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LES PRUSSIENS DANS L'ILLE-ET-VILAINE EN 1815

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L'occupation prussienne dans nos pays bretons date de plusieurs années et n'a jamais été l'objet du moindre travail historique. Aussi est-elle complètement oubliée ou de bien peu s'en faut. Tout au plus trouveriez-vous quelques personnes d'âge mûr pour vous raconter de menues anecdotes d'après les traditions locales ou de famille. Et telle de ces anecdotes peut se rapporter à des faits autres que ceux en question ; celle-ci est insignifiante, celle-là douteuse ; deux d'entre elles sont contradictoires.

Au surplus, la tradition orale, et même la tradition écrite, ne sont jamais des sources de renseignement bien pures, il s'en faut. Elles peuvent induire en de graves méprises ceux qui s'y attachent par naïveté ou de parti-pris et les exposer parfois à de bien singulières mésaventures. Il est nécessaire de les contrôler (dans un véritable esprit d'impartialité) et de les compléter, par des documents de l'époque.

Des rares et vagues traditions orales, relatives au séjour des Prussiens dans l'Ille-et-Vilaine, il ressort seulement qu'ils s'y sont en général mal comportés. Laissons cela de côté pour nous en tenir aux données nombreuses et précises fournies par les pièces officielles des archives de la ville et surtout des archives départementales [Note : Les archives d'Ille-et-Vilaine réservent encore aux chercheurs bien des surprises, même dans leur partie ancienne. Quant à la section moderne, on peut la considérer comme une mine à peu près inexploitée, malgré les investigations de quelques historiens. Dépouillant les inventaires provisoires de cette section en vue de renseignements accessoires sur les objets habituels de mes études, je rencontrai dans les séries R (affaires militaires) et Z (archives de la sous-préfecture de Saint-Malo pendant la première moitié du XIXème siècle), l'indication d'un ensemble de textes relatifs au séjour des Prussiens dans l'Ille-et-Vilaine en 1815. Le sujet était hors du cadre habituel de mes recherches, mais très limité et d'un intérêt exceptionnel ; d'où la présente analyse. Toute, ma reconnaissance à notre archiviste départemental pour l'affabilité avec laquelle il se met à la disposition des travailleurs et facilite leurs recherches.]. Ces textes inédits nous aideront encore à contrôler la seule tradition locale écrite que nous ayons pu recueillir, les informations du Moniteur, etc.

I

Le 7 septembre 1815, Wellington évaluait le nombre des soldats étrangers cantonnés sur le sol français à 1,135,000 [Note : A. de Vaulabelle : Histoire des deux Restaurations ; 5ème édition, Paris, 1860, 8 in-8°; tome III, pp. 382-383, en note]. Sur cette quantité, il y avait environ — Hanovriens et Brunswickois non compris [Note : Ceux-ci comptaient parmi les auxiliaires de l'armée anglaise. Ubi supra, p. 383, - note] — 300,000 Prussiens et 122,000 autres allemands, soit 422,000 hommes venant de ce qui est maintenant l'empire d'Allemagne. Depuis le désastre de Waterloo jusqu'au mois d'octobre, l'Europe armée accourut se jeter sur la France. Il n'était principicule qui ne se ruât à la curée avec une voracité en raison inverse de sa force et de ses services. Nombre de départements envahis étaient livrés au pillage longtemps après la capitulation de Paris, signée le 3 juillet.

« Les plaintes que nous ne cessions de porter aux ministres et aux souverains alliés, » dit le baron de Vitrolles, « étaient assez bien écoutées, et on nous promettait d'y faire droit. Cependant ces maux durèrent bien au delà du temps qui aurait suffi pour en arrêter le cours » [Note : Mémoires et relations politiques... 1884, Paris, Charpentier, 3 in-8° cav. ; tome III, p. 134].

Toutefois, la difficulté de faire subsister un million d'hommes dans les pays éprouvés déjà l'an passé par la guerre et l'occupation, peut-être aussi la crainte de provoquer un soulèvement général des populations opprimées, décidèrent les chefs alliés à répartir le fardeau entre les diverses régions françaises (moins le sud-ouest).

« Le réglement se fit sans que le gouvernement français y eût part ; on se contenta de lui communiquer, le 24 juillet, les résolutions prises. Une ligne de démarcation détermina les cantonnements de chaque armée ; les autorités royales furent rétablies ; » mais « un gouverneur militaire étranger fut mis à la tête de chaque groupe de départements assigné à une armée, et chargé d'assurer l'entretien des troupes ; une commission administrative supérieure fut formée à Paris » [Note : C. Dareste : Histoire de France, 2ème édition, 1880, Paris, 9 in-8°; tome IX, p. 106].

Les cantonnements des Prussiens devaient s'étendre, d'après la répartition convenue, entre la Seine, la Loire, l'Océan et la Manche.

« Aux termes d'une ordonnance royale datée du 16 août, un impôt de 100 millions dut être levé extraordinairement à titre de contribution de guerre destinée à pourvoir aux charges de l'occupation. Comme la perception régulière n'aurait pu en être faite avec la promptitude nécessaire, il fut décidé que cette charge serait provisoirement supportée par les principaux capitalistes, négociants et propriétaires, les Chambres devant, dans leur prochaine session, statuer sur le mode de leur remboursement. La répartition entre les départements était faite par l'ordonnance même. Dans chaque département on établissait auprès du préfet un comité composé du maire du chef-lieu, du receveur général et de cinq notables choisis par le préfet dans le conseil général, le conseil de préfecture et parmi les capitalistes et propriétaires les plus considérables, auxquels on pourrait adjoindre les directeurs des contributions et de l'enregistrement. Ce comité était chargé d'assigner à chacun des arrondissements sa quote-part de l'impôt. Dans les arrondissements, la répartition entre les individus serait faite par les sous-préfets assistés de comités analogues. La somme totale devait être acquittée par quarts, du 15 septembre au 15 novembre » [Note : L. de Viel-Castel : Histoire de la Restauration ; 1861, Paris, 10 in-8°; tome IV, pp. 20-21].

Le 28 août il fut pris encore une mesure relative à l'occupation étrangère en France ; mesure applicable au royaume entier mais qui intéressait particulièrement la Normandie et la Bretagne :

« Dans le but de favoriser l'agriculture et le commerce, » dit Louis XVIII, « nous avions rendu, le 3 mars dernier, une ordonnance qui permettait la libre sortie des beurres moyennant un droit unique…

Mais, considérant qu'une partie des troupes des puissances alliées ont pris leurs cantonnements dans les départements qui produisent le plus abondamment la denrée dont il s'agit, que leur présence y occasionne une consommation extraordinaire soit de beurre, soit des animaux qui le procurent ; que l'on peut appréhender une diminution totale [sic] de nos ressources en ce genre, qu'enfin le cultivateur trouve, dans le renchérissement des prix en France, l'équivalent des avantages qu'il pouvait attendre de l'exportation.

A ces causes, nous avons ordonné....

ART. I. La-sortie des beurres est provisoirement prohibée par toutes les frontières de terre et de mer de notre royaume… » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, Z 348 : imprimé dans un numéro du Journal d'Ille-et-Vilaine des premiers jours de septembre 1815 (fragment) ; Rennes, imprimerie Chausseblanche. Je trouve aussi sur ce fragment le cours de la Bourse du 1er septembre ; 5 % consolidé, 62,50 ; — Actions Banque de France, 1017,50].

II

L'arrivée des Prussiens en Bretagne ; dans l'Ille-et-Vilaine. Mesures prises. — Premières difficultés.

 

PREMIÈRES MESURES PRISES A RENNES. — LA PROCLAMATION DU PRÉFET.

Le 8 août 1815, le Conseil municipal de Rennes se réunissait, avec l'autorisation du préfet, sur l'annonce de l'arrivée prochaine de troupes prussiennes. Voici des extraits du procès-verbal de la séance de ce jour [Note : Archives de Rennes, Registres des délibérations du Conseil municipal de Rennes, Reg. D 1/14 (30 mai 1812, 26 juin 1816), f° 78, r° et v°. La séance du 11 juillet avait été présidée encore par Lorin, maire, trésorier de la 13° cohorte de la garde nationale (f° 77, r°) ; celle du 22 juillet par Trublet, maire par intérim, premier adjoint] :

« Présents, MM. : De la Villebrune, adjoint, faisant fonction de maire, président ; — Bachelier ; — Le Mintier de Saint-André ; — Jugan ; — Dupont des Loges ; — Béziel ; — Cohan {Note : Avait donné sa démission en mai 1815, pour ne pas paraître accepter le gouvernement impérial (f° 64, v°)] ; — Martin ; — Chesnel [Note : Conseiller à la Cour impériale] — Costard [Note : Président à la Cour impériale] — Pontgerard ; — Parsy [Note : Conservateur des forêts] ; — Vuillaume — Rapatel [Note : Docteur en chirurgie] ; — Huchet ; — Gandon ; — Le Sire [Note : Juge au tribunal de première instance] ; — et Le Graverend [Note : Avocat général].

… Le Conseil, considérant que MM. Trublet et Morel-Desvallon, adjoints de la mairie, font partie de la députation [Note : Faisaient aussi partie du Conseil, postérieurement aux Cent-Jours, MM. : De la Forêt d'Armaillé, conseiller à la Cour royale ; — Chévrier, président du tribunal de commerce ; — Lesbaupin, avocat et professeur en droit (f° 77, v°)] chargée de présenter à S. M. l'hommage de la ville de Rennes ; que M. le Maire, resté seul, ne peut, malgré toute sa bonne volonté et son zèle, suffire à tous les détails de l'administration ;

Arrête que deux de ses membres resteront en permanence à l'Hôtel-de- Ville... tant que le besoin du service pourra l'exiger.

Sur les observations de M. le Maire [par intérim], le Conseil municipal arrête de nommer une commission qui sera chargée de concourir, avec lui, aux mesures que le passage des troupes prussiennes et leur séjour à Rennes peuvent rendre nécessaires.

Le Conseil, pénétré de tous les inconvénients qui pourraient résulter pour l'habitant et pour le soldat même, du logement en nature [c'est-à-dire chez l'habitant], a invité M. le Maire et la commission à employer tous les moyens que leur suggérerait l'amour du bon ordre et de leurs concitoyens pour obtenir que les troupes soient casernées au moment de leur arrivée, s'il est possible.

Le Conseil a autorisé M. le Maire et la commission à faire tous marchés pour les fournitures nécessaires aux troupes ; à contracter, au nom du Conseil municipal, l'obligation de rembourser les fournisseurs sur les premiers fonds disponibles, provenant, soit de l'octroi, soit de l'emprunt que la ville serait autorisée à faire ; et à prendre enfin toutes les mesures que les circonstances peuvent nécessiter, sans avoir besoin d'autre autorisation du Conseil, qui, vu l'urgence, investit M. le Maire et la commission de tous les pouvoirs que la loi lui confère.

La commission a été nommée au scrutin et composée de MM. : Dupont des Loges, président à la Cour ; — Pontgerard, négociant ; — Laumaillé, notaire ; — Martin (d'Angers), propriétaire ; — Le Mintier de Saint-André, chevalier de Saint- Louis — et Vuillaume, payeur de la 13ème division.

Le Conseil, en terminant sa délibération, a invité M. le Maire et la commission à représenter aux autorités civiles et militaires l'état de détresse et de misère où se trouve la ville par la cessation absolue, depuis six mois, du peu de commerce qu'elle fait habituellement, et de [sic] réunir tous leurs efforts pour alléger, autant que possible, les charges qui vont peser sur les habitants ».

Une copie de la délibération précédente, sur feuille libre, est suivie d'une approbation signée du préfet et datée du 10 août [Note : Arch. de Rennes. Petit dossier de deux pièces].

Quatre jours plus tard, dans la séance extraordinaire du 14, le Conseil, après avoir entendu le rapport des commissaires et délibéré, « adopte le système d'emprunt proposé par la commission et arrête que les citoyens occupant des loyers de 39 francs et au-dessous seront exempts de concourir à l'emprunt... ».

Cet emprunt forcé « sur les citoyens de Rennes » sera une « contribution basée sur la valeur locative de leurs habitations, telle qu'elle est fixée dans la matrice du rôle de la contribution mobilière, récemment arrêtée par MM. les Répartiteurs ; et, pour diminuer... la portion de la classe peu aisée, il a paru juste d'établir une progression croissante à proportion de l'augmentation des loyers... ».

Toutefois, « le Conseil se repose sur le zèle de la commission pour les réclamations à faire près de M. le Préfet, à l'effet d'obtenir que les sommes qui seront payées par la ville de Rennes ne soient considérées que comme une avance et soient en définitive supportées par tout le département » [Note : Arch. de Rennes, D1/14, 79, r].

Cette délibération reçut également l'approbation préfectorale [Note : Petit dossier déjà, mentionné].

Le 22 août le maire écrit au lieutenant général Barbon, commandant la 13ème division militaire, que l'administration fait tous ses efforts pour mettre promptement en état les casernes de la ville [Note : Arch. de Rennes, reg. D4 61, f° 106, r].

Réuni encore extraordinairement le 1er septembre, le Conseil, ouï le rapport de la commission, charge M. Louis, receveur spécial de la ville, de la perception de la contribution forcée et de l'acquittement des dépenses. « Il en sera formé une comptabilité particulière ». — Il fixe le montant de cet emprunt à « dix capitaux du rôle-matrice, ce qui portera le rôle en total à la somme de 174,280 francs, » et nomme une commission chargée de recueillir les réclamations qui pourraient se produire.

« Les fournisseurs ont été appelés et ont souscrit des soumissions qui ne laissent aucune inquiétude sur l'exactitude du service. Des réparations importantes ont été faites aux casernes ; elles sont en très bon état » [Note : Arch. de Rennes, D1/141, 79, v°, à 80, r°].


Le même procès-verbal annonce le séjour à Rennes, pendant un mois, de l'état-major (des troupes prussiennes à destination de la Bretagne), avec 2.400 hommes d'infanterie et 500 chevaux.

Nous verrons que les conseillers se faisaient illusion sur la force de la garnison destinée à Rennes et sur l'efficacité des mesures prises pour la loger et la nourrir.

Le jour même de la séance du 1er septembre, M. de la Villebrune annonce au maire de Dol le prochain passage des Prussiens et lui donne le tableau des rations à fournir. Il termine par ces mots : « Voilà, mon cher collègue, tout ce que je puis vous dire. Je ne pourrais qu'y ajouter que je suis au désespoir, car c'est la vérité » [Note : Arch. d'Ille-et- Vilaine, Z 348].

Le lendemain, le préfet prévenait le sous-préfet de Saint-Malo de l'arrivée du 6ème corps prussien et l'engageait à prendre des mesures en conséquence [Note : Arch. d'Ille-et- Vilaine, Z 348]. Cette brève missive, exempte de tout commentaire, est entièrement autographe ; l'adresse porte : « A Monsieur le chevalier du Petit-Thouars, » et en haut ces mots soulignés : « pour lui seul ; » en haut de la première page de la lettre est le mot « confidentielle ». Pourquoi ce luxe de précautions ? Si d'Allonville désirait que la nouvelle par lui annoncée à du Petit-Thouars ne fut pas, ébruitée à Saint-Malo, il faisait preuve de naïveté, puisqu'il recommandait à son correspondant de prendre des mesures : des dispositions si importantes et si exceptionnelles ne pouvaient être prises à l'insu des autres fonctionnaires ni même du public. Et à quoi bon vouloir cacher la vérité le 2 septembre, quand toute une brigade prussienne devait arriver le 5 à Fougères et à Vitré [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine Z 348. Itinéraire du 6ème corps, communiqué par Helme, commissaire général prussien] ? Il est probable qu'on l'avait appris déjà, officieusement, dans l'arrondissement de Saint-Malo, et si l'on n'y avait pas averti les fonctionnaires et la population, il était grand temps de le faire. L'allure de la lettre préfectorale ne pourrait guère s'expliquer que par un désarroi d'idées dans lequel l'approche des Prussiens aurait jeté M. d'Allonville.

Quoi qu'il en soit, le 2 septembre cet administrateur fit placarder sur les murs de Rennes une « PROCLAMATION RELATIVE AU PASSAGE ET AU CANTONNEMENT DES TROUPES PRUSSIENNES, » pour engager les habitants à faire bon accueil aux étrangers. Mais le contenu de cette pièce reflète singulièrement les passions politiques de l'époque ; c'est une diatribe menaçante contre ceux des administrés qui étaient opposés au régime bourbonnien et desquels on redoutait l'exaltation patriotique. Et, ce qui est plus grave, cette proclamation contient une phrase malheureuse sur le « noble caractère de MM. les généraux Prussiens » [Note : Arch. d'Ille-et-Vilaine, Z 348 ; grande affiche imprimée].

(Léon Vignols).

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