dans son attente. Il vit clairement, par tout l'état de la procédure, que cette pièce était véritablement de Monseigneur l'Évêque. Ils en auraient d'ailleurs acquis une nouvelle preuve si, contre toutes les règles, ils n'avaient pas constamment refusé d'entendre les témoins oculaires, quoique ceux-ci fussent indiqués dans plusieurs dépositions. Pour remédier, autant, qu'il était en eux à ce déni de justice, M. Cossoul, chanoine, et M. Trémaria, médecin, déclarèrent, par devant notaires, que le prélat leur avait communiqué sa protestation.

La municipalité s'abstint également d'assigner aucun membre du Chapitre.

Tandis que le Conseil municipal travaillait de son côté, le département s'empressait de rendre compte à l'Assemblée nationale de ce qui venait de se passer et de lui adresser copie des pièces en question. L'iniquité fut prise elle-même dans ses propres filets ; elle donna, sans le vouloir, à la déclaration et à la protestation de l'Évêque et du clergé du diocèse de Quimper, une publicité et un éclat qu'elles n'auraient pu obtenir que peu-à-peu, à mesure qu'on serait parvenu à en répandre des exemplaires manuscrits, en attendant les imprimés.

Tous les journalistes dévoués à la bonne cause l'insérèrent dans leurs feuilles ; plusieurs mois après, elle fut imprimée séparément avec toutes les premières signatures et celles d'un très-grand nombre de recteurs et d'ecclésiastiques du diocèse, qui s'étaient fait un devoir d'y joindre les leurs.

D'après ces détails, ne peut-on pas penser avec raison que si Dieu, par une disposition particulière de sa Providence, se contenta de la détermination où était Monseigneur l'Évêque de Quimper de protester contre les atteintes sans nombre portées par l'Assemblée nationale aux droits les plus sacrés de la religion et de ses ministres, ainsi qu'à ceux du monarque et de tous les ordres de l'État, c'est parce qu'il entrait dans les vues de cette même Providence que l'acte de protestation, préparé par le prélat, acquit une plus grande publicité, et produisit un bien plus général, en montrant à toute la France que la mort même du chef n'avait pas été capable d'affaiblir, dans les membres, l'uniformité des sentiments qui les avaient constamment unis à lui par les liens réciproques de la plus tendre affection, de la part de l'un, et par ceux de la plus entière confiance et du plus invincible respect, de la part des autres ?

Voilà, au vrai, l'histoire de cette déclaration qu'il a plu à quelques écrivains dévoués à la Révolution d'appeler déclaration posthume, et de regarder comme apocryphe.

XVI.

Nous croyons devoir reproduire, à la suite du texte de M. Boissière, qui finit ici, la note suivante, écrite par un membre de la famille de Monseigneur de Saint-Luc :

« On regrette que dans l'abrégé de la vie de Monseigneur l'Évêque de Quimper, on ne se soit pas plus étendu sur les vertus qu'il a pratiquées et possédées, la plupart dans un degré éminent : son humilité profonde, son amour extrême pour la pureté, son abnégation, son détachement des choses de la terre, son attrait pour l'oraison, la vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu, toutes ces vertus qu'il a portées à leur perfection : son amour pour la pénitence et la mortification, sa charité tendre, compatissante, généreuse, universelle pour tous les besoins, tant spirituels que corporels de malheureux.

On n'en pourrait trop dire sur cet article ; il était le bienfaiteur et l'ange consolateur de son diocèse. Quoique ses moyens pécuniaires fussent bornés, on a lieu de s'étonner des secours abondants et continuels qu'il versait entre les mains des directeurs des hôpitaux et des Filles de la Charité, dites Sœurs blanches, tant en argent qu'en linge et autres objets utiles à ces différentes maisons.

Son revenu modique, administré avec la plus sévère économie, suffisait à tout et semblait se multiplier entre ses mains. Il avait mille industries pour opérer le bien. Il visitait lui-même les pauvres honteux dans les plus obscurs réduits ; sa charité active et éclairée les lui faisait découvrir, et il les soulageait en mille manières.

La Providence bénissait et multipliait ses moyens. Aux secours temporels, il joignait les spirituels : exhortations touchantes, conseils donnés à propos, livres de piété qu'il répandait à profusion, images saintes, etc., Tout ce qui sortait de la bouche du saint Évêque avait une force et une onction que Dieu seul pouvait donner. Il avait un attrait particulier pour porter la jeunesse à la vertu, et son cœur nageait dans la joie, lorsqu'il exhortait les enfants de la première communion, ou les jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe que Dieu favorisait du don précieux de la vocation religieuse, ou qu'il daignait appeler au sacerdoce. Il avait un talent particulier pour toucher les pécheurs les plus endurcis et les faire rentrer dans les voies de la justice. Que de traits touchants et frappants, tout ensemble, on eut pu recueillir dans le cours de son épiscopat !

Il se bornait aux seules visites indispensables de la société, qu'il rendait courtes et rares ; mais il visitait les pauvres, les malades, les affligés, les communautés religieuses, les hôpitaux, son clergé en particulier. Il n'y avait pas une famille dans la douleur qui ne reçut ses consolations. Il avait coutume de dire qu'il vaut mieux entrer dans une maison de deuil que dans une maison de plaisir. Il visitait aussi les familles où régnait la piété ; il se faisait un devoir de les y exciter et de les y maintenir ; il avait l'accès le plus facile et le plus affable, ne rebutant personne ; il se faisait tout à tous, comme l'Apôtre, pour les gagner tous à Jésus-Christ, et par ses manières douces, engageantes, affectueuses, aimables, il faisait bien des conquêtes à la vertu. Sa douceur était inaltérable ; naturellement très-vif, il avait pris le saint Évêque de Genève, auquel il avait beaucoup de dévotion, pour son modèle, et on peut dire qu'il l'a imité en bien des points.

A son exemple, il acquit cette vertu de douceur que les circonstances les plus fâcheuses ne purent altérer. Il portait l'amour des ennemis et le pardon des injures à un point si éminent qu'on disait que pour obtenir quelque grâce de Monseigneur l'Évêque, on n'avait qu'à l'offenser ; et il s'est trouvé des personnes qui ont osé se servir de cet indigne moyen.

Son zèle était infatigable, et aucun obstacle n'en pouvait arrêter l'ardeur. Il désirait le salut des âmes, et surtout de ses ouailles, de toute la force de son âme ; c'était chez lui une passion, une soif ardente qui le dévorait. Comme l'Apôtre, il eut voulu être anathème pour ses frères, pour ses enfants en Jésus-Christ, qu'il portait tous dans son cœur ; il chérissait son troupeau avec une affection toute paternelle ; il voyait avec une douleur amère les maux de l'Église et de l'État ; sa sollicitude lui faisait pénétrer dans l'avenir et déplorer avec des larmes de sang, si je puis m'exprimer ainsi, les ravages que devait éprouver l'Église de Jésus-Christ. La défection de ses ministres, qu'il prévoyait, la diminution de la race sacerdotale, dont on commençait déjà à ressentir les effets, le plongeaient dans une mer de douleur et d'affliction qui prenait visiblement sur sa santé.

Peu après la mort du vénérable Labre, il eut quelque connaissance des malheurs qu'il avait prédit devoir arriver à la France ; il en fut profondément affecté. Que de veilles ! que de prières ! que de pénitences n'offrit-il pas à Dieu, pour détourner sa colère de dessus sa coupable patrie ! Il passait souvent une partie des nuits dans son église cathédrale, prosterné devant l'autel où reposait le Saint-Sacrement. Un jour qu'il était sorti seul, après que tous ses gens furent couchés, pour se rendre dans une chapelle dédiée à la Mère de Dieu, située à quelque distance de son palais (il s'était sans doute oublié, dans la ferveur de son oraison), on l'aperçut, peu avant le jour, qui revenait chez lui revêtu d'un cilice, la corde au cou. Dans cet appareil de pénitence, il venait de s'offrir comme victime pour son peuple chéri.

Il aimait sa famille avec une grande tendresse, mais en Dieu et pour Dieu. Il vit, avec une joie toute sainte, l'ainée de ses nièces [Note : Mlle Victoire de Saint-Luc, Dame de la Retraite, guillotinée à Paris le 17 Juillet 1794] se consacrer au Seigneur. Il la guida, l'éclaira, l'aida dans ses pieux desseins, qu'il eut le bonheur de lui voir effectuer. Il se dérobait quelquefois à ses nombreuses occupations et se rendait auprès de M. son frère, qui habitait une terre à quelques lieues de Quimper, avec sa femme et ses enfants. C'était un bonheur inexprimable pour cette famille de posséder quelques moments leur frère, leur oncle, leur ami, leur Évêque. Il excitait la ferveur dans l'âme de ces enfants, gravait dans leur cœur, en caractères ineffaçables, l'amour de Dieu et de la vertu, les confessait, les dirigeait vers le bien.

Il édifiait tous ceux qui le voyaient, par ses paroles et par ses exemples. Il était impossible de le voir à l'autel, sans être touché et attendri jusqu'aux larmes. Il passait bien des heures dans la chapelle du château où l'on gardait le Saint-Sacrement. Il y faisait souvent des amendes honorables publiques, donnait la bénédiction, faisait des instructions familières, toujours. d'abondance de cœur, avec une piété, une onction impossibles à décrire.

Il avait le talent de la prédication dans un degré supérieur. Il montait souvent en chaire pour distribuer à son peuple le pain de la parole de Dieu, et ce n'était jamais sans fruit. Son nombreux auditoire prouvait assez la sainte avidité qu'on avait de l'entendre ; le ton pénétré avec lequel il prêchait ne contribuait pas peu à graver dans les cœurs les vérités qu'il annonçait, très-souvent c'était d'abondance et sans presque de préparation ; il parlait avec facilité, tous ses discours inspiraient la plus tendre piété et cette onction à laquelle on ne pouvait résister.

Etant chanoine, il composa plusieurs sermons dont on doit regretter la perte ; un surtout sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, qui eut un grand succès dans le temps, et contribua beaucoup à sa réputation.

Il était tendrement attaché à un ordre célèbre dont il déplora amèrement la perte. L'auteur de l'abrégé de sa vie a passé légèrement sur les persécutions qu'il eut à essuyer à l'époque de sa destruction, ainsi que son frère, alors conseiller au parlement de Rennes. Il conserva toujours pour les religieux de cet ordre, le respect, la confiance, l'attachement le plus tendre, et ses regrets durèrent autant que sa vie. C'est chez eux qu'il avait été élevé et qu'il avait puisé, ou du moins que s'étaient développées tant de vertus qui l'ont rendu si recommandable aux hommes et si agréable aux yeux de Dieu. Il n'a vu que les commencements de cette déplorable Révolution qui a couvert la France de deuil, et l'a inondée de larmes et de sang ; s'il n'a pas répandu le sien sur l'échafaud, comme plusieurs membres de sa famille, il n'en a pas été moins martyr de cœur.

Dieu a voulu lui épargner la vue de tant d'horreurs auxquelles il n'eut pu survivre : on l'ouvrit après sa mort comme c'est l'usage ; les médecins trouvèrent les parties de son corps parfaitement saines, et il eut pu vivre encore plusieurs années, mais la plaie mortelle était au cœur; il l'avait flétri et resserré par les douleurs amères qu'il avait ressenties des maux de la religion.

Le deuil fut universel dans son diocèse ; tous le pleurèrent ; le clergé en particulier sentit et déplora amèrement la perte immense qu'il faisait dans ces malheureuses circonstances. Il fut exposé durant plusieurs jours, selon la coutume, dans une des salles de son palais ; le peuple s'y porta en foule et le concours ne diminua point : tous voulurent voir pour la dernière fois leur père, leur bienfaiteur, leur ami, leur pasteur. Les ecclésiastiques des points les plus éloignés du diocèse se rendirent à ses funérailles, et jamais la douleur ne se manifesta d'une manière plus touchante et plus énergique. Les pauvres, les orphelins, les veuves qu'il avait soulagés en tant de manières, honorèrent ses obsèques par leurs cris, leurs gémissements et leurs larmes ; et ce ne fut pas l'éloge le moins flatteur que l'on put faire de lui. Ses louanges étaient dans toutes les bouches ; ses ennemis même rendirent hommage à ses vertus ; on ne pouvait se lasser d'en parler, et tous étaient convaincus que c'était un saint de moins sur la terre et un prédestiné de plus dans le ciel.

L'église de Quimper, veuve et désolée, ne tarda pas à être livrée entre les mains d'un intrus, dont elle devint la proie. Sa nomination et les circonstances qui l'accompagnèrent et la suivirent, appartiennent à l'histoire ; contentons-nous donc de dire que ce nouveau malheur augmenta encore la vivacité des regrets, et le sentiment amer de la perte du saint Évêque. Depuis près de trente ans, sa mémoire est en honneur, en bénédiction dans ce diocèse. Les pères ont transmis le récit de ses éloges à leurs enfants; des jeunes gens, qui ne l'ont jamais connu, le révèrent comme un saint, et son nom seul rappelle toutes les vertus » (Note supplémentaire de M. de S. ***).

M. l'abbé Boissière a omis dans la biographie de Monseigneur de Saint-Luc un fait que nous devons rappeler. A peine la Constitution civile du clergé, proposée le 6 Février 1790 par le député de Nemours, Dupont, fut-elle adoptée, le 12 Juillet suivant, que, sans attendre sa publication, l'Évêque de Quimper, en sentinelle clairvoyante, avait écrit au Souverain-Pontife pour lui demander son sentiment sur cette Constitution et réclamer la ligne de conduite qu'il devrait tenir, au milieu des difficultés où elle allait le jeter lui et tous ses prêtres.

La réponse du Pape Pie VI fait trop d'honneur à la mémoire de ce vaillant Évêque, dont il loue le zèle et la fermeté épiscopale, pour que nous ne la mettions pas sous les yeux de nos lecteurs (Trenaux, T. 1, p. 101).

« A notre vénérable frère TOUSSAINT-FRANÇOIS-JOSEPH, évêque de Quimper,
PIE VI.

Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
L'amertume des sentiments douloureux dont les affaires de France nous pénètrent, vient d'être considérablement augmentée par la lecture des détails que vous nous donnez dans votre lettre du 11 Juillet. Les plus graves témoignages parlent des dangers extrêmes où la licence du siècle a jeté la religion catholique dans toute l'étendue de ce royaume. Dieu, aux regards de qui tout est présent (Hebr., IV, 13), voit dans notre cœur le zèle qui l'anime à embrasser, dans ces conjonctures critiques, toutes les fonctions du ministère apostolique qui pourront intéresser le maintien de la religion, la dignité épiscopale et la tranquillité d'un empire, qui a dû si longtemps à la foi catholique la haute considération dont il a joui. Mais à quel parti s'arrêter aujourd'hui, dans ce boulversement où tous les freins sont brisés ? Nous attendons l'avis d'une congrégation de cardinaux réunis, selon qu'il est d'usage, pour connaître des atteintes que des systèmes novateurs ont portées à l'Église gallicane. La réponse que nous espérons recevoir ensuite de nos frères dans l'épiscopat, nous donnera le plan et le caractère de la délibération dont nous rendrons compte à Sa Majesté très-chrétienne, qui nous la demande, désirant qu'elle soit commune à toutes les parties de ses États. Vous voyez, d'après cela, notre vénérable frère, les motifs impérieux qui nous autorisent à ne pas vous accorder, pour le présent, les pouvoirs extraordinaires que vous désirez. Nous n'en sommes pas moins plein d'estime pour le courage qui vous anime, et les sentiments religieux dont votre lettre contient la profession éclatante, par la résolution où vous êtes de défendre avec vigueur l'intégrité du diocèse confié à vos soins, malgré tous les efforts de la violence, tous les actes d'une autorité illégitime. Daigne le Seigneur, dans son ineffable miséricorde, augmenter de jour en jour la vertu des pasteurs de son Église, en proportion des dangers qui la menacent. Recevez pour gage de cette faveur, notre bénédiction apostolique, que nous vous donnons, vénérable frère, ainsi qu'à votre troupeau, dans la tendre effusion de notre charité.

Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, le 1er Septembre 1790, la seizième année de notre pontificat.
CALLISTE MARINI,
Secrétaire de Sa Sainteté pour les lettres latines »
.

Monseigneur de Saint-Luc, prévenu par la mort qui le frappa le 30 Septembre 1790, n'eut certainement pas le temps de recevoir cette lettre datée du 1er de ce mois.

XVII.

Nous sommes heureux de pouvoir reproduire ici la précieuse déclaration de l'Évêque et du clergé de Quimper touchant la Constitution civile du Clergé, que nous avons trouvée dans les archives de l'Évêché. Tous, prêtres et fidèles, nous serons fiers de lire cet acte d'énergie et de fidélité à l'Église, de nos pères dans la foi : en ce temps de faiblesse où les âmes, c'est-à-dire les caractères sont amoindris, nous nous sentirons encouragés et plus forts, en voyant comment ces généreux soldats de Jésus-Christ savaient accomplir leur devoir.

LETTRE ET DÉCLARATION DE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE QUIMPER, ET DE MESSIEURS LES ECCLÉSIASTIQUES DU DIOCÈSE, MESSIEURS DU DIRECTOIRE DU DÉPARTEMENT DU FINISTÈRE.
Messieurs,

Après avoir rendu les derniers devoirs au premier pasteur de ce diocèse, dont vous-même avez admiré les vertus, nous venons, avec confiance, vous faire part de ses sentiments sur les grandes affaires qui nous occupent tous.

Il a déclaré, avant sa mort, qu'il regardait d'avance comme un intrus l'ecclésiastique qui serait élevé sur son siège épiscopal suivant les formes nouvelles. Persuadés de la justesse de cette décision, nous avons l'honneur de vous déclarer que jamais aucun de nous n'oserait faire usage de la juridiction qui lui serait confiée par le successeur de notre illustre mort, si ce successeur était pourvu de l'évêché de Quimper autrement que suivant les anciennes formes canoniques, et avant que l'autorité ecclésiastique les ait changées. Nous vous conjurons en conséquence, Messieurs, de suspendre toute démarche préparatoire à l'élection du futur évêque de Quimper, pour ne pas donner au diocèse un pasteur avec lequel il ne serait pas possible de communiquer in divinis.

Nous aurions, Messieurs, d'autres réclamations à ajouter à cette supplique ; mais nous les trouvons toutes renfermées dans la lettre et la déclaration ci-jointes, que feu M. l'évêque de Quimper avait préparées. Nous adhérons pleinement aux principes y exposés, sans restriction ni exception quelconque. Si M. l'évêque ne les a pas signés, c'est uniquement parce que la maladie s'étant développée subitement, il s'est trouvé dans l'impossibilité de le faire. Nous sommes assurés de leur authenticité.

DÉCLARATION ADRESSÉE À M. LE PROCUREUR-GÉNÉRAL-SYNDIC DU DÉPARTEMENT DU FINISTÈRE, PAR M. L'ÉVÊQUE DE QUIMPER, EN LUI ACCUSANT LA RÉCEPTION DES DÉCRETS RELATIFS A LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

Nous soussigné, évêque de Quimper, après avoir pris connaissance des décrets de l'Assemblée nationale, concernant la constitution civile du clergé, qui nous ont été adressés par M. le procureur-général-syndic du département du Finistère, déclarons qu'il nous paraît d'autant plus indispensable pour nous de réclamer contre ladite constitution, qu'ignorant les suites que peut avoir la maladie dont nous sommes attaqué depuis plusieurs jours, notre conscience nous fait une loi impérieuse de ne nous pas exposer à paraître devant Dieu, qui jugera les vivants et les morts, sans avoir formellement réclamé, comme nous réclamons par les présentes, contre les atteintes portées à l'ordre hiérarchique, institué par Jésus-Christ, à la discipline générale de l'Église, et contre l'envahissement des biens qu'elle avait jusqu'ici possédés sous l'autorité de toutes les lois, qui en ont confié le dépôt et l'usufruit à ses ministres, pour leur subsistance, pour l'entretien des temples et du culte divin, et pour le soulagement des pauvres.

L'état de faiblesse où nous nous trouvons, ne nous permettant pas de développer ici toutes les réclamations que nous préparions, depuis longtemps, sur une infinité d'objets non moins essentiels, nous croyons du moins avoir satisfait en partie à notre devoir, en déclarant que dans le cas où il plairait à Dieu de nous rendre la santé, si, pour nous faire un traitement, on exigeait de nous le serment prescrit par l'article 39 du décret du 24 juillet dernier, nous ne balancerions pas à nous refuser à ce serment, même avec les restrictions employées jusqu'à présent, parce que nous les jugeons insuffisantes ; mais, pour nous expliquer dès ce moment d'une manière claire et précise, nous déclarons qu'avec la grâce de Dieu, nous ne promettrons jamais de maintenir, de tout notre pouvoir, une constitution qui tend à l'affaiblissement, et peut-être à la destruction de la religion catholique, apostolique et romaine en France, où elle a cependant toujours été la seule religion de l'état, parce qu'elle y a toujours été regardée comme la seule véritable, et qu'elle l'est effectivement, et parce que hors d'elle il n'y a pas de salut ;

Une constitution qui anéantit, pour ainsi dire, la juridiction que les évêques ont reçue de droit divin sur les pasteurs du second ordre, sur les prêtres et sur les fidèles de leur diocèse, et qui renverse la puissance ecclésiastique et spirituelle, aussi indépendante de l'autorité civile et séculière que celle-ci l'est de la première, chacune dans son genre ;

Une constitution qui trouble l'accord et l'harmonie qui doivent régner entre ces deux puissances établies par la Providence pour se prêter, en une infinité de circonstances, des secours mutuels ;

Une constitution qui défend l'émission des vœux perpétuels et solennels de religion, approuvés par l'Église universelle, et admis dans tous les états catholiques, et qui les défend dans un temps où la corruption des mœurs devrait porter, plus que jamais, à laisser aux fidèles de l'un et de l'autre sexe la ressource de pouvoir se procurer, dans le cloître, ou la conservation de leur innocence, ou les moyens de la recouvrer, en pratiquant des conseils évangéliques, et en se livrant à l'exercice de toutes les vertus qui peuvent assurer leur salut, en même temps qu'elles font l'édification de ceux qui restent dans le monde ;

Une constitution qui suspend et interdit la perpétuité des louanges chantées, dès les premiers siècles de l'Église, dans les basiliques et les cathédrales, par des ministres spécialement consacrés à cet office saint et sublime ; qui enlève à ces mêmes ministres, le droit que les saints canons et les conciles leur ont attribué d'être les conseils nés de l'évêque, et d'exercer, pendant la vacance du siège, la juridiction épiscopale, en ce qui n'exige pas la puissance de l'ordre ;

Une constitution qui attaque la propriété d'une infinité d'individus, qui annule les traités les plus sacrés, qui sape les fondements de la monarchie, en dépouillant le monarque de ses droits les plus légitimes, et qu'une possession antique et vénérable semblait devoir mettre à l'abri de toute atteinte.

Nous avons prêté, entre les mains du roi, le serment de fidélité… La raison et l'évangile nous font un devoir d'être soumis aux lois qui en ont les vrais caractères, par leur conformité avec les principes de justice et d'équité prescrits par les lois naturelles et divines. Né Français, nous devons, comme citoyen, concourir au bien général et particulier de la nation, dont nous avons le bonheur d'être membre ; nous devons à nos frères amour et assistance ; nous devons entretenir entr'eux, autant qu'il est en nous, la paix et la charité ; comme évêque, nous devons au peuple, dont l'esprit saint nous a commis le gouvernement spirituel, les secours de l'instruction et l'exemple de la fidélité. Nous déclarons que ces sentiments sont profondément gravés dans notre cœur, et que, dans toutes les occasions, nous en ferons une profession publique et authentique.

Nous déclarons que nous prenons Dieu à témoin de la pureté de nos principes et de nos motifs, et que notre désir le plus ardent est qu'ils soient connus, non-seulement des membres composant le directoire du département du Finistère, mais de tous nos spectateurs, et de tous les fidèles du diocèse de Quimper, sur lequel seul s'étend et peut s'étendre notre juridiction spirituelle.

Nous demandons, nous réclamons l'assemblée d'un concile national si nécessaire dans les circonstances. Nous demandons, nous réclamons le recours au souverain Pontife, pour l'approbation et la sanction des décrets qui seront rendus dans ce concile par les évêques, qui, seuls, peuvent, de concert avec lui, juger de ce qui appartient à la foi, aux mœurs et à la discipline générale.

Nous déclarons que, pour satisfaire l'empressement d'un très grand nombre de pasteurs de notre diocèse, qui peut-être sont scandalisés de notre silence, nous sommes résolu de publier notre présente déclaration par la voix de l'impression, pour fixer irrévocablement leur opinion, qu'il nous ont manifestée, et les y affermir de plus en plus.

A Dieu ne plaise qu'effrayé par des calomnies aussi atroces qu'absurdes, que la malignité et l'ignorance cherchent à répandre sur les démarches et les intentions des Évêques et des ministres de la religion, nous nous mettions, par une lâcheté indigne du caractère dont nous avons l'honneur d'être revêtu, dans le cas d'éprouver le reproche que Dieu fait dans les saintes-écritures aux chiens muets qui n'oseroient élever la voix.

Non, tandis que la France est submergée par un déluge de feuilles et de libelles impies et détestables ; tandis que le juif et le protestant trouvent des appuis et des apologistes ; tandis que des esprits prévenus et peu réfléchis se font un mérite d'afficher partout et de prêcher le tolérantisme, il ne sera pas dit que la religion catholique, apostolique et romaine, et ses ministres seront les seuls sans défenseurs.

Quoiqu'il en put arriver, à l'exemple de notre divin maitre, nous regarderons toujours comme un bonheur d'être exposés aux opprobres, aux outrages et aux malédictions, pour des crimes dont nous ne serons pas coupables ; bien assurés que si l'injustice et la méchanceté des hommes nous ravissent le nom et les droits de citoyens pour une si belle cause, elles ne nous raviront jamais l'espérance de voir nos noms écrits dans les cieux, sur le livre de vie.

Enfin, après avoir exhorté, autant qu'il est en nous, nos chers coopérateurs à s'en tenir aux principes de la saine morale, même sur l'usure, nous déclarons qu'animé, plus que personne, du désir de voir renaître dans le royaume l'union et la charité fraternelle, nous les conjurons, par les entrailles de la miséricorde de de notre Dieu, de sacrifier comme nous à ce bien inappréciable tout ce que la conscience nous permettra de sacrifier. Nous les conjurons de n'employer dans leurs exhortations, dans leurs discours, dans leurs instructions, dans leurs conversations que des paroles de subordination, de soumission aux puissances légitimes, et d'éviter avec une scrupuleuse attention tout ce qui pourrait être susceptible de mauvaise interprétation, afin que nos ennemis les plus décidés ne puissent avoir prise contre nous et en prendre l'occasion de blasphémer le nom de Dieu.

LETTRE DE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE QUIMPER AU PROCUREUR-GÉNÉRAL-SYNDIC DU DÉPARTEMENT DU FINISTÈRE.
Monsieur,

J'ai reçu le paquet que vous m'avez adressé ; j'espère que que vous voudrez bien aussi recevoir mes réclamations : elles ne seront point nouvelles pour plusieurs respectables membres du directoire, devant lesquels je me suis plus d'une fois expliqué. J'ose me flatter qu'il n'est personne dans mon diocèse qui ne me rende la justice qu'elles étaient depuis longtemps préparées dans mon esprit et dans mon cœur ; mais je bénie Dieu qui me visite, depuis quelques jours, par une maladie très-sérieuse, d'en avoir suspendu pendant quelques heures la violence et les effets, et de m'avoir ainsi donné les moyens de manifester mes sentiments d'une manière authentique.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voilà, Messieurs, les pièces que nous avions à vous communiquer ; nous vous prions d'en prendre lecture.

Nous sommes, avec un profond respect, Messieurs, vos très-humbles et et très-obéissants serviteurs.

MM.
Louis de Bernetz, doyen de MM. les recteurs ; G. Hervé, recteur de Guiscriff ; F. Guinement, curé de Guiscriff ; J.-H. Le Dilhuit, recteur de Combrit ; R. Rochedreux, curé de Guilers ; C. Kerloch, prêtre de Trégunc ; A. Dumoulin, recteur d'Ergué-Gabéric ; Mauduit du Plessix, recteur de Plovan, vicaire-général ; P. Diquelou, prêtre d'Elliant ; Tanguy, du Grand-Ergué ; Le Sieur, recteur de Plomeur ; Tromboul, curé de Pluguffan ; Besnier, recteur de Plonivel ; Le Touller, directeur de Plouguernével ; Lalau, recteur de Locmaria ; Jannou, curé de Plozévet ; J.-V. Guégen, recteur de Plonéïs ; Le Moël, recteur de Plobannalec ; Le Guenno, recteur de Pouldergat ; Launay, chapelain de Saint-Mathieu ; Loëdon, recteur de Beuzec-Cap-Caval ; Denis, recteur de Loctudy ; P. Julien, recteur de Plovan : Bodénez, curé de Saint-Thomas ; Vidal recteur de Loc-Amant ; Ch. Le Clerc, recteur de Ploaré ; Quéré, recteur de Pleuven ; L'Haridon, bachelier de Sorbonne, recteur de Châteauneuf ; J.-Bap. Chevalier, recteur de Briec ; Coroller, recteur de Saint-Mathieu, ancien vice-official du diocèse de Quimper, examinateur des concours, docteur résompté de la faculté de Paris ; Jacob, recteur de Laz ; M.-J. Denmat, recteur de Tréméoc ; Leroux, prêtre ; J.-M. Le Bihan, recteur de Peumerit-Cap. P.-H. Corgat, recteur de Landrévarzec ; Sohier, recteur de Mahalon ; F.-P. Morvan, recteur de Plonéour ; Vallet, recteur de Kerfeunteun ; Andro, recteur de Landudec ; G.-H. Pellerin, recteur de Perguet ; Le Coguiec, prêtre du séminaire ; Le Flo, recteur de Pluguffan ; J.-M. Calvez, recteur de Tréguennec ; Yvenat, prêtre du séminaire et professeur de morale ; J. Douérin, curé d'Ergué-Armel ; J. Déniélou, recteur d'Ergué-Armel ; Th.-Fr. Compagnon, recteur de Bodivit ; Dulaurents, recteur de Trégunc ; E.-N. Le Gorgeu, recteur de Guengat ; Liscoat, supérieur du séminaire ; J. M. Dieuleveut, recteur de Pouldreuzic ; Le Du, recteur de Saint-Évarzec ; Leissègues, directeur au séminaire ; R.-J. Lameur, aumônier du Pont-de-Buis ; J. Le Guillou, curé du Moustoir-Châteauneuf ; Le Flo, diacre ; Boissière, prêtre ; Le Guillou, prêtre ; F. Anastase de Landerneau, ex-provincial, gardien des capucins de Quimper ; Jean Goasguen, recteur de la Chandeleur.

Nous soussignés, prêtres, chanoines de l'église cathédrale, certifions que feu le révérend Évêque de Quimper, le mardi 21 septembre, 2 jours avant qu'il soit tombé malade, nous, avoit appelés à son palais pour nous communiquer un projet de mandement qu'il avait tracé sur le papier, relativement aux affaires du temps, qu'il nous en fit lecture et que ce projet renfermait précisément tous les objets et les sentiments énoncés dans la déclaration signée de Messieurs les recteurs et autres.
À Quimper, le 5 octobre 1790. Gilart de Larchantel, Cossoul, Le Borgne, Larchantel, de Silguy.

EXTRAIT DU DÉAL DU VÉNÉRABLE CHAPITRE DE QUIMPER,
(fol. 140, recto).

Du mardi cinq octohre, mil sept cent quatre-vingt-dix, le Chapitre, extraordinairement assemblé à l'issue des vêpres, au lieu et à la manière accoutumés, auquel étaient présents Messieurs Gilart de Larchantel, chantre et chanoine, Thiberge, trésorier et chanoine, Desnoes, Le Borgne, Larchantel, Silguy et Andouyn, tous prêtres et chanoines, un de Messieurs les recteurs, réunis en cette ville pour la cérémonie des obsèques du révérend Évêque, s'est présenté au Chapitre et a mis sur le bureau deux pièces intitulées : déclaration adressée à Monsieur le procureur-général-syndic du département du Finistère par Monsieur l'Évêque de Quimper, en lui accusant la réception des décrets relatifs à la constitution civile du clergé ; y jointes deux lettres, l'une de Messieurs les recteurs, l'autre de Monsieur l'Évêque, le tout signé de Messieurs les recteurs et autres. Lecture en ayant été faite, le Chapitre délibérant, a été d'avis d'adhérer, comme il adhère par la présente, purement et simplement à ladite déclaration et aux lettres y jointes, comme étant l'expression fidèle de ses sentimens qu'il croit déjà clairement manifestés.

Fait et arrêté au Chapitre, les mêmes jours.

Arrêté de plus, au même endroit, que les copies qui sont délivrées de cette délibération, seront signées comme le registre, par tous les membres présents. Gilart de Larchantel, Thiberge, Le Borgne, Desnoes, Cossoul, Larchantel, de Silguy, Audouyn, Roquencourt ; par adhésion, Guesdon, Talhouët, Dulaurents, Descognets, Le Normant, et Desnoes chargé de procuration pour M. Duportal, Langan, par adhésion.

PAR ADHÉSION.
MM.
Graveran, recteur de Roscanvel ; Gloaguen, recteur de Telgruc ; Yven, chapelain de St-Mathieu, et curé de Kerfeunteun ; Gloaguen, curé de Mahalon ; J. Gloaguen, curé de Cléden ; Billon, recteur de Beuzec-Cap-Sizun ; Quillivic, prêtre de Pont-Croix ; Duvergé, prêtre, directeur des Dames Ursulines de Pont-Croix ; J. Fidèle Plouhinec, curé de Pont-Croix ; R. Grascceur, recteur d'Esquibien ; J. Riou, prêtre, curé d'Esquibien ; F. Michel Ange de Rostrenen, capucin, gardien d'Audierne ; M. Quillivic, prêtre ; Dagorn, curé d'Audierne ; Gloaguen, prêtre d'Audierne ; Jalfry, curé de Plougastel-Daoulas ; Y. Goardon, prêtre de Primelin ; Herviant, recteur de Primelin ; C. Le Gall, recteur de Plogoff ; P. Salaun, curé de Plogoff ; B. Pellé, prêtre de Cléden ; Gloaguen, recteur de Cléden-Cap-Sizun ; Kerisit, prêtre de Cléden-Cap-Sizun ; Le Pape, recteur de Goulien ; J. Trividic, curé de Goulien ; Cl. Ansquer, curé de Beuzec-Cap-Sizun ; Pennanech, recteur de Meylars ; Hervé Calvez, curé de Meylars ; R. Biliec, curé de Plouhinec ; J. Donnart, prêtre de Plouhinec ; H. Bosser, prêtre de Roudoualec ; L.-C. de Perrien, docteur en théologie et recteur de Plouhinec ; Charlès, prêtre de Plozévet ; Le Gendre, recteur de Plozévet ; E. Le Bozec, curé de Gourlizon ; H. Lecoq, supérieur du séminaire de Plouguernével ; François Le Pennec, prêtre du séminaire de Plonguernével ; J. Le Rigoleur, prêtre, du séminaire de Plouguernével ; Alain G. Le Louédec, prêtre, directeur du séminaire de Plouguernével ; Séb. Guillemin, curé de Plonévez-Quintin ; Pierre Cairon, curé de Trémargat ; G. Magoreux, prêtre de Plonévez-Quintin ; Eti. Le Carrec, prêtre et chanoine de Rostrenen [Note : Il y avait à Rostrenen une collégiale composée de quatre chanoines] ; J. Henrio, prêtre de Plonévez-Quintin ; Le Millin, curé de Loc-Maria-Plouguernével ; J. Prigent, curé de Saint-Gilles ; Poesévara, curé de Bonen ; François Donion, recteur de Glomel ; J. Prigent, prêtre de Glomel ; J. Julien, curé de Glomel ; C. Quévarec, curé de Motreff ; B. Sanson, recteur de Tréogan ; François De Flohid, recteur de Plévin ; F. Guillou, recteur de Paule ; J.-H. Boullé, curé de Paule ; Brelivet, chantre, chanoine et curé de Rostrenen ; T. Guermeur, recteur de Lannédern ; 0llivier, recteur de Laniscat ; Tanguy, recteur de Motreff ; Al. Paul, curé de Laniscat ; F. Tanguy, prêtre de Saint-Gilles-Pligeaux ; Le Maut, prêtre de Laniscat ; Georgelin, recteur de Saint-Mayeux ; Jégoux, curé de Saint-Mayeux ; Le Bihan, recteur de Saint-Martin ; Le Mehauté, recteur de Merléac ; Fraboulet, prêtre ; Denis, curé de Merléac ; Le Flahec, prêtre de Merléac ; Le Bigot, curé du Quillio ; J.-M. Le Gall, prêtre ; Le Meaux, prêtre du Quillio ; Léanté, curé du Haut Corlay ; Dosquer, prêtre de Kergrist-Neuiliac ; Jean Le Vieux, curé de Kergrist-Neulliac ; F. Le Gargasson, curé de Neulliac ; Josse, prêtre de Neulliac ; Hervé, recteur de Neulliac ; Le Coq, recteur de Mur ; J. Odic, curé de Saint-Guen ; J. Derrien, curé de Mur ; Fraboulet, prêtre de Saint-Guen ; Le Goff, prêtre de Mur ; Le Bris, curé de Saint-Connec ; Gallern, prêtre de La Harmoye ; Burlot, prêtre de Saint-Guen ; Le Bronnec, curé de Saint-Ygeau ; Denis, prêtre de Saint-Ygeau ; Guillou, curé de Saint-Gelven ; Y. Le Moing, recteur de Pemeurit-Quintin ; Collet, doyen de la collégiale de Rostrenen et recteur de Kergrist-Moëlou ; J. Le Pennec, recteur d'Edern ; Gaoëzec, curé d'Edern ; Tymen, curé de Briec ; Lariagon, prêtre de Briec ; Rohou, prêtre d'Edern ; Rolland, prêtre de Briec ; Philippe, curé de Landudal ; Seznec, prêtre de Briec ; De la Rüe, prêtre de Plovan ; Corréoch, curé de Saint-Jean-Trolimon ; Bourbigot, curé de Landrévazec ; Penanros, prêtre ; Le Doaré, recteur de Quimerch, bachelier de Sorbonne ; Le Bihan, recteur de Braspart ; Saliou, curé de Hanvec ; Bourrillon, recteur de Hanvec ; Le Garrec, prêtre, bachelier, directeur et professeur de théologie, au séminaire de Quimper ; Le Joncour, prêtre de Plouguernével ; Beubry, recteur de Bothoa ; Poësevara, prêtre de Bothoa ; Guillaume, prêtre de Bothoa ; Le Jacq, recteur de Corlay ; Le Guennauff, recteur du Haut-Corlay ; Le Boudet, recteur du Vieux-Bourg-Quintin ; Penault, curé du Vieux-Bourg-Quintin ; Mahé, sous-diacre ; Robert, curé de Saint-Conan ; Le Pollotec, prêtre de Saint-Gilles ; Le Pottier, curé de Canivel-Bothoa ; Philippe, recteur de Saint-Gilles ; Meunier, prêtre de Langolen ; Henri, curé de Laz ; Caëron, recteur de Trégourez ; Lalouët, curé de Trégourez ; Le Grand, curé de Coray ; Le Bricon, recteur de Leulsan ; Le Bihan, curé de Leulsan ; Ansquer, curé de Querrien ; Guillaume, prêtre ; Le Pennec, prêtre ; Le Poder, prêtre ; Jamin, prêtre ; Le Gloannec, recteur de Plourach ; Le Guillou, curé de Bolazec ; Le Bernard, recteur de Scrignac ; Derrien, curé de Plourach ; Brélivet, curé de Scrignac ; Le Coz, recteur de Poullaouen ; Jeffroi, curé de Berrien ; Cadic, curé de Poullaouen ; Le Roux, prêtre ; Fournier, recteur de Plouyé ; Burlot, curé de Plouyé ; Urvois, prêtre de Plouyé ; Kernaléguen, recteur de Berrien ; Kerdanet, curé de Guellevin ; Hervé, recteur de Saint-Thois ; Cajan, curé de Saint-Thois ; Cariou, curé de Langolen ; Yves Le Goff, curé de Lennon ; Laffeter, recteur de Plonévez-du-Faou ; Guiomarcq, curé de Plonévez-du-Faou ; C, Le. Guen, prêtre ; Keranguéven, prêtre ; Le Pape, curé de Rosquelfen ; Guézengar, curé de Pleyben ; Le Gnellec, prêtre de Châteauneuf ; Mével, prêtre de Loqueffret ; Ch. Floutier, curé de Loqueffret ; Boulben, prêtre de Loqueffret ; Kernaëret, prêtre et directeur des hospitalières de Carhaix ; L'abbé du Boisteilleul, chanoine de l'église de Rennes ; Pochet, recteur de Penmarch ; Jouan, curé de Lanvénigen ; Le Coguiec, prêtre, directeur des Dames Ursulines du Faouët ; Conan, curé du Faouët ; Le Tymen, prêtre de Plozévet ; Poupon, curé de Moustoir-Trébrivan ; Ph. M. Dagorne du Bot, docteur de Sorbonne, prieur commandataire du prieuré royal de Noizières et ancien vicaire général de Rennes ; Le Rigoleur, prêtre ; Boutier, prêtre et chanoine de Rostrenen ; Mocaër, curé de Leuhan ; Menguy, curé de Caurel ; Le Graët, prêtre ; Floyd, recteur de Plusquellec et vicaire général du diocèse ; Jiquel, curé de Botmel ; Abgrall, curé de Plusquellec ; Le Noan, curé de Calauhében ; Quenechdu, prêtre ; Guillou, prêtre ; Le Moign, prêtre ; Corbel, recteur de Duault ; Le Coent, curé de Burthulet ; Février, recteur de Maël-Carhaix ; Bercot, curé de Locarn ; Pesron, recteur de Pestivien ; Touboulic, curé de Pestivien ; Corbel, prêtre ; Meyniel, recteur de Carnoët ; Blien, curé ; Hervé, curé du Loc’h ; Le Baron, prêtre du Haut-Corlay ; Tanguy, curé de Corlay ; L'abbé de l'Esné, chanoine de Rennes, chanoine honoraire de Quimper ; Le Jac, de Gourin ; Castrec, de Gourin ; Le Moal, curé du Pont-l'Abbé ; Daheron, prêtre du Pont-l'Abbé ; G. L'Abbé, curé de Quillinen, en Briec ; P. Kerbèrec, prêtre de Quimperlé ; Poher, de Carhaix ; Vergos, prêtre de Briec ; David, curé de Saint-Gildas ; F. Le Garrec, prêtre du Faouët ; Riouw, recteur de Lababan ; De la Ruffie, prêtre de Ploaré ; Gloaguen, curé de Ploaré ; Le Marc, curé de Saint-Thomas-Landerneau ; Fr. Maximin de Loc-Vonau, capucin, vicaire et maître du noviciat ; Fr. Charles de Brest, capucin, prêtre ; F. Raymond de Bothoa, capucin, prêtre ; F. Fidèle de Morlaix, capucin, vicaire d'Audierne ; Le Gac, directeur des Ursulines ; Normant, directeur des Dames du Calvaire ; Trellu, prêtre ; Le Moel, curé de Kerrien-Bothoa ; Guyomarch, prêtre de Kerrien-Bothoa; Coëdic, curé de Lanrivain-Bothoa ; Tanguy, prêtre de Lanrivain-Bothoa ; Alano, curé de Bothoa ; Le Gall, curé de Loc-Maria ; Le Coëdic, curé de Maël-Carhaix ; Le Gall, prêtre de Maël-Carliaix ; Querneau, curé du Juch ; Auffret, prêtre de Saint-Herbaut ; Colin, curé de Kergrist-Moellou ; Riou, prêtre de Kergrist ; Kerhuel, secrétaire du Chapitre.

XVIII

L'Évêque et le Chapitre de Tréguier donnèrent leur adhésion à la déclaration de Monseigneur de Saint-Luc et de son clergé, dont ils adoptèrent les principes sans restriction ni réservation. Voici la délibération et la protestation du Chapitre :

DÉLIBÉRATION DU CHAPITRE DE TRÉGUIER
du Jeudi 28 Octobre 1790.
MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE, PRÉSIDENT.

Un des membres de la compagnie a donné communication d'une déclaration et d'une lettre adressées à M. le Procureur-général-syndic du département du Finistère, par M. Conen de Saint-Luc, évêque de Quimper. Après en avoir entendu la lecture et en avoir mûrement délibéré, Monseigneur et Messieurs en ont adopté les principes sans restriction ni réservation :

Considérant que sans l'autorité ecclésiastique on ne peut fixer à chaque pasteur les bornes de son territoire ; que c'est méconnaître et renverser la puissance de l'Église, que de la réduire à un état purement passif de servitude et d'esclavage, quand il s'agit de suppression, réunion on érection de bénéfices à charge d'âmes ; quand il s'agit de l'anéantissement et de l'extinction d'un grand nombre de titres et d'offices dont l'existence respectable remonte aux plus beaux siècles du Christianisme, et se perd dans la nuit des temps ; que, quoique l'autorité séculière intervienne dans la circonscription et fixation des territoires, son ministère se borne à provoquer le jugement de l'autorité ecclésiastique, et sanctionner ce jugement, quand il est prononcé ; que, pour établir canoniquement une nouvelle circonscription de territoire, pour créer, unir ou éteindre des titres de bénéfices, il faut avoir entendu les habitants, les patrons, les titulaires dont on diminue la juridiction, ou dont on supprime le bénéfice, et autres parties intéressées ; que la puissance temporelle ne peut, sans une incompétence manifeste et sans abus, dépouiller par le seul acte de sa volonté les Archevêques de leurs pérogatives et de leur suprématie, élever des siéges épiscopaux à la dignité de métropole, et investir les titulaires de ces nouvelles métropoles du droit attribué au Siège de Rome, comme centre de l'unité ; que c'est au Souverain-Pontife seul qu'il appartient de changer et de modifier les formes canoniques qui établissent la succession apostolique, la mission légitime et l'autorité spirituelle des pasteurs ; et que, dans ce cas, la puissance politique et civile ne peut se permettre d'autre influence que de protéger les saints Canons, de maintenir les lois de l'Église, et de forcer les réfractaires à les respecter et à s'y soumettre ; déclarent qu'ils regarderont comme intrus et hors de la communion catholique les prêtres qui, ayant été élus à l'épiscopat, suivant les formes établies par les décrets du 12 Juillet dernier, auraient la témérité d'exercer les fonctions épiscopales, avant que l'Église, dérogeant elle-même et sans contrainte à ses usages et à ses droits, ait adopté la nouvelle forme d'élection, et que les élus aient obtenu de N. S. P. le Pape la confirmation, la mission et l'institution canonique ; déclarent encore qu'ils regarderont comme coupables d'une invasion scandaleuse, tendante au schisme, les Archevêques et Évêques qui, avant le jugement préalable de l'Église, oseraient étendre leur juridiction spirituelle au-delà des anciennes limites de leurs diocèses respectifs, et qu'en conséquence Mgr et MM. ne peuvent reconnaître d'autre métropolitain que M. l'archevêque de Tours ; déclarent enfin qu'ils regarderont comme intrus les prêtres qui, étant préposés à régir des paroisses, exerceraient leurs fonctions avant d'avoir reçu la mission comme ci-devant de l'Évêque institué suivant les formes canoniques.

De plus Mgr. et MM. considérant que rien ne doit être plus sacré ni plus inviolable que la religion du serment ; fidèles à celui qu'ils ont librement prêté, sur le saint Évangile, en prenant possession de leurs titres respectifs, de conserver, protéger et défendre à leurs périls et risques, et par toutes voies de droit, les bénéfices dont on les investissait, et de ne jamais consentir à leur envahissement et à leur aliénation ; effrayés de l'excommunication lancée contre tous ceux qui contribuent, soit directement, soit indirectement, au dépouillement du sanctuaire ; craignant d'encourir la suspense que prononcent les saints Canons contre les ecclésiastiques qui, de quelque manière que ce soit, même par faiblesse et par leur silence, favorisent la dépréciation de biens de l'Église, et ne font aucun effort pour s'y opposer ; convaincus qu'on ne peut ni être saisi, ni être dépouillé d'un bénéfice quelconque que suivant les formes canoniques ; que les revenus consacrés par la piété de nos ancêtres à l'entretien des ministres de la religion, à la majesté du culte et au soulagement des pauvres, ne peuvent, contre la volonté expresse et connue des titulaires, et contre les lois reçues par l'Église, devenir le patrimoine héréditaire des familles ; que les acquéreurs et détenteurs de ces biens consacrés à Dieu, participeraient à l'injustice et au sacrilège que commettraient ceux qui se permettraient de s'en emparer et de les vendre ; convaincus, enfin, que la spoliation des églises catholiques exécutée malgré les réclamations du clergé, tandis que l'on conserve, et que même on restitue leurs revenus aux églises protestantes, peut avoir les suites les plus funestes, et qu'il est à craindre qu'elle n'entraîne la ruine de la créance catholique, apostolique et romaine en France, croient devoir, pour obéir à la voix impérieuse de leur conscience, protester, comme en effet ils protestent formellement, contre la saisie, la vente, l'engagement et l'aliénation des biens des différentes églises, notamment de celles du diocèse de Tréguier ; et protestent avec non moins de force contre tous actes de corps administratifs, sous quelque dénomination qu'ils puissent être établis, qui tendraient à s'emparer de l'exploitation, de la recette et du gouvernement de ces mêmes biens, au préjudice des membres du clergé à qui ces droits appartiennent par le titre de leurs bénéfices.

Et néanmoins Mgr. et MM. renouvellent les offres, qu'ils ont eu déjà l'honneur de faire à Sa Majesté, de se livrer en faveur de l'État à toutes les privations et à tous les sacrifices que peut inspirer l'amour de la patrie, le plus pur et le plus ardent, et que permettent la conscience et les vrais intérêts de l'Église.

De plus, Mgr. et MM. délibérant sur les moyens d'empêcher la ruine et l'extinction de la croyance catholique en France, persuadés qu'il n'en est pas de plus efficace que la tenue d'un concile national, se joignent aux différents Évêques, Chapitres et autres membres du clergé, et à une partie notable de l'Assemblée nationale, à l'effet d'obtenir la convocation d'un concile libre et général de l'Église Gallicane pour, de concert avec le Souverain Pontife, retrancher efficacement, et d'une manière juste et légale, les abus que la suite des siècles et la corruption des mœurs auraient pu introduire dans le sanctuaire.

Enfin, le Chapitre de Tréguier instruit par la notoriété publique de la dissolution déjà opérée de plusieurs chapitres d'églises cathédrales, tant dans cette province que dans phisieurs autres du royaume ; et ne pouvant se dissimuler à lui-même qu'il est prochainement menacé d'une pareille dispersion, aussi inviolablement attaché à la discipline générale de l'Église Romaine, qu'inébranlable dans sa foi, déclare que cette dispersion illégale et forcée de ses membres ne peut priver le Corps du droit que lui attribuent les saints Canons d'exercer, pendant la vacance du siège, la juridiction épiscopale, en ce qui n'exige pas la puissance de l'ordre ; arrête, en conséquence, qu'avenant la vacance du siège, ceux de ses membres qui pourront se réunir à temps, et en nombre compétent, prendront en mains le gouvernement du diocèse, et nommeront les vicaires-généraux, l'official et autres officiers ministériels, afin d'empêcher le schisme de s'introduire dans le diocèse, et que les fidèles soient gouvernés par des pasteurs et des prêtres qui aient une mission apostolique et légitime pour leur administrer validement les sacrements et autres secours spirituels, afin que MM. les recteurs et prêtres continuent d'avoir des supérieurs immédiats, avec lesquels ils puissent communiquer in divinis, sans rompre le lien de l'unité sacerdotale ;

Arrête que la présente délibération sera souscrite par chacun des membres du Chapitre, ainsi que les expéditions qui en seront délivrés au nombre de quatre pour être déposées, une chez un notaire de Paris, une chez un notaire de cette Province, et les deux autres en deux greffes différents.

Signé : + Auguste, Évêque de Tréguier ; Le Gonidec, chantre ; du Manadau, chanoine-trésorier ; Borie, chanoine-scolastique ; Siochan, chanoine ; Kergrech, chanoine ; J.-C. Le Dall, chanoine ; De S. Priest, chanoine ; De la Motte-Rouge, chanoine ; Chauvel, chanoine ; Laënnec de Penticore [Note : M. Laënnec avait été recteur d'Elliant au diocèse de Quimper ; il était frère du célèbre médecin dont s'honore Quimper; sa ville natale, qui lui a érigé une statue sur la place Saint-Corentin.], chanoine ; Rolland, chanoine ; Testard du But, chanoine, par adhésion.

Je soussigné certifie le présent extrait conforme à l'original auquel je l'ai fidèlement collationé. A Tréguier, ce 29 octobre 1790.

C. MALET, Greffier du Chapitre de Tréguier.
DÉCLARATION

De MM. les Chantre, Dignitaires et Chanoines du vénérable Chapitre de l'Église Cathédrale de Tréguier, adressée à MM. de la Municipalité de Tréguier, en réponse à leur notification de ce jour, mardi 16 Noventbre 1790, portant intimation d'exécuter l'Arrêté du Département des Côtes-du-Nord, concernant l'organisation civile du Clergé.

Elle est donc arrivée, Messieurs, cette heure à laquelle le calice de J.-C. devait nous être présenté pour en partager l'amertume avec son Église. Le disciple n'est pas au-dessus du maître ; nous recevons ce calice, et nous le boirons avec lui. Prosternés chaque jour au pied des autels, alarmés des orages qui menaçaient le sanctuaire, nous conjurions le Dieu de paix de la donner à son Église ; mais à ce moment où la foudre éclate, soumis et résignés, nous nous taisons, nous adorons, nous souffrons, nous nous livrons pour le salut du peuple ; nous arrosons de nos larmes le pavé du sanctuaire ; et après avoir demandé notre pardon et celui de nos ennemis, contraints d'abandonner un Temple consacré depuis tant de siècles à la gloire du Très-Haut, nous nous dévouons à la Justice Divine, comme ministres et comme victimes, ne pouvant plus lui offrir dans cet auguste sanctuaire l'encens de nos prières, et le prix de notre rédemption.

Déjà les voies de Sion sont inondées de pleurs, ses portes sont fermées, ses ministres chassés et dépouillés, ses vierges défigurées de douleur ; il n'y a plus personne qui vienne à ses solennités.

Ah ! Messieurs, vous en êtes vous-mêmes attendris ; et vous ajoutez à notre douleur, en nous montrant la vôtre. Était-ce donc des concitoyens, des amis et des frères qu'il fallait armer contre nous ? Était-ce des mains aussi chères qui devaient nous porter le dernier coup ?

Vous ne trouverez en nous, Messieurs, ni résistance ni aigreur, ni ressentiment, ni vengeance. Le Dieu, que nous adorons, impose silence à la nature, et subjugue les passions. A l'exemple de notre Divin Sauveur, nous baisons la main qui nous frappe, nous aimons celui qui nous immole. Condamnés à la retraite, et réduits à nos oratoires, nous ne cesserons de prier pour la nation et ses représentants, pour les administrateurs et les magistrats, et de supplier le Dieu de lumière et de vertu d'éclairer leurs esprits, de toucher leurs cœurs, de les diriger dans les voies de la justice et de la sainteté. Nous prierons pour notre auguste monarque, pour la gloire de sa couronne, pour la prospérité de son empire, pour le maintien de son autorité. Nous prierons pour l'Église de J.-C., agitée par les vents et par les flots ; nous demanderons, avec une ferme confiance, à son Divin Époux, l'accomplissement de ses promesses, le retour du calme et de la paix.

Mais, dans ce désordre effrayant et dans les horreurs du naufrage, nous élevons encore nos voix, et nous disons, comme l'Apôtre des nations : Nous souffrons, mais nous n'en rougissons pas ; nous n'en sommes point abattus. Nous savons que notre cause est celle de Dieu et de J.-C., son Fils, celle de son Église et de la religion sainte que nous professons ; celle de tous les vrais fidèles ; la vôtre, Messieurs, celle de nos concitoyens et de nos frères en J.-C. ; car c'est pour eux comme pour nous, c'est pour l'espérance d'Israël que nous sommes captifs et noyés dans l'affliction. Nous savons que le pasteur est frappé du même glaive que les brebis ; que tous sont également proscrits et dispersés. Mais nous savons aussi pour qui nous souffrons ce traitement, et à qui nous confions ce dépôt précieux ; que c'est à un Dieu également puissant et fidèle qui nous le réservera au grand jour, Ne croyez cependant pas, Messieurs, que ce sacrifice ne coûte point à nos cœurs. S'ils sont fermes et généreux, ils n'en sont pas moins sensibles, et ce sentiment est plus fort que la mort. Oui, c'est avec autant de douleur que d'étonnement que nous voyons, au scandale des fidèles, une main profane venir chasser comme des sacrilèges de la maison de Dieu, qui est aussi la nôtre, des ministres irréprochables dans leur mœurs, inviolablement attachés à leurs fonctions ; que nous la voyons renverser de sa chaire pontificale et arracher à son troupeau un prélat digne des plus beaux jours de l'Église. Fallait-il que ce coup lui fut porté par une portion de ce troupeau pour lequel il eût donné sa vie ?

Mais ce qui comble sa douleur et la nôtre, Messieurs, ce sont les suites de ce malheureux jour de notre dissolution et de notre dispersion. Nous conjurons le Ciel d'épargner les coupables et de ne pas laisser souffrir des innocents. Nous lui demandons qu'il prenne en une spéciale protection cette ville que nous porterons toujours dans notre cœur ; qu'il fasse pleuvoir la manne sur ces membres de J.-C. dont nous nous faisions gloire d'être les tuteurs et les pères ; qu'il suscite de dignes ouvriers pour la culture de la vigne du Seigneur, qui invoquent avec respect son saint nom, qui chantent solennellement ses louanges, qui annoncent avec majesté sa divine parole, qui soient la lumière et l'exemple des peuples, qui maintiennent la gloire et la pureté du temple , qui en révèrent et en conservent religieusement les dépôts sacrés, qui en acquittent exactement toutes les obligations et particulièrement celles qui nous furent imposées par la piété de nos souverains et de nos autres fondateurs, dont nous chargeons, expressément et devant Dieu, leurs consciences et celles de tous ceux qui y porteraient la main.

Ici, Messieurs, et avant de nous séparer, nous devons un hommage solennel au Dieu de vérité, à notre caractère et à notre conscience. Oui, nous le déclarons à la face du Ciel et de la terre, si nous cédons à la force pour l'amour de la paix, nous ne sacrifions point à la crainte nos âmes et nos devoirs. Nous rendons aux puissances temporelles le respect, la soumission, et nous en donnons au peuple l'exemple ; mais nous rendrons à Dieu ce qui est à Dieu. Nous reconnaissons pour vrai et seul Évêque de ce diocèse ce pontife que Dieu nous donna dans sa miséricorde ; nous n'en reconnaissons point d'autre, et nous lui serons constamment unis par un lien indissoluble. Nous nous regarderons toujours comme le chapitre-cathédral et le premier corps de cette église, du sein de laquelle on nous arrache. Nous y tiendrons inviolablement par les titres sacrés de notre institution canonique, de notre antique et légitime possession, et nous y réservons tous nos droits. Forcés de suspendre le culte public que nous rendions à l'Être Suprême, au nom et à l'édification de son peuple, nous déclarons n'attendre que le moment favorable pour rentrer dans nos fonctions.

Nous réclamons contre tous décrets et entreprises de la puissance séculière, au préjudice de la religion de J.-C., de la doctrine et de la discipline de son Église, de ses droits et de ses propriétés ; et en particulier des droits et propriétés de l'église de Tréguier, de son évêque, de son chapitre et de son clergé ; renouvelant nos protestations déjà faites, et réservant toutes celles à faire au besoin. Nous déclarons, enfin, à l'exemple de l'Apôtre, pleins de confiance dans la grâce de notre Dieu : Oui ! nous déclarons, nous protestons que ni les propriétés, ni les disgrâces, ni les périls, ni le fer, ni la vie, ni la mort, ni quoique ce soit au monde, ne sera jamais capable de nous séparer de l'amour de J.-C., de l'attachement à son Église, de la charité qui nous réunit comme membres d'un même corps, sous notre illustre chef, premier pasteur du diocèse.

Je soussigné certifie l'extrait présent conforme à l'original, auquel je l'ai fidèlement collationné. A Tréguier, ce 16 novembre 1790.
C. MALET, Greffier du Chapitre de Tréguier.

XIX.

Nous rapporterons également la protestation des prêtres de Léon contre la Constitution civile du clergé, en général, et notamment contre la réunion des Évêchés de Quimper et de Léon, et l'élection d'un Évêque du Finistère. Cette pièce trouve tout naturellement sa place ici, puisqu'en effet ces deux diocèses n'en font plus qu'un. Le titre de l'Évêché de Léon, supprimé par le Concordat de 1801, a été rétabli par le Souverain Pontife, Pie IX, sur la demande de Monseigneur Joseph-Marie Graveran, par un décret, en date du 23 Novembre 1853 [Note : Voir les œuvres de Mgr Graveran, t. III, p. 87].

COPIE DE LA PROTESTATION DE MM. LES RECTEURS ET AUTRES ECCLÉSIASTIQUES DE L'ÉVÊCHÉ DE LÉON.

Nous soussignés recteurs et autres ecclésiastiques de l'Évêché de Léon, ayant connaissance de la nouvelle Constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée nationale, et de la convocation des électeurs du département pour procéder, le 31 de ce mois, à l'élection d'un Évêque du Finistère, suivant les formes énoncées dans la susdite Constitution ; inviolablement attachés à la religion et à la discipline de l'Église catholique, apostolique et romaine, protestons contre toute suppression et réunion de bénéfices, spécialement contre la réunion des Évêchés de Quimper et de Léon, sans l'autorité de l'Église et l'exécution de toutes les formes canoniques ; protestons en conséquence contre l'élection qui pourrait se faire à Quimper d'un Évêque du Finistère. Ce 22 Octobre 1790.

MM.
Abjean, recteur de Saint-Thégonnec. Autheuil, recteur de Guiclan. Bizien, recteur de Kernouès. Bourva, recteur de Plouguin. Bouroullec, recteur de Plouédern. Branellec, recteur de Plougar. Breton, recteur de Sibiril. Briant, recteur de Plounéour-Ménez. Cadiou, recteur de Lanneuffret. Cail, recteur de Tréménach. Carluer, recteur de Saint-Mathieu. Cloarec, recteur de Tréflez. Coat, recteur de Lesneven. Corre, recteur de Minihy [Note : Le Minihy était, à cette époque, la paroisse de la ville de Saint-Pol-de-Léon : elle était formée des sept paroisses qui existaient auparavant dans cette ville]. De Bonnemez, recteur de Plounvez. De la Rue, recteur de Saint-Houardon. De la Rue, recteur de Saint-Sauveur de Brest. De L'Abbaye, recteur de Lampaul-Ploudalmézeau. De Poulpiquet, recteur de Plouguerneau. De Puyferré, recteur de Plouescat. Cavé, recteur de Trégarantec. Joly, recteur de Guissény. Floc'h, recteur de Saint-Louis de Brest. Galès, recteur de Plouzévédé. Gal, recteur de Plouénan. Garo, recteur de Bréventec. Giraudet, recteur de Kerlouan. Goff, recteur de Kersaint-Plabennec. Grall, recteur de Lanhouarneau. Hanus, recteur de Tréglonou. Hamelin, recteur de Trébabu. Iliou, recteur de Plouvien. Inizan, recteur de Plouzané. Inizan, recteur de l'Ile-de-Batz. Jaffrédou, recteur de Larret. Jestin, recteur de Plabennec. Kerboul, recteur de Landéda. Kermarrec, recteur de Saint-Vougay. Kermegant, recteur de Plougonvelen. Kersauzon, recteur de Plourin. Laot, recteur de Taulé. Laurent, de Cléder. Le Bihan, recteur de Plouvorn. Le Borgne, recteur de Goulven. Le Bris, recteur de Ploudiry. Le Cam, recteur de Plounéventer. Le Duc, recteur de Lannilis. Le Floc'h, recteur de Sizun. Le Fur, recteur de Plougourvest. Le Guen, recteur de Coatméal. Le Guen, recteur de Milizac. Le Jeune, recteur de Plougoulm. Le Pen, recteur de Ploudaniel. Le Rest, recteur de Loc-Brévalaire. Le Roux, recteur de Commanna. Le Saout, recteur de Tréflaouénan. Martin, recteur de Saint-Thonan. Masson, recteur de Drennec. 0llivier, recteur de Tréhou. Pédel, recteur de Plouarzel. Pelleteur, recteur de Lanildut. Perrot, recteur de Ploumoguer. Perrot, recteur de Plounéour-Trez. Piczrel, recteur de Guipavas. Pervez, recteur de Brouennou. Pilven, recteur de la Forest. Poullaouec, recteur de Saint-Renan. Richou, recteur de Guimilliau. Rolland, recteur de Languengar. Rouxel, recteur de Beuzit. Sénéchal de Penanguer, recteur de Goueznou. Scouarnec, recteur de Quilbignon. Tanguy, recteur de Guiquelleau. Toullec, recteur de Lampaul-Plouarzel. Ulfien-Duval, recteur de Guilers. Vaillant, recteur de Porspoder.

Nicolas, curé de Plouédern. Saliou, curé de Plounéventer. Bolloré, prêtre à Plounéventer. Scouarnec, desservant de Saint-Derrien. Kerlidou, desservant de Locmélard-Plounéventer. Le Roy, curé de Saint-Servais. Le Roux, prêtre à Saint-Servais. Huguen, curé de Trémaouézan. Berthou, prêtre à Trémaouézan. Morvan, curé de Ploudaniel. Le Goff, prêtre à Ploudaniel. Le Duff, prêtre à Ploudaniel. Morvan, curé de Saint-Méen. L'Haridon, chanoine de Lesneven [Note : Il y avait à Lesneven une collégiale dont l'église était dédiée à sainte Anne, Cette église très-ancienne, avait été rebâtie entièrement en 1448, par les soins et les deniers de Jean IV, duc de Bretagne, qui la fit ériger en collégiale. Le Chapitre était composé de sept chanoines]. Brichet, chanoine de Lesneven. Manach, curé de Trégarantec. Abgrall, curé de Lanhouarneau. Mesguen, curé de Saint-Vougay. Saillour, curé de Saint-Vougay. Le Floc’h, prêtre à Saint-Vougay. Gouachet, curé de Plouzévédé. Quéré, prêtre à Plouzévédé. Berthou, curé de Plougar. Gral, curé de Bodilis. Goas, prêtre à Bodilis. Mével, prêtre à Bodilis. Pellen, curé de Landivisiau. Thépaut, prêtre à Landivisiau. Bléas, prêtre à Landivisiau. Roquinarc'h, prêtre à Landivisiau. Bléas, sous-diacre à Landivisiau. Bogues, clerc à Landivisiau. Pouliquen, curé de Plougourvest. Corre, curé de Plouvorn. Bizien, prêtre à Plouvorn. Le Brun, prêtre à Plouvorn. Abgrall, prêtre à Plouvorn. Gougouil, desservant de Mespaul. Moal, desservant de Sainte-Catherine. Le Saint, curé de Plouénan. Mingam, curé de Plouénan. Péron, principal du collège de Léon. Costiou, scolastique, à Saint-Pôl-de-Léon. Fercoc, professeur de physique, à Saint-Pôl-de-Léon. Abgrall, professeur de rhétorique, à Saint-Pôl-de-Léon. Le Roux, professeur de seconde, à Saint-Pôl-de-Léon. Le Men, professeur de troisième, à Saint-Pôl-de-Léon. Le Gal, professeur de quatrième, à Saint-Pôl-de-Léon. Liscoat, professeur de cinquième, à Saint-Pôl-de-Léon. Chantrel, supérieur du séminaire, à Saint-Pôl-de-Léon. Sar, professeur de théologie, à Saint-Pôl-de-Léon. Liard, professeur de théologie, à Saint-Pôl-de-Léon. Richenet, procureur du séminaire, à Saint-Pôl-de-Léon. Corrigou, directeur des Dames Ursulines de Léon. Bleunven, directeur de la Retraite, à Saint-Pôl-de-Léon. Kerébel, curé du Miniliy, à Saint-Pôl-de-Léon. Moal, curé du Minihy, à Saint-Pôl-de-Léon. Branellec, curé du Minihy, à Saint-Pôl-de-Léon. Grall, curé du Minihy, à Saint-Pôl-de-Léon. Luguern, sacristain, à Saint-Pôl-de-Léon. Le Lan, vicaire de chœur, à Saint-Pôl-de-Léon. Jacob, vicaire de chœur, à Saint-Pôl-de-Léon. Boutin, curé de Roscoff. Bourgonnière, prêtre à Roscoff. Décourt, prêtre à Roscoff. Paul, curé de Santec. Dandrieu, sous-diacre à Léon. Riou, curé de Plougoulm. Gallou, prêtre à Plougoulm. Quiviger, curé de Sibiril. Corre, prêtre à Sibiril. Le Gat, curé de Cléder. Le Borgne, curé de Cléder. Marzin, curé de Cléder. Bloch, prêtre à Cléder. Marzin, curé de Cléder. Bloch, prêtre à Cléder. Postec, prêtre à Cléder. Lazennec, curé de Tréflaouénan. Cadiou, curé de Plouescat. Kerguvelen, curé de Plouescat. Perrot, curé de Plounévez. Léon, curé de Plounévez. Modire, curé de Trefflez. Lannou, curé de Goulven. Corfa, curé de Plounéour-Trez. Le Goff, curé de Plounéonr-Trez. Loustec, curé de Plouider. Picard, curé de Plouider. Abollivier, curé du Pont-du-Chàtel. Riou, curé de Guissény. Prémel, curé de Guissény. Le Floch, curé de Guissény. Thomas, curé de Kerlouan. Habasque, curé de Kerlouan. Bothorel, curé de Plouguerneau. Bleunven, curé de Plouguerneau. Rondaut, curé de Plouguerneau. Balcon, prêtre à Plouguerneau. Abhamon, prêtre à Plouguerneau. Le Goff, prêtre à Plouguerneau. De la Bardon, curé de Landéda. Calvarin, curé de Lampaul-Ploudalmézeau. Jacob, curé de Saint-Pabu. Bothuan, chanoine de Kersaint-Trémazan [Note : Kersaint-Trémazan était une chapelle fondée dans la paroisse de Plourin-Léon par les seigneurs de Trémazan. Cette chapelle fut ensuite érigée en collégiale ; il y avait un doyen et cinq chanoines qui étaient nommés par l'Évêque de Léon, sur la présentation du Duc de Gontault]. L'Escalier, prêtre. Maillous, chanoine de Kersaint. Le Hir, prêtre. Crémeur, prêtre. Keranguéven, curé de Plabennec. Quénéa, prêtre à Plabennec. Abernot, prêtre à Plabennec. Colin, prêtre à Plabennec. Cloarec, curé du Drennec. Kerébel, curé de Kernilis. Goualch, curé de Lanarvily. Keruzoré, curé de Kersaint-Plabennec. Gouriou, curé de Plouvien. Le Roux, curé de Plouvien. Kerriou, curé du Bourg-Blanc. Goachet, curé de Gouesnou. Larreur, curé de Quilbignon. Péron, prêtre à Quilbignon. Le Dréves, curé de Saint-Sauveur de Brest. De La Pierre, prêtre. Gourmélon, prêtre. L'Hostis, prêtre. Le Gendre, prêtre. Richault, prêtre. De La Goublave, prêtre. Laporte, curé de Saint-Louis de Brest. Kermarrec, curé de Brest. Le Nouvel, prêtre à Brest. La Biche, prêtre à Brest. De Pentrès, prêtre à Brest. Gestin, prêtre à Brest. Labous, prêtre à Brest. Denis, prêtre à Brest. Masson, prêtre à Brest. Dubuisson, prêtre à Brest. Bernicot, prêtre à Brest. Plessix, prêtre à Brest. Macabe, prêtre à Brest. Jacopin, aumônier de l'hôpital général de Brest. Kermergant, directeur du petit couvent de Brest. Pellé, diacre. Ségalen, curé de Guipavas. Jézéquel, prêtre à Guipavas. Boulic, prêtre à Guipavas. Pastézeur, prêtre. Bernicot, prêtre à Guipavas. Madec, curé de La Forêt. Gourmélon, curé de Saint-Divy. Causeur, prêtre à Saint-Divy. Pilven, prêtre à Saint-Divy. Moudeu, curé de Beuzit. Joguet, curé de Saint-Houardon. Cesson, prêtre à Saint-Houardon. Tréguier, prêtre à Saint-Houardon. Bodros, prêtre à Saint-Houardon. Gourmélon, prêtre à Saint-Houardon. Guillou, directeur des Dames Ursulines de Landerne. Corrigou, directeur des Ursulines de Lesneven. Abyven, de Guissény. Sibiril, curé du Tréhou. Ottar, prêtre au Tréhou. Berthoux, curé de Trévéreuc. Henry, prêtre à Trévéreuc. Roudaut, curé de Tréflévénez. Chapalain, curé de Sizun. Paugam, curé de Sizun. Tabou, curé de Sizun. Pouliquen, curé de Locmélard-Sizun. Grosvalet, prêtre à Locmélard-Sizun. Stéphan, curé de Commanna. Prouff, curé de Commanna. Nédélec, curé de Guimiliau. Méar, prêtre à Guimiliau. Breton, curé de Lampaul-Guimiliau. Le Gal, curé de Lampaul-Guimiliau. Guillerm, curé de Plounéour-Ménez. Floch, curé de Plounéour-Ménez. Le Vayer, curé de Pleyber-Christ. Croguennec, prêtre à Pleyber-Christ. Tanguy, curé de Saint-Thégonnec. Dralach, prêtre à Saint-Thégonnec. Cras, prêtre à Saint-Thégonnec. Rolland, prêtre à Saint-Thégonnec. Guénégan, curé de Sainte-Sève. Bourc'his, curé de Taulé. Penguilly, curé de Taulé. Querrien, prêtre à Taulé. Prigent, curé de Henvic. Hervet, prêtre à Henvic. Le Lez, curé de Carantec. Le Saout, curé de Carantec. Jézéquel, curé de Guiclan. Cabioch, curé de Guiclan. Madec, prêtre à Guiclan. Floch, prêtre à Guiclan. Cazuch, prêtre à Guiclan. Le Roux, curé de Ploudiry. Caro, prêtre à Ploudiry. Ouroual, curé de la Martyre. Bézar prêtre à la Martyre. Baron, prêtre à la Martyre. Corcuff, curé de Loc-Éguiner-Ploudiry. Le Gal, curé de Pont-Christ. Laot, curé de La Roche. Floch, curé de Lannilis. Bergot, curé de Lannilis. Thomas, curé de Porspoder. Lezoch, curé de Porspoder. L'Aîné, curé de Plourin. Quéré, prêtre à Plourin. Le Guen, curé de Plouguin. Bazile, prêtre à Plourin. Tourmen, curé de Brélez. Michel, curé de Lanildut. Trévien, curé de Saint-Renan. Forest, curé de Plouarzel. Lanuzel, curé de Plouarzel. Michel, curé de Plouarzel. Marzin, curé de Plouarzel. Le Moign, curé de Ploumoguer. Léostic, curé de Ploumoguer. Trébaol, curé de Lambert. Le Gal, curé de Plougonvelin. Quéré, curé de Plougonvelin. Morvan, curé de Lochrist. Nédélec, curé de Plouzané. Labbe, curé de Plouzané. Goachet, prêtre à Plouzané. Le Hir, prêtre à Plouzané. Jézéquel, curé de Locmaria. Provost, curé de Guilers. Cariou, prêtre à Guilers. Riou, curé de Bohars.

Le Chapitre adhérant unanimement à la protestation, ci-dessus, ont signé :

MM.
De Troërin, chanoine-chantre, président. Roussel, archidiacre de Quiminidilly. L'Abbé de keroulas, archidiacre d'Acre, et chanoine. Le Dal, chanoine. De Mathézou, chanoine. Depuyferré, chanoine. Prigent, chanoine-pénitencier. Quentric, chanoine. De Limoges, chanoine. Le Gac, chanoine. Hardy, chanoine. Henry, chanoine-théologal. Riquet, chanoine.

Plusieurs chanoines, recteurs, curés et autres ecclésiastiques, au nom du Clergé du diocèse de Léon, ont présenté à leur Évêque, le 15 novembre, la présente déclaration munie de la signature de l'université morale du clergé.

Le peu de signatures qui manquent sont attendues, et plusieurs, particulièrement celles des îles, dont l'abord est difficile dans cette saison, ne sont retardées que par l'éloignement : elles seront mises en supplément.

M. l'Évêque leur a fait la réponse suivante :

Messieurs,
Le témoignage public, que donne le clergé de mon diocèse de son attachement inviolable aux principes de la doctrine et de la discipline de l'Église, en même temps de sa fidélité à son pasteur légitime, devient dans
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les circonstances présentes plus précieux en lui-même et plus satisfaisant pour moi. Je ne dois point vous dissimuler ma joie, et je puis vous dire comme l'Apôtre : Gaudio in omni tribulatione nostrâ superabundo.

Après avoir supplié le Seigneur d'établir à jamais dans notre cœur la charité de Jésus-Christ, sans laquelle nous ne sommes rien, je n'ai qu'une demande à lui faire, et je prie mon clergé de s'unir à moi pour l'obtenir : que la mort seule sépare le pasteur de son troupeau, et soit qu'il vive ou qu'il meure, qu'il ne vive et qu'il ne meure que pour lui.

+ J. FR. Évque de Léon.
SUPPLÉMENT

Ce jour, 29 novembre 1790, nous soussignés déclarons que nous tenons pour constant, et faisons profession de croire que la juridiction spirituelle des pasteurs ne peut être ni étendue ni restreinte sans le concours de l'Église ; que les pasteurs actuels ne peuvent être dépossédés de leurs juridictions que par une démission volontaire ou par un jugement canonique ; qu'il ne peut s'établir de nouveaux pasteurs, sans le concours de la même Église, qui seule peut leur donner une juridiction; que telle est et a toujours été notre croyance, et que, Dieu aidant, notre conduite y sera constamment conforme.

Ainsi signé :

Goret, recteur de Ploudalmézeau. Roullouin, recteur de Lainlunvez. Balch, recteur de Lanrivoaré. Cren, curé de Ploudalmézeau. Pelleteur, curé de Ploudalmézeau. Pontdaven, prêtre à Ploudalmézeau. Meur, prêtre à Ploudalmézeau. Godebert, curé de Landunvez. Pecar, recteur de Plouider. Lannurien, prêtre de Saint-Martin de Morlaix. Richou, curé du Bourg-Blanc. Person, prêtre de Plouvorn. Pellan, prêtre de Plouvien. Laviec, curé de l'Ile-de-Batz. Le Bois, prêtre de Plouvien. Peron, prêtre de Kerlouan. Brichet, prêtre de Lesneven. Chavidon, prêtre de Lesneven. Loscun, curé de Guipronvel. Bloch, prêtre de Guipronvel. Talarmin, curé de Milizac. Le Meur, prêtre de Milizac.

Immédiatement après la mort de Monseigneur de Saint-Luc, M. Delaroque-Trémaria, son médecin et son ami, adressa à ses concitoyens un petit écrit, consacré à faire l'éloge du prélat défunt. Cet écrit, plein de cœur, est en même temps un acte de courage. Il y avait un vrai danger à louer, dans la circonstance, un pontife qui avait attaqué de front et démasqué publiquement les sociétés secrètes, alors toutes puissantes, un évêque qui était mort, on peut le dire, en protestant contre la constitution civile du clergé... Il y avait surtout du danger à blâmer ouvertement et en face tous ceux qui l'avaient dénigré et molesté pendant sa vie. Aussi, dès son apparition, la brochure de M. Delaroque fut-elle prohibée par la municipalité, et l'auteur fut signalé comme un mauvais citoyen. Sur l'exemplaire que nous possédons se trouvent les lignes suivantes :

« Malgré la solennité des décrets sur la liberté de la presse ; bien qu'il n'existe encore aucune loi nouvelle particulière et positive qui la restreigne ; enfin, malgré la déclaration des Droits de l'homme, le trône municipal de Quimper condamna, le 26 octobre 1790, ce petit écrit, dès qu'il parut, et son auteur fut voué à l'infamie constitutionnelle ».

Citons ces pages : elles font connaître à la fois M. Trémaria et Monseigneur de Saint-Luc. [Note : Cet exemplaire porte ces mots écrits de la main de l'auteur : A Mgr l'Evêque de Saint-Pol, de la part de l'auteur. Je supplie Sa Grandeur d'agréer ce faible écrit, comme un hommage authentique que rend à ses vertus, à ses lumières, à son courage, le plus respectueux de ses admirateurs. Delaroque Trémaria, médecin].

A MES CONCITOYENS.

Sur la mort de notre Évêque, M. DE SAINT-LUC, décédé le 30 Septembre 1790, à 7 heures du soir, à Quimper, âgé d'environ 67 ans.

MES CHERS CONCITOYENS,
Il est mort ce respectable Prélat que plusieurs d'entre nous, éblouis par des idées nouvelles, ont mal apprécié, principalement depuis les troubles qui nous divisent.

Il était cependant toujours le même, toujours aussi digne de nos tendres respects que l'année dernière, quand une maladie longue et cruelle le mit deux fois sur les bords du tombeau, et remplissait nos temples de prières et de gémissements.

Si tous les sacrifices auxquels il était disposé, dès l'origine de nos troubles actuels, par un vif et sincère attachement au Roi, qu'il ne sépara jamais du peuple, de ce peuple immense qu'il croyait ne pouvoir être heureux, sans un monarque tout-puissant ; si tous ces généreux sacrifices, hors expressément ceux qui pouvaient en quelque chose compromettre le dépôt de la foi catholique-romaine, dépôt sacré qu'il chérissait plus que la vie, puisqu'il y faisait consister son honneur et sa fidélité ; si ses tendres sollicitudes, qui se multipliaient chaque jour à la vue de la paix s'éloignant de nous ; si tous ces précieux sentiments sont de nouveaux titres à votre reconnaissance, vous devez convenir, mes chers concitoyens, que, depuis cette époque, il a nécessairement acquis de nouveaux droits à votre amour.

Son cœur vertueux et trop sensible s'est attristé jusqu'à l'excès, et pour notre divine Religion et pour la Monarchie qu'il croyait en danger.

Le sentiment de tous nos malheurs, qu'il n'avait, hélas, que trop prévus, ce sentiment pénible que l'impossibilité de nous soulager aggravait encore, ce sentiment profond et douloureux l'a fait périr.

Vous le savez cependant, mes chers concitoyens, ce cœur pur comme la lumière, obligeant, humain et religieux, charitable, eu un mot, fut toujours le sanctuaire des pauvres et de tous les infortunés. Ils y trouvaient, à chaque instant de la vie, des secours efficaces, des consolations abondantes, le cœur d'un père et d'un évêque.

Son instruction pastorale de tous les jours, de tous les moments, était le soin particulier qu'il prenait de répandre, autour de ses ouailles, comme une rosée délicieuse, les préceptes et les conseils de l'Évangile, et surtout de les accompagner, à chaque pas, du salutaire exemple qu'il donnait à son peuple dont Dieu lui-même, par la main des hommes, lui avait confié le salut éternel, peuple infortuné qu'il aimait d'autant plus, qu’il en essuyait quelques dédains, et pour lequel il ne cessa jamais de travailler et de prier.

Au rang de ses vertus favorites brillait avec éclat, aux veux des sages, le pardon des injures, vertu sublime qu'il avait puisée dans les trésors de l'Évangile, dont la science, la pratique et les heureuses applications lui étaient si familières, qu'il avait contracté la précieuse habitude de ne se venger que par des bienfaits. C'est ainsi, disait-il du ton le plus aimable, qu'un chrétien, et surtout un évêque doit toujours se venger. Deux des fédérés de Brest qui logèrent à l'évêché, lors de l'arrivée de la bannière en notre ville, pourraient, sur ce qui les concerne, en rendre témoignage. Enchantés de ses manières faciles, douces et prévenantes, et de sa promptitude à sacrifier ses armoiries et tout ce qui ne tenait qu'aux honneurs du siècle, l'un d'eux, le même jour, dans une assemblée de jeunes gens, le défendit sans balancer, avec autant de courage que d'éloquence. Cette disposition céleste dans notre bon Évêque, disposition si propre à calmer sur la terre les haines et les jalousies, était si comme des adroits séclérats, que j'en ai vu plusieurs lui manquer exprès, pour en arracher des services qu'ils ne méritaient pas, et quelques-uns réussir. J'ai voulu plus d'une fois, comme beaucoup d'autres, le lui faire observer. Le saint prélat me reprimandait fortement, et me prêchait la charité. Je me taisais, j'admirais, et mon mépris redoublait pour les méchants.

Je puis aussi vous rappeler, mes chers concitoyens, que, non-seulement ses moindres paroles et ses moindres actions se rapportaient toujours à Dieu, mais qu'il laissait découvrir à l'œil attentif un désir affectueux et paternel d'y faire tendre celles des autres ; enfin, jusqu’à ses moindres caresses, tout dévoilait en lui les traits précieux d'un caractère angélique.

Aussi, mes chers concitoyens, ce cœur aimant par goût, bienfaisant par principes, se condamnant toujours, quoiqu'il excusât tout le monde ; attentif à tous les avis, docile à tous les conseils qu'il croyait bons ; modeste en tout, quoique son penchant naturel le portât aux jouissances du luxe ; ce cœur honnête et tendre faisait les délices de tous ceux qui le connaissaient ou l'approchaient.

Ami compatissant, maître facile à contenter, tous ses domestiques le chérissaient et le servaient comme un père. S'ils tombaient dans le chagrin ou dans la maladie, il devenait leur premier consolateur et quelquefois même leur infirmier. Que de larmes n'essuient pas, que de maux n'effacent point de si touchantes attentions d'un maître si révéré !

Tous ceux enfin qui partageaient ses peines ou qui cherchaient à lui alléger le fardeau de ses devoirs, il les traitait en frères et souvent en amis. Le choix qu'il en faisait, annonçait tant de prudence et de sagesse que très-rarement il eut sujet de s'en repentir. Et voilà précisément la vraie science de l'homme en place : la connaissance des hommes.

Ses lumières épurées dans toutes les sciences morales et théologiques, quoiqu'elles n'égalassent point en profondeur la vivacité de sa conception et la justesse de son jugement dans les affaires les plus épineuses ; en un mot le coup d'œil de son esprit, s'il est permis de parler ainsi, ses lumières pures et ce coup d'œil juste, avaient tellement pénétré de confiance les hommes instruits de son clergé, capables de soulever le voile épais que formaient autour du grand Évêque, son humilité profonde et son extrême modestie, que la plupart d'entr'eux en avaient fait leur confident et leur conseil ordinaire.

Souvenirs déchirants ! J'ai vu languir et se flétrir ce cœur généreux et magnanime. Les secours de mon art et tous mes soins n'ont pu vous le conserver, mes chers concitoyens.

0 ! douleurs amères ! Et je ne suivrai pas au tombeau, mon bienfaiteur, oserai-je le dire, mon meilleur ami ! Que la volonté de mon Dieu, qui fut toujours sa règle ; soit aussi toujours la mienne ! Je dois supporter le poids du jour avec patience, puisque la divine religion qu'il me fit aimer m'ordonne, par sa voix, d'attendre et de souffrir.

Voilà, mes chers concitoyens, ce bon, ce saint et sage Pontife, que quelques personnes, malheureusement éblouies par les systèmes du jour, vous ont donné pour suspect dans ses principes politiques, parce que son âme éclairée, forte et courageuse, repoussait loin d'elle les inconséquences et les erreurs de son siècle.

Témoin assidu de ses derniers sentiments, je dois, mes chers concitoyens, vous déclarer que les approches de la mort, dont il sentit, dès le 26, au fond de son cœur, les premiers coups, n'ont fait que le raffermir dans les principes religieux et politiques qu'il a toujours hautement professés, mais qu'il n'a manifestés, dans ces derniers temps de troubles et d'alarmes, qu'avec la modération et la prudence qui pouvaient s'allier à l'impérieux devoir de rendre hommage à la vérité, dans les occasions importantes, au péril même de sa vie. Forcé donc de nouveau de s'expliquer sans retard, le dimanche 26, il chargea devant moi, M. l'abbé Boissière de rédiger sa déclaration, sur ses notes et ses lettres qu'il lui indiqua, dans l'intention bien prononcée de la signer, s'il en avait le temps et la force ; car dès ce ce moment, il ne pouvait déjà plus porter, sans secours, son verre à la bouche. Il fallut du temps pour achever cette pièce que l'on communiqua, par son ordre, à MM. Liscoat, supérieur, Cossoul, chanoine, et Coguiec, directeurs du séminaire, et la maladie faisait de rapides et d'effrayants progrès. Cependant l'essentiel lui en fut lu devant moi, et je fus témoin de son entière approbation. Les remarques qu'il fit ne tendaient qu'à fortifier la pièce. Il m'en entretint même, pendant un quart d'heure, avec satisfaction, après que M. l'abbé Boissière fut rentré dans le cabinet. A son avènement au siège épiscopal, il a juré, comme citoyen, entre les mains du monarque, d'être fidèle à son. Roi, et de maintenir, de tout sou pouvoir, son autorité souveraine. Il a rempli son serment. Que pouvait-il de plus ? que pouvait-il de mieux ?... Je vous entends, mes chers concitoyens, et vous dites : « Ah ! s'il eût voulu, ce bon prélat, prêter à la Nation le même serment, il serait devenu l'idole de ce peuple qu'il édifiait sous tant de rapports ». Eh ! voilà précisément, mes chers compatriotes, ce qu'il n'ambitionna jamais. Il ne désira jamais être l'idole d'un peuple enivré de passions funestes ; et jamais il ne voulut être que sa lumière, son exemple et son pasteur.

Soyons justes, mes chers concitoyens, et surtout ne précipitons pas notre jugement, quand il s'agit de condamner un tel personnage, lui qui ne se déterminait jamais légèrement, et jamais qu'après avoir consulté les vraies lumières et remonté jusqu'aux sources avouées de l'Église et de l'État. Croyons plutôt que, puisqu'il ne prêta point ce trop fameux serment, c'est qu'il ne croyait pas le pouvoir faire en conscience, et par conséquent qu'il ne le devait pas.

Il ne croyait point, il ne pouvait le croire, qu'un citoyen françois, sujet fidèle et bon chrétien, put reconnaître en France d'autre souverain que Le Roi, d'autre autorité législative légitime que la sienne.

Il ne voyait à la nation, comme à ses représentants, que le droit inaliénable de se plaindre et d'éclairer l'autorité royale, droit sacré sans doute, mais inséparable du devoir aussi sacré d'environner le monarque de secours efficaces, en lui soumettant toute la force publique, comme en lui laissant toute l'autorité législative, sans laquelle le droit de commander à tous n'a point assez de force pour entraîner l'obéissance.

Si vous joignez ces principes lumineux et sûrs à ceux qu'il avait nécessairement, comme un fils soumis à l'Église, sur l'autorité spirituelle, hélas, si dangereusement compromise par quelques décrets, vous n'aurez pas de peine, connaissant son courage, à vous rendre raison de son refus de sermenter.

Persuadé que son premier serment devait suffire, puisqu'il ne l'avait jamais violé ; qu'être fidèle au Roi, vrai souverain de la nation dans une monarchie dont il est nécessairement le chef inséparable, ne faisant qu'un avec son peuple, c'était assez prouver à cette même nation, dont lui-même était membre, son entier dévouement à ses véritables intérêts. Convaincu de ces éternelles vérités, il ne crut pas, sans être contraint d'y renoncer, pouvoir prêter le nouveau serment civique.

En effet, mes chers concitoyens, qu'est-ce qu'un serment ? Un acte religieux essentiellement obligatoire, mais libre, absolument, par lequel acte, on appelle en garantie le Dieu de justice et de vérité, que ce qu'on promet de tenir, on le tiendra comme on le promet.

Mais jurer d'être fidèle à la nation, c'est, en reconnaissant sa souveraineté, jurer de la maintenir, même aux dépens du pouvoir exécutif suprême, s'il le faut, c'est-à-dire au détriment funeste de l'autorité royale, dont les plus grands abus, quels que ces abus puissent être, ne seront jamais aussi pernicieux à la société que ceux d'une autorité républicaine quelconque.

Sermenter pour la constitution nouvelle, c'est encore jurer de favoriser en quelque sorte l'usure, de protéger et de secourir tous les déserteurs du cloître, d'approuver, sans autre motif que des motifs humains, la lâcheté qu'ils ont d'être infidèles à leurs vœux, comme à leur règle, sanctionnés par l'Église et dont par conséquent l'Église seule peut les dispenser.

Sermenter pour cette constitution nouvelle, c'est enfin jurer de se soumettre, sans attendre la sanction de l'autorité spirituelle, à tous les changements qu'il a plu parmi nous à l'autorité temporelle d'apporter à la hiérarchie ainsi qu'a la discipline ecclésiastique.

D'après l'abrégé des principes de notre prélat, mes chers concitoyens, l'homme juste et ferme, que nous venons de perdre, n'a pu ni dû prêter le serment civique de l'Assemblée nationale ; et si la conduite du saint Évêque condamne quelques ecclésiastiques séduits ou trompés d'abord, il leur reste toujours la double ressource de se mieux instruire et de se rétracter, s'ils veulent étouffer dans leur cœur les cris séduisants de l'amour-propre, ou de quelqu'autre passion secrète, ou seulement dissiper les fantômes de la terreur.

Qui de nous, ô mes chers concitoyens, oserait, d'après cela, s'élever aujourd'hui contre la mémoire de ce saint ecclésiastique, pour son inviolable attachement à des principes antiques et lumineux, qui seuls pourront toujours procurer aux nations le degré de félicité dont elles sont susceptibles sur ce globe malheureux.

Ce ne sera point moi, mes chers compatriotes, moi qu'une fatale expérience n'a que trop instruit du danger des principes contraires à ceux de cet illustre mort.

Ce ne devrait pas non plus être vous, mes amis et mes frères, vous que la licence dégrade et que l'anarchie dévore depuis quartorze mois ; vous qui ne conservez presque plus pour la religion de nos pères, la seule vraie, ce respect filial et majestueux que commande à l'homme le plus ordinaire la présence de cette religion sainte, source unique et pure de toutes les vertus morales et chrétiennes ; vous qui semblez triompher aujourd'hui de toutes les humiliations dont on abreuve ses ministres infortunés que l'on traite, en quelque sorte, comme des imposteurs et des brigands, et que l'on punit par la confiscation de leur patrimoine, comme s'ils étaient en effet convaincus de vol et d'imposture.

Et de quel crime les chargez-vous donc, philosophes prévenus, qui troublez ma patrie ?

Ils offrent à nos adorations, dès l'origine des temps, un Dieu de justice, de clémence et de charité ; et vous les traitez d'imposteurs !

Ils nous prêchent un Dieu fait homme, s'immolant à la justice éternelle, comme victime expiatoire pour tous les crimes de la terre ; et vous les traitez d'idolâtres et d'imposteurs !

Ils nous présentent dans les oracles du CHRIST et les décisions infaillibles de son Église, en deux mots, dans le dogme et la morale, les motifs les plus pressants de nous faire aimer la vertu, et de nous déterminer à fuir le vice ; et vous les traitez de fanatiques et d'imposteurs !

Ils veulent être fidèles au chef visible de l'Église, de cette Église nécessairement divine et par conséquent infaillible ; vous les traitez d'incendiaires et d'imposteurs !

Les plus faibles d'entr'eux et les moins instruits, s'ils ont de la bonne foi, balancent de vous croire : ils craignent de s'égarer sur vos traces ; ils redoutent le schisme et l'hérésie, qui s'avancent vers nous sous des dehors séduisants ; ils tremblent ; ils consultent les conciles et leurs évêques ; et vous les traitez de lâches et d'imposteurs !

Que d'autres traits semblables, ne pourrais-je point ajouter à ces traits de vérité ?

Mais un jour viendra, mes chers compatriotes, et puissent les prières du saint Évêque que nous pleurons, hâter ce jour heureux, où vos yeux dessillés, comme les miens, par la main de l'expérience et de la vérité, fixeront l'humble tombeau qui renfermera demain les cendres précieuses de notre pasteur chéri, pour expier, par des larmes amères, nos trop longs égarements !

Je suis avec un ardent désir d'être utile à ma patrie, ainsi qu'avec le dévouement le plus complet à vos intérêts véritables, mes chers concitoyens, votre frère et votre ami fidèle et respectueux,
DELAROQUE-TREMARIA, Médecin.

XXI
DÉPOSITION

De Monseigneur de Saint-Luc devant le Présidial de Quimper, qui l'avait appelé à sa barre, pour avoir démasqué la franc-maçonnerie dans son église cathédrale.

Nous soussigné, Évêque de Quimper, certifions et rapportons qu'afin de disposer les peuples confiés à nos soins à profiter de la grâce du jubilé, nous aurions arrêté de donner deux missions, l'une française, l'autre bretonne dans notre ville épiscopale ; qu'en conséquence nous aurions rassemblé des différents quartiers de notre diocèse quarante missionnaires, dont le zèle et les travaux ont répondu à notre attente, à la tête desquels nous aurions ouvert ces deux missions, le jour de la Pentecôte, 26 mai dernier ; que sollicité par les missionnaires et le vœu de tous les honnêtes gens de prêcher contre une certaine association, formée depuis plusieurs années en cette ville, au grand scandale de la religion et des mœurs, ainsi qu'à la ruine des familles, je me livrai à entrer dans leurs vues et que j'exécutai, le samedi huit juin, entre les 5 et 6 heures du soir, monté en chaire, en exhortant mon peuple à la persévérance, entre autres moyens que je lui indiquai, je proposai la fuite des occasions comme un des plus efficaces.

J'ajoutai que l'occasion fatale, pour un grand nombre de mes diocésains, était une association, qui, contre l'intention sans doute de ceux qui s'y sont enrolés, ne tend à rien moins qu'a conduire au déïsme et au libertinage, association réprouvée par les lois du royaume, par celles de l'Église, et par la raison même et par une décision de la Sorbonne. Sans nommer cette association, j'en dis assez pour faire connaître celle des francs-maçons, qui fait beaucoup de mal dans ce diocèse. J'exhortai mes auditeurs à fuir ces conventicules, et je n'oubliai rien pour leur en inspirer de l'éloignement. Je fis connaître que je savais, à n'en pouvoir douter, que, sous prétexte de cette association (seulement à l'insu et contre le gré de ceux qui la composaient), on faisait des levées d'argent sur les habitants des villes et des campagnes pour les recevoir francs-maçons, en leur faisant espérer des sommes considérables et un bonheur chimérique, ce que je qualifiai d'exactions et de concussions, et que la preuve en était acquise.

Je passai ensuite à d'autres objets… Que, le lendemain neuf juin, vers les six heures du soir, faisant la clôture de ces deux missions, sur des propos qui nous étaient revenus et qui méritaient attention, nous crûmes devoir dire quelques mots au sujet de la susdite association, en exhortant le peuple à persévérer dans la pratique des vertus dont il nous avait donné l'exemple, et montré, pendant l'exercice de la mission, le plus grand désir ; que, rendu à notre maison épiscopale, on nous annonça un huissier, qui avait une signification à nous faire de la part de M. le Procureur du Roi, présidial de cette ville ; que cette signification nous ayant été faite, nous avons vu qu'on nous donnait assignation à comparaître, le lendemain dix de ce mois, à dix heures du matin, à la chambre du Conseil dudit présidial, devant M. le lieutenant civil et criminel dudit siége, pour déposer comme témoin contre les auteurs, fauteurs et complices de certaines escroqueries commises sous prétexte d'associations, etc. ; qu'ignorant ce que contenait la plainte de M. le Procureur du Roi, et ne croyant pas devoir comparaître devant un juge qui est l'un des chefs de l'association des francs-maçons, dont il se fait gloire, nous fîmes signifier à M. le Procureur du Roi, le lundi dix juin, à neuf heures du matin, un dénoncé, pour lui déclarer que nous n'avions d'autres connaissances sur les objets indiqués dans l'assignation que celles qui nous avaient été données par M. le chevalier Gestin, gentilhomme respectable de cette ville, et l'un des commissaires des États de la province, qu'ainsi au-dessus de ladite indication, il était inutile que nous eussions comparu...

Mais sans égard à notre affirmation, ledit Procureur du Roi nous envoya sur-le-champ un second exploit pour nous obliger à comparaître, à la même heure de dix heures du matin, aux fins de laquelle, par pure déférence pour la justice, nous nous rendîmes au présidial, et nous nous fîmes annoncer par l'huissier de service au sieur juge criminel, qui, dans ce moment, entendait M. le chevalier Gestin ; ledit juge sortit pour nous le dire et nous prier de l'excuser, parce qu'il ne nous attendait pas dans l'instant, et qu'il ne pouvait interrompre l'audition d'un témoin, et nous pria de passer à la buvette. Après avoir attendu trois quarts d'heure, on nous introduisit à la chambre du Conseil, où nous témoignâmes audit juge criminel notre étonnement de ce qu'il ne fût pas venu recevoir notre déposition, comme nous pensions que cela devait être ; à quoi il nous répondit par la lecture de la note 2 de la page 142 du commentaire sur l'ordonnance criminelle de 1670 par un conseiller du présidial d'Orléans, portant qu'un évêque de Carcassonne avait éte débouté de pareille prétention par un arrêt du parlement de Toulouse. Nous répondîmes que c'était le summum jus ; et après avoir demandé nos noms et notre âge, et les avoir fait écrire, il nous fit prêter le serment et nous fit donner lecture du réquisitoire du Procureur du Roi portant, autant que nous pouvons nous en souvenir : Qu'ayant été appris par un sermon prêché, samedi le 8 juin dans l'église cathédrale, qu'il s'était commis des escroqueries, sous prétexte d'associations, tant en ville qu'à la campagne, et qu'on en avait la preuve, le Procureur du Roi requérait qu'il en fût informé, etc.; qu'après cette lecture, nous avons dit que, dès lors qu'il était question du résultat d'un sermon par nous prononcé dans la chaire de notre église cathédrale, nous n'avions rien à déposer concernant cette affaire, déclarant au surplus que ce n'était que pour obéir à la justice, et donner au peuple l'exemple que nous lui devons, que nous nous étions présenté sous toutes nos protestations et réservations...

Qu'après cette déclaration nous crûmes ne devoir plus être compliqué dans une action, qui était absolument étrangère ; mais nous venons d'apprendre que les francs-maçons, irrités de nos remontrances contre leur association, ont ému le Procureur du Roi, et lui ont suggéré de faire entendre de nouveaux témoins. Nous ignorons si ledit Procureur du Roi a fait une plainte nouvelle, ou un nouveau réquisitoire. Mais nous sommes assuré par la déclaration, qui vient de nous en être faite par un gentilhomme assigné et interrogé, que le juge criminel ne se contentait plus de recevoir la déposition sur la plainte dont on nous avait donné lecture ; mais qu'il interrogeait sur le discours que j'avais prononcé, le 8 juin.

Nous apprenons encore que nous avons lieu de craindre, et que c'est vraisemblable, que toute cette procédure ne tend qu'à nous faire passer pour dénonciateur et calomniateur... Dénonciateur d'un particulier, franc-maçon, qui a effectivement surpris la bonne foi des gens simples, en leur faisant payer des sommes considérables, pour les aggréger à la franc-maçonnerie ; quoi que nous ne l'ayons désigné en aucune manière, ne le connaissant pas même de nom, et quoique M. le Procureur eut pleine et entière connaissance des manœuvres de ce jeune homme, qu'il eût vu les billets qu'il avait donnés, et qu'il eut cherché à le faire évader. Elle tend encore ladite procédure à nous faire passer pour un calomniateur, en imputant à cette association des torts, dont les francs-maçons se disent innocents, quoiqu'ils nous aient été affirmés par des personnes de considération et par un grand nombre d'honnêtes gens, qui sont affligés de voir les maux que cette association cause dans cette ville, et les dépenses extrêmes auxquelles les francs-maçons se livrent, dépenses qui ruinent les pères de famille, et désolent les mères vertueuses de ce pays ; nous sommes saisi d'une lettre d'aggrégation à la franc-maçonnerie contenant la signature des francs-maçons de cette ville, dont plusieurs sont les principaux membres du présidial de Quimper.

De tout quoi nous avons rapporté notre présent procès-verbal pour nous servir, ainsi qu'il sera vu appartenir. Donné à Quimper, le 12 juin 1776. + T. FR., Évêque de Quimper.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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