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LA CONDUITE DES PRUSSIENS PENDANT L'OCCUPATION EN BRETAGNE EN 1815

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ACTES DE VIOLENCE. ATTITUDE DE LA POPULATION ET DES AUTORITÉS.

Au tome III de son Histoire de la Restauration [Note : 1861, Paris, M. Lévy, 10 in-8°], publiée, comme celle de Vaulabelle, avant la guerre de 1870-1871, et même avant Sadowa, M. de Viel-Castel, que je citerai ici de préférence parce que ses sentiments patriotiques n'ont pas la violence ni son ton l'âpreté de ceux de Vaulabelle, — M. de Viel-Castel apprécie en ces termes la conduite des étrangers en France en 1815 :

« En exposant ce que l'occupation était à Paris, j'ai fait assez pressentir le caractère qu'elle devait avoir dans les autres parties de la France, où les autorités locales ne se trouvant pas protégées [protection d'ailleurs très relative] par la présence du gouvernement, des souverains, des ministres étrangers, étaient peu en mesure de se faire respecter par des chefs militaires souvent durs, avides, enivrés de leur toute-puissance momentanée et affranchis de tout contrôle immédiat. A Lyon, à Saint-Lô, à Senlis, à Auxerre, à Vendôme, à Epinal et dans d'autres lieux encore, ces derniers s'emparèrent des fonds déposés dans les caisses publiques. Dans la plupart des villes ils levaient de fortes contributions, tant en argent qu'en nature, désarmaient les populations et mettaient la main sur tout ce qui était à leur convenance dans les propriétés de l'Etat et des communes [Note : P. 489].

Dans les campagnes, les souffrances des populations étaient plus grandes encore. Aux contributions arbitraires se joignaient souvent le pillage, les violences et les dévastations de toute sorte. A Toury, par exemple, à quelques lieues de Paris, les habitants se voyaient forcés, le sabre dans les reins et à grands coups de fouet, à porter sur leurs épaules le fourrage qu'on leur enlevait... [Note : P. 490. — Rapprocher ce récit de Bourrienne, tome X de ses Mémoires (1829, Paris, Ladvocat, 10 in-8°), pp. 420-421 : « C'était au printemps de 1816... ; allant à Chevreuse, je m'arrêtai au Petit-Bicêtre pour faire rafraîchir mon cheval... Un gros chien rôdait autour de moi en grognant, lorsque j'entendis son maître, vieillard à figure respectable, lui crier : « Veux-tu bien te taire, Blücher ! » — « Quel nom, lui dis-je, donnez-vous donc là à votre chien ? » — « Ah ! monsieur, c'est celui d'un vilain m... qui nous a fait bien du mal l'an passé. Vous voyez ma maison, il n'y a plus que les quatre murs. Les sales gueux de Prussiens ne m'ont rien laissé. On nous disait qu'ils veniont pour notre bien ; mais qu'ils y reviennent ! Je suis vieux, mais mes enfants et moi nous les traquerons au coin des bois comme des sangliers... » — Je parcourus le modeste asile de ce brave homme et j'y vis les traces des plus violents excès. Et cet homme avait encore les larmes aux yeux en me racontant ses désastres »].

Les Russes [Note : Sauf les Cosaques, qui étaient à cette époque une troupe mal disciplinée et même un peu sauvage], les Autrichiens [Note : La modération des Autrichiens fut très relative. Voir par exemple à ce sujet la brochure de Tiersot : La Restauration, dans le département de l’Ain. L’nvasion. Les cours prévôtales. 1884, Paris, Champion, in-8° de 79 pp. Pp. 8, 21, 69 à 70], firent preuve d'une modération au moins relative ; les Anglais donnèrent à peine lieu à quelques plaintes ». Quant aux Allemands, « de même qu'aux époques où ils combattaient sous les drapeaux de la France les contingents de ces petits Etats avaient eu la principale part aux pillages qui rendirent si odieuses à l'Europe les invasions françaises. Maintenant…. ils rendirent à la France le mal qu'ils avaient infligé en son nom à d'autres pays. Les Prussiens, malgré le mauvais vouloir dont ils étaient animés, les égalaient à peine dans leurs déprédations… [Note : Pp. 490-491].

Ce qui caractérisait d'ailleurs les Prussiens…, c'est qu'il était impossible de n'y pas reconnaître la volonté préméditée d'opprimer et d'humilier leurs anciens vainqueurs ». Ils disaient qu'ils payaient de retour ce qu'on leur avait fait et le peu de ménagement dont on avait usé envers leurs fonctionnaires [Note : P. 491].

L'empereur Alexandre, aussitôt après la bataille de Waterloo et la reddition de Paris, s'était empressé de donner contrordre aux armées de réserve déjà mises en mouvement pour renforcer les 200,000 soldats qui venaient de passer le Rhin. Il n'entrait pas dans sa politique d'écraser et d'épuiser la France ; mais la plupart des souverains alliés ne suivirent pas son exemple... [Note : Pp. 492-493].

Un témoin oculaire, étranger, d'une nation ennemie de la France, apprécie avec une sévérité particulière la conduite des Prussiens et des Allemands :

« Les Prussiens devinrent... l'objet de l'exécration nationale. Les Wurtembergeois, les Badois, les Bavarois, n'étaient pas plus détestés » [Note : Miss H. M. Williams : Relations des événements qui se sont passés en, France depuis le débarquement de Napoléon Bonaparte au 1er mars 1815, jusqu'au traité du 20 novembre.... Traduit et annoté par Breton de la Martinière. 1816. Paris, Dentu, in-8° de XVI+320 pp. — P. 269].

Nous allons voir si dans l'Ille-et-Vilaine les Prussiens ne justifièrent pas les appréciations de Miss Williams et de Viel-Castel.

Un journal de Rennes, qui dans ces derniers mois a rapporté trois ou quatre anecdotes intéressantes relatives au séjour des Prussiens, — la Dépêche bretonne, dans son numéro du 27 avril 1893, insérait un récit assez curieux. Je le reproduis malgré ses erreurs, que je relèverai en note (du reste on m'a garanti seulement l'exactitude relative de ces souvenirs) :

« Les troupes prussiennes arrivèrent à Rennes par différents endroits [Note : Elles avaient suivi la route de Fougères, mais avaient dû se diviser pour l'entrée à Rennes]. Celles qui vinrent par le faubourg de Nantes s'arrêtèrent à l'entrée du faubourg, où un général vint les reconnaître. Devant l'auberge de la Croix-Robert se trouvait un petit perron qui a été démoli il y a quelques années seulement. L'aubergiste, en apercevant le général prussien sur la route, l'invita à venir s'asseoir sur le perron de sa maison pour voir défiler... Le général accepta et aussitôt un cordon de troupes entoura la maison. L'auberge de la Croix-Robert fut ainsi protégée, tandis que toutes celles du voisinage furent envahies par les soldats prussiens, qui se firent servir à boire et à manger sans bourse délier...

Les officiers allemands avaient laissé des postes sur toutes les hauteurs de la route qu'ils venaient de parcourir, avec ordre aux troupes d'allumer des feux la nuit…

La plus grande partie des troupes fut logée dans la caserne [Note : Aucune partie des troupes ne fut casernée, les casernes étant « trop petites et trop incommodes » (voir par ailleurs) et les Prussiens trouvant sans doute plus commode et plus agréable de loger chez l'habitant] appelée Salle-Verte, qui se trouvait à l'entrée du Mail, en face de l'hospice des Incurables. Les « hussards de la mort, » eux, étaient logés derrière la rue Nantaise, [à l'endroit] où est aujourd'hui le quai Saint-Cast. Ces hussards étaient habillés de noir et avaient sur leur coiffure, sorte de schapska, une tête de mort et deux os en croix. Ces insignes se retrouvaient également sur leurs guidons et leurs gibernes.

Le chiffre des Prussiens qui occupèrent le département s'éleva à plus de 30,000 [Note : 33,500 et 7,800 chevaux (Voir par ailleurs)] et à, un moment il y en eut à Rennes plus de 20.000 [Note : Erreur. Si l'auteur veut bien se reporter aux itinéraires du 6ème corps à l'arrivée et au départ (Arch. d’Ille-et-Vilaine, Z 348 et Z 350), il constatera qu'à, aucun « moment » il ne put y avoir à Rennes, en y joignant même la banlieue, plus de quelques milliers d'hommes (voir par ailleurs) et non pas 20,000 (sur 33,000 !)]. Leur séjour chez nous fut de deux mois [Note : Autre erreur. En prenant les dates extrêmes, on voit (mêmes itinéraires) qu'il s'écoula seulement 27 jours entre le commencement (entrée de la 23ème brigade par Vitré et Fougères, le 5 septembre) et la fin (sortie de cette même brigade par Louvigné-du-Désert, les 1er et 2 octobre) de l'occupation prussienne de l'Ille-et-Vilaine. — Pour Rennes, les premiers Prussiens y arrivèrent le 9 septembre (voir par ailleurs) et les derniers en partirent le 29 du même mois, à sept heures du matin (Arch. de Rennes, registre des délibérations du Conseil municipal, D 4/6 à r°), ce qui porte à vingt jours à peine le maximum de l'occupation de notre ville. J'avais raison, au début de cette étude, d'exprimer ma défiance à l'égard de la tradition, même écrite] environ.

Chaque soir vers huit heures, avant la retraite, le poste de grand'garde qui se tenait à l'Hôtel-de-Ville sortait sur la place, et un pasteur protestant, qui remplissait les fonctions d'aumônier, récitait la prière. Après cela, la retraite s'effectuait par les rues, et l'on voyait une compagnie, la bayonnette croisée, précédant les tambours, et derrière ceux-ci des uhlans portant la lance la pointe tournée en arrière ».

Le second article que j'ai à citer provient d'une autre source que le précédent. Il est plus important, et son auteur, par lettre particulière, m'en a affirmé et prouvé l'authenticité, en me donnant les noms des deux personnes françaises [Note : Je n'ai pas été autorisé à donner leurs noms ; mais je ne crois pas être trop indiscret en nommant l'auteur de l'article, M. Orain, le sympathique administrateur de la Dépêche bretonne] qui furent victimes de cette abjecte facétie prussienne. Voici l'anecdote parue dans la Dépêche bretonne du 13 janvier 1893 :

« En 1815... des hordes prussiennes traversèrent [Note : Contrairement à l'auteur de l'article transcrit précédemment, M. Orain croyait que les Prussiens avaient fait en Bretagne une simple apparition. C'est du reste la croyance générale. Presque tous les Rennais auxquels j'ai parlé de cette occupation m'ont répondu : « Ah oui ! les Prussiens sont venus, mais ils n'ont guère fait que passer. Il ne doit pas y avoir grand chose à ce sujet et ça ne doit pas être bien intéressant »] notre Bretagne. Un détachement passa [Note : Bain dut être occupé, du 9 au 23 septembre, par une partie de la 21ème brigade, dont le général (Larische) occupa Redon. De plus, il y passa, le 26, la partie principale de la 23ème brigade (général de Horn), qui revenait de Nantes (Voir les itinéraires par ailleurs)] par Bain, et un général [Note : Ce devait être le général de Horn ou le général Larische (Voir la note précédente)] fut logé à l'hôtel de la Croix-Verte.

Un matin il fit dire par son ordonnance à la maîtresse d'hôtel de monter dans sa chambre, avec des ciseaux, pour lui couper les ongles des pieds.

Comment refuser d'obéir à ces brigands, qui parlaient en maîtres ? Toute tremblante, la pauvre femme monta dans la chambre du général, mais suivie de son mari qui, armé d'une hache, resta derrière la porte, bien décider à trancher le cou du polisson s'il se permettait la moindre inconvenance. Heureusement pour lui, le Prussien se contenta de présenter les pieds à la jeune femme sans prononcer une parole ».

Dès le 10 septembre, le maire de Rennes écrivait au « commissaire de la police prussienne : M. le major, — j'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai fait conduire de suite en prison le paysan que vous m'avez envoyé. Veuillez bien croire que je ne manquerai aucune occasion de concourir avec vous au maintien du bon ordre. Je ne souffrirai pas qu'aucun Français insulte ou frappe impunément un Prussien. Mais permettez-moi, M. le major, de vous faire observer que, d'après plusieurs dépositions qui se sont présentées sans que je les cherchasse, il paraîtrait que le paysan accusé aurait reçu des coups avant de se défendre. Dans tous les cas, il a eu tort ou d'attaquer ou de vouloir se faire justice lui-même, et il sera puni selon nos lois... » [Note : Arch. de Rennes ; registre des délibérations du Conseil municipal D 4/6, 109 v°].

Le même, six jours plus tard, écrivait au procureur du roi : « Depuis plusieurs jours l'autorité militaire prussienne retient ici, au corps de garde du grand poste de la place, un Français et sa femme, domiciliés à Versailles et établis depuis trois mois à Saint-Germain-en-Laye. Ils sont prévenus de délits envers des militaires prussiens. La municipalité de Rennes leur fait délivrer des vivres, mais ce ne saurait être aussi commodément pour elle ni pour eux que s'ils étaient déposés dans une de nos prisons... J'ai demandé en vain qu'ils y fussent transférés…. J'espère, Monsieur, que vous serez plus heureux dans la même demande... ». Il faudrait aussi « provoquer le jugement des individus français détenus depuis 6 à 8 jours à la maison d'arrêt sur la demande de l'autorité prussienne... » [Note : Même registre, 110 r°]. Aucune suite ne fut donnée à ces deux lettres.

Les actes de rigueur de l'autorité prussienne étaient d'autant moins justifiés que, — si l'on excepte les pays frontières de l'Est, — les étrangers ne subissaient aucune provocation, ne rencontraient aucune résistance. Voici les deux ou trois seules tentatives contre eux dans l'Ille-et-Vilaine.

1° Le 21 septembre, était affiché sur les murs de la ville cet ordre du général Tauentzien, dont le premier alinéa est une série de mensonges :

ORDRE DE DÉSARMEMENT

LE COMTE DE TAUENTZIEN — WITTENBERG.

COMMANDANT DU 6ème CORPS DE L'ARMÉE PRUSSIENNE.

AUX HABITANTS DE LA VILLE DE RENNES.

Je suis arrivé dans votre ville avec l'ordre de traiter les habitants comme les sujets d'une Puissance amie du Roi mon maître. Je n'y ai manifesté que l'intention de maintenir la tranquillité la plus parfaite.

La discipline la plus exacte a été observée par les troupes sous mes ordres. Vous le savez tous, habitants de Rennes, aucune plainte n'a été portée ni à moi ni aux chefs de l'administration française contre aucun de mes soldats.

Cependant des individus domiciliés dans vos murs se sont armés dans des intentions hostiles ; des coups de fusil se sont fait entendre dans des lieux occupés par les troupes prussiennes, dans le dessein de compromettre la tranquillité de la ville. — Je ne puis sans faiblesse laisser entre les mains d'hommes qui montrent l'intention d'en abuser, des armes dangereuses. Je donne donc l'ordre, en vertu des pouvoirs qui me sont confiés, à tout individu possesseur ou détenteur d'armes à feu quelconques et de toutes autres armes de guerre, de les apporter, dans la journée, à l'Hôtel-de-Ville, et de les remettre au maire ou à un de ses adjoints. J'excepte seulement de cette remise les habitants armés depuis le 27 juillet dernier, dans la garde nationale [royaliste] dont je connais le bon esprit.

Je préviens que si la remise entière des armes n'est point faite, et que l'ordre que je donne ne soit pas exécuté dans toute son étendue, avant huit heures du soir de ce jour, — une visite sera faite dans toutes les maisons de la ville, par le directeur de la police de l'armée, accompagné d'un des adjoints de M. le maire, — et que tout homme qui n'aura pas satisfait aux dispositions du présent arrêté, et chez lequel seront trouvées des armes, sera saisi sur-le-champ et jugé selon toute la rigueur des lois militaires comme perturbateur du repos public. Les malintentionnés me sont déjà connus, je les rendrai personnellement responsables de l'inexécution de mes ordres.

S'il se renouvelait des tentatives pareilles à celles qui ont été faites depuis deux jours, je serais obligé, d'après mes ordres, de me porter à des extrémités très fâcheuses, que la mesure moins rigoureuse que je prescris a pour but de prévenir.

LE GÉNÉRAL COMTE TAUENTZIEN.

A mon quartier général à Rennes, le 21 septembre 1815 [Note : Grand placard imprimé (Rennes, Mme veuve Front, imprimeur-libraire). — Cette pièce importante m'a été obligeamment communiquée par un de mes collègues de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, M. l'abbé Robert, prêtre de l’oratoire de Rennes. — Cf. Arch. de Rennes ; reg. des délibérations du Conseil municipal, D 4/6 110 v°].

Ducrest-Villeneuve, historien rennais, a fait allusion à cette velléité de résistance, d'après le récit d' « un vieux soldat de Napoléon » [Note : Album breton,. Souvenirs de Rennes. 1841, in-4°, lithographie Landais, gravures de H. Lorette, texte de E. D. V. [Ernest Ducrest-Villeneuve]. Je ne transcris pas ce récit parce qu'il me paraît arrangé par Ducrest-Villeneuve. Il en a reproduit la fin dans son Histoire de Rennes, pp. 516-517].

2° Le 29 août, le comte de Kerespert, sous-préfet de Fougères, écrit à M. d'Allonville en lui adressant un procès-verbal du commissaire de police de Fougères. Il s'agit là surtout d'une menue affaire de politique intérieure, mais le sous-préfet ajoute que l'un des délinquants nommé dans le procès-verbal, Jean Poupard, « se permit de jeter un verre de vin à la figure d'un des dragons prussiens, qui dit que s'ils étaient seulement cent hommes ils mettraient la ville au pillage ». — En haut de cette lettre et d'une autre main, ces mots : « Presser la punition des trois hommes nommés » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 8 M 2 ; petit dossier spécial, de 3 pièces].

Enfin, le 3 octobre, le préfet d'Ille-et-Vilaine écrivait au général de Lobenthal, alors à Caen : Le soldat Schilke, blessé par accident d'un coup de feu, à Hédé, est mort à l'hôpital militaire de Rennes. Je vous envoie son acte de décès. Les plus grands soins ont été pris par le chirurgien « et moi-même je me suis fait rendre compte chaque jour [!] de sa situation…. Je ne perdrai pas de vue l'engagement contracté par le sieur Luczot, père » du meurtrier, « envers la famille du défunt » [Note : Arch. d' Ille-et-Vilaine, 10 R 1].

En l'absence de toute pièce annexe, il est impossible de savoir si cet « accident » n'était pas en réalité quelque fait de vengeance privée donné ensuite, faute de preuves, comme un simple accident. Quoi qu'il en soit, ce fait et les deux précédemment rapportés sont les seuls griefs des Prussiens pendant l'occupation de l'Ille-et-Vilaine. On peut tenir pour bien certain que s'ils avaient eu d'autres sujets de plainte ils n'auraient pas manqué d'en écrire à l'administration départementale municipale; et alors il en serait resté des traces.

Le dossier à la charge des envahisseurs de notre département est bien autrement chargé. J'en ai déjà rapporté plus d'une preuve, mais voici une série de témoignages qui achèveront d'édifier le lecteur. Tous sont tirés d'un dossier spécial de Plaintes, dossier de la liasse cotée Z 350 [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine. — Je laisse de côté une très brève et très timide plainte du maire de Saint-Georges-de-Grehaigne (au sous-préfet de Saint-Malo, 12 septembre), qui représente que « les étrangers font bien du train » et qui signe : Boucan. (Arch. d'Ille-et-Vilaine, Z 349)].

Le 14 septembre, Morel, maire de Baguer-Morvan, écrit au brigadier de gendarmerie de Dol : Le détachement prussien passé hier ne s'est pas contenté des rations convenues. « Les habitants ont fait tout leur possible pour y ajouter tout ce que leurs facultés leur permettent ; mais j'ai le désagrément de vous informer que ces troupes, au lieu de reconnaître nos bons procédés à leur égard, ont au contraire exercé plus de violences. Ils ont maltraité plusieurs habitants et commis des vols, — particulièrement dans la maison du sieur Laurent Manet, chez lequel ils ont enfoncé les armoires et pris ce qu'ils ont trouvé de ..... [Note : Un mot illisible, probablement monnaie] et papiers. Enfin j'ai moi-même à me plaindre d'avoir été frappé par un des officiers sans aucun sujet ».

Le maire du Mont-Dol, le même jour, « rapporte que les Prussiens se sont très mal comportés dans leurs logements, principalement chez M. le maire, qui a été battu par Monsieur le sieur capitaine [sic], ainsi que plusieurs autres habitants. Le nommé Mathurin Leprou a été forcé de fournir 60 raseaux [Note : Soit environ 10 hectolitres] d'avoine, par plus de 30 cavaliers prussiens, ce qui est à la connaissance de M. le maire et [de] plusieurs. habitants du Mont-Dol. La nommée Perrine Leviveret, veuve André Lebreton, a été volée de 18 à 20 écus. Ils ont enfoncé ses armoires, ont pris un pantalon de nankin. Plusieurs autres habitants ont été volés de même et maltraités ». Une lettre de Gorjon, brigadier de gendarmerie à Dol, « à M. Leroy, lieutenant, membre de la Légion d'honneur, commandant la gendarmerie de l'arrondissement de Saint-Malo » est plus significative encore : « ... J'ai l'honneur de vous informer qu'une partie des troupes alliées qui ont logé dans différentes communes se sont très mal comportées, particulièrement dans celle de Roz-Landrieux, où M. le Maire a été obligé de se sauver à Dol , ayant été battu par des sous-officiers, ainsi que plusieurs habitants qui [ont] été battus et pillés. J'ai été obligé de donner hier deux gendarmes à ce maire, pour rentrer chez lui.

A Carfantan, ces militaires ont commis beaucoup de désordres, en battant et pillant les habitants.

Je vous envoie les rapports qui ont été remis aux gendarmes que j'ai envoyés dans les communes du Mont-Dol et Baguer-Morvan. Vous y verrez que des officiers de cette troupe ont frappé MM. les maires. Cela vous donnera une idée de ce qu'ont pu faire les simples soldats.

... Je vais faire de fréquentes tournées... et vous rendrai compte... des désordres que pourront causer les troupes alliées ». J'en rendrai compte aussi « à leurs chefs... — Encore tout n'est que verbal ; MM. les officiers supérieurs ne veulent rien donner par écrit ».

Le rapport qui précède est du 15 septembre. Le lendemain, Joseph Pasquier, maire de Dol, écrivait à Le Corvaisier, maire de Combourg : « Mon cher confrère et bon ami, — je ne puis t'envoyer le nommé Clément, qui a servi de guide à l'officier de lanciers de Dol à Meillac, le 13, parce que cet homme est tellement meurtri et mutilé des coups qu'il a reçus, qu’il ne peut bouger... On força Clément de marcher à pied ; mais on trouva, à une demi-lieue de Dol, un blâtier de Hirel [Louis Trigory] s'en retournant sur son cheval sans chargement. L'officier lancier le força de céder sa monture à Clément, et comme ce cheval n'allait pas aussi vite que celui des lanciers, l'officier lui administra plusieurs coups de sabre qui ne sont encore que trop visibles... Si M. l'officier de lanciers... m'eût prévenu à temps, » je lui aurais fait tenir prêt un guide avec un cheval, « mais ce fut à l'instant du départ que l'on me demanda un guide... sans écouter la proposition... de tarder un moment et que j'allais faire donner un cheval à cet homme... — Il faudrait que tu entendisses Clément ! ».

Flaux, adjoint au maire d'Epiniac et Saint-Léonard, écrit au sous-préfet de Saint-Malo, le 18 septembre : « ... C'est le mardi 13 septembre que les Prussiens sont arrivés à Epiniac et Saint-Léonard, sur les 11 heures du matin, au nombre de 800 hommes ». Ils voulurent rester dans les deux bourgs, « où ils logèrent par vingtaine, trentaine et quarantaine. Outre la quantité de nourriture qui leur était due, ils ont pris et mangé tout ce qui leur faisait plaisir et battaient impitoyablement tous ceux qui ne pouvaient leur fournir ce qu'ils demandaient. Lors de la distribution des vivres à Epiniac, le maire a reçu un coup de couteau dans la poitrine, dont il ne fut heureusement que légèrement touché, l'ayant évité de son mieux ». Pour moi qui faisait la distribution à Saint-Léonard, « j'ai vu le sabre levé plus de cinquante fois sur ma tête, et je ne l'ai évité qu'en fuyant. Deux aides, qu'ils prirent pour le maire, ont été battus...

Il n'y a peut-être pas un seul habitant qui n'ait été battu... ou volé ». Mme de la Nourais logeait l'état-major, à Saint-Léonard. « Ils lui ont bu son vin, son cidre, pris plusieurs effets et jusqu'à un lit complet ». Un grand nombre d'habitants « ont perdu de l'argent, des draps de lit, des chemises, etc., etc. Enfin on ne peut évaluer la perte sur les deux communes à moins de 3,000 à 4,000 francs... — Malgré tout le désordre... le maire a été forcé de leur donner un certificat de bonne conduite et ils lui ont remis en échange un certificat de 400 rations. Ceux de Saint-Léonard sont partis de nuit et n'ont donné ni reçu aucun papier ».

En réponse évidemment à une mise en demeure de préciser encore sa plainte, le même adjoint écrit, le 20, « à M. le commandant de l'étape des troupes de S. M. prussienne, à Dol » une lettre intéressante malgré sa tournure timide et embarrassée : Le billet de logement de « MM. les officiers » pour le château de la Ville-Houët, à Mme de la Nourais, billet qui me fut remis par « MM. les fourriers » portait que Mme de la Nourais logerait pendant un jour : « 5 officiers, 9 domestiques ; 2 sergents-majors, 2 domestiques ; 2 docteurs, 2 domestiques ». Soit 22 hommes, avec 9 chevaux. Les 6 fourriers logèrent chez le curé. « Dans la basse-cour [sic !] de Mme de la Nourais, chez son fermier il y avait... 29 hommes.

Pour la compagnie, je ne sais quel est son numéro... — Je ne peux non plus rien dire au sujet de la physionomie de MM. les officiers et fourriers..., car à peine on m'avait introduit dans leur salle qu'on m'en faisait sortir à grande hâte.

J'ai l'honneur de faire observer à M. le commandant que la petite commune de Saint-Léonard n'est composée que de 40 ménages ou maisons, et que le plus pauvre logeait 4 hommes et les plus aisés jusqu'à 40 ».

Du Petit-Thouars essaya de faire donner suite à cette plainte ; mais après un simulacre d'enquête, Wrangel lui répondit, d'ailleurs avec une grande affectation de politesse, une lettre insolente au fond, où il avançait que peut-être « le vol dont il est question a été fait par des paysans mêmes ». Et il ajoutait, bien que sachant sûrement d'avance à quoi s'en tenir : « J'ai été informé de bonne part de ce qu'on a répandu pendant la présence de S. E. le général en chef, des billets incendiaires contre nous dans la garnison. Je le regarderais [sic] comme une preuve très précieuse de votre amitié, Monsieur le sous-préfet, si vous voudriez [sic] me procurer un de ces billets pour en faire la lecture » [Note : Lettre écrite de Dinan, quartier général de Wrangel, le 27 septembre].

En marge de la lettre de Wrangel : « Répondu le 1er octobre suivant ; envoyé un des écrits trouvés et donnés. Ces écrits étaient des feuilles répandues dans les trois mois de l'usurpation [lisez : pendant les Cent-Jours] et qu'on avait jetées aux latrines. Des soldats qui ont pénétré dans le jardin du sous-préfet ont pris cet écrit ».

Dès 1815 les habitants de l'Ille-et-Vilaine devaient être fixés sur la valeur de la « délicatesse allemande, » de la « douceur allemande, » de « l'honnêteté allemande ».

Et pourtant j'ai laissé de côté plusieurs plaintes d'importance secondaire [Note : Voir par exemple la lettre du maire de Pleine-Fougères à son sous-préfet ; 7 octobre ; celle du maire de Combourg au même, 6 novembre ; celle du maire du Mont-Dol au même, 2 juillet 1816]. Et telle plainte, écrite, ne fut pas envoyée. Le 12 septembre, M. d'Allonville écrit au chef d'état-major prussien : Le maire de Thorigné m'expose que deux de ses administrés, Pierre Sorel et Joseph Touchais, requis pour conduire les bagages d'un lieutenant du 10ème régiment de volontaires hussards prussiens, ont dû, après trois jours de marches forcées, abandonner leur voiture avec les quatre chevaux qu'ils y avaient attelés. « Ces animaux excédés de fatigue ne pouvaient plus marcher, et les hussards prussiens les accablaient de coups ainsi que les voituriers eux-mêmes » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 10 R. 1].

Il fallait donc une voiture à quatre chevaux pour traîner les bagages d'un simple lieutenant ! Il n'est pas surprenant que chaque officier prussien eût besoin de deux domestiques (voir plus haut la seconde lettre de l'adjoint de Saint-Léonard).

Du reste une note en marge constate que le préfet n'expédia pas cette lettre de plaintes. Il jugeait sans doute, dès lors, toute réclamation bien inutile ; et il avait raison.

Mais ce qui n'était pas raisonnable, c'était de retirer en quelque sorte des plaintes légitimes et d'en demander pardon aux Prussiens, comme le firent Florent Thierry, maire de Lanhelin, et Defrance (ou de France), maire de Pleugueneuc [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, Z 350]. Le premier termine ainsi sa longue lettre autographe, au maire de Combourg (16 septembre) : « Vous me ferez plaisir de joindre la présente à votre réponse à M. le général, en l'assurant que les Français confiés à mes soins verront toujours les Prussiens comme les alliés de notre monarque ». — Le second écrit le même jour et à la même personne : « … Divers particuliers m'ont, après le départ [des Prussiens], porté des plaintes. Je leur ai assuré qu'une autre fois cela n'arriverait pas et ils se sont retirés sans désirer poursuivre leur plainte. Alors veuillez assurer pour moi M. le général que ma commune se désiste de toute plainte et que je désire, comme bon serviteur de mon roi, avoir son amitié, et que j'aurai au premier jour l'honneur de lui offrir moi-même mon respect ».

Certes, quand des étrangers sont campés sur le sol de la patrie et que la paix est faite ou que d'une autre façon la lutte est devenue impossible, un des premiers devoirs d'un fonctionnaire est d'être fort circonspect à l'égard de ces étrangers ; c'est aussi d'inviter, d'obliger au besoin ses administrés à observer la même attitude. Mais il a le devoir non moins impérieux, même dans une bourgade perdue, de faire tout le possible pour sauvegarder en sa personne la dignité nationale. L'attitude de Florent Thierry et de Defrance n'était point du tout de la réserve, c'était du prosternement.

Mais ces deux personnages pouvaient s'excuser (triste défaite !) en disant qu'ils réglaient leur attitude sur l'attitude officielle de presque toutes les autorités. En province, comme à Paris, les étrangers rencontraient presque toujours la même platitude ; la presse officieuse et officielle, le Moniteur en tête, ne cessaient de chanter leurs louanges. Si attristant que soit ce sujet, je vais être obligé d'en parler, textes en main, à propos du départ des Prussiens de l'Ille-et-Vilaine.

(Léon Vignols).

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