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LES SIX SAINTS DE LA REGION DE PLESTIN

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PRÉFACE.

L'on trouvera ici un essai d'étude sur six saints de la région de Plestin ; Plestin est une paroisse de l'ancien évêché de Tréguier, archidiaconé de Plougastel, actuellement dans le département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), à la limite du Finistère [Note : Plestin est bordée au nord par la mer, qui dessine une vaste baie connue sous le nom du Lieue-de-Grève, ou Grève-de-Saint-Michel. C'est ce qui a valu à Plestin son nom moderne de Plestin-les-Grèves] ? Ces six saints ont été groupés comme compagnons du saint le plus honoré de la région, saint Efflam. Les innombrables questions que soulève la vie de saint Efflam sont sans intérêt pour la présente étude. Il suffit de rappeler qu'une vie latine vénérable et une tradition très ancienne s'accordent pour rapporter qu'Efflam vint d'Irlande, vécut en Plestin à l'emplacement actuel de sa chapelle sur le bord de la Lieue-de-Grève. La vie latine de ce saint a été publiée par A. de La Borderie, dans les Annales de Bretagne, VII (1892), pp. 279 à 312, et en tirage à part, Saint. Efflam, texte de sa vie latine avec notes et commentaire historique, Rennes, 1892, in-8° ; Le récit d'Albert Le Grand, dans ses Vies des Saints de la Bretagne Armorique (1636) n'est qu'une adaptation de la vieille vie latine. On le trouvera dans les rééditions de cet ouvrage (Miorcec de Kerdanet, Brest, 1837, in-8°, et chanoines Thomas et Abgrall, Quimper 1901., in-4.°). Dom Lobineau a repris la même vie latine pour écrire la biographie de saint Efflam, dans ses Vies des Saints de Bretagne (Rennes, 1724, et 1725 in fol. ; rééditées par Tresvaux, Paris 1836 et sq., 5 in-8°).

Mon travail n'a aucune prétention ; je me suis rendu compte de toutes les difficultés que soulève la moindre question concernant les saints bretons ; j'ai vu aussi qu'aucune matière n'est plus fuyante que la matière hagiographique bretonne. Aussi j'agis avec prudence, je ne cours pas après des conclusions ; souvent je ne conclus pas. Des progrès considérables ont été faits en cette matière grâce aux travaux de M. Joseph Loth, de M. Ferdinand Lot, et de M. l'abbé Duine, et cependant les temps ne sont pas encore venus où l'on puisse décider dans de telles questions. Même en se limitant à de petites monographies, on ne peut espérer parvenir à des conclusions sérieuses. Il faut continuer à étudier en détail cette riche matière ; j'ai restreint mes recherches à un sujet bien minime, et me suis enfermé dans une région toute petite, pour tenter de pousser plus à fond l'étude d'un chapitre de cette vaste matière. Puisse mon modeste essai être de quelque utilité à ceux qui s'intéressent à l'hagiographie bretonne et à l'histoire des nations celtiques [Note : J'espère donner d'ici peu un travail plus important sur S. Efflam, Ste Enora et S. Gestin, d'après la vie latine de S. Efflam, les traditions orales, le folklore et la topographie, et un autre travail sur tous les saints inconnus de la région de Plestin, éponymes de paroisses, et hameaux, patrons de chapelles . ? Je remercie tout particulièrement M. Joseph Loth et M. l'abbé Duine, qui ont bien voulu revoir mon travail, et m'ont beaucoup aidé dans mes recherches].

ABREVIATIONS - BIBLIOGRAPHIE.
Je renvoie au travail capital de M. J. LOTH Les Noms des Saints Bretons, Paris, 1910, in-8°, en indiquant simplement J. LOTH, Ns. ; ce travail avait paru en quatre articles dans la Revue Celtique, XXIX, XXX (1908, 1909) ; le tirage à part est sur la table de tous ceux qui s'occupent d'hagiographie bretonne, il n'est plus question de renvoyer directement à la Revue Celtique. Du même auteur, je désigne sous l'abréviation Chresto, la Chrestomathie Bretonne, Paris, 1890, in-8°.

En ce qui concerne les travaux de M. l'ABBÉ DUINE, Memento des Sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne, I, Rennes, 1918, in-8°, Bréviaires et Missels des Eglises et Abbayes bretonnes, Rennes, 1905, in-8° (Extraits des Mém. de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, années 1905 et 1918), je renvoie aux tirages à part, en donnant chaque fois le numéro du paragraphe, ce qui permettra au besoin de retrouver le passage dans les Mémoires de la Société.

Le travail de GAULTIER DU MOTTAY, Essai d'iconographie et d'hagiographie bretonne, Saint-Brieuc, 1869. in-8°, a paru primitivement dans les Mémoires de la Société Archéologique et Historique des Côtes-du-Nord, III, 1857-1859 ; je renvoie encore aux pages du tirage à part qui est très répandu. Au surplus, cet ouvrage étant disposé sous forme de dictionnaire, il sera facile de retrouver les articles correspondants dans les Mémoires de la Société.

Pour les noms de lieux cités, j'indique toujours la source qui me les a fournis : Cadastre, Carte Etat-Major (C. E.-M.), laquelle reproduit très fidèlement les noms du premier plan cadastral, Dictionnaire des Postes et Télégraphes, Edit. 1915 (P. T. T.), et. enfin ROSENZWEIG, Dictionnaire topographique du Morbihan., Paris, in-4°, 1870 (ROSENZW.) Les départements auxquels appartiennent les lieux cités sont. indiqués par (F.)=Finistère ; (C.-d.-N.)=Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) ; (M.)=Morbihan.

Les enquêtes de M. ANATOLE LE BRAZ, Les Saints Bretons d'après la tradition populaire, parues dans les Annales de Bretagne, janv. 1893 à janv. 1896, sont indiquées par le titre de l'ouvrage : Les Saints bret. d'après la trad. pop., suivi du numéro du tome des Annales et de la page.

Enfin, le vaste répertoire de M. le CHANOINE PEYRON, Eglises et Chapelles de l'Ancien Evêché de Quimper, paru dans les Mémoires de la Société Archéologique du Finistère, années 1903 et sq., est indiqué sous la simple abréviation, Soc. Arch. Fin., suivi de l'année et de la page des mémoires de la Société.
Les autres ouvrages sont cités avec leur titre complet.

MANUSCRITS : Les Registres de baptêmes, mariages et sépultures, et le Cadastre, ont été consultés sur l'exemplaire déposé à la mairie de la commune : — Il n'a été fait état que d'une collection particulière, la collection de M. René Le Grien, ancien maire de Caouennec, résidant au bourg de Plounérin. J'ai consulté cette collection en 1912.

LES SIX COMPAGNONS DE SAINT EFFLAM.

Le dernier cantique de saint Efflam, En Enor da Zen, Koz Plistin, composé en 1897 par l'abbé Joncour, lors curé-doyen de Plestin [Note : Imprimatur, Plougras, 7a Maii 1897. Imprimerie Le Goaziou, Morlaix. L'abbé J.-M. Joncour, 1842-1903, s'était beaucoup occupé de l'histoire de Plestin, mais paraît n'avoir pas étudié l'hagiographie de Plestin] donne les noms de six saints qui seraient venus d'Irlande avec saint Efflam et auraient débarqué avec lui sur la Lieue-de-Grève :

Efflam e weler, Efflam da gentan

Ar groaz lugernus en e zorn gant-han.

Kerkent, e weler tisken war eun dro

Tuder ha kemo, Haran ha Kirio.

D'ho heul e tisken Nerin ha Kare

Ha gant-he skeuden Maria-Drue.

C'est actuellement l'état de la tradition orale à Plestin et aux environs. Efflam serait venu suivi de Tuder, Kémo, Haran, Kirio, Nérin et Karé [Note : Il faut, noter que ce groupement ne comprend que des saints dont l'existence est certaine, pas de personnages inventés en coupant un nom de lieu en deux ; en même temps, pas de saints connus par ailleurs. Ce groupement a laissé absolument de côté les autres patrons des chapelles en Plestin, S. Deuen (S. Yves), S. Jacut, S. Claude, S. Maudez, etc. Bien des groupements existent qui n'ont pas pris cette précaution]. Lorsque l'on questionne un paysan sur un de ces saints, il répond que c'était un compagnon de saint Efflam.

Cette tradition est-elle ancienne ?

Il faut d'abord remarquer que la Vie Latine ne nomme aucun des compagnons de notre saint. Elle parle à plusieurs reprises des jeunes gens qui ont accompagné Efflam [Note : Aux §§ 3, 5, 6, 8. 9. 10. 11 ; il n'est plus question des compagnons dans la suite de la vita] ; elle ne dit pas combien ils étaient, et cependant il paraît bien ressortir de ces différents passages qu'ils n'étaient pas très nombreux ; l'esprit du texte semble même indiquer que l'hagiographe les considérait comme constituant un petite troupe de 6 ou 7 saints. Les compagnons demeurèrent peu de jours auprès de saint Efflam (Vie lat. § 11).

Postea, ut divinae contemplationi liberius vacarent, decreverunt ut quisque proprium haberet secessum. Sic itague discedentes in collaterales partes, sanctum solum Evflamum in domum sibi dilectam relinquunt, et, in adjacentibus ei plagis habitacula sibi preparaverunt, unde in festivis diebus ad eum conveniebant et ad tempus refectionis [Note : En notant bien qu'ils s'en vont, pour vivre en ermites, et s'adonner plus facilement à la vive contemplative. C'est là un point capital : nos saints sont des anachorètes, ce ne sont pas des évangélisateurs ; la vie latine n'a pas modifié la tradition en ce point].

La Borderie a beaucoup insisté sur ce passage en remarquant que ce premier établissement était conforme aux règles des monastères celtiques des Vème, VIème, et VIIème siècles.

Ce passage est curieux et important. L'originalité des monastères scoto-bretons des Vème, VIème, VIIème siecles, c’était justement que les moines ne logeaient point sous le même toit, que chacun d'eux avait sa cellule, sa logette séparée, et qu’ils se réunissaient seulement pour les offices et les repas, Ici c’est tout à fait le même régime ........ [Note : LA BORDERIE, S. Efflam, etc., p. 301 et p. 28 du tirage à part. — A la page précédente, il y a une remarque semblable concernant la cellule séparée de Ste Enora].

La Borderie insiste trop sur ces détails. La vie latine n'indique pas un monastère, il s'agit simplement de quelques jeunes laïcs nouvellement convertis et qui voulant se donner pleinement à Dieu se sont expatriés et viennent vivre ensemble dans un pays lointain. Il n'y a ni moines, ni abbaye, ni monastère ; il y a l'idéal religieux des chrétiens celtiques du début, s'exprimant de la même façon qu'il s'exprima plus tard dans les règles monastiques celtiques ; mais il n'y a pas encore de monastère.

On a vu que la vie latine ne donne ni le nombre des compagnons, ni le nom de chacun d'eux, cela n'indique pas nécessairement que l'hagiographe les ignorait. Les vies de saints et les vies de saints celtiques en particulier, donnent rarement un catalogue des compagnons ou des disciples du saint. Elles ne citent que ceux des compagnons qui se signalent dans l'histoire du saint, par une intervention tout-à-fait spéciale, consignée dans la vita. Les compagnons de saint Efflam paraissent avoir mené une existence simple, sans aucun fait notoire, la vie des ermites qui est toute cachée en Dieu ; rien qui ait pu inviter l'auteur de la vie latine à les nommer. C'est pourquoi il serait peut-être osé de vouloir tenir compte du silence de l'hagiographe.

Il est inutile d'insister sur Albert Le Grand ou Lobineau, qui n'ont fait aucune recherche nouvelle ; les premiers hagiographes qui doivent nous arrêter sont l'abbé TRESVAUX, dans les notes de sa réédition des Vies des saints de Bretagne par Dom Lobineau, et le chanoine DE GARABY, dans ses Vies des Saints de Bretagne (Saint-Brieuc, 1839, in-12). Le premier parle de saint kirio, saint Nérin et saint Quémeau (Tome I, pp. LVII, LXII, LXVI), le second de saint Nérin et saint Kirio (Pp. 119 et 473). Or ces deux auteurs, dans les notices qu'ils ont données de ces saints, ne font aucune allusion à saint Efflam ; qui plus est, ils disent que certains parmi eux étaient originaires de l'île de Bretagne [Note : On aurait d'ailleurs tort d'insister sur ce point], ce qui prouve que, selon ces auteurs, nos saints n'avaient rien de commun avec saint Efflam qui lui, était considéré comme Irlandais. L'abbé Tresvaux et le chanoine de Garaby tenaient leurs renseignements des prêtres mêmes qui desservaient les paroisses où ces saints sont honorés, soit qu'ils leur aient demandé ces renseignements par correspondance, ou qu'ils les aient obtenus à l'occasion d'une rencontre lors des retraites sacerdotales ou des pardons [Note : Pour l'abbé Tresvaux, voyez son Introduction, I, p. IX, et n. 2. L'abbé Tresvaux dit qu'il a eu des renseignements de l'abbé Denès, recteur de Plouaret, et de l'abbé Le Quémener, recteur de Plounérin. Voilà qui est précis. — Pour le Chanoine de Garaby, il a fait des excursions nombreuses, il fonde souvent ses déductions sur les attributs d'une statue qu'il a vue. Pour les saints de Lanrivoaré, il reproduit, p. 410, une lettre de l'abbé Ilion, desservant de Lanrivoaré. (En outre, en bien des endroits, Garaby copie Tresvaux)]. Ces notices reproduisent donc l'état de la tradition en 1836-1839 ; et l'on peut en inférer qu'à cette époque la tradition ne donnait pas Nérin, Quémeau et Kirio comme étant des compagnons de saint Efflam, Pour ces trois saints, du moins, nous pouvons donc dire que la tradition du groupement s'est constituée depuis 1839.

Pour saint Caré et saint Tuder, nous savons que la tradition qui les fait compagnons de saint Efflam n'existait pas en 1896-1897, date à laquelle M. Anotale Le Braz publiait les résultats de son enquête sur les Saints Bretons d'après la Tradition populaire ; quand M. Le Braz est passé à Saint-Karé et à Lancarré, on n'a rien pu lui dire de saint Carré, dont l'existence en tant que saint était inconnue. A Tréduder, on ne lui a pas dit que saint Tuder ait été le compagnon de saint Efflam. On a bien là la preuve que la légende n'existait pas. Si elle avait existé, un chercheur aussi averti que M. Le Braz n'aurait pas manqué de la rencontrer. Et pour ne donner dès maintenant qu'un léger coup d'œil en ce qui concerne le fond de ce problème, et pouvoir décider de la valeur de ce groupement, l'on peut remarquer que Carré, Tuder, Kirio sont des noms brittoniques et indiquent des personnages de nationalité brittonique. Efflam, au contraire, est un Irlandais, et peut-être aussi Nérin ; si le groupement était une réalité, il comporterait probablement des saints de même nationalité.

L'on est donc en droit de conclure, que la légende qui catalogue les compagnons de saint Efflam ne repose pas sur une tradition ancienne. Il faut maintenant rechercher quelle est l'origine de cette légende, comment elle s'est constituée. Le cantique de l'abbé Joncour publié en 1897 qui l'exprime, l'a-t-il créée ? S'il ne l'a pas créée, où l'a-t-il puisée ?

Tout laisse penser que c'est bien l'abbé Joncour qui a exprimé le premier cette légende dans son cantique. Il ne semble pas qu'il en soit personnellement l'auteur. Il a dû suivre en cela une opinion, un système manifesté à plusieurs reprises par les prêtres de son doyenné, peut-être même lors des confréries ecclésiastiques. Il se peut aussi que ce système vienne de l'enseignement même des séminaires. L'abbé Joncour aurait donc dressé le catalogue, arrêté la liste des compagnons au chiffre de 6, ce qui, avec saint Efflam, faisait une petite troupe de sept saints, et consigné le tout dans son cantique [Note : Ce chiffre 7, semble bien de l'abbé Joncour. En Bretagne comme en Grèce, les « catalogues » sont l’œuvre des mythographes ; si en Grèce des poètes populaires ont dressé des catalogues, il n'en est pas de même en Bretagne, l'esprit celtique n'a pas la méthode organisatrice qui est à la base de l'esprit hellénique]. Le cantique aura créé la tradition populaire, le peuple acceptant ces données d'autant plus facilement qu'il n'avait aucun renseignement sur ces saints qui puisse s'opposer à ce qu'on lui apprenait.

La tradition orale actuelle aurait donc pour origine une œuvre artificielle du clergé, le cantique de 1897. Cependant., il faut ajouter que cette tentative du clergé n'a pas été isolée. La légende avait travaillé, parallèlement dans le même sens et le cantique est venu exprimer le résultat de cette lente élaboration populaire. Et en effet si l'on voit l'œuvre artificielle du clergé dans la constitution de plusieurs groupes de saints [Note : Sans insister sur les cas où le clergé a rattaché des saints locaux à des saints canoniques, comme par exemple Ste Evette du Cap-Sizun donnée comme une des 11.000 vierges compagnes de St Ursule, contrairement à la tradition orale qui donne une version toute différente (LE CARGUET, les Chapelles du Cap-Sizun, in Société Archéol. Finist. XXVI. 1899, p. 194), mais on connaît tous les saints qui ont été rattachés tant bien que mal à S. Guennolé, à S. Pol-de-Léon, à S. Samson et à S. Tudual, pour ce dernier c'était d'autant plus facile que les actes parlent de 70 compagnons], on est obligé de reconnaître que beaucoup de groupes ont été constitués par le peuple lui-même.

Il s'agit en l'espèce du phénomène bien connu du télescopage [Note : Nous reviendrons plus longuement sur ce phénomène dans notre travail sur S. Efflam, en étudiant, la tradition populaire en matière historique ; qu'il nous suffise de dire que ce phénomène se retrouve partout là où vivent des traditions populaires. La Grèce ancienne en offre de nombreux exemples], lequel s'est exercé ici sous la forme de légende topographique. C'est la présence de chapelles rapprochées dédiées à différents saints, qui a poussé le peuple à créer des liens entre ces différents saints ; souvent le peuple constitue des familles, ici il a inventé des compagnons [Note : Sans toutefois soutenir que tous les groupements soient des télescopages].

Il faut donc pour expliquer l'origine de la légende des six compagnons de saint Efflam, considérer qu'elle est le résultat à la fois de l'œuvre du clergé et du travail de l'esprit populaire, le clergé n'ayant fait que d'exprimer, de cataloguer les résultats de cette longue élaboration il faut se bien souvenir dans le cas présent, que le clergé de nos campagnes, issu du peuple même de ces campagnes, vivant au milieu des paysans et de leur vie, s'écarte rarement des sentiments de l'esprit populaire.

Quoiqu'il en soit, le groupement des six compagnons de saint Efflam est une création récente, sans aucune valeur historique, et nous en aurons une autre preuve dans le fait que de l'autre côté du Douron, dans la paroisse limitrophe de Plestin, dans le Finistère, la légende a travaillé autrement, et constitué un autre groupe de saints en y englobant plusieurs de ceux qui étaient donnés déjà comme compagnons de saint Eftlam. Voici, en effet, ce que M. Louis Le, Quennec, dit dans sa notice sur la paroisse de Guimaëc [Note : Excursion archéologique dans la communé de Guimaëc. (Soc. Archéol. Finistère, tome XLV), p. 2 du tirage à part] :
Le patron atuel de l'église de Guimaëc est saint Pierre, qui a supplanté en Bretagne tant, de saints indigètes, et a remplacé ici un saint Maec, Maeoc, Mahue, Mahoue, Mieu, l'un des principaux disciples de saint Samson. Ce dernier ayant longtemps vécu à Lanmeur, et y ayant établi un monastère vers le milieu du VIème siècle, rien d'étonnant que l'on retrouve aux alentours le souvenir d'un de ses plus fidèles compagnons. Il est très possible que l'église de Guimaëc ait été fondée par le saint même qui a laissé son nom à la paroisse (Guis-Maec). La tradition du pays fait pourtant de saint Maec l'un des douze disciples de saint Kirec, avec saint-Engar qui a une chapelle en Locquirec, saint Milon, vénéré dans cette chapelle, saint Garan, qui a une chapelle en Plestin, saint Kémo, patron d'une ancienne trêve de Trédrez, saint Egal, patron primitif de Plouégat-Guerrand et Plouégat-Moysan, saint Nérin, patron de Plounérin, etc. [Note : Au sujet de S. Maec, je soutiens, comme pour S. Mel de Trémel, S. Mellec de Lanvellec, que le nom très répandu de Maeoc a pu être porté, par plusieurs saints. Sur ce nom, ef. J. LOTH, Ns., p. 85 s. V. Macoc, et DUINE, Memento, I, p. 151, n° 163. — Je note un lieu dit Tremaëc en Plouigneau, C.-d.-N. (C. E.-M.), ce qui est pour moi très important comme on le verra plus loin, nom de lieu cité dans une pièce de 1704 (L. LE GUENNEC, Notes sur Plougonven, in Mouez ar Vro. 6 nov. 20). C'est l'établissement dans le haut pays qui peut correspondre à l'établissement côtier de Guimaëc. — Notons en passant que Guimaëc est le point extrême à l'est qui marque la zone des noms de lieux en Gui ; en ceci la limite du département du Finistère correspond à une réalité. Il est dificile de saisir l'origine de ce phénomène. Les Gui sont nombreux dans le Finistère et rares dans les C.-d.-N. — Sur ce nom Gwic = lat. vicus, cf. J. LOTH, Ns., p. 3. — Le nom de Maec, est un nom brittonique. Il indique un saint venu de l'Ile de Bretagne].

Voici donc un second groupement qui englobe saint Kémo, saint Garan et saint Nérin, donnés précédemment, on l'a vu, comme compagnons d'Efflam. La présence de ce second groupement vient diminuer encore la valeur de la légende des compagnons d'Efflam, car outre ce qui a été dit que cette légende ne repose pas sur une tradition ancienne, on voit ici qu'elle est contredite par une autre légende, et que par conséquent, les traditions sont discordantes, contradictoires. Cela, suffit à prouver que la légende des six compagnons de saint Efflam est sans valeur documentaire.

Note : La tradition reproduite par M. Le Guennec mérite qu'on s'y arrête. Notons d'abord deux courants : 1° une tentative de groupement autour de S. Samson à cause de l'importance de la légende samsonienne à Lanmeur, anciennement enclave de l'évêché de Dol ; 2° un groupement autour de S. Kirec, qui est donné comme disciple de S. Tudual, et aurait connu S. Pol de Léon. — Ce groupement est, bien plus invraisemblable que celui des six compagnons de S. Efflam. Il n'est certainement pas d'origine populaire, puisqu'il groupe un saint inexistant ; je suis persuadé qu'il provient du travait des conférences ecclésiastiques, et qu'il est inconnu du peuple. Il a été transcrit, sur les cahiers de paroisses de Guimaec, et environs, et c'est tout.

Il existe une chapelle au hameau de Lézingar ou Lésingar, en Locquirec, ce hameau constituait, une trêve, dans le sens de frérie, puisque la chapelle n'était pas tréviale ; c'est une ancienne terre noble (Soc. Arch. Fin., 1909, p. 185). Mais il n'y a pas de S. Ingar. En effet, le nom de lieu Lézingar n'a pas un nom de saint comme second terme. Lez est toujours suivi d'un nom de laïc, — si ce n'est quand il reproduit l'éponyme de la paroisse, exceptions bien localisées dans le Cap-Sizun et, signalées par J. LOTH, Ns., p. 3. Je ne connais que deux exemples dans les C.-d.-N., Lesverec en Tréverec (C. E.-M.) et Licelion en Hilion (LA BORDERIE Histoire de Bretagne, I, Rennes, 1896, gr. in-4°, p. 303). Nous avons ici le nom d'un personnage laïc, nom qui a été par ailleurs celui d'un saint, puisqu'il existe un Treffingar dans le Cart. de Redon, vers 990-992, que l'on doit décomposer en Tref-Ingar (Ns., p. 55), Laningar (Ns., p. 74), et Trévengard, Lan Trévengard en Bubry (M.) (ROSENZWEIG ; la C. E.-M. donne Trevingard). M. Joseph Loth à consacré un article à ce saint, Ns., p. 65.

INGAR, INGER (Saint) : Saint Hinguer, en Loguivy-Plougras, Laninger en Saint-Pierre-Quilbignon, mais Crec'h Ingar en Treflaouénan. — Ingar, dont Inger n'est qu'une variante par suite d'atonie, est pour luncar ; cf. Iscat en Laniscat, pour Iedcat = Iud-cat.

Ce S. Hinguer subsiste d'ailleurs toujours en Loguivy-Plougras (C.-d.-N.), c'est le nom d'un hameau où l'on raconte qu'il y a eu jadis une chapelle ; la statue en bois du saint est au bord d'un fossé, non loin d'une fontaine appelée feunteun Sant Inger. (Il importait de préciser, car il existe en Loguivy-Plougras, une ferme Le Hinguer, Cadastre et C. E.-M. = Hen-kaer ou Coz-Ker : vieille maison, nom de lieu fréquent en Bret., cf. Le Hingair en Hennebont, écrit Hanker en 1497, Hengaer en 1499 ; Le Hinguer en Lignol, écrit Hengaer en 1434, ROSENZW.) Mais si Ingar est nom de saint, il est aussi nom de laïc et est entré dans une foule de noms de lieux laïcs : Rosingar en Loqueffret, Kéringar en Plounévez, Le Conque, Cléden-Cap-Sizun, Landiviziau, Plogoff (F.), Kéringard en Plozevet, Elliant, Plounevez-Lochrist, (F.) ; Mezingar en Trémaouezan, Kervezingard en Plougastel-Daoulas (F.), Kerangar en Bieuzy (M.), en Sibiril (F.) (C. E.M. et P. T. T.) (Il ne peut d'ailleurs dans ces noms y avoir aucune confusion avec Hinguer = hen kaer déjà noté ni avec le nom de lieu excessivement fréquent au cadastre de la région de Plestin : Le Hangard, qui a une toute autre origine.) C'est ce nom laïc Ingard qui est le second terme de Lezingar, ce n’est pas le nom du saint ; et j'ajoute que la création de ce saint Engar à Locquirec, n'est pas le fait du peuple. Le peuple n'aurait jamais songé à extraire un saint d'un nom de lieu en Lez. Il ne le fait pas pour les noms de lieux en plou, lan, loc ; il ne s'aperçoit même pas qu'il rentre un nom de saint dans les noms de villages en Saint-Logot en Tremel, Saint-Carré en Lanvellec, Saint-Junay en Plounerin. La création de ce saint ne peul être que le fait d'un prêtre de la région ; le peuple n'invente des saints que quand il veut dénommer une statue.

Quant à S. Milon, c'est S. Emilion, dont le culte est assez répandu dans la région, il a une chapelle en Loguivy-Plougras (C.-d.-N.), et l'on prononce ilis Sant Milion (FEIZ HA BREIZ, Miz-du 1921, p. 287), il a une chapelle en Coatascorn, une autre au village de Pabu en Plouagat. (GAULTIER DU MOTTAY, etc., Géographie Départementale des C.-d.-N., Saint-Brieuc, 1862, in-12, pp. 607 et 519.) Je sais bien qu'il a existé un Trefmilon, paroisse (GESLIN DE BOURGOGNE et A. DE BARTHÉLEMY, Anciens Evêchés de Bretagne, Paris 1855 et sq., in-8°, V, p. 354) ; mais je dis qu'un saint qui ne fournit pas le nom de lieu, qui n'a qu'une statue dans la chapelle est un saint d'importation récente. La chapelle de Lezingar doit donc avoir été bâtie sous l'invocation de S. Emilion, et S. Emilion, on s'en doute, n'a rien à voir dans un groupement de saints locaux. L'on voit par ces deux saints que ce groupement autour de Guimaec est une création artificielle d'un clergé peu éclairé, n'est nullement populaire, eL est absolument sans intérêt. Le groupe des compagnons de S. Efflam était plus sérieux et intéressant.

Nous allons, en laissant de côté cette légende examiner successivement ces six saints, qui peuvent, bien que cette légende soit récente, avoir été des compagnons de saint Efflam.

 

Voir   Saint Haran ou Saint-Garan (Bretagne) " Saint-Haran ou Saint-Garan ".

Voir   Saint Karé ou Saint-Carré (Bretagne) " Saint-Karé ou Saint-Carré ".

Voir   Saint Tuder (Bretagne) " Saint-Tuder ".

Voir   Saint Nérin (Bretagne) " Saint-Nérin ".

Voir   Saint Kémo ou Saint Quémeau ou Saint Kémeau (Bretagne) " Saint-Kémo ou Saint-Quémeau ou Saint-Kémeau ".

Voir   Saint Kirio ou Saint-Quirio ou Saint-Quiriou (Bretagne) " Saint-Kirio ou Saint-Quirio ou Saint Quiriou ".

 

CONCLUSIONS.

Nous avons dit au début de ce travail que le groupe des six compagnons de saint Efflam ne reposait pas sur une tradition ancienne ; qu'au contraire c'était une légende de création récente. L'étude que nous avons faite de chacun de ces saints n'a révélé aucun indice qui permît de reconnaître l'existence d'un groupement quelconque. La même constatation ressort, de l'étude, qui n'est pas donnée ici, de tous les autres petits saints de la région.

L'on peut conclure que tous ces groupements ou essais de groupement doivent être abandonnés. Ce sont des légendes topographiques et rien de plus, légendes populaires ou légendes inventées par les écrivains. Ces groupements partent d'une donnée fausse, en tant que l'on choisit pour chef de la troupe de saints, un saint aujourd'hui très honoré, très connu. Parce que tel saint jouit aujourd'hui d'une grande renommée, on groupe autour de lui des compagnons. Il faudrait savoir si, de son vivant, le saint a eu une importance telle qu'il ait pu avoir des disciples ou des auxiliaires. Il faudrait remarquer que les hasards les plus inattendus font brusquement la renommée d'un saint, tandis que tels autres saints qui, eux, jouèrent un rôle considérable, tombent dans l'oubli. Pour saint Efflam, l'invention de ses reliques, l'heureuse chance d'avoir eu un biographe, l'ont placé au premier rang des saints de la région ; il est actuellement un des bienheureux les plus honorés du canton ; mais rien n'indique qu'il ait été un grand missionnaire, il n'a pas fondé de paroisse qui ait gardé son nom ; c'était un anachorète, il semble inutile de lui chercher des compagnons, moins encore des auxiliaires.

Ces groupements sont des légendes topographiques ; ils supposent démontré que les noms de lieux, paroisses, chapelles sous le vocable du saint, indiquent que le saint a vécu dans les pays mêmes qui portent son nom. Admettons un instant cette hypothèse et examinons selon cette hypothèse quels auraient été les grands saints de la région, ceux qui ont pu être de véritables apôtres et ont eu besoin d'auxiliaires pour les aider dans leur tâche. Le saint qui paraîtrait le plus important serait saint Yvi. Si les noms de lieux rappellent l'itinéraire de sa mission, sa mission fut considérable [Note : J'applique ici un système qui me paraît vrai pour certains saints ; mais pour S. Yvi, il y a une difficulté, c'est que tous ses établissements sont des lok. Or les lok sont souvent, moins anciens que les plou, lan, tré, et beaucoup sont suivis de vocables de cultes plus récents. Lokmaria, Lokmikel ; chose remarquable, il n'y a aucun plou, lan, tré, suivi du nom de S. Yvi ; il serait prématuré de conclure, c'est une question délicate, S. Paul Aurélien n'a que des lan, un seul tré, en Milizac (F.) (C. E.-M.), et une paroisse de son seul nom Paule (J. LOTH, Ns., pp. 101 et 70) — sur S. Yvi, v. J. LOTH, Ns., pp. 68, 135, DUINE, Momento, I, n° 74, p. 92. A remarquer aussi que les Loguivy qui sont actuellement des paroisses, sont d'anciennes trêves]. Il aborde en Plobazlanec, près de Paimpol, où il fonde un Loguivy [Note : Je suppose, hypothèse utile à mon exposé, que sa mission aurait eu lieu d'est en ouest ; le contraire peut être aussi vrai], de là il vient par la côte jusqu'auprès de Lannion, où existe une paroisse de Loguivy. Puis il monte dans l'arrière-pays, va en Tonquédec, où une chapelle à Loguivy rappelle son passage, oblique vers le sud-ouest, fonde un autre Loguivy en Plouaret [Note : Loguivy en Plouaret et en Tonquédec (C. E.-M.). Le cadastre de Plufur indique E, 37, un champ Douar Loguivy ; c'est très certainement une terre qui payait des redevances aux prêtres de Loguivy-Plougras. Ces dénominations sont encore fréquentes sur le cadastre], s'enfonce plus avant dans les montagnes boisées et s'en vient constituer la paroisse de Loguivy-Plougras ; sa mission ne se termine pas là, il s'en va en Léon [Note : Paroisse de S.-Divy ; il existe un Lesivy dans celle paroisse (C.E.-M.), ce qui prouve que c'est bien S. Yvi et non S. David], puis en Cornouaille [Note : Chapelle en Dirinon (F.) (Soc. Arch. Fin.. 1904. p. 122) ; paroisse de S.-Ivy. — La chapelle sur la côte entre Tréguennec et Saint-Jean-Trolimon (ibid., p. 22) est, probablement dédiée à S. Dei = David. L'on prononce S. Tei ar gorzec, S. Tei des roseaux. Le problème est très complexe, je ne le discuterai pas ici] et jusque dans le Vannetais [Note : Chapelle en Moréac (ROSENZW.). Ivit me paraît un autre saint. — Pontivy, en breton Pondi, comporte le même nom, mais non pas nécessairement le nom du saint. Ce peut être le nom d'un laïc]. Un tel apôtre a dû avoir des auxiliaires pour l'aider.

Dans sa tâche, s'il est vrai que nos saints bretons avaient des auxiliaires. Saint Tudual n'a pas évangélisé autant de contrées et fondé autant de paroisses, le culte que reçoit saint Tudual est consécutif à l'extension que lui donna le transport de ses reliques, le renom que lui procurèrent les évêques de Tréguier, et sa vie écrite ; mais on a groupé autour de lui tous les saints du Tréguier. Cet exemple suffit pour montrer que ces essais de groupement reposent sur une donnée fausse, puisque l'on n'établit de groupements qu'autour des saints qui ont un culte important, sans se préoccuper s'ils furent réellement pendant leur vie des personnages importants [Note : S. Ivy a une vie écrite qui n'a eu aucune célébrité en Armorique. Le pauvre saint est tombé dans l'oubli, aussi on ne lui attribue aucun compagnon].

L'on doit remarquer en second lieu qu'aucune donnée topographique n'a jamais permis de vérifier aucun groupement ; les compagnons que la vieille vie latine de saint Paul Aurélien attribue à. ce saint, ne sont nullement des saints du Léon ; l'on retrouve leurs noms disséminés dans la totalité de la Bretagne, certains mêmes se retrouvent dans l'île [Note : La vie latine de S. Paul Aurélien cite un certain nombre de compagnons. Elle était si peu renseignée au point de vue hagiographique local qu'elle ignore l'éponyme de Ploudalmezeau. Elle parle de la plebs Temeldovia, sans savoir que ce nom comporte un nom de saint, qu'elle aurait pu aussi bien classer dans le catalogue des compagnons de S. Paul]. Au lieu que le groupement corresponde à une région, que l'on puisse reconnaître une zone d'action où ces compagnons auraient travaillé autour du saint principal comme étant ses auxiliaires, l'on voit ces soi-disant compagnons dispersés un peu partout, sans que rien n'indique ni un point de départ commun ni une action commune. Nulle part on ne voit en Bretagne une pépinière de saints, un groupement quelconque, l'on rencontre à chaque pas des isolés, qui, eux, ou leur culte, ont voyagé au hasard, sans respecter ni les limites des pagi, ni les limites des évêchés. Autrement dit, la plupart de nos saints sont pan-armoricains, aucun n'est attaché à une région ; tout indique le contraire des groupements que les hagiographes se sont attachés à établir.

Mais qui plus est, on groupe des saints en se fondant sur le seul fait qu'ils sont l'objet d'un culte dans la même région, qu'ils y ont une chapelle, ou qu'ils y sont éponymes de paroisses ou de villages ; l'on oublie que tel saint peut être l'objet d'un culte dans une région sans y avoir vécu ; son culte a pu y être importé bien après sa mort ; et ainsi ce saint n'a jamais eu de son vivant aucun rapport avec tel autre saint patron de la chapelle [Note : Cette question de savoir si le saint a vécu là où son culte existe, même depuis une haute antiquité, est très grave. Certains saints paraissent avoir vécu dans l’île et n'avoir jamais mis le pied en Armorique, ; J. LOTH, Ns., p. 142, et v. pour S. Gildas, les conclusions de M. F. LOT, Mélanges d'histoire bretonne, Paris 1907, in-8°, p. 257. Cf. la vie lat. de S. Paul Aurélien qui attribue à ce saint le Lampaul Ploudalmezeau et non pas le Lampaul-Plouarzel (qui pourtant était sur le chemin du saint qui venait de l'île d'Ouessant), et ne parle pas des autres Lampaul].

Enfin, on suppose que tous ces saints auraient vécu à la même époque, et l'on oublie qu'en Bretagne les vertus religieuses ont fleuri de tous temps et que le peuple canonise encore de nos jours [Note : L'exemple type est S. Couturier, honoré en Augan (M.), sa grotte figure au cadastre (ROSENZWEIG). Le nom indique que ce saint n'est pas très ancien, et que l'on chercherait en vain à en faire le disciple de quelqu'un. (Sur ce saint, v. SÉBILLOT, Petite Légende dorée de Haute-Bretagne, p. 132 sur les canonisations populaires, V. JOLLIVET, Géogr. des C.-d.-N., IV, p. 64, DUINE, Memento, I, avant-propos, SÉBILLOT, Le Folklore de France, IV, p. 390]. La plus ancienne mention du saint constitue une date ante quam, les Plou, Lan, Tré, sont antérieurs au Xème siècle, les Lok se sont constitués jusque vers le XIIème siècle ; mais dans la période qui a précédé la date ante quam, des siècles s'étendent, et l'on suppose gratuitement que les saints d'une même région ont tous vécu à la même époque.

Ces remarques suffisent à faire abandonner tous les essais de ce genre : télescopages d'origine populaire ; tentatives pour cataloguer par groupements des individus épars, ou faux système historique qui considérait nos saints comme les chefs ecclésiastiques des émigrants bretons [Note : C'est le système de La Borderie. Or on sait qu'il est définitivement prouvé que nos saints n'ont rien de commun avec l'émigration (J. LOTH, Ns., p. 142) ; la topographie apporte une nouvelle preuve à ce fait ; nos saints sont presque tous pan-armoricains ; la plupart ont un culte ancien à travers toute l'Armorique. S. Pol. Aurélien, évêque de Léon, a des chapelles côtières en Plouezec C.-d.-N.), év. de. S.-Brieuc, en Guimaëc (F.), év. de Tréguier, la paroisse de Paule (C.-d.-N.), est dans l'év. de Cornouaille, et dans l'év. de Vannes il y a deux Lampaul : Lapaul en Locoal Mendon, la Peaule en Baud, et un Bourg Paul en Muzillac ; si nos saints étaient venus avec les émigrants ils seraient venus avec telle tribu, et seraient demeurés les patrons de cette tribu. — Il est préférable, si l'on croit que le culte, là où il est ancien, remonte au saint lui-même, de supposer que nos saints qui vinrent prêcher nos pères, déjà chrétiens avant l'émigration, étendirent leur zèle apostolique à l'ensemble de notre pays, voyagèrent beaucoup, à la façon du père Le Nobletz et du père Maunoir, et voyagèrent surtout en suivant, les côtes, ne remontant que rarement vers le haut pays. Il est fort probable que le zèle apostolique de plusieurs de nos saints fut étendu à la fois à l'Ile de Bretagne et au continent ; dans mon esprit, je considère que nos saints qui n'ont pas eu à convertir nos pères, sont venus des îles prêcher les populations chrétiennes amenées en désordre par l'émigration. Nos saints ont dû organiser ces populations, organiser leur vie religieuse, et pour cela ils ont constitué les paroisses et les trêves, qui ont précisément gardé leur nom. — Pour d'autres saints, il reste bien entendu qu'il s'est produit des transports de culte, mais le transport du culte de nos saints aux époques anciennes est très obscur. Les documents anciens et les vieilles vies n'y font jamais allusion, non plus qu'aux transports de reliques des vieux saints celtiques, l'on sait que le transport des reliques détermine généralement, les transports de culte. A telle enseigne on peut le dire, que nous ne connaissons rien du transport des cultes, et par conséquent qu'il est, difficile de décider si en tel point le culte remonte au saint lui-même ou à un transport du culte], tout cela doit être rejeté. Nos saints apparaissent comme des isolés ; si la topographie de leur culte peut pour certains rappeler l'itinéraire de leur apostolat, la topographie indique nettement qu'ils agirent individuellement, là où la main de Dieu les conduisait ; il ne subsiste pour l'historien aucune trace de groupement, et les groupements que l'on peut rencontrer dans les vies les plus anciennes semblent la création des hagiographes. Aucun indice, si minime soit-il, n'apporte un commencement de vérification permettant d'accorder la moindre créance à ces inventions d'hagiographes.

Telles sont les seilles conclusions d'ensemble que nous nous permettons de tirer de ce travail. Nous avons réduit à néant cette fausse légende récente des six compagnons de saint Efflam ; on a vu, d'autre part, que rien, dans les recherches que nous avons faites, ne permet de critiquer l'inébranlable confiance que nos populations ont gardée en leurs vieux saints locaux. Au contraire, nous avons réfuté une théorie qui tendait à les diminuer en voulant retrouver des traces de l'ancien paganisme dans le nom de l’un d'eux, et dans les pratiques du culte. Ces théories ne résistent pas à une étude quelque peu approfondie du sujet.

Nous ne tirerons aucune autre conclusion sur l'hagiographie de la région de Plestin. Six saints ne suffisent pas pour conclure en une matière si difficile et si fuyante, alors que le canton de Plestin fournit plus d'une cinquantaine de petits saints locaux. Conclure n'était pas notre but, il aurait fallu pour cela, ou que les conclusions eussent été posées à l'avance d'après un système préconçu, ou que l'on voulût ignorer toutes les difficultés. Nous croyons avoir évité ces deux défauts, et c'est pourquoi nous espérons que ces petites monographies pourront rendre quelques services à ceux qui aiment prier nos vieux saints et à ceux qui s'intéressent à leur histoire.

(R. Largillière).

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