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BRETAGNE ET GERMANIE

(occupation de la Bretagne par les Prussiens en 1815)

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C'est un sujet qui semble n'avoir tenté encore aucun historien, et dont l'intérêt pourtant mérite de s'imposer à notre curiosité.

Qu'il nous soit donc permis d'évoquer brièvement ici les relations que les anciens Bretons eurent, au cours des siècles, l'occasion de nouer et d'entretenir avec les peuples germaniques.

Malgré la distance qui les sépare et l'interposition d'une puissance hostile, intéressée à les séparer plus encore, en attendant que l'annexion du Duché lui permit de les opposer les uns aux autres, les Bretons et les Allemands ont eu, en effet, dans le passé, d'assez fréquents rapports économiques, politiques et militaires. Dès les premiers siècles de l'ère bretonne, il en est fait mention dans nos annales :

« De Rennes à Rhuys, — note l'historien Guillaume Le Jean, — les Romains avaient établi d'importantes colonies germaniques, que l'on nommait indifféremment Franks ou Allemands. Les Rois bretons tiraient vanité de posséder des sujets qui avaient appartenu à ces terribles nations rhénanes ; aussi lit-on dans les actes « Roi d'une partie des Franks », « Roi d'Allemagne »... On reconnait la trace de cette colonisation dans les noms de Kerallemand, la Motte-Allemande [Note : Cf. Seigneuries de la Motte-Alleman, en Saint-Nazaire et en Montoir], Questembert (Kesten-Berg, Mont des Ramiers, nom d'une fameuse Abbaye en Autriche) » [Note : Guillaume Le Jean : La Bretagne, son Histoire et ses Historiens, 1850, p. 40].

Dans l'ordre économique et artistique, nos ancêtres devaient cultiver, par la suite, avec les Germains de profitables relations. C'est ainsi que, dès le règne du Duc Jean V, la Bretagne signait ses premiers traités d'alliance avec la célèbre Ligue des grandes villes allemandes connue sous le nom de Hanse Teutonique, Hanse Thioise du Saint-Empire, ou simplement Hanse d'Allemagne, et qui avait Lübeck pour siège et capitale. Par lettres données à Vannes, au château de l'Hermine, le 8 janvier 1433, le Duc mandait notamment ce qui suit :

« Jehan, par la grâce de Dieu, Duc de Bretagne, ... désirant attraire tous bons et loyaux marchands à venir fréquenter marchandement en nos pays et seigneuries, spécialement ceux des pays et villes de la Hanse d'Allemagne, auxquels, de tous temps, nous avons eu bonnes amitiés ; considérant mesme les suretés et sauvegardes que, paravant ces heures, nous leur avons données par nos lettres sous nos scels, à quoi tendons faire garder estat ainsi que tenus y sommes ; et, d'autre part, considérant les grands profits que nous et tout le bien public de nostre pays pouvons avoir par le fréquentement des dits Allemands, ... à iceux, de nouvel et en ce jour, avons donné et octroyé, donnons et octroyons par ces présentes bonne sureté et sauvegarde... » [Note : Cité par La Borderie et Pocquet : Histoire de Bretagne, IV, p. 267-268].

De fait, c'est à des artistes allemands que Jean V devait faire appel pour la décoration de la cathédrale de Nantes, dont il posa la première pierre le 14 Avril 1434.

Dans une étude sur les anciennes verrières des églises et chapelles des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), présentée à la Société d'Emulation de Saint-Brieuc, le 13 Mars 1935, M. René Couffon a relevé l'influence de l'art rhénan ou allemand dans nombre de sanctuaires édifiés en Bretagne au cours du XVème siècle (Runan, Tonquédec, Saint-Nicolas-du-Pélem, Lochrist en Coatréven, Saint-Pabu en Saint-Guen, Saint-Jean en Gurunhuel, Maël-Pestivien, Locarn, etc..). Et il expliquait cette influence « par la grande amitié que le Duc Jean V avait pour les artistes et commerçants allemands ; d'où la diffusion de gravures de provenance allemande en Bretagne. Il est même permis de se demander si l'Allemand Hans Wittinger n'a pas été chef d'école des peintres verriers bretons » [Note : Compte rendu publié par Le Moniteur des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc, 13-27 avril 1935].

Notons, en passant, que d'autres influences devaient avoir également l'occasion de se manifester, car la Bretagne entretenait alors un imnortant trafic maritime avec divers pays comme la Hollande, l'Angleterre et l'Espagne.

Le pacte d'alliance avec la Ligue Hanséatique, confirmé à plusieurs reprises sous le règne de Jean V et plus spécialement en 1442, fut renouvelé dans la suite par ses sucesseurs. En 1478, à l'époque de la plus grande prospérité bretonne, un dernier traité était signé par le Duc François II et le vieil historien Bertrand d'Argentré en appréciait ainsi les conséquences :

« L'alliance faite avec cette Hanse multiplia si bien les richesses de la Bretaigne, que le Duc, l'année d'après, sçavoir l'an 1479, fut contrainct d'obtenir une bulle du Pape Sixte quatriesme, de permission, tant à lui qu'a ses subjets, de trafiquer au pays des Turcs et infidèles, tellement que le pays se trouva si riche en ce temps que merveilles, en sorte que jusques aux moindres villages on trouvait de la vaisselle d'argent par les maisons des paysans » [Note : Bertrand d'Argentré : Histoire de Bretaigne, 1582, p. 721 recto].

Ajoutons, par comparaison, que, dix ans plus tard, la Bretagne, envahie et ravagée par les armées du Roi de France, se trouvait si bien ruinée qu'elle en était réduite à frapper des monnaies de cuir.

Mais, avant même que fût conclue cette fructueuse alliance avec la Ligue Hanséatique, la collaboration allemande s'était plus d'une fois manifestée à l'avantage de la Bretagne.

C'est à des prospecteurs allemands que nous devons notamment la découverte et l'exploitation des minerais de Haute-Cornouaille, comme le notait, en 1836, le Chevalier de Fréminville :

« Les filons métallurgiques de Poullaouen et du Huelgoat ont été découverts par des mineurs allemands, vers le milieu du XVème siècle. Ces hommes industrieux et déjà, dès cette époque, versés dans les sciences chimiques et minéralogiques, étaient venus en Bretagne dans l'espérance d'y faire, sous le rapport de leur art, quelques découvertes lucratives. Leur attente fut remplie : ils obtinrent du Duc le privilège d'exploiter à leur profit les mines qu'ils avaient découvertes, moyennant une certaine redevances » [Note : Note de Fréminville, dans sa réédition du Voyage dans le Finistère, de Cambry, p. 151 (Lefournier, édit., Brest, 1836)].

Quand, sous la révolution, le citoyen Cambry, chargé d'une mission officielle, parcourait la région à petites journées et rédigeait sous le titre : Voyage dans le Finistére, son curieux rapport sur « l'état de ce département en 1794 », il fut reçu « très honnêtement » par l'inspecteur des mines, « le citoyen Schreiber », un Allemand jeune encore, musicien et lettré. Et, quand, à son tour, Fréminville visita les mêmes établissements, en 1833, c'est encore un inspecteur allemand qu'il y trouva, un autre bien entendu, mais « jeune lui aussi et cultivant les arts ». [Note : Note de Fréminville (Voyage dans le Finistère. 2e édit.. 1836. p. 150-151)].

Aussi bien, n'est-on point autrement surpris de trouver sous la plume de Cambry cette constatation qui dut, à l'époque où il écrivait, sembler toute naturelle à ses lecteurs :

« Les observateurs ont remarqué qu'il existe une grande sympathie entre les Allemands et les Bretons » [Note : Cambry (Voyage dans le Finistère, 51)].

Sympathie dont, sans doute, la philologie prétendrait justifier l'origine par des affinités ou concordances linguistiques. Ainsi, n'est-on pas frappé d'entendre le Breton et l'Allemand rouler avec aisance les mêmes sons rocailleux, inconnus des gosiers français, et traduire l'affirmation élémentaire « Oui » par un seul et même terme « Ia », identique dans les deux langues et singulièrement différencié de ses équivalents néo-latins.

De fait, si, dans le domaine économique, le génie allemand a largement contribué, aux siècles passés, au développement de la prospérité bretonne, l'histoire nous apprend aussi que les Ducs de Bretagne ont plus d'une fois trouvé dans l'alliance germanique, comme dans l'alliance anglaise, la sauvegarde de leur indépendance. Sur les champs de bataille, où cette indépendance dut être trop souvent défendue contre les entreprises de l'ambitieuse monarchie française, la fraternité d'armes avec les Germains ne fut point exceptionnelle. Dès l'époque du combat des Trente, on trouve un certain nombre d'Allemands parmi les champions de la cause nationale, représentée par la Maison de Montfort.

Mais c'est surtout en trois circonstances particulièrement graves de l'histoire de Bretagne et de l'histoire de France, que des armées bretonnes, organisées et autonomes, se sont trouvées en contact direct avec les Allemands d'abord comme alliés, pendant la dernière guerre d'indépendance (1487-1491), puis après les Cent Jours de 1815, à La fin du Premier Empire ; enfin, par le jeu des circonstances politiques, comme adversaires, au cours de la triste campagne de « l'Année Terrible », en 1870-1871.

***

C'est à la fin du XVème siècle, à l'heure on la Bretagne allait succomber aux assauts répétés de sa puissante voisine, que l'alliance allemande, conjointement aux secours anglais et espagnols, se manifesta le plus activement en faveur de l'indépendance bretonne menacée.

Dès 1486, Anne de Bretagne avait été fiancée, par son père François II, à l'Archiduc Maximilien d'Autriche, Roi des romains, celui qu'on a appelé « le dernier chevalier » et qui, plus tard, devait ceindre, après son père Frédéric III, la prestidigieuse couronne du Saint-Empire Romain Germanique. Un tel projet, qui allait faire bientôt de la « petite Brette » une Reine des Romains, en attendant son accession éventuelle au trône impérial, entraînait pour Maximilien l'obligation de secourir le Duché, aux prises avec Charles VIII et la Régente Madame de Beaujeu. C'est ainsi que, vers la fin de juillet 1487, un premier contingent de lansquenets allemands et flamands, envoyé par le Roi des Romains au secours de ses alliés bretons, débarquait à Saint-Malo, en provenance des ports de Flandre. Le 1er août, ils étaient à Rennes où ils furent accueillis en libérateurs et où ils restèrent jusqu'au 10, « grassement festoyés » par la population. Dans la suite, ils prirent part à toutes les rencontres où les Bretons mesurèrent leur courage malheureux aux forces par trop supérieures du Roi de France. Aux ordres du capitaine Bhler, ces auxiliaires allemands de l'armée bretonne devaient tomber sur la lande de Saint-Aubin-du-Cormier, le 28 juillet 1488, avec les volontaires anglais du Comte de Scales et les Espagnols de Mosen Gralla, quand la Bretagne livra sa dernière bataille et succomba héroïquement.

Après la mort de François II (9 septembre 1488), la nouvelle Duchesse, petite orpheline de douze ans, continua la lutte d'un cœur vaillant, appuyée sur son chancelier Philippe de Montauban et secourue à plusieurs reprises — assez parcimonieusement d'ailleurs — par ses alliés allemands, anglais et espagnols.

En janvier 1489, un nouveau corps allemand, commandé par Raoul de Lornay, était arrivé par mer. C'est grâce à sa garde allemande et à l'énergie du Comte de Lornay que la petite Duchesse put échapper, quelques jours plus tard, à l'odieuse tentative du Maréchal de Rieux, lorsque ce tuteur indigne voulut s'emparer de sa personne pour la marier de force au Sire d'Albret, le plus exécré de ses prétendants du moment. En mars, une compagnie allemande de 150 hommes, commandée par le capitaine Stephen Kereux, est préposée à la défense de la place de Guérande, qui, pour la sauvegarde de l'indépendance nationale, avait vu tomber la presque totalité de sa population mâle [Note : Cf. Henri Quilgars : Histoire de Guérande (in-8, Guérande, 1912)].

Cette lutte inégale coûtait cher à la malheureuse princesse, mais elle était décidée à la soutenir jusqu'à complet épuisement de ses dernières ressources. Dans plusieurs actes de l'époque, conservés aux Archives de Rennes et de Nantes, nous la voyons aliéner ses biens pour continuer la résistance contre « nos ennemys et adversaires les Françoys », qui, « puis quatre ans ou environ », sont « à puissance d'armes, entrez en nostre pais et duché » et ont continuellement, au cours de ces quatre années, « fait et mené la guerre, pruis, pillé, destruit et tué plusieurs de nos bons et loïaux subjectz, brullé et rasé grand nombre de maisons et fait d'autres énormes maulx, oppressions, violences et dommaiges sur nos païs et subjectz, tendans à les conquérir, si faire l'eussent pu » [Note : Extrait d'un acte signé par la Duchesse à Rennes, le 9 août 1490, transcrit aux registres de le Chancellerie de Bretagne de 1489-1490, folio 138, verso (Archives de la Loire-Inférieure, série B)].

Par un de ces actes, passé à Rennes, le 16 mars 1489, la petite Duchesse contractait un emprunt « à l'occasion de la guerre, que, de bien longtemps, les Franczoys, nos ennemis et adversaires, ont fait et mené, en nostre païs, à notre très redoubté seigneur et père le Duc, à qui Dieu pardonne, et, depuis son trépas, à Nous, et de jour en autre y continuent, tellement que, à présent, ils ont mis en subjection et obéissance la plupart de nostre dit païs, lequel injustement et contre l'état de leur conscience détiennent et occupent ». Et l'acte spécifiait qu'une part de l'emprunt contracté avait pour objet de « subvenir au payement et solde des Almans et autres gens de guerre estans en nostre service » [Note : Archives particulières du Bureau de Bienfaisance de Rennes. (Cf. : Un curieux document rennais et A propos d'un document..., dans « Les Nouvelles Rennaises » des 22 septembre et 29 décembre 1932)].

Le traité de Francfort (22 juillet 1489), signé entre Maximilien et Charles VIII, eut pour effet de suspendre quelque temps les hostilités en Bretagne. Mais, un an plus tard, les clauses par lesquelles les Français étaient tenus d'évacuer le Duché, n'étant point encore exécutées, une nouvelle convention, signée à Ulm, en juillet 1490, intervenait pour renforcer les obligations du traité de Francfort.

Pendant ce temps, la petite Duchesse, déjà fixée sur le peu de valeur qu'il convenait d'attacher aux engagements souscrits par le Roi de France, multipliait les ambassades auprès de ses alliés Maximilien, Henry VII d'Angleterre et Ferdinand d'Espagne, et les décidait à former, pour la sauvegarde de l'indépendance bretonne, une vaste ligue offensive, encerclant la France sur toutes ses frontières (Octobre 1490).

Enfin, pour donner à ce pacte un sens plus formel et plus redoutable, la « petite Brette », approuvée par les Etats de Bretagne, décidait d'épouser sans délai, au moins par procuration, son lointain fiancé le Roi des Romains, de qui elle attendait le salut de son pays. Les cérémonies de ce mariage symbolique, auquel Maximilien s'était fait représenter par son Maréchal de Cour, Wolfgang de Bolheim, eurent lieu à Rennes, le 19 décembre 1490.

Dès lors, Anne de Bretagne prend officiellement le titre de Reine des Romains, qu'elle porte conjointement à celui de Duchesse de Bretagne. Tous les actes de la Chancellerie de Bretagne, de la fin de 1490 et de l'année 1491, sont donnés et enregistrés aux noms d'Anne et de Maximilien [Note : Bertrand d'Argentré : Histoire de Bretaigne, 1582, p. 782, verso]. Il fut même frappé, à cette époque, une monnaie bretonne où l'on voit l'aigle allemande unie à l'hermine nationale [Note : Dam Taillandier, continuateur de Dam Morice : Histoire de Bretagne, tome II, 1756, Avertissement, p. VIII et planches hors-texte].

Mais la virile et astucieuse politique de Madame de Beaujeu ne devait point permettre que la Bretagne entrât dans la grande confédération du Saint-Empire. Quelques mois plus tard, la petite Duchesse, assiégée dans Rennes par les forces de Charles VIII, attendait vainement les renforts promis par Maximilien. La Diète d'Allemagne avait autorisé la levée d'un corps de 12.000 lansquenets pour secourir la Bretagne. Les lansquenets n'arrivant pas, et Maximilien, alors fort occupé à guerroyer en Hongrie, ne paraissant pas davantage, il fallut se résoudre à capituler quand la place fut à bout de forces. Par la Convention de Rennes, signée le 15 novembre 1491, la Duchesse, contrainte de renoncer, au moins provisoirement, à l'héritage de ses pères, s'était réservé le droit de sortir librement de la ville et du pays et de traverser la France sans être inquiétée pour rejoindre son époux en Allemagne.

Que se passa-t-il au lendemain de cet accord ? Un singulier mystère couvre la courte période qui sépare la Convention du 15 novembre des fiançailles célébrées à Bonne-Nouvelle de Rennes quatre jours plus tard. Une tradition bretonne, qui concorde dans ses grandes lignes avec la thèse allemande du rapt, veut que la « petite Brette » ne se soit résignée à ce mariage, jusqu'alors repoussé par elle avec horreur, qu'après avoir subi de honteuses violences, consommées sur sa personne par le Roi Charles VIII. Ce n'est point ici qu'il convient d'étudier, dans leur détail, les circonstances de ce drame d'histoire, ni d'en élucider les obscurités. Le drame, il est tout entier dans la plainte singulièrement émouvante qui s'exhale des lèvres de la petite Duchesse : « Faut-il que je soye infortunée d'être amenée à prendre mariage d'un homme qui m'a si maltraictée ! Faut-il que je soye contraincte de me despartir de ce que j'ay promis et passé !... Et toy, Maxi-milien, tu n'as pas faict ton devoir en mon endroit, ny de cœur de prince que tu es, m'ayant laissée en proye. Tu m'as abandonnée à la nécessité » [Note : Cité par La Borderie et Pocquet : Histoire de Bretagne, tome IV, p. 581 (1906)].

Ainsi réduite à accepter pour époux son ennemi vainqueur, ce prince « qu'elle haïssait et qu'elle rendoit responsable de toue ses malheurs » [Note : Dom Taillandier, continuateur de Dom Morice : Histoire de Bretagne. tome II, p. 208 (1756)], Anne doit se plier désormais à toutes les exigences de la raison d'Etat et à toutes les contraintes de sa nouvelle situation.

Cependant le bruit de l'enlèvement n'a pas tardé à se répandre en Europe, provoquant un formidable scandale qui rebondit jusqu'en Cour de Rome, obligeant même le Pape à n'accorder les dispenses demandées pour le mariage que sous les plus expresses réserves [Note : Daru, de l'Academie Française : Histoire de Bretagne, tome III, p. 176 (1826)]. En Allemagne surtout, l'injure faite à Maximilien, la violence exercée contre son épouse ont déchaîné la plus véhémente indignation. Les poètes et les chroniqueurs de l'époque se dressent, dans toute l'étendue de l'Empire, pour dénoncer à Dieu et aux hommes « ce crime perpétré à la honte de la chrétienté envers une illustre Reine, indignement trahie ».

Anne se tait, mais elle ne se résigne pas. Toujours attentive aux moyens de sauvegarder l'indépendance bretonne, « à laquelle, jusqu'au bout, elle s'attacha avec un acharnement jaloux » [Note : H. Lemonnier : Histoire de France illustrée, publiée sous la direction d'Ernest Lavisse. tome V, 1ère partie, p. 45-46 (Hachette, édit.)], elle attend l'occasion de prendre sa revanche. Après la mort de Charles VIII, survenue en 1498. elle impose à Louis XII un contrat de mariage qui annule, dans toute la mesure possible, les clauses redoutables du précédent, et aux termes duquel elle réserve expressément le libre avenir de son peuple. Trois ans plus tard, en 1501, elle décide le Roi à fiancer Claude, leur fille ainée, à Charles de Luxembourg, Duc d'Autriche, petit-fils et héritier de l'Empereur Maximilien, de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille. D'après cet accord, le futur Charles-Quint, alors âgé de deux ans, se trouvait appelé à ceindre, un jour, la couronne de Bretagne, et le Duché allait, une fois encore, échapper à la France.

Non que la Duchesse-Reine désirât faire de son pays une colonie germanique, mais, politique clairvoyante, « cette excellente Bretonne et mauvaise Française » [Note : H. Lemonnier : Histoire de France illustrée, p. 45-46] se rendait parfaitement compte que l'entrée du Duché dans l'orbe des états fédérés sous le sceptre impérial et qui allait bientôt englober la moitié de l'Europe, y compris l'Italie et l'Espagne, était la meilleure garantie de son indépendance future. Tandis que l'union au Royaume de France, au cas où elle serait rendue indissoluble, condamnait au contraire l'autonomie bretonne à disparaître dans un délai plus ou moins proche.

Encore que Louis XII eût engagé sa parole pour le mariage de Claude, il n'était aucunement disposé à la tenir. Il n'avait vu dans ces accordailles qu'une monnaie d'échange pour faire admettre ses prétentions sur le Milanais et sur Naples. Mais il entendait bien rompre à temps ses engagements. C'est ce qu'il fit en 1505, déchirant de ses mains le traité de mariage franco-autrichien et ordonnant que sa fille Claude n'épouserait nul autre que son héritier présomptif, François d'Angoulême, le futur François 1er.

Ce dont la Reine fut à ce point outrée et mortifiée qu'elle quitta sur le champ la Cour, — on pourrait dire : en claquant les portes, — et se retira dans son Duché, dont on ne put, de plusieurs mois, la décider à revenir.

Ce double affront infligé à la maison d'Autriche, — celui de 1505 après celui de 1491, — devait, vingt ans plus tard, être lavé dans le sang de Pavie. Et quand, le 23 février 1525, François Ier tomba, vaincu et prisonnier, aux mains de Charles-Quint, l'opinion européenne vit dans cet événement une manifestation de la justice divine, et la Muse germanique entonna un chant de triomphe : Mich dunkt es sei iesund gerochen, Das Fraulein von Britania : Got het uns geben sig aida ! (« Il semble qu'elle est aujourd'hui bien vengée, la Demoiselle de Bretagne, car Dieu nous a donné la victoires ») [Note : Voir notre étude sur les Chansons de la Demoiselle de Bretagne et les textes allemands reproduits dans notre recueil La Chanson des siècles bretons, d'après l'important ouvrage de Liliencron : Die historische Volkslieder der Deutschen (2 vol., Leipzig, 1866)].

***

L'occupation prussienne d'une partie de la Bretagne en 1815.

C'est à l'époque contemporaine, trois siècles plus tard, que des forces allemandes parurent pour la seconde fois en Bretagne. Après Waterloo, 1.135.000 soldats « alliés » campèrent pendant plusieurs mois sur le sol français. Il fallut, pour faciliter leur subsistance, les répartir entre les diverses régions qui n'avaient pas souffert de l'invasion. C'est ainsi qu'en septembre 1815, le 6ème Corps de l'armée prussienne, aux ordres du général comte de Tauentzien-Wittenberg, allait être envoyé pour quelques semaines dans les départements bretons.

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir L'arrivée des troupes prussiennes dans l'Ille-et-Vilaine en 1815

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir Le 6ème corps d'armée prussien en Bretagne en 1815

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir L'occupation et la question des fournitures aux Prussiens en 1815 dans l'arrondissement de Saint-Malo

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir L'occupation et la question des fournitures aux Prussiens en 1815 dans l'arrondissement de Rennes

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir Le règlement des fournitures aux Prussiens en Bretagne en 1815

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir La conduite des Prussiens (affaire des tableaux du musée de Rennes) en Bretagne en 1815

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir La conduite des Prussiens et l'attitude des bretons et des autorités durant l'occupation en Bretagne en 1815

 Occupation de l'armée prussienne en Ille-et-Vilaine (Bretagne) Voir Le départ des Prussiens de Bretagne en 1815

 

Dès la première quinzaine d'août, un détachement de 60 lanciers prussiens, dépêchés en éclaireurs, s'était présenté à Rennes, mais n'y avait fait qu'un court séjour [Note : Cf. Lettre d'un Rennais, citée par G. Saint-Mleux : L'Occupation prussienne en 1815 (« L'Hermine ». Rennes, 20 août 1909)].

Le 2 septembre, le Préfet d'Ille-et-Vilaine, Comte d'Allonville, avisé de la prochaine arrivée d'importants contingents, faisait afficher une « proclamation relative au passage et au cantonnement des troupes prussiennes ». dans laquelle il engageait ses administrés à leur réserver bon accueil et où il louait de confiance « le noble caractère de MM les Généraux prussiens » (Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 348).

Le 6ème Corps comprenait 33.500 hommes et 7.800 chevaux, qui allaient entrer en Bretagne par Fougères et Vitré à partir du 5 septembre, pour être ensuite distribués comme suit, dans l'ordre de leur arrivée (Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 350) :

1° La 23ème Brigade, Général de Horn, (8.000 hommes, 1.400 chevaux), après avoir passé par les deux villes précitées, devait aller prendre ses cantonnements en Loire-Inférieure, notamment à Nantes, Ancenis, Nort-sur-Erdre, Blain, et à La Roche-Bernard, aux confins morbihannais ;

2° La 21ème Brigade, Général Larische, (6.000 hommes, 800 chevaux), devait se partager entre Bain-de-Bretagne, Chateaubriant, Redon et Ploërmel [Note : Le contingent destiné à Ploërmel reçut, à son arrivée à Rennes, une autre destination, par suite de l'intervention de Sol de Grisolle, que nous relatons plus loin] ;

3° La 22ème Brigade, Général de Lobenthal, (8.500 hommes, 1.800 chevaux), devait s'établir à Rennes et dans les environs ;

4° La 24ème Brigade, Général de Wrangel, (8.000 hommes, 800 chevaux), devait être répartie entre Dol, Combourg, Dinan, Broons et Lamballe ;

5° Enfin, la cavalerie de réserve, (3.000 hommes, 3.000 chevaux), devait être envoyée, partie dans le canton de Saint-Aubin-du-Cormier et partie dans celui de Blain.

Ainsi l'occupation prussienne s'étendit au département d'Ille-et-Vilaine tout entier, aux arrondissements de Nantes, Ancenis et Chateaubriant, en Loire-Inférieure, et à celui de Dinan, dans les Côtes-du-Nord.

Une partie du Morbihan, notamment l'arrondissement de Ploërmel, avait également été comprise dans la zone d'occupation, et le Préfet de Vannes, plein de zèle, en avait informé les populations par un placard où l'on pouvait lire :

« Habitants du Département,

... Ces troupes viennent comme alliées, nous les recevrons comme amies. La malveillance seule pourrait faire naître des craintes sur la conduite que ces troupes tiendront parmi nous. C'est pour nous délivrer du joug affreux sous lequel nous gémissions, que les Prussiens ont quitté leur pays ; c'est pour consolider notre tranquillité qu'ils restent parmi nous...

... Il ne sera dû que le logement et les rations fixées. Partout où l'on a pourvu à ces besoins indispensahles avec exactitude et célérité, les troupes prussiennes se sont conduites avec modération... » [Note : Publié au Moniteur Universel, Paris, 17 septembre 1815].

Cependant le Morbihan ne fut point occupé, par suite des circonstances suivantes :

Rentrant de Paris, où il était allé saluer le Roi et lui présenter les états de services de ses officiers, le Général de Sol de Grisolle, qui commandait les forces royalistes de la deuxième Chouannerie morbihannaise, s'arrêta, le 12 septembre, à Rennes, et fit remettre au commandant du 6ème Corps prussien une requête le priant de ne point faire avancer ses troupes dans le Morbihan, occupé par « l'Armée Royale de Bretagne ».

En fait, « l'Armée Royale de Bretagne », comme l'appelait pompeusement le vieux chef de Chouans, ne comprenait guère, au plus, qu'une dizaine de mille hommes, plus ou moins disciplinés, plus ou moins armés et fort mal commandés. Ce n'était point là de quoi intimider, quoiqu'on en ait pu prétendre, les 33.000 soldats aguerris de Tauentzien et encore moins de quoi les arrêter, s'il eût pris fantaisie à leur chef de les conduire jusqu'au fond de la péninsule.

C'est donc uniquement à la bonne grâce du Général prussien que Sol de Grisolle dut de recevoir, le même jour, la réponse suivante :

« Monsieur le Général,

C'est avec empressement que j'ai l'honneur de vous répondre à la lettre que vous avez bien voulu m'adresser en date d'aujourd'hui.

La demande que vous m'avez faite, M. le Général, de ne pas faire pénétrer les troupes sous mes ordres dans les cantonnements occupés par l'Armée Royale de Bretagne, est trop juste pour que je ne doive y consentir avec beaucoup de plaisir.

Les services que la dite Armée a si glorieusement rendus pour la cause commune et la conduite qu'elle a tenue a été justement appréciée des Alliés ; et je ne demande pas mieux, M. le Général, que de me rendre à tous vos vœux aussitôt qu'ils ne seront pas directement contraires aux ordres émanés par S. M. le Roi, mon maître.

Veuillez... Le Général Comte TAUENTZIEN. A mon quartier général, à Rennes, le 12 septembre 1815 » [Note : Lettre citée par Julien Guillemot, dans sa Lettre à mes Neveux sur la Chouannerie. p. 249-250 (in-8, Imp. Félix Masseaux, Nantes, 1859), et par Léon Vignots, dans Les Prussiens dans l’Ille-et-Vilaine en 1815 (in-8, Plihon et Hervé, édit., Rennes, 1893)].

Le Morbihan ne fut donc pas occupé, non plus que le Finistère, mais ils durent néanmoins, l'un et l'autre, participer, solidairement avec les autres départements bretons, aux frais d'entretien du corps d'occupation.

La plus lourde part de ces frais pesa d'ailleurs sur l'Ille-et-Vilaine et ne fut point sans causer quelques embarras aux administrateurs. Témoin la délibération prise, à la même date du 12 septembre, par le Conseil Municipal de Redon. Gravement inquiets au sujet des difficultés que la ville et l'arrondissement vont éprouver pour nourrir et héberger les nouveaux détachements qui leur sont annoncés, les édiles redonnais tiennent à manifester tout au moins leur bonne volonté dans les termes suivants :

« ... L'arrondissement ne peut y suffire ; c'est le plus pauvre du département ; il est épuisé par les fournitures récentes faites aux troupes prussiennes du VIème Corps, à Bain, Lohéac et Bains, ainsi que par des levées [Note : Faites par l'Armée Royale de Bretagne] pour combattre l'ennemi commun des peuples et des rois.

... Il faut pourtant accueillir dignement les amis de notre Roi. Deux délégués sont envoyés à Rennes pour prévenir la ruine totale du pays par les braves que nous aidions de tout notre pouvoir comme frères d'armes et que nous appelions de tous nos vœux comme des sauveurs » [Note : Registre des Délibérations du Conseil Municipal de Redon].

Rennes, en sa qualité de capitale régionale, allait avoir l'honneur d'héberger, outre le contingent de troupes qui lui avait été assigné, le commandant en chef et son état-major.

Sitôt informé de leur arrivée prochaine, M. de la Villebrune, adjoint, faisant fonction de maire, — en l'absence du maire, M. Desvallons, — avait fait, le 5 septembre, placarder un avis qui prescrivait entre autres choses :

« Le Maire recommande aux citoyens tous les égards que méritent des troupes alliées, et l'administration municipale est en permanence pour recevoir les plaintes qui pourraient être faites, les porter à la connaissance de MM. les Chefs prussiens et en obtenir justice. M. le Préfet a reçu l'assurance que la discipline la plus exacte était observée par le corps d'armée qui arrive » [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 348].

Installé à Rennes dès le 9 septembre, le Général de Tauentzien fait, de son côté, afficher, le surlendemain, une proclamation adressée aux habitants des départements occupés et rédigée en ces termes :

PROCLAMATION
Des Generals der Infanterie Grafen von Tauentzien, kommandirenden general des 6te Koenigl. Preuss. Armee Corps...

« Le 6ème Corps des Armées de sa Majesté le Roi de Prusse, mon auguste Souverain, va arriver dans vos contrées pour y prendre des cantonnements sous mes ordres.

Ce n'est pas comme ennemis que nous entrons chez vous... Vos familles, vos biens seront respectés ; vous n'aurez à pourvoir qu'à la subsistance et à l'entretien de mes troupes. S'il arrivait quelques rixes entre vous et le soldat, occasionnées peut-être par la différence de la langue et par les différentes habitudes de chaque nation, venez chez moi ou chez les généraux commandant sous mes ordres ; nous rendrons justice sans délai et sans connaître d'autre différence que celle du coupable et de l'innocent.

BRETONS !
Je compte sur vous. Vous répondrez à mes soins par votre loyauté, par votre empressement à recevoir mes troupes, en les traitant comme amies, supportant le fardeau que les circonstances imposent. Si vous montrez de la bonne volonté pour le soldat, ce fardeau s'allégera sensiblement.

Autant il me sera doux de voir régner la bonne intelligence entre mes troupes et vous, autant il me serait pénible de punir le mauvais traitement que le soldat en éprouverait. Je serai inexorable, l'intérêt de mon armée et celui des habitants me le commandent également.

Le Comte TAUENTZIEN » [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 348].

Tauentzien avait avec lui un important état-major, composé d'un chef d'état-major, un aide de camp. 3 majors, 10 capitaines, 100 sous-officiers et soldats, avec une cavalerie de 250 chevaux.

D'autre part, 3.500 hommes environ furent logés à Rennes, chez l'habitant :

« Nous avons ici, — écrivait Le Journal d'Ille-et-Vilaine du 13 septembre, — 3.000 à 4.000 hommes de garnison. Toutes ces troupes sont logées chez le bourgeois, parce que nous n'avons que des casernes trop petites et trop incommodes... ».

... Et bonnes tout au plus, évidemment, pour des garnisons françaises !

La période d'occupation s'écoula sans incidents notables. Les populations bretonnes firent généralement bon accueil aux troupes « alliées », malgré la lourde charge qu'imposait l'entretien de ces 33.000 hommes et de leurs montures à un pays déjà ruiné par les guerres de l'Empire. De leur côté, les Prussiens, dans l'ensemble, se conduisirent correctement à l'égard de leurs hôtes. On put même noter des actes de dévouement comme celui-ci, relaté par Le Moniteur Universel (de Paris) du 21 septembre, d'après une correspondance de Rennes du 15 du même mois :

« Deux militaires prussiens sont parvenus à sauver la vie au nommé Charles Quendray, d'Iffendic, garde de voitures au Puits-Mangé, lequel était tombé dans la Vilaine. Ces deux soldats sont les nommés Gratz et Schmidt, tous les deux du 2ème Régiment d'Infanterie de la Prusse orientale. M. le Préfet a exprimé des remerciements, au nom de ses concitoyens, à M. le Général de Lobenthal, pour ces deux braves et généreux militaires ; il a fait connaître leur belle action à S. E. le Ministre de l'Intéreur. Le premier, qui s'est jeté à la nage sans hésiter, a beaucoup risqué pour sa vie ».

Il se trouva pourtant quelques mauvais esprits pour tenter de troubler cette touchante harmonie. Des coups de feu malencontreux furent tirés à Rennes, aux abords de certains cantonnements ; des velléités de résistance, d'ailleurs isolées, furent esquissées par quelques bonapartistes impénitents qui ne se résignaient point à considérer Waterloo comme une victoire et Blücher comme un allié. Si bien que, le 21 septembre, le Commandant du 6ème Corps était amené à promulguer l'ordre suivant :

ORDRE DE DESARMEMENT
Le Comte de Tauentzien-Wittenberg, Commandant du 6ème Corps de l'Armée Prussienne, Aux habitants de la ville de Rennes.

« Je suis arrivé dans votre ville avec l'ordre de traiter les habitants comme les sujets d'une puissance amie du Roi mon maître. Je n'y ai manifesté que l'intention de maintenir la tranquillité la plus parfaite. La discipline la plus exacte a été observée par les troupes sous mes ordres. Vous le savez tous, habitants de Rennes, aucune plainte n'a été portée, ni à moi, ni aux chefs de l'administration française, contre aucun de mes soldats.
Cependant, des individus, domiciliés dans vos murs, se sont armés dans des intentions hostiles ; des coups de fusil se sont fait entendre dans les lieux occupés par les troupes prussiennes, dans le dessein de compromettre la tranquillité de la ville.
Je ne puis, sans faiblesse, laisser entre les mains d'hommes qui montrent l'intention d'en abuser, des armes dangereuses. Je donne donc l'ordre, en vertu des pouvoirs qui me sont confiés, à tout individu possesseur ou détenteur d'armes à feu quelconques et de toutes autres armes de guerre, de les apporter, dans la journée, à l'Hôtel de Ville, et de les remettre au Maire ou à un de ses adjoints. J'excepte seulement de cette remise les habitants armés depuis le 27 juillet dernier, dans la Garde Nationale, dont je connais le bon esprit.
Je préviens que, si la remise entière des armes n'est point faite, et que l'ordre que je donne ne soit pas exécuté dans toute son étendue, avant huit heures du soir de ce jour, une visite sera faite dans toutes les maisons de la ville, par le directeur de la police de l'armée, accompagné d'un des adjoints de M. le Maire, et que tout homme qui n'aura pas satisfait aux dispositions du présent arrêté, et chez lequel seront trouvées des armes, sera saisi sur-le-champ et jugé selon toute la rigueur des lois militaires comme perturbateur du repos public. Les malintentionnés me sont déjà connus, je les rendrai personnellement responsables de l'inexécution de mes ordres.
S'il se renouvelait des tentatives pareilles à celles qui ont été faites depuis deux jours, je serais obligé, d'après mes ordres, de me porter à des extrémités très fâcheuses, que la mesure moins rigoureuse que je prescris a pour but de prévenir.
Le Général Comte de TAUENTZIEN.
A mon quartier général, â Rennes, le 21 septembre 1815 »
. [Note : Grand placard imprimé (Imp. Vve Front, Rennes, 1815). Cf. Archives de Rennes : Registre des délibérations du Conseil municipal. B. 4/6. folio 110]

Ce langage énergique prévint, en effet, toutes nouvelles tentatives malveillantes de la part des « grognards ». Et les « Kaiserliks » purent dormir en paix.

Un journal de Rennes, La Dépêche Bretonne, dans son numéro du 27 avril 1893, a publié, d'après des souvenirs de vieux Rennais, quelques détails curieux sur l'occupation de la capitale provinciale. Notamment celui-ci :

« Chaque soir, vers huit heures, avant la retraite, le poste de grand'garde, qui se tenait à l'Hôtel de Ville, sortait sur la place, et un pasteur protestant, qui remplissait les fonctions d'aumônier, récitait la prière. Après cela, la retraite s'effectuait par les rues, et l'on voyait une compagnie, la bayonnette croisée, précédant les tambours, et, derrière ceux-ci, des uhlans portant la lance, la pointe tournée en arrière ».

Entré temps, les pouvoirs publics tenaient à faire à nos visiteurs les honneurs de la contrée. Ainsi, le Chevalier du Petit-Thouars, Sous-Préfet de Saint-Malo, insistait à trois reprises, par les lettres les plus gracieuses et les plus pressantes, pour décider le Général de Wrangel, chef de la 24ème Brigade, alors installé à Dinan, à venir visiter la Cité des Corsaires.

Saint-Malo, en effet, n'avait pas eu l'honneur de recevoir dans ses murs de garnison prussienne. La ville et son hinterland, le « Clos-Poulet », déjà tenus par une légion de la Garde Nationale, avaient été exemptés d'occupation.

Mais le Sous-Préfet de Saint-Malo, pressentant, par un remarquable don d'intuition, toute l'importance future du Tourisme réceptif, tenait absolument à ne pas laisser échapper une pareille occasion de recevoir des hôtes illustres. Sans doute, le Général de Wrangel ne put-il se dérober à de si courtoises sollicitations. D'autant que son chef, S. E. le Comte de Tauentzien, voulu bien accepter lui-même l'invitation du distingué fonctionnaire.

L'excursion dut avoir lieu le 23 septembre, car, le 22, le Maire de Saint-Servan, M. A. Bougourd, était avisé à la fois par le Sous-Préfet, M. du Petit-Thouars, et par le Préfet, M. d'Allonviile, que le Général de Tauentzien allait venir visiter Saint-Malo avec son état-major, en passant par Saint-Servan. Et l'excellent Maire, flanqué de son Conseil Municipal au grand complet, s'empressait à recevoir Son Excellence à l'entrée de la ville et faisait tirer treize coups de canon en son honneur [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 350].

A Saint-Malo, qui avait alors pour Maire « M. de Bizien fils », l'accueil ne pouvait être moins triomphal, encore que les détails ne nous en soient point connus.

Est-il besoin de dire, en tout cas, que la mirifique histoire de Robert Surcouf pourfendant en duel, à cette occasion, toute une brochette d'officiers prussiens, est une pure fantaisie ajoutée à sa légende. Surcouf, ancien coureur de mer assagi, sinon repenti, bourgeois rassis, définitivement garé des aventures, s'était contenté, trois jours plus tôt, le 20 septembre, de délibérer, en sa qualité de conseiller municipal de sa ville natale, « sur les moyens à prendre pour procurer instantanément les fonds nécessaires aux besoins des troupes prussiennes dans l'arrondissement » et à garantir, solidairement avec ses collègues, un emprunt de 60.000 francs pour rassurer les fournisseurs [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, Z 348].

L'occupation prussienne en Bretagne se prolongea tout le mois de septembre. Dans son numéro du 2 octobre, Le Moniteur Universel signale le retrait progressif des contingents « alliés » :
« Le 6ème Corps prussien quitte la Bretagne pour aller à Caen, pour remplacer le Corps du Général Blücher. On n'a eu qu'à se louer de la conduite de ses troupes, sous les ordres du Comte Tauentzien ».

Dans la Loire-Inférieure, écrivait également Le Moniteur à la date du 29 septembre, les commandants prussiens « ont maintenu parmi les soldats une discipline sévère, en s'attachant à entretenir avec les habitants tous les rapports de la plus parfaite harmonie ».

Dès le 25 septembre, le Maire de Rennes avait adressé au Général de Lobenthal, chef de la 22èm Brigade, la lettre suivante :
« J'apprends que vous allez quitter notre ville. Permettez-moi, au nom de ses habitants, de vous adresser l'expression de leur reconnaissance pour l'excellente discipline que vous avez su maintenir parmi les troupes sous vos ordres, pendant votre séjour à Rennes. De notre côté, nous nous flattons de n'avoir rien négligé pour entretenir cette heureuse harmonie qui doit régner entre deux nations amies. Nous avons eu l'avantage de nous entendre avec vous pour opérer le bien public et vous emportez la gloire bien douce d'y avoir puissamment concouru » [Note : Archives de Rennes. Registre des délibérations du Conseil municipal, D 4/6, folio 111].

Le même jour, le Maire écrivait également au Comte de Tauentzien dans les termes suivants :
« Depuis que nous avons l'honneur de vous posséder dans nos murs, vous avez toujours donné à cette ville des preuves de votre bienveillance. Lors même que Votre Excellence, usant du pouvoir dont elle est investie, a cru devoir prendre des mesures énergiques, elle a toujours tempéré la force par la modération... » [Note : Archives de Rennes. Registre des délibérations du Conseil municipal, D 4/6, folio 111].

En même temps, un placard, apposé sur les murs de Rennes, portait à la connaissance de la population les deux documents que voici :

« DÉPARTEMENT D'ILLE-ET-VILAINE.
Rennes, le 25 septembre 1815. Le Commandant de Place à M. Desvallons, Maire de la ville de Rennes.
J'ai l'honneur de vous remettre sous ce pli le témoignage de ma reconnaissance envers la bonne ville de Rennes. Veuillez en faire faire des affiches le plus promptement possible, et agréez l'assurance de ma considération distinguée ».

« DE UNRUH, major.
Le major de Unruh, qui a l'honneur et le bonheur d'être le commandant de la ville de Rennes depuis le 7 septembre, a, au moment de son départ d'ici, la satisfaction si douce qu'on rende justice à sa bonne et pure volonté ; car sur cela se fonde tout son mérite. Ce n'est qu'avec des hommes si respectables, à qui le bien de la ville de Rennes est confié par le Roi et la Patrie, qu'il a pu parvenir jusqu'à obtenir cette satisfaction, tels que M. le Préfet d'Ille-et-Vilaine, le Comte d'Allonvilie ; le conseiller de préfecture, M. de la Villebrune ; le Maire, M. Desvallons ; ses adjoints ; les membres du Conseil municipal, et le chef si respectable de la Garde Nationale, le colonel Duplessis.
Recevez donc. Messieurs, mes sincères remerciements, et veuillez avoir la bonté d'être l'organe par lequel je fais mes adieux à la bonne et chère ville de Rennes ; c'est elle qui, par les bonnes opinions et par l'attachement au Roi et à la Patrie, m'a rendu agréable ma charge, comme commandant, pendant que les troupes prussiennes l'occupaient. Le plus grand éloignement ne pourrait en diminuer le souvenir.
Rennes, le 25 septembre 1815. Le Major DE UNRUH, Chef de Bataillon au 2ème Régiment de ligne de la Prusse orientale »
[Note : Archives de Rennes : Registre des délibérations du Conseil municipal, D 4/6, folio 111].

A quoi le Maire, ne voulant pas demeurer en reste de politesses, répondait, le lendemain, par cette lettre adressée au Major de Unruh :

« Je reçois avec reconnaissance les adieux touchants et honorables que vous voulez bien m'adresser pour les différentes autorités de la ville. Nous y sommes sensibles, nous en sommes fiers nous aimerons à conserver le souvenir de celui qui nous exprime si bien ses regrets et qui mérite si bien les nôtres. Nos vœux le suivront dans sa patrie. La ville de Rennes, dont il a toujours cherché à soulager les charges, le comptera au nombre de ses bienfaiteurs, et elle n'oubliera jamais qu'un commandant étranger s'est conduit pour elle en chevalier français » ( !...) [Note : Archives de Rennes : Registre des délibérations du Conseil municipal, D 4/6, folio 112].

Ces touchantes effusions officielles sur le cœur des futurs « Boches », qui, depuis..., n'apparaissent-elles pas, à un siècle d'intervalle, de la plus savoureuse bouffonnerie ?

Sans doute l'honorable Maire de Rennes ne put-il s'empêcher de voir encore l'esprit d'un « chevalier français » dans le geste de Tauentzien, relaté par sa lettre du 23 octobre au Curé de Toussaints, à l'occasion d'un incendie survenu à Rennes depuis le départ des Prussiens :

« Le jour même de l'incendie de La Magdeleine. M. le Préfet fit distribuer, de sa bourse, aux malheureux incendiés, une somme de dix louis dont les emplois furent convertis en objets de première nécessité. Il vient de me remettre 260 fr. envoyés de Caen par M. le Général Comte de Tauentzien, pour le soulagement de ces infortunés » [Note : Archives de Rennes : Registre des délibérations du Conseil municipal. D 4/6, folio 116].

Les derniers contingents « amis et alliés » avaient quitté la Bretagne par Louvigné-du-Désert, les 1er et 2 octobre. L'occupation prussienne avait duré en tout 27 jours [Note : Sur l'occupation prusienne en 1815, consulter les intéressantes études de M. Léon Vignols ci-jointes. Voir également Georges Saint-Mleux : L'occupation prussienne en 1815 (« L'Hermine », Rennes, 20 août 1909) ; Kaiserliks en Bretagne (« Le Fureteur Breton », Paris, VII, p. 126, 224, et VIII, p. 20, 63, 116)].

***

Un demi-siècle plus tard, le vent avait tourné. La France, à travers trois régimes successifs, continuait de chercher sa voie. Un nouvel Empire était né des souvenirs et des traditions de l'épopée napoléonienne. Depuis le 2 Décembre, l'Allemand — et surtout le Prussien — avait vu sa cote baisser progressivement à Paris, au point de redevenir bientôt l'ennemi « héréditaire ». Les esprits, travaillés par la presse officieuse, s'échauffaient d'année en année. Waterloo préparait Sedan.

Le second Empire valut à la France une nouvelle invasion germanique, et la Bretagne vit, une fois encore, les armées allemandes d'assez près. L'armistice survenant à point, elles s'arrêtèrent d'ailleurs à ses portes, dépassant tout juste Le Mans, sans atteindre Angers ni Laval. Mais leur approche n'avait pas été sans soulever dans la péninsule une assez vive émotion, stimulée et exploitée par ceux qui, après le 4 Septembre, s'étaient donné pour mission d'organiser la « Défense Nationale » en province.

Sur l'initiative des Préfets, des comités s'étaient formés dans les principaux centres, organisant des réunions, placardant des affiches pour appeler les Bretons aux armes. On s'appliquait surtout à faire vibrer en eux le proverbial attachement au sol natal ; on leur répétait que les barbares Prussiens allaient venir chez eux, non plus comme « alliés », mais comme ennemis sans merci, que des hordes sauvages allaient fondre sur leur pays, enlever leur bétail et leurs récoltes, brûler leurs églises et leurs villages, violenter leurs femmes et leurs filles, réduire leurs cités à la famine, mettre tout à feu et à sang sur leur passage, pour ne laisser après eux qu'un désert.

On affirmait aux Bretons qu'il fallait, pour conjurer ces désastres, se lever « en hommes libres » et courir sus à l'envahisseur qui menaçait leur terre ; qu'ils devaient, « comme ceux de leurs frères qui défendaient les remparts de Paris », prouver « que le sang breton n'avait point dégénéré » ; qu'il importait enfin de se concentrer et de livrer bataille « aux portes de la Bretagne » pour la sauver du déshonneur, du pillage et du massacre.

Et c'est alors qu'on avait pu voir, après les « mobiles », partis depuis longtemps déjà, l'arrière-ban du peuple breton, tous les « mobilisés » des campagnes et des villes, se lever, confiants et résolus, à l'appel d'un chef énergique qui, mandaté par la Délégation de Tours, était venu leur prêcher la nouvelle croisade au cri de : « Dieu et Patrie » !

Car ce chef c'était un homme de chez eux, c'était lui aussi un Breton, c'était M. de Keratry.

J'ai dit en d'autres pages ce qui devait résulter pour notre pays de cette levée de boucliers. C'est le sujet de mon livre, L'Etrange Aventure de l'Armée de Bretagne, qui relate, dans toute sa vérité dépouillée, l'un des plus émouvants épisodes — encore tout proche de nous — de l'histoire du peuple breton.

(Camille Le Mercier d'Erm).

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