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PERSÉCUTION CONTRE LE CLERGÉ CATHOLIQUE
** PRISON DES CARMES DE BREST **

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Il n'est aucun des ecclésiastiques demeurés fidèles à leur devoir qui n'ait été plus ou moins en butte à la persécution : nous ne parlerons que des perséçutions générales exercées contre eux, en semant notre récit de quelques traits particuliers.

Après la mort de Monseigneur de Saint-Luc, un grand nombre d'ecclésiastiques adhéra, ainsi qu'on l'a déjà vu, à la protestation de ce prélat contre la Constitution civile du clergé. Cet acte fut l'occasion de persécutions contre les signataires.

Dans chaque district, on convoqua, par ordre du département, tous les prêtres, afin d'amener ceux qui l'avaient donnée à retirer leur adhésion à la déclaration de l'Évêque defunt. On employa pour y arriver la ruse et la séduction c'est ainsi qu'au lieu de les interroger tous ensemble, suivant leur demande, parce que l'union fait la force et que le frère qui est soutenu par son frère est comme une ville, fortifiée, on les interrogea séparément, un à un, afin de tromper et de gagner les faibles. Quelques-uns eurent le malheur de rétracter, par crainte, leur signature : pour prix de leur trahison, ils reçurent toute sorte de belles promesses et on les laissa provisoirement en paix, c'est-à-dire jusqu'à la demande du serment. Quant à ceux qui maintinrent courageusement ce qu'ils avaient fait, il n'est pas de menaces, de vexations et de tracasseries dont ils ne furent l'objet.

Dès le commencement de l'année 1791, les corps administratifs se mirent à exécutér le décret qui ordonnait aux évêques et aux curés la prestation du serment, sous peine d'être destitués. Au mois d'Avril, voyant que les curés intrus, qui avaient remplacé les pasteurs légitimes, ne pouvaient espérer d'entraîner les populations dans le schisme, tant que ces derniers resteraient dans leurs paroisses, le Directoire du département prit un arrêté par lequel il leur était enjoint de s'en éloigner d'au moins quatre lieues. Il est facile de s'imaginer de quelles vexations cet arrêté fut la source et l'occasion.

Mais quelque violente que fût cette mesure, et surtout la manière de l'exécuter, ces moyens ne lui paraissant pas encore suffisants, le département défendit, le juillet suivant, à l'instigation des intrus, aux recteurs et autres ecclésiastiques de continuer l'exercice de leurs fonctions, sous peine de se voir immédiatement conduits à Brest, pour y être détenus dans le couvent des Carmes déchaussés, transformé en maison d'arrêt.

Aux uns, on signifia l'ordre de se rendre d'eux-mêmes à la maison d'arrestation, s'ils ne voulaient pas y être conduits, à leurs frais ; de ce nombre furent MM. Cossoul et Lameur. Les autres, recherchés et poursuivis par la garde nationale, furent arrêtés et conduits comme autant de criminels et de scélérats tels furent MM. de Kermorvan, Coroller et Janjaquer. D'autres en grand nombre, désignés pour être également dirigés sur Brest, ne purent se soustraire à la vigilance des soldats qu'à travers mille dangers. Ils se cachaient dans les bois les plus épais, au sommet des montagnes les plus reculées, quand ils ne pouvaient trouver un sûr asile dans les maisons des chrétiens dévoués, où les agents de l'autorité révolutionnaire exerçaient les plus minutieuses perquisitions, afin de voir s'il n'y avait pas, comme ils le disaient, de prêtres réfractaires.

Le Père Elisée, supérieur des Carmes déchaussés de Brest et provincial, homme très-pieux, excellent religieux, avait rendu de très-grands services à la ville de Brest. Malgré tous ces titres à la bienveillance du peuple, il fut tellement maltraité par lui dans le trajet qu'ou lui fit parcourir, avec deux autres prêtres, pour se rendre à son ancienne maison, devenue prison, qu'il y arrivât tout couvert de contusions... La canaille voulait le tuer !

M. Scouarnec, recteur de Saint-Pierre-Quilbignon, fut encore plus maltraité et plus près de sa dernière heure. Conduit sous un réverbère, il allait être étranglé par la corde qui retenait la lanterne, lorsque la garde finit, après une lutte très-vive, par l'arracher des mains des forcenés qui s'acharnaient après leur victime, dont ils avaient juré la mort.

M. Coroller, recteur de Saint-Mathieu de Quimper, et son vicaire, M. Janjacquer, tranférés de Quimper à la prison des Carmes, eurent à subir, à travers les rues de Brest, les mêmes mauvais traitements et les mêmes périls : la populace de cette ville avait soif du sang des prêtres irréprochables !

Doit-on s'étonner de la haine qu'elle montra pour les confesseurs de la foi, quand on sait qu'Expilly en donnait lui-même l'exemple ! Les magistrats de Brest avaient informé l'autorité départementale qu'ils ne pouvaient plus répondre des jours des prisonniers ecclésiastiques, la priant de les transférer dans un endroit plus calme ; on consulte l'évêque intrus, alors à Paris ; au lieu d'être touché du malheureux sort de ses anciens confrères, il répond cruellement qu'ils sont bien à Brest, qu'il faut les y maintenir...

Ce n'est pas la première fois que nous voyons ce prêtre apostat donner ces signes flagrants d'inhumanité à l'égard de ses frères dans le sacerdoce. On dirait qu'en se faisant révolutionnaire, il avait dépouillé tout sentiment de l'humanité la plus vulgaire.

Les détenus eurent à subir dans la maison d'arrestation de Brest toute sorte de mauvais traitements. L'espionnage le plus outrageant, les calomnies les plus infâmes, les menaces les plus terrifiantes, les injures les plus grossières, les propos les plus ignobles : rien ne leur fut épargné de la part des soldats nationaux qui gardaient les portes extérieures et intérieures de leur prison. Comme à leur divin Maître abreuvé sur la croix de fiel et de vinaigre, on leur fit boire jusqu'à la lie le calice de toutes les amertumes. Mais heureux de souffrir pour Jésus-Christ, ils demeurèrent inébranlables et fidèles dans la foi, supportant avec une patience admirable toutes les souffrances physiques et morales par lesquelles on s'acharna à les faire passer, avec une persistance et un raffinement dignes des premiers persécuteurs de l'Église : il y avait seulement cette différence que ces derniers étaient païens et que les geôliers de nos prêtres étaient leurs frères et souvent leurs enfants en Jésus-Christ.

Voici, avec la date de leur entrée et de leur sortie, les noms des prêtres séculiers et réguliers qui furent renfermés dans cette maison

MESSIEURS

De La Ruë, recteur de Saint-Sauveur de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Drévès, curé de Saint-Sauveur, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Lostis, aumônier de l'hôpital de Recouvrance, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

La Pierre, prêtre de Saint-Sauveur, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.
Scouarnec, prêtre de Saint-Pierre-Quilbignon, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Larreur, Curé de la même paroisse, entré le 28 juin 1791, sorti le 2 juillet.

Peyron, prêtre habitué, entré le 28 juin 1791, sorti le 2 juillet.

Loncle, prêtre, instituteur des enfants de M. du Porzic, entré le 28 juin 1791, sorti le 1er juillet.

De Laporte, curé de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Kermarrec, curé de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Bernicot, curé de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Labous, prêtre de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Linois, prêtre de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Plessis, prêtre de Saint-Louis de Brest, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

De Pentrez, ex-jésuite, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Kermergant, aumônier du petit couvent, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Duchêne, directeur des Filles de la sagesse, entré le 28 juin 1791, sorti le 1er août.

Moillard, capucin, aumônier des vaisseaux, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Mocaër, recteur de Lambézellec, entré le 28 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Gorret, recteur de Guitelmézo, entré le 29 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Lilles, curé de Lanrivoaré, entré le 29 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Cariou, prêtre de Guilers, entré le 29 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Gouachet, prêtre de Plouzané, entré le 29 juin 1791, sorti le 27 septembre.

Quéméneur, curé de Saint-Marc, entré le 29 juin 1791, sorti le 2 juillet.

Perrot, recteur de Ploumoguer, entré le 2 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Gouachet, curé de Gouesnou, entré le 2 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Briant, recteur de Plounéour-Ménez, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Boustouler, curé de Lanmeur, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Graveran, recteur de Roscanvel, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Meillard, curé de Crozon, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Noanès, recteur de Saint-Melaine de Morlaix, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Kerno, recteur de Plougonven, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Nigeon, curé de Plougonven, entré le 7 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Guerlesquin, curé de Saint-Martin de Morlaix, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Breton, curé de Saint-Martin, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Pitot, recteur de Saint-Mathieu de Morlaix, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Moyne, curé de Saint-Mathieu, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Balc´h, curé de Saint-Mathieu, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Penn, curé de Plouigneau, entré le 8 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Abjean, recteur de Saint-Thégonnec, entré le 11 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Tanguy, curé de Saint-Thégonnec, entré le 11 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Tranvouës, recteur de Pleyben, entré le 11 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Abhamon, prêtre de Plouguerneau, entré le 12 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Gourmelon, prêtre de Saint-Sauveur de Brest, entré le 12 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Breton, recteur de Sibiril, entré le 12 juillet 1791, sorti le 18 juillet.

Bonnemès, recteur de Plounévez, entré le 12 juillet 1791, sorti le 18 juillet.

Cloarec, recteur de Tréflés, entré le 12 juillet 1791, sorti le 18 juillet.

Le Hir, chanoine du Folgoët, entré le 12 juillet 1791, sorti te 18 juillet.

Jacob, prêtre de Plounéventer, entré le 12 juillet 1791, sorti le 18 juillet.

Pouliquen, curé de Locmélard-Sizun, entré le 13 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Cossoul, chanoine de Quimper, entré le 13 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Laod, recteur de l'Ile d'Ouessant, entré le 16 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Coroller, recteur de Saint-Mathieu à Quimper, entré le 25 juillet 1791, sorti le 8 août.

Jacquer, son curé, entré le 25 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

L'abbé de Kermorvan, chanoine de Quimper, entré le 26 juillet 1791, sorti le 25 août.

Le père Augustin Cor, capucin, entré le 26 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Kermergant, recteur de Plougonvelen, entré le 28 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le Gal, curé de Lochrist, entré le 28 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Moing, curé de Ploumoguer, entré le 28 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Le père Élisée, provincial des Carmes, entré le 28 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Sévère, prêtre de Pleyben, entré le 29 juillet 1191, sorti le 27 septembre.

Gloaguen, curé de Ploaré, entré le 29 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Talarmin, curé de Milizac, entré le 31 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Raguenès, curé de Landudec, entré le 31 juillet 1791, sorti le 27 septembre.

Gourmelon, prêtre de Saint-Houardon de Landerneau, entré le 3 août 1791, sorti le 27 septembre.

Lameur, prêtre de Pleyben, entré le 3 août 1791, sorti le 27 septembre.

L'abbé de la Biochais, entré le 23 août 1791, sorti le 5 septembre.

Murfty, irlandais, aumônier des vaisseaux, entré le 23 août 1791, sorti le 28 août.

Burlot, curé de Plouyé, entré le 6 septembre 1791, sorti le 27 septembre.

Quiniquidec, curé de Saint-Ségal en Pleyben, entré le 14 septembre 1791, sorti le 27 septembre.

Lannurien, ex-jésuite de Morlaix, entré le 15 septembre 1791, sorti le 27 septembre.

Thual, curé d'Ouessant, entré le 23 septembre 1791, sorti le 27 septembre.

Voici les noms des religieux de la maison également mis en état d'arrestation le 28 juin :

Le Père Florent, prieur.

Le Père Bonnefoi, sous-prieur, qui prêta le serment, au commencement du mois d'août.

Le Père Cyprien, définiteur.

Le Père Maurice, infirme.

Le Père Corentin, ex-prieur des Carmes de Carhaix.

Le Père Pacifique.

Le Père Alexandre.

Les Frères Louis, infirme, et Florent.

Au mois de Septembre 1791, en vertu de l'amnistie générale, ces glorieux confesseurs de la foi furent élargis, à la condition qu'ils se conformeraient à l'arrêté du mois d'Avril dont nous avons parlé plus haut.

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Mais cet élargissement ne devait pas être de longue durée. Furieux de voir rendus à la liberté les prêtres, dont la noble attitude était la plus évidente condamnation de son odieuse conduite, Expilly, à la tête de son troupeau de vils intrus, mit tout en œuvre pour paralyser cet acte de justice, et attirer sur le clergé orthodoxe une nouvelle tempête plus forte que la première.

Après avoir, pendant plus de quinze jours, travaillé à trouver des prétextes pour exécuter ses projets toujours subsistants contre tous ceux qui pouvaient directement ou indirectement discréditer les ministres du culte nouveau, le Département, dont Expilly et Gomaire, son digne vicaire, étaient membres, recommença, avec un redoublement de violence, la persécution, un moment ostensiblement interrompue. Sur des dénonciations controuvées, sans doute mendiées dans différents districts, et payées, il ne garda plus de mesure.

Le 29 Novembre, il prit un arrêté fulminant, par lequel il ordonna l'incarcération au Château de Brest : 1° de tous les ecclésiastiques qui avaient obtenu leur liberté, au mois de Septembre précédent ; 2° de tous ceux qui, ayant refusé le serment, troubleraient l'ordre public par leurs discours, leurs avis et leurs conseils, ou par leurs écrits : c'était comprendre dans la proscription tous les prêtres vraiment catholiques qui, n'écoutant que leur zèle et leur devoir, auraient cherché à prémunir les fidèles contre les fausses doctrines de la Révolution, soit dans des conversations particulières, soit au tribunal de la pénitence, soit par des écrits composés pour réfuter les erreurs nouvelles.

Un pareil arrêté ouvrait, on le voit, aux ennemis de Dieu et de la sainte Église un vaste champ dans lequel ils devaient marcher avec la rage et la cruauté qui caractérisaient les sectaires de cette sanglante époque.

Les brefs du Souverain-Pontife, en date du 10 Mars et du 13 Avril, avaient paru depuis plusieurs mois. Ils étaient venus fortifier la foi et le courage des bons prêtres, en leur apportant l'enseignement et les encouragements du Vicaire de Jésus-Christ, à l'heure où le prince des ténèbres et ses fanatiques suppôts s'étaient plus que jamais déchaînés contre eux. Telle une troupe de soldats aux prises avec un ennemi puissant; au plus fort de la mêlée, au milieu des ombres de la nuit, elle entend la voix connue de son général qui la dirige et l'encourage ; immédiatement elle redouble de valeur et résiste jusqu'à la mort, plutôt que de manquer à l'honneur. C'est ainsi que l'on vit agir la glorieuse phalange des soldats du sacerdoce, dès que la voix de son chef spirituel se faisant entendre au milieu de l'orage, lui traça nettement la ligne du devoir.

Si jusqu'à ce moment, quelques-uns ont pu hésiter sur la valeur théologique et canonique du serment prescrit par l'Assemblée Nationale, ils ne peuvent plus balancer maintenant, puisque Rome a parlé. Ce n'est plus seulement l'opinion du clergé de France ; c'est le jugement du Saint-Siége qui déclare ce serment impie et sacrilége. « Roma locuta est, causa finita est ». Glorieux de tenir fortement à la chaire de Pierre, et fiers d'avoir mérité par leur intrépidité l'approbation et les éloges solennels du Pontife Romain, les ecclésiastiques non assermentés n'auraient rempli qu'une partie de leurs obligations, en demeurant fermes dans la foi, s'ils ne s'étaient encore opposés comme un mur d'airain au torrent d'iniquités et de séductions qui inondait le royaume tout entier. Aussi, sans craindre ceux qui n'avaient d'autre pouvoir que celui de leur ôter la vie du corps ; sans écouter les raisons que la fausse prudence du siécle, ou la pusillanimité aurait pu leur suggérer pour garder le silence, ces vrais ministres de la sainte Église saisissaient toutes les occasions d'instruire les populations et de leur montrer le précipice affreux où l'on voulait les conduire, par la voie des principes mauvais prêchés par les prêtres assermentés. Dieu bénissait visiblement leurs discours, leurs exhortations et leurs exemples. Docile à leur voix, le grand nombre fuyait les assemblées des schismatiques et s'abstenait de communiquer avec les intrus. D'autres, désabusés de leurs erreurs et consternés d'avoir fait naufrage dans la foi, rentraient dans le sein de l'Église, demandant au zèle et à la charité des prêtres fidèles les consolations et les secours dont ils avaient besoin, pour sortir de l'abîme où ils s'étaient engagés.

Par une prévoyance pleine de sagesse, les vicaires capitulaires, le siège vacant, avaient, dès le commencement de 1791, réglé la ligne de conduite que devaient tenir, pendant le schisme, les ecclésiastiques qui demeureraient attachés à l'autorité légitime. Pour cela, ils avaient adopté, pour le diocèse, un mandement de Monseigneur l'Évêque de Langres y traçant à ses prêtres cette ligne de conduite. Ils avaient, en même temps, accordé à tous les prêtres déjà approuvés les pourvoirs nécessaires pour l'exercice de toutes les fonctions du saint ministère. Par ailleurs, Sa Sainteté avait établi, comme nous l'avons dit plus haut, un vicaire apostolique, nanti des facultés les plus amples avec le pouvoir de les communiquer en tout, ou en partie, aux prêtres non assermentés, auxquels il jugerait bon et utile de les accorder. Les choses étant ainsi disposées, rien ne manquait donc pour la canonique administration spirituelle du diocèse. Aussi, malgré les efforts et les agissements des constitutionnels, ces prêtres étaient-ils recherchés partout, soit pour valider les mariages célébrés devant les intrus, soit pour administrer les sacrements de la Pénitence, de l'Eucharistie, de l'Extrême-Onction, soit même pour conférer le Baptême aux petits enfants. Humiliés et outrés de se voir ainsi abandonnés et méprisés, les pasteurs intrus ou constitutionnels portaient journellement des plaintes devant les corps administratifs : et ce furent ces plaintes, jointes aux intrigues et aux calomnies des amis de la nouvelle constitution, qui provoquérent le 29 Novembre, l'arrêté du Directoire du département.

A peine cet acte fut-il rédigé et signé qu'il se forma une longue liste des ecclésiastiques qui devaient être arrêtés dans les divers districts. Des ordres furent expédiés sur-le-champ aux gendarmes et aux gardes nationaux, exécuteurs serviles de toutes les volontés des administrateurs, surtout quand il s'agissait de vexer les prêtres fidèles. Les uns sont saisis, au milieu de la nuit, dans leurs propres maisons ; d'autres, dans les retraites et les asiles que leur avaient offerts des amis dévoués, pour les soustraire aux recherches des soldats ou aux dénonciations des patriotes. Quelques-uns même sont arrêtés au pied des autels ; et sans qu'on leur accorde le temps de prendre les choses les plus nécessaires à la vie, ils sont impitoyablement, traînés à Brest, comme on traîne les hommes coupables des plus grands crimes.

L'Assemblée Nationale ayant réuni au diocèse de Quimper, sous la dénomination d'évêché du Finistère, celui de Saint-Pol-de-Léon tout entier, une partie considérable de celui de Tréguier, et quelques paroisses de ceux de Vannes et de Dol, les districts dépendants de cette nouvelle circonscription secondèrent avec zèle les intentions du Directoire du département. Cependant, malgré toute leur activité, ils ne purent parvenir à arrêter que 107 ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, depuis le 1er Décembre 1791 jusqu'au 12 Août 1792. C'est que les proscrits, se tenant sur leurs gardes, ou trouvaient moyen de s'échapper, quand ils pouvaient être avertis de la marche des gendarmes et des gardes nationaux, ou avaient pris la fuite pour aller se cacher dans les bois, dans les montagnes, dans des châteaux et des villages où ils étaient à l'abri des perquisitions.

Dans le district de Pont-Croix, on se saisit, dès le 1er Décembre 1791, de M. Le Gac, régent de cinquième au collège de Quimper [Note : Ce digne prètre est mort chanoine titulaire de la cathédrale de Quimper, le 2 Février 1842. Il avait émigré en Allemagne, à Munich, Où il resta vinqt-deux ans dans une famille chrétienne, dont il instruisit, les enfants. Le souvenir de l'hospitalité qu'il trouva au sein de cette excellente famille fit toujours couler les plus douces larmes des yeux du bon vieillard] : c'était le seul prêtre de cet établissement qui avait refusé le serment et perdu sa chaire, en conséquence ; tous ses confrères avaient donné dans le schisme, à l'exemple de leur principal, Claude Le Coz. On y arrêta encore MM. Gloaguen, vicaire de Ploaré ; Charlès, prêtre de Plozévet ; Plohinec, vicaire de Pont-Croix, et Rochedreux, vicaire de la trêve de Guiler, paroisse de Mahalon : ce dernier avait déjà subi auparavant une procédure criminelle, à cause de son zèle à instruire les habitants de cette trêve. M. Pichault, vicaire de Saint-Sauveur de Brest, qui se trouvait alors à Pont-Croix, fut aussi arrêté et conduit à Brest, comme ses cinq autres confrères.

A l'exception du vicaire de Pont-Croix, ces ecclésiastiques ne demeuraient pas dans la ville : ils y étaient venus momentanément pour affaires. Sur un avis secret du Directoire, ils se rendirent devant les juges du district. A leur entrée dans le prétoire, le président les accueillit par un rire moqueur, en leur signifiant qu'ils étaient, dès ce moment, en état d'arrestation pour Brest. Ils demandent l'arrêté de l'autorité départementale : on le leur communique. Ils prouvent au premier magistrat du district qu'il outrepasse les ordres qu'il a reçus. Malgré leurs justes observations, on leur déclare de nouveau qu'ils sont prisonniers. Les sbires, au service de cet inique tribunal, sont immédiatement mis sous les armes, pour garder ces innocentes victimes : ils sont si bien stipendiés que rien ne transpire au dehors.

Pourquoi donc ce huis clos ? Pourquoi cette minutieuse précaution de cacher une arrestation ordonnée par le Département ? Ah ! c'est que le mandat d'arrêt reposait sur un exposé évidemment faux, œuvre de quelques zélés patriotes de l'endroit, qu'il était facile de confondre devant le public. Celui qui fait le mal cherche les ténèbres !

Le temps était affreux : la pluie tombait à verse ; il faisait un froid très-intense ; la nuit était sombre : vers les dix heures, on amène une mauvaise charrette, à demi-couverte, dans laquelle on entasse les six prisonniers, comme un vil bétail, sans même leur procurer de la lumière pour s'y placer Comme les ténèbres étaient si épaisses qu'ils ne pouvaient rien voir, l'un d'entre eux demanda une lanterne : le président du district, aussi cruel que sa mère, la Révolution, lui répond qu'il en trouvera peut-être en route. Ils partent ainsi pour Quimper, distant d'environ sept lieues, escortés d'une vingtaine des plus misérables sujets de la ville. Arrivés, à huit heures du matin, on les fait attendre, près de deux heures, à la porte de la cour du tribunal du département, sans doute pour donner le temps à la populace de les insulter ; mais, cette fois, plus compatissante que ses pères, la canaille se contint : une seule femme du voisinage eut la honte de venir injurier les nobles captifs. Conduits enfin dans la cour, puis dans l'antichambre du Directoire, on ne leur proposa point de changer de vêtements, bien qu'ils fussent tout imprégnés par la pluie. Vers les dix heures, le président arrive ; voyant les prisonniers transis et grelottant de froid, il fait cependant allumer du feu pour les réchauffer, sans leur rien offrir à manger, malgré le besoin qu'ils en avaient. Viennent ensuite successivement les divers membres du Directoire. Quelques-uns, en passant dans l'antichambre, font semblant de les saluer; d'autres ne font aucun cas d'eux. Le fameux Gomaire, vicaire d'Expilly, les regarde de la manière la plus dédaigneuse. Ils attendent l'arrivée de l'Évêque intrus qui, leur avait-on dit, devait assister aussi à leur jugement; mais, retenu probablement par la honte, ils ne vint pas.

Vers onze heures, mourant de faim, ils prient de leur apporter quelque nourriture. On fut longtemps sourd à leur prière : enfin, après plusieurs demandes, on remit à un des valets du tribunal quelques pièces de monnaie pour leur acheter du pain. Celui qui le leur distribua le leur jeta comme à des chiens, en leur tournant le dos, et faisant retentir la maison de l'air Ça ira.

A midi, le président annonce aux prisonniers qu'ils vont être conduits au Séminaire, où l'on aura soin d'eux : il ajoute que, s'ils ont quelque chose à répondre aux griefs dont ils sont chargés, ils en auraient la liberté. Mais il faut remarquer qu'ils ignoraient quels étaient ces griefs.

Ils partent donc pour le séminaire. Les gardes nationaux qui les escortaient leur font traverser toute la ville, et, au lieu des insultes qu'ils s'attendaient à recueillir sur leur passage, ils virent verser des larmes sur leur sort. Le supérieur constitutionnel les reçoit à la porté de l'établissement avec un embarras qu'il ne peut dissimuler. Rougissant en leur présence, il se hâte de leur désigner leurs chambres, et se retire promptement, comme un geôlier qui ne peut envisager des prisonniers qu'on lui confie. Ah ! c'est que ces prisonniers étaient ses frères dans le sacerdoce ; ses frères fidèles dans la foi, dont la vue lui rappelait à lui sa chute et son infidélité persistante !

Au bout de cinq jours, ordre est donné de les diriger sur Brest. On les emmène par les dehors de la ville, sans que personne leur manque de respect, à l'exception d'un armurier, forcené patriote, qui les suit, pendant près d'un quart de lieue, en les accablant d'injures et en faisant retentir à leurs oreilles la clochette des agonisants qu'il avait prise à l'hôpital général.

Nous dirons plus bas comment on accueillait à Brest les prêtres que l'on y envoyait captifs [Note : Cette relation a été faite suivant les notes de M. Plohinec, vicaire de Pont-Croix].

Le même District de Pont-Croix fit encore arrêter pour Brest, le 15 Décembre, M. Kernilis , aumônier de M. le Marquis de Plœuc, et, le 12 Juin 1792, M. Morvan, recteur de Plonéour-Lanvern, qu'il avait soumis, plusieurs mois auparavant, à un procès criminel. Nous mettrons, à la fin de cette étude, sous les yeux de nos lecteurs, tous les documents de ce procès : on y verra une fois de plus comment on rendait alors la justice.

A ces détails sur la persécution exercée contre les prêtres dans le district de Pont-Croix, nous en ajoutons quelques autres extraits de deux lettres écrites par M. Le Clerc, recteur de Ploaré, le 16 Novembre 1792, et le 26 Février 1793, à M. Boissière, alors en Espagne.

M. Hervian, recteur de Primelin, étant obligé de faire un voyage au Faouët, son pays natal, avec un autre recteur de ce district, prit, en passant à Pont-Croix, pour lui et son compagnon de route, un passe-port qu'ils firent viser à Quimper, lieu du comité central. Offensé de ce que ces ecclésiastiques n'étaient pas venus le prévenir de leur départ, le comité de la petite ville d'Audierne, voisine de leurs paroisses, écrivit aux comités de tous les gros bourgs par où ils devaient passer, pour s'en plaindre et leur attirer ainsi des vexations. Le lendemain de leur arrivée au Faouët, deux gardes nationaux se présentent en armes à l'église, au moment où ils célébraient la messe : leur laissant à peine le temps d'achever le saint sacrifice, les patriotes leur intiment l'ordre de comparaître immédiatement devant le comité. Le président, prenant son plus haut ton d'autorité, les tance vertement, et leur enjoint de se présenter, à leur retour, devant le comité d'Audierne. Les deux recteurs, en s'en retournant chez eux, avisèrent de ce qui s'était passé le comité central de Quimper, qui écrivit à celui d'Audierne, pour le blâmer de son injuste procédé. Quoiqu'il en soit, peu de temps après, se trouvant dans cette dernière ville pour la recette de leurs dîmes, ces mêmes ecclésiastiques furent invités à paraître devant le comité. Afin d'éviter quelque tumulte du côté de leurs paroissiens, on les y mena à travers deux haies de sentinelles, et on les y traita de la manière la plus indécente. C'est ainsi que ces tyranneaux de bourgades s'entendaient à molester et à tracasser les bons prêtres, sous le moindre prétexte !

Quand parut le décret qui enjoignait aux fonctionnaires publics de prêter le serment, le District de Pont-Croix s'empressa de le mettre à exécution. (Au reste, il en fut de même par tout le diocèse de Quimper). Des médecins, des avocats, apôtres fanatiques de la nouvelle constitution, colportèrent de tous côtés son apologie par Claude Le Coz, évêque intrus de Rennes, les écrits de Camus, d'Expilly, etc. Hélas ! cette propagande acharnée, accompagnée tour à tour de caresses ou de menaces, ne fut pas sans résultat : elle fit impression sur quelques recteurs qui eurent la faiblesse de prêter le serment.

Objet de vexations et de persécutions toutes particulières, à cause du prestige de sa piété et de sa fermeté, qui servaient d'exemple et de soutien à ses confrères, M. Hervian, recteur de Primelin, demeure inébranlable. Pleins d'admiration pour leur recteur qu'ils aimaient comme un père et qu'ils vénéraient comme un saint, ses paroissiens s'attachent de plus en plus à lui, à mesure qu'on le moleste davantage et que sa constance dans le devoir augmente avec le péril. Les prêtres jureurs, au contraire, tombent dans le mépris de leurs ouailles, qui s'éloignent d'eux et viennent à Primelin entendre la messe et chercher les autres secours spirituels dont ils ont besoin, au milieu des assauts livrés, chaque jour, à leur foi. Ce fut là un nouveau grief et l'occasion de nouvelles vexations contre le prêtre fidèle. On épia toutes ses démarches ; on envoya des émissaires pour assister à ses instructions. On alla jusqu'à lui faire un crime d'anticiper le temps pascal dans sa paroisse, etc., etc... Enfin, comme ils ne pouvaient arrêter le flot de fidèles qui affluant, envers et contre tout, vers Primelin, se pressaient autour du digne recteur, comme à l'heure du péril les agneaux autour de leur pasteur, les électeurs assemblés, le 10 Avril 1791, lui désignent un successeur qui refuse de prendre son poste. Un second apporte le même refus ; enfin ils nomment un troisième qui accepte. La municipalité de l'endroit reçoit l'ordre d'installer l'intrus dans ses fonctions, le dimanche suivant, jour des Rameaux. Le Maire de Primelin n'ayant point jugé à propos de notifier au pasteur légitime les ordres qu'il avait reçus, ce dernier monte à l'autel pour chanter la grand'messe. Il avait déjà commencé la cérémonie de la bénédiction des Rameaux, lorsque les commissaires du District entrèrent dans l'église. On le laisse terminer cette cérémonie et chanter la messe.

L'office étant fini, l'intrus monte en chaire. Aussitôt, le peuple sort en masse de l'église : c'est en vain que les commissaires font tous leurs efforts pour le retenir. Confus de se voir sans auditeurs, le prêtre jureur retourne à la sacristie où il rencontre le recteur légitime, qui lui dit d'un ton assuré : « Monsieur, vous ne pouvez exercer aucun pouvoir dans cette paroisse ». Un des commissaires crie à la révolte. Le vrai pasteur, toujours ferme et calme, répond : « Que l'on relate au procès-verbal le propos que je viens de tenir, et je le signerai ». Un des agents de la suite des commissaires ose porter la main sur M. l'abbé Hervian ; quelques-uns de ses paroissiens l'aperçoivent à travers les vitres de la fenêtre de la sacristie ; ils se précipitent pour y entrer de force, afin de protéger contre tout acte de violence la personne sacrée de leur père bien-aimé. Connaissant tout le dévouement de ses enfants pour lui, et sachant que, pour le défendre, ils s'exposeraient à tout, celui-ci les prie de se retirer et de s'abstenir de toute violence.

L'intrus fut donc installé, et le recteur obligé de se retirer dans une maison peu éloignée, où il y avait une chapelle sur laquelle on fit bientôt mettre les scellés. Tracassé et poursuivi continuellement, il lui fallut quitter la paroisse et aller chercher un asile au Faouët et dans les environs. En butte, là encore, à de nouvelles persécutions, il dut enfin se résigner à abandonner sa patrie et à se réfugier en Espagne [Note : M. Hervian fut nommé curé de Scaër, à son retour d'Espagne ; il y est mort en 1815].

Le district de Châteaulin fit arrêter, le 6 Décembre 1791, M. Guézengar, vicaire de Pleyben, qui avait précédemment échappé par la fuite aux recherches dirigées contre lui, dans le but de le renfermer dans le couvent des Carmes de Brest.

Le 7 du même mois, on s'empara de la personne de M. Yves Le Bozec, vicaire de Gouézec, qui fut saisi par les gendarmes, pendant la nuit, dans la maison même du recteur assermenté de cette paroisse.

Le 10 du même mois, M. Quiniquidec, vicaire de Saint-Ségal, fut arrêté et incarcéré aux Carmes de Brest.

Le 2 Mars 1792, M. Mignon, prêtre de Crozon subit le même sort. Il était resté dans sa paroisse où il exerçait secrètement les fonctions sacerdotales, fuyant de village en village, à la faveur d'un déguisement, afin de tromper la vigilance des agents révolutionnaires. Un jour que ceux-ci le recherchaient, de jeunes enfants, ignorant les conséquences de ce qu'ils faisaient, le signalérent comme prêtre, et leur découvrirent l'endroit où il se tenait caché. Saisi immédiatement, il fut conduit à Brest.

Les habitants de Crozon gardent toujours le souvenir du zèle intrépide que montra, pendant les mauvais jours de la persécution, ce prêtre sans peur et sans reprocheoperarius inconfusibilis — qui, avec M. Raguénès, M. Meillard, M. Balcon, etc, demeura courageusement sur le sol natal, pour y faire l'œuvre de Dieu, à travers tous les périls. Honneur et gloire à ces martyrs du devoir et de la charité apostolique ! Honneur et gloire au pays qui produit les races fortes, fécondes en hommes de caractère et de dévouement chrétien ! M. Graveran, recteur de Roscanvel, refusa aussi le serment : il fut arrêté et détenu sur les pontons de Rochefort. Nous aurons occasion d'en reparler plus tard.

M. Marchand, recteur de Camaret, et M. Troniou, son vicaire, refusèrent aussi énergiquement le serment ; tracassés par les patriotes, ils n'en continuèrent pas moins leurs fonctions, jusqu'à ce qu'ils furent arrêtés et incarcérés dans les prisons de Quimper.

M. Marchand mourut en prison, à l'âge de 80 ans. Ce pasteur, vraiment digne de ce nom, avant de rendre son âme à Dieu, fit à M. Troniou, son vicaire, les plus touchantes recommandations. Désolé de voir ses chers paroissiens privés de leurs prêtres légitimes ; craignant pour eux les morsures des loups ravissants que l'on envoyait au milieu de tous les troupeaux, il supplia son vicaire de ne pas délaisser ses ouailles Il lui demanda la promesse, s'il recouvrait la liberté, de retourner à Camaret et d'y exercer le saint ministère jusqu'à la mort, s'il le fallait. Prosterné devant le grabat où gisait son recteur expirant, M. Troniou arrosant de ses larmes les mains déjà glacées du saint vieillard, lui promet de servir de père et de guide à ses enfants, si Dieu permet qu'il puisse briser ses fers. Qu'il était beau dans ce lieu et à cette heure suprême, ce pasteur octogénaire confiant les âmes dont il avait la responsabilité à celui qui l'aida, pendant plusieurs années, à porter ce fardeau ! Qu'il était beau aussi son compagnon de captivité acceptant, dans les chaînes, purement et simplement, c'est-à-dire avec toutes ses charges, la périlleuse succession qui lui était offerte ! Mais de quel dévouement n'est pas capable le cœur d'un prêtre modelé sur le Cœur sacré de Jésus !

Après la mort de M. Marchand, M. Troniou fut transféré dans les prisons de Landerneau. Grâce à son âge, — Il avait plus de soixante ans, — il était exempt de la guillotine.

Pressé de tenir l'engagement sacré qu'il avait pris, il sollicita son élargissement ; on le lui promit, à la condition qu'il fournirait un certificat constatant qu'il n'avait jamais rien dit contre la Constitution et la République, et qu'il ne s'était jamais opposé aux règlements, pendant son séjour à Camaret. Pour obtenir ce certificat, il s'adressa à la commission municipale de l'endroit. Voici la réponse qui lui fut faite :

« L'an trois de la République française une et indivisible, le vingt Ventôse, nous maire et officiers municipaux soussignés, membres de la commission municipale provisoire établie à Camaret, présidés par le citoyen A.-G. T...., maire , assisté de J.-B. L...., agent national, assemblés au lieu ordinaire de nos séances pour délibérer sur une lettre à nous écrite par Jean Troniou, prêtre, ci-devant vicaire en notre dite commune, et mis en arrestation dans le courant du mois d'Octobre 1792 (vieux style), pour s'être refusé au serment exigé de tout prêtre, laquelle lettre datée de Landerneau du 7 Mars 1795 (vieux style), et par laquelle ledit Troniou réclame un certifiat qui prouve qu'il n'a jamais rien dit contre la Constitution, ni la République, ni qu'il ne s'est jamais opposé aux règlements pendant son séjour à Camaret, et lequel certificat doit lui servir à être mis hors d'arrestation. Ouï l'agent national en ses conclusions, il a été décidé que vu son refus de chanter un Te Deum ordonné par Expilly, évêque du Finistère, ce certificat ne lui serait pas accordé. — Arrêté lesdits jour, mois et an que devant. T...., maire. — L.... , agent national — M ...., A. M...., G...., officiers municipaux. — L. D..., officier public ».

Malgré le refus de la commission municipale, M. Troniou, fut mis en liberté ; et selon la promesse qu'il avait faite à M. Marchand, il vint se fixer à Camaret. Voici ce que l'on trouve écrit de sa main sur le registre de la commune :

« Ce jour quatorze Prairial, an III de la Répuplique une et indivisible, je soussigné Jean Troniou, prêtre non sermenté, âgé de soixante-neuf ans, muni d'un certificat bien constaté de mes infirmités, mis en liberté de la maison d'arrestation à Landerneau, le quinze Germinal, présente année, me suis rendu à la commune de Camaret, le vingt-un dudit mois et an, où je me suis fixé mon domicile pour quelque temps, voulant y vivre paisible, soumis aux lois civiles et politiques de la République, c'est-à-dire en tout ce qui ne sera pas contraire à ma religion et à ma conscience. Camaret, le 14 Prairial 1795. J. TRONIOU, prêtre ».

Le 22 Thermidor de la même année, M. Troniou écrit encore de sa main sur le registre des délibérations de la commission municipale une déclaration presque identique.

Quelques mois après, appelé devant la commission municipale pour prêter, en vertu d'une loi quelconque, le serment de haine à la Royauté et d'attachement à la République, il déclara refuser de prêter aucun serment de haine, mais seulement de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III.

M. Troniou habitait, au bourg de Camaret, une maison voisine de l'église, à laquelle attenait un petit jardin ou courtil. Il y réunissait les enfants, sous un prétexte quelconque, comme de cueillir des mûres ou d'autres fruits, et il leur enseignait le catéchisme pour les préparer à leur première communion qu'ils faisaient dans cette maison. C'est là aussi qu'il administrait les sacrements de baptême et de mariage dont il rédigeait exactement les actes, comme le prouvent les archives de la paroisse.

Comme on aime à connaître l'origine des bons et fidèles serviteurs de la sainte Église, qui sont une gloire pour leur famille et leur pays, nous ne voulons pas omettre de dire que M. Marchand était originaire de Cléden-Cap-Sizun, d'une honorable famille qui compte encore deux prêtres dans le diocèse de Quimper. M. Troniou était de la paroisse de Dirinon ; ce dernier dut mourir au commencement de ce siècle. Grâce à lui la paroisse de Camaret qui, durant sa détention, était visitée secrètement par les prêtres de Crozon, restés cachés dans leur pays, ne fut pas privée de secours spirituels pendant la Révolution. Que la mémoire de ces deux confesseurs de la foi soit à jamais bénie !

On essaya cependant d'implanter un intrus à Camaret, après l'arrestation de MM. Marchand et Troniou. Nous avons, dans notre enfance, entendu un témoin oculaire raconter l'arrivée de ce mercenaire dans la paroisse ; elle y fut accueillie par les sarcasmes et les moqueries des habitants ; il fut tellement molesté par un vilain sobriquet que lui donnèrent les enfants — an autrou perruquennic, — sans doute parce qu'il portait perruque, — et le peu de cas que leurs parents faisaient de lui, qu'il se décida bientôt à aller chercher ailleurs des paroissiens plus respectueux et plus sympathiques. On n'assistait pas à sa messe ; on ne lui portait pas les enfants à baptiser ; on ne voulait pas être marié par lui. On recourait secrètement, à la faveur des ombres de la nuit, aux prêtres fidèles restés cachés dans le pays [Note : Nous avons entendu le récit de toutes les précautions que l'on prenait pour n'être pas dénoncé... Le parrain, la marraine et la personne qui portait l'enfant au baptême ; les futurs époux et les témoins du mariage se rendaient isolément, et par des chemins différents, au lieu où devait s'administrer les sacrements. Quelle époque !].

M. Sever, de Pleyben, fut arrêté par deux gendarmes sur la paroisse de Plonévez-du-Faou. Une douzaine d'hommes du pays, armés de fourches et d'autres instruments, eurent assez de courage pour l'arracher de leurs mains, malgré la vive résistance qui leur fut opposée. Un des soldats demeura sur la place, l'autre, pour avoir la vie sauve, fut forcé de crier : Vive le Roi ! Ce dernier se rendit à Carhaix pour déclarer la mort de son compagnon et dire qu'il n'avait pu lui-même échapper qu'en criant : Vive le Roi ! Cet aveu lui valut 10 ans de prison.

M. Sever mourut plus tard de mort naturelle. (Extrait d'une lettre d'un prêtre de Quimper, émigré en Espagne).

Un prétendu pénitent vint prier le recteur de Brasparts, M. Bihan, de vouloir bien le confesser. Ne se doutant rien, le recteur lui assigna un jour. Le pénitent ne manque pas d'arriver au jour marqué, mais il n'est pas seul, il est accompagné de la force armée. Arrêté immédiatement, M. Bihan fut conduit en prison où, l'horizon s'étant un peu éclairci, il ne resta que quelques jours. (Extrait ibid.).

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Par ordre du district de Carhaix, on arrêta, le 7 Décembre 1791, 1° M. Hourman, vicaire de Tréméoc qui, n'ayant pu rester dans cette paroisse avec le recteur assermenté, s'était réfugié à Carhaix, son pays, où son refus constant de prêter le serment lui avait attiré la haine des patriotes ; 2° le 11 Décembre, M. Kernaléguen, recteur de Berrien, sans doute parce qu'il était demeuré dans la paroisse contre la défense de l'autorité départementale ; 3° le 12 Janvier 1792, M. Le Séac'h, vicaire de Saint-Tudec, paroisse de Poullaouen ; 4° le 3 Mars de la même année, M. Bernard , recteur de Scrignac, homme respectable par son âge, sa science et sa piété ; 5° M. Brélivet son vicaire, et M. Hascoët, un de ses prêtres habitués, tous les deux zélés imitateurs de la fermeté de leur recteur. Ces six ecclésiastiques eurent beaucoup à souffrir dans le long trajet du lieu de leur résidence à Brest : mais nous n'en avons pas trouvé les particularités.

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Le district de Landerneau se signala entre tous par son acharnement à poursuivre et à persécuter le clergé de son territoire : cet acharnement provenait surtout du voisinage de Brest, où la rage contre les prêtres fidèles était portée à son comble.

Par ordre des administrateurs de ce district de Landerneau, on saisit et on conduisit à Brest, 22 ecclésiastiques, dont 8 du diocèse de Quimper, savoir : le 7 Décembre 1791, M. Bodénetz, recteur de Saint-Thomas, chanoine régulier de l'abbaye de Daoulas, pasteur plein de charité et de zèle pour ses paroissiens, qui consacrait aux petites écoles tout le temps que lui laissaient les autres fonctions de son ministère ; M. le Hars, aussi chanoine régulier de Daoulas, homme d'une grande piété ; M. Rolland, vicaire de Hanvec, et M. Jannou, nommé par le chapitre à la paroisse de Plozévet, tous les deux doués d'un caractère ferme et remplissant avec courage tous les devoirs de leur saint état ; M. de Légerville, directeur du séminaire de Quimper, qui s'était retiré dans sa maison paternelle à Landerneau, plutôt que de prêter le serment ; le 29 Mai 1792, M. Jourdren, vicaire du Faou, paroisse de Rosnoën, lequel avait rendu les plus grands services à la plupart des habitants de cette ville, en apprenant la langue latine à un grand nombre d'enfants qu'on lui confiait à cet effet ; le 2 août 1792, M. Le Doaré, bachelier de la Sorbonne, recteur de Quimerch, et M. Salaun, son vicaire, qui furent arrêtés dans le presbytère même, et auxquels on accorda à peine quelques instants pour se vêtir, sans doute par la crainte des paroissiens qu'on savait leur être entièrement dévoués. Déjà précédemment, on avait cité au district de Landerneau M. Le Doaré comme réfractaire aux arrêtés du département, mais cette fois, on l'avait renvoyé dans sa paroisse. M. Salaun fut obligé de suivre à pied, pendant près d'une lieue, la garde nationale et les gendarmes qui étaient à cheval.

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DISTRICT DE QUIMPERLÉ. — Le 9 Janvier 1791, le clergé tant séculier que régulier de Quimperlé fut mis en demeure de prêter solennellement le serment. La cérémonie sacrilège eut lieu dans l'église paroissiale de Saint-Michel, à l'issue de la grand messe qui fut chantée par le vicaire de la paroisse, en présence de la municipalité. Ce vicaire, la main levée, « promit et jura de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui lui est confiée par le recteur, d'être fidèle à la nation, à la loi et au Roi ; de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi ». Le serment fut prêté ensuite par deux des Bénédictins de Sainte-Croix, par un des religieux du couvent des Capucins et par le prieur de Saint-Maurice.

« Après, dit le procès-verbal, on a chanté le Laudate, et la satisfaction générale a été exprimée par les cris de : Vive la Nation ! Vive la Loi ! Vive le Roi ! Vive le Clergé de Saint-Michel ! ».

Ce psaume d'actions de grâces, chanté en face des saints autels après cet acte schismatique, était la plus odieuse des profanations, en même temps qu'il était la plus indécente dérision. Nous ne savons si tous les assistants avaient, dans ce moment, le cœur content et unissaient, d'un cœur joyeux, leurs voix à celles des apostats qui venaient de renier leur mère, la sainte Église Romaine : mais nous affirmons que la joie de ces derniers n'était qu'apparente, car le remords gisait au fond de leur conscience comme un ver rongeur.

Enfin, sur la réquisition du recteur de Saint-Michel, retenu chez lui pour cause de maladie, la municipalité se rendit à la maison presbytérale où elle le trouva alité. Après avoir exprimé combien il était heureux de pouvoir donner une preuve éclatante de son patriotisme, cet indigne recteur prêta le serment à la Constitution.

Le 15 Décembre 1791, sans considération aucune pour l'âge avancé de M. Le Guillou, recteur de Mellac, le district donna ordre à ce vénérable vieillard, ainsi qu'à M. Galliot, recteur de Lothéa, de se rendre au Directoire, à Quimper. Là, on leur signifia la sentence qui les condamnait à la détention dans le château de Brest. Le même jour, on procéda à l'arrestation de M. Guyomard, vicaire de Beuzec-Conq, et de M. Kerhuel, sacristain et secrétaire du chapitre de Quimper, bien connus l'un et l'autre, comme les deux recteurs que nous venons de nommer, par leur conduite toujours conforme aux vrais principes et aux saines doctrines.

M. L'abbé Forget, prêtre de Quimperlé, recommandable par sa piété et son horreur du schisme, fut aussi arrêté, renfermé dans les prisons de Quimper, puis élargi et enfin ramené dans sa ville natale, où on lui assigna sa propre maison comme lieu de détention. Surveillé par la police locale, avec un soin minutieux, il lui était défendu non-seulement de sortir, mais aussi de prendre l'air aux fenêtres de ses appartements.

Condamné à ne pouvoir exercer les fonctions de son ministère, sacerdotal, M. Forget donnait de bons conseils dans le secret de sa solitude, où l'on trouvait moyen de venir le consulter : il fit ainsi modestement et sans bruit plus de bien que n'eut fait un orateur éloquent dans des circonstances moins critiques.

Étant alors le seul prêtre à la messe duquel on put légitimement assister, puisque les paroisses de la ville étaient desservies par des prêtres assermentés, il célébrait les saints mystères dans un oratoire qu'il s'était ménagé dans sa maison, et qu'il ouvrait discrètement à un troupeau choisi de bons catholiques.

Les autorités de l'endroit, se doutant de ce qui se passait députèrent, un jour, plusieurs de leurs agents pour s'assurer du fait. Ceux-ci trouvèrent le vénérable prêtre à l'autel, entouré de quelques assistants. Qu'on juge de sa surprise et de sa frayeur, quand il entendit la porte de son oratoire s'ouvrir brusquement et les armes des envoyés de la municipalité retentir bruyamment sur le parquet, où ils les déposèrent avec fracas ! Saisis de respect à la vue de ce digne vieillard, au corps courbé par l'âge, au front couronné de cheveux blancs, les gendarmes ne troublèrent pas autrement le sacrifice commencé, auquel ils assistèrent silencieusement jusqu'à la fin. Quand à l'officiant, malgré l'incertitude de ce qui allait arriver, il continua paisiblement l'immolation de l'Auguste Victime, s'offrant lui-même à elle en holocauste, en ce périlleux moment. Mais quel ne fut pas son étonnement et celui de sa pieuse assistance, quand, le dernier évangile terminé, ils virent les gardes nationaux reprendre leurs fusils et s'en retourner, sans donner le moindre signe d'hostilité !

Les fidèles sortirent, fort inquiets des suites que pouvait entraîner cette affaire... Mais la Providence permit que l'on n'y fit aucune attention et que l'on ne crût pas devoir poursuivre des mères de famille qui étaient l'unique soutien de leurs enfants. Peu de temps après cet événement, le digne abbé Forget alla recevoir au ciel la récompense de ses vertus et de sa fidélité.

M. Frogerais, prêtre de Quimperlé, refusa aussi le serment : il fut incarcéré, en 1793 et 1794. Puis, il fut mis en arrestation à Quimper et à Brest.

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RIEC. — Au moment où la Révolution éclata, il y avait à Riec cinq prêtres : M. David, recteur ; MM. Gurudec et Le Beux, vicaires ; MM. Louis Berthou et Talabardon, prêtres habitués.

M. David et Louis Berthou, sommés, ainsi que ses autres confrères, de prêter le serment, le refusèrent courageusement, malgré toutes les vexations auxquelles ce refus les exposa : ne pouvant plus rester dans leur paroisse, ils émigrèrent en Espagne.

Quant à MM. Gurudec, Le Beux et Talabardon, compagnons de leur fidélité à la sainte Église, ils durent rester cachés dans le pays, pendant la Terreur.

On trouve, en 1802, sur les premiers registres de la paroisse de Riec, la signature de M. Le Gurudec qui, quelques mois après, fut nommé recteur de Moëlan, le premier depuis le concordat.

Nous trouvons également M. Le Beux, recteur de Névez en 1803.

Le culte public fut rétabli à Riec, avant de l'être dans la plupart des autres paroisses, grâce à l'empressement que mirent à revenir à leur poste les prêtres dont nous venons de parler. Aussi, les habitants des paroisses environnantes venaient-ils en foule assister à la messe à Riec, dès que l'on y rouvrit l'église aux cérémonies du culte catholique. Ce fut, au dire des anciens du pays, un beau jour que celui où ces bons paysans eurent le bonheur d'assister de nouveau librement aux saints mystères, dont ils étaient privés depuis si longtemps ; ils ajoutent qu'à la vue du prêtre apparaissant dans l'église, revêtu de ses vêtements sacrés, tout le peuple ému tomba à genoux, en pleurant et en s'écriant : Cetu deut al lezen vad en dro ! Voici la bonne loi revenue de retour !

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NIZON. — La paroisse de Nizon avait pour recteur, depuis l'année 1781, M. l'abbé Jean Le Breton, du Faouët. Mis en demeure de trahir son devoir, par la prestation du serment à la Constitution civile du clergé, il préféra l'exil et se retira en 1791 en Espagne, d'où il ne revint plus ; il mourut à Cadix, vers 1812, à un âge fort avancé.

Il eut la douleur d'apprendre, avant sa mort, que son église était presque en ruines, que son presbytère servait d'auberge, et que toute sa paroisse était dans un état lamentable.

Le profond chagrin que lui causa cette nouvelle abreuva ses dernières années et abrégea sans doute sa triste existence. Il est si pénible pour le cœur d'un bon prêtre de voir la maison de Dieu tomber en ruines, les pierres du sanctuaire dispersées et surtout le peuple fidèle, qu'il a formé, déformé au souffle de l'impiété et de l'irréligion !

Le premier recteur qui vint à Nizon, après la Révolution, fut lui-même attristé au-delà de toute expression au spectacle de ces ruines physiques et morales. L'église toute délabrée était dépourvue d'ornements sacrés ; elle avait pour gardien un bedeau schismatique... Manquant de tout au point de vue spirituel ; privé même de ce qui était nécessaire à son humble subsistance ; ne pouvant, on le peut dire, ni vivre ni mourir, il se retira à l'hospice de Quimperlé, pour y attendre plus doucement la fin de son douloureux pèlerinage ici-bas.

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NÉVEZ. — Au commencement de l'année 1787, M. Louis Galliot fut nommé recteur de Névez ; il avait pour vicaires MM. Le Meur et Calvez. Invités à prêter le fameux serment, ils s'y refusèrent constamment tous les trois ; persécutés à cause de ce refus et se voyant dans l'impossibilité de rester plus longtemps à leur poste, ils se décidèrent à passer en Espagne, en compagnie de plusieurs prêtres et nobles du pays : ce fut à la petite île Raguénès, située dans la rivière de Pont-Aven, qu'ils s'embarquèrent.

En 1802, les prêtres de Névez revinrent dans leur paroisse, à l'exception de M. Calvez, qui était mort en exil.

M. Le Meur, arrivé le premier, débarqua au petit port de Portemanec (en rivière de Pont-Aven) avec une quinzaine d'autres prêtres bretons, au nombre desquels était M. Kerloch, précédemment vicaire de Trégunc, dont il devint plus tard le recteur.

M. Galliot arriva quelque temps après ; mais ce dernier ne jouit pas longtemps du bonheur d'avoir rejoint ses ouailles, après onze ans d'absence. En revenant de faire le catéchisme aux entants de sa paroisse, il tomba sur la route, frappé d'apoplexie, dans le trajet de l'église au presbytère. Deux jours plus tard, c'est-à-dire le 21 Mars 1803, il mourut à l'âge de 73 ans. N'avait-il pas assez vécu, puisqu'il lui fut donné de mourir au milieu de ses paroissiens, en s'occupant de la partie la plus chère de son troupeau, de ces enfants qui avaient toutes les tendresses et les préférences du Divin Sauveur ? Ne pouvait-il pas s'écrier aussi, en quittant la terre : maintenant, je meurs content, puisque j'ai revu la vigne bien aimée que l'Église m'avait confiée et que mes mains, débilitées par l'âge et les fatigues de l'exil, ont cultivée si longtemps ; puisque j'ai pu dégager cette vigne des ronces et des épines qui la couvraient, l'émonder et la mettre en état de produire de nouveaux fruits ?... [Note : Il paraît qu'il était alors d'usage que les ecclésiastiques présents aux funérailles d'un prêtre apposassent leurs signatures sur le registre des enterrements. Voici les noms des prêtres dont la signature figure au registre des décès de la paroisse de Névez, à la page relative aux obsèques de M. Galliot : MM. Alexandre du Laurents de La Barre, recteur de Trégunc. — Jean Guével, vicaire de Nizon, — Louis Nicolas, vicaire de Melgven. — MM. Louédec et Talabardon, prêtres de Riec, dont le premier devint plus tard supérieur du grand séminaire de Quimper].

MOELAN. — Les prêtres de Moëlan restèrent fidèles à tous leurs devoirs, envers et contre toutes les persécutions. Le recteur, qui avait sans doute émigré, dut mourir en exil, car en 1802 il fut remplacé à Moëlan par M. Gurudec, vicaire de Riec.

Dans le canton de Riec il n'y eut, à notre connaissance, que deux intrus, l'un à Moëlan, l'autre à Nizon. Encore faut-il ajouter que ces deux pauvres prêtres, égarés un instant, se retractèrent plus tard.

Le premier, M. Le Breton vint à Moëlan. Après s'être rétracté, il fut obligé de fuir, poursuivi qu'il était à ce titre. Nous ne pouvons dire d'où il était, ni ce qu'il devint après son retour à Dieu.

Le second, ordonné prêtre par Expilly, fut envoyé à Nizon. C'était un tout jeune homme de 22 ans, appartenant à une honorable famille de Quimper, du nom de Le Bastard de Kerguiffinec.

Ce dernier se retira en Espagne, à la rentrée des prêtres fidèles. Il mourut dans ce pays, peu d'années après, d'une maladie de poitrine, dans les plus austères sentiments de pénitence. D'après des notes laissées sur Nizon par mademoiselle Feydau, tante maternelle de M. Cyprien de la Villemarqué, M. de Kerguiffinec « était doux, humble, d'une conduite exemplaire, loin de dénoncer les prêtres cachés, il les protégeait ».

M. Boissière, parlant des prêtres assermentés qui se rétractèrent, ajoute ce mot élogieux pour ce prêtre : « Ceux qui se sont rétractés avec plus d'éclat et se sont depuis mieux comportés sont Le Guellec et Kerguiffinec ».

« Pendant le règne de Robespierre, on s'assemblait au bourg de Moëlan, tous les jours de décade, (c'était le dimanche des républicains, et l'on sait quel dimanche !) non pour prier, mais pour danser ; ceux et celles qui manquaient étaient notés, et s'ils manquaient trop souvent, on les punissait de mort » (Extrait d'une lettre d'un prêtre breton émigré en Espagne).

Quant aux prêtres qui demeurèrent dans le pays, il est à remarquer, en général, que les plus âgés émigrèrent et qu'il n'y eut guère à rester que les plus jeunes. On en comprend facilement la raison. Dans ces temps où les prêtres étaient traqués, il fallait, à chaque instant, fuir d'un lieu dans un autre pour mettre sa vie en sûreté, comme l'Évangile le conseille. Du reste, comment les prêtres âgés auraient-ils pu aller d'une paroisse à une autre, pour exercer leur ministère ? Comment auraient-ils pu échapper, par des fuites continuelles, aux mains de leurs persécuteurs ?

Ceux qui restèrent pour remplir les fonctions sacerdotales, au péril quotidien de leurs jours, ont trop bien mérité ne nos ancêtres pour que nous ne conservions pas leurs noms avec soin.

D'un autre côté, les familles qui leur offrirent l'hospitalité et leur montrèrent un dévouement, qui n'était pas sans danger, ont trop bien mérité à leur tour du clergé et de l'Église, pour que nous ne considérions pas comme un devoir sacré de les signaler également à la postérité.

Parmi les uns, comme parmi les autres, nous citerons tous ceux dont nous avons pu recueillir les noms.

À Moëlan, M. Dérouet, natif de Concarneau, garda son poste. Son nom est inséparable d'un autre auquel il doit la vie, M. Cheffine, chef de district. Ce brave chrétien ne manquait jamais, avant le départ des colonnes mobiles, d'avertir Martial-Emmanuel Caëric, homme dévoué corps et âme au clergé fidèle. Une fois averti, M. Dérouet, habituellement recueilli à Kercaradec et à Kerliguet, en Moëlan, se réfugiait alors soit au milieu des rochers, soit dans les grottes des bords de la mer.

D'autres fois passant la rivière de Bélon, il se retirait soit à Penquellen, soit à l'Ile en Riec.

Ce M. Cheffine, qui était un maître d'école distingué avant la Révolution, alla plus tard mourir à Quimper, où il exerçait la même profession.

Parmi les prêtres demeurés au pays, on trouve encore à Pont-Aven M. Gorgeu, qui mourut plus tard recteur de Guengat.

M. Hervian, du Faouët, mort à l'âge de 82 ans, curé de Scaër, a, pendant quelques années, exercé le ministère dans les paroisses de Mellac, Bannalec et Nizon.

Ses asiles les plus habituels étaient, à Nizon, au château du Plessis, chez Mademoiselle Feydau, et à Mellac, au château de Kernault, chez M. Duvergier, et surtout le Purit, dans la famille Henry, qui avait pour chefs Jean Henry et Anna Le Dru, sa femme.

Pour montrer en même temps quelle était la confiance des prêtres fidèles en cette famille, et les admirables sentiments qui animaient leurs cœurs, nous citerons la lettre suivante écrite par le recteur de Mellac, de la prison des Carmes de Brest, à cette vertueuse femme En voici l'adresse :

Soit rendu à la citoyenne Anna Le Dru,
au Purit en la paroisse de Mellac,
district de Quimperlé.
Purit

Le 30 octobre 1793.

« Ma chère Annette, c'est pour vous faire mes derniers adieux. Nous partons demain pour le château du Taureau, en vertu du décret fatal qui ordonne la déportation de tous les prêtres, tant séculiers que réguliers, non assermentés, sans distinction d'âge, d'infirmités et de condition. De ce château on nous jette au premier vent favorable sur la côte d'Afrique, pays sauvage et barbare, sans aucun subside, ni ressource, et uniquement abandonnés à la merci de la Providence.

Nous partons au nombre de 85, dont les trois-quarts et peut-être tous ne verront pas ces côtes. Voyez combien nous sommes en exécration !

Priez Dieu pour nous et nous recommandez au Père des miséricordes, afin qu'il nous préserve de la mauvaise mort, et nous recommandez aux prières de tous les bons catholiques.

M. de Querrien, qui n'est pas excepté, vous salue et vous fait ses compliments. Je prends le coffre de votre fils pour y mettre mes effets. Ayez vos reprises. S'il revient quelque chose de ma succession, vous connaissez là-dessus mes intentions. Tachez de les partager également entre eux, sans excepter ma créance sur M. Du... si on peut la recouvrer, car je n'espère vous voir que dans l'éternité.

Dites bien des choses à tous mes parents et à M. Du...

Adieu, ma chère Annette ; que le bon Dieu vous conserve vous et les vôtres, et vous réserve à un meilleur sort. Adieu.
G. GUILLOU,
Prêtre, malheureux recteur de Mellac.

Je vous recommande de convertir à faire dire des messes, si on trouve des prêtres catholiques, ou autres bonnes œuvres, 300 fr. à ma décharge ».

Anna Le Dru entreprit, trois fois, à pied le voyage de Mellac à Brest, pour envoyer du linge frais et des secours à ces confesseurs de la foi. Faire 60 lieues à pied, à trois reprises différentes, à une époque où les chemins étaient. horriblement difficiles, pour aller porter des secours à des prêtres proscrits, objet de la haine de l'administration et de la plèbe, au risque par conséquent de payer son dévouement par les chaînes ou l'échafaud : n'est-ce pas de l'héroïsme, surtout pour une femme ? Ne rappelle-t-elle pas, cette héroïne, les vaillantes femmes qui, du temps des persécutions des empereurs romains, allaient, au péril de leur vie, visiter les chrétiens condamnés à périr sous la dent des bêtes féroces ?

Le petit cabinet où Jean Henry et sa digne femme, Anna Le Dru [Note : Un parent de Jean Henry, nommée Yves Henry, voyant vendre nationalement le presbytère l'acheta pour le rendre plus tard à la paroisse. La tempête révolutionnaire passée, M. Duvergier lui paya le prix de son achat, et la maison presbytérale fut rendue à sa première destination. Cet excellent homme, était un ancien séminariste ; il remplit pendant la Révolution les fonctions d'officier civil. C'est lui, qui à défaut de prêtres, faisait les enterrements et chantait les vêpres, quand les circonstances le permettaient], recevait, les prêtres fugitifs, était éclairé par une fenêtre cache derrière une vigne que l'on laissait croître à dessein. La porte était soigneusement dérobée à la vue par une grande armoire dont le dos à coulisse, ouvrant ou fermant à volonté, permettait d'entrer dans l'appartement. Quand on y avait renfermé les prisonniers, on remplissait l'armoire de linge, et alors on n'avait plus à craindre les soupçons. Retirés dans cette cachette, la nuit, et toutes les fois qu'on les recherchait, ils en sortaient, pour aller, de grand matin, dire la messe au Kernault.

C'est là qu'avec M. Hervian et beaucoup d'autres, venaient se réfugier M. Le Clanche, émigré plus tard en Espagne, qui devint, après le concordat, secrétaire de l'Évêché et chanoine de la cathédrale de Quimper ; M. Besnier, ancien recteur de Mellac ; M. Derrien, recteur de Saint-Thurien, après qu'il eut rétracté le serment qu'il avait eu le malheur de prêter, etc., etc.

Un jour les gendarmes arrivèrent au Purit à la recherche des prêtres : or, ce jour là, il y en avait trois. Comme on les vit venir de loin, ces messieurs se hâtêrent de gagner leur retraite. Bientôt., on entendit le galop des chevaux des visiteurs, et quelques instants après, résonna bruyament le cliquetis de leurs armes déposées avec fracas dans l'entrée de la maison.

Bonjour, citoyen, Henry, dit le brigadier. N'y a-t-il pas ici quelque bon gibier à prendre ? — Vous savez, répondit Jean Henry, que je ne suis pas chasseur et que je me soucie fort peu du gibier. Mais, Messieurs, vous paraissez fatigués ; voulez-vous vous rafraîchir ? Nous avons d'excellent cidre...

Aussitôt, avec un empressement charmant, Anna Le Dru, apporte gracieusement deux pots de cidre ; puis, elle leur sert des crêpes frites...

Lorsque nos visiteurs eurent bien mangé et bien bu, la nuit approchant, ils prirent congé de leurs aimables hôtes, en disant au mari, d'un ton visiblement satisfait : « Décidément, citoyen, Henry, vous êtes le maître des hommes... ».

De leur cachette, les trois prêtres virent s'en aller ceux qui les cherchaient ; ils se félicitèrent d'avoir échappé, une fois de plus, à leurs poursuites, et ils bénirent Dieu de les avoir encore protégés.

Un matin, avant l'aube du jour, quelques prêtres quittaient le Purit, afin de s'embarquer pour l'Espagne ; ils étaient tous à cheval, galopant rapidement vers les grèves de Moëlan, où les attendait un bateau.

A côté de ces ecclésiastiques chevauchait un des enfants de la maison, qui avait terminé naguères ses études classiques à Quimper. Charmé de son intelligence et de ses autres qualités, M. l'abbé Le Clanche l’avait entraîné à les suivre sur la terre étrangère. « Venez avec nous, lui avait-il dit : nous vous enseignerons la philosophie et la théologie ; puis vous recevrez là-bas les ordres sacrés.. ».

Le jeune homme, non sans verser bien des larmes, avait donc, dit adieu à ses parents ; accompagné de son frère, moins âgé que lui, qu'il portait en croupe, il suivait tristement ses compagnons, lorsque, arrivés à deux cents pas du port d'embarquement, il leur fallut traverser une flaque d'eau longue et profonde. Les prêtres l'avaient déjà franchie. La monture des deux frères, lancée à leur suite au milieu du passage périlleux, fit un faux pas et précipita dans l'eau ses cavaliers, qui s'en retirèrent sans mal. Ce petit accident fit réfléchir Guillaume Henry. « Je ne pense pas, dit-il, que je sois appelé de Dieu à émigrer en Espagne. Quant à toi, Jacques, cours vite rejoindre ces messieurs, et dis leur que je reste à la maison ».

Quelques années après, il y avait grande joie au Purit ; cet écolier était pieusement agenouillé à côté d'une jeune fille du pays devant l'autel de l'église de Mellac, paré, ce jour-là, comme aux plus beaux jours de fête par les soins des dames Duvergier ; le vénérable M. Besnier bénissait l'union chrétienne que contractait son enfant de prédilection, assisté de plusieurs membres de cette noble famille qui, en tenant à être les témoins de ce mariage, voulurent donner à la famille Henry une marque publique de leur affectueuse estime et lui rendre l'honneur qu'elle méritait, De ce mariage naquit l'abbé Henry ; c'est à un article breton, publié dans Feiz-ha-Breiz, au mois d'octobre 1876, que nous devons ces touchants détails [Note : M. l'abbé Henry est ammônier de l'hôpital de Quimperlé, depuis plus de 40 ans. Héritier du dévouement de sa vieille famille à toutes les œuvres de charité, ce prêtre vénérable n'a jamais voulu quitter les pauvres, au milieu desquels il veut mourir. C'est là qu'en vaquant aux fonctions de sa charge, il cultive cette belle langue bretonne qu'il aime d'un amour incomparable, et dont il est, aujourd'hui, le plus ancien et le plus ferme tenant, comme il en est un des écrivains les plus compétents et les plus autorisés].

Au reste, le dévouement d'Arma Le Dru à la sainte Église et à ses ministres persécutés fut commun à tous les membres de sa famille, vraiment catholique. Depuis le Castellou, en Lauvénigen, où habitait sou fils Guillaume ; depuis le Purit, en Mellac, jusqu'à Penquellen, en Riec, où résidait sa fille Hélène : sur un parcours de dix lieues, les enfants furent dignes de leur mère… leurs maisons étaient ouvertes, comme leur cœur, à tous les prêtres proscrits...

La famille Henry, de Penquellen, paya cher ce dévouement. Dénoncée comme receleuse de prêtres réfractaires, les perquisitions les plus minutieuses furent faites dans la maison. On prit son argent et son argenterie renfermés dans des cachettes pratiquées dans l'épaisseur du mur d'une des chambres et soigneusement dissimulées, mais pas assez pour échapper à l'œil avide des furets de la Révolution. Elle en fut presque ruinée !

M. Guillou, en partant, n'espérait plus revoir Anna Le Dru que dans l'éternité il se trompait [Note : Il ne fut pas conduit en Afrique. Il fut probablement de ceux qui émigrèrent en Allemagne ou en Espagne]. La Providence le ramena au pays. Mais brisé par les privations et les peines, plutôt que par l'âge, il ne put reprendre son ancienne paroisse ; il se retira à Kergoaler, dans sa famille, disant la messe à Lothéa et desservant cette petite paroisse. Ils se sont donc revus dans ce monde, avant de mourir, et aujourd'hui ils reposent en paix dans le même cimetière ; car M. Guillou avait demandé à être enterré à Mellac, et sa dernière volonté a été exécutée.

Quant au coffre dont il est parlé dans sa lettre, il est devenu presque historique. Il avait servi an père de l'abbé Henry, qui terminait ses études littéraires, quand éclata la Révolution. Depuis, les condisciples de M. Henry ont pu le voir débarquer avec lui au collège de Quimper.

N'eut été le prétendu progrès moderne, qui a fait remplacer par des malles ces coffres en chêne, si solides, on l'aurait encore vu servir pour la même destination successivement à une foule d'autres membres de la même famille. On l'y garde comme un meuble précieux, et presque comme une pieuse relique, puisqu'il a servi à un confesseur de la foi.

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Le District de Quimper envoya, le 15 Décembre 1791, des gendarmes pour se saisir de M. Vistorte, vicaire de Plogonnec: ce qu'ils exécutèrent ponctuellement. Au commencement du mois de Juin 1792, ce District qui jusqu'alors avait paru plus tolérant que les autres reçut une multitude de dénonciations auxquelles il donna suite.

Excité surtout par le club de la ville, il mit sur pied tous les agents dont il pouvait disposer pour rechercher de tous côtés les prêtres non assermentés, dont beaucoup échappèrent par la fuite. Parmi ceux qui tombèrent entre leurs mains, nous citerons M. Le Clerc, bachelier de Sorbonne, recteur de Ploaré, homme de mérite à tous égards. On avait essayé par tous les moyens de l'amener à prêter le serment exigé par la nouvelle Constitution ; on se servit dans ce but de l'influence de personnes qui lui étaient très-attachées, Expilly lui-même et son vicaire Gomaire unirent leurs efforts pour ébranler sa fidélité ; mais ce fut en vain. M. Le Clerc, devant tous ces assauts, demeura ferme comme ces rochers qui essuient fièrement et immobiles la violence des flots courroucés.

Le 4 du même mois, la garde nationale alla prendre à son presbytère M. Denis, recteur de Loctudy, licencié de la faculté de théologie de Paris, l'un des prêtres les plus capables du diocèse et des plus ouvertement opposés aux nouvelles erreurs. Le même jour, on arrêta M. Pénanros, prieur de Saint-Herbot, ancien jésuite de grand mérite, et M. Boissière, secrétaire de l'évêque défunt, vice-promoteur du diocèse, le siégé vacant, comme il l'était auparavant, et prieur commendataire du Moustoir. Ces deux Messieurs avaient été forcés d'abandonner, au mois de Juillet 1791, le château du Bot, où le premier vivait depuis 17 ans, et le second, depuis la mort de son évêque. Ils furent arrêtés au milieu de la nuit, au bourg d'Elliant, chez le frère de M. Pénanros, qui avait là sa résidence. Au lieu de les conduire par la route de Quimper, les gendarmes leur firent prendre celle d'une petite ville voisine, Rosporden, afin de s'emparer du vicaire, M. Guillo : mais, ils comptèrent sans leur hôte : celui-ci, averti de leur projet, s'était enfui, la veille.

Avant de prendre MM. Pénanros et Boissière, les agents du District avaient surpris dans sa maison et fait immédiatement conduire à Quimper, par deux d'entre eux, M. Le Guellec, vicaire de Saint-Yvi, qui donnait, avec un dévouement admirable, à tous les catholiques des environs les secours spirituels dont ils avaient besoin.

Dans la même nuit, on avait aussi arrêté dans une maison de Quimper, où il résidait, M. Rouzic, maître des cérémonies de la cathédrale, ainsi que M. Francois Bozec, vicaire de Gourlizon, paroisse de Ploaré. Ces six ecclésiastiques furent déposés au séminaire de Quimper. Là on leur dit qu'ils ne tarderaient pas à avoir des compagnons, vu que, toute la nuit, les gardes nationaux avaient été à la recherche de beaucoup d'autres prêtres : mais leurs courses, tendant à surprendre ces autres proscrits, furent inutiles, car ceux-ci étaient parvenus à s'échapper. Se voyant frustrée de cette nouvelle proie sur laquelle elle comptait, l'autorité départementale fit partir les six prisonniers pour Brest, à 4 heures du soir, sous l'escorte de 12 gardes nationaux commandés par un officier. Le peuple, réuni en foule sur le passage, formait une haie épaisse des deux côtés, depuis le séminaire jusqu'à la sortie de la ville. Le grand nombre, touché de compassion, gémissait en silence, à la vue des confesseurs de la foi, se laissant docilement conduire comme de douces victimes ; quelques personnes les insultèrent lâchement, mais, à l'exemple de leur divin Maître, ils les bénissaient en disant à Dieu : « Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».

Le 4 ou 5 Juillet suivant, ou arrêta MM. Troboul, vicaire de Pluguffan, et Briand, vicaire de Tréméven, dans une petite île où ils s'étaient retirés, espérant y être en sûreté. Le 26 Juillet, on s'empara de M. Bolloré, prêtre de Plomeur. Le 10 Août, M. l'abbé de Silguy, vicaire général, fut aussi mis en arrestation à Quimper, et joint aux prisonniers du château de Brest.

M. Decamps, sous-diacre, fils du sieur Decamps, cuisinier du séminaire, jeune homme plein d'espérance, fut arrêté chez son père à Quimper, et conduit avec lui à Brest on il mourut. Son frère, incarcéré aussi, eut le bonheur de ne point passer au tribunal révolutionnaire ; il fut mis en liberté, quelque temps après la mort de Robespierre.

Dans une de ses lettres adressées à M. Boissière, en Espagne, en 1792 et 1793, M. Le Clerc, recteur de Ploaré, dont nous avons naguères parlé, raconte les persécutions qu'eut à subir à Quimper, vers la fin de Juin 1792, M. Lalau, recteur de la petite paroisse de Loc-Maria, située à l'extrémité de cette ville.

Ce digne prêtre était en même temps directeur et aumônier des Dames Bénédictines, dont la chapelle lui servait aussi d'église paroissiale. Le Département l'avait autorisé à donner aux personnes de ce quartier les secours spirituels ; mais, comme il refusait le serment, Expilly et ses vicaires ne cessaient de le molester et de le menacer... Enfin, il lui notifièrent par écrit d'être plus circonspect dans sa conduite, et plus réservé dans ses propos, lui défendant de recevoir dans son église la foule qui s'y rendait de la ville et de la campagne, pour y entendre la messe, se confesser et recevoir la sainte communion. Le recteur ne voulant et ne pouvant, quand il l'aurait voulu, empêcher cette affluence, on commença par y mettre des gardes, les dimanches et fêtes, afin de s'opposer à l'entrée des étrangers. Cela dura ainsi jusqu'au moment où la municipalité de Quimper envoya, la nuit, des gens armés pour arrêter M. Lalau dans sa maison, et sans doute pour le conduire à Brest.

Averti à temps par des amis, il s'était mis, provisoirement, à l'abri de leurs perquisitions. Puis voyant qu'à la sollicitation d'Expilly, le Département avait déjà statué, avant même l'Assemblée nationale, le bannissement de tous les prêtres non assermentés du royaume, il ne songea plus qu'à échapper définitivement par la fuite à ses persécuteurs : ce qu'il fit, en passant en Espagne, avec d'autres ecclésiastiques poursuivis comme lui. D'autres se réfugièrent à Jersey ; d'autres, et ce ne furent pas les moins méritants, comme les saints dont parle l'apôtre saint Paul dans son épître aux Hébreux, restèrent cachés en France, « errants ça et là dans les lieux déserts, sur les montagnes, dans les grottes profondes et les cavernes de la terre, manquant des choses les plus nécessaires à la vie, pressés, accablés de tous les maux ». [Note : In solitudinibus errantes, in montibus, et speluncis, et in cavernis terræ. (Cap. XI, V. 38). — Egentes, angustiati, afflicti (Ibid., V. 37)]. N'est-ce pas une énumération complète et une peinture au vif des actions et des souffrances de ces confesseurs de la foi des temps modernes ?

Le fameux arrêté, en vertu duquel on les pourchassait, avait été signifié et affiché aux lieux de leur domicile, et on ne leur accordait que quinze jours pour quitter le territoire français. Pusieurs se mirent en route, sans passeport, n'osant en demander, dans la crainte d'être saisis, et sans pouvoir se munir de l'argent et des autres choses nécessaires, pour entreprendre un voyage d'autant plus pénible qu'il se faisait par mer.

La nuit du 1er au 2 Juillet, trente-six de ces prêtres descendirent discrètement l'Odet (la rivière de Quimper), dans des barques de pêcheurs, pour se rendre à bord d'un petit navire qui les attendait au large. La municipalité Quimpéroise, en ayant eu connaissance, dépêcha en toute hâte cinquante soldats et six gendarmes au bas de la rivière pour empêcher l'embarquement. Mais cette troupe arriva trop tard car les proscrits avaient déjà rejoint leur bâtiment qui cinglait à pleines voiles vers les côtes d'Espagne où, favorisé par les vents, il atterrit heureusement au port de Bilbao, le 5 Juillet 1792.

M. Dumoulin, recteur d'Ergué-Gabérie, ancien directeur au séminaire de Plouguernével, président des conférences théologiques du diocèse, fut lui aussi obligé, à cause de son refus du serment, de quitter sa paroisse et de s'expatrier. Emigré à Prague, en Bohème, ce prêtre, aussi savant que pieux, honora son exil par des écrits qui méritèrent d'être couronnés par la célèbre université de cette ville.

Exilium scriptis et coronis honestavit [Note : Inscription placée sur sa tombe par Mgr Graveran, évêque de Quimper, son neveu].

Nous avons, à la suite de la vic de Mgr Graveran, consacré quelques pages à la mémoire de son oncle, M. l'abbé Dumoulin, dont le nom ne sera plus désormais séparé, dans la mémoire des diocésains de Quimper, de celui de son illustre neveu. Nous renvoyons nos lecteurs à ces pages où ils trouveront, avec la notice biographique le concernant, le gracieux poëme latin intitulé : Éloge de la Bohême, qui fit décerner à l'auteur, par l'Académie de Prague, le premier prix. Nous recommandons ce poème aux amateurs de la bonne et élégante latinité [Note : Vie et oeuvres de Mgr Graveran, etc., chez M. Louis Vivès, Paris, rue Delambre, 13].

 

M. Alexandre - Hyacinthe du Laurents, neveu du vicaire capitulaire, était recteur de Trégunc, à la mort de Monseigneur de Saint-Luc. Il repoussa toutes les propositions anti-catholiques qui lui furent faites, préférant comme son oncle les persécutions, l'exil ou la mort, plutôt que de manquer à son devoir. Il essaya, malgré tout, de rester au milieu de ses paroissiens, et quand il se décida à s'en éloigner, pour mettre ses jours en sûreté, dans un pays étranger, il ne put pas obtenir un passeport. Il arriva trop tard à Paris on n'en délivrait plus à personne. Il se trouvait dans cette ville pendant les massacres des Carmes, auxquels il échappa par une protection particulière da Ciel, en y demeurant caché. Dès qu'il put quitter la cité régicide, il se réfugia à Orléans, où il trouva, dans la famille de Pont-Levoie, une hospitalité et une affection dont il garda jusqu'à la fin de sa vie le plus reconnaissant souvenir.

Pour ne pas être à charge à cette honorable famille, qui le recueillit avec tant de bonté, il loua un bureau de tabac, qu'il géra lui-même. Il vécut là, tout le temps que dura la Révolution, de privations que son aimable caractère lui adoucissait. La famille de Pont-Levoie seule connaissait le caractère sacré dont il était revêtu, et caché pour ceux mêmes chez lesquels il habitait.

Grâce à elle, il pouvait offrir le saint sacrifice de la messe de temps en temps. Jusque dans ses dernières années, il aimait à se rappeler gaiement les petites anecdoctes de son séjour à Orléans, les avances que lui faisait, pour l'unir à sa famille, son propriétaire, charmé de ses bonnes manières et plus encore de sa vie réglée...

Lorsque le calme commença à se rétablir, il revint avec un saint empressement reprendre sa cure de Trégunc. Mais peu de temps après son arrivée dans le diocèse, ayant entendu parler des vertus de M. du Laurents, ancien vicaire général, des services qu'il avait rendus au pays, et appréciant lui-même, à travers la modestie qui le caractérissait, le mérite de son neveu, Monseigneur Dombidau de Crouseilhes voulut l'attacher au chapitre de la cathédrale, en le nommant chanoine. Ce fut avec un profond regret qu'il quitta ses chers paroissiens, au milieu desquels il eut été heureux de mourir. Ce qui le consola de cette séparation ce fut de recueillir près de lui sa vénérable sœur, afin de verser un peu de baume sur les plaies douloureuses que la Révolution avait faites à son cœur. Devenu chanoine, l'ancien recteur de Trégunc s'adonna avec le plus grand zèle aux œuvres les plus modestes : le catéchisme des enfants et l'instruction des pauvres étaient celles qu'il aimait par dessus tout. Bien que déjà d'un âge avancé, il se levait de grand matin, par les temps les plus rigoureux, pour aller dire la messe chez les religieuses de l'hôpital, dont il s'était constitué l'aumônier. Les anciens du clergé ont gardé le souvenir de ses douces vertus et de l'amabilité de son caractère. Austère pour lui-même, indulgent pour les autres, comme l'Apôtre, il se faisait tout à tous, pour les gagner tous à Jésus-Christ. Sa vie s'écoulait ainsi dans l'humble pratique de la charité, lorsque la Providence lui ménagea l'occasion de la sacrifier pour cette vertu qui lui était si chère. Au mois de Juin 1818, il se disposait à aller prendre quelques jours de repos dans sa famille, à Brest, lorsque le typhus se déclara tout-à-coup à Quimper avec une grande violence, faisant dans la ville de nombreuses victimes. Ne consultant que son zèle, M. du Laurents se met nuit et jour au service des malades ; il se fait jeune pour se multiplier partout où on le réclame.

A bout de force, il est lui-même bientôt atteint de la terrible maladie contre laquelle il lutta quelques jours. C'est ainsi que, malgré son état de souffrance, visible pour tout le monde, il voulut assister encore à la procession de la Fête-Dieu, où il remplit les fonctions de grand chantre. Ce fut le suprême et le dernier effort de l'énergique vieillard : il succomba au mali, peu de jours après, tombant, comme un brave soldat, les armes à la main.

M. Kerloc'h, vicaire de Trégunc, marchant sur les traces de son recteur, refusa aussi le serment et fut incarcéré tour-à-tour à Quimper et à Brest.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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