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Louis-Alexandre EXPILLY et Claude LE COZ, des évêques révolutionnaires bretons

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I.

Nous venons de voir, en lisant les pages de la vie de Monseigneur de Saint-Luc, comment se conduisit ce courageux prélat, en face des prétentions anti-catholiques de l'Assemblée nationale. Nous avons vu avec quelle énergie il protesta, sur son lit de mort, contre la constitution hérétique el schismatique qu'elle voulut imposer au clergé. La guerre était déclarée à l'Église ; ses ministres n'avaient plus qu'à se préparer à la lutte : celle-ci devait être longue et sanglante ; l'esprit le moins clairvoyant entrevoyait l'orage : personne n'en pouvait prévoir la fin !

Le clergé du diocèse de Quimper se montra, pendant toute cette lugubre époque de notre histoire, digne de son évêque défunt et de l'Église. S'il y eut certaines défections dans ses rangs, elles ne furent pas nombreuses ; encore est-il juste de le dire : plusieurs des prêtres, qui eurent le malheur de prêter le serment, le firent parce qu'ils se laissèrent tromper sur la valeur théologique de ce serment dont ils ne surent pas discerner d'abord tout le venin. Au reste, mieux renseignés, ces prêtres rétractèrent presque immédiatement leur erreur ; quant à ceux qui succombèrent par faiblesse, la plupart se rétractèrent aussi, les uns plus tôt, les autres plus tard...

Mais suivons dans leur douloureuse carrière les pas de nos pères dans la foi.

Immédiatement après la mort de Monseigneur de Saint-Luc, le Chapitre de la cathédrale de Quimper se hâta de pourvoir à l'administration du diocèse. Contrairement aux règles ordinaires de l'Église, vu les circonstances exceptionnelles où l'on se trouvait, en prévision de l'avenir, il crut pouvoir choisir un grand nombre de vicaires capitulaires. Il en nomma en effet dix dans la même séance. Ce furent MM. Descognets, de Larchantel (l'aîné), de Langan, Thiberge, du Laurents, Le Normand, Guesdon, Cossoul, de Larchantel (le jeune) et de Silguy. Cinq de ces messieurs, c'est-à-dire MM. Descognets, de Larchantel (l'aîné), du Laurents, de Langan et Guesdon, étaient déjà vicaires généraux de Monseigneur de Saint-Luc. Par respect et affection pour la mémoire de ce saint évêque, les chanoines se firent un devoir de les conserver : ils continuèrent aussi leur mandat de vicaires généraux à MM. Doixant, recteur de Crozon, Floyd, recteur de Plusquellec et de Mauduit, recteur de Plovan [Note :  Le Chapitre donna aussi des lettres de vicaire général à Mgr de La Marche, évêque de Léon et à Mgr Le Mintier, évêque de Tréguier (Reg. du Chap. p. 141)].

Par le même sentiment de vénération pour la mémoire du prélat défunt, le Chapitre nomma vice-promoteur M. l'abbé Boissière, secrétaire de l'évêché, qui exerçait auparavant ces fonctions.

Le grand nombre de vicaires capitulaires, le siège vacant, n'est pas, à coup sûr, dans l'esprit de l'Église, qui n'en demande qu'un seul dans chaque diocèse, en permettant de lui adjoindre un ou deux auxiliaires, en qualité de substituts ou pro-vicaires. Tout en disant que cet exemple n'est pas à suivre, nous n'osons cependant pas trop blâmer la conduite du Chapitre de Quimper, qui céda sur ce point à un vieil usage français, peu louable sans doute ; puis, il multiplia les vicaires capitulaires, pour qu'en cas d'absence ou de décès des uns, les autres subsistassent : on prévoyait déjà le moment où il faudrait fuir devant la persécution ou répandre son sang pour la cause de Jésus-Christ. D'ailleurs, les évènements n'ont que trop bien justifié cette mesure : n'était-ce pas le cas d'invoquer la règle du droit : Necessitas non habet legem : la nécessité n'a pas de loi ?

II.

Le 28 septembre 1790, deux jours avant la mort de Monseigneur de Saint-Luc, le District s'était rendu dans la salle capitulaire où il avait convoqué (de quel droit ?) les chanoines et les dignitaires du chapitre. Là, il leur notifia la proclamation du Roi pour la publication de la Constitution civile du clergé qui supprimait les chapitres. Il leur enjoignit de ne plus se réunir pour réciter ou chanter l'office canonial, leur défendant même de se trouver en corps, pour quelque motif que ce fût, dans l'église cathédrale, qui fut livrée à deux recteurs jureurs de la ville. Les chanoines protestèrent tous ensemble, séance tenante, avec la plus grande énergie, et contre la violence qui leur était faite, et contre l'illégalité et l'injustice des ordres du District. Ils exprimèrent, de la manière la plus noble et la plus touchante, la douleur où les plongeaient ces mesures aussi cruelles qu'impies. Ils dirent l'attachement qu'ils avaient pour leurs saintes obligations, demandant qu'on les laissât s'en acquitter jusqu'à leur dernier soupir. Leur demande fut repoussée ; et cependant, chose étonnante de la part de leurs persécuteurs, acte leur en fut donné dans le procès-verbal de la réunion dressé par le District.

Malgré cette défense, les chanoines se réunirent, trois semaines après. Un d'entre eux avait prévenu ses confrères que le District avait reçu de l'Assemblée nationale les ordres les plus formels, pour dissoudre le Chapitre, casser les vicaires capitulaires et les remplacer par d'autres nommés par l'autorité civile. Alors, ces messieurs rédigèrent une déclaration par laquelle ils rappelaient, avec vigueur, l'oubli des promesses faites par le Roi et l'Assemblée ..... Ils se plaignaient amèrement d'être, contre tout droit, et de la manière la plus dure, dépouillés de leurs biens, protestant contre cette iniquité ; ils priaient qu'on veillât à l'acquit des fondations pieuses qui leur incombait. Quant à la prescription de l'Assemblée nationale, cassant les vicaires capitulaires, ils refusèrent carrément de la reconnaître, la regardant comme nulle et non avenue, puisqu'elle émanait d'une autorité incompétente. Nous sommes fier, en notre qualité de chanoine, de mettre sous les yeux de nos lecteurs ce précieux document.

EXTRAIT

DU DEAL DU VÉNÉRABLE CHAPITRE DE QUIMPER
(Folio 142 inverso)
Du Mardi dix-neuf Octobre mil sept cent quatre-vingt-dix.

Le Chapitre extraordinairement assemblé, à l'issue de Matines, au lieu et à la manière accoutumés, auquel étaient présents Messieurs Gilart de Larchantel, chantre et chanoine, Talhouet, Le Normand, Desnoes, Le Borgne, Roquancourt, Guesdon, Cossoul, Larchantel, Silguy et Audoyn, tous prêtres et chanoines, plusieurs autres membres des Chapitres étant absents pour cause de maladie ou pour affaire :

Un membre de la compagnie a dit que Messieurs du Directoire du Département avaient reçu les ordres les plus précis de l'Assemblée nationale pour dissoudre le Chapitre, pour casser les grands vicaires par lui nommés pendant la vacance du Siège, et pour y substituer de nouveaux vicaires, conformément aux décrets de l'Assemblée nationale sur la Constitution civile du Clergé. Le Chapitre délibérant, ouï ce rapport, a été d'avis unanime de faire à Messieurs du Directoire du Département, lorsqu'ils viendront lui signifier les ordres de l'Assemblée, sa réponse comme il suit.

MESSIEURS,
Devions-nous nous attendre à la rigueur des lois, que vous venez nous intimer, de la part d'une Assemblée que le Roi n'avait convoquée que pour le conseiller et l'assister dans toutes les choses qui seraient mises sous ses yeux, et pour faire connaître à Sa Majesté les souhaits et les doléances de ses peuples ? Où sont-ils donc les vœux des provinces qui aient demandé, sollicité notre suppression, comme un bien pour l'ordre religieux et civil de l'État ? Qu'avions-nous fait qui pût mériter cet arrêt de destruction qu'on prononce aujourd'hui contre nous ? Notre auguste Monarque placerait-il donc sa gloire dans l'anéantissement de ces Corps antiques et vénérables dotés par la piété des Rois, ses pères et ses prédécesseurs, lui qui ne respire que pour le bonheur de tous ses sujets, et qui se montra toujours si attaché aux principes de la Religion, comme à l'unique consolation qui nous soit donnée dans nos malheurs ? La sévérité de vos ordres suffit pour justifier les réclamations que faisaient, il y a près de deux ans, les Prélats et les Chapitres de la province de Bretagne, rassemblés à Saint-Brieuc par ordre du Roi. Ils semblaient prévoir, dès lors, les malheurs qu'allait entraîner une convocation faite d'après les principes républicains d'un ministre protestant, et précédée de cris populaires et tumultueux qui appelaient l'anarchie sous le nom séducteur de la liberté, et qui annonçaient le bouleversement général de la Monarchie sous le titre fastueux de la régénération de l'empire. Mais, quelque rigoureux que soient vos décrets, nous l'avons promis, Messieurs, et nous serons fidèles à notre parole, vous nous trouverez soumis et dociles en tout ce que nous pourrons accorder sans blesser les lois éternelles de la conscience et les lois saintes de l'Église catholique, apostolique et romaine, dont nous sommes les ministres. La sanction royale, dont vos décrets sont revêtus, ne nous permet pas la plus légère résistance. Prêtres et citoyens, (car on peut bien nous enlever ce dernier titre, mais on ne nous en arrachera jamais le sentiment du fond de nos cœurs, où il est profondément gravé), nous avons renouvelé, il y a quelques mois, à notre bon Roi, notre serment de fidélité, par un acte authentique et solennel dont la France entière a été instruite. Nous ne pouvions pas prévoir alors que notre obéissance dût être mise à une épreuve aussi dure et aussi humiliante. Mais au nom du Roi, notre maître et le vôtre, nous ne savons qu'obéir ; nous révérons en lui le dépositaire unique du pouvoir suprême qui n'appartient qu'à Dieu seul, ne peut émaner que de Dieu, et qui, dans toute Monarchie, réside essentiellement tout entier entre les mains du Monarque. Oh ! si nos malheurs pouvaient effacer les siens ! Mais nous sommes assurés qu'ils ajoutent encore à l'amertume de son cœur, et qu'ils déchirent cruellement son âme sensible et paternelle. Cette idée aggrave le poids de notre disgrace. Oui, Messieurs, permettez que, par l'impulsion d'un sentiment patriotique aussi vif que vrai, nous vous le déclarions ici : ce serait avec consolation, avec joie même et transport, que nous céderions nos places et nos dignités, que nous verserions jusqu'à la dernière goutte de notre sang, si notre suppression ou notre mort pouvait devenir une source de paix pour le Royaume, de gloire pour l’Église, et de prospérité pour notre Souverain. Mais, hélas ! le coup terrible, qui nous frappe et nous détruit, ne laisse après nous que de tristes ruines sur lesquelles la Religion et l'État verseront un jour des larmes de regret justement méritées, et l’on cherchera en vain sous nos débris les trésors du sanctuaire pour payer la dette de la nation ; l'on n'y trouvera plus que des cendres.

Nous vous avons déjà exposé, Messieurs, les devoirs essentiellement attachés à notre état, et dont l'Église nous a spécialement recommandé l'accomplissement fidèle dans une infinité de canons. Nous vous avons assuré, et nous vous répétons encore aujourd'hui, que nous les aimions ces devoirs, et que nous y restons inviolablement attachés ; nous vous avions prié de solliciter pour nous, auprès de l'Assemblée nationale, la grâce de mourir dans l'exercice public des fonctions de la vie canoniale. Nous n'avons pas pu obtenir ce léger amendement aux décrets sévères qui nous suppriment, et notre supplique semble avoir irrité et provoqué l'exécution de la loi de suppression. Vous nous ordonnez de quitter nos bénéfices et de laisser à d'autres ministres le soin du culte public qui nous était confié dans cette église cathédrale. Nous ne nous permettrons pas, Messieurs, de nous plaindre, aux yeux du peuple, de la dureté avec laquelle on nous dépouille, sans que nous ayons même été accusés. Non, nous ne le souleverons pas contre la main qui s'appesantit sur nous ; et si notre destruction venait à exciter ses murmures, nous protestons d'avance de notre innocence, et nous osons défier nos ennemis de citer une seule circonstance où nous ayons seulement ouvert la bouche pour solliciter la commisération publique, que l'on a peine à refuser même à l'homme coupable, dès qu'il est malheureux. Mais en cédant à la force, à ce pouvoir qui brise tout et ne respecte rien, nous protestons hautement contre l'impossibilité absolue où vous nous mettez de satisfaire à nos obligations les plus indispensables. Nous déclarons que nous n'y renonçons pas, mais que nous ne faisons que les suspendre, jusqu'à ce que des temps plus heureux nous en permettent le libre exercice. Nous déclarons que ce n'est que par amour de l'ordre public et par la crainte de le troubler, que nous nous retirons, le cœur plongé dans la plus profonde douleur. Nous protestons, au nom des pieux fidèles qui ont doté cette église, contre l'anéantissement de leurs fondations, et nous demandons, au nom de la justice et de la religion, qu'elles soient toutes fidèlement acquittées suivant leurs intentions, que nous respecterons jusqu'au dernier soupir, par les nouveaux ministres que vous allez nous substituer. Nous protestons contre l'envahissement des biens du clergé, et en particulier des biens de l'église de Quimper, biens sacrés, que nous devions transmettre à nos successeurs, tels que nous les avions reçus ; biens, dont l'administration nous était conférée par toutes les lois de l'Église et de l'État, et dont les saints canons nous défendent, sous des peines grièves, de permettre ou de tolérer l'usurpation par un coupable silence ; biens, enfin, dont il n'est aucune puissance temporelle, sur la terre, qui puisse s'emparer, sans encourir les anathèmes fréquemment prononcés contre ces usurpateurs, dans un grand nombre de Conciles. Nous renouvelons toutes les déclarations que nous avons déjà faites et consignées dans les pièces déposées entre vos mains par MM. Bernetz et Mauduit, Recteurs de ce diocèse, le 6 Octobre dernier ; pièces infiniment respectables, et par les sentiments vrais et orthodoxes qu'elles renferment, et par l'autorité du saint pontife, dont elles sont comme le testament ou l'expression des dernières volontés.

Il est un dernier article, Messieurs, sur lequel les lois inflexibles de la religion et de la conscience ne nous permettent pas de nous rendre à vos décrets. Nous osons vous le dire avec la sainte intrépidité qui convient à la place honorable que nous occupons en ce moment : la mort du vénérable Prélat, que nous pleurons, ayant laissé le Siège de Quimper vacant, vous n'ignorez pas, Messieurs, que l'exercice de la juridiction épiscopale est dévolue de droit au Chapitre de l'église cathédrale. C'est l'Église qui nous a confié ce glorieux privilège ; elle seule aussi peut nous en dépouiller; nous ne pouvons nous en départir. Vous respectez sans doute la ligne de démarcation qui sépare la puissance temporelle et la puissance spirituelle ; et vous sentez que, si une fois vous outrepassez les bornes qui distinguent ces deux pouvoirs, c'en est fait : la ruine de l'Église gallicane est inévitable.

Nous vous le déclarons donc, Messieurs, les décrets de l'Assemblée nationale ne peuvent rien innover dans l'exercice de la juridiction ecclésiastique ; elle ne peut ni ôter ni donner ce pouvoir spirituel. Les nouveaux vicaires, que vous voulez instituer, ne pourraient, sans crime, s'ingérer dans le gouvernement du diocèse, n'ayant pas une institution canonique et spéciale pour cette importante administration. Ce seraient de véritables intrus, l'opprobre de l'Église, le scandale des fidèles, sans mission, sans caractère suffisant, et par conséquent incapables d'exercer, avec validité, la nouvelle juridiction spirituelle dont il vous plairait de les revêtir, après avoir prétendu nous en dépouiller. Ces principes incontestables ne vous sont point étrangers ; nous vous le déclarons donc, Messieurs, de la manière la plus formelle, que nous ne pouvons consentir à la suppression des vicaires généraux que nous avons nommés pour exercer en notre nom, pendant la vacance du Siége, la juridiction épiscopale dans ce diocèse. Nous déclarons continuer à ces Messieurs tous les pouvoirs que nous leur avons confiés , et nous leur enjoignons de les exercer, jusqu'à ce que le Siège de Quimper ne soit pourvu d'un pasteur légitime. Nous déclarons intrus, sans titres et sans pouvoirs, les ecclésiastiques que vous voudriez substituer à la place de nos vicaires généraux, et des autres officiers par nous nommés pour le gouvernement du diocèse. Nous déclarons nuls et de nul effet tous les actes de juridiction épiscopale qu'ils prétendraient exercer, en vertu des décrets de l'Assemblée nationale, absolument incompétente en matière spirituelle.

Ce n'est pas, Messieurs, pour jeter de vaines terreurs dans les consciences, que nous vous faisons ces protestations et ces déclarations expresses ; c'est au contraire pour l'acquit de nos propres consciences et pour la tranquillité des âmes, dont la conduite nous appartient et dont nous devons prévenir les besoins par une vigilance et une sollicitude continuelles. Ce n'est pas, comme on a osé l'avancer, pour établir et fomenter le schisme ; ah ! c'est plutôt pour l'éloigner que nous tenons avec une fermeté inébranlable aux règles et à la discipline de l'Église. Non, Messieurs, nous n'abandonnerons pas ce vaste diocèse, cette portion précieuse de l'héritage de Jésus-Christ à des hommes sans caractère, qui ne pourraient ni absoudre, ni délier. Pleins de cet esprit de force qui animait notre saint évêque, dans des circonstances que vous n'avez pas oubliées, et qui vous paraissaient moins importantes, nous serons inflexibles. L'appareil de la mort ne nous ferait point pâlir ; trop heureux de pouvoir mêler notre sang avec celui de l'Homme-Dieu, pour la cause de la religion et pour le cause de la religion et pour le salut des âmes.

Fait et arrêté en Chapitre, lesdits jour et an ; et ont signé, Gilart, Talhouet, Le Normand, Desnoes, Le Borgne, Roquancourt, Guesdon, Cossoul, de Larchantel, de Silguy et Audouyn ; par adhésion, Descognets, Thiberge, Dulaurents ; comme fondé de procuration pour l'abbé du Portail, Desnoes.

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La protestation si énergique du Chapitre de Quimper eut l'honneur d'attirer sur elle, à l'Assemblée, le 26 Novembre 1790, les foudres du tribun Voidel. Après avoir parlé, en les dénaturant, des évènements qui suivirent la mort de Monseigneur de Saint-Luc, il s'écria dans le langage emphatique et menteur, qui était alors le propre des orateurs de sa couleur :

« Le Chapitre de Quimper ne s'est pas contenté, Messieurs, d'être l'éditeur des œuvres posthumes de M. l'Évêque, il a voulu protester solennellement en son nom. Vous allez le voir, dans ce second acte, parler le langage des esclaves, méconnaître et mépriser ouvertement les droits de la nation, appeler le despotisme en garantie de ses prétendues propriétés ; Vous y trouverez la bassesse et la cupidité invoquant la tyrannie ; le secret, enfin, de cette coupable association des prêtres avec les cours qui, depuis tant de siècles, a fait le malheur des peuples et la honte de la religion ...... ».

Dans ce discours, Voidel loue le zèle et le patriotisme des corps administratifs du Finistère, des districts de Quimperlé, de Pont-Croix et de la municipalité de Quimper « qui n'ont rien omis de tout ce qui pouvait procurer l'exécution de la loi ...... ».

III.

L'assemblée des électeurs pour la nomination d'un évêque constitutionnel avait été fixée au premier Novembre 1790. On comprend maintenant pourquoi le district se hâta de dissoudre le Chapitre et d'en séparer ainsi les membres. Il pensait qu'une fois éloignés les uns des autres les chanoines ne pourraient plus s'unir, pour fortifier leurs frères et les fidèles dans la foi. Ils voulaient éteindre la voix de la vérité ! Mais Dieu dirigea ses fidèles représentants dans les voies de la prudence.

Avant de se séparer, pour aller, chacun de son côté, souffrir et mourir, les vicaires capitulaires tentèrent un dernier effort, sinon pour prémunir le diocèse contre le schisme qui le menaçait, du moins pour retarder, le plus possible, cet horrible malheur. Ils firent donc imprimer une lettre qu'ils adressèrent, sous forme de lettre pastorale, aux électeurs, les conjurant, au nom de Dieu et de leurs plus chers intérêts, de ne pas permettre la nomination d'un évêque schismatique. Cette lettre, écrite dans le style le plus légitimement ému, était de nature à éclairer la conscience des électeurs et à arrêter ceux d'entre eux qui avaient encore un peu le sentiment de l'Église. Le lecteur en jugera par lui-même.

« Nos très-chers frères, la voix des pasteurs de ce diocèse s'est fait entendre ; c'était le cri, le gémissément de leurs cœurs vivement affectés de la mort de notre saint pontife, et plus consternés encore des dangers du schisme où elle va nous entraîner. Leur humble prière a passé pour le cri de l'ignorance ou de la sédition, et on les a traduits comme des ennemis de l'ordre public.

Serons-nous plus heureux, N. T. C. F., dans la lettre que nous vous adressons ? C'est au nom du Dieu de paix ; au nom de Jésus-Christ, le Pasteur et l'Évêque de nos âmes ; au non de la religion sainte que vous professez ; au nom de l'Église catholique, apostolique et romaine dont vous vous glorifiez d'être les enfants ; au nom de la patrie dont l'amour nous anime comme vous, que nous vous conjurons de ne pas procéder à l'élection pour laquelle on vous a appelés. Ne donnez pas à cette église désolée un pasteur qu'elle rejette d'avance. Déjà le corps pastoral s'est expliqué : la partie la plus nombreuse et la plus saine de ce diocèse ne croit pas pouvoir, en conscience, recevoir pour évêque celui que vous auriez élu. Seriez-vous insensibles à la voix de vos guides, de ceux que Dieu vous a donnés pour vous conduire dans les voies du salut ; et ne nous feriez-vous pas la grâce de nous croire aussi instruits et aussi jaloux de vos vrais intérêts que ceux qui voudraient nous taxer d'ignorance ou de mauvaise foi ? Non, N. T. C. F., nous ne prétendons pas nous ingérer avec eux dans la décision de vos affaires d'état et de politique, dans les intérêts de votre fortune ; mais nous devons vous instruire dans tout ce qui peut intéresser la religion, dans tout ce qui peut porter atteinte à l'autorité et à la discipline de l'Église. Ne vous laissez donc pas séduire par une doctrine nouvelle et étrangère, et ne croyez pas que l'élection d'un évêque vous appartienne comme celle des membres de vos corps administratifs, ou de vos municipalités, pour lesquels, seuls, vous avez reçu des pouvoirs électifs ».

Les vicaires généraux font voir ensuite que Jésus a choisi, seul, ses apôtres, et que ceux-ci, seuls, placent à leur tour saint Jacques à la tête de l'Église de Jérusalem. Ils prouvent, par divers exemples, que dans les temps apostoliques, le peuple ne fut pas regardé comme essentiel dans le choix des premiers pasteurs. Ils parlent des anciennes élections, et montrent que la passion y était quelquefois si manifeste que l'Église ne put plus consulter les fidèles sur le choix des premiers pasteurs. Ils ajoutent que ces choix, confiés pour la France à ses monarques, ont produit d'excellents pontifes, et que le diocèse de Quimper a eu de cette manière plusieurs évêques très-recommandables par leurs vertus. Ils exhortent les électeurs à imiter l'exemple du roi, qui a consulté le Saint-Siège, et à attendre respectueusement que le Souverain-Pontife ait prononcé ; qu'ils craignent de s'arroger un pouvoir tout spirituel, que Jésus-Christ n'a confié qu'aux évêques, seuls juges de la discipline comme de la foi. — (Tresvaux, histoire de la persécution en Bretagne, p. 132).

« On voudra peut-être, disent-ils, en finissant, inculper nos intentions dans l'avertissement que nous avons cru devoir vous adresser, mais Dieu, qui voit le fond de nos cœurs, est témoin de la pureté de nos motifs. Nous n'élevons la voix que pour vous conjurer d'avoir pitié des ouailles confiées en ce moment à nos soins, et qui s'élèveraient un jour contre nous, si vous veniez, par une élection illégale, à jeter des semences de schisme et de division dans un diocèse qui fut toujours inviolablement attaché aux principes de l’unité ».

Cette lettre était signée : R. Descognets, L.-J. de Larchantel, Thiberge, Dulaurents, Guesdon, Cossoul, R. de Larchantel, de Silguy, vicaires généraux.

Ce langage, dicté par la sollicitude pastorale la plus sage et la plus dévouée, aurait dû produire l'effet que se proposait l'autorité diocésaine, dans un pays aussi chrétien et aussi soumis que le nôtre à la voix de la religion. Mais l'homme ennemi avait semé l'ivraie dans le champ du père de famille, de manière à étouffer le bon grain sur ce sol heureux où la bonne semence croit d'elle-même. Les partisans de la révolution y avaient déjà prêché l'insubordination vis-à-vis de l'autorité spirituelle ; ils avaient dit à ce peuple de l'Armorique dont l'âme, naturellement catholique, est aussi naturellement soumise à ses vrais pasteurs : « Il est temps de secouer le joug de cette Église qui gêne ta liberté. N'es-tu pas un peuple libre ? N'es-tu pas un peuple souverain ? Allons, n'écoute plus la voix des ces prêtres qui t'oppriment et s'opposent à l'émancipation de ta raison... Viens avec nous à la conquête des droits de l'homme etc. ».

Hélas ! pourquoi faut-il que le peuple se laisse toujours tromper par les théories des apôtres du mensonge ? Pourquoi faut-il qu'il n'écoute pas les enseignements de ses vrais amis, de ceux qui lui parlent, au nom de Dieu, dans l'intérêt de son bonheur temporel et éternel ?

Captivés, les uns par la crainte de la Convention ou l'enthousiasme du moment, les autres guidés par l'ambition ou enchaînés par des engagements secrets, la plupart des électeurs restèrent sourds à l'appel de leurs chefs spirituels ; ils préférèrent suivre l'exemple du département : celui-ci avait rejeté, au mois d'octobre, la prière du chapitre et du clergé qui lui avaient demandé de surseoir à la convocation de l'assemblée électorale.

IV.

L'assemblée se réunit donc, le jour de la Toussaint 1790, dans l'église cathédrale, au milieu de la nuit, ou plutôt, le jour des morts, à deux heures après minuit, au bruit de la foudre qui grondait avec force, à la lueur sinistre des éclairs. Cette nuit, rendue déjà si terrible par la tempête et l'orage, le fut encore davantage par les scènes scandaleuses qui s'y produisirent. On peut se figurer le tumulte affreux, occasionné dans une telle réunion, par les intrigues et les cabales des amis de la constitution. Craignant que l'élection n'eut pas lieu, il n'est sorte de machinations qu'ils ne firent pour la mener à leur fin. Se rappelant la lettre de MM. les vicaires capitulaires qui les engageaient à suspendre l'élection, un grand nombre d'électeurs se retirèrent sans vouloir voter. D'autres, montant dans la chaire qui servait de tribune, essayèrent d'élever la voix, pour empêcher l'élection. Mais plus nombreux, les patriotes et leurs adhérents s'agitèrent tumultueusement, en poussant des cris terribles. Ils couvrirent la voix de ceux qui s'efforçaient de se faire entendre, et les chassèrent violemment de la chaire où ils étaient montés. Pendant la séance, un des électeurs remit au président de l'assemblée une lettre cachetée écrite par Monseigneur de la Marche, Évêque de Léon. Le prélat demandait qu'on différât l'élection jusqu'à ce que le Souverain-Pontife eut donné sa décision [Note : L'évêque de Léon et Monseigneur de Saint-Luc avaient, par précaution, écrit au Pape Pie VI, le premier, le 18 juin, le second, le 11 juillet 1790, pour lui demander ses conseils, prévoyant les grandes difficultés qui devaient naître de la constitution civile du clergé]. Plusieurs personnes réclamèrent la lecture immédiate de cette lettre, mais ce fut en vain, on la refusa obstinément ; et l'on n'ouvrit le paquet que, lorsqu'on n'eut plus rien à craindre de l'impression qu'eussent sans doute produite sur la foule les justes réclamations du vénérable Évêque, — c'est à dire quand les opérations du scrutin furent closes.

Que dire de l'indécence de cette assemblée nocturne où l'on ne sut respecter ni le lieu saint, ni même la morale publique ? On y voyait mêlés ensemble, dans le plus grand désordre, les jeunes gens et les femmes ! C'était à navrer le cœur des personnes honnêtes !

On raconte que le premier qui fut admis à voter fut un protestant, le seul peut-être qu'il y eut alors dans tout le pays ! Enfin on dépouilla le scrutin : le nom de l'abbé Expilly sortit de l'urne sacrilège. C'était prévu [Note : Expilly s'attendait si bien à être nommé évêque de Quimper qu'il avait, à l'avance, acheté toute sa chapelle épiscopale. Il eut même la sotte vanité de la montrer à un de ses collègues, prêtre breton et député, comme lui, à l'Assemblée nationale] : les patriotes avaient, on peut le dire, remué ciel et terre pour arriver à cette élection. Il n'est pas de moyens qu'ils n'employèrent pour y aboutir, per fas et nefas. On fit de larges et copieuses distributions d'eau-de-vie, surtout aux habitants de campagnes, dont on craignait le bon sens et la soumission à leurs légitimes pasteurs. On troubla leur raison par cette pernicieuse liqueur, de manière à les faire voter, comme on voulait. Cette odieuse manœuvre fut portée à un tel point qu'elle donna lieu au mauvais jeu de mots qui suit « Nous avons un évêque qui durera longtemps, car il est fait à l'eau-de-vie ! ».

Louis-Alexandre Expilly de La Poipe (1743-1794), évêque constitutionnel du Finistère en 1790 (Bretagne).

Au reste, plusieurs des électeurs regardèrent l'élection de l'évêque constitutionnel comme une vraie plaisanterie. Quand on fit le dépouillement du scrutin, on trouva, dans l'urne, des suffrages pour le maire et le greffier du tribunal, tous les deux mariés et ayant femme et enfants; pour deux religieuses, et (qui le croirait ?) pour le chien du collège ! ! !

Est-ce ainsi que l'Église procédait jadis à l'élection des évêques ? Et c'est pourtant ainsi que, pendant plusieurs années, l'autorité civile choisit en France les premiers pasteurs des diocèses ! Aussi, Dieu sait quels furent les élus de ce choix populaire !

V.

Louis-Alexandre Expilly, nommé évêque constitutionnel du Finistère [Note : D'après la nouvelle Constitution, les évêques ne portaient plus le titre de la ville où ils siégeaient, mais celui du département qui formait leur diocèse. « On avait, trouvé, dit M. Picot, en ses mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, on avait trouvé cette dénomination beaucoup plus conforme aux principes de l'égalité et à la destruction de toute prééminence. Ainsi, on disait l'évêque du déparlement de la Manche, des Landes, des Bouches-du-Rhône, du Puy-de-Dôme, du Jura, de l'Allier....., et ces prélats semblaient n'avoir à gouverner que des rivières ou des montagnes »], était né à Brest , au diocèse de Léon. Il était recteur de Saint-Martin de Morlaix et député à l'Assemblée nationale, au moment de sa nomination. Il s'était fait députer à l'Assemblée, malgré son évêque. Pressentant tout ce qui s'y ferait contre l'Église, Monseigneur de La Marche ne voulait pas que le clergé de son diocèse fût représenté dans cette dangereuse Assemblée.

Peu de temps après son arrivée à Paris, le nouveau député fut élu président du comité ecclésiastique. « Il y parut, dit M. l'abbé Boissière dans ses notes, comme Dioscore à la tête du faux concile d'Ephèse, connu sous le nom de brigandage d'Ephèse ». Là, il jeta le masque, se découvrant tel qu'il était, et non tel qu'il apparaissait auparavant. Il ne garda désormais plus aucune mesure : il le prouva, en donnant un projet de constitution pour le clergé, rédigé dans le sens des idées révolutionnaires. En fut-il réellement l'auteur, ou seulement adopta-t-il cet écrit ? Nous ne saurions le dire : toujours est-il qu'il le publia en son nom.

Expilly avait fait à Paris des études médiocres. D'un esprit léger et superficiel, il n'était pas capable, suivant ses contemporains, d'études profondes. Devenu prêtre, il fut appelé à la cure de Saint-Martin de Morlaix. Il se comporta, pendant quelques années, de manière à ne mériter aucun reproche sérieux. Mais il devint bientôt suspect à ses confrères par ses liaisons trop intimes avec des philosophes incrédules de Paris. Dès lors, les rapports qu'il avait avec le clergé de son diocèse cessèrent d'être aussi fréquents et aussi affectueux. Monseigneur de La Marche, son évêque, n'ayant plus en lui qu'une confiance très-restreinte, s'en défiait également et ne pouvait plus lui témoigner la même affection.

Tel était le prêtre qui mérita le triste honneur d'être le premier évêque constitutionnel dans notre pays ; tel était celui qu'une foule, ivre de vin ou de fanatisme révolutionnaire, acheva de déshonorer par ses suffrages impies : il était digne d'être, encore une fois, l'élu de tels hommes, celui qui s'était fait remarquer à l’Assemblée par son profond mépris pour les lois de l'Église et sa haine contre l'épiscopat ; celui qui, étant rapporteur dans la question sur le traitement des évêques et autres membres du clergé, ne rougit pas, làche déserteur de son drapeau, d'écrire ces lignes :

« Le travail que votre comité ecclésiastique va mettre aujourd'hui sous vos yeux, est le complément du décret que vous avez rendu sur les biens du clergé, et notamment de ceux que vous avait proposés votre comité des dîmes. Il est temps de faire cesser ce contraste scandaleux entre l'esprit d'une religion fondée sur l'humilité et le détachement des richesses, et l’opulence orgueilleuse dans laquelle vit une partie de ses ministres, à l'ombre du respect qu'inspire leur caractère ; abus révoltant dont les ennemis de l'Église, n'ont su que trop profiter, et qui l'a plus affaiblie peut-être que les attaques de l'hérésie. La religion et ses ministres gagneront beaucoup à ce changement que commandait l'intérêt de l'État. Nous ne devons pas nous arrêter à cette objection si souvent répétée : les titulaires sont des usufruitiers, l'usufruit est une propriété ; ils ne peuvent en être privés, sans recevoir une indemnité complète, comme tous les autres propriétaires. C'est une erreur de comparer à une propriété privée la propriété d'un citoyen, qui ne la doit qu'à lui-même, l'attribution d'un usufruit faite au ministre du culte par la puissance chargée de fournir aux frais de ce culte. Le clergé n'a jamais été qu'usufruitier de ses biens ; vous l'avez décrété en justice. Il tenait cet usufruit de la nation, à qui appartenait la disposition de ces biens. La nation peut donc les lui retirer, de même qu'on retire un salaire à celui qui cesse de le mériter. L'attribution d'un traitement excessif est un abus, que des milliers de siècles ne sauraient légitimer. Appelés à réformer des abus, vous ne l'êtes pourtant pas à imposer à des ecclésiastiques un genre de vie qui leur serait insupportable ; n'ôter qu'à ceux qui ont beaucoup trop, et donner aux ministres utiles, voilà la règle que votre comité s'est efforcé de suivre ; ainsi, ce n'est qu'à la répartition des biens de l'Église que vous allez procéder.

Tous les bruits parvenus à votre comité nous annoncent que les plus fortes attaques auront pour objet le maximum des Évêques. On vous proposera de rejeter cette fixation comme trop modique ; on combattra pour eux avec chaleur, tandis qu'une foule d'ecclésiastiques, auxquels il ne nous a pas été permis d'accorder un traitement suffisant, ne trouveront pas de défenseurs. Trente mille livres pour un célibataire, dont les fonctions sont incompatibles avec le luxe, nous ont cependant paru suffisantes pour un Évêque. On vous parlera de leurs dettes, qui exigent nécessairenient de l'indulgence, des dépenses auxquelles ils étaient nécessités. Les curés sont aussi obligés à des dépenses plus considérables que celles des Évêques, en proportion de leurs revenus. Ils sont toujours à côté du pauvre et du malheureux ; ils sont obligés de rendre mille soins qui ne peuvent atteindre le faste de l'épiscopat. Qu'on mette à part l'intérêt personnel, et je suis persuadé qu'il ne se trouvera pas d'homme impartial qui n'avoue que l'ordre de choses que nous proposons est beaucoup plus juste et plus capable de faire respecter les ministres de la religion. Le comité a donc fait imprimer un rapport qui vous a été distribué, dans lequel il a développé toutes les bases de son plan. Il est inutile, je crois, de vous les rappeler ; je vais lire les articles du projet de décret.

ARTICLE 1er — A compter du premier Janvier 1790, le traitement des Archevêques et Évêques en fonctions, est fixé ainsi qu'il suit ; savoir :

Les Archevêques et Évêques, dont tous les revenus n'excèdent pas 12,000 livres, n'éprouveront aucune réduction.

Ceux dont les revenus excèdent cette somme, auront 12,000 livres, plus la moitié de l'excédant, sans que le tout puisse aller au-delà de 30,000 livres, et, par exception l'Archevêque de Paris aura 75,000 livres.

Les dits Archevêques et Évêques continueront à jouir, dans leurs villes épiscopales, des bâtiments à leur usage et des jardins y attenants ».

Mais revenons à la nomination d'Expilly. A peine son nom fut-il sorti de l'urne sacrilège que l'on s'empressa de lui adresser l'acte de sa prétendue élection. « Venez, lui écrivaient les membres de l'administration du département, venez résider au milieu d'un peuple fidèle, attaché à la religion établie par Jésus-Christ et à la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale ».

Relevons, en passant, le mensonge grossier que renferment les derniers mots de cette phrase sonore. Le peuple breton est sans doute très-attaché à la religion de Notre Seigneur Jésus-Christ ; mais il n'a jamais eu d'attachement à la Constitution civile du clergé qui ne compta pas dans son pays de nombreux partisans.

L'Évêque nommé répondit, sans retard, au département. Sa lettre est datée du 7 Novembre ; la voici :

« J'accepte avec le respect qu'on doit à la voix du peuple, avec cette humble reconnaissance qu'inspire la confiance de ses concitoyens, la dignité dont ils m'honorent. Jai mesuré toute l'étendue des obligations qu'elle m'impose : fonctions éminentes et saintes, circonstances difficiles, exemple d'un pieux et respectable prélat... J'ai vu aussi dans tout leur jour les peines attachées aux places élevées dans des conjonctures où l'avantage général ne peut étouffer entièrement le mécontentement privé...

Je ne différerai pas à m'y rendre ».

Quel langage hypocrite ! N'était l'expression si vive de son respect et de sa gratitude pour le peuple qui l'a nommé, ne croirait-on pas entendre le prêtre le plus humble et le plus saint que le redoutable fardeau de l'épiscopat effraie ?

VI.

Les ennemis de l'Église agissaient, on le voit : ses amis ne dormaient pas non plus. Ils faisaient ce qu'ils pouvaient pour arrêter le mal ; ils protestaient contre les actes contraires à sa discipline et à ses doctrines. C'est ce que firent dans la circonstance les vicaires capitulaires de Quimper. Sentinelles vigilantes et toujours prêtes à remplir leur devoir, dès la nomination d'Expilly, ils lui adressérent une lettre du ton le plus ferme et le plus noble, pour lui signifier qu'il n'était rien à leurs yeux qu'un intrus, qu'un loup dans la bergerie ; qu'eux seuls étaient les pasteurs légitimes du troupeau etc... Citons encore cette lettre : elle montrera, une fois de plus, à quelles solides mains on avait confié l'administration du diocèse.

xxxxxx

LETTRE
de MM. les Grands Vicaires de Quimper,
à M. l'abbé EXPILLY.
[Note : Messieurs les Grands Vicaires ayant écrit à M. l'abbé Expilly, et n'en ayant pas reçu de réponse, croient devoir à la place honorable qu'ils occupent de rendre leur lettre publique par la voie de l'impression, afin que l'on n'ignore pas les démarches qu'ils ont faites, pour éloigner du Diocèse les malheurs du schisme qui le menace].

Monsieur,
Elle est sans doute parvenue jusqu'à vous la lettre circulaire que nous avons écrite à MM. les électeurs du Finistère, pour les prier de surseoir à la nomination d'un Évêque. Nous ignorions alors que vous dussiez réunir la pluralité des suffrages : ainsi vous ne pourriez nous soupçonner d'avoir voulu vous éloigner de la place honorable qui vous attendait. Non, Monsieur, des vues plus pures nous animaient : la gloire de Dieu, l'amour de la religion, le zèle pour l'Église, l'attachement aux vrais principes, l'intérêt du troupeau dont nous sommes chargés ; voilà les seuls motifs de la conduite que nous avons tenue, depuis la mort de notre saint et vénérable Pontife. Les lois de l'Église nous ont confié l'administration spirituelle du Diocèse, sede vacante. Nous n'avons pas cru et nous ne croyons pas pouvoir, en conscience, nous en départir, malgré l'avis de votre comité ecclésiastique. L'Église seule, nous ayant revêtus de cette autorité, nous estimons qu'elle seule peut nous en dépouiller. Aussi le Chapitre, au moment même de sa dissolution, nous a-t-il enjoint, de la manière la plus précise, de continuer l'exercice de la juridiction épiscopale, jusqu'à ce que le siége ne soit pourvu d'un pasteur légitime. Nous manquerions essentiellement, Monsieur, à la confiance d'un corps que ses malheurs ne nous rendent que plus cher, à l'Église qui nous a revêtus d'une autorité si glorieuse, et au diocèse de Quimper, si nous n'usions pas des pouvoirs qui ne peuvent encore appartenir qu'à nous seuls, jusqu'à ce que l'église n'en ait disposé autrement. Nous sommes convaincus que l'Assemblée Nationale est absolument incompétente dans tout ce qui peut concerner la discipline ecclésiastique. C'était l'avis mille fois manifesté de notre saint Évêque, dont la mort nous a plongés dans la douleur la plus profonde et dans les plus grands embarras ; c'est l'avis de Nos Seigneurs les Évêques de l'Assemblée ; ils s'en sont publiquement expliqués ; c'est l'avis des Évêques dispersés dans toute la France, dont les différents mandements ont tous exprimé le même sentiment ; c'est l'avis de votre respectable Évêque de Léon, dont vous révérez, sans doute, les vertus et les lumières ; c'est l'avis du clergé de ce diocèse : la partie la plus saine et la plus nombreuse s'est déclarée depuis longtemps.

Vous appelez sa déclaration une erreur ; jamais vous ne réussirez à l'en convaincre, et nous pouvons vous assurer que votre entrée dans ce diocèse ne sera point accompagnée du suffrage des pasteurs, suffrage pourtant dont vous devez être plus jaloux que de celui d'un peuple toujours facile à séduire. Vous le savez, Monsieur ; ils vous ont déclaré intrus ; ils vous rejettent d'avance et vous crient qu'ils ne veulent point communiquer avec vous in divinis, si vous venez au milieu de nous contre les formes canoniques anciennes, avant qu'elles aient été changées par l'Église. Il nous est dur, Monsieur, de vous rappeler ces vérités humiliantes ; il serait bien plus consolant pour nous et pour vous de n'avoir que des compliments de félicitation à vous adresser. Les vertus dont vous avez donné l'exemple, pendant que vous avez été attaché à votre paroisse de Saint-Martin à Morlaix, nous inspiraient une sincère vénération pour vous et nous auraient fait applaudir à votre nomination, si nous n'y voyions une violation manifeste des saintes règles de l'Église ; mais les principes que vous avez manifestés à l'Assemblée nous ont toujours alarmés, et nous n'avons pu concilier votre attachement à la constitution nouvelle du clergé avec ce zèle et cette intégrité de doctrine que vous aviez montrés jusque-là.

Vous protestez, Monsieur, dans votre lettre au département, de votre amour pour la religion. C'est cette religion elle-même qui vous parle ici par notre ministère ; elle vous conjure de ne pas déchirer l'Église de J.-C. par un schisme déplorable. Ayez pitié d'un diocèse où vous avez pris autrefois les premiers éléments de la science et de la piété chrétiennes, et qui fut toujours distingué par la pureté de sa foi et par son attachement inviolable à l'unité des principes. La France entière a les yeux fixés sur vous ; elle attend de vous une démarche forte, vigoureuse et vraiment digne d'un apôtre. Vous avez du crédit à l'Assemblée nationale ; la Providence semble vous mettre à même d'en faire en ce moment l'usage le plus avantageux pour l'Église et le plus glorieux pour vous. Mettez, Monsieur, sous les yeux de l'Assemblée cette réclamation presqu'universelle du clergé du royaume contre l'exécution du nouveau décret sur la constitution ecclésiastique. Parlez-lui surtout des obstacles insurmontables que vous éprouvez de la part du clergé de Quimper à votre élévation sur le siège épiscopal. Cette représentation faite avec ce ton persuasif que vous preniez autrefois, avec tant de succès dans la chaire de vérité, pourrait-elle déplaire aux représentants d'une nation très-chrétienne, de la part d'un membre dont le patriotisme est si connu ? Que de bénédictions vous précéderont dans ce diocèse, si vous pouvez, par vos sages observations, obtenir que les lois de l'Église soient conservées, que les droits du Saint-Siège soient respectés, et que l'ordre ancien soit rétabli dans la discipline ! Avec quelle joie pure vous serez reçu de ceux qui semblaient d'abord avoir redouté votre arrivée ! Avec quelle douce confiance nous vous remettrons, Monsieur, le gouvernement de ce diocèse ! Vous nous trouverez d'autant plus soumis à votre autorité légitime que nous aurons montré plus de résistance à l'usurpation ; et c'est ainsi que vous rétablirez vous-même cette paix qui fait l'objet de vos vœux et des nôtres, et qu'un corps administratif n'est pas propre à faire renaître, lorsqu'elle est troublée par des contestations sur lesquelles il ne saurait prononcer.

Nous sommes avec un profond respect, Monsieur, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs.

Signé : R. S. Descognets ; L. J. de Larchantel ; Le Normant ; Guesdon ; Cossoul ; de Larchantel ; de Silguy ; Mauduit, vicaires généraux.
A Quimper, ce 17 Novembre 1790.

Expilly ne daigna pas répondre à cette lettre. Alors ces messieurs jugèrent à propos de la rendre publique. Ils la firent donc imprimer et la répandirent dans tout le diocèse, afin que l'on ne crut point qu'ils acceptaient, sans protester, l'intrus qui s'intitulait leur Évêque.

Avant la réception de cet écrit, pour se conformer, comme il le dit lui-même, à l'article 19 du titre II de la Constitution civile du clergé, (il n'est pas question des prescriptions de l'Église), le recteur de Saint-Martin avait déjà adressé au Souverain Pontife la lettre en apparence la plus soumise et la plus respectueuse : le baiser de Judas trahissant Jésus, en lui disant : Ave rabbi ! Maître, je vous salue ! Le lecteur va en juger lui-même par le texte de la lettre :

Lettre de communion écrite au Pape par M. l'Évêque du Finistère, suivant l'article 19 du titre II de la Constitution civile du clergé.
TRÈS—SAINT—PÈRE,

La Constitution civile du clergé de France, décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi, a changé la forme des nominations aux sièges vacants, et ramené le droit de l'élection qui a existé avant le concordat de Léon X et de François Ier.

Ce changement dans la discipline et dans le régime extérieur de l'Église est bien diversement envisagé par les Évêques français, qui pensent que l'autorité spirituelle devait concourir à cette innovation intéressante.

Votre Sainteté, est sans doute, déjà instruite par le Gouvernement français des lois portées par les représentants de la nation, et dont l'exécution est vivement sollicitée par tous les corps administratifs du royaume.

Les électeurs du département du Finistère ont daigné s'occuper de moi, et la réunion de leurs suffrages m'appelle au siège de Quimper.

Ce choix honorable me présente à la fois les plus éminentes fonctions du saint ministère, et de faibles moyens ; de grandes obligations à remplir, et peut-être de très-grandes difficultés à vaincre. Je n'ai pour adoucir ces sollicitudes qu'un zèle pur et des intentions vraiment pastorales ; la confiance en la Miséricorde suprême sera mon appui.

J'ai entendu avec frayeur la voix qui m'appelle à de grands travaux, et je quitterai à regret la paroisse où la confiance et la docilité encourageaient mes efforts ; ces fruits précieux d'un ministère de paix deviendraient bien amers, si l'élection que le peuple a désirée jetait parmi mes coopérateurs dans le ministère des semences de division et de trouble.

Il me serait infiniment plus doux de rester attaché à mes paisibles fonctions, si je n'apercevais dans ma résistance encore plus de dangers que dans une soumission prudente à la volonté des électeurs et aux principes de la constitution française.

C'est dans votre sein paternel que je viens déposer mes sentiments les plus chers et les principes religieux auxquels je tiens plus qu'à mon existence. Le siège de Saint Pierre, centre de l'unité et de la foi, le Souverain Pontife qui l'occupe, sont à mes yeux l'arche sainte à laquelle je veux être inviolablement attaché comme au Souverain Médiateur qui a fondé la religion divine que je professe et que je ne cesserai d'enseigner.

Je tiens fermement à la doctrine établie par les Apôtres, et dont l'Église romaine est la principale dépositaire, comme à la seule qui puisse conduire au salut ; c'est de cette première Église du monde chrétien et de la bouche du premier pasteur que je recevrai les oracles de la vérité ; c'est avec elle que je veux conserver la communion la plus intime pour mon bonheur et celui des fidèles qui me seront confiés.

Les vues de la politique pourront changer la forme et les lois des gouvernements ; mon attachement aux principes de la foi, mon respect et ma soumission au Chef visible de l'Église catholique, apostolique et romaine, seront aussi vrais et aussi constants que mon adoration est profonde pour le Chef invisible dont j'implore la grâce et l'assistance dans le ministère sacré que je dois exercer en son nom.

Je suis, avec le plus profond respect, Très-Saint Père, de Votre Sainteté le très-humble et très-obéissant serviteur, EXPILLY, élu Évêque du Finistère.
Paris, le 18 Novembre 1790.

Le Pape ne jugea pas à propos d'honorer directement le traître Expilly d'une réponse ; mais il lui fit dire qu'il s'opposait formellement à ce qu'il reçût la consécration épiscopale. Dans son bref du 13 avril 1791, Pie VI s'exprime ainsi sur la lettre de l'intrus de Quimper :

« Bien loin que la lettre qu'Expilly nous a écrite puisse lui servir d'excuse, elle le rend au contraire plus coupable ; c'est évidemment la lettre d'un schismatique. Le désir qu'il affecte de participer à notre communion n'est qu'un artifice grossier ; car il ne dit pas un mot de l'institution qu'il devrait nous demander, et se contente de nous donner avis de son élection irrégulière, comme les décrets de l'Assemblée nationale le lui recommandent. Voilà pourquoi, à l'exemple de nos prédécesseurs, nous n'avons pas jugé à propos de lui répondre, mais nous l'avons fait avertir sérieusement de ne pas pousser plus avant ses criminelles prétentions, et nous espérions qu'il aurait été docile à notre voix. L'évêque de Rennes, de son côté, lui a donné aussi les mêmes avis, en lui refusant la confirmation et l'institution qu'il sollicitait avec instance. Ainsi le peuple de son diocèse, au lieu de le recevoir comme son pasteur, doit le rejeter avec horreur comme un usurpateur. Oui, comme un usurpateur, puisqu'il a volontairement fermé les yeux à la vérité qu'on lui présentait, puisqu'il a abusé d'un faux titre pour exercer un ministère qui ne lui appartenait pas, puisqu'enfin il a poussé l'arrogance jusqu'à dispenser les fidèles de l'observation rigoureuse de la loi du carême. On peut donc lui appliquer ce que Saint Léon-Le-Grand, écrivant à quelques évêques d'Egypte, disait d'un semblable usurpateur : Imitateur de Satan, il s'est écarté de la vérité, et il a abusé de l'apparence d'une fausse dignité et d'un titre imposteur ».

Vous croyez, sans doute, que le prêtre qui parlait tout-à-l'heure de son respect et de sa soumission au chef de l'Église, vous croyez que ce prêtre va obéir à la voix du vicaire de Jésus-Christ. ll n'en est rien. L'impie, arrivé au fond de l'abîme du mal, méprise tout ce qui peut l'en retirer [Note : Impius, cum in profundum voilera, contemnit]. Le malheureux Expilly s'était, par ambition, enrôlé sous le drapeau de la Révolution ; son ambition caressée, flattée par les honneurs de l'épiscopat le conduira jusqu'au fond de l'abîme du schisme le plus réfléchi et le plus opiniâtre. Le Pape lui a défendu de se faire sacrer : peu lui importe. Il veut être évêque à tout prix, malgré l'Évêque des évêques, malgré Dieu lui-même, Arrête-toi, malheureux ! il en est temps encore. Tu as entendu, avec frayeur, dis-tu, la voix qui t'appelle à de grands travaux ; s'il en est ainsi, écoute celle qui te défend de t'ingérer de toi-même dans ces travaux : c'est la voix de celui-là seul qui a le droit d'appeler ; c'est la voix du Pasteur suprême. S'il est dit dans la Sainte Écriture : Un jugement très-sévère attend ceux qui commandent, même de par Dieu, quel jugement est réservé à ceux qui usurpent, envers et contre Dieu, le pouvoir de commander ? à ceux qui, au mépris des saintes lois de l'Église, s'emparent de l'épiscopat ? — Il me serait, dis-tu encore, plus doux de rester attaché à mes paisibles fonctions... — Reste donc dans ces fonctions : rien ne te force à les quitter. Ta conscience et tes obligations te font même un devoir de les garder. — Mais, non ! impudent menteur ! tu veux quitter ton humble poste de Saint-Martin, pour ceindre la mître et porter la crosse. Tu as, confesse-le, entendu avec joie, et non avec frayeur, la voix illégitime qui t'appelle à cet honneur dont tu es indigne : marche donc, et consomme par le plus grand des crimes ton apostasie des principes et des devoirs de ton état. L'Église versera sur toi des larmes bien amères : la Révolution se réjouira et battra des mains Cela te suffit : ton orgueil et ta vanité seront satisfaits !....

VII.

Pendant que ce prêtre apostat désolait ainsi les vrais amis de l'Église et de son pays, un prélat breton les consolait par sa conduite vraiment épiscopale. C'était Mgr de Girac, Évêque de Rennes. Son siège ayant été érigé en métropole par l'Assemblée nationale, il lui incombait, aux termes de la Constitution civile du clergé, de donner la confirmation et l'institution canoniques aux nouveaux Évêques de sa circonscription. Craignant d'être mis en demeure, d'un moment à l'autre, de donner cette confirmation à l'Évêque élu du Finistère, il voulut couper court à toute demande à cet égard, en déclarant publiquement que rien au monde ne pourrait le forcer à poser cet acte anticanonique. Pressé, à diverses reprises, par le Procureur-général-syndic d'Ille-et-Vilaine, de mettre à exécution dans son diocèse la nouvelle organisation du clergé, Mgr de Girac s'y refusa nettement, tout en exprimant son regret de ne pouvoir tenir une autre ligne de conduite. A sa réponse, il joignit une copie de l'Exposition des principes sur la Constitution civile du clergé par les évêques députés à l'Assemblée nationale [Note : Cette exposition, dont M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, était l'auteur, fut rédigée, au nom des trente prélats députés à l'Assemblée. Cette pièce fut signée par eux tous, adressée au Pape, le 10 octobre 1790, et publiée le 30 du même mois. C'est un examen approfondi de chacun des articles de la fameuse Constitution dont l'auteur fait voir clairement le venin, le faux et l'opposition aux lois de la discipline de l'Eglise. Tous les évêques de France adhérèrent à cette exposition, à l'exception de quatre qui apostasièrent bientôt. Les vicaires capitulaires de Quimper, suivis par un grand nombre de prêtres du diocèse, avaient joint leur adhésion à celle des évêques, dès le 28 novembre], puis une déclaration qu'il publiait lui-même. Cette déclaration fut regardée comme une des plus solides réfutations de la Constitution impie élaborée par l'Assemblée. Voici ce qu'en pensait le judicieux abbé Barruel :

« La doctrine de M. l'Évêque de Rennes est partout également solide, également lumineuse ; partout on y distingue également et cet esprit de logique saine, exacte, précise, qui déconcerte les raisonneurs du jour, et ces connaissances, soit du dogme, soit de la discipline, qui n'abandonnent rien à l'esprit de système. Partout on y reconnaît cet esprit solide que tous les sophismes du jour ne sauraient éblouir, et cette fermeté si digne d'un Évêque, qui ne cédera pas aux puissances du siècle les vérités de l'Évangile. » (Journal ecclésiastique de Barruel. — Année 1791).

Il serait trop long de reproduire ici tout ce savant écrit : nous en extraierons seulement les lignes qui le terminent et sont comme le résumé et les conclusions de l'ouvrage.

« 1° Je me rendrais coupable d'usurpation, si je prenais le titre de métropolitain, si j'en remplissais les fonctions, et si j'exerçais l'autorité épiscopale dans les paroisses du département d'Ille-et-Vilaine qui ne sont pas de mon diocèse, jusqu'à ce que l'Église en ait accordé le droit à mon siège. Tous les actes de juridiction que je ferais, soit comme métropolitain, soit comme évêque d'un territoire étranger au diocèse que l'Église m'a confié, seraient également nuls et de nul effet.

2° Tant que l'Église n'aura point prononcé sur les élections prescrites pour remplir les évêchés et les cures, je ne serai autorisé ni à les regarder comme canoniques, ni à instituer les curés ainsi élus ; mais j'aurai le plus grand soin de pourvoir à ce que les fidèles des paroisses ne soient point privés des secours spirituels.

3° Il n'est pas en mon pouvoir de concourir à la suppression du Chapitre de mon église cathédrale, ni conséquemment de nommer des vicaires pour le remplacer, à moins que l'Église n'ordonne cette suppression et l'établissement de ces vicaires.

4° A l'égard des autres bénéfices qu'il serait utile d'ériger ou de supprimer dans mon diocèse, je donnerai, si j'en suis requis, non un simple avis, mais un décret, après avoir rempli les formalités prescrites par le Concile œcuménique de Constance.

5° Je ferai toujours profession de croire et d'enseigner que le Souverain Pontife a, de droit divin, dans toute l'Église, une primauté de juridiction, laquelle doit être exercée en la forme déterminée par les lois canoniques....

6° Je me réserve de manifester la doctrine de l'Église sur quelques autres articles de la nouvelle Constitution du clergé. .....

Ces déterminations, que la loi du devoir m'a seule inspirées, sont toutes subordonnées à la décision de l'Église, arbitre suprème de sa discipline, et juge infaillible de la doctrine qui en est le fondement ........ ».

Si le démon de l'ambition n'avait possédé à un point inexprimable le coeur du traître Expilly ; si, par un juste châtiment de Dieu, il n'avait été aveuglé par l'esprit de mensonge et d'erreur, il aurait dû être touché et éclairé par la déclaration si lumineuse et si pressante de Mgr de Girac. Mais non ! comme Judas, possédé par le démon de l'avarice, demeura insensible aux reproches de sou divin Maître et le livra pour 30 pièces d'argent, ainsi le misérable resta insensible à la voix de la vérité et trahit tous ses devoirs, pour l'éclat d'une dignité redoutable aux plus grands saints eux-mêmes. Quod facis, fac citius ! Lâche ambitieux, puisque tu veux consommer ton crime, fais le donc au plus vite !

VIII.

Il y avait à peine un mois que la déclaration de l’Évêque de Rennes avait paru, lorsqu'Expilly, toujours obéissant, jusqu'au scrupule, aux décrets de l'Assemblée qu'il avait juré d'observer; se présenta, le 11 Janvier 1791, à l'hôtel de ce prélat, alors malade à Paris. Il venait, accompagné de deux notaires, demander à celui qu'il appelait son métropolitain la confirmation, l'institution et la consécration épiscopales dont il avait besoin, pour remplir constitutionnellement tous les devoirs de sa nouvelle charge. Mgr de Girac, sans lui refuser positivement ce qu'il sollicitait, lui adressa ces seules paroles :

« Je désire qu'il me soit laissé copie de votre réquisition, afin que je puisse y répondre, après mûres réflexions ». Prenant cette réponse pour un refus formel, l'intéressé se retira très-mécontent. Rentré chez lui, il crut cependant devoir faire dresser, par les deux témoins, le procès-verbal de sa démarche près de l'Évêque de Rennes auquel il en transmit copie.

Quatre jours après, toujours accompagné de ses deux notaires, il revint auprès de Mgr de Girac, le priant de lui accorder l'objet de sa première demande. Voici, d'après le procès-verbal de cette seconde visite, ce que répondit le vénérable prélat :

« A quoi mon dit sieur Évêque, métropolitain, a répondu qu'après avoir examiné mûrement la réquisition à lui faite par l'acte dont l'expédition est d'autre part, par le dit sieur Expilly, il croit devoir, avant tout, protester contre la qualité de métropolitain qui lui est donnée par le requérant, et contre les dénominations d'Évêques des départements d'Ille-et-Vilaine et du Finistère, en tant qu'on voudrait en induire une extension de la juridiction spirituelle sur les territoires des diocèses voisins, juridiction que les Évêques de Quimper et de Rennes ne peuvent exercer, sans y être autorisés par l'Église ».

Après avoir développé (suivant le procès-verbal ) ces principes avec la plus grande lucidité ; après avoir exposé les raisons qu'avait eues l'Église d'abolir l'ancienne forme des élections et fait voir la nullité de celle d'Expilly, l'Évêque de Rennes s'attache à prouver qu'il lui est défendu, sous les peines spirituelles les plus graves, de prendre le titre de métropolitain et d'en exercer les fonctions.

« D'après ces motifs, continue le procès-verbal, mon dit sieur Évêque a déclaré qu'il fait refus d'accorder au requérant l'institution canonique de l'évêché de Quimper, et l'a conjuré, au nom de toute l'Église catholique, de considérer combien il répandrait d'alarmes dans toutes les consciences des fidèles, s'il exerçait les fonctions épiscopales, sans une mission légitime et avouée par l'Église, et de méditer sérieusement l'anathème prononcé par Jésus-Christ contre le pasteur qui n'entre pas dans le bercail par la véritable porte.

Et a mon dit sieur Evêque signé sa présente réponse, en pareil endroit de la minute des présentes.

Et de sa part,

Le dit sieur Expilly a déclaré qu'attendu le refus porté par la réponse ci-dessus, il se réserve, même proteste, en tant que besoin, de se pourvoir par les voies de droit et aux termes des décrets ».

Repoussé avec perte par le vaillant Évêque de Rennes, le malheureux recteur de Saint-Martin se trouvait dans la nécessité, aux termes de la Constitution, de recourir au plus ancien Évêque de l'arrondissement de la métropole. (C'était le nouveau style ecclésiastique inventé par Messieurs les patriotes !).

Sur les entrefaites, parut le décret qui autorisait les districts à choisir l'Évêque instituteur. Avec l'agrément de son district, Expilly eut recours à un Évêque tristement célèbre dans l'histoire de notre pays, à un Évêque qui fut et sera, à tout jamais, la honte du sacerdoce et de l'épiscopat. Ce prélat était Talleyrand-Périgord, Évêque d'Autun [Note : Le jour de sa consécration, l'Archevêque de Paris, son oncle, qui le sacra, lui adressa ces paroles : — « Ah ! mon neveu, j'aimerais mieux pour le bien de votre âme et celui de l'Église, vous voir ceint de l'épée que coiffé de la mître ! »]. Fanatique partisan de la Révolution, cet homme qui, plus justement que Paul de Gondi, cardinal de Retz, eut pu dire : « J'ai l'âme la moins ecclésiastique que possible » ; naturellement hostile à tout ce qui tenait à la discipline de l'Église, Talleyrand était digne de sacrer, per fas et ne fas, l'indigne Expilly [Note : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément nommé Talleyrand (1754-1838) est connu pour avoir été le dernier évêque d’Autun nommé par Louis XVI en 1788. Il est également célèbre pour avoir, comme député du Clergé aux Etats généraux de 1789, osé se faire l’avocat de la « nationalisation » des biens ecclésiastiques, mesure votée par l’Assemblée Nationale, le 2 novembre 1789].

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément nommé Talleyrand (1754-1838) est connu pour avoir été le dernier évêque d’Autun.

Après avoir tout d'abord accepté, sans difficulté, ce qu'on lui demandait, Talleyrand eut l'air d'hésiter un peu, sur les diverses représentations qui lui furent faites par plusieurs de ses collègues dans l'épiscopat et d'autres personnes attachées à l'Église. On lui représenta, entr'autres choses, que cette première institution et consécration d'un Évêque constitutionnel allait établir dans le royaume le schisme qui n'y existait pas encore. On crut, un instant, que l'Évêque d'Autun était touché et qu'il renoncerait à instituer et à consacrer Expilly. Il parut si ébranlé que, le 23 Février 1791, veille du jour fixé pour le sacre, il promettait de n'y point prendre part. Mais l'émotion de Talleyrand n'était pas plus vraie que sa promesse : habitué à fouler aux pieds les devoirs les plus sacrés, ce prélat prévaricateur ne reculait pas devant un sacrilège. Le lendemain, 24 Février, jour de Saint Mathias, il consacra Louis-Alexandre Expilly et Charles Marolles, nommés par l'Assemblée nationale, le premier Évêque du Finistère, le second Évêque de l'Aisne. La cérémonie eut lieu dans la chapelle des Oratoriens de la rue Saint-Honoré, à Paris. Le prélat consécrateur était assisté par deux Évêques dignes de lui et de ceux qui recevaient par son ministère le caractère épiscopal : c'étaient les Évêques de Babylone, Miroudot du Bourg, et de Lydda, Gobel, devenu peu après intrus de Paris [Note : Ce dernier prit part à toutes les orgies sacrilèges de 1793].

Le jour de fête fixé pour le sacre de ces apostats donne lieu à un contraste frappant. Saint Mathias est immédiatement choisi par Dieu. Expilly et Marolles sont choisis par l'Assemblée nationale contre tout droit divin et ecclésiastique. Quel parallèle encore à établir entre les trois pontifes constitutionnels qui, en consacrant ces deux Évêques, consacraient le schisme, et saint Pierre et ses collègues qui, en choisissant Mathias, perpétuaient l'apostolat de Jésus-Christ.

Ainsi fut consommé, en France, par le fait d'un évêque sans conscience [Note : Quand on examina dans le Concile de Rome, tenu sous le pape Saint Melchiade ou Miltiade, l'affaire des Donatistes, un évêque d'Autun nommé Réticius, qui vota le premier, peut-être comme le plus ancien des évêques présents, fut aussi le premier à voter pour la condamnation du Donatisme. C'est une circonstance digne de remarque qu'un évêque d'Autun, au IIIème siècle, ait porté le premier coup au schisme des Donatistes, et qu'un évêque d'Autun, au XVIIIème siècle, ait donné naissance au schisme qui désola la France. Le contraste n'est-il pas frappant ?], le schisme qui a causé tant de mal parmi nous ; ce schisme qui fut un des événements les plus désastreux de cette sinistre époque ; ce schisme dont les traces n'ont pas encore, hélas ! disparu du sol de notre pays.

Immédiatement après la cérémonie de ce triste sacre auquel on avait, à dessein, voulu donner le plus de pompe possible, Expilly, accompagné de son confrère Marolles, escorté de troupes nombreuses, fut conduit triomphalement à l'Assemblée nationale, au son joyeux du tambour et de la musique. Là, il reçut l'accueil le plus enthousiaste de la part de ses collègues patriotes : ils saluaient en la personne de ce pontife apostat, dont le front ruisselait encore de l'onction sacrilège faite par Talleyrand, ils saluaient, en sa personne, le triomphe de leur cause et de leurs principes subversifs de toute autorité. Quant aux Évêques fidèles à Dieu et à l'Église, qui siégeaient au sein de l'Assemblée, ils ne purent ouvrir leurs bras au mercenaire qui, semblable à un loup ravissant, entrait par la fenêtre dans la bergerie. Au milieu des cris de joie et des félicitations qui retentissaient partout autour d'eux, ils gardaient un morne silence, en poussant de longs soupirs !

Trois jours après, Expilly, toujours suivi de Marolles, alla se présenter devant Louis XVI, pour prêter entre les mains de ce souverain, alors sans autorité, un serment de fidélité auquel il ne devait pas tarder à manquer. Naturellement audacieux et impertinent, l'Évêque du Finistère prit la parole et osa manifester au Roi ses opinions politiques, avec une outrecuidance qui aurait mérité une répression immédiate de la part d'un prince moins faible : ce langage fit la plus pénible impression sur tous les auditeurs et laissa du sujet la plus fâcheuse idée...

Revêtu du caractère épiscopal, puisqu'il l'avait reçu (illicitement, il est vrai, et contre toutes les règles de l'Église) des mains d'un évêque vraiment pourvu lui-même de ce caractère, Expilly, arrivé au but de ses désirs, a hâte de se rendre dans le pays qu'il appelle son diocèse, et qui ne lui appartient à aucun titre. L'évêque d'Autun a bien, pu lui donner le caractère épiscopal ; mais il n'a pu lui donner ni la confirmation, ni l'institution canonique, pas plus que lui conférer sur le département du Finistère une juridiction qu'il ne possédait pas lui-même, qu'il n'était pas légitimement autorisé à lui conférer. « L'ancienne discipline, invoquée par les défenseurs mêmes de la Constitution du clergé, attribuait le droit de confirmation aux métropolitains ou aux conciles provinciaux. Or, ni les uns ni les autres ne confirmèrent les nouveaux évêques. Ils n'eurent donc point de mission. Vainement s'avisèrent-ils de dire, pour se tirer d'affaire, que leur ordination seule les investissait de tous les pouvoirs. On réfuta cette prétention inventée par le besoin » [Note : Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique. Année 1791, p. 172, tome III].

Celui qui se nomme évêque du Finistère ne l'est donc pas en réalité, puisqu'il n'a aucune juridiction sur ce territoire, puisqu'il n'y est pas envoyé par l'autorité du chef de l'Église. Mais peu lui importe : le faux pasteur a soif d'honneurs ; il brûle de recevoir les hommages et les acclamations de son troupeau. Il part donc de Paris et, le 12 Mars 1791 l'intrus fait son entrée à Quimper [Note : Levot dit qu'Expilly se rendit tout d'abord à Brest où les patriotes de sa ville natale lui firent l'accueil le plus bruyant : il fut reçu, au bruit du canon, par toutes les autorités civiles, militaires et maritimes. Le citoyen évêque rayonnait extérieurement de bonheur ; mais la joie qui apparaissait sur son front était-elle au fond de son cœur coupable ? Il n'y a pas de paix, par conséquent pas de joie réelle, pour l'impie, dit le Seigneur?... (Hist. de Brest, tome III, p. 256)].

IX.

Le temps était calme et serein, comme aux plus beaux jours. Aussi les patriotes de la ville s'étaient portés en foule sur la route, pour rendre, les premiers, leurs devoirs au fils aîné de la Constitution, dite civile, du clergé. Comme pour le passage des princes, la garde nationale et les soldats de la garnison étaient allés au devant de lui ; on avait placé de distance en distance des boîtes et des canons qui devaient annoncer son arrivée. A peine le cortège se fut-il mis en marche, au premier coup de canon, le ciel se couvrit d'un brouillard si épais que l'on se trouva dans les ténèbres : à peine pouvait-on se voir et se reconnaître à quelques pas ! La confusion la plus complète se mit dans la marche du cortège militaire qui regagna la ville dans un pêle-mêle affreux.

Tout le monde fut frappé de cet évènement : on le rapprocha de celui qui marqua l'élection de l'intrus. C'était, on s'en souvient, le matin on plutôt la nuit du jour des morts : une tempête horrible éclata. Et ce fut, à la lueur sinistre des éclairs, au bruit de la foudre et au milieu des cris d'une plèbe avinée qu'eut lieu la nomination de l'Évêque apostat. Le ciel semblait protester contre ce choix ignoble !

Le héros de cette néfaste journée, perdu dans la foule, arrive cependant au palais épiscopal. Il y trouve préparé un splendide souper, servi en maigre et même en gras, bien que l'on fût en carême. Plus de cinquante convives, choisis parmi les meilleurs patriotes de toutes les classes de la société, s'assirent à ce banquet peu épiscopal [Note : Parmi les convives, on remarqua (proh pudor !) un homme, connu dans toute la ville, pour exercer l'infâme commerce appelé par les latins lenocinium]. On but, à plusieurs reprises, à la santé du citoyen Évêque ; et tandis que la musique exécutait le fameux air : Cà ira ! l'amphytrion et ses dignes convives l'accompagnaient de leurs voix [Note : Le canonnier qui avait fait jouer son artillerie pour l'entrée d'Expilly, après avoir brûlé beaucoup de poudre en son honneur, voulut encore le saluer, le verre à la main, et lui adressant la parole, lui dit en termes de l'art : « Monsieur l'Évêque, si vous n'avez pas une institution canonique, au moins avez-vous une réception canonique » (Note de M. Boissière)]. Quelle harmonie pour charmer les oreilles d'un prêtre habitué aux chants pieux de l'Église ! Quel chant pour celui dont les lèvres avaient été consacrées à l'Évangile, pour celui qui, comme l'Église dont il était le ministre, devait avoir horreur du sang ! Cet homme était par état l'homme de la paix [Note : Homo pacis meæ] ; il devait la porter et la prêcher autour de lui ; et il entonnait l'hymne de haine et de mort, cet air que chantaient les bourreaux de la Révolution, en conduisant à l'échafaud les prêtres et les chrétiens fidèles à leurs devoirs ! ! !

Voilà les Évêques que donnait la nation aux diocèses ! Voilà les pasteurs qu'elle préposait à la conduite des fidèles !

Au reste, Expilly était logique dans sa conduite : il tirait les conséquences des principes qu'il défendait ; il se montrait le digne serviteur de la cause qu'il avait embrassée.

« En passant à Quimperlé, dit M. Boissière, à 9 lieues de Quimper, Expilly s'était informé s'il y avait un club établi dans cette ville : c'était sans doute une chose intéressante pour un Évêque constitutionnel ; aussi, dès le lendemain de son arrivée à Quimper, se transporta-t-il au club, au bruit du canon, et il y ouvrit sa carrière apostolique, en applaudissant à cette louable institution dont il continua d'être le fauteur et l'âme.

Il est vrai qu'il tâchait de cacher ses menées secrètes ; mais dans le fait c'était à son instigation que se prenaient les délibérations, que se faisaient les motions contre les prêtres catholiques, les religieuses, etc.

C'eut été peu pour Expilly de borner sa mission à Quimper et d'y concentrer son zèle constitutionnel ; à Brest, à Landerneau, à Douarnenez, au Faou, on en vit des preuves éclatantes et son goût décidé pour les fêtes patriotiques.

Il assista à une cérémonie patriotique à Douarnenez. Il était question de mettre le feu à un bûcher. On avait apporté la croix, etc. ; mais au lieu du Te Deum qu'on devait apparemment chanter, l'Évêque commença lui-même l'air du Çà ira, qui fut continué par la musique. Les gens de la campagne et les marins de ce petit port de mer se retirèrent brusquement avec horreur et indignation.

En se rendant à Brest, au Carême de 1791, Expilly passa au Faou et y arriva à dix heures du soir. On lui avait préparé un grand souper en gras et en maigre, et grand nombre de patriotes y étaient invités. Sans doute qu'en qualité de voyageur il avait fait sa collation, le matin, pour pouvoir dîner, le soir. A l'issue du souper il se rendit à l'église et donna la bénédiction du Saint-Sacrement ».

X.

Le lendemain de sa consécration épiscopale, il avait adressé aux fidèles du diocèse de Quimper, qu'il appelait ses ouailles, une lettre pastorale qui est la glorification de la Constitution civile du clergé et l'apologie de la Révolution. Il essaie d'y prouver qu'il est légitimement envoyé. Il y proteste de son union et de son dévouement au Saint-Siège auquel il veut rester attaché jusqu'à son dernier soupir. Plein de perfidie, cet écrit était de nature à séduire les faibles et les personnes peu éclairées, bien qu'il ne soit qu'un amas de sophismes, d'ignorance et de mauvaise foi. Le faux pasteur se présente au troupeau sous les apparences du bon pasteur, pareil à ces prophètes que Notre Seigneur signalait au peuple juif en ces mots : Ils viennent à vous sous les vêtements des brebis ; mais au fond ce sont des loups ravisseurs.

Quelques mois après, le 30 Septembre 1791, l'Assemblée nationale terminait son funeste mandat, après avoir bouleversé toutes nos institutions civiles et catholiques. Les députés, qui n'avaient pas sacrifié ces institutions, en votant avec la majorité, crurent, avant de cesser leurs fonctions, devoir le déclarer publiquement. Ils rédigèrent, à cet effet, une déclaration qu'ils signèrent le 31 Août 1791, au nombre de deux cent dix. Pour répondre à cette noble déclaration, les évêques intrus, membres de l'Assemblée, publièrent un écrit où ils s'efforçaient de justifier leur apostasie ; il a pour titre : Accord des vrais principes de l'Église, de la morale et de la raison sur la Constitution civile du clergé de France. A la tête des dix-neuf apostats, qui signèrent cet écrit schismatique et hérétique, figurait Expilly ; en sa qualité de fils aîné de la Révolution, il tenait sans doute à se distinguer, entre tous ses frères illégitimes dans l'épiscopat, par son zèle pour la propagation des doctrines antisociales et anticatholiques, et sa haine contre les lois de l'Église. Il eut l'impudence, de concert avec ses collègues, d'adresser ce factum au Pape Pie VI, avec une lettre qui est un tissu de mensonges et un monument d'insolence. Entre autres choses, il y était dit que l'on avait prévenu le Souverain Pontife contre eux ; que le fanatisme seul pouvait porter à repousser la Constitution civile du clergé...

L'Assemblée législative succéda à l'Assemblée nationale, le 1er Octobre 1791 ; elle hérita de sa haine contre les prêtres fidèles ; cette haine attisée par le souffle révolutionnaire, qui allait toujours croissant, ne fit qu'augmenter, semblable à la flamme de l'incendie qui étend au loin ses ravages, sous l'action d'un vent violent.

Les principes d'Expilly étant donnés, on comprendra que son gouvernement spirituel devait y être conforme ; imbu des doctrines perverses de la Révolution en général, et nourri tout spécialement des maximes empoisonnées de la Constitution, qu'il avait sucées comme le lait d'une mère, il se montra, dans l'administration du diocèse qu'il avait usurpée, le digne fils de cette mère impie. Le pasteur, uni au souverain Pontife, édifie et plante : ut œdifices et plantes ; le pasteur schismatique et intrus ne vient que pour détruire et déraciner : — ut destruas et evellas. Le premier édifie, parce qu'il gouverne, suivant les canons de la sainte Église romaine ; le second détruit, parce que, foulant aux pieds ces canons, il n'agit que suivant les principes de l'erreur ou les caprices de son esprit perverti.

Le premier devoir d'un Évêque, celui qui importe le plus au bien des âmes est sans contredit le choix des sujets qu'il destine au service des autels. Que deviendrait un vaisseau et ceux qui le montent, si on lui donnait pour capitaine un homme inexpérimenté, d'une conduite douteuse, et dépourvu de la science nautique nécessaire ? Exposé à travers l'océan à tous les périls de cet élément perfide, il ne tarderait pas à jeter son navire sur un écueil et à ensevelir dans les flots et lui-même et les passagers confiés à ses soins [Note : Quoniam, fratres charissimi, rectori navis et navigio deferendis eadem est vel securitatis ratio, vel communis timoris.. (Pontificale Romanum, de ordinatione presbyteri)].

Que devient un peuple confié à la direction d'un Prêtre incapable, ignorant, d'une conduite non éprouvée ? Ce prêtre le perdra, en se perdant lui-même.

L'Évêque consciencieux se préoccupe donc par-dessus tout de la formation des jeunes clercs ; il veille avec une sollicitude toute particulière sur leur noviciat au sacerdoce auquel il n'admet que ceux qui par leur piété, leur science et la sainteté de leur vie, lui donnent la confiance qu'ils feront de bons prêtres.

C'est ainsi qu'agissait par exemple le saint prélat, Monseigneur de Saint-Luc : mais bien différente était la conduite d'Alexandre Expilly. Ne tenant aucun compte des lois de l'Église touchant l'âge, le temps et les interstices prescrits pour les ordinations, il ordonnait, on peut le dire, tous ceux qui se présentaient, sans les éprouver au point de vue ni de la science ni de l'intégrité de la vie. Voulant, à toute force, avoir des prêtres faits à son image, il employait tous les moyens pour opérer ces tristes recrues. On peut dire qu'il allait, en quelque sorte, à travers les rues et les chemins, requérant les aveugles, les boiteux, les sourds et les infirmes pour leur imposer les mains... On l'a vu conférer les saints ordres à des sujets qui, ayant commencé à étudier le latin et ayant abandonné cette étude, venaient s'offrir à lui, bien assurés que, sous la nouvelle constitution, on pouvait sans science parvenir au sacerdoce. Il conféra notamment cet ordre et confia immédiatement une paroisse à un jeune homme de 22 ou 23 ans, au plus, qui avait quitté le collège depuis plusieurs années. Sans observer les interstices, il éleva également à la prêtrise et plaça à la tête d'une paroisse un commis d'administration, âgé de plus de cinquante ans, bien que cet homme n'eut subi aucune épreuve, et qu'il n'eut aucune science ecclésiastique.

Comme un respectable ecclésiastique de Quimper lui reprochait, un jour, sa manière de recruter ses prêtres, en lui rappellant que l'Église avait toujours écarté les ignorants du sanctuaire, Expilly poussa l'absurdité jusqu’à lui dire : Quand on ne peut pas travailler la terre avec des chevaux, on la travaille avec des ânes !

Non content de labourer le champ de la sainte Église avec les instruments de l'ignorance la plus crasse et la plus effrontée, cet indigne Évêque attelait encore à son char de labour — ou plutôt de destruction — des hommes sans mœurs et sans considération, des libertins notoires, des repris de justice, des voleurs etc. Plusieurs d'entre eux étaient ce que les saints canons appellent infâmes, soit de fait, soit de droit, ou de fait et de droit eu même temps ; mais peu importait : ils étaient patriotes, ou ils feignaient de l'être : quel titre fallait-il de plus aux prêtres de la Révolution !

Deux séminaristes se disposant à recevoir les ordres sacrés avaient ourdi une infâme calomnie contre un avocat de Quimper, connu par sa probité et son attachement à l'Église, et un jeune clerc : — nous donnerons plus loin le récit de ce fait. Les accusateurs sont convaincus de mensonge flagrant; on eût cru qu'Expilly les eût rejetés comme indignes : il n'en fut rien, il leur imposa quand même les mains !!! Trois jours après leur ordination au sacerdoce, le jugement définitif a lieu : cette fois, ils sont solennellement et de la manière la plus authentique convaincus de calomnie et de parjure ; tout le monde s'attend à les voir déclarés suspens et interdits de toute fonction ecclésiastique : mais non, peu de jours après, ils partent pour leur destination, revêtus de tous les pouvoirs que prétendait conférer l'Évêque intrus et schismatique.

Au reste, on ne s'étonnera pas de voir Expilly imposer les mains aux premiers venus, aux individus les plus indignes des saints ordres, quand on saura qu'il inaugura ses fonctions pontificales en donnant, contre tout droit, quelques semaines après sa consécration sacrilège, l'institution canonique au sieur Lecoz (ou Le Coz), premier évêque métropolitain constitutionnel de Rennes, dont nous parlerons bientôt. Suivant les décrets de la Constitution civile du clergé, cet autre intrus devait demander cette prétendue institution à l'Évêque le plus ancien de la métropole. Bien qu'il ne fût évêque que depuis environ deux mois, Expilly se trouvait être déjà le plus ancien Évêque de la jeune métropole ; c'est donc à lui que s'adressa l'apostat du collège de Quimper : au reste, le suffragant et le métropolitain étaient encore ici dignes l'un de l'autre, et Claude Le Coz méritait d'avoir pour patron et instituteur Alexandre Expilly.

Le fait de ce dernier d'être, à peine sacré, le doyen de tous les Évêques de la province, provoqua dans le temps la fine et piquante observation qui suit : « En lisant cette remarque, qui ne comparera pas Expilly aux enfants illégitimes qui, dès leur naissance, sont les premiers de leur famille, parce que, à proprement parler, ils ne tiennent à aucune sorte de descendance légale d'aucune famille reconnue ? Spurius, suivant un axiome du droit, non habet gentem, nec familiam ».

Cependant cet Évêque illégitime voulait se faire passer aux yeux de tous pour un pontife légitime ; honteux de n'être pour les fidèles qu'un Spurius, il mettait tout en œuvre pour leur donner le change sur sa déshonorante bâtardise. Qu'on lise le mandement qu'il adressa, de Paris, aux fidèles du diocèse de Quimper, dès sa consécration ; c'est un monument d'hypocrisie ; il s'y attache tout d'abord à faire croire qu'il est canoniquement envoyé et qu'il est en communion avec le Saint-Siège.

« Appelé par vos suffrages, nos très-chers frères, au gouvernement de l'Église du Finistère, nous avons fait, aussitôt que les circonstances nous l'ont permis, les démarches requises par les lois divines et humaines, pour être revêtu des pouvoirs qui nous sont nécessaires ».

Le même ton de fourberie et de mensonge règne dans tous ses autres mandements : il cherche à légitimer son origine épiscopale, en essayant de justifier la Constitution civile du clergé. ll sait que les fidèles le regardent comme un loup qui a envahi la bergerie, et, pour les tromper, il se couvre des vêtements du pasteur et emprunte son langage.

Telle était la préoccupation d'Expilly de se faire passer pour pasteur légitime qu'il ne se contentait pas de s'en donner les apparences dans ses écrits, il s'efforçait de le démontrer dans toutes ses conversations. En voici deux traits cités par M. l'abbé Boissière, comme indubitablement certains.

Quelque temps après son arrivée à Quimper, il se permit de dire qu'avant de recevoir la consécration épiscopale, il avait consulté sur ce point le Nonce du Pape à Paris, ainsi que le Supérieur d'un des séminaires de cette ville, qu'il nommait ; il ajoutait que les deux l'avaient autorisé à se faire sacrer. On écrivit immédiatement à Paris pour s'informer de la vérité de cette affirmation, et il fut répondu que c'était un impudent mensonge et une infâme calomnie. On fut même autorisé à le déclarer publiquement, pour démasquer le calomniateur. « Nous avons vu nous-même, dit M. Boissière, la réponse de Monseigneur le Nonce, signée de lui ».

Une autre fois, il raconta qu'un pauvre lui avait prédit à Morlaix qu'il deviendrait évêque, et que, cette prédiction s'étant réalisée, il fallait y voir la volonté de Dieu. Pour preuve de ce fait, — très insignifiant en lui-même, — il ne produisait que sa parole ; mais tout le monde sait que l'on ne doit tenir aucun compte de la parole d'un fourbe et d'un menteur... Mais supposons, un instant, la vérité de ce fait, il ne pouvait pas prouver du moins qu'Expilly fût évêque légitime ; c'était cependant le but auquel tendait l'intrus, en le rapportant… Un vrai prophète, Ahias, avait prédit à Jéroboam qu'il serait roi d'lsraël ; la prédiction se réalisa, mais Jéroboam n'en fut pas moins schismatique et auteur du schisme des Samaritains qui subsiste encore aujourd'hui, près de trois mille ans depuis sa naissance. (Voir le 3ème Livre des Rois, Chap. XII).

Nous pourrions ajouter à ces deux faits historiques d'autres traits non moins certains, qui achèveraient de peindre le caractère de l'hypocrite Évêque constitutionnel. Par exemple, quand les gens de la campagne l'allaient trouver pour lui demander des dispenses matrimoniales, il les accueillait avec une familiarité pleine d'affectation, leur accordant sur-le-champ ce qu'ils désiraient. En leur octroyant ces dispenses, il avait soin de leur faire remarquer l'avantage qu'il y avait à vivre sous le régime de la Constitution : les Évêques pouvaient concéder eux-mêmes toutes les grâces que Rome se réservait auparavant ; il n'en coûtait désormais rien aux impétrants, tandis que les faveurs pontificales ne s'obtenaient qu'après beaucoup de démarches et de grands frais, etc, etc...

C'est en dénigrant ainsi la Cour romaine, qu'il accusait de lenteur et de vénalité, et en exaltant le désintéressement de son église schismatique ; c'est en caressant ainsi le peuple ignorant que le faux prélat espérait établir auprès de lui les fondements d'une autorité, méconnue par les fidèles instruits, et d'une popularité dont il était très-avide...

Mais ce n'est pas tout ; on le voyait, les jours de foire et de marché, se mêler aux paysans dans les rues. Il les abordait en leur serrant la main, s'entretenant avec eux de leurs affaires dans leur langue bretonne, qu'il connaissait en sa qualité d'ancien recteur de Saint-Martin-des-Champs. « Avez-vous, leur disait-il doucereusement quelque grâce à me demander: je suis tout à vous... » — Souvent il les accostait dans l'église, leur disant que, s'ils voulaient se confesser, il était prêt à les entendre.

Expilly voulait, par ces manières pleines d'affabilité et de serviabilité exagérée, capter les pauvres villageois, au détriment de leur attachement à l'Église, au profit du schisme. Ne rappelle-t-il pas Absalon révolté contre David ; ce fils ingrat court au-devant des sujets de son père dans les rues et places publiques ; il les salue, les embrasse avec effusion, les flatte, leur propose ses services, leur fait des promesses, etc..., espérant de la sorte les gagner à sa cause impie, en les détachant de celle de leur souverain légitime ? [Note : Et manè consurgens Absalon etc... — 2 Liv. des Rois, Chap. XV. v. 1 à 6].

Non content d'employer vis-à-vis du peuple tous ces moyens de séduction, il mettait tout en œuvre pour entraîner les prêtres fidèles dans la prestation du serment à la nouvelle Constitution. Pour arriver à ses fins, il tâchait par les sophismes les plus spécieux de leur prouver l'innocuité de ce serment ; il les caressait, leur offrait les plus beaux bénéfices... Quand on résistait à ses arguments et à ses offres, il changeait de tactique ; en vrai mercenaire qu'il était, il mettait ces prêtres courageux en face de la misère, de la persécution, des cachots, de l'exil et de la mort sur l'échafaud.

On raconte qu'étant allé à Morlaix, après son sacre, il voulut entraîner dans le schisme son ancien vicaire, M. Guerlesquin. Après avoir tenté en vain de le gagner par le séduisant mirage des honneurs ecclésiastiques et du poste lucratif qu'il lui promettait, il crut sans doute ébranler cette volonté énergique, en lui faisant entrevoir l'indigence à laquelle le condamnait son opiniâtreté, et en lui jetant vivement ces dernières paroles : « Eh ! que ferez-vous donc, monsieur, pour vivre ? » — A ces mots, le vicaire se levant avec dignité et regardant fixement son interlocuteur lui fit cette réponse sublime : « Et vous, monsieur le recteur, comment ferez-vous donc pour mourir ? ».

On sait comment mourut le malheureux Expilly.

En sa qualité d'administrateur du Finistère et de fédéraliste, il fut arrêté, ainsi que ses collègues [Note : Pour avoir fait appel aux départements de l'Ouest contre la Convention]. Placé d'abord dans la prison de Morlaix, où il se trouvait au moment de son arrestation, il supplia en vain les administrateurs de ce district de l'y laisser ; on le réunit bientôt à ses co-accusés sous les sombres voûtes des cachots du château de Brest. Juste châtiment de Dieu : cet évêque inhumain avait fait jeter dans cette prison ses anciens confrères, et c'est là même qu'il va lui-aussi, en attendant l'échafaud, porter la peine de ses iniquités, heureux encore s'il avait voulu y rentrer en lui-même et revenir au giron de cette Église romaine qu'il avait abandonné, pour se jeter dans les bras de la Révolution. Mais non ; il mourut comme il avait vécu, depuis quelques années, dans le schisme, sans donner aucun signe de repentir, le 3 Prairial an II (le 22 Mai 1794).

On dit qu'avant de monter à l'échafaud, il voulut exhorter ses compagnons à mourir courageusement. « Courage, mes amis, leur dit-il, nous allons ce soir souper avec les anges ». Un certain Prédour, père de cinq à six enfants, lui répondit : « sans tête, citoyen ».

D'autres ont écrit qu'il s'écria, lorsqu'il entendit prononcer la sentence qui le condamnait, le matin, à mourir le soir : « C'est terrible de paraître, le même jour, devant le tribunal des hommes et celui de Dieu ! ». Puissent ces dernières paroles avoir exprimé quelques sentiments de repentir ! Mais, n'y a-t-il pas lieu de croire que ce ne fut qu'une exclamation de terreur inefficace, puisque l'Évêque schismatique est mort, en criant : Vive la République ! cette République hostile à l'Église, cette République altérée de sang et de brigandage, dont les crimes seront, à tout jamais, la honte et l'épouvantail de l'humanité ! C'est, on l'avouera, un acte de contrition peu rassurant, en ce moment suprême, pour un prêtre, pour un Évêque qui se fit le partisan et le serviteur de cette République.

XI.

Le lecteur n'a pas oublié la déclaration de Monseigneur de Saint-Luc, signée par les prêtres du diocèse, contre la Constitution civile du clergé... Tandis que ces prêtres affirmaient publiquement leur foi, à Quimper, au mépris de tous les périls, il se trouva dans la même ville un ecclésiastique, qui reniant tous les principes de l'Église, osa défendre ce que ses confrères avaient condamné. Les premiers, craignant Dieu, n'espérant que la récompense éternelle ; préféraient mourir plutôt que de souiller leur âme. Le second, rempli d'orgueil, poussé par le désir d'avancer, ne vit, dans la circonstance, que son intérêt personnel et l'occasion de se signaler, d'une manière éclatante, aux yeux de la Révolution. A quoi ne pousse pas l'ambition ? Déjà connu par son patriotisme, il avait mérité, à cause de son zèle pour les nouvelles doctrines, d'être nommé procureur-syndic du District de Quimper. Ce prêtre transfuge, nommé Claude Le Coz, était principal du collége. Né à Plonévez-Porzay, paroisse rurale du diocèse de Quimper, il appartenait à une famille très-obscure et peu aisée. Son père était un simple tisserand qui gagnait péniblement sa vie, en faisant de la grosse toile de campagne. Quoiqu'il en soit, Claude Le Coz put faire des études ; et comme il ne manquait ni d'intelligence ni de mérite, il obtint d'abord une chaire de professeur de grammaire à Quimper, puis une chaire de littérature au collège Louis-le-Grand à Paris. Plus tard, il revint à Quimper et fut mis à la tête du collège, comme principal. Il était humaniste ; il cultivait les lettres avec un certain succès ; il réussissait même dans la poésie. A l'arrivée dans son diocèse de Mgr de Flammarens, évêque de Quimper, il lui présenta une ode qui fut très goûtée et très louée. Le Coz était donc un homme lettré ; mais il avait plus de forme que de fond ; son style est creux et ampoulé. De mœurs irréprochables, il jouissait, dans le pays, d'une certaine considération. D'un cœur compatissant et vraiment généreux, il avait plusieurs amis. C'était peut-être le plus honnête des constitutionnels ! Mais avec ces vertus humaines, il avait des défauts essentiels. D'un esprit léger et volage, il ne se fixait à rien ; il effleurait tout sans rien approfondir. Amateur de nouveautés, il se jetait, tête baissée, dans tout ce qui était nouveau et étrange : c'est ainsi qu'il se lança aveuglément dans l'étude des aérostats et qu'il embrassa le mesmérisme.

Claude Le Coz (1740-1815), évêque constitutionnel de Rennes (Bretagne).

D'une vanité très-grande, il ne doutait de rien : il s'imaginait tout savoir, sciences naturelles, exactes, physique, chimie, médecine, histoire, poésie, théologie, droit canonique, — et cependant il ne savait rien à fond, parce qu'il avait plus lu qu'étudié. Hélas ! que d'hommes lui ressemblent sur ce point ! On se croit savant, parce qu'on lit beaucoup, sans réfléchir, sans méditer. On se croit savant, parce que l'on a dans la mémoire une foule de connaissances confuses et mal digérées. Alors l'esprit s'enfle comme le ballon gonflé par l’air. Mais de même que ce ballon, lorsqu'il n'est pas suffisamment lesté, devient le jouet du vent et finit par tomber à terre et se briser ; ainsi l'esprit de l'homme superficiel n'ayant pas, dans une science réelle, un lest, un contrepoids suffisant, devient le jouet de toutes les illusions ; il flotte à tout vent de doctrine, puis il tombe au fond de l'abîme de toutes les erreurs.

Tel était le principal du collége de Quimper ; tel était le prêtre qui mit sa science ecclésiastique au service de la Révolution, en écrivant l'apologie de la Constitution civile du clergé. Au reste, ce prêtre ira plus loin le premier pas franchi, il ne s'arrêtera point au milieu de la carrière...

Quand parurent les observations apologétiques de Claude Le Coz, des gens très-compétents lui en contestèrent la paternité. On prétendit qu'elles étaient l'œuvre de l'ingrat Camus, avocat du clergé. Quoiqu'il en soit de cette question, qu'il nous importe peu d'examiner l'écrit schismatique fut imprimé aux frais du département du Finistère, adressé dans toute la France, et réimprimé aux frais d'un grand nombre de départements. Il est assez piquant de mentionner ici l'approbation donnée par le directoire du département du. Finistère au manuscrit de Le Coz : une commission de théologiens ou de canonistes, la congrégation de l'Index elle-même n'eussent pas donné aussi solennellement l'imprimatur à un ouvrage de premier mérite :

« Considérant combien il est essentiel de ne pas égarer le peuple sur la pureté des principes consignés dans les décrets de l'Assemblée nationale, relatifs à la Constitution civile du clergé, de faire voir la conformité de ces principes avec la doctrine des apôtres et des conciles, avec les maximes des plus saints et des plus savants docteurs, avec les usages de la primitive Église, avec les pratiques de ces temps de ferveur et de zèle véritablement évangélique, où le christianisme obtint ses plus beaux triomphes, etc... ».

Le directoire arrêta d'approuver toutes les observations contenues dans le manuscrit qui lui était présenté, de leur donner la plus grande publicité... ; d'en adresser à tous les districts et municipalités du ressort, avec recommandation expresse d'en donner prompte connaissance, principalement aux citoyens des campagnes ; d'en adresser un exemplaire à chacun des quatre-vingt-deux autres départements ; d'en envoyer également à l'Assemblée nationale et au Roi [Note : Tresvaux, T. 1, p. 108].

Cette pompeuse et solennelle approbation dut flatter singulièrement et gonfler d'orgueil l'esprit si vaniteux de l'auteur : il en fut aveuglé ! On verra que ces éloges lui venant de laïques incompétents le touchaient plus que la critique et le blâme de ses supérieurs ecclésiastiques : ces derniers seuls avaient cependant qualité et science pour juger son livre.

Dans cet écrit, sons le titre : Observations sur le décret de l'Assemblée nationale pour la constitution civile du clergé et la fixation de son traitement... adressées aux citoyens du département du Finistère, il essaie, au moyen d'une science de mauvais aloi, de tromper les fidèles et les prêtres peu instruits, en leur montrant l'orthodoxie et la légitimité du décret inique de l'Assemblée. Qu'y a-t-il de plus hypocrite que le début de cette œuvre de mensonge ? L'écrivain annonce ce qu'il a entrepris de prouver, — le lecteur en jugera :

« Nous osons assurer que, des divers articles que contient le décret de l'Assemblée, il n'en est aucun qui ne tende à ramener l'ancienne discipline et les plus beaux jours du christianisme. Pour vous en convaincre, pour écarter de votre foi les moindres alarmes, les moindres inquiétudes, nous allons ici analyser ces articles : ils peuvent se réduire à cinq chefs : 1° l'élection des évêques et des autres pasteurs remise au peuple ; 2° la défense de recourir à Rome, pour l'institution canonique et les fonctions administratives des diocèses et des paroissses ; 3° la forme actuelle des chapitres abolis ; 4° le nombre des évêchés réduit ; 5° les biens des ecclésiastiques et des religieux déclarés à la disposition de la nation. Or, de tous ces articles, il n'en est aucun qui contredise l'esprit de la religion ou la discipline primitive de l'Église ».

Justement émus de la publication de ce livre dangereux, les vicaires capitulaires commencèrent tout d'abord par avertir charitablement l'auteur, en lui signalant les erreurs qu'il y enseignait et le suppliant de les rétracter. Comme il ne tint aucun compte de leur avertissement, ces Messieurs se firent un devoir de le réfuter. Ils publièrent, dans ce but, en réponse aux Observations de Claude Le Coz, un ouvrage qui ne laissait rien à désirer, tant sous le rapport des arguments que sous celui du style : cet écrit était dû à la plume d'un savant et respectable ecclésiastique dont le nom est resté inconnu. Afin de lui donner plus de poids et de force, ils y ajoutèrent une approbation par laquelle ils déclaraient l'adopter en entier. Usant du droit que leur conférait leur titre d'administrateurs du diocèse ; se rappelant le devoir qui leur incombait, comme gardiens de la foi et des vrais principes, ils rédigèrent cet acte de manière à censurer les doctrines du livre attaqué, en termes si nets et si précis que les plus simples fidèles pussent en apercevoir toute la fausseté et le venin.

La réponse de MM. les vicaires capitulaires eut un grand retentissement et fit sensation. Le principal du collège en fut très-ému : on dit même qu'il en fut outré, au point de sommer ces Messieurs de nommer l'auteur de leur publication. Ceux-ci répondirent qu'ils avaient adopté et approuvé cet écrit ; qu'ils en étaient par conséquent responsables ; qu'au reste M. Le Coz pouvait, s'il le voulait, les attaquer et leur répliquer.

Avec un air plus guerrier que jamais, mais au fond très-déconcerté, le procureur-syndic sortit de nouveau du fourreau sa plume, cette plume vendue à la Révolution ! Il entreprit de réduire en poudre les arguments de ses adversaires, par une réfutation complète de leur ouvrage. Pris à chaque page de son livre, en flagrant délit d'ignorance, de plagiat, d'hypocrisie, de mensonge, de mauvaise foi, de contradictions..., il rugit comme un lion, percé à mort par une flèche lancée par une main puissante. Mais comme cet animal ainsi blessé tente un suprême effort, en se ruant sur son ennemi, de même M. Le Coz riposte à ses adversaires, en livrant à l'impression un écrit où il essaie de se laver de toutes les accusations portées contre lui. Mais que peut-on faire, quand on défend une mauvaise cause ? La réponse fut faible et impuissante : c'était le trait dont parle Virgile, que l'auteur avait sans doute plus étudié que les écrivains sacrés : Telum imbelle, sine ictu !

Afin de déverser le mépris et l'odieux sur MM. les vicaires généraux, l'auteur avait joint à son livre une feuille volante, dans laquelle, oubliant tout ce qui était dû à leur caractère, à leur dignité et à leur autorité, il les insultait grossièrement. Ce trait, tout perfide qu'il était, (il pouvait égarer les ignorants) avait encore moins de force que le premier : il ne pouvait atteindre ceux contre lesquels il était dirigé. Tout le monde connaissait, estimait et vénérait MM. les vicaires capitulaires, tant à cause de leurs vertus sacerdotales que de leur science ecclésiastique.

Le Coz terminait cette invective, en disant que, s'il avait pu découvrir l'auteur de la brochure qui l'attaquait, il l'eut sommé de se rendre dans une salle publique, pour discuter, devant une commission d'hommes honnêtes et capables, les fausses assertions avancées contre lui ; qu'en tout cas, ceux qui s'obstinaient à ne pas se nommer pouvaient prendre sa place... Sûrs de la vérité de tout ce que contenait leur réponse, désireux d'en finir avec cet audacieux imposteur, les vicaires capitulaires acceptèrent immédiatement le défi. Ils lui proposèrent donc une conférence publique, s'engageant à soutenir et à prouver, d'après les auteurs et les autorités mêmes cités par lui, tout ce qu'ils avaient avancé de sa mauvaise foi, de son infidélité, de ses plagiats, etc., etc... L'hypocrite principal fit d'abord semblant d'accepter la proposition, croyant sans doute, à force d'effronterie, en imposer au public et à ses adversaires. Mais quand il fallut s'avancer sur le terrain, sentant le défaut de sa cuirasse, le valeureux défenseur des idées révolutionnaires employa toute sorte de moyens et de ruses pour rester en arrière. Au jour fixé pour la conférence, MM. les vicaires généraux s'y présentèrent; c'est en vain qu'ils attendirent le pédantesque canoniste [Note : On reprochait à Claude Le Coz son ton pédantesque et ses manières prétentieuses : on pouvait, dit M. Boissière, le comparer à la femme docteur et aux Précieuses ridicules de Molière] : il ne parut pas..

En ne venant point au combat qu'il avait proposé et accepté, Claude Le Coz s'avouait, il est vrai, battu et vaincu ; mais cette défaite de leur ennemi ne pouvait suffire aux champions de la bonne cause. Ils avaient bien censuré, dans diverses réunions particulières, le nouveau pamphlet de l'erreur, mais le vent emporte trop souvent les meilleurs discours. Ils crurent donc devoir écrire une réfutation et la livrer à l'impression. Cette dernière entreprise était, on peut le dire, une œuvre pleine de périls, opus opimum casibus. Outre les obstacles et les difficultés qu'on opposait à la diffusion des bonnes doctrines, quel imprimeur du pays eut osé, dans ces jours mauvais où chacun tremblait déjà pour soi, prêter son concours à la publication d'un tel ouvrage ? Mais l'amour de la vérité et du devoir fait braver tous les obstacles. Ne voulant compromettre personne autour d'eux, MM. les vicaires capitulaires firent appel au dévouement d'un des chanoines de la cathédrale ; celui-ci partit pour un pays assez éloigné, et il fut assez heureux pour trouver un homme qui consentit à imprimer l'écrit rédigé et signé par les administrateurs du diocèse de Quimper.

Intitulé Examen raisonné du premier mémoire de M. Le Coz, cet écrit eut un très-grand succès. Toutes les erreurs, les hérésies, les inconséquences répandues dans la Constitution civile du clergé et dans son apologie par le procureur-syndic y étaient relevées d'une manière triomphante et sans réplique. Aussi, confondu et couvert de honte, l'insolent rhéteur garda-t-il désormais le silence d'où il n'aurait jamais dû sortir. Malgré cette cruelle défaite qui laissa voir à nu le peu de loyauté de son caractère, le vide de sa science et la pauvreté de sa logique, il ne tarda pas à recevoir la récompense de son zèle à défendre les principes hostiles à l'Église : il fut nommé métropolitain de Rennes.

Outre les réfutations des écrits de Claude Le Coz par les vicaires généraux de la vacance du siège, il en parut plusieurs autres à Quimper. Nous citerons notamment les réponses de M. Coroller, recteur de Saint-Mathieu dans la ville épiscopale, et docteur en théologie de la faculté de Paris.

La première a pour titre Réponse à l'apologie de cinq articles de la Constitution civile du clergé, par M. C..., procureur-syndic du District de Quimper. — La seconde est intitulée Réponse au 3ème mémoire de M. Le Coz sur la Constitution civile du clergé, composé par l'auteur [Note : M. Coroller, pour échapper à la persécution, avait été obligé de quitter Saint-Mathieu. Il s'était réfugié à Saint-Caradec, paroisse du diocèse de Quimper, dans le département des Côtes-du-Nord. C'était un vieillard d'une taille imposante et d'une figure vénérable : toute sa personne respirait une grande piété], alors errant et fugitif, caché au milieu des forêts, sans bibliothèque. Ce dernier écrit est suivi d'une lettre adressée à ses paroissiens : c'est son refus du serment à la Constitution civile du clergé. Rien de plus énergique et de plus touchant que cet acte du vieux prêtre fidèle à son devoir !

Les deux réponses de M. Coroller, la première surtout faite à loisir, sont écrites avec beaucoup de verve : elles décèlent un homme instruit des matières ecclésiastiques, un cœur chaudement dévoué à l'Église et à son pays.

Nous sommes heureux d'avoir pu retrouver ces documents précieux ; on se sent encouragé et édifié, en lisant de tels écrits.

M. Liscoat, supérieur du séminaire de Quimper, homme d'un grand talent, écrivit aussi une réfutation de l'apologie de la Constitution civile du clergé par M. Le Coz. Nous avons entre les mains cette réfutation qui ne laisse rien à désirer...

Nous devons rendre ici hommage au courage que montra M. Louis-Jean Prud'homme, imprimeur à Saint-Brieuc, en consentant à imprimer les écrits dont nous avons parlé. Ce chrétien des anciens jours ne craignit pas de publier toutes les productions favorables à la cause de la sainte Église, à une époque où, en agissant ainsi, c'était se vouer à toutes les persécutions des révolutionnaires et s'exposer à mourir sur l'échafaud. Aussi, pendant tout le temps que dura la Terreur, fut-il l'objet de la haine des patriotes qui ne lui épargnèrent aucune vexation. Honneur à ce Breton de forte race ! honneur à l'honorable famille qui compte parmi ses ancêtres un homme de si noble caractère ! honneur à elle, car elle porte dignement, à l'heure qu'il est, la succession et le nom glorieux de ce vaillant serviteur de la Religion.

Le principal du collège ne fut pas le seul prêtre à défendre, à Quimper, la fameuse Constitution : il trouva un imitateur dans un des professeurs de sa maison, dans un certain Ollitraut. Mais les écrits de ce misérable étaient si faibles que les hommes sérieux s'en moquèrent, au point que l'auteur resta écrasé sous le poids du ridicule. Ollitraut, après avoir prêté le serment, devint intrus de l'église cathédrale.

Outre les brochures où les doctrines de Le Coz étaient réfutées, de point en point, avec une grande érudition, il parut, à cette époque, en vers bretons, des réfutations plus simples des écrits de ce docteur de l'erreur. Composés par des prêtres instruits sur l'air de cantiques connus, ces vers étaient lus et même chantés dans les campagnes, avec un grand fruit pour les bons villageois qu'ils mettaient en garde contre les prédications empoisonnées des prêtres assermentés et de leurs tenants.

Nous avons sous les yeux un cahier contenant un grand nombre de compositions de ce genre qui durent, dans le temps, éclairer et soutenir bien des âmes. Les auteurs rappellent, sous toutes les formes, les principes de l'Église romaine sur l'autorité du Souverain Pontife ; l'institution canonique et la juridiction des évêques ; le devoir qu'ont les fidèles de s'éloigner des intrus et l'obligation où ils sont de rester attachés à leurs évêques et à leurs pasteurs légitimes... Tantôt ils reprochent, avec force, aux électeurs le choix qu'ils ont fait soit de députés anti-catholiques, soit, chose horrible ! d'évêques schismatiques ; tantôt ils versent des larmes sur les maux qu'ont attirés sur leur pays les principes nouveaux ; ici, ils dépeignent, sous les couleurs les plus émouvantes, les persécutions exercées contre les prêtres fermes dans la foi ; là, ils gémissent sur l'absence de leur évêque émigré et remplacé par un mercenaire... ; quelquefois, ils montrent les églises désertes, leurs clochers à jour muets, veufs, hélas ! pour la plupart, de ces cloches harmonieuses dont les sons faisaient vibrer pieusement le cœur du laboureur ; d'autres fois, comme les Israélites captifs à Babylone qui s'asseyaient sur les rives de l'Euphrate, pleurant au souvenir de Sion, ils s'asseoient tristement sur les ruines de leurs croix de pierre brisées, au milieu des chemins, regrettant amèrement le calme et la liberté des temps passés, soupirant après des jours meilleurs...

Presque tous ces écrits en vers, que nous mentionnons, sont l'œuvre de prêtres du diocèse de Léon, comme l'indique le dialecte dans lequel ils sont composés. Nous lisons en tête de plusieurs d'entre eux des noms de paroisses de ce diocèse : Plougoulm, Plouvorn, Commanna, Sainte-Sève : un seul, le testament de Louis XVI est daté de Minihi, — c'est-à-dire Saint-Pol même, la ville des moines ; aucun ne porte de signature.

Claude Le Coz avait donc reçu, comme Expilly, la récompense de sa fiévreuse ardeur à déchirer par ses écrits hétérodoxes la robe sans couture de sa mère, la sainte Église romaine : les électeurs du département d'Ille-et-Vilaine l'avaient choisi, à la fin de février 1791, pour évêque intrus. A peine informé de sa nomination, il écrivit à l'évêque légitime de Rennes, Mgr de Girac, qui se trouvait encore à Paris, l'hypocrite lettre suivante :

« MONSEIGNEUR,
Messieurs les électeurs du département de l'Ille-et-Vilaine viennent de m'annoncer qu'ils m'ont élu évêque de cette métropole. Vous sentez quel étonnement et dans quelle perplexité me jette cette nouvelle. D'un mot, M. l'évêque, vous pouvez faire cesser l'un et l'autre, et j'ose vous en prier. L'exemple de M. l'évêque d'Angers
[Note : Il supposait que M. de Lorry, évêque d'Angers, avait fait le serment ; ce qui était entièrement faux] et de quelques autres prélats respectables m'y autorise. Je me jette donc à vos pieds. Je vous conjure de revenir à un troupeau qui ne peut manquer de vous être cher, et sur qui le retour de votre amitié ferait les plus salutaires impressions. Un mot, M. l'évêque, et ma joie, comme celle de beaucoup d'autres amis de la religion et de la patrie, sera à son comble.
J'ai l'honneur d'être avec le plus grand respect, etc. »
.

Monseigneur de Girac répondit, le 7 mars 1791, à cette lettre pleine d'astucieuses équivoques, avec une netteté et une franchise qui ne permettaient plus la dissimulation ; l'évêque de Rennes met son rusé correspondant en demeure de s'expliquer. Le Coz lui avait dit : « Nous sentez dans quel étonnement et dans quelle perplexité me jette cette nouvelle. D'un, mot, vous pouvez faire cesser l'un et l’autre… ».

Monseigneur de Girac l'interpelle ainsi sur cette phrase :

« Quel est donc, Monsieur, ce mot que vous m'invitez à prononcer ? Ce n'est pas ma démission ; elle serait, vous le savez, insuffisante pour faire vaquer mon siége. Un évêque légitimement institué contracte avec son église une alliance qui ne peut être dissoute que par le supérieur ecclésiastique qui l'a formée........ Ce mot que vous demandez, Monsieur, ne peut être que la prestation du serment qui nous a été prescrit. Je n'entrerai ici dans la discussion ni de ce serment, ni de la destitution prétendue qu'on veut faire résulter du refus de le prêter... J'ai traité ces importantes questions dans la déclaration que j'ai adressée à MM. les administrateurs du département de l'Ille-et-Vilaine... Je vous en envoie des exemplaires. Je n'ignore pas que, dans des écrits répandus en Bretagne, vous avez essayé d'établir des maximes contraires ; mais j'espère qu'en lisant ma déclaration vous reconnaîtrez que j'ai parcouru tous vos raisonnements et que je leur ai opposé les décisions les plus formelles de l'Église .................. Il me serait trop amer, Monsieur, d'après les dispositions que vous m'annoncez, de lancer sur vous les anathèmes de l'Église. J'ai la confiance de croire que vous ne me réduirez point à cette cruelle nécescité, en montant sur un siège qui n'est point vacant ; que vous n'entreprendrez jamais de gouverner des pasteurs et des fidèles aux yeux desquels vous ne seriez qu'un loup ravissant, et que votre nom ne grossira point la liste de ces prêtres schismatiques, de ces usurpateurs qui accumulent sur leurs têtes coupables le mépris des hommes et les trésors de la colère de Dieu ».

Une pareille réponse, qui mérita les éloges de Pie VI, était de nature à arrêter un prêtre moins orgueilleux que Le Coz et moins possédé par le démon de l'ambition. Mais, comme son frère aîné, Expilly, il voulait, à tout prix, être évêque ; il resta donc insensible aux observations de Monseigneur de Girac, et, le 10 avril, il alla recevoir à Paris la consécration épiscopale, en même temps que Minée. On est effrayé à la pensée qu'un prêtre puisse arriver à ce degré d'audace ; mais à quoi ne pousse pas la soif des honneurs, comme celle de l'or ?

Il n'entre pas dans notre plan de suivre Claude Le Coz dans son intrusion à Rennes, pas plus que sur le siège de Besançon, après le concordat. L'évêque intrus de Rennes se montra le serviteur très-humble de la Révolution ; l'archevêque légitime de Besançon eut de la peine à se soumettre purement et simplement au Souverain Pontife ; le défenseur de la Constitution civile du clergé voulait toujours ergoter et subtiliser : il est si difficile de se purger complètement d'un mauvais vaccin et de dépouiller totalement le vieil homme ! Cela n'est-il pas vrai, surtout quand l'esprit a été gâté par de fausses doctrines ? Sur la demande formelle du Pape, Pie VII, il vint cependant se jeter à ses pieds à Fontainbleau et souscrivit à toutes les conditions que Sa Sainteté exigea. Il mourut, pendant les cent jours, le 3 mai 1815, d'une fluxion de poitrine qu'il avait contractée, en visitant son diocèse.

Cette visite fut plutôt politique que pastorale, puisqu'elle avait pour but de rallier ses diocésains à la cause de l'empereur Napoléon, revenu de l'île d'Elbe à Paris.

(abbé Joseph-Marie Téphany).

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