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SAINT-HARAN ou SAINT-GARAN

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SAINT HARAN.

Le nom.
Il existe en Plestin, une chapelle dédiée à saint Haran, portée sous ce nom sur la Carte Elat-Major et sur le Cadastre. Le nom avait appelé l'attention des celtistes ; par suite d'un phénomène phonétique fréquent, le l final de Sant ayant pu faire tomber le T initial d'un ancien Taran. on avait supposé que l'on se trouvait en présence de l'ancien dieu celtique Taranis. M. joseph Loth, Ns., pp. 59, 116, 129, 133, avait reproduit cette hypothèse sans l'admettre ; nous allons étudier le saint Haran de Plestin, et nous déclarons dès le début que nous laissons absolument de côte ce qui concerne la statue du dieu au maillet trouvée à Plaintel [Note : A Plaintel (C.-d.-N., canton de Plœuc, zone française), il n'y a pas de S. Haran, mais simplement. une statue gallo-romaine, exhumée au XVIIIème s., à qui les paysans ont donné un nom de saint Auron, ou Tauron, ou Aron. Pour nos paysans il ne peut y avoir de statue que de saint ; sur cette statue, voyez TRÉVÉDY, La Pierre Sculptée du Rillan, Saint-Brieue, 1895, in-8° ; BERTHELOT DU CHESNAY, in Mém. Soc. Emut. Des C.-d.-N., XLII (1904)].

Le nom de ce saint est Garan. C'est en effet la présence des deux noms de lieux Tréc'haran et Lanc'haran, autour de la chapelle de Saint-Garan, qui a déterminé la chute du g initial et son remplacement par c’h ; la mutation de Garan en C’haran était régulière dans le mot composé ; elle a frappé aussi le mot simple. La preuve que telle est la forme primitive du nom, c'est que tel est le titre du Mystère de Saint-Garan, que M. Anatole Le Braz a étudié dans son Théâtre Celtique. Le « Prologue de Plestin » par lequel s'ouvre le Mystère de Saint-Garan, débute ainsi : « Dans la paroisse de Plestin, il y a un village appelé Trégaran. Là, Garan eut sa chapelle, aujourd'hui en ruines et tout écroulée... » [Note : A. LE BRAZ, op. cit., Paris [s. d.], in-8°. p. 309. Ce prologue a été composé antérieurement, à 1743, la chapelle de Saint-Garan fut en effet reconstruite en 1743 comme l'indique une inscription gravée sur un cartouche au centre du croisillon que forme le pavage de la chapelle actuelle].

Les actes confirment absolument cette forme : Trégaran, 1764, Saint-Garand, 1781, Lanharan, Trégaran 1782. Des pièces de 1702, 1707 sont relatives à une demande faite au baron de Trésiguidi pour obtenir du bois en vue de reconstruire « une chapelle ruinée dédiée à saint Garan, patron d'une des fréries de la paroisse, nommée Trégaran » [Note : Archives départ. des C.-d.-N.,- G. Pleslin. — Un document fort intéressant, est dans le registre bap., mar., sép., Plestin, 1750, p. 3. un acte rédigé par le vicaire porte « frérie de Trégaran ». Le recteur a corrigé « Tréharan ». Le vicaire ne voulait pas écrire la mutation].

Le dossier de Vente des Biens nationaux, a été gardé pour la chapelle. Elle est désignée sous le nom de Saint-Garand, on y a mentionné deux statues de bois, une de saint Garand, l'autre de saint Everzin, et « la fontaine dite de Saint-Garand dans une issue séparée du cimetière par le chemin et une pièce de terre » [Note : Arch. Départ. C.-d.-N., pièces de 1806. La chapelle et ses dépendances furent adjugées pour 100 fr., le 29 octobre 1806, à un certain Chauvin].

Les registres de délibération du Conseil municipal de Plestin, sous la Révolution, font mention de la chapelle Saint-Garand et de la section de Trégaran.

La prononciation actuelle à Plestin est Sant C'haran, Tréc'haran, et Lanc’haran braz, Lanc'haran bihan. Les cadastres, l'ancien comme le nouveau, écrivent Saint-Haran, Tréharan, Lanharan [Note : Il existe en Langoat. (C.-d.-N.), un village appelé Convenant Charan (C. E.-M.) ; sans donner d'importance à ce fait, notons que le ms. 5 du Mystère de Saint-Garan a été copié à Langoat. — LOUIS LE GUENNEC, Notes sur la paroisse de Ploujean, Morlaix, 1908, in-4°, p. 65, cite une « Guillemette-Catherine Le Borgne de la maison de Lanharan-Trévidy » en 1642. Cette famille paraît sans relation avec Plestin].

La graphie Garand, avec d final, rare et de basse époque, ne mérite pas de retenir l'attention [Note : Il faut, signaler à ce sujet un fait que je crois sans intérêt : un bonhomme des environs de Saint-Haran portait jadis le sobriquet Harandic = filleul de S. Haran. Je ne sais d'après quel modèle on s'est inspiré pour créer ce diminutif, le nom de Haran est prononcé de telle façon qu'il est impossible d'y relever aucune trace d'un d final]. La forme du nom est Garan. Or ce nom est bien unique en Bretagne. Aucun nom de saint ne s'en rapproche ; il n'y a aucune relation avec le saint Gérand ou Géland du Morbihan [Note : La forme la plus ancienne est S. Gélan. J. Loth, Ns.., p. 43. Sur ce saint DUINE, Memento, I, p. 109, n° 97, p. 132, n° 114 ; MARQUER, in Rev. des Tradit. Popul., VII, p. 69, XI, p. 660 (notons à ce sujet, que la première carte Etat-Major de Plestin, levée en 1858, porte S. Gérand). GARABY, op. cit., p. 83, donne au 5 mars, la vie de S. Géran, évêque, « Les leçons approuvées eu 1665 par Charles de Rosmadec, évêque de Vannes, supposent que S. Géran est le même que S. Sezni, dont on fait la fête le 19 sept. ». — Cf. GRÉGOIRE DE ROSTRENEN, Dict. franc. bret., s. v. Kirecq, « S. Kirecq ou S. Guevrocq, ou S. Dilecq ou S. Geran »], non plus qu'avec le personnage de Gouarannus qu'Albert Le Grand indique comme ayant été le 72ème évêque de Lexobie [Note : Gouarannus est peut-être le même nom que Uuarhenus, Cartulaire de Landevennec, XX (Edit. La Borderie, Rennes, 1888, in-8°, p. 151-152). — Inutile de dire que le personnage du 72ème évêque de Lexobie est absolument fabuleux. Mais il est bien antérieur à Albert, le Grand, qui n'en a pas créé la légende. C'est le nom de famille actuel bien connu de Goarant] ; ces noms sont absolument différents [Note : Aucune relation non plus avec les Gereint, Geruntius, etc., des légendes galloises, ni avec un saint martyr du nom de Garanus cité dans Les Petits Bollandistes, IV, p. 327, avec SS. Cancianus, Jovinien et Vital, 11 avril, comme nommés dans un très vieux martyrologe du Mont-Cassin].

La forme Garan reste incompréhensible. Il se peut que ce soit un nom brittonique et la tentation ne manque pas de chercher à le rapprocher du fameux nom Garannus = grue, des inscriptions celtiques [Note : Garan n'a fourni aucun nom de famille ; la C. E.-M. indique un Kergarant en Brélevenez (C.-d.-N.) cf. et. l'ecclesia de Boysgaran, actuellement Bongarant, commune de Sautron (Loire-Inf.), en 1456, LONGNON, Pouillés de Tours, Paris. Imp. Nat., in-4°, 1903, p. 279, p. 281. Il y a une ancienne seigneurie de Ker harant en le Guerlesquin, écrit Kergaran en 1580 Kerc’haran en 1589. (Soc. Arch. Fin., II, p. 81, et XXXVI, 1909, p. 187). Il y a aussi un lieu dit Garant à 8 kil. au nord de Cavan, sur le territoire de Lanmerin (C.-d.-N.) (C. E.-M.)].

M. J. Loth (Ns., p. 133 s. y. Haran) a cité avec beaucoup de réserves le nom de lieu Llan-Haran du pays de Galles (REES, Essay on the Welsh Saints, p. 337) ; c'est en effet le nom d'une chapelle dans la paroisse de Llanilid en Glamorgan, laquelle chapelle est dédiée à saint Aaron et saint Julius, compagnons martyrs. (Cf. Jolo Mss., p. 222). Il se peut que saint Aaron de Caerleon-sur-Usk ait été substitué à un saint primitif d'un autre nom, malheureusement, aucun document ne peut dire quel a pu être le vieil éponyme du Llan-haran du pays de Galles.

Plestin.

La chapelle, de saint Garan à Plestin est à deux kilomètres ouest du bourg, le long d'un petit chemin creux et tortueux qui conduit au premier pont sur le Douron, et par là à Guimaec. Non loin de cette chapelle, un mamelon qui domine quelque peu le Douron porte le nom de Coz Castel, au pied de ce mamelon, et au bord des marais, dans une petite anse où aboutit le chemin, une fontaine dite de la princesse et un doué [Note : Avant la guerre, il y avait encore un petit saint en bois dans la niche de la fontaine. - Le vieux château, Coz-Castel, aurait été à côté de la ferme de ce nom. Une légende à l'état de fragments dit : « Au déluge tout a été noyé, et le château aussi a été noyé »].

La Chapelle Saint-Garan, qui était en ruines en 1703, nous l'avons vu, a été reconstruite et terminée en 1743. Cette date est inscrite sur un cartouche au centre du croisillon que forme le dallage [Note : Les lettres sont en partie usées, mais on peut lire : JACQVE ET IAN LE...... 1743] ; c'est un édifice bien simple, carré, un petit clocheton surmonte le pignon d'entrée. A l'intérieur, il y a une statue qui porte le nom de saint Haran ; c'est une vieille statue de saint Yves, bien facile à reconnaître à son bonnet carré, et à son costume traditionnel. Il y a ensuite

Une statue qui porte le nom de saint Eversin, évêque qui porte les bras en l'air de façon à avoir les mains à hauteur de sa tête. Ce saint est invoqué pour la guérison des maux de tête [Note : Ce saint a des statues dans beaucoup de chapelles et églises de la région]. Une troisième statue sans inscription représente un saint barbu lisant dans un livre, une quatrième statue, sans inscription aussi, représente un saint rasé tenant un livre à la main. Ce doit être une de ces deux dernières statues qui était jadis celle de saint Garan. Le placitre de la chapelle est assez grand, entouré d'un muret ; il servait peut-être de cimetière avant la Révolution, car le procès-verbal d'estimation du 21 mars 1806, pour la vente des Biens Nationaux, en fait fait mention en parlant de la fontaine : « la fontaine dite de Saint-Garand dans une issue séparée du cimetière par le chemin et une pièce de terre » [Note : Archives Départ. C.-d.-N. — Toutefois je n'ai pas vu mention d'inhumation en ce cimetière, dans les registres de sépultures de Plestin].

Le pardon a lieu le lundi de la Pentecôte, d'aucuns m'ont dit le dimanche qui suit le 5 mai. Les anciens que j'ai interrogés à Lanharan, m'ont assuré que saint Haran était venu avec saint Efflam, que c'était une tradition ancienne que l'on racontait bien avant que le nouveau cantique ait été composé. On invoque le saint pour les petits enfants qui ne savent pas marcher, qui sont nés rachitiques, et l'on vient pour cela en pèlerinage successivement les trois premiers lundis de mai [Note : C'est bien le mois de mai qui est dédié au saint, pour ranger sa fête dans le calendrier des fêtes mobiles, on l'a placée le lundi de Pentecôte].

Cavan.

Saint Garan était aussi autrefois le patron de la paroisse de Cavan (C.-d.-N.), petit bourg qui se trouve environ à 25 kilomètres est de Plestin, en droite ligne. Dans l'église de Cavan, l'autel de la chapelle du côté de l'épître supporte un tronc de saint Garan, avec l'inscription bretonne Kef St Garan ; c'est le seul Souvenir qui ait subsisté du saint patron ; par contre, il y a une statue de saint Denis (Saint Denez). évêque, crosse mitré bénissant, fait qui a un intérêt considérable comme on le verra, et une statue sans nom de saint céphalophore, qui est celle de saint Chéron. Le vitrail du côté de l'évangile représente le martyr de saint Chéron, enfin il y a une statue Itron. V. Caoan, N.-D. de Cavan.

Le titre des manuscrits du Mystère de Saint Garan apporte la preuve que saint Garan était bien patron de Cavan : Buez an aotrou sant Garan, patrom er barrous a Gavan, ha buez sant Denès ha sant Clément, fait par moy Jean Godest de…….. en Trezelan, l'an X de la République ; un peu plus loin on lit encore Bue an autro sant Garan, patrom demeus a barous Cavan, et Luzel qui décrit ce manuscrit ajoute : A la page 223, on lit : Breman commanz act ar Vreloned. — A présent commence l'acte des Bretons puis suit le Prolog Plestin, ou le Prologue de Plestin, où l'on voit saint Garan débarquant dans la commune de Plestin, pour y convertir les habitants alors idolâtres. De Plestin, il se rendit dans le pays qui porte aujourd'hui le nom de Cavan et y signala son séjour par des miracles et de nombreuses conversions [Note : Revue Celt., V. (1881-83), p. 324. — Cf. AN. LE BRAZ, Théâtre Celtique, p. 520. Ce ms. appartenait à Luzel et est devenu la propriété de M. Anatole Le Braz].

Il est donc démontré que saint Garan était patron de Cavan [Note : Cf. une gwerz donnée par LUZEL, Gwerziou Breiz Izel, Lorient, 1861. in-8°, I., p. 97. Garan Le Briz, conscrit de Cavan, implore son patron, Aotrou sont Garan ma fueron (Luzel a recueilli cette gwerz en 1848)].

Comme on le verra plus loin, Garan et Cavan sont deux noms différents qui désignent le même saint, comme Pabu et Tudual [Note : Ce qui prouve bien que ce n'est pas en se fondant sur des ressemblances morphologiques que l'on doit chercher à identifier des personnages, mais qu'au contraire des noms bien différents peuvent désigner le même personnage. - Il existe à un kil. N.-E. de Cavan un hameau dit Lan-Cavan, dans une vaste lande (C. E-M.). Je crois que Lan signifie la lande appartenant à Cavan. Beaucoup de communes ont ainsi leur lande : Lan-Servel (C. E.-M.), Lan-Plufur (Cadastre), Lan-Yvias en Kerfot, ancienne trêve d’Yvias (C.-d.-N.) (C. E.-M.), etc, - L’on prononce Caoan en breton, or une paroisse limitrophe de Cavan, et qui était son ancienne trêve, s'appelle Caouennec, ce qui, en breton, a le sens de « lieu plein de corneilles ». Voir le long commentaire à ce sujet par M. ERNAULT, in Rev. Celt., XXXVI (1915), p. 206, n. 3. Ajoutons que la forme Cavan est ancienne (Anc. Evêchés de Bret.), I, p. LXXVII, en 1032 ; LONGNON, Pouillés de Tours, p. 339, donne en 1330 : Cavan et Cavoennec sa trêve. Il faut remarquer que ce serait, le seul exemple où le nom de la trêve serait le nom de l'éponyme de la paroisse suivi du suffixe ec.] ; Cavan se trouve être un nom de paroisse formé par le seul nom du saint [Note : Il y en a beaucoup d'exemples : Finistère : Berrien (J. LOTH, Ns., p. 13), Reuzec-Cap-Sizun, Beuzec-Conq et Beuzec-Cap-Caval en Saint-Jean-Trolimon (Ns., p. 14), Carantec (Ns., p. 18), Cast (p. 19), Cléden Cap-Sizun, et Cléden Poher (p. 23), Cléder (p. 24), Elven (p. 131), Gouezec (p. 47), Goueznou (p. 47), Goutien et Goulven (p. 46), Guengat (p. 51), Kerrien (p. 22), Nizon, cf. Coat Nizon et Cleuz-Nizan en cette paroisse et Saint-Nizon en Malguénac (M.) ; Primelin (p. 108), Riec (p. 108) ; Morbihan : Baud, cf Saint-Baud en Minlac ss. Bescherel I et V (P. T. T.), Bieuzy (p. 14), Caden (p. 17), Caudan, cf. Saint-Coudan en Kergrist Moëlou (C.-d.-N.), Trégoudan en Roscanvel (F.), et, Lescoudan en Mespaul (F.) (C. E.-M.). Gourin, cf. Plourin Léon et Plourin Tréguier (F.), Guégon (p. 50), Guénin. (p. 53), Guidel (p. 55), Meslan, cf. chapelle Saint-Meslan en Lanvénegan, paroisse limitrophe de Meslan (C. E.-M.) - Côtes-du-Nord : Berhet (p. 13), Gouarec et non loin en Ste Tréfine, fontaine Gouarec (C. E. M.), Paule (p. 102), Servel (p. 113). Le même fait se présente pour les hameaux. En Plestin, l'on dit Mundez, Claude, pour désigner le village autour des anciennes chapelles de ces saints ; en Plounérin, Kirio désigne le village autour de la chapelle Saint-Kirio (C. E-M.) ; de même, village du Christ en Plufur et en Ploumiliau autour de la chapelle Christ ; Morgat en Crozon (Ns., p. 96), Primel en Trégastel-Primel (F.), sont d'anciens noms de saints. L'on pourrait en relever beaucoup ainsi].

Plouguerneau.

Saint Garan avait aussi une chapelle en Plouguerneau [Note : Plouguerneau se trouve environ à 80 kilomètres ouest, en ligne droite, de la région de Cavan Plestin] (F.), mais le nom qu'il portait dans le peuple, et qui a donné naissance au nom de lieu n'est pas Garan mais Cava, de même que à Cavan ;

Cette chapelle se trouvait au village actuel de Saint-Cava [Note : La Carle Etat-Major et le Cadastre portent Saint-Cava. M. J. LOTH, Ns., p. 129, S. V. Cavan, fait remarquer qu'il existe une parcelle de terre appelée Mechou Caffa, les champs de Caffa (dépendant autrefois de sa chapelle sans doute, ce qui est fréquent). (S. Cava est dans la section de l'Armorique)] lequel est presque en bordure de la côte : elle nous est bien connue grâce à un dossier conservé aux Archives Départementales du Finistère, sous la cote G. 192, qui contient un nombre considérable de fondations et d'aveux des XVIIème et XVIIIème siècles concernant la chapelle de Saint-Garan. Voici les noms que porte la chapelle dans ces différents actes :

1624 Saint-Garan. 1640 Saint-Garan. 1641 Saint-Caran. 1644 Saint-Caran et Saint-Carant. 1645 Saint-Caran. 1649 Saint Caran. 1660 Saint-Garan. 1661 Saint-Garan. 1662 Saint-Garan. 1666 Saint-Garan. 1693 Saint-Caffua. 1694 Saint-Garand, Saint-Garan, Saint-Caua. 1713 « l'église de Saint-Garan, vulgairement Saint-Caffa ». 1717 « l'église de Saint-Garan, vulgairement Saint-Cava ». 1765 Saint-Cava. 1773 Saint-Cava. 1786 Saint-Cava. 1787 « Saint-Garan ou Saint-Cava ».

L'on voit donc que le saint portait deux noms : saint Garan, nom savant, liturgique, et saint Cava, nom populaire, vulgaire, qui précisément est demeuré le nom de lieu [Note : Si à certains moments l'un voit apparaître la forme mutée Caran, c'est sous l'influence de la forme Cavan qui a une initiale dure, mais Garan reprend toujours sa forme naturelle, et Caran n'est que sporadique. Cava, Caffa, Caffva de Plouguerneau, et Cavan prononcé Caoan dans la paroisse de Cavan, n'a aucun rapport avec le S. Caduan qui avait une chapelle en Braspartz (F.), encore incliquée sous ce nom sur la C. E.-M. ; le dossier des comptes de cette chaquelle (Archives Dép. du F., 27 G, 35-37), de 1659-1782, donne continuellement la forme Cadüen, et Caduan. L'on prononce Cadouan ou Cadoan. Ce nom est bien connu en Bretagne : cf. Bot-Cadoan du Cartul. de Quimperlé, aujourd'hui Bosquédaouen en Roudouallec (M.) (La C. E.-M. donne Boscadouen.). J. LOTH, Chresto., p. 196, Lescataouen en Telgruc (F.), Cadouan en Planguenouat (C.-d.-N.) (C. E.-M.). Ce saint Caduan était aussi patron de Poullan (F.), dans le Cap-Sizun, écrit Cadoan dans un compte de fabrique de 1790, Arch. Dép. F., 219 G, (Sur ce saint et le nom, voir GAULTIER. DU MOTTAY, Icon. et hag. Bret., p. 19 ; LATOUCHE, Mél. d'Hist. de Corn., Paris, 1911, in-8°, p. 30, n. 3 et 4, donne une bibliogr. complète ; DUINE. Memento, I, p. 153, n° 167 ; Soc. Arch. Fin., 1903, p. 158, et LA BDRDERIE, S. Patern, Vannes. 1893, in-8°, p. 18). Les deux formes Cadoan et Cavan sont bien différentes puisqu'à ces deux formes correspondent deux formes galloises différentes : Catwan et Cadvan, v. infra].

La chapelle de Saint-Cavan est en bordure de mer. Il n'en subiste qu'un seul pan de mur. Elle n'a pas de fontaine. La statue en bois du saint a été transportée à la chapelle de Lilia, voisine de Saint-Cava. Le pardon a lieu le dernier dimanche d'août. Le saint est invoqué pour la protection des porcs.

Le nom de Cavan se retrouve encore dans un nom de lieu, Langavan en Saint-Méloir [Note : J. LOTH, Ns., p. 20, s. v. Catvan, et l'add. et corr., p. 147] (C.-d.-N.). Saint-Méloir est une paroisse terrienne à l'ouest de l'arrondissement de Dinan, canton de Plélan-le-Petit. Il existe aussi un village de Trégavan en Scaër (F.), paroisse de l'arrondissement de Quimperlé (C. E.-M.) [Note : Il y a aussi un hameau du nom de Cavant en Prat (C.-d.-N.), un village de Bo-cava en Caden (M.) (C. E.-M.), mais on ne saurait dire si c'est le nom du saint ou le nom commun Cavan = chouette, ou le nom de famille Cavan (Cavan est en effet nom de famille à Trédrez et dans la région de Plougras, Lohuec, Pédernec, Bégard, à Trogéry (C.-d.-N.) ; en Ploudaniel (F.). Il existe aussi un lieu dit Kergavan en Ploneour Ménez, en Plougoulm (F.) (C. E.-M.). Il existe même un Kergavan en Poullan, Cap-Sizun (C. E.-M.), où nous avons signalé le culte de S. Cadoan. Ces Kergavan sont tous des « chouanneries » (V. la note déjà citée de M. Ernault, in Rec. Celt., XXXVI, p. 206)].

Cavan est un nom brittonique identique au nom du saint gallois Cadvan = Catu-man-os [Note : J. LOTH, Ns., p. 20, et Chresto, p. 43 et, 150. La plus ancienne forme attestée en Amorique se trouve dans Botcatman, nom de lieu en Luzanger (Loire-Inf.), cité par des chartes du Cartul. de Redon, de 830 et 864, étudiées par J. LOTH, Rev. Celt., XXVIII (1907), p. 392].

Les deux noms de saint Garan, Garan d'une part, Cavan d'autre part, sont des doublets. Ils ne peut y avoir de doute à cet égard puisqu'ils ont coexisté et à Cavan et à Plouguerneau, en des points absolument indépendants et distants en ligne droite d'environ 80 kilomètres, chacune de ces deux formes ayant eu en ces deux points le même emploi, Garan étant la forme savante, liturgique, Cavan la forme vulgaire qui fournit le nom de lieu [Note : Avec toutefois cette bizarrerie qu'à Plestin la seule forme savante existe, et pour le saint et pour les noms de lieux]. Il n'y a aucune relation ni au point de vue du sens ni au point de vue de la forme entre ces deux noms. L'exemple de saint Tudual, dont le doublet est Pabu, est du même genre [Note : Dans Pabu-Tudual, la forme Pabu paraît la forme poputaire. - J'ajoute qu'il est impossible de supposer pour Cavan-Garan, l'existence de deux saints honorés conjointement à la façon de S. Côme et. S. Damien, S. Crépin et S. Crépinien]. Des recherches dans l'hagiographie bretonne permettraient sans doute d'autres découvertes semblables, qui éclaireraient l'origine et les raisons de ces doublets. C'est en ce sens qu'il serait téméraire de conclure, en l'absence de données comparatives. Il faut ajouter à ce sujet que rien n'explique l'existence d'une forme savante. La Bretagne armoricaine, surtout en matière hagiographique, et plus encore quand il s'agit de petits saints, n'est pas un pays qui ait vu une tradition savante vivre à côté d'une tradition populaire. Nous savons par ailleurs que ces doubles noms sont anciens puisque, la vie latine de saint Paul Aurélien et celle de saint Guennolé donnent le nom et les surnoms de plusieurs des personnages qu'elles nomment [Note : Vita Pauli Aureliani, c. XI, Vita Winwaloci, I. 4. On a d'autre part l'exemple de S. Kirec, Guévroc et S. Ké, Kénan, Colledoc].

Saint Garan dans la Littérature Bretonne.

Saint Garan occupe une place considérable dans la littérature bretonne. Il a été porté sur la scène dans un mystère célèbre, Mystère de saint Denis et de saint Garan. Il a été signalé cinq manuscrits de ce mystère :
1, Ms. de 1763, collection de M. Anatole Le Braz.
2, Ms. de 1801, collection Luzel, en la possession de M. Le Braz.
3, Ms. de 1802, collection de M. Vallée.
4, Ms. de la Bibliothèque Nationale, fond Celtique, n° 100 (Ancienne Collection Penguern).
5, Ms. du Château de Lesquiffiou, 1790.
Les mss. 1, 2, 3, sont décrits par Le Braz, Le Théâtre Celtique, p. 520 ; le ms. 2 a été décrit en outre par Luzel.

Dans la Revue Celtique, V, p. 324, et le ms. 4, ibid., XI, p. 424. M. Anatole Le Braz a connu les quatre premiers mss. qu'il cite, op. cit., pp. 309, 311. Le ms. 5 a été découvert par M. Louis Le Guennec, et décrit par lui dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, XXXIX, 1912 (Les Mystères bretons de la Bibliothèque de Lesquiffiou, pp. 22-24 du tirage à part).

Aucun de ces manuscrits n'est le texte original ; ce ne sont que des copies. Il est impossible de fixer la date où fut composé ce mystère. Cependant, nous savons qu'il est antérieur à 1743, puisque le prologue de Plestin, qui se trouve dans les mss. 3 et 4, fait allusion à la chapelle en ruines de Saint-Garan, en Plestin, et que cette chapelle était rebâtie en 1743. La date de 1743 est un terminus ad quem, le terminus a quo est la date de 1679. C'est en effet en 1679 que fut imprimé à Chartres l'office de Saint Chéron, qui a joué un rôle important dans l'hagiographie bretonne, et a été, comme on le verra plus loin l'origine de toutes les contaminations entre saint Garan et saint Chéron, contaminations dont est sorti précisément le mystère de saint Garan. On peut donc dire que notre mystère a été composé entre 1679 et 1743 [Note : 1743 est d'ailleurs une date extrême, c'est la date à laquelle fut définitivement rebâtie la chapelle Saint-Garan en Plestin. Or elle n'a pas été rebâtie en un an. Dès 1702, il y avait des pourparlers pour la reconstruire, et en 1707 l'autorisation de reconstruire était donnée, V. supra].

Il faut bien spécifier que ce mystère est absolument trécorrois. Il concerne le saint Garan de Plestin et de Cavan, et ignore le saint Garan de Plouguerneau dans le Léon. Les manuscrits ont appartenu à des Trécorrois et ont été copiés par eux ; la langue est celle du dialecte trécorrois.

Luzel a donné le résumé du ms. 2 :

A la page 223, on lit : Breman commanz act ar Vretoned. — A présent commence l'acte des Bretons ; puis suit le Prolog Plestin, ou le Prologue de Plestin, on l'on voit saint Garan débarquant dans la commune de Plestin, pour y convertir les habitants alors idolâtres. De Plestin, il se rendit dans le pays qui porte aujourd'hui le nom de Cavan et y signala son séjour par des miracles et des conversions nombreuses ((Revue Celt., V, p. 324)).

Il faut donc noter que l'auteur du mystère gardait à Garan son caractère bien net de saint breton venu par mer.

M. Anatole Le Braz a donné une analyse des mss. 3 et 4.

Le mystère de saint Denis se complique de la vie d'un prétendu disciple de ce saint, un certain Garan, — Gouarranus, chez Albert de Morlaix, — évêque fabuleux de la fabuleuse Lexobie (aujourd'hui Le Yaudet, à l'embouchure de la rivière de Lannion), et qui passe pour avoir été l'un des premiers apôtres de la foi chrétienne en Armorique. Donc, après nous avoir fait assister aux travaux et au martyre de saint Denis, la pièce bretonne nous conduit en Basse-Bretagne avec saint Garan. « Dans la paroisse de Plestin, dit le prologue désigné sous le nom de Prologue de Plestin il y a un village appelé Trégaran. Là Garan eut sa chapelle, aujourd'hui en ruines et toute écroulée. Sa construction remontait à dix-sept cents ans. Quand arriva Garan dans cette paroisse, beaucoup de ses habiltants étaient idolàtres. L'année qui précéda sa venue un ami de Dieu, nommé saint Allin (Albin ?), y avait accompli de grands miracles et converti le roi des Bretons. Mais les princes, hélas, refusaient d'imiter le roi. Monseigneur saint Garan ne fut pas plus tôt dans le pays qu'il convertit plusieurs d'entre eux... Le roi des Bretons demeurait alors à Lexobie. C'est, un lieu fort dévôt, dont la chapelle est encore dédiée à la Vierge Marie. Pendant tout le mois de mai, les pélerins s'y rendent en foule et soixante-douze évêques, à ce que l'on rapporte, y sont enterrés. Le roi des Bretons y avait auprès du Yaudet, un château superbe, tout à fait magnifique sur ma parole et qui fut détruit en l'an 500. Le roi des Saxons et ses princes résolurent d'envoyer un commissaire en Basse-Bretagne pour lui imposer la gabelle, ou si elle regimbait, pour lui déclarer la guerre. Le commissaire vint donc trouver le roi de Basse-Bretagne et lui lut l'arrêt d'un bout à l'autre : il fut aussitôt pendu à un poteau de bois... A cette nouvelle, le roi des Saxons leva promptement une armée pour châtier le roi des Bretons et mettre tout le pays à feu et à sang. Ses gens arrachèrent leur couronne d'or au roi, à la reine, puis les dépouillèrent de leurs vêlements. C'était à boucher le cœur le plus cruel, eût-il été de pierre ou d'acier. Ils furent contraints... de quitter la Basse-Bretagne.... Comme ils erraient, misérablement équipés, nu pieds et tête nue, n'ayant ni pain ni quoi que ce fut à manger, tellement c'était pitié de les voir, ils rencontrèrent deux gentilshommes de la paroisse de Plestin qui avaient été convertis par Garan. Ceux-ci les conduisirent au saint homme... qui les consola, leur dit d'avoir confiance en Dieu. Ils finirent en effet par remporter la victoire. Tout ce qu'il y avait de Bretons en Basse-Bretagne, nobles et gens de commun, se réunirent autour d'eux pour combattre les Anglais maudits pendant que Garan et ses prêtres priaient à genoux Dieu et la Sainte Vierge. Les Saxons furent exterminés, et à partir de cette époque les Bretons vécurent en paix ».

Il y a là, comme on peut voir, un mélange assez confus de fictions ecclésiastiques (la légende, de saint Garan, évêque de Lexobie), et de vagues réminiscences historiques dénaturées (les incursions des Normands sur les côtes bretonnes et leur défaite par Alain Barbe-Torte), le tout rattaché tant bien que mal à l'apostolat de saint Denis qui forme comme le support de la pièce [Note : Op. cit., p. 309 et seq. — Le Mystère de S. Garan est une suite bretonne au mystère d'origine française de S. Denis. Cf supra, nous notions dans l'église de Cavan une statue de S. Denis].

M. Le Braz revient encore au mystère de saint Garan (Ibid., p. 424) pour citer « ses homélies dont le caractère poétique avait déjà frappé Luzel », et cite « ces paroles du saint prêchant à ses disciples » :

Voyez, quand arrive le mois de mai, tout est riant dans un verger. Les arbres sont couverts de fleurs, toutes admirables selon leurs natures. Un coup de mauvais vent, hélas, survient, il assaille les fleurs comme les feuilles. Ainsi fait le diable qui ruine, jour et nuit, le verger de Dieu.

Quant au ms. 5, celui de la. Bibliothèque de Lesquiffiou, il a été résumé ainsi par M. Louis Le Guennec (op. et loc. cit.) :

La première journée est consacrée à saint Denis, et son disciple saint Garan ne paraît qu'à la seconde. Le « Prologue de Plestin » cité par Le Braz manque ici, et l'on n'y trouve pas davantage la gracieuse comparaison inspirée à saint Garan par la vue d'un verger fleuri. Le héros du mystère guérit un fille possédée, un paralytique, il évangélise le pays. Enfin, il est décapité par quatre voleurs et des anges viennent inhumer son corps [Note : L'Episode du saint ermite tué par des voleurs est un thème hagiographique. On faisait ainsi facilement un martyr d'un saint qui avait été un ermite. Ici il est emprunté à S. Chéron, on le sait ; dans l'hagiographie bretonne, un le retrouve dans une légende orale concernant, un S. Jacut, SÉBILLOT, Petite légende dorée de Hte-Bret., Nantes, 1897, in-12, p. 146. — L’épisode des messagers insolents est un des « moules » communs aux chanson de geste, BÉDIER, Les Légendes épiques, IV Paris, 1921, p 329].

M. Anatole Le Braz (op. cit. p. 309) a fait au sujet de notre saint une hypothèse des plus ingénieuses quand il l'a rapproché d'un certain Gouarannus, évêque de Lexobie, dans Albert Le Grand. En exploitant ce judicieux rapprochement du grand interprète de nos traditions bretonnes, l'origine de toutes les péripéties par lesquelles a passé le culte de notre saint va être éclairée d'un jour tout nouveau. Citons d'abord le passage d'Albert Le Grand [Note : Edit. Thomas et Abgrall, p. 2.9 * (Catalogue des Evêques de Tréguier). — Ce passage comme tout ce que dit Albert Le Grand sur les Evêques de Lexobie existait dans le Gwerz Koz Yodel, cantique connu dit d'Argentré, qui le cite p. 63, dans son Histoire de Bretagne parue en 1555. Remarquons que dans ce cantique comme dans Albert Le Grand, il n'est pas question d'une « revanche » prise sur Hastings, grâce à l'intervention et aux prières de S. Garan. Cette revanche est probablement une création de l'auteur du mystère. — Lexobie est le petit village de. Coz-Yéodet en Ploulech (C-d.-N.), sur un promontoire] :

Gouarannus, 72ème évesque de Lexobie, fut esleu en 765.... Le prélat tint ce siège soixante-dix ans….. jusqu'en 836 que Hasteing, capitaine des Danois qui escumoient la mer Océane vint avec toute sa flotte aborder au havre de Bec Léguer. Ils assiégèrent et emportèrent d'assaut la ville de Lexobie ou Coz-Guéaudet, massacrèrent le clergé et le peuple et pillèrent le trésor de l'Eglise Cathédrale, hormis les reliques du corps de saint Tugduval que ce prélat enleva et emporta à Chartres en Beausse, où elles sont encore gardées.

Or c'est de ce passage que sont sorties toutes les transformations subies par saint Haran. Remarquons bien que saint Garan et Gouarannus ne peuvent être le même personnage. Les deux noms sont philologiquement irréductibles ; Gouarannus n'est pas donné comme un saint par Albert Le Grand, enfin saint Garan ne peut être contemporain des invasions normandes.

Mais un clerc quelconque a, cru bon de confondre les deux personnages. Là est l'origine de l'introduction dans, la vie de saint Garan, des événements relatifs à Lexobie. C'était un premier pas, mis sur cette piste on ne s'arrêta point ; on poussa des recherches dans les martyrologes chartrains ; puisque c'était à Chartres que Gouarannus avait transporté les reliques de saint Tugdual, il pouvait y avoir laissé des traces. On fit une découverte toute autre : on trouva à Chartres un saint martyr du nom de Sanctus Caraunus, en francais Chéron, disciple de saint Denis, et apôtre de Chartres. C'était là une riche trouvaille ; on confondit les deux personnages, ce qui fit de saint Garan un saint de l'Eglise officielle, un disciple du grand saint Denis.

Par là on étendait à Plestin la thèse fameuse de l'apostolicité de l'Eglise des Gaules. La personne de saint Chéron vint recouvrir celle de saint Garan que l'on avait déjà fondue avec le personnage de Gouarannus ; et le tout fut localisé à Plestin. Les actes de saint Chéron disent que ce saint en arrivant dans la cité des Carnutes y trouva un petit nombre de chrétiens qui avaient été convertis par saint Altin, prédécesseur de saint Chéron à Chartres. Ce détail fut transporté aussi à Plestin. Il ressemblait quelque peu à la légende plestinaire de saint Gestin précédant saint Efflam : les noms mêmes Altin Gestin permettaient le rapprochement. L'on prêta à saint Garan la mort de saint Chéron tué par des voleurs. Les difficultés chronologiques n'arrêtèrent personne : saint Garan, missionnaire du Vème siècle, se trouva réunir à la fois trois personnages, le saint de Plestin et le patron de Cavan, un apôtre de l'époque de Domitien, martyr de Chartres, et un évêque de la fabuleuse Lexobie, à l'époque des invasions normandes.

L'histoire de l'introduction de saint Chéron en Bretagne, venant y remplacer des saints locaux, nous est bien connue. Dom Lobineau a en effet raconté (Vies des Ss. de Bret., Rennes, in f°, 1724, p. 26) comment, en 1687, Etienne Pégasse [Note : Le chanoine Thomas, dans ses notes à l'Edition des Vies des Saints d'Albert-le-Grand, p. 567, ajoute : « Sans grands frais d'imagination on pourrait confondre son joli nom de Pégasse avec deux appellations également irrévérentieuses ». Il faut remarquer que le recteur avait déjà modifié son nom pour le rapprocher de celui de la mythologie classique ; le seul nom de famille qui existe en Bretagne est Bégasse : Listes électorales 1912 : Meslan (M.), 5 , Le Faouët, (M.), 5 ; cf. Bégasse, nom d'un moulin en Meslan (M.) (ROSENZWEIG), le Bégassous, n. d'h. XVIème s. (Les Chevalier de S. Michel, par G. DE CARNÉ, Nantes, 1884, in-8°, p. 55). La Bégassière, l. d. en Guer (M.) (ROSENZWEIG), en Dolo. (C.-d.-N.), ce dernier appelé Begaceria dans une charte de 1249 (Anciens Evêchés de Bretagne, par GESLIN DE BOURGOGNE ET BARTHÉLÉMY, III), l. d. en Pleslin, en Saint-Helen, et en Yvignac, (C.-.d.-N.) (P. T. T.). Il n'existe, par contre, aucun l. d. La Pégassière en Bretagne. Le bon recteur aurait pu signer Pégase, puisque un recteur de Tréduder en 1330, n'hésite pas à traduire son nom Riou, par le nom idolâtre de Jubiter. (Sous l'influence de diriou = die Jovis), Monuments originaux de l'hist. de S. Yves, Saint-Brieuc, 1887, in-4°, p. 206], recteur de la paroisse de Kerrien (F.), remplaça le saint patron de Kerrien par saint Chéron de Chartres. Il présenta pour celà, à l'Evêque de Quimper :

Un petit livre imprimé à Chartres en 1679, contenant l'office de saint Chéronce Martyr à l'usage de l'Eglise Roïale des Chanoines Réguliers qui porte le nom de ce saint martyr… Ainsi, avec l'agrément de l'Évêque diocésain, l'on a substitué un Martyr étranger à un solitaire du païs, sans autre raison, qu'une ressemblance telle quelle, qu'on a cru entrevoir dans les noms de Kerianus et de Caraunus [Note : C'est sous l'influence de ce texte que GAULTIER DU MOTTAY, Iconogr. et hagiogr. bretonne, p. 54, n. 2, a supposé que S. Chéron avait remplacé à Cavan le même saint qu'à Kerrien ; c'est à tort, on l'a vu. -- Il est à noter que S. Chéron est aussi le patron de la paroisse de la Roche-Derrien (C.-d.-N.) (GAULTIER DU MOTTAY, Géogr. dép. des. C.-d.-N., p. 606). S. Chéron a eu réellement du succès en Bretagne].

C'est à la même époque qu'un clerc de Cavan a fait l'achat de ce petit livre, a substitué un martyr étranger au saint local, et brodé le mystère de saint Garan pour faire une suite au mystère de saint Denis.

A Plestin, les fantaisies de la comédie n'ont pas dépassé les planches de la scène. Saint Allin, qui était donné comme précurseur de saint Garan, au même titre que saint Gestin, précurseur de saint Efflam, et probablement sous l'influence de la légende de saint Gestin, saint Allin n'a laissé aucun souvenir. Quant à saint Garan, il est donné comme le compagnon de saint Efflam, et rien de ce qui avait été raconté par le Mystère n'a subsisté.

A Cavan, c'est toujours saint Garan qui est le patron de la paroisse ; les recteurs lui ont prêté la légende de saint Chéron, le nom de saint Garan déguise le personnage de saint Chéron, mais c'est toujours saint Garan qui en nom est le patron de la paroisse. Le Cantique que l'on chante au pardon en est la preuve : Kantik Zant Garan patron parous Kavan. L'exemplaire qui m'a été communiqué porte l'imprimatur de saint Brieuc, 14 mai 1899, le style est peut-être d'une vingtaine d'années plus ancien, et l'imprimatur doit être celui demandé pour une réédition. Le cantique parle peu de la vie du saint, il dit que le saint naquit à Rome et qu'il fut martyrisé à Chartres.

Eun de, gant tud kri ha digar

Penn-follet gant eur barr-kounar,

Abalamour d’ho fe ken stard

Oc'h bet dibennet, tost da Chart.

Quant au mystère de saint Garan, il n'a laissé aucun autre souvenir que la statue de saint Denis qui orne toujours l'église paroissiale [Note : Je n'ai rien trouvé à Cavan ni aux Archives dép. C.-d.-N., série G, concernant, l'histoire de cette substitution. Le cahier de paroisse que le recteur de Cavan a bien voulu me communiquer en sept. 21 est très incomplet et fait allusion à un cahier antérieur que le recteur n'a jamais vu. — Ajoutons que pour supprimer toute difficulté concernant le saint patron, on a instauré dans l'église de la paroisse le culte de N.-D. de Cavan, Itran Varia Caoan ; cette tentative de substitution est peut-être antérieure à l'histoire de S. Chéron, c'est possible ; beaucoup de paroisses ont ainsi leur N.-D., la plus connue est N.-D. de S. Jouan des Guérets (Ille-et-Vil.), déjà citée en 1400, et qui a complètement « déniché » le saint patron éponyme. (MILLON, Les Grandes Madones Bretonnes, Rennes, 1922, in-8°, p. 97) ; dans la région on a N.-D. de Trédrez, de Plouaret, de Plufur, etc. L'on sait, que sur dix églises bretonnes, 4 sont dédiées à la Vierge, 3 à S. Pierre (ce sont celles dont l'éponyme est un saint actuellement inconnu), et les autres à des saints divers. — Sur le culte marial en Bretagne, v. infra, notre chapitre sur S. Karé]. Saint Garan n'y a aucune spécialité, m'a-t-on dit. On célèbre sa fête le 28 mai, jour de la fête de saint- Chéron.

Conclusion.

Il faut tenter une conclusion sur ce- saint. Nous savons qu'il était venu par mer, puisque c'est un détail reproduit dans le mystère, et que le mystère n'a pas inventé ; ce détail, en effet, contredisant la thèse qui était de rattacher Garan à saint Denis, comme étant un de ses disciples, et de ses envoyés. Il faut même ajouter qu'il est surprenant que l'auteur du mystère ait gardé ce détail, après s'être si facilement joué de la tradition.

La tradition orale veut que ce saint soit un compagnon de saint Efflam. Les deux noms du saint Garan et Cavan, sont des noms brittoniques. Le saint serait donc originaire de l'Ile-de-Bretagne.

Saint Garan s'est d'abord établi au lieu de sa chapelle, en Plestin. Plus tard il est remonté vers le haut pays pour aller s'établir à Cavan. Le fait est courant. Mais un détail de la topographie doit retenir l'attention. La chapelle Saint-Garan en Plestin est à proximité d'un autre rivage que celui de la Lieue-de-Grève. Elle se trouve sur les bords du Douron, auprès d'une petite anse, d'un point d'atterrissage, détail bien infinie, qui peut paraître négligeable, mais qui a peut etre sa valeur, et qui semble pouvoir mettre en doute la thèse de la tradition de. saint Garan, compagnon de saint Efflam.

Saint Garan n'a pas d'histoire, les ermites n'en ont pas, toute leur vie est cachée en Dieu. La tradition a gardé pieusement sa mémoire. Les élucubrations des faiseurs de Mystères, n'ont eu aucune influence sur la tradition qui s'est conservée pure [Note : L'on voit en même temps que l'hypothèse si tentante (cf. Kroaz ar Vretonned, 25 Ebrel 1920) qui voulait retrouver dans ce saint, la vieille divinité gauloise de Tarannis, s'écroule ; puisque la forme ancienne Garan empêche tout rapprochement avec Tarannis].

Quant à la chapelle Saint-Garan en Plouguerneau, il faut la considérer soit comme rappelant un point où notre saint serait venu s'établir postérieurement à son séjour dans la région de Plestin, ou bien il faut la considérer comme étant le résultat d'un transport du culte. Notons que c'est là une chapelle côtière, et l'on verra dans la suite que cet exemple de chapelle côtière isolée et lointaine n'est pas unique. Les autres exemples qui en seront donnés offriront dans les chapitres suivants des points de comparaison permettant peut-être de tenter des conclusions.

Note au sujet du nom de Caouennec.

V. supra, n. 3, p. 25 ; je crois pouvoir ajouter l'hypothèse suivante : Caounennec serait un nom de lieu formé avec le nom Cauouan, forme parlée du nom du saint et l'adjonction d'un suffixe — ec. Trois exemples peuvent être rapprochés de celui-ci. Pédernec, paroisse des C.-d.-N., même zone bretonne, à 15 kil. de Caouennec ; le nom est formé avec Pédern ; Pédern est le nom breton de S. Patern (J. LOTH, Ns., p. 101 et Rev. Celt., XXXVI, 1915, p. 145). — Louannec formé sur Louan. La graphie Loguanoc des Anc. Ev. de Bret., citée par J. Loth, Ns., p. 83, doit être une cacographie, ou bien il faut lire gu = uu ; quoiqu'il en n'existe aucun nom qui justifie un Log-uanoc. La forme ancienne de ce nom est au XIVème s., Lohanech, Loanec et Louanec (LONGNON, Pouillés de Tours, pp. 339, et 344 ; Monuments originaux de S. Yves, Saint-Brieuc, 1884, in-4°, passim). Louan est un nom bien connu : Kerlouan, paroisse (F.), Saint-Louan en Riantec (M.), en 1555, devenu Saint Léon (J. LOTH, Ns., p. 83), et Poullaouen, paroisse (F.), Ploelouen en 1330, (LONGNON, p. 302), Plebs Louani et Ploe louan au XIVème s. (Monuments orig. de S. Yves) ; Louannec est dans la même région, à 11 kil. de Caouennec. — Le troisième exemple est moins certain : Squiffiec, paroisse des C.-d.-N., même région encore, à 20 kil. de Caouennec et à 10 de Pédernec. Ce nom me paraît formé de la même façon sur l'éponyme Squivy que l'on retrouve dans Ran-Squivy en Le Guerno (M.), (ROSENZN) ; sur ce nom, v. ERNAULT Gloss. moy. bret., p. 648-649, s. v. Squivit. Certainement squivit vient de scav = sureau. C'est une formation identifique à pommerit (Cf. Squividan en Clohars-Fouesnant (F.) (P. T. T.) ; mais Squivi ne semble pas un mot formé sur skav ou skaon, et je préfère y voir un mon d'homme. Au surplus Ran appelle plutôt un nom d'homme qu'un nom de chose, et le dérivé, de skav eut été squiffec et non squiffiec, aussi je crois bien que la paroisse de Squiffiec a son nom formé de la même façon que Pedern-ec sur un éponyme Squivy avec adjonction du suffixe -ec. Toutefois, il existe un lieu dit Squiviec en Mur (C.-d.-N.), (Cadastre), ce qui pourrait justifier l'hypolhèse de M. Ernault ; c'est pourquoi je dis que ce troisième exemple est moins certain que les deux autres. Le suffixe -ec aurait servi dans la région à constituer des noms de lieu. Je ne crois pas qu'il indique un doublet, ou un dérivé du nom primitif, comme Perrec = Petrocus dérivé de Per = Petrus, Guenoc dérivé de Guen, Guignoroc de Guigner, Hernec et Houarnec dérivés de Harn et de Houarn, Maeloc de Mael, et Logu-iviec de Ivy (J. LOTH, Ns.) ; ces doublets ou dérivés sont eux aussi donnés comme noms de saints. Pour les quatre noms Caouennec, Louannec, Pédernec et Squiffiec, ils ne sont pas donnés comme noms de saints. Certes, ces paroisses peuvent être désignées par le seul éponyme sans l'adjonction ni de l'adjectif saint-, ni des termes Plou-, Lan-, Lok-, Tré-, comme Berrien, Beuzec, Cavan, Berhet, etc., mais je dis qu'ici la répétition du même fait pour ces quatre exemples, et surtout dans le Tréguier, où les noms de paroisses à éponyme absolu sont plutôt rares, confirme mon hypothèse que ces quatre noms sont des noms de lieux, le suffixe -ec, ayant servi à constituer le nom de lieu, de la même façon que le suffixe -acus des noms de fundi gallo-romains.

Pour Caouennec, il y a une difficulté : Pédernec, Louannec et Squiffiec sont des paroisses anciennes : Pédernec avait la trêve de Tréglamus et celle de Moustérus, Louannec celle de Kermaria-Sulard, Squifflec, avait la trève de Kermoroc'h, et il suffit de jeter les yeux sur une carte pour voir que les deux paroisses actuelles de Landebaeron et Trégonneau qui enserrent le territoire de Kermoroc´h, relevaient primitivement de Squiffiec. Pédernec, Louannec et Squiffiec sont donc d'anciennes paroisses, qui avaient des trèves et dont, le territoire est très grand, comme c’est la règle pour les paroisses anciennes. Caouennec au contraire n'est pas une paroisse, c'est, une simple trêve, et une trêve de Cavan.

Il arrive qu'une trève porte le nom de l'éponyme de la paroisse. Ceci se produit pour des paroisses en Plou-, et même pour d'autres, lorsque l'éponyme de la paraisse n'a pas son culte dans l'église paroissiale, mais dans l'église tréviale ou dans une simple chapelle, sous son nom : c'est le cas de Saint-Ildut, trêve de Ploerdut (M.), Saint-Guen, chapelle en Guénin (M.) (Rosenzw.), chapelles Saint-Gestin en Plestin, Saint-[I]dunet, en Pluzunet, (C.-d.-N.) (C. E.-M.), Saint-Thégonnec, en Plogonnec (F.), (C. E.M.), lieudit Saint-Hern en Saint. Hernin (F.) (Cadastre). On le voit, dans ce cas, la trève ou la chapelle porte le nom simple, et, la paroisse porte le nom composé ou le nom à suffixe. On s'allendrait donc à avoir Caouennec paroisse et Cavan sa trêve ; d'autant plus que les trois autres Pédernec, Louannec et Squiffiec, eux, sont des paroisses. Par deux chemins l'on arrive à la même constatation : Caouennec doit être paroisse, or c'est une trêve. Il y a là une dificulté réelle, mais puisque je suis dans les hypothéses, je ne m'embarasserai pas de cette difficulté et je suppose que le culte du saint éponyme était à l'église paroissiale, où il est toujours, et que de ce fait le bourg a gardé le nom absolu de l'éponyme ; le territoire de la paroisse était désigné sous le nom composé Caouennec qui est demeuré à la trêve. Ceci se serait passé facilement du fait que le nom du territoire de la paroisse n'était pas un nom en Plou- ; (je ne pense pas que l'on puisse supposer que le chef-lieu de la paroisse ait été transféré dans la trève).

(R. Largillière).

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