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PERSÉCUTION CONTRE LES RELIGIEUSES
** DANS LE DIOCÈSE DE LÉON **

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Les communautés religieuses de femmes du diocèse de Léon furent, comme celles du diocèse de Quimper, invincibles dans leur résistance aux ordres de l'administration les invitant à se constituer civilement.

Sur vingt et quelques maisons qui existaient dans les deux diocèses, deux seulement cédèrent à ces injonctions : elles faisaient partie de l'évêché de Quimper.

Le Conseil général du Finistère réuni, le 15 Novembre 1791, s'exprimait ainsi sur l'attitude des communautés de femmes : « Le Directoire avait éprouvé de la part de ce sexe, si faible et si docile en apparence, une résistance et une raideur égales à celles des hommes les plus opposés à ce que l'on appelle la Constitution civile ».

Si nous exceptons les sœurs de la Sagesse de Brest, nous n'avons trouvé que peu ou point de détails sur les persécutions que les communautés de femmes eurent à essuyer.

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A l'époque de la Révolution, les sœurs de la Sagesse du vénérable Grignon de Monfort étaient établies à l'hôpital maritime de la ville de Brest. Comme toutes les communautés religieuses du département, ces dames eurent aussi à subir bien des vexations, pendant les dix années de trouble et d'orage qui bouleversèrent notre malheureux pays.

La maison mère de la congrégation, fondée à Saint-Laurent sur Sèvre, ayant été pillée et incendiée, toutes les sœurs, obligées de fuir, se réfugièrent à l'hôpital de Brest, ce qui porta à environ 80 le nombre des religieuses de cet établissement : ce fut d'ailleurs la seule maison que les filles de la Sagesse purent conserver, durant toute cette terrible époque. « Il est vrai qu'on ne pouvait se passer d'elles, dit le R. P. Fonteneau ; la guerre et des épidémies terribles avaient rendu leurs services indispensables. On les gardait, mais on s’était bien promis de les torturer sans cesse, afin, disait-on, de leur faire payer chèrement leur résidence dans l'hôpital de la Marine » [Note : Histoire de la congrégation de la Sagesse, p. 157].

Le premier prétexte, dont on se servit pour commencer la persécution journalière contre elles, fut un marché qui leur attribuait, le 23 Octobre 1789, la fourniture de tout ce qui servait à l'entretien de l'hôpital. Ne tenant aucun compte de ce que ce marché leur avait été imposé malgré elles, les entrepreneurs et fournisseurs de la maison, hommes enrichis et par là même influents, ne perdirent désormais aucune occasion de contrarier et de molester celles qu'ils regardaient comme leurs concurrentes et qui leur enlevaient la branche de spéculation qui leur rapportait davantage.

Le 28 Juin 1794, le père Duchesne, leur aumônier et leur directeur, fut dénoncé, arrêté et renfermé dans la prison des Carmes de Brest. Ce fut pour les filles de la Sagesse un grand chagrin. Grâce à l'intervention d'amis dévoués, le prisonnier fut mis en liberté, le 1er Août de la même année, à la condition qu'il s'éloignerait de la ville. Obligé de se séparer de ses chères filles, le confesseur de la foi se retira dans sa famille où il fut atteint d'une maladie grave, dont il guérit cependant.

Privées des conseils et de l'appui de ce saint prêtre, et ne sachant par qui le remplacer, les religieuses de l'hôpital osèrent écrire aux administrateurs du département, pour les prier de leur rendre leur aumônier : elles se décidèrent à faire cette démarche avec une certaine confiance, parce que les dames de l'Union-Chrétienne, dont l'aumônier avait été aussi incarcéré, avaient réussi à obtenir sa réintégration dans leur maison. Nous croyons qu'on lira avec intérêt le texte de leur lettre :

« Messieurs,

Nous rendons hommage aux mesures que vous avez prises, pour ramener l'ordre dans le département qui est confié à vos soins.

En faisant rétablir dans ses fonctions l'aumônier en qui les Dames de l'Union Chrétienne, à Brest, avaient mis leur confiance, vous leur avez rendu la paix de la conscience, si nécessaire aux maisons religieuses. Nous avions aussi un aumônier ; le malheur des temps nous en a privées ; après l'avoir détenu dans la maison des Carmes, le district de Brest, instruit de sa bonne conduite en tout temps, l'a mis en liberté, Mais l'obligeant à s'éloigner de la ville ; et, comme il a notre confiance entière, nous nous trouvons privées des secours que nous procureraient sa piété et ses lumières. Nous sommes au nombre de 36, et tout Brest nous rend la justice de dire que nous remplissons, comme nous le devons, les fonctions de citoyennes dans le soulagement des malades qui nous sont confiées ; nous désirons aussi remplir celles de chrétiennes, et pour cela nous avons besoin de la protection que vous accordez à tous ».

Par une première réponse à cette lettre l'administration départementale refusa d'accorder la faveur qui lui était demandée ; les sœurs ayant insisté, elle finit par céder, mais à la condition que l'aumônier célébrerait la messe, porte close, aux heures prescrites par un arrêté émanant d'elle, et que les étrangers ne pourraient y assister. A peine furent-elles nanties de cette autorisation qu'elles en avisèrent le père Duchesne qui se tenait à Pordic, au diocèse de Saint-Brieuc, attendant l'heure de Dieu. Le bon religieux se hâta de revenir à son poste ; mais à peine y fut-il installé qu'il fut soumis à de nouvelles tracasseries, au point qu'il fut obligé de se cacher, pour ne pas être emprisonné une seconde fois. On ne le désignait dans la maison que par le nom de sœur Lazare, nom d'une des religieuses. Mais comme à cette époque il y avait des espions partout, quelques-uns des êtres méprisables, qui exerçaient dans l'établissement ce rôle odieux, s'aperçurent que le nom de sœur Lazare s'appliquait à quelque personnage mystérieux dont on paraissait avoir grand intérêt à dissimuler l'identité. L'éveil étant donné, il fallait dépister les mouchards ; c'est ce que l'on fit, en changeant ce nom en celui de sœur Saint-Méen.

Non contents de molester les sœurs, en les privant des secours spirituels et des conseils de leur directeur, les patriotes qui régnaient alors sur la cité maritime du Finistère s'attaquèrent directement à ces pieuses filles, en leur faisant toutes sortes d'injures et en les calomniant de toutes les manières.

Bien qu'elles supportassent avec résignation toutes ces persécutions, heureuses même d'être les innocentes victimes des mensonges de leurs ennemis, ceux-ci comblèrent tellement la mesure de leur haine à leur endroit que ces Dames se virent obligées, pour défendre leur honneur, d'écrire plusieurs lettres au Ministre de la marine et à d'autres hauts fonctionnaires qui les connaissaient et les appréciaient. Dans ces lettres elles démontraient clairement la fausseté de toutes les accusations dont on les chargeait; elles y mettaient à nu la trame des calomnies ourdie contre elles par des mains hostiles et intéressées.

Malgré leur plaidoyer irréfutable, justice ne leur fut pas rendue : le flot révolutionnaire, qui montait toujours, avait enseveli cette vertu ; il allait sans tarder couvrir la France de ruines et l'inonder du sang de ses meilleurs enfants.

Les réclamations des sœurs de l'hôpital maritime restèrent donc sans effet, et les vexations auxquelles elles étaient en butte allèrent toujours croissant.

Mademoiselle de Sapinaud de Bois-Huguet, leur supérieure, en religion sœur Thérèse du Saint-Esprit, avait dans son nom, outre sa fermeté, un titre spécial aux odieuses tracasseries des démocrates brestois. Elle était d'une famille noble, cela suffisait. C'était aux yeux de ces niveleurs un crime qu'il fallait lui faire expier par tous les moyens, jusqu'à ce qu'ils la forçassent à quitter l'établissement qu'elle dirigeait avec un mérite vraiment digne des circonstances. Ils ne tardèrent pas à atteindre leur but.

« M. Saint-Pern, l'un des commissaires de ce temps-là, se rendit un jour au bureau, où plusieurs sœurs étaient à travailler. Il se présenta insolemment, et, s'appuyant sur un des meubles, car on ne le priait pas de s'asseoir, il se mit à débiter une foule de riens, puis fixant les sœurs les unes après les autres, il leur demanda : Eh bien ! où est donc la Sapinaud ? Où est-elle donc, cette noble ? Je voudrais bien la voir ; qu'on aille la chercher ». Personne ne lui répondit, « et il se retira, comme il était venu ».

La visite de M. Saint-Pern avait évidemment pour but l'arrestation sans bruit de la mère supérieure : sur le conseil qui lui fut donné, elle crut devoir s'éloigner, au plus tôt, de Brest, pour se retirer, au commencement de 1792, à Saint-Laurent, où elle ne put pas rester davantage. Cachée dans les environs, elle suivit plus tard, en qualité d'infirmière, avec d'autres religieuses hospitalières, l'armée vendéenne, dans laquelle ses frères se distinguèrent, parmi les plus valeureux officiers. Elle mourut en 1795, à Dol, où elle s'était réfugiée, après une défaite des héroïques soldats de la Vendée.

La mère Thérèse du Saint-Esprit avait été remplacée à l'hôpital maritime de Brest par la sœur Iphigénie. Le 18 Août 1792, l'Assemblée nationale décréta la suppression de toutes les congrégations religieuses, tolérant toutefois jusqu'à nouvel ordre dans les hôpitaux et les maisons de charité les sœurs qui s'y trouvaient, à la condition qu'elles servissent les malades comme de simples particulières, à titre individuel, dans le costume des personnes du monde, sous la surveillance des corps administratifs.

Les filles de la Sagesse, malgré cette loi tyrannique, gardèrent leur costume, lorsque, le 29 Septembre, le District de Brest leur signifia officiellement, par trois de ses membres, l'ordre exprès de s'y conformer. De plus, on leur notifia que leur congrégation étant abolie, elles ne pouvaient rester à l'hôpital qu'à titre de simples infirmières... Que faire ? Pendant ce temps leurs supérieurs généraux leur proposent comme à leurs sœurs de la maison-mère de se retirer dans leurs familles, afin d'y attendre des jours meilleurs. Sur 80 qu'elles étaient alors à Brest, 12 seulement prennent ce dernier parti, la douleur dans l'âme, pensant sans doute que, sans tarder, les autres seraient également forcées de suivre leur exemple.

Les sœurs qui restèrent furent, plus que jamais, livrées, sans défense, à toutes les vexations capricieuses des corps administratifs et de leurs agents. On réclama d’elles le serment à la Constitution, qu'elles refusèrent toutes, sans exception, avec fermeté. « Nous remplirons nos devoirs comme par le passé, répondirent-elles noblement; mais nous ne nous engageons à rien de plus ».

Inflexibles sur la question essentielle du serment qu'aucune nécessité ne pouvait les autoriser à prêter, parce qu'il était de soi hérétique et schismatique, elles durent céder sur celle du costume religieux qu'elles ne pouvaient plus garder, d'ailleurs, sans s'exposer à des insultes quotidiennes. Elles quittèrent donc leur saint habit pour prendre celui du monde. Mais sous leurs nouveaux vêtements, de couleur et de façon modestes, il était facile de les reconnaître pour des personnes qui n'appartenaient pas au siècle. Aussi, leur arrivait-il, dans ce costume qui n'était pas franchement séculier, d'être l'objet de certains lazzis inconvenants : ce qui portait quelques-uns de leurs amis à les engager à se vêtir tout-à-fait comme les femmes du monde ; mais les vierges chrétiennes étaient heureuses de souffrir ainsi quelque chose pour leur Divin Maitre.

« Un jour que la sœur Honorine (elle était chargée du matériel de l'établissement et des rapports avec l'administration) avait affaire à M. Redon de Beaupreau, intendant de la marine, qui était dévoué aux sœurs, elle se présenta chez lui avec quelques-unes de ses compagnes. Elles étaient toutes habillées différemment, mais ayant toutes leur mouchoir blanc, qu'elles n'ont jamais quitté. La sœur Honorine avait, ce jour-là, une robe noire avec un tablier blanc. En la voyant entrer, M. l'intendant lui trouva, ainsi qu'aux autres, un air tellement religieux que, bien qu'il fût leur protecteur, il se mit dans une sorte de colère contre elles. « C'est donc pour vous moquer de la loi, Mesdames, leur dit-il, que vous agissez ainsi ? Eh ! vous semblez être encore plus religieuses que vous l'étiez avant : hâtez-vous de quitter ce costume, si vous voulez que nous traitions d'affaires ». La sœur Honorine fut obligée d'entrer chez la dame de l'intendant qui l'affubla d'une robe bleue et lui mit sur la tête un bonnet du monde. Il en coûtait au brave intendant de parler et d'agir ainsi ; mais il y avait, dans les pièces voisines, un grand nombre de commis, employés dans les bureaux de la Marine ; il craignait de se compromettre et d'attirer en même temps plus de désagréments aux sœurs, en les autorisant à paraître sous un costume presque aussi religieux que celui qu'elles avaient été forcées de quitter » [Note : Histoire de la congrégation de la Sagesse. P. 165].

La rage des partisans de la Révolution contre l'Église et ses ministres allait toujours augmentant ; l'année 1793 jetait ses sanglantes lueurs sur notre malheureuse patrie ; partout retentissaient les cris : à bas les prêtres ! — à bas les nonnes ! — La communauté de l'hôpital maritime ressentit douloureusement le contre-coup de la tempête qui se déchaînait plus violente et plus furieuse. On multiplia vis-à-vis d'elles les vexations ; on leur donna un caractère plus injurieux, afin de lasser leur patience. C'est ainsi qu'on faisait sans cesse des visites dans leurs appartements, la nuit comme le jour, avec une minutie qui n'a pas de nom. Une de ces visites faillit devenir funeste au père Duchesne, qui se tenait depuis assez longtemps caché dans l'établissement. Ce digne religieux avait achevé, depuis quelques minutes, le saint sacrifice de la Messe ; il était occupé à faire son action de grâces, lorsque l'on frappa à la porte de la chambre où il priait. La sœur sacristaine y était elle-même, dans le moment, mettant en ordre les ornements, linges et vases sacrés qui avaient servi à la célébration des divins mystères. Elle fait semblant d'abord de ne pas entendre ; les coups redoublant, elle prie les visiteurs d'attendre qu'elle ait terminé sa besogne. L'aumônier, pendant ce temps, s'était jeté sur un lit dont les rideaux furent hermétiquement fermés, et, pour donner le change à ces messieurs, la sœur y avait rapidement attaché une coiffe de femme, à l'endroit le plus visible. Quand la porte leur fut ouverte, supposant que le lit renfermait une pauvre femme malade, ils passèrent sans regarder à l'intérieur, pour continuer plus loin leurs investigations.

Mais ce n'est pas tout. Un jour, vers huit heures du matin, des agents du district de la ville mandent la supérieure et lui annoncent qu'elle ait à se tenir prête, elle et ses sœurs, car elles doivent toutes, ce jour-là, être écrouées au château. Informée immédiatement de cette sinistre nouvelle, la communauté l'accueille avec résignation, et chaque religieuse se dispose pour marcher à la prison. Une personne embarrasse les saintes filles, au moment où elles vont s'éloigner de l'hôpital, c'est le père Duchesne. Que va-t-il devenir ?

La sœur Honorine avise au moyen de mettre ses jours en sûreté. Cette courageuse femme est retenue au lit par une grave maladie, elle est presque mourante. Peu importe ! s'oubliant elle-même pour ne songer qu'au salut de son aumônier, elle recueille, avec une sublime énergie, le peu de force qui lui reste, et écrit quelques lignes à la sœur de M. le curé de Landerneau, connue alors dans tout Brest sous le nom de Grande Marguerite, la priant de lui rendre le service de recevoir provisoirement chez elle une personne à laquelle elle tient beaucoup. Vite on travestit, le mieux qu'on peut, le père Duchesne ; il se place sur une charrette toute remplie de linge que l'on transportait au lavoir ; il traverse ainsi la grande cour de l'hôpital, passe devant les soldats de faction qui en gardaient l'entrée et sort, sans éveiller le moindre soupçon.

Heureuses d'avoir, encore une fois, sauvegardé, par un ingénieux expédient, la liberté et peut-être la vie du prêtre qui se sacrifiait pour elles, les sœurs attendent, toute la journée, qu'on vienne les prendre pour les conduire au château. Elles attendirent en vain : la menace de les enfermer dans cette prison resta sans effet. Pour quel motif ? Il est difficile de le savoir. Cette menace ne fût-elle l'œuvre que de quelques agents subalternes de l'administration, bien aises de causer à des religieuses une cruelle terreur ? Ou si elle fut sérieuse et émanant de plus haut, ne fut-on pas empêché de l'exécuter, en face de l'opposition des médecins et commissaires de l'hôpital qui invoquèrent, pour qu'on les y maintînt, le bien des malades qu'elles soignaient avec autant de dévouement que d'intelligence, et l'intérêt de l'établissement qu'elles prenaient avec une scrupuleuse probité ?

Quoiqu'il en soit, cette alerte passée, le calme où elles restèrent ne fut pas long : on ne pouvait, à cette époque, goûter plusieurs jours de repos ; l'espionnage et la délation s'attachaient comme un chancre à la personne de tous ceux qui étaient fidèles à Jésus-Christ et à son Église...

En faisant leurs visites, les espions du District découvrirent dans les papiers de la sœur Honorine des billets anonymes, que l'on supposa avoir été écrits par elle-même. Citée devant le Comité révolutionnaire pour s'expliquer sur ces billets, la pauvre sœur, malgré son état de maladie, fut obligée de s'y rendre. Elle répondit avec tant de présence d'esprit et de fermeté à toutes les questions qui lui furent adressées qu'on n'osa pas la condamner.

Plus tard, d'autres visites amenèrent la découverte de nouveaux billets ; d'où de nouveaux soupçons et un ordre de comparaître une seconde fois devant le tribunal. Mais la sœur procureuse était, dans ce moment, si dangereusement malade que le médecin déclara son déplacement impossible. Alors un des membres du Comité est délégué pour l'interroger. Il se rend à l'hôpital et demande à voir la malade. On lui dit que, dans l'état où elle est, la moindre émotion peut amener sa mort. Il insiste, en déclarant qu'il veut absolument la voir et causer seul avec elle. Contre la force, il n'y avait pas à résister : cet homme, ou plutôt ce bourreau, est introduit dans la chambre de la mourante. Là, pendant une heure, il la torture littéralement par une série de questions auxquelles elles répond invariablement ; c'est mon secret !

Trouvant cet interrogatoire bien long, et craignant qu'il ne se terminât par le trépas de leur chère sœur, les religieuses, pleines d'angoisses, se décidèrent à faire pénétrer dans la chambre une d'entre elles, la sœur pharmacienne. Celle-ci, à peine entrée, ne craint pas de reprocher sévèrement au délégué sa cruauté ; elle le fit avec une autorité telle qu'elle le contraignit à se retirer, sans avoir pu pénétrer le secret qu'il s'était flatté de percer. Accablée et brisée par les émotions de cette heure de torture, la sœur Honorine rendit, dans la soirée, son âme héroïque, avec le calme et la confiance que donne une vie saintement consacrée au service de Dieu et du prochain : c'était le 2 Novembre 1793. Elle n'avait que 40 ans. Son nom de famille était Marie Seguin, elle était née à Saint-Georges-d'Oléron.

Quelques mois après ce douloureux événement, au commencement de 1794, il fut question de traiter les religieuses de l'hôpital comme les condamnés du bagne. On menaça de les vêtir d'un vêtement grossier, sorte de robe d'ignominie, qui les signalerait à l'attention de la plèbe et les exposerait davantage à ses insultes. Pour les assimiler aux forçats, on devait les enchaîner deux à deux, puis les déporter ainsi à la Guyane.

Tel était le sort qu'on réservait à ces douces victimes de la charité et du dévouement. Il fut facile aux Jacobins de Brest de concevoir ce projet ; mais il n'était pas aussi facile de le réaliser ! Les administrateurs de l'hôpital, qui connaissaient les aptitudes spéciales de ces Dames pour soigner les malades, voulurent, avant de les écarter, essayer de les remplacer par des personnes de la ville. On choisit, à cet effet, trente femmes du monde, qui se mirent à l'œuvre, avec d'autant plus de zèle qu'elles avaient à cœur, en bonnes patriotes qu'elles étaient, de montrer qu'on pouvait très-bien se passer des religieuses. Celles-ci, avec une abnégation et une serviabilité que donne seul l'esprit de foi dont elles vivaient, se prêtèrent à former au service de l'établissement les nouvelles infirmières qui, les mains gantées, les cheveux parfumés, se présentaient dans les salles où gisaient les malades, plutôt comme des inspectrices que comme des femmes de peine et de travail, Quand on jugea l'apprentissage suffisant, on voulut procéder à leur installation définitive, en assignant à chacune d'elles le poste qu'elles devaient occuper dans les diverses salles. Il y eut à ce moment une sorte d'émeute à l'hôpital, la plupart des médecins s'opposant à cette installation, et les malades déclarant avec énergie qu'ils réclamaient les soins des sœurs ; qu'ils refusaient les infirmières de luxe qu'on leur imposait... Le mécontentement alla si loin que l'on menaça de jeter ces dernières par la fenêtre, ou de mettre le feu à la maison, si on renvoyait les religieuses.

En présence de cette manifestation du peuple de l'hôpital, qui était le meilleur et le plus éclatant hommage rendu au dévouement des sœurs de charité pour les membres souffrants de Jésus-Christ, on congédia les héroïnes musquées de la bienfaisance humanitaire et de la sentimentalité révolutionnaire. On comprend combien grand furent leur dépit et celui de leurs patrons : ceux-ci se vengèrent de leur échec, en persécutant à outrance les religieuses qui, maintenues à leur poste d'honneur, redoublèrent de bonne volonté et d'oubli d'elles-mêmes, pour satisfaire de plus en plus les malades qui leur avaient donné une si haute marque d'estime et d'attachement.

Aux persécutions plus raffinées et plus incessantes auxquelles on soumit leur patience, vint s'ajouter le supplice permanent d'avoir prés d'elles [Note : Le tribunal fut installé dans la chapelle de l'établissement, le 21 pluviôse, an II de la République. Pour donner une idée de ce qu'était cet horrible tribunal, voici la lettre qu'écrivit à la municipalité l'accusateur public, en lui annonçant son installation : « Je vous requiers, au nom de la foi, d'ordonner au charpentier de la commune de dresser demain, à sept heures du matin, la sainte guillotine (sic !!!), qui demeurera en permanence sur la place de la Liberté. Envoyez-le-moi, je lui indiquerai remplacement ». « L'accusateur public du tribunal révolutionnaire, séant à Brest. HUGUES »], à l'hôpital, le comité révolutionnaire que l'on y installa. Ce tribunal fut avec celui de Rochefort, son modèle, un des plus barbares et des plus horribles que l'on ait vus en France, durant cette époque de cruauté et de sang que l'on a si justement appelée la Terreur. Il eut tour-à-tour pour présidents le farouche Goyrand, juge au tribunal de Rochefort, le terrible Ragmey, ancien membre du comité révolutionnaire de Paris, pour accusateur public le fameux Hugues, jacobin renforcé, et le religieux apostat, Donzé-Verteuil, digne substitut de Fouquier-Tinville, et remarquable entre tous par sa férocité : c'était dans l'ordre, suivant le proverbe classique : corruptio optimi pessima ..... Ce tribunal formé par le farouche député Laignot, qui était venu lui-même l'installer à Brest, escorté du 3ème bataillon de la Montagne, ce tribunal siégeait tous les jours et expédiait les condamnations à mort avec une rapidité sans nom : arrêté le matin, on était jugé, condamné et guillotiné en deux ou trois heures. L'accusé n'avait le droit de répondre que oui ou non pour sa défense.

Tous les malheureux, qui allaient à cette barre sanglante ou en sortaient pour se rendre à la guillotine, passaient nécessairement sous les yeux des sœurs qui entendaient leurs plaintes et aussi les clameurs féroces de leurs lâches insulteurs, libérés du bagne, et des soldats des bataillons de Marat, faisant le métier de dénonciateurs à gages. Quel spectacle pour ces douces et innocentes filles ! Quel martyre pour elles d'être obligées, à chaque instant, de se trouver face à face avec cette meute de tigres avides de sang ! Souvent, au moment où elles passaient dans les cours pour vaquer à leur service, elles étaient arrêtées par une longue file d'infortunés que l'on conduisait à la guillotine.

Et alors elles voyaient les bourreaux fixer sur elles des regards menaçants qui semblaient leur dire : « Bientôt aussi ce sera votre tour ».

Si ces scélérats, qui avaient surtout soif du sang des prêtres et des religieuses, ne devaient pas avoir l'odieux plaisir de conduire à la guillotine les sœurs de l'hôpital, leur tour de se sacrifier, d'une manière plus éclatante, pour soigner leurs frères souffrants allait arriver pour toutes, et pour quelques-unes celui de mourir, victimes de leur zèle à remplir leur devoir vis-à-vis d'eux.

Une épidémie terrible vint envahir l'escadre mouillée dans la rade de Brest, dans le courant de l'année 1794. Elle sévit avec une telle intensité et atteignit tant de marins que les religieuses ne pouvaient suffire, malgré leur admirable bonne volonté, à pourvoir à tous les besoins de leur service, dans la circonstance. Sur les observations des médecins, on dut leur venir en aide.

Le représentant du peuple, Jean-Bon-Saint-André, alors en mission à Brest, voulut, à cette occasion, faire preuve de civisme. Il écrivit aux divers comités où il y avait des sœurs de la Sagesse retenues dans les prisons, ordonnant de les envoyer à Brest, sous escorte, mais avec tous les égards possibles.

« La nation, disait-il avec emphase, a besoin de ces femmes pour tâcher de sauver la vie aux défenseurs de la patrie ».

Ce renfort, composé de neuf sœurs, vint à propos pour soulager celles qui luttaient, épuisées par la fatigue, sur le champ de bataille. Plusieurs d'entre elles avaient contracté la maladie ; quatre seulement succombèrent, heureuses, en échange de la vie qu'elles perdaient pour leurs frères, de gagner celle du ciel. Au reste, leur sort n'était-il pas plus enviable que celui de celles qui survivaient, pour être témoins de tant de nouveaux crimes et compter, pendant plusieurs années encore, sans pouvoir les arrêter, les maux de l'Église et de la Patrie ?

Cinquante chirurgiens périrent des atteintes de cette épidémie dont le triste souvenir est écrit avec des larmes ineffaçables dans les annales de la cité maritime.

Le fléau avait à peine disparu, lorsque débarquèrent à Brest les prêtres fidèles de la Nièvre, condamnés à la déportation à Cayenne. Renfermés, à leur arrivée, dans la prison des simples matelots, à Pontaniou, ils y eurent beaucoup à souffrir du manque d'air et de la mauvaise nourriture, d'autant plus qu'ils étaient tous exténués par les privations et les fatigues du voyage. Ils étaient 71, en quittant leur pays ; ils n'étaient plus que 25, quand ils touchèrent au port de Brest : encore, 16 d'entre eux étaient dans un tel état de santé que les médecins jugèrent leur admission à l'hôpital de la Marine nécessaire et urgente.

Qu'on juge de la joie de ces bons prêtres, en se voyant confiés aux soins charitables et intelligents de religieuses, fidèles comme eux à ce qu'elles doivent à l'Église et à leur vocation ! Qu'on juge aussi de la consolation de ces dernières, en pensant que les malades, que la Providence leur envoie, sont des prêtres et des confesseurs de la foi !

Tant qu'ils resteront dans l'établissement, elles pourront du moins recourir à leur ministère et recevoir ainsi, en retour de leurs soins matériels, les secours spirituels dont elles sont privées, depuis le départ du père Duchesne !

Qu'il nous soit permis ici de saluer avec respect et avec amour le pieux souvenir de ces vaillants ministres de Jésus-Christ ! Qu'il nous soit permis de baiser avec une affectueuse vénération les traces de leur passage dans notre pays ! L'Église de Quimper, sœur déjà de l'Église de Nevers par cette alliance de ses prêtres martyrs avec les siens, ne l'est-elle pas doublement, depuis que le Nivernais a donné pour premier pasteur à notre diocèse un de ses enfants les plus aimés, Monseigneur René-Nicolas Sergent. Élevé sur le siège de saint Corentin, ce vénéré prélat aimait à rappeler ce glorieux trait-d'union entre les prêtres de son pays natal et ceux de son diocèse. « Quand j'entendais mon ancien curé parler de son séjour à Brest et des prêtres de Quimper, dont il partagea la détention, qui m'eut dit que je deviendrais plus tard l'Évêque de ce bon pays ? ». Ce prêtre, dont parlait l'Évêque de Quimper, était M. Jacques-Jean-Baptiste Imbert, mort curé de la cathédrale de Nevers, à un âge très avancé. Jeune et plein d'activité, à l'époque où il fut conduit à Brest, cet ecclésiastique était par son courage et sa joyeuse humeur le soutien de ses compagnons de captivité. A son entrée à l'hôpital, il fut reconnu, ainsi qu'un autre de ses confrères par un forçat de leur pays, qui était employé au service des malades : ce malheureux avait servi chez le père de cet autre prêtre. Il leur rendit plusieurs petits services, entr'autres celui de leur procurer du linge et des vêtements pour suppléer à l'insuffisance de ceux qu'ils portaient ; de plus, il intéressa à leur sort quelques personnes charitables qui les secoururent. Puisque Dieu récompense le verre d'eau donné au pauvre, espérons que ces œuvres de miséricorde exercées envers les ministres captifs de Jésus-Christ auront mérité au forçat compatissant une grâce de repentir et celle d'une sainte mort !

M. Imbert était d'un caractère franc et ouvert ; doué d'une grande énergie, et animé d'un solide esprit de foi, l'adversité n'altérait pas sa gaieté expansive, et il conservait, au milieu des privations et des ennuis de sa situation, un extérieur très-décidé. Le prenant, sur cette apparence, pour un prêtre constitutionnel (comme si la persécution devait donner à un homme fidèle à ses devoirs un air abattu), une des sœurs le traitait avec moins de bienveillance que les autres.

M. Imbert ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était mal jugé, et, pour détruire cet injuste soupçon, il déclara devant la communauté réunie qu'il avait, comme ses compagnons, refusé le serment et qu'il était disposé à tout souffrir avec joie, plutôt que de souiller son âme, par un acte réprouvé par l'Église dont il espérait rester toujours, Dieu aidant, le ministre fidèle. Désolée d'avoir pu attrister un aussi courageux confesseur de la foi, la sœur coupable se jeta à ses genoux, pour lui demander pardon.

A partir de ce jour, il devint, si j'ose le dire, l'enfant gâté de la maison ; on lui procura les moyens de célébrer, chaque jour, le saint sacrifice de la messe. Il se concilia si bien la confiance et l'affection de tout le personnel de l'hôpital qu'il fut choisi pour préparer à la première communion la fille du chirurgien-major et une autre enfant. Il prononça, à cette fête de famille, une allocution fort touchante, rendue plus touchante encore par toutes les circonstances dans lesquelles on se trouvait. Tout l'auditoire ému fondait en larmes...

L'état de santé des prêtres de la Nièvre s'étant amélioré, grâce aux bons soins des sœurs de la Sagesse, il leur fallut bientôt, au grand regret des uns et des autres, quitter l'hôpital pour rentrer dans leur prison, puis paraître devant le tribunal révolutionnaire. Plusieurs d'entre eux furent condamnés à mort.

Résignés à leur sort, ceux-ci se disposaient tranquillement à leur dernière heure, lorsque la suppression de ce tribunal sanguinaire, après la mort de Robespierre, vint les préserver de l'échafaud. Mis en liberté, ils quittèrent Brest, vers le milieu d'Avril 1795, au nombre de onze ou douze seulement, après avoir perdu treize ou quatorze de leurs compagnons dans cette ville : les autres avaient péri, victimes de la maladie et de la faim, à Nantes et pendant la traversée de Nantes à Brest, à bord des navires où on les avait entassés à fond de cale.

Honneur et gloire à ces héroïques soldats de l'Église qui, comme une phalange impénétrable, opposant une résistance invincible à tous les assauts du schisme et de l'impiété, préférèrent subir l'exil, les prisons et la mort, plutôt que de laisser entamer leur foi et leur honneur sacerdotal !

Avant de s'éloigner de Brest, les glorieux athlètes de Jésus-Christ dont le cœur était aussi sensible aux bienfaits reçus que ferme au milieu des luttes et des épreuves, écrivirent aux religieuses de l'hôpital la lettre commune suivante, dictée par les sentiments de la plus vive reconnaissance :

« Mesdames,
Vous avez été trop touchées de nos disgrâces pour n'être pas sensibles à une nouvelle qui semble en annoncer la fin. On nous rappelle dans notre département. Ce rappel, en nous inspirant l'espoir du retour de la religion, comble nos cœurs de consolations. Il accroit aussi notre reconnaissance pour les sœurs charitables qui nous ont conservé les forces que nous pourrons encore consacrer à son service. Oui, Mesdames, si nous pouvons, dans la suite, être encore utiles à l'Église, c'est à vous que l'Église le devra, parce que, sans les efforts de votre zèle, aucun de nous n'existerait. Nous n'avons donc pas besoin de vous dire que vous serez associées à tout le bien qu'il plaira à la divine bonté de faire par notre ministère. Nous n'oublierons jamais vos bienfaits ; nous les présenterons tous les jours à Dieu, pour qu'il les récompense, en continuant à verser sur vous ses plus abondantes bénédictions.

Nous sommes avec beaucoup de respect, Mesdames, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs.

Signé : Le Jault, Moreau, Berthault, Marille, Descolons, Jolly, Etienne Durand, Saclier, Imbert, Pannetrat, Blandin ».

Touchées de l'honorable sentiment qui avait porté ces Messieurs à leur écrire cette lettre, ainsi que des termes pleins de noblesse et de l'onctueuse piété dans lesquels elle était conçue, les filles de la Sagesse se firent un devoir de leur en exprimer toute leur gratitude, se réjouissant avec eux de leur mise en liberté, les remerciant de tous les bons exemples qu'ils leur avaient donnés, et les priant de se souvenir d'elles devant Dieu.

Après la mort d'Expilly, le 22 Mai 1794, il n'y eut pas, on le sait, d'autre Evêque constitutionnel à Quimper, jusqu'au 22 Juillet 1798 : le troupeau schismatique du diocèse fut gouverné, pendant cet intervalle, par un presbytère formé à l'image de ce prélat apostat.

Quand le nouveau mercenaire, Audrein, vint dans le diocèse, il suivit l'exemple de son prédécesseur, en voulant s'attacher les communautés fidèles ; il fit notamment tout ce qu'il put pour gagner les filles de la Sagesse à son parti ; mais celles qui avaient résisté jusque là aux obsessions d'Expilly et de ses agents ; celles, que les persécutions des autorités laïques avaient également trouvées inébranlables dans la foi, surent encore se montrer supérieures aux perfides assauts de l'évêque régicide, qu'elles refusèrent constamment de reconnaître.

Peu de temps après le départ des prêtres de la Nièvre, le père Duchesne était rentré à l'hôpital maritime de Brest où il avait repris ses fonctions d'aumônier et de directeur.

Mais tout en dirigeant les autres, le saint religieux avait besoin lui-même d'un directeur spirituel auquel il put donner toute sa confiance. N'ayant plus la ressource des bons prêtres Nivernais, qui avaient rejoint leur diocèse, il gémissait de ne pas trouver autour de lui le confident sûr qu'il cherchait.

« La divine Providence vint à son secours, [Note : Histoire de la Congrégation des filles de la Sagesse. p. 179] en lui envoyant un saint prêtre dans la personne de M. l'abbé Graveran. Dès le commencement de la Révolution, ce digne ecclésiastique avait été emprisonné à Brouage avec un grand nombre d'autres qui avaient tous été retenus sur les pontons. D'un dévouement et d'une charité sans bornes, d'une force physique et morale qui lui faisait braver toutes les fatigues et tous les mauvais traitements dont ces malheureux prêtres étaient accablés, il rendit à ses confrères les plus signalés services. Quand l'ordre fut donné de renvoyer les prêtres dans leurs districts, M. Graveran fut conduit à Brest, et mis, avec beaucoup d'autres, en arrestation à l'hôpital de la Marine. Reconnu par une sœur qui elle-même avait été emprisonnée à Brouage, il fut mis en rapport avec le père Duchesne qui devint son intime ami.

A la pacification, M. Graveran fut placé à la tête d'une paroisse située entre Guipavas et. Landerneau (La Forêt). Il voulut bien accepter d'être le confesseur ci des sœurs ; et lorsque le père Duchesne fut appelé à Saint-Saurent par le R. P. Supiot, il en devint l'aumônier, à la grande satisfaction de toute la commuanauté ».

Cet abbé Graveran, natif de Crozon, recteur de Rascanvel, avant la Révolution, était oncle de Monseigneur Graveran, mort évêque de Quimper, en 1855.

Devenu aumônier de l'hôpital maritime de Brest, il racontait qu'étant sur les pontons de Rochefort, la vermine le dévorait tellement qu'il était obligé, ainsi qui ses compagnons de captivité, de l'écraser avec un petit marteau de bois.

Il est mort à Brest, aumônier de cet hôpital.

Vers la fin de l'année 1799, les persécutions avaient à peu prés cessé. Au commencement de l'année 1800, le calme était déjà assez grand autour d'elles, pour que les religieuses de l'hôpital de Brest crussent pouvoir reprendre leur costume : ce qu'elles firent avec une joie inexprimable.

Les sœurs de la Sagesse, qui avaient le soin de l'hôpital de Landerneau, furent aussi mises en demeure de prêter le serment : marchant sur les traces de leurs autres sœurs, établies en France, elles le refusèrent avec horreur : elles furent en conséquence chassées de leur maison et obligées de se disperser là où elles purent.

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La municipalité de Lesneven, dont la bienveillance pour le clergé et les communautés non assermentés fut taxée de faiblesse, voulut empêcher l'application de l'arrêté départemental à la maison des Ursulines située dans la ville.

Elle se réunit, à cet effet, le 22 Mars 1792, et décida que cette maison occupée, à cette époque, par plus de soixante personnes venues des autres communautés supprimées, était un asile ouvert à toutes ces personnes inoffensives, désormais sans autre refuge.

Elle ajoutait que l'on ne devait pas obliger ce monastère à se constituer, « 1° parce que les habitants du district profitaient du bénéfice de leur consommation ; 2° parce que le vaste bâtiment des Ursulines ne pourrait pas se vendre et que leur maison serait un bon refuge pour les veuves et les orphelines ».

L'administration ne tint pas compte de ces observations : elle fit expulser de leur couvent les Usurlines, sur le nouveau refus qu'elles opposèrent à ses exigences anti-canoniques.

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Les Ursulines de Landerneau furent sommées de sortir dans trois jours, sous peine d'être violemment jetées sur la rue : elles sortirent, le cœur brisé, le visage baigné de larmes, emportant leur pauvre trousseau.

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Les maisons religieuses d'hommes ne montrèrent pas en général la même fermeté que les communautés de femmes. La Révolution trouva des partisans dans plusieurs de ces maisons : c'étaient les religieux peu fervents et sans consistance, que la tempête souleva comme la poussière légère des montagnes. [Note : Rapietur sicut pulvis montium a facie venti. Is. 17. 13].

Nous avons sur les couvents d'hommes du diocèse de Léon, à cette époque, peu de détails particuliers, moins encore que sur ceux de l'évêché de Quimper.

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L'abbaye de Saint-Matthieu [Note : Abbatia Sancti Matthæi in finibus terræ], de l'ordre de Saint-Benoît, était située, dans la paroisse du même nom, au diocèse de Léon, à l'extrémité de la Bretagne, sur le bord de l'Océan, d'où lui est venu son nom de Saint-Matthieu-fine-terre, en latin : finis terrœ, en breton : San-Vaze-fin-ar-bed.

Il était difficile de choisir pour un monastère de religieux voués à la prière et à l'étude un site aussi bien approprié à ce double but. Qu'est-ce qui favorise la prière et l'étude ? N'est-ce pas le calme de la solitude et le spectacle de la nature ? Placée sur un coin de terre reculé, en face de la grande mer dont les flots venaient baigner, ses murs, l'abbaye de Saint-Matthieu offrait à ses paisibles habitants la solitude la plus parfaite, avec le spectacle le plus propre à élever l'äme et à la pénétrer de son néant.

Que le lecteur, auquel il n'a pas été donné de jouir de ce spectacle incomparable, arrête son regard sur la carte du Finistère ; qu'il cherche, à la partie occidentale, la pointe de Saint-Matthieu, et il pourra se faire une idée de l'immense étendue que l'oeil y embrasse, soit qu'il contemple devant lui l'horizon qui se prolonge sans limite vers les Pierres-Noires, soit qu'il se porte à droite et à gauche pour fixer dans un lointain mystérieux les célèbres îles de Seins et d'Ouessant.

Quand parut le décret de l'Assemblée nationale qui supprimait les ordres religieux, l'abbaye de Saint-Matthieu avait pour abbé commendataire M. l'abbé de Robien, breton d'origine, vicaire général d'Auxerre. L'avant-dernier abbé était Monseigneur Jean-Louis Gouyon de Vandurant (ou Vaudurant), évêque de Saint-Pol-de-Léon. Démissionnaire de son siège épiscopal, en 1763, il conserva son abbaye, qu'il possédait depuis 1739, jusqu'à sa mort arrivée en 1779.

M. de Robien n'y résidant pas, le gouvernement du monastère était aux mains d'un prieur. Outre ce dernier, il y avait alors trois religieux, de plus un auxiliaire pour les offices du choeur et un domestique affilié.

L'auxiliaire était vicaire perpétuel de la paroisse qui contenait seulement 250 communiants ; il était désigné par l'abbé et nommé par l'évêque de Léon. Nous savons peu de choses certaines sur l'attitude de chacun des membres du personnel de l'abbaye.

Les conseillers de la commune s'y étant présentés, le 22 Mai 1790, pour en faire l'inventaire, et engager les moines à se constituer civilement, le prieur, Joseph Baron, protesta contre cette mesure et déclara vouloir vivre et mourir en vrai religieux.

Le procureur de la maison fit les mêmes protestations et déclarations ; mais sa conduite ultérieure ne répondit pas à ces déclarations. Il prêta le serment et fut jugé digne d'être nommé recteur constitutionnel de Saint-Renan, comme nous l'avons dit plus haut.

A la place de l'abbaye de Saint-Matthieu, s'élève aujourd'hui un phare de 2ème ordre, à feux tournants ; élevé à cinquante mètres au-dessus des plus hautes marées, il projette ses feux à six lieues marines.

On voit encore les murs des jardins du monastère qui étaient considérables ; des autres édifices, il ne subsiste que des pans de murailles qui, bien qu'étayés, s'écroulent chaque année, sous la violence des vents auxquels ils sont exposés : c'est ainsi que les magnifiques restes de l'église, datant du XIIIème et du XIVème siècle, tendent à disparaître peu-à-peu, au point que, sans tarder, le visiteur attristé pourra dire douloureusement de ces ruines ce que disait l'auteur de La Pharsale de celles de Troie visitées avec émotion par son immortel héros : « ..... Etiam periere ruinæ. » (Lucain. Pharsale, Livre IX. v. 129) Les ruines elles-mêmes ont disparu.

La pointe de Saint-Matthieu fait aujourd'hui partie de la paroisse de Plougonvelin.

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Au milieu de la montagne d'Arès, dans un pays couvert de landes et de bruyère tourbeuse, on rencontre une forêt d'une vaste étendue, au-dessous de laquelle est un vallon assez agréable arrosé par une petite rivière. C'est dans ce vallon qu'était située, comme une oasis dans un désert, l'abbaye de Notre-Dame du Relec [Note : Abbatia Beatæ Mariæ de reliquiis] de l'ordre de Citeaux. Fondé pour sept religieux, le 21 Juillet 1132, sur le territoire de la paroisse de Plounéour-Ménez, ce monastère n'en renfermait que quatre, en 1790.

Le dernier abbé du Relec fut M. du Vivier de Lansac, chanoine, comte de Lyon. Il jouit de ce titre depuis 1740 jusqu'en 1784, date de sa mort. A partir de cette époque, l'abbaye fut affectée aux économats jusqu'à la spoliation du clergé, et dirigée par un prieur.

Le dernier prieur fut dom Claude-François Verguet, né en 1744 au village de Champtille, en Franche-Comté, d'une famille honorable : son père était médecin.

Un régiment de cavalerie, de passage dans le pays, ayant séjourné aux environs de son abbaye, il en nourrit les soldats, pendant ce séjour, sans vouloir recevoir aucune indemnité pour toutes les dépenses qu'il avait faites à cette occasion. Informé de cette grande générosité, le roi Louis XVI en fut si touché qu'il recommanda tout spécialement le prieur aux supérieurs de son ordre qui, peu de temps après, l'en nommèrent vicaire général. Député, le 2 Avril 1789, par le clergé de Léon aux États-Généraux, il fut, au commencement, digne de la confiance de ses électeurs. Il prit à l'Assemblée nationale la défense des ordres religieux, lorsque, le 13 Février 1790, on en décréta l'abolition ; il y protesta avec force contre la suppression des vœux monastiques, au point de mériter les plus justes éloges. Hélas ! pourquoi ne marcha-t-il pas toujours dans cette voie !

Lorsqu'on demanda le serment, dom Verguet se sépara de la partie saine de l'Assemblée,comme la paille se sépare du bon grain : il souscrivit à la Constitution civile du clergé et jura de la défendre.

Ce pas franchi, le prieur du Relec n'eut plus de retenue : il accepta le titre de vicaire épiscopal de l'évêque intrus de Langres. Nommé plus tard lui-même curé intrus d'une paroisse, il en remplit les fonctions pendant quelque temps.

Jusqu'ici le prêtre a du moins gardé l'habit sacerdotal ; il a rempli, indignement il est vrai, les fonctions ecclésiastiques, mais voici le régime de la Terreur : sa foi ébranlée par le schisme ne peut plus résister, il se dépouille, autant qu'il est en lui, de son caractère sacré, en abandonnant et son costume et ses habitudes cléricales ; il se fait laïque...

Nommé président du district de Montarlot, petite ville voisine de son pays natal, il se montre un partisan zélé du nouvel ordre de choses, de ce régime dont on ne prononce le nom qu'avec horreur.

Sous le consulat, dom Verguet devint sous-préfet de Lure, dans la Haute-Saône. Il ne conserva ce poste qu'un an, par suite de mésintelligence avec le préfet du département.

Retiré, en 1800, à Montarlot, il y passa le reste de ses jours, dans une grande aisance.

Au reste, il faut le dire à son éloge : il faisait de sa fortune un bon usage, car il donnait largement aux pauvres.

Travaillé sans doute par la grâce de Dieu qui l'appelait au repentir, il se renfermait parfois dans sa chambre, sans vouloir recevoir personne : il y restait de longues heures en prière. Il assistait régulièrement aux offices de sa paroisse ; mais c'est à ces seuls exercices de piété que se bornait la pratique de ses devoirs religieux.

Pourquoi donc ne revint-il pas franchement à toutes ses obligations de prêtre et de religieux ?

Hélas ! il était entré dans le cloître sans vocation, par ambition, comme il l'avouait lui-même. Puis, il avait tant abusé des dons de Dieu !

L'arrivée des alliés en France, en 1814, le plongea dans une profonde tristesse ; cet événement l'effraya tellement que sa santé en fut ébranlée. Un matin, se trouvant plus indisposé qu'à l'ordinaire, il garda le lit ; lorsqu'on alla, vers midi, le visiter, il n'existait plus ; il était mort, sans avoir rétracté ses erreurs ni reçu les sacrements de sa mère, l'Église, qu'il avait si longtemps affligée. N'est-ce pas le cas d'adorer les secrets jugements de Dieu, en s'écriant avec le prophète royal : « Vous êtes juste, Seigneur et votre jugement est équitable ! » [Note : Justus es, Domine, et rectum judicium tuum].

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Le père Noirot, procureur des Dominicains de Morlaix, après avoir été expulsé de son couvent, resta caché dans cette ville et dans les environs. Il y exerça la plus heureuse influence, tant sur les fidèles que sur les prêtres, par son ardeur à soutenir les bons principes et son zèle à administrer les sacrements de l'Église. Guide aussi éclairé que sage, il était pour les uns et les autres, un conseil et un appui toujours sûrs. D'une bravoure peu ordinaire, doué d'un grand sang-froid et d'une merveilleuse présence d'esprit, c'est lui qui indiquait aux prêtres nombreux réfugiés à Morlaix les maisons où ils pouvaient se cacher ; c'est lui qui les y gardait en quelque sorte, en veillant sur eux, nuit et jour, avec une vigilance toute paternelle.

Que de fois il sauva ses confrères des mains de leurs persécuteurs ! Que de fois il échappa lui-même à leurs atteintes par les moyens les plus hardis et les plus ingénieux !

Un jour cependant, il fut pris à l'improviste, et il crut que Dieu voulait, cette fois, qu'il tombât au pouvoir de ses ennemis.

Il se trouvait chez une dame fort âgée, conversant avec elle dans un appartement voisin de la porte d'entrée. Tout-à-coup, ils entendent un bruit de pas et d'armes ; ils ne doutent pas que ce ne soient des soldats qui viennent visiter la maison. « Me voilà perdu, s'écria le père Noirot ! ». Il était, en réalité, impossible de s'esquiver. La dame avait de l'embonpoint et portait un large manteau. Une idée lumineuse lui vient à l'esprit ; elle l'exécute en un clin d'œil.

Elle fait asseoir le religieux dans un fauteuil ; elle s'assied elle-même sur ses genoux et le couvre de son manteau.

L'opération était à peine effectuée que les soldats frappèrent à la porte.

La maîtresse du logis les reçoit tranquillement, les prie de l'excuser si son grand âge et son étât de santé l'empêchent de se lever et de les accompagner dans leur visite domiciliaire.

« Vous voudrez bien, Messieurs, ajouta-t-elle, accepter qu’une de mes domestiques vous conduise dans la maison ».

« Qu'à cela ne tienne, Madame, répondirent les patriotes ; ne vous gênez pas, restez assise ».

Puis, ils sortirent de l'appartement pour faire leur perquisition... Pendant ce temps, le proscrit se mit en lieu de sûreté.

Le chanoine Tresvaux, qui avait connu le père Noirot, dit avoir recueilli ce fait de la bouche même du religieux (T. II. p. 243).

Le père Noirot était originaire de la Franche-Comté. Il était procureur de son couvent de Morlaix, depuis 1787.

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Nous ne savons rien de certain sur ce qui se passa, pendant les mauvais jours dont nous faisons l'histoire, dans les autres monastères d'hommes du diocèse de Léon qui en comptait douze : nous nous abstiendrons donc d'en parler. Nous savons seulement que les Capucins de Roscoff, qui avaient refusé le serment, furent obligés, pour ne pas tomber aux mains des agents nationaux, de s'embarquer si précipitamment pour l'Angleterre, qu'ils arrivèrent à Jersey revêtus de leur habit religieux.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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