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LA CONDUITE DES PRUSSIENS EN BRETAGNE EN 1815

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TENTATIVE D'ENLÈVEMENT DE TABLEAUX DU MUSÉE DE RENNES, PAR EUX, PAR LES BELGES, ETC.

J'ai trouvé quelque part, à propos de la méthode historique actuelle, cette boutade ; je cite de mémoire et ne garantis aucunement la forme : Nos « érudits, » qui rangent et cataloguent et doctement commentent avec un imperturbable sang-froid leurs « textes inédits, » me font songer à ces braves gens si calmes, si paisibles, si placides, qui, avec de petites épingles, piquent des petites bêtes dans de petites boîtes, insoucieux du monde et de ses révolutions, impassibles à l'égal du juste d'Horace, mais un peu agaçants à regarder, à la longue : jamais d'enthousiasme ni de colère ; parfois un léger sourire, une grimace plus fugitive encore. — Piquez, cataloguez, mais, pour Dieu ! soyez en colère !

Eh bien, non, pas de courroux ! Par enthousiasme ou par colère, nos historiens ont parfois faussé leurs épingles, détérioré leurs échantillons... Pardon ! je voulais dire que sous l'influence de la passion ils ont mal interprété des textes — insuffisants, d'ailleurs, — et porté des jugements incomplets ou erronés. — C'est surtout quand il s'agit de faits ou de personnes pour lesquelles nous éprouvons décidément tout autre chose que de la sympathie, qu'il faut « cataloguer » des textes et tâcher de les commenter froidement. — J'essayerai d'agir ainsi quant à la conduite des Prussiens cantonnés dans notre département en 1815.

Et d'abord, signalons impartialement deux faits à l'honneur de quelques-uns d'entre eux.

Le Moniteur du jeudi 21 septembre 1815 [Note : P. 1043, 2ème et 3ème colonnes] publiait la correspondance suivante, datée de Rennes et du 15 septembre :

« Deux militaires prussiens sont parvenus à sauver la vie au nommé Charles Quendray, d'Iffendic, garde de voitures au Puits-Maugé, lequel était tombé dans la Vilaine. Ces deux soldats sont les nommés Gratz et Schmidt, tous les deux du 2ème régiment d'infanterie de la Prusse orientale. M. le préfet a exprimé des remerciements, au nom de ses concitoyens, à M. le général de Lobenthal, pour ces deux braves et généreux militaires ; il a fait connaître leur belle action à S. E. le ministre de l'intérieur. Le premier qui s'est jeté à la nage sans hésiter a beaucoup risqué pour sa vie ».

D'autre part, je relève, dans les délibérations du Conseil municipal de Rennes, à la date du 23 octobre 1815, cette lettre du maire à M. Poisson, curé de Toussaints : « Le jour même de l'incendie de la Magdeleine, M. le préfet fit distribuer, de sa bourse, aux malheureux incendiés, une somme de dix louis dont les emplois [sic] furent convertis en objets de première nécessité. Il vient de me remettre les 260 fr. envoyés de Caen par M. le général comte Tauentzien pour le soulagement de ces infortunés ; plus la somme de 100 fr. offerte par les francs-maçons de Rennes pour le même objet... » [Note : Registre D4/6, f° 116, v°].

Mais que d'actes à la charge des étrangers !

L'affaire des tableaux du Louvre et l'allusion de Béranger à ce « vol fameux » sont restées célébres. « On ne se contenta pas d'enlever des tableaux dont la possession nous était acquise en vertu de traités reconnus par toute l'Europe, on en prit un assez grand nombre que les pouvoirs de la République et le gouvernement impérial avaient achetés à deniers comptants » [Note : Vaulabelle, op. cit., III, 374]. « Talleyrand argua sans suces du fait… qu'il n'y avait rien de stipulé à cet égard dans le traité de Paris.... » [Note : Dareste, op. cit., IX, 110].

Ce qui paraît ignoré, ce sont les enlèvements ou tentatives d'enlèvement de tableaux du musée de Rennes et probablement d'autres villes de province.

Le 8 octobre 1815, M. d'Allonville écrivait au maire de Rennes : « S. M. a autorisé la restitution au roi de Prusse des tableaux provenant de ses États sur la rive gauche du Rhin. L'un de ces tableaux, représentant l'Adoration des Bergers, imitation de Rubens, par Quellinius [Note : Jean Erasme Queyllin (Anvers, 1629-1715)], a été envoyé de Paris au musée de Rennes. Je vous prie, Monsieur le maire, de faire encaisser ce tableau et de l'expédier sans retard à l'adresse de M. le directeur général du Musée royal, à Paris. Vous voudrez bien arrêter le mémoire des frais et le faire suivre avec la lettre de voiture. Le tout sera acquitté à Paris par M. d'Aldenstein, ministre de Prusse… » [Note : Arch. de Rennes ; dossier relatif au musée de peinture].

Le 21 du même mois, le maire avisait M. d'Allonville que ce tableau avait été expédié dès le 15 ou le 16 [Note : Arch. d' Ille-et- Vilaine, 2 T, 22].

Mais, à de nouvelles revendications, il semble que les administrations préfectorale et municipale, et probablement le directeur du musée (Logerot), opposèrent heureusement une grande force d'inertie. Le 15 février 1815, Lavallée écrivait au préfet d'Ille-et-Vilaine : « Le 6 novembre dernier j'ai eu l'honneur de vous mander qu'en conséquence des ordres qui m'avaient été donnés par M. le comte de Prades, directeur général du ministère de la maison du roi, j'avais été autorisé à désigner aux commissaires belges les villes des départements du royaume où, par ordre du dernier gouvernement, il avait été envoyé des tableaux provenant des Pays-Bas. Je vous prévenais de même, M. le préfet, que l'intention du roi était que l'on n'opposât aucune résistance à leur enlèvement s'il se présentait des commissaires pour les reprendre. Je vous transmis alors une note des tableaux qui pouvaient vous être redemandés.

De nouvelles réclamations des puissances, et l'obligation de régulariser d'une manière positive et uniforme la restitution de ces tableaux, ont déterminé M. le comte de Prades à me charger de faire revenir à Paris non seulement les tableaux de la Belgique mais encore ceux qui proviennent des Etats italiens, de l'Autriche, etc., etc., qui sont réclamés... Veuillez, je vous prie, faire apporter à ce travail la plus grande célérité. ... » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 2 T, 22].

En haut de cette lettre, cette annotation de la préfecture : « Tableaux demandés. — M. Bourdais fera faire cet envoi le plus secrètement possible. — Écrire à M. le maire de Rennes. — Répondre promptement ».

Malgré cette note, c'est seulement le 24 que le préfet transmet au maire l'ordre de M. de Prades [Note : Arch. de Rennes ; dossier du musée de peinture]. Peut-être craignait-on que le départ de ces tableaux n'excitât le mécontentement public ; c'est ce que paraît indiquer la recommandation d'agir « le plus secrètement possible ». Du reste, M. d'Allonville, dans sa lettre au maire, l'invitait à « faire encaisser et emballer le plus promptement possible » les tableaux dont il lui envoyait la liste. Ces peintures comptent parmi les plus belles oeuvres de notre musée :

Il n'y avait pas longtemps que ces œuvres d'art étaient à Rennes, comme le prouve une pièce du 18 mai 1814 (dossier cité) : « Je m'empresse, Monsieur, de vous adresser l'état des tableaux envoyés par la direction du musée à M. le maire de la ville de Rennes pour être placés dans le musée de cette commune… » — On retrouve là, en effet, nos sept peintures avec les mêmes provenances sus-indiquées (sauf la peinture de Heemskerk, sans indication de provenance). On y trouve aussi l'indication du tableau précédemment réclamé par les Prussiens, celui de Queyllin, avec ses dimensions (10 pieds sur 7) et sa provenance : Belgique, et non pas Allemagne [Note : C'est le mariage de l'Electeur de Brandebourg avec la princesse fille de Frédéric-Henri, prince d'Orange. N° 134 du musée de peinture]. Donc les Prussiens n'avaient aucun droit sur cette œuvre.

Tandis que l'on atermoyait à Rennes, à Paris on s'impatientait de ces lenteurs. Toujours zélé pour remettre nos œuvres d'art aux étrangers, le comte de Prades écrivait à M. d'Allonville, le 23 février 1816 : « … Je crois devoir moi-même vous informer des intentions de S. M. sur ce point, afin d'accélérer, autant que possible, la remise de ces tableaux. Les frais auxquels cette opération devra donner lieu seront acquittés sur les fonds de la couronne [!]…. » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 2 T, 22].

En haut de cette lettre et d'une autre main, ces mots : « Recommandée à M. Bourdais, qui répondra promptement à M. le comte de Prades ». Mais M. Bourdais ne mit aucune promptitude à répondre…. et une lettre de M. de Vaublano, ministre de l'intérieur, vint changer la situation : « Je suis instruit, » disait M. de Vaublanc au préfet (5 mars) « que M. le secrétaire général du musée de Paris [M. de Prades] a écrit à plusieurs préfets pour demander la remise des tableaux qui avaient été précédemment donnés aux départements. Il est possible que vous ayez reçu une invitation de ce genre, mais je vous prie d'attendre une autorisation de ma part avant de rien faire à ce sujet. Les musées des villes du royaume sont dans les attributions de mon ministère et rien n'en doit être distrait sans ma participation… » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 2 T, 22].

Le 11 mars, M. d'Allonville invite le maire à suspendre l'envoi des peintures et le 20 il avise M. de Prades qu'il attendra les ordres du ministre de l'intérieur. Mais M. de Vaublanc, apprenant l'expédition antérieurement faite du tableau de Queyllin, adressa au préfet, le 29 mars, une lettre sévère « ..... Sans me consulter, on a renvoyé à Paris un tableau qui appartenait au musée de Rennes. Ces établissements [les musées] comme tous ceux de science et d'art, étant dans les attributions du ministère de l'intérieur, il ne doit rien en être distrait sans une autorisation expresse de ma part. Je regrette d'avoir eu besoin de rappeler ces principes. Et le soin de conserver des objets précieux à sa commune aurait dû éveiller l'attention de M. le maire sur les formalités à remplir avant de suivre les instructions d'une autorité étrangère à cette partie d'administration... Je vous prie, M. le comte, de veiller du moins à ce qu'à l'avenir on ne s'écarte pas de ces règles » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, 2 T, 22].

Les deux lettres de M. de Vaublanc trahissent des sentiments personnels peu bienveillants pour M. de Prades. On y voit aussi une affectation de supériorité de S. E. le ministre de l'intérieur pour M. le directeur du musée du Louvre et une sorte de jalousie puérile de fonctionnaire à fonctionnaire. Tout cela influa peut-être sur la décision ministérielle presque autant que le désir de conserver à la France des objets d'arts. Mais ce qu'il importe de retenir et ce dont il faut savoir gré en tous cas à Vaublanc, c'est que son intervention sauva les tableaux du musée de Rennes (et d'autres villes aussi, probablement) [Note : Vaulabelle, op. cit., III, 374, a raison de dire que la démission de Denon (prédécesseur de M. de Prades) par découragement de ne pouvoir s'opposer efficacement à la spoliation du Louvre, fut pourtant un malheur et que « le Musée, après son départ, fut littéralement livré au pillage »].

En effet, dans un sous-dossier de mai 1819 « Procès-verbal de la vérification et de l'inventaire général des objets... appartenant au musée » de Rennes, on retrouve les sept tableaux en question « (État des tableaux choisis par la commission pour former le lot n° 14) » [Note : Arch. de Rennes ; dossier du musée].

On y retrouve aussi celui de Queyllin (indiqué, cette fois, comme imité de Philippe de Champagne) [Note : Et comme ayant seulement 9 pieds 2 pouces (sur 7) et non pas 10 pieds.]. Il devrait donc être dans notre musée. Puisqu'il n'y est pas, il serait intéressant de rechercher ce qu'il peut être devenu ; je signale ce point d'histoire locale.

(Léon Vignols).

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