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LA PAROISSE DE SAINT-THÉGONNEC SOUS LA RÉVOLUTION

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La Persécution : Déportation - Prison - Emigration - Martyre.

§ I. — LA DÉPORTATION.

L'abbé Guy Cras arrêté à Saint-Thégonnec avait été interné au Château de Brest. Il s'y trouvait en même temps qu'une cinquantaine de ses confrères. Quarante autres dans la suite, jusqu'au moment de leur déportation en Espagne, viendront les y rejoindre. Nous y voyons en particulier Jean Briand, recteur de Plounéour-Ménez, ainsi que François Le Breton, originaire de Saint-Thégonnec, qui avaient déjà passé tous deux par la prison des Carmes, et Lesseigues-Légerville dont le père était premier juge au tribunal du district de Landerneau. Les lettres de ce magistrat au roi et à M. Cahier, ministre de l'intérieur, nous renseignent sur la situation lamentable des prisonniers du Château. « Ils sont, dit-il, traités pire que des forçats. Ils y sont, dans le même appartement, quarante ou cinquante détenus. L'air y est le plus malsain ; jamais il n'y est renouvelé ; à peine peuvent-ils respirer. Ils n'ont que deux attitudes, couchés ou debout, n'ayant ni chaises, ni bancs, ni escabeaux pour s'asseoir. On leur sert la nourriture la plus grossière, et on ne leur permet pas d'en faire venir du dehors. Le projet parait formé ; on n'ose pas les faire égorger, mais on veut les faire mourir à petit feu ».

Cette lettre du juge de Landerneau fut transmise par le ministre au Département avec ordre de traiter avec humanité les prisonniers et de relâcher ceux dont la détention n'était pas autorisée par la loi. La municipalité de Brest était responsable de la situation des prêtres renfermés au Château. Mise en demeure par le District de faire une enquête au sujet des accusations portées contre elle par Leissègues-Légerville, elle n'eut garde de se condamner elle-même. Le 3 Mars parurent les résultats de son enquête.

D'après ce rapport ou plutôt ce plaidoyer, le juge de Landerneau n'était qu'un vulgaire calomniateur. Les prisonniers étaient bien logés, bien nourris, et jamais aucun d'eux ne s'était plaint du régime de la prison. Ils étaient placés au premier étage, dans une salle d'environ cinquante pieds de longueur et trente de largeur. Cette salle avait six grandes fenêtres vitrées dont trois au midi donnant sur la rade et trois au nord donnant sur la place d'armes du Château. Voilà pour le logement. Au point de vue de la nourriture, les prisonniers auraient tort de se plaindre. N'avaient-ils pas, les jours gras, à diner, la soupe et le bouilli ; à souper, un plat de ragout et un rôti. Le menu des jours maigres n'était guère moins succulent : soupe et purée aux herbes, deux plats de poissons et un plat de légumes. Le pain et le vin étaient également en quantité suffisante. La ration journalière consistait en vingt-quatre onces de pain blanc avec sa fleur et une chopine de vin rouge ordinaire de Bordeaux de très bonne qualité (Archives départementales. Série Y. Liasse, 59).

Malgré les tendres soins dont les entourait la Municipalité, les prêtres ne cessaient de réclamer contre les rigueurs de leur détention. Le 29 Février 1792, quarante-huit d'entr'eux adressent une pétition au Département pour que, « leurs délits soient connus juridiquement, ou que leurs chaines qu'on resserre journellement soient brisées ». Les plaintes de plusieurs des détenus attestaient que le rapport des officiers municipaux était loin d'être exact. « J'ai trouvé jour à fuir du lieu d'horreur où vous nous avez entassés, et j'en ai profité, » écrivait le 27 Février un ancien capucin, l'abbé Moillard. « Pourquoi nous empêcher de nous promener dans la cour du Château, disait l'abbé Lannurien. Un changement d'air cependant ne pourrait être que favorable à nos santés. Nous ne pouvons aérer notre salle suffisamment sans nous exposer à respirer l'odeur des deux latrines qui cernent la rade ». Leur détresse matérielle n'avait d'égale que leur indigence morale. La célébration des saints mystères avait jusque là alimenté la foi de ces prêtres et leur avait donné la force d'âme de consentir au sacrifice de leur liberté pour rester fidèles à leurs serments religieux. Ils auraient encore voulu puiser à la même source le courage de supporter leurs privations et la grâce de ne pas maudire leurs bourreaux ; mais malgré leurs réclamations réitérées, il leur était interdit de célébrer la messe. Leurs revendications n'avaient cependant rien d'exagéré. Ils ne demandaient que pour un seul d'entre eux l'autorisation de dire la messe les dimanches et les fêtes.

L'abbé Guy Cras avait réussi avec quelques-uns de ses confrères par quitter la salle commune pour un logement plus sain. Il fut transféré à l'hôpital de la Marine où, selon l'expression des gens du District, les prêtres étaient soignés « par des Religieuses entendues, et ils y étaient certainement mieux traités qu'ils l'auraient été dans leurs familles ».

Il avait dû ce traitement de faveur à l'intervention de la municipalité de Saint-Thégonnec ; mais peu content de cette demi-mesure, il fit appel aux mêmes officiers municipaux pour obtenir son élargissement. Le certificat qui lui fut délivré, s'il n'obtint pas son effet, était du moins tout à l'honneur de ses anciens paroissiens.

« Nous attestons, déclarent-ils le 15 Avril 1792, que le sieur Guy Cras, prêtre ci-devant habitué de cette commune, n'a jamais troublé l'ordre et la tranquillité publique. Nous l'avons toujours connu d'une complexion faible, et nous croyons sa détention à Brest nuisible à sa santé et capable d'abréger ses jours ».

Déjà, dès le mois de janvier, les prêtres prisonniers au Château, avaient fait porter leurs doléances auprès du roi. Louis XVI prit en pitié leur sort, et le 5 Mars, il intimait l'ordre formel au Département de remettre en liberté les ecclésiastiques détenus à Brest. Les Administrateurs n'osèrent pas s'opposer ouvertement à la volonté royale. Ils se contentèrent de protester contre l'opportunité de cette mesure. Le temps pascal approchait. Il était dangereux, à pareille époque, de laisser ces prêtres fanatiques retourner dans leurs anciennes paroisses. Le culte officiel serait déserté et ce serait de nouveau, à brève échéance, la guerre civile allumée dans toutes les communes du département. Le mieux était d'attendre la clôture du temps pascal pour vider les prisons du Château. Ils s'engageaient à améliorer la situation des détenus, « à concilier les devoirs de l'humanité avec ceux que leur imposaient les circonstances ». Ce provisoire qu'ils réclamaient, il était bien dans leur intention de le rendre définitif ; mais les événements déjoueront leur projet. Ils allaient être eux-mêmes contraints de se débarrasser de ces prêtres qui devenaient pour eux l’occasion de tracasseries continuelles. A tout instant leur arrivaient des protestations contre les mauvais traitements infligés aux prisonniers. Des pétitions venues de différentes municipalités réclamaient la mise en liberté des prêtres détenus au Château.

Le premier Juillet parut l'arrêté qui autorisait les ecclésiastiques prisonniers à Brest à choisir entre la permanence en arrestation ou la déportation en pays étranger. Par ce terme « pays étranger », les Administrateurs n'entendaient que l'Espagne et l'Italie. Encore auraient-ils voulu que ces prêtres eussent désigné uniquement ce dernier pays comme lieu de leur déportation. Les Commissaires qu'ils avaient délégué à Brest leur écrivaient à la date du 9 Août. « Il nous aurait paru plus convenable de faire passer ces messieurs en Italie et de les adresser au très saint chef de leur milice dont nous craignons beaucoup moins les armes que celles de l'Espagne ». Le Département ne tint même aucun compte du choix fait par les prisonniers. Plusieurs qui avaient opté pour la prison durent prendre le chemin de l'exil. Seuls les septuagénaires et les infirmes, au lieu d'être condamnés à la déportation, furent embarqués le 11 Août sur le navire « l'Alexandrine » pour être dirigés sur la prison d'Audierne.

François Le Breton, prêtre de Saint-Thégonnec, et vicaire à Saint-Martin de Morlaix, Guy Cras, prêtre de Saint-Thégonnec, Jean Briand, recteur de Plounéour, et Thomas Cazuc, vicaire de Plouider et prêtre de Guiclan avaient opté pour la déportation en Espagne. Nous allons les suivre jusqu'à leur arrivée dans le lieu de leur exil [Note : Les détails de ce voyage sont empruntés au manuscrit de M. Boissière, secrétaire de l'Evêché de Quimper, manuscrit cité par le chanoine Peyron. — Op. cit. tome II, pages 205 et seq.].

Le 12 Août 1792, ils prirent passage à bord du Jean-Jacques avec soixante-neuf de leurs confrères. Le navire appareilla de bonne heure. Dès six heures du matin, par un temps très calme, il sortait du port de Brest. Au bout de quelques heures, le mal de mer commença de se déclarer parmi les passagers. Il est à croire que des terriens, comme les prêtres du canton de Saint-Thégonnec, ne furent pas les derniers à payer tribut à la nature. Etendus sur le pont, ou à fond de cale, ils n'aspiraient qu'après le moment où ils pourraient fouler la terre ferme. Le vent d'abord faible se mit bientôt à souffler avec violence. Le 15 Août, jour de l'Assomption, le navire traversait le golfe de Gascogne. La mer était très agitée. Les passagers étaient entassés les uns sur les autres dans la cale ou l'entrepont. Plusieurs même préféraient coucher sur le pont, exposés à toutes les injures du temps plutôt que de descendre dans les cabines où l'air était vicié. Le navire qui devait avoir quatre-vingt-dix tonnes n'en jaugeait tout au plus qu'une quarantaine. Aussi les prêtres étaient-ils à l'étroit. Mal logés, ils étaient encore plus mal nourris. La viande emportée de Brest se gâta dès les premiers jours. Si le capitaine pouvait se nourrir de viande fraîche, si sur sa table paraissaient mouton et poulardes, les prêtres, en revanche, devaient se contenter de la viande avariée et du gros pain ou du vieux biscuit emportés pour le voyage. Le 16 Août, la tempête faisait rage. Le navire ballotté par les vagues tendait à se rapprocher de la terre, du côté de Bilbao ; mais le capitaine avait ordre de débarquer plus loin. Dans la crainte de voir son navire échouer sur les roches ou sur les dunes de sable fréquentes dans ces parages, il se détermina à faire prendre des ris à toutes les voiles et à courir des bordées jusqu'au lendemain matin. La tempête n'était pas encore apaisée lorsque l'on arriva le 18 en face de Ribadéo. Les pilotes espagnols vinrent proposer au capitaine de conduire son navire au port distant d'une lieue. Le capitaine aurait accepté leur proposition, car il n'était pas sans inquiétude sur l'issue du voyage ; mais les ordres reçus à Brest, étaient formels. Ribadéo n'était pas le port désigné comme lieu de débarquement. Aussi crut-il prudent de demander l'avis des passagers, et sur leur désir d'atterrir au plus vite et n'importe où, il se décida à suivre les pilotes du pays. A midi, le Jean-Jacques entrait, non sans difficultés, au port de Ribadéo, dans l'ancien royaume de Galice. Les expatriés ne songèrent plus qu'à bénir la Providence de les avoir protégés et de les avoir conduits comme par la main dans un port où, humainement parlant, ils ne devaient pas aborder.

Ils se considérèrent dès lors comme dans la terre promise, nous dit l'un des proscrits, M. Boissière, secrétaire de l'évêché. Sans doute ils étaient libres ; mais le pain de l'exil n'est jamais sans amertume. Plusieurs en feront la triste expérience. Jetés sans ressources sur une terre étrangère, ignorant la langue du pays où ils devaient séjourner, à quelles occupations vont-ils se livrer pour gagner leur pain de chaque jour ? Il est vrai qu'en partant de Brest, chacun des déportés avait reçu de la Nation la somme de trois cents livres en assignats ; mais que valait ce papier en Espagne ? En France il était déjà bien déprécié.

La Providence qui ne les avait pas abandonnés durant une traversée si périlleuse leur enverra le soir même « un ange libérateur » dans la personne du comte de Lavega. C'est lui qui fit en leur faveur un appel à la charité des habitants de Ribadéo, et sa voix fut si bien écoutée que les familles se disputaient l'honneur d'héberger un prêtre proscrit. Cette situation ne devait cependant être que provisoire. L'enthousiasme du premier moment, au contact des dures nécessités de la vie, devait nécessairement se refroidir. Plusieurs familles ne pouvaient, à cause des exiguités de leurs ressources, continuer de traiter leurs hôtes avec les honneurs des premiers jours. C'est ce que comprirent bien vite les prêtres bretons appartenant pour la plupart à des familles pauvres ou peu fortunées. Dix-sept d'entr'eux formèrent le projet de se rapprocher des côtes de France dans l'espoir d'obtenir plus facilement des secours. Ils s'embarquèrent le 26 Août dans l'intention de gagner Bilbao. Le navire à bord duquel ils avaient pris passage n'était pas dans les conditions voulues pour effectuer un aussi long parcours. Il dut faire relâche dans le port de Santander. L'accueil qui fut fait aux exilés dans cette ville par l'évêque, le clergé et les fidèles fut tout empreint de bienveillance et de charité. Il les décida à y fixer leur résidence, et à y attendre des jours meilleurs pour revoir leur patrie. Parmi les ecclésiastiques qui passèrent une partie de leur temps d'exil à Santander, signalons les quatre prêtres dont nous avons déjà parlé.

Le 2 Novembre 1792, le roi d'Espagne, voyant l'exode des prêtres français s'accentuer vers son pays, crut bon de prendre certaines mesures restrictives pour que la charité de ses sujets ne fût pas mise à une trop lourde contribution. Il donna l'ordre de diriger les prêtres sur les couvents. Ceux qui jusque là étaient hébergés dans des maisons particulières durent pour la plupart chercher asile dans les monastères. Jean Briand ne quitta pas cependant la demeure de Mme de Villamil de Ribadéo, et l'abbé Cazuc continua de jouir de la généreuse hospitalité de M. Joseph Rosende, à Mondonedo.

Références — Archives départementales, Série L. Liasses, 16, 59, 74, 96, 111, 112, 194 — Série Y. L., 59. — Peyron, op. cit. tome II p. 205 et seq. — Manuscrit de M. Boissière, secrétaire de l'évêché.

 

§ II. — LA PRISON.

Les quatre ecclésiastiques que nous venons de suivre en exil jouissaient en Espagne d'une situation relativement heureuse. A l'estime et à la vénération dont les entouraient les populations catholiques des anciens royaumes de Galice et des Asturies, venaient encore s'ajouter la paix d'une conscience restée fidèle à ses serments et la satisfaction d'avoir chrétiennement supporté des épreuves si douloureuses pour leurs cœurs de prêtres et de Français. Sur la terre étrangère, ils ne maudiront pas la patrie qui les avait si indignement repoussés de son sein ; mais ils garderont toujours vivace au fond du cœur l'espérance d'y retourner dans un jour qui, selon leurs prévisions, devait se lever bientôt. Leur espoir sera souvent déçu ; mais, prêtres à la foi éprouvée, ils se confieront sans réserve à la Providence qui dirige à son gré les événements de ce monde.

Il nous faut voir maintenant ce que la Révolution réservait à leurs confrères demeurés au pays de Saint-Thégonnec ; et nous commencerons par le plus vénérable d'entr'eux, Mathurin-Hyacinthe Autheuil, recteur de Guiclan et chanoine de Léon. Au mois de Janvier 1791, le recteur avait refusé de prêter serment à la Constitution civile du Clergé, et fut, de ce fait, déclaré déchu de ses fonctions. Il garda cependant l'administration de sa paroisse jusqu'à l'arrivée de son successeur. Le sieur Le Bot ne fut nommé recteur de Guiclan par les électeurs du district de Morlaix que le 29 novembre 1792.

Autheuil, originaire d'Auray, était depuis une trentaine d'années à la tête de la paroisse de Guiclan. Il y vivait entouré de la vénération de ses paroissiens, et comptait y terminer tranquillement ses jours. Les années déjà longues de son ministère, années de calme et d'entente complète entre le pasteur et ses ouailles, semblaient justifier cette espérance. Rien ne pouvait lui faire prévoir que la sérénité des anciens jours dût avoir une fin, et que l'orage qui, insensiblement montait à l'horizon, allait bientôt éclater. Il souffrait depuis quelques années d'un mal d'yeux très violent que les soins dévoués de sa sœur Barbe ne parvenaient pas toujours à calmer (voir la note qui suit) : Il était en outre atteint d'infirmités qui lui rendait pénible tout ministère actif. Comment dans ces conditions, allait-il pouvoir échapper aux poursuites de la garde nationale ?

Note : Ils étaient enfants de noble homme Guillaume Autheuil de Lesvesnalec, ancien maire de la ville d'Auray, et de dame Thérèse Ange Christine Guillemette Lamy. Leur mère mourut en 1776 au presbytère de Guiclan, à l'âge de 75 ans, (registres de Guiclan), le chanoine Autheuil, bachelier en théologie de Paris, était examinateur pour la nomination aux cures, (archives de l'Evêché de Quimper).

Le Département avait invité les prêtres réfractaires à se constituer d'eux-mêmes prisonniers. Autheuil, se voyant dans l'impossibilité de courir le pays pour dépister les recherches des gendarmes, et ne tenant pas à exposer aux rigueurs de la loi les personnes charitables qui lui donneraient asile, jugea à propos de se rendre volontairement à l'ancien couvent des Capucins d'Audierne transformé pour la circonstance en prison. Il se fit par prudence accompagner de son domestique dont les bons soins lui étaient nécessaires. A son arrivée à Audierne, le 30 Décembre 1792, il y fit la rencontre de plusieurs de ses confrères du Château de Brest que les Commissaires du Département avaient jugés incapables de subir la déportation.

La municipalité d'Audierne montra pour l'infortune de ces prêtres âgés et infirmes les plus grands égards. A plusieurs reprises elle transmit, avec avis favorable, leurs plaintes au district de Pont-Croix. Le Directoire départemental n'avait pas prévu le grand nombre d'ecclésiastiques qui devaient arriver aux Capucins, et n'avaient pas, en conséquence, pris les mesures nécessaires pour leur assurer le logement.

Les quinze premiers jours de leur arrivée, ils durent coucher en ville chez les habitants. Les maisons qu'on leur avait désignées étaient celles des plus fervents adeptes de la Révolution. On peut croire qu'ils auraient reçu un meilleur accueil chez des personnes d'un républicanisme moins éprouvé.

Logés ensuite, comme au petit bonheur, aux Capucins, ils durent se demander comment ils pourraient y passer la mauvaise saison. Ils étaient soumis à la surveillance la plus étroite et devaient s'abstenir de toute correspondance avec l'extérieur sous peine de déportation. « Quand nous serions dans le fond de la Barbarie, écrivait l'abbé Lannurien, nous ne serions pas plus isolés. Nous n'apprenons rien, ou si on nous apprend quelque chose, ce sont des absurdités ».

On comprend leur désir de connaître les évènements du dehors qui pouvaient avoir une répercussion sur leur avenir. Il était très naturel qu'ils eussent voulu savoir ce qu'étaient devenus leurs confrères restés au pays, et ce qui se passait dans les paroisses dont on les avait chassés.

On était en plein hiver. Les rigueurs de la saison, s’ajoutant aux privations de toutes sortes dont souffraient ces malades et ces vieillards, risquaient fort de diminuer le nombre des prisonniers. La municipalité fit un rapport sur la situation misérable des détenus et le transmit au district de Pont-Croix avec prière de l'adresser au Directoire départemental. La réponse du Département fut l'arrêté du mois de Janvier 1793, en vertu duquel les prêtres des Capucins d'Audierne seraient tranférés à la maison de santé de Quimper.

Autheuil, toujours accompagné de son dévoué domestique, prit place sur une grosse charrette dont les cahots lui causaient des douleurs intolérables. Le laisser continuer le trajet dans ces conditions, c'était l'exposer à mourir en chemin. Le citoyen Valhier, qui commandait le piquet des gardes nationaux chargés d'escorter les prisonniers, dut en convenir lui-même. Il fit demander à Pont-Croix une voiture plus commode, mais il laissa au recteur de Guiclan et à ses deux compagnons le soin de payer ces frais supplémentaires de voyage.

A Quimper, les prêtres furent détenus provisoirement à l'ancienne maison des Dames de la Retraite que la Municipalité avait été autorisée à acquérir pour en faire un hôpital.

Dans cette maison, les prisonniers furent relativement bien traités, et ils ne se seraient pas plaints de leur sort, si les soldats malades qu'on y soignait s'étaient montrés des voisins plus accommodants. Prêtres et soldats ne voulaient plus demeurer sous le même toit. Les volontaires nationaux de Loir-et-Cher, pour faire fuir leurs compagnons de rencontre ne leur épargnaient aucune avanie et ne se gênaient guère pour les scandaliser par leurs chansons et leurs propos de corps de garde. Si les prêtres se plaignaient de cette promiscuité, les soldats de leur côté se montraient mécontents de ce que les meilleures chambres de l'établissement fussent occupées par des ecclésiastiques. Leurs doléances réciproques arrivèrent au Département qui prescrivit une enquête. Trois des membres du Directoire furent chargés de trancher ce différend et parmi eux, nous trouvons Expilly, évêque du Finistère.

L'Administration de l'hôpital avait déjà fait observer que les accusations des volontaires n'avaient rien de fondé ; mais les trois commissaires tenaient à juger par eux-mêmes.

Le résultat de leur enquête fut en faveur des soldats, et le départ des prêtres fut déridé sur-le-champ. Avant la fin du mois, les ecclésiastiques furent dirigés sur la Communauté de Kerlot dont les Religieuses avaient été expulsées le 21 Février 1792.

Les prisonniers devaient être deux dans chaque cellule avec défense expresse de communiquer avec l'extérieur, sous peine d'être tranférés au Château du Taureau, à l'embouchure de la rivière de Morlaix. Autheuil occupait au premier étage la treizième cellule en compagnie de Le Bihan, recteur de Peumerit.

A Kerlot, comme à Audierne, rien n'avait été prévu pour loger tant de pensionnaires. L'Administrateur de l'hôpital déclarait au Département qu'il ne disposait que de cinquante-trois lits et que, si quelques-uns des détenus ne s'en étaient procuré par eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs amis, il aurait été dans l'impossibilité de loger les soixante-treize prêtres qu'on lui avait envoyés. Ce nombre, ajoutait-il, allait sans cesse croissant, car, lorsqu'on y pensait le moins, il en arrivait d'autres. Il était urgent d'augmenter le nombre des lits. Le jour où il s'agira de vider cette prison, on y comptera quatre-vingt-six prêtres.

L'Etat allouait à chacun des prisonniers la somme de vingt sous par jour pour leur nourriture et autres dépenses. Le traitement des quatre domestiques qui prenaient pension à leur table commune était en outre laissé à leur charge. Ces serviteurs n'étaient leurs commensaux que pour les mieux surveiller. Ils devaient rapporter aux Administrateurs les propos tenus à table. Les entretiens privés de ces prêtres n'étaient pas plus que leurs correspondances à l'abri des indiscrétions. L'article XVI du règlement montrait jusqu'à quel point l'Administration départementale se défiait de ces vieillards qui n'avaient cependant rien du tempérament de conspirateurs.

« Les citoyens Lalouette et Bodin, d'après le serment qu'ils ont prêté, seront les seuls perruquiers de la maison. Leur civisme assure qu'ils se conformeront aux règlements. Ils coifferont ou raseront dans la salle commune. Les seuls infirmes pourront être rasés en particulier ; mais les deux barbiers seront présents et ne pourront se quitter ».

Au mois de mai 1793, le régime de la terreur avait été inauguré en France. Robespierre venait de prendre le pouvoir. De Paris, partaient pour les provinces des délégués avec mission d'exciter le zèle des administrations locales et avec pleins pouvoirs pour assurer l'exécution des lois sectaires votées par le Gouvernement. Au mois suivant, arrivait à Quimper le jeune Royou, originaire de Pont-l'Abbé avec des lettres de la Convention qui prescrivaient aux Administrateurs du Finistère de faire monter à l'échafaud tous les prêtres détenus dans les prisons. Le Département ne crut pas devoir obéir à ces injonctions; mais en revanche, il ne relâcha rien de ses rigueurs à l'égard des prêtres qu'il avait refusé d'envoyer à la guillotine. Il fit même tout son possible pour aggraver la situation de ces ecclésiastiques dont l'âge et les infirmités auraient plutôt demandé quelques prévenances. Il donna ordre de condamner les fenêtres de la maison, ne laissant qu'une seule ouverture pour donner de l'air aux prisonniers, et décréta que désormais aucun prêtre n'aurait la faculté de célébrer la messe. La pétition que lui avait fait parvenir, au nom de tous les détenus, le chanoine Guesdon, le 7 juillet 1793, aurait dû lui inspirer des sentiments plus conformes à la pitié et à la justice. Elle se terminait ainsi :

« Vous êtes trop éclairé pour ne pas sentir que la célébration de la sainte messe est pour nous la plus grande et peut-être la seule consolation que nous puissions goûter dans ce lieu de retraite et de détention. Vous savez égalelement qu'un grand nombre d'entre nous n'ont d'autres ressources que dans ces faibles honoraires de messes pour se procurer des choses nécessaires et autres soulagements dont on ne peut guère se passer, surtout dans un âge avancé et dans un état d'infirmité tel que le nôtre ».

Douze jours après le rejet de cette pétition, ces Administrateurs prétendus modérés seront frappés à leur tour. Accusés par la Convention d'avoir provoqué dans l'Ouest, le mouvement fédéraliste, ils seront décrétés d'arrestation et jetés dans les Oubliettes du Château de Brest. Là, ils auront tout le loisir de méditer sur les traitements inhumains qu'ils avaient fait subir à des prêtres dont le seul crime était d'être restés fidèles aux serments de leur ordination. C'était au nom de la République qu'ils avaient persécuté les prêtres fidèles, ce sera aussi au cri de « Vive la République », que la foule massée sur la place de Brest saluera la chute de leurs têtes sous le couperet de la guillotine.

L'arrestation des Administrateurs occasionna le transfert du chef-lieu du département à Landerneau et par contre-coup celui des prisonniers de Kerlot au couvent des Capucins de cette ville. D'après la loi, le chef-lieu du département devait être le lieu de détention des prêtres réfractaires.

Malgré la surveillance étroite dont ils avaient été l'objet à la maison d'arrêt de Kerlot, les prisonniers étaient accusés d'avoir déjoué la surveillance de leurs gardiens.

« Ils avaient eu des facilités coupables pour communiquer et propager au dehors les principes contre-révolutionnaires qui les dirigent ». Trois mois après l'arrestation des vingt-six Administrateurs, la Commission départementale décréta le départ des prisonniers de Kerlot pour Landerneau. Les vingt-deux prêtres les plus jeunes firent partie du premier convoi, le 30 octobre 1793 ; les autres ne partirent qu'au mois suivant.

Le 11 Novembre, le recteur de Guiclan quitta Quimper pour Landerneau. Le voyage se fit dans tes mêmes conditions que celui d'Audierne à Quimper ; mais cette fois, bien que fût plus long le parcours à effectuer, Autheuil put voyager en charrette sans être obligé de se payer une voiture spéciale.

A leur arrivée à Châteaulin, les prisonniers furent autorisés par le Commandant du convoi à se choisir eux-mêmes leur logement, et à visiter les amis et les connaissances qu'ils pouvaient avoir dans cette ville. Au Faou, ils crurent pouvoir user de la même liberté et déjà, ils s'étaient dispersés dans les rues de la localité à la recherche d'un logis, lorsqu'ils reçurent l'ordre de rejoindre l'auberge où devait cantonner le détachement. Que s'était-il donc passé ? Pourquoi cette différence de traitement dans un si court espace de temps ? C'est que le Procureur de la commune du Faou était autrement vigilant et patriote que celui de Châteaulin. Dès qu'il vit ces prêtres à cheveux blancs, dont la plupart étaient cousus de rhumatismes, se traîner péniblement dans les rues de la petite ville, il s'était dit qu'ils allaient sournoisement à l'assaut de la République. Dans les maisons où ces ecclésiastiques voulaient être hébergés, ils ne manqueraient pas par leurs discours contre-révolutionnaires de contaminer l'esprit patriote des habitants. Le danger était pressant ; il fallait au plus tôt le conjurer. Le Procureur s'empressa de rentrer chez lui pour rédiger le manifeste suivant à l'adresse de la Municipalité.

« Citoyens municipaux, les individus qui logent au Faou, ce soir, sont connus ; ce sont nos plus mortels ennemis. Je tâcherai de savoir par quels ordres le Commandant de la force armée qui les accompagne peut leur permettre de circuler comme ils le font dans nos murs, les uns chez leurs parents, les autres chez leurs amis. Je le requiers, citoyens, soyez énergiques et vigilants, ou ce soir nous sera funeste ».

La municicpalité écouta la voix de son Procureur et manda auprès d'elle le Commandant du convoi. Elle le menaça d'une dénonciation en haut lieu et lui intima l'ordre de faire rentrer au plus vite les prêtres dispersés en ville, L'ordre arrivait trop tard. Le mal était déjà fait, comme l'écrivait le Procureur au Département. « Les serpents avaient eu le temps de jeter une partie de leur venin ; quand ils furent ramassés, il était près de dix heures », et il signe : votre frère sans-culotte.

Le voyage s'effectua sans autre incident. Aux Capucins de Landerneau, les prêtres jouirent, dès les premiers temps, d'une liberté plus grande qu'à la prison de Kerlot. Ils pouvaient se promener au bois et au jardin. S'il leur était défendu de quitter la clôture, ils avaient toute faculté de recevoir des visites de l'extérieur. Ils avaient aussi l'occasion de distribuer les secours spirituels aux personnes qui voulaient recourir à leur ministère. Cette situation relativement privilégiée ne devait pas avoir une longue durée. Accusés de communiquer avec les personnes du dehors et d'exercer à leur égard le ministère de la confession, « ces conspirateurs fanatiques, » allaient bientôt savoir ce qu'il leur coûterait, « d'oser encore, du fond de leur prison, ourdir des machinations contre la République ». Les membres du Comité de surveillance tenaient à être renseignés sur les faits et gestes des prisonniers, et pour arriver à leurs fins, aucun moyen ne leur répugnait. Des espions, à leur solde, simulaient des sentiments de piété et venaient comme en cachette, réclamer à ces prêtres le secours de leur ministère.

Le 18 Avril 1794, le citoyen Perrin vint frapper à la porte de l'ancien Couvent. Un des ecclésiastiques lui demanda ce qu'il désirait. Perrin répondit qu'il voulait se confesser. Le prêtre, sans défiance, lui fit comprendre qu'à cause du grand nombre de personnes qui se trouvaient en ce moment dans l'établissement, il valait mieux remettre à plus tard cette affaire. Pourquoi ne pas revenir à six heures du soir et passer par la porte donnant sur le bois ? Bien des personnes avaient déjà pénétré par ce passage sans attirer l'attention des gardiens. Le prêtre fut fidèle au rendez-vous ; mais il attendit en vain son pénitent, même au-delà de l'heure convenue. Perrin, fier des renseignements que sa déloyauté avait obtenus, s'était hâté de quitter le Couvent pour faire son rapport au Comité de surveillance.

Le lendemain, défense était faite aux prêtres de se promener librement au bois et au jardin. Les heures de la promenade étaient réglées. Les détenus ne pouvaient sortir sous la surveillance de leurs gardiens que depuis dix heures jusqu'à midi, et d'une heure à trois heures. Par précaution sanitaire plutôt que par humanité, quelques-uns des prisonniers étaient autorisés à prolonger leur promenade au-delà du terme fixé par le règlement. Ils étaient si malpropres, disaient les gardes-chiourmes, qu’ils auraient empesté les appartements si on ne leur avait pas permis un plus long séjour au grand air.

Ces vieillards étaient donc condamnés à garder la chambre pendant la plus grande partie de la journée, sans avoir d'autre distraction que la visite journalière de deux Commissaires qui tenaient à s'assurer par eux-mêmes de la présence de tous les prisonniers dans l'établissement. Tous les soirs, pour plus de précaution, les gardiens faisaient à onze heures leur tour de ronde.

Le recteur de Guiclan, retenu par ses infirmités passait son temps à l'infirmerie, soigné aussi bien que possible par son fidèle domestique. L'Administration n'avait pas pris le soin de garnir les appartements des meubles nécessaires. Les meubles qui servaient à l'usage d'Autheuil avaient été fournis par des personnes charitables de la ville : par le citoyen Colomban et par les citoyennes Flamant et Tronjoly.

Le 2 Juillet 1794, vingt-neuf des prêtres les plus jeunes durent quitter les Capucins de Landerneau pour être déportés. Ils furent conduits sous bonne escorte à Rochefort et de là à Saintes ; mais tous n'arrivèrent pas à destination. Dix d'entr'eux tombèrent d'épuisement en route. Les autres prêtres restèrent en prison jusqu'au 2 Avril 1795. Deux mois cependant avant cette date, les prêtres de la Cornouaille obtinrent d'être transférés à Quimper. La lettre qu'ils adressèrent le 27 Décembre 1794 aux Administrateurs du Finistère nous fait voir combien était misérable la situation des prisonniers des Capucins. Les prêtres du Léon, disaient-ils, préfèrent demeurer à Landerneau où ils peuvent plus facilement recevoir des secours de leurs familles. Quant à eux, ils ont la même raison de réclamer leur retour à Quimper. « Plongés dans la misère, manquant presque de pain, réduits à un seul repas par la modicité du traitement fixé pour notre subsistance, nous avons besoin d'être à portée des secours de ceux avec lesquels nous sommes unis par les liens du sang et de l'amitié ».

Le recteur de Guiclan dut à ses infirmités et une réclamation faite en sa faveur de quitter sa prison le 14 Mars 1795. Les prêtres n'étaient remis en liberté qu'à la condition d'indiquer le lieu de leur nouvelle résidence, et de promettre d'y vivre « paisibles, soumis aux lois et fidèles à la République » (voir la note qui suit). On n'exigeait pas d'eux le serment à la Constitution civile du Clergé.

Note : L'abbé Jean Breton, originaire de Saint-Thégonnec, qui était venu l'un des derniers prendre sa place à la prison de Landerneau, prêta ce serment et déclara se retirer dans sa paroisse natale.

Autheuil s'engagea à se retirer à Morlaix et à y demeurer sous la surveillance des autorités. Cette fois du moins, allait-il enfin pouvoir vivre en paix ? Hélas ! le vénérable recteur n'était pas encore au bout de ses tribulations. La persécution, un moment ralentie, allait de nouveau sévir contre les prêtres réfractaires, et il devra quitter Morlaix pour chercher un refuge dans son ancienne paroisse. Les gardes nationaux ne manquèrent pas de l'y poursuivre et ne lui laissèrent pas un moment de répit. Il réussit, grâce au dévouement de ses paroissiens, à dépister les recherches de la police. Le 4 Nivose an VI (24 Décembre 1797) les perquisitions continuaient en vain dans la commune de Guiclan. En ce moment, Autheuil se trouvait à Quimper. Lassé par tant d'épreuves, exténué par les privations et la maladie, l'infortuné vieillard ne vit d'autre moyen de retrouver un peu de sécurité que de se soumettre aux lois. Le cinq Nivose an VI, il se présenta devant les Autorités administratives pour prêter le serment de fidélité à la République.

Voici, à titre documentaire, le procès-verbal rédigé à cette occasion.

« Le 5 Nivose, an VI
S'est présenté à la maison municipale, le citoyen Mathurin Hyacinthe Autheuil, ministre du culte catholique, en conformité de la loi du 19 Fructidor, a prêté le serment de haine à la Royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République française et à la Constitution de l'an trois »
. Signé : AUTHEUIL.

Ce serment civique, beaucoup de ses confrères l'avaient prêté, et ce faisant, n'avaient pas cru trahir leur foi. Le vénérable recteur de Guiclan avait prouvé par toute sa vie et par les dures épreuves de ses dernières années qu'il était prêt à tous les sacrifices plutôt que de renoncer à ses serments religieux. Ce serment politique qu'il prêta à la fin de sa carrière ne saurait en aucune façon entacher sa mémoire. Il voulut cependant par humilité, être enterré devant le portique de l'église, afin que les fidèles foulassent aux pieds sa tombe, avant de pénétrer dans le sanctuaire.

Références — Archives municipales de Saint-Thégonnec. — Lettres du 28 Nivose et du 16 Fructidor an VI. — Ch. Peyrou. Op. cit. tome II, pages 79. 110, 121, 150. — Archives départ. Série L. Liasses 15, 20, 22. 42, 51, 137, 241.

 

§ III. — L'EMIGRATION.

L'évêque de Léon, Mgr de la Marche, avait dès 1791 pris le chemin de l'exil. Il s'était réfugié en Angleterre où il aura bientôt l'occasion de revoir plusieurs prêtres de son diocèse. Il se montrera à leur égard un vrai pasteur et saura, par son zèle et son dévouement inlassables, arracher à la charité anglaise les secours que réclamait l'infortune de son clergé proscrit. Il ne renoncera pas à diriger de loin les affaires de son diocèse, et à l'époque traditionnelle des ordinations, il appellera auprès de lui ses clercs restés sur le continent pour venir recevoir de ses mains les ordres sacrés. Le 27 octobre 1791, d'après le rapport du citoyen Aubert de Roscoff au District de Morlaix, quatorze émigrés dont neuf clercs montaient à bord de La Providence pour se rendre en Angleterre. Parmi ces clercs se trouvait Jacques Mallégol, âgé de vingt-cinq ans, originaire de Saint-Thégonnec. Dès le mois de mai 1791, il avait dû quitter le séminaire de Léon tenu par les Lazaristes et fermé en vertu des lois révolutionnaires. Il s'était retiré dans sa famille, non sans garder l'espoir que des circonstances plus favorables lui permettraient de recevoir sans trop tarder l'onction sacerdotale. Mandé par son évêque en Angleterre, il n'hésita pas à répondre à son appel et fit au mois d'octobre son premier voyage à l'étranger. La suite des événements qui allaient se dérouler en France le contraindra à reprendre bientôt le même chemin.

Les prêtres revenus de la prison des Carmes, comme Robert Tanguy vicaire de Saint-Thégonnec, ou ceux qui, comme Jean Grau recteur de Pleyber-Christ, s'étaient mis hors la loi par leur refus de prestation de serment avaient mille précautions à prendre pour échapper aux recherches de la police où à la vigilance des curés intrus. Ces assermentés ne se faisaient pas scrupule de les dénoncer aux autorités civiles pour infraction à l'arrêté du 21 avril. Les autres prêtres dont la loi tolérait la présence dans leurs paroisses étaient à la merci du moindre incident. Rien de plus facile que de leur appliquer les dispositions de l'arrêté du 29 novembre. Quel était celui d'entr'eux dont les paroles ou les actes n'étaient pas de nature à jeter le discrédit sur le clergé officiel ? Les fidèles, à leur instigation, avaient recours le moins possible au ministère des prêtres intrus et ne se faisaient pas faute de montrer de quel côté allaient leurs préférences. Ces prêtres fidèles que la loi ne chassait pas encore étaient à tout instant dénoncés au district et devaient s'attendre d'un jour à l'autre à faire la connaissance des geôles gouvernementales. Rien ne leur garantissait la liberté du lendemain. Nous voyons Jean Croguennec, prêtre de Pleyber, Guy Cras et Hervé Drolac'h, de Saint-Thégonnec, accusés de semer le désordre dans les campagnes et la désunion dans les familles. « Ils ne craignent pas de baptiser en cachette et de bénir des mariages clandestins. Par leurs discours, ils insultent à chaque instant aux prêtres assermentés qui sont, pour la plupart, à la veille d'abandonner leurs cures, si l'on n'apporte un prompt remède aux calamités qui les entourent » (Archives départementales — Série L. Liasse 219).

Les lois et les décrets allaient se suivre rapidement et devenir de plus en plus menaçant pour la liberté des prêtres insermentés. Déjà plusieurs d'entr'eux, « mangeaient le pain de la Nation, » dans d'infects cachots, et d'autres n'avaient quitté la prison que pour être déportés en Espagne. La loi du 26 août 1792 donnait un délai de quinze jours pour sortir du Royaume à tous les ecclésiastiques fonctionnaires qui n'avaient pas obéi à la loi du serment à la Constitution civile du Clergé. Les autres prêtres réfractaires pouvaient être condamnés à la déportation si leur éloignement était demandé par six citoyens domiciliés dans le département. Soumis à une surveillance active qui ne leur permettait, comme toute fonction de leur ministère, que la messe aux heures et aux conditions fixées par le curé intrus ou par la municipalité, ces prêtres fidèles hésitaient sur le parti à prendre. Devaient-ils rester au milieu de leurs populations, sans cesse en risque d'être jetés en prison ou déportés à la Guyane ; ou bien prendraient-ils d'eux-mêmes le chemin de l'exil pour attendre sur une autre terre plus hospitalière le retour d'évènements meilleurs ?

La loi de proscription du 26 août et la nouvelle des massacres des 2 au 5 septembre à Paris firent cesser de leur part toute hésitation. Ils s'adressèrent à leurs municipalités à l'effet d'obtenir un passe-port pour l'étranger, et l'an née 1792, vit l'exode de la plupart des prêtres de Saint-Thégonnec et des paroisses environnantes. Ils s'embarquèrent à Roscoff pour l'Angleterre. Le 24 septembre, c'était le départ de Guillaume Floc'h et de Jean François Floc'h prêtres de Guiclan. Les 25, 28 et 29 du même mois, c'était le tour des prêtres de Saint-Thégonnec, de Robert Tanguy, d'Hervé Drolac’h, de Yves Rolland, de Jacques Mallégol et de Nicolas Scouarnec. Jean Grall [Note : Mourut aumônier de l'hôpital de Morlaix, le 22 Juin 1809], recteur de Pleyber-Christ et Jean Croguennec, prêtre de la même paroisse se décidèrent à partir l'un le 3 octobre, l'autre le 27 novembre.

Pour Plounéour-Ménez, les Archives départementales [Note : Archives départementales — Série L. Liasse 220] nous donnent une liste de prêtres émigrés avec l'indication des biens qu'ils possédaient dans cette commune. Ces ecclésiastiques dont les trois derniers étaient originaires de Plounéour, n'avaient pas cependant pris tous le chemin de l'exil, mais n'ayant pas prêté serment, ils étaient mis hors la loi et considérés comme émigrés ; c'étaient Ambroise Marie Le Cam, ancien recteur de Plounéour et curé de Plounéventer, Michel Guillerm, Guillaume Pouliquen et René Abgrall, vicaire de Lanhouarneau. Le curé de Plounéventer, en prévision de l'avenir, s'était réservé un petit bien dans son ancienne paroisse où il comptait terminer paisiblement ses jours. Il possédait au bourg de Plounéour une maison, une étable, un jardin et un champ. Ces biens seront vendus nationalement. Michel Guillerm (voir la note qui suit) n'enrichira pas la Nation. Il n'avait pas de biens au soleil. Guillaume Pouliquen ne possédait que ce qui constituait son titre d'ordination, c'est-à-dire une maison et autres héritages. Quant à René Abgrall, il laissait après lui, d'après la déclaration de Maguet, son beau-frère, un petit bien immobilier au lieu de Kérargan ; mais ce bien qui lui donnait une rente de trente livres était indivis entre lui et ses frères et sœurs.

Note : Michel Guillerm fut arrêté, le 26 Avril 1798, et écroué à la prison d'arrêt de Quimper. Il fut déporté à l'île de Ré, le 29 Juin 1798 et mourut à l'hôpital, le 17 Octobre 1800. — Archives départementales L. 18.

Références. — P. de la Gorce. Op. cit. tome II. Archives départementales. L. 207 et 335. — Archives municipales de Roscoff. — Peyron. Op. cit. tome I, p. 313, 317, 318.

 

IV. — LE MARTYRE. Une victime de Carrier : YVES COAT.

Yves Coat, fils de Guillaume et de Anne Le Scanff, naquit au village du Hellin en Saint-Thégonnec, le 17 Octobre 1727 (voir la note qui suit). Ses parents étaient cultivateurs et faisaient en outre le commerce de la toile. L'industrie de la toile était, à cette époque, très prospère à Saint-Thégonnec. Elle a duré jusqu'à l'introduction des machines qui, en rendant illusoire le salaire des tisserands, fit disparaître les petits métiers à tisser. Au Hellin comme au Rusquec, à Lespodou et dans la plupart des villages, les riches fermiers centralisaient la fabrique de la toile. Chacun d'eux employait plusieurs ouvriers et les payait soit à la pièce, soit à la journée. Auprès de la maison principale de la ferme, se voient encore aujourd'hui les ruines de plusieurs maisonnettes affectées autrefois au logement des tâcherons. D'immenses greniers qui occupaient toute la longueur du bâtiment, servaient à remiser la toile, et l'on y accédait, par l'extérieur, à l'aide d'escaliers en pierre qui n'ont pas encore tous disparu.

Note : Voici, d'après les registres paroissiaux, l'acte de baptême de Yves Coat : Le dix-septieme jour d'Octobre, l'an mille sept cents vingt et sept, a été baptisé en cette église, par le soussigné curé d'ycelle Yves, fils légitime de Guillaume Coat et de Anne Le Scanff, époux de la métérye du Hellin, né le même jour. Les parein et maraine ont été : Yves Coat du Manoir de Luzec, soussigné et Françoise Le Scanff du Hellin-Bihan, affirmant ne savoir signer : et a aussi signé le dit Guillaume Coat, père. Signature au registre : Guillaume Coat, Yves Coat, Louis Bizouarn, curé.

Les commerçants trouvaient de faciles débouchés pour leurs marchandises. Le port de Morlaix, en fréquentes relations avec Nantes, les Flandres et l'Espagne, était à proximité.

Les marchands de ces contrées faisaient de temps à autre le voyage de Saint-Thégonnec pour acheter les denrées sur place. Le mot Julot qui servait à caractériser les gros propriétaires de la région est, dit-on, d'origine et d'importation flamandes. Il désignait tout d'abord les marchands de toile des Flandres. Lorsque ces derniers renoncèrent à venir en Bretagne, les riches paysans prirent leur succession en achetant pour leur propre compte la toile tissée dans les fermes, et héritèrent de leur surnom. Quelques-uns même plus entreprenants voulurent se mettre en relation directe avec leurs clients et émigrèrent en ville où ils installèrent leurs comptoirs. Anne Le Scanff avait un de ses frères établi à Nantes.

Yves Coat appartenait donc à une famille de paysans aisés. Il perdit de bonne heure son père. Sa mère, restée seule à la tête du ménage, se donna tout entière à l'éducation de ses deux enfants, de son fils Yves et de sa fille Marie-Renée. (voir la note qui suit).

Note : Marie-Renée Coat, épousa Charles Baron. De ce mariage naquit, en 1753, Marie-Catherine Baron, qui épousa en 1773 François Thoribé et mourut au village de Coatcoulouarn, le 11 Octobre 1802. C'est à Catherine Baron que le curé de Saint-Donatien adressa la lettre que nous reproduisons en appendice (Registres paroissiaux de Saint-Thégonnec).

Voyant que son fils montrait un goût très prononcé pour l'étude, elle ne calcula pas pour ses frais d'instruction. Elle consentit à s'en séparer pour l'envoyer au collège des Pères Jésuites de Quimper. Le jeune Coat y remporta d'éclatants succès. A la lin de ses humanités, il revint à la maison maternelle, encore indécis sur le choix de sa vocation.

Sa mère rêvait pour lui le plus brillant avenir. Elle se disait que, lancé dans la voie du négoce, il ne tarderait pas, grâce à son intelligence, à parcourir rapidement le chemin de la fortune. Sans consulter les goûts du jeune homme, elle résolut d'en faire un négociant. Elle s'adressa à son frère de Nantes et lui demanda de diriger l'éducation commerciale de son fils. Devenu plus tard curé de Saint-Donatien, Yves Coat reconnaîtra cependant dans son testament qu'il devait à la tendresse maternelle l'éveil de son goût pour l'étude et de son attrait pour l'état ecclésiastique ; mais cette fois, il ne se montrait pas enchanté de la décision prise par sa mère à son insu. Il obéit cependant, et à l'âge de dix-neuf ans, il quittait sa paroisse natale pour se rendre à Nantes.

Son oncle eut pour lui toute l'affection et tous les soins d'un père. Il se chargea de tous les frais d'entretien de son neveu. Le jeune homme, ne voulut pas, par esprit de reconnaissance, déplaire à son bienfaiteur, et mit toute sa bonne volonté à acquérir les aptitudes que réclamaient ses nouvelles fonctions ; mais il dut reconnaître que la sollicitude maternelle s'était laissé prendre en défaut en le dirigeant dans la voie des affaires commerciales. L'attrait qu'il avait toujours éprouvé pour le sacerdoce prenait de plus en plus consistance dans son esprit et bientôt s'emparait de son être tout entier. Le premier entretien qu'il eut avec son bienfaiteur au sujet de sa vocation n'eut d'autre résultat que de le forcer à regagner son comptoir ; mais sa décision était prise et il y tiendra. Il revint à plusieurs reprises à la charge et finit par avoir gain de cause. Son oncle lui permit de continuer ses études et de suivre sa voie.

Au collège des Pères de l'Oratoire de Nantes où il fit sa rhétorique et sa philosophie, il fut aussi brillant élève qu'à l'école des Pères Jésuites de Quimper. Il entra ensuite au grand séminaire tenu par les Prêtres de Saint-Sulpice, et là encore il conquit rapidement ses grades. Bachelier au bout de sa deuxième année de théologie, il était, l'année suivante, licencié de l'Université de Nantes.

L'évêque, Mgr Mauclerc de fa Muzanchère, craignit de perdre pour son diocèse un sujet d'un talent aussi remarquable. Il fit des instances auprès de l'évêque de Saint-Pol pour obtenir des lettres dimissoriales en faveur de Yves Coat, originaire de Saint-Thégonnec, diocèse de Léon. Il réussit même à obtenir du prélat l'autorisation d'attacher le jeune prêtre au diocèse de Nantes.

D'abord prêtre de chœur à Saint-Similien, Yves Coat exerça en 1757, les fonctions de vicaire à Mauves, et deux ans plus tard, à Saint-Clément de Nantes. Le 19 Avril 1763, il était appelé à administrer l'importante paroisse de Saint-Donatien. Les témoignages de l'époque nous montrent l'abbé Coat comme le modèle des pasteurs. Son zèle s'exerça tout particulièrement à l'égard des deshérités de la fortune, des malheureux et des orphelins qu'il soutenait de ses conseils paternels et de ses larges aumônes. Généreux et désintéressé, il sut puiser dans sa cassette particulière pour orner et embellir son église. Il avait pour vicaires à Saint-Donatien son cousin, M. Alexandre Lescan ou le Scanff, et M. Jambu qui lui succéda comme curé en 1803. Une de ses nièces était venue le rejoindre à Nantes et avait fait profession dans une communauté religieuse de la ville.

Lorsque parut la Constitution civile du Clergé, les prêtres de Saint-Donatien furent appelés en même temps que leurs confrères à prêter le serment exigé par la loi. La population s'attendait si bien à un refus de leur part que déjà ils avaient composé une chanson sur l'air : « O ma tendre musette » où il était dit de M. Lescan : Monsieur Lescan pour sur - Ne prèt'ra pas serment - Il préfère, on assure, - Verser jusqu'à son sang. Jambu. Il n'y fit pas un long séjour. Une loi du 26 Août 1792 ordonna d'interner dans une maison spéciale, dont la municipalité aurait la garde, tous les prêtres infirmes et ceux qui avaient soixante ans d'âge. Les prêtres plus jeunes étaient condamnés à la déportation. Quelques-uns de ses amis alarmés du danger qu'il courait, vinrent presser M. Coat de se retirer en Espagne pour attendre la fin de la tourmente. Le vénérable curé ne crut pas devoir céder à leurs sollicitations. « J'ai plus de soixante ans, dit-il. Ce décret me laisse la liberté de demeurer ou de partir. Je ne sais pas quelle tournure prendront les affaires publiques. Peut-être nous ouvrira-t-on les portes plus tôt que nous le pensons. Si on nous les ouvre, je serai tout rendu en attendant que nos confrères puissent se rejoindre à nous. Au reste, je descendrais avec peine au tombeau, si, pour conserver un misérable reste de vie, j'apprenais, dans l'exil que j'aurais adopté, qu'un seul de mes paroissiens fût mort sans avoir reçu les sacrements. Bonus pastor anmam suam dat pro ovibus suis » (voir la note qui suit).

Note : « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Notices sur les Confesseurs de la foi, dans le diocèse de Nantes, par M. l'abbé Briand. Tome I, pages 197 et 199.

Le général de la paroisse, ou le Conseil de fabrique, dans une requête adressée au District, le 7 Septembre 1792, essaya d'obtenir l'élargissement de son curé. Il fit valoir tous les bienfaits et les nombreuses libéralités de M. Coat. Les Administrateurs ne se montraient guère sensibles à de pareils arguments. Ils ne voyaient qu'une chose : la Loi, et encore ne se faisaient-ils pas scrupule de l'interpréter souvent au gré de leurs passions. Le curé de Saint-Donatien s'était mis en rébellion contre la loi en refusant de prêter serment à la Constitution civile du Clergé. Il devait ou se soumettre ou subir les conséquences de son acte.

Si l'abbé Coat vit s'ouvrir devant lui les portes de Saint-Clément, ce ne fut que pour entrer au Couvent des Carmélites transformé en prison ; mais on eut bientôt besoin de cet établissement pour y loger les troupes. Les prisonniers durent déguerpir pour faire place aux soldats et furent internés sur les galiotes de la Loire. Les prêtres n'y étaient pas sans inquiétude sur le sort qu'on leur réservait. Rien de plus facile que de les faire disparaître sans bruit dans les eaux du fleuve. L'air vicié de ces cabines trop étroites, les miasmes qui s'élevaient de la rivière et les privations de toute nature auquelles étaient soumis les détenus, auraient eu vite raison de la santé déjà affaiblie de la plupart de ces vieillards. La Municipalité elle-même prit en pitié leur sort et décida leur transfert à la prison des Petits Capucins, rue de l'Hermitage. La situation des prisonniers n'y fut guère plus confortable que sur les vieux bâtiments de la Loire ; mais ils étaient sur la terre ferme ; c'était assez pour ne pas leur faire regretter le séjour des galiotes. Ce danger qu'ils redoutaient, ils n'y avaient échappé un moment que pour y retomber à bref délai.

Carrier venait d'arriver à Nantes, le 8 octobre 1793, en qualité de Commissaire, avec pleins pouvoirs du Comité du Salut Public. A son gré, la guillotine ne fonctionnait pas assez vite. Il avait hâte d'appliquer son système de gouvernement qui ne tendait à rien moins que de faire de la France un vaste cimetière. Un tiers au moins des Français devait disparaître. Donc, plus de jugement; c'était une perte de temps ; rien que des exécutions en masse ; c'était plus expéditif. Il eut recours à ce que par une atroce plaisanterie, il appelait, « les baignades et les déportations verticales », et il s'en servit assez fréquemment pour pouvoir écrire à la Convention. « Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! » (P. de la Gorce. Op. cit. tome III, p. 390)
Le 28 octobre 1793, quatre-vingt-six prêtres, parmi lesquels se trouvait le curé de Saint-Donatien quittèrent les petits Capucins, pour être embarqués sur la Gloire. Ils avaient été dénoncés par l'une des Sociétés populaires de Nantes. Des fenêtres de leur prison, disait-elle, ils communiquaient par des signaux avec les insurgés qui se trouvaient de l'autre côté de la Loire. L'accusation n'avait aucun fondement, mais tout prétexte était bon pour se débarrasser de ces prêtres. Il fallait les éloigner de la ville en attendant que le nouveau proconsul eût statué sur leur sort.

Ces prêtres avaient confessé la foi devant les tribunaux et souffert persécution pour la justice. Dieu les avait jugé dignes de prendre rang dans la phalange des martyrs. Dans la nuit du 26 au 27 Brumaire an II (16-17 novembre 1793) un samedi, par un beau clair de lune, une sapine, sorte de chaland, aborda la Gloire. Les marins sur les ordres de Carrier, attachèrent les prêtres deux à deux et les firent descendre dans le chaland. Aucun des ecclésiastiques ne prévoyait le sort qui les attendait. Tous croyaient qu'on les ramenait à terre et que l'heure de leur délivrance était arrivée. C'était au contraire le moment du martyre. Le fond du bateau était rempli de tuffeaux qui tenaient fermées les ouvertures et les soupapes. Tout à coup, le commandant de l'embarcation fait écarter les pierres. L'eau rentre en abondance. Les prêtres se donnent une dernière absolution, et le chaland est bientôt submergé avec tout ce qu'il contient. Seul, le curé de Saint-Lyphard, échapppa au naufrage, M. Coat, nous dit la tradition, s'écria en ses derniers moments : « Saint Donatien et saint Rogatien, mes bons paroissiens, priez pour moi » [Note : Saint Donatien et Saint Rogatien de Nantes, par l'abbé Delanoue, p. 221].

Le curé de Saint-Donatien de Nantes ne fut pas le seul prêtre de la famille Coat à souffrir persécution pour la foi. Le 4 septembre 1792, un de ses cousins, l'abbé Jacques Coat entrait au Château du Taureau qui forme îlot à l'embouchure de la rivière de Morlaix. Né au village du Cospors en Saint-Thégonnec, le 18 mai 1723, ce prêtre distingué [Note : Il a la note optime dans le cahier de Mgr. de la Marche] fut d'abord vicaire de sa paroisse natale, puis recteur de Lesneven et chanoine de Léon. Il était depuis vingt-cinq ans à la tête de cette paroisse, lorsqu'il fut appelé à prêter serment à la Constitution civile du Clergé. Il préféra renoncer à sa charge plutôt que de trahir sa foi. Les 3, 4 et 5 avril, les électeurs s'assemblèrent en l'église de Saint-Michel de Lesneven pour lui donner un remplaçant. Leur choix se porta sur Bizien, recteur de Kernouès qui, après avoir prêté serment, ne tarda pas à se retracter. Le citoyen Pochard fut ensuite élu et se fit installer comme curé de Lesneven le 22 juillet 1792. M. Coat avait quitté la ville avant l’installation du curé intrus, et pour se conformer à la loi qui ordonnait aux prêtres insermentés de se retirer à quatre lieues au moins de leur ancienne paroisse, il déclara fixer sa résidence à Saint-Thégonnec. Arrêté au commencement de septembre, il fut interné au Château du Taureau. Lorsque parût l'arrêté du Département qui transférait à Brême les prisonniers du Château. M. Coat fit valoir son grand âge pour échapper à la déportation. Il réclama son élargissement ou du moins son transfert à Quimper où se trouvaient détenus ses confrères septuagénaires. Sa demande dût être accueillie, car son nom ne se trouve pas sur la liste des prêtres déportés à Brême.

Références. — Registres paroissiaux de Saint-Thégonnec. — Diocèse de Nantes pendant la Révolution, par A. Lallié. — Saint Donatien et Saint Rogatien de Nantes, par l'abbé Delanoue. — Notices sur les Confesseurs de la Foi. Tome I, par l'abbé Briand. — Lettre et Testament de M. Coat. — Ch. Peyron, op. cit., tome II, P. de la Gorce, op. cit. tome III.

 

APPENDICE I.

Lettre de M. Coat [Note : La moitié de la lettre a disparu] à sa nièce, Mme Thoribé, née Marie Catherine Baron.
« Trop heureux encore dans mon désastre que ma santé n'en ait... je ne ferai pas le détail inutile de toutes les sollicitations qu'on m'a faites pour m'arracher le serment civique, de toutes les offres avantageuses qu'on a mises en usage à cet fin, de toutes les menaces qu'on a employées pour y réussir ; mais je ne puis vous cacher plus longtemps que je suis chassé de ma cure depuis le 22 de mai dernier en conséquence de mon refus ; je me suis réfugié chez ma cousine Laporte, où je prends ma pension jusqu'à nouvel ordre, car je ne suis pas sûr d'y rester longtemps, on nous prépare encore de nouvelles épreuves, dit-on : Dieu en soit béni. Fasse le Ciel qu'elles servent à expier mes péchés, mais je ne suis pas le seul malheureusement en butte à la contradiction des hommes. Ma nièce, votre sœur, a subi le même sort ; elle fut chassée de sa communauté ainsi que toutes les autres demoiselles, à l'exception d'une seule, le 31 du même mois de mai dernier, elle s'est procuré un asile chez une personne honnête de notre connaissance où je tâcherai de la nourrir et de l'entretenir autant que mes facultés me le pourront permettre, car elles ne sont point inépuisables et ma nièce n'a absolument rien ; pour comble d'infortune, mon cousin Lescan fut mis hors de sa communauté vendredi dernier au soir, ainsi que tous ses confrères et autres prêtres pensionnaires, il s'est rendu chez sa sœur où nous vivons ensemble et tâchons de nous consoler mutuellement ; il loge dans une chambre qui joint la mienne, et la maison où nous couchons n'est séparée de celle de ma cousine que de la largeur de la rue. Voilà, ma chère nièce, l'état où nous sommes les uns et les autres, et courons risque d'y demeurer longtemps, si le Père des miséricordes ne se hâte de venir à notre secours, nous n'avons presque plus la liberté de dire la messe, à moins de la dire dans notre chambre, toutes les églises de communautés religieuses où nous avions le bonheur de célébrer ci-devant avec la plus grande tranquillité furent toutes fermées vendredi au soir, à peine nous a-t-on laissé quatre petites chapelles hors la ville pour notre consolation ; encore faut-il porter pain, vin, linge et ornements, je ne crains pas toute la misère dont je suis menacé, je... (ici la feuille est rongée)... fidèles, il (Dieu) ne permettra jamais que nous soyons éprouvés... avantageusement de toutes nos tribulations courtes et passagères, s'il nous éprouve dans le temps, c'est pour nous purifier afin de nous couronner dans l'éternité. D'ailleurs les souffrances de ce monde n'ont et ne peuvent avoir aucune proportion avec la gloire qui nous est préparée dans l'autre ; enfin, ma très chère nièce, puisqu'il a fallu que Jésus-Christ, notre divin maître et l'innocence même, souffrit pour entrer dans sa gloire parce qu'il s'était chargé miséricordieusement de nos péchés, n'est-il pas juste que nous, qui sommes coupables à ses yeux de tant d'infidélités, nous souffrions pour les expier et pour acquérir avec lui quelque ressemblance sans laquelle nous ne pouvons espérer de lui être unis dans la céleste patrie.

Ma nièce, mes cousins et cousines se portent à merveille pour le moment, grâces à Dieu, et vous font bien des compliments ; j'embrasse aussi de tout mon cœur votre mari et tous vos enfants, et vous souhaite à tous toute espèce de bénédictions, priez tous les jours pour moi, vous ne ferez pour moi que ce que je fais tous les jours pour vous, ne doutez jamais du sincère attachement avec lequel je serai toujours, ma très chère nièce, votre très humble et très obéissant serviteur et oncle. Y. COAT. Recteur ci-devant de Saint-Donatien.

Si vous faites réponse, il faudra adresser vos lettres chez M. Laporte, Charon, près la maison des Frères des Ecoles Chrétiennes, paroisse de Saint-Similien de Nantes ».

Testament de M. Coat, recteur de Saint-Donatien.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Je soussigné, Yves Coat, natif de la paroisse de Saint-Thégonnec, diocèse de Saint-Pol-de-Léon, en Basse-Bretagne, honoré du sacerdoce et recteur de la paroisse de Saint-Donatien de Nantes, instruit par l'Evangile de Jésus-Christ que l'heure de ma mort est incertaine et cachée dans la profondeur des secrets de Dieu, je dois me tenir prêt chaque jour à déposer mon âme entre ses mains et à lui rendre le compte le plus exact de ma conduite et de mes actions pendant cette vie ; instruit également que le saint état auquel la Providence m'a appelé par un effet de sa miséricorde et de sa bonté, m'impose des obligations plus étroites qu'à ceux des fidèles qui se sont engagés dans le siècle, et que je dois être jugé au tribunal de la justice divine avec d'autant plus de sévérité que j'aurai été plus instruit de mes devoirs, ou plus dans le cas de l'être, déclare rédiger de ma main et sans autre suggestion que celle de ma conscience et pour sa décharge, le présent testament dont je n'ai conçu les dispositions qu'après avoir imploré la grâce de mon Dieu et la lumière de son Saint-Esprit.

Premièrement, je demande à Dieu qu"il me préserve d'une mort imprévue, qu'il daigne par un effet de sa miséricorde et des mérites du sang précieux de Jésus-Christ, me faire mourir de celle des justes et me placer dans le sépour de la gloire pour augmenter le nombre des saints qui le béniront dans l'Eternité.

Secondement : la destination du peu d'effets que je laisserai devant m'occuper tout entier après avoir songé à celle de mon âme, je déclare ce qui suit, pour prévenir en faveur de la disposition que je veux et que je dois en faire, attestant sur mes saints ordres et dans la présence de Dieu, la vérité de ce que je vais dire.

Privé de mon père dès l'âge le plus tendre, j'ai quitté la maison de ma mère, dès la dix-neuvième année de mon âge. J'avais reçu de sa tendresse la première éducation qui m'a mis dans le cas de faire mes études et de parvenir ensuite à l'état ecclésiastique. Je suis redevable des frais de trois années de mon séminaire et de mon entretien aux soins bienfaisants d'un onde maternel qui a bien voulu concourir à mon bonheur. Comme les secours de ce parent généreux me suffisaient, je n'ai rien reçu de la maison maternelle. J'ai laissé ma sœur unique jouir des bienfaits de notre bonne mère. Je lui ai abandonné et aux siens tout ce que je pouvais aussi prétendre de la succession de mon père.

Ainsi, depuis que j'ai quitté ma mère, je n'ai rien eu d'elle. Je n'ai également rien touché ni de la succession ni de mes droits héréditaires du chef de mon père ou de ceux qui ont pu m'échoir d'ailleurs.

Enfin, depuis le moment que j'ai eu le bonheur d'être consacré prêtre, je n'ai vécu que du produit et de l'honoraire de mes fonctions comme vicaire, et du revenu de mon bénéfice après que j'ai été pourvu de la cure que je dessers depuis vingt-deux passés du mois d'Avril dernier.

Dans cet état de privation absolue de toute ressource et de toute espèce d'avantage de la part de ma famille, à l'exception du parent dont j'ai parlé, et décidé encore à n'en rien recevoir pendant le reste de mes jours, je n'ai vécu, je ne vis et ne vivrai que des biens de l'Eglise ; tout ce que je fais, tout ce que je pourrai avoir, tout ce que je laisserai à mon décès, fera donc partie du bien de l'Eglise et lui appartiendra subséquemment.

Si, faute d'une déclaration semblable, je donnerais à croire que le peu que je laisserai dans ma succession, est le fruit des épargnes que j'aurai pu faire d'un bien étranger à l'Eglise, outre que je ne remplirais pas les devoirs de ma conscience, j'induirais encore en erreur mes propres héritiers qui partageraient comme un bien des effets, de l'argent même qui ne m'aurait jamais appartenu, et par un silence que la justice divine n'excuserait peut-être pas, je me rendrais coupable de la disposition qu'en feraient mes dits héritiers contre la loi de l'Eglise qui est celle de Dieu même.

Je n'ignore pas en effet, et je ne dois pas ignorer que cette loi me défend de laisser à mes héritiers le bien, quel qu'il soit, meuble ou immeuble, qui m'est venu de l'Eglise, ou à l'occasion de mes fonctions ecclésiastiques.

Le canon 75 de ceux qui portent le nom des Apôtres, condamne l'Evêque et dans sa personne tout ecclésiastique bénéficiaire qui fait passer à ses héritiers un bien qui appartient à l’Eglise.

Le second concile de Nicée, le troisième de Paris, le troisième de Tolède confirment l'autorité de ces Canons, le chapitre ad hœc de testamentis et le chapitre ad latum est auribus nostris, l'un et l'autre dans les décrétales rappellent la disposition à cet égard d'un concile de Latran, et distinguent les biens du patrimoine ou autres, non provenus de l'Eglise d'avec ceux qui en viennent, soit mobiliers, soit immobiliers ; ils permettent aux bénéficiaires de disposer des premiers de leur volonté et veulent que les autres restent à leur Eglise ou à ceux qui s'y seront établis. Le concile de Trente n'est pas moins exprés et en dernier le pape Innocent XII a proscrit tout ce qui ressent le népotisme, de la manière la plus forte dans la bulle du 20 Juin 1692. Toutes ces lois sont rapportées dans l'ouvrage de la Discipline ecclésiastique.

D'après ces lois qui m'obligent en conscience, comme j'espère qu'ils obligeront mes héritiers de la même manière, je déclare vouloir que tous mes effets restent à l'Eglise ; en conséquence :

Premièrement : que les vases, ornements et tous autres meubles de l'Eglise que j'ai acquis et destinés à son usage restent à la paroisse de Saint-Donatien et lui appartiennent en toute propriété, déclarant à cet effet en faire don au général de la dite paroisse, pourvu que néanmoins il en acquittera les droits sans répétition à la décharge des pauvres.

Secondement : que les aubes, surplis, pales et menus linges qui m'appartiennent seront remis à M. Lescan prêtre, vicaire actuel, de la paroisse de Saint-Donatien, pour être par lui partagés avec de pauvres ecclésiastiques, suivant mes intentions que je lui ai communiquées, persuadé que c'est faire retourner les objets de l'Eglise que de les donner à ses ministres et de les destiner aux usages qu'ils ont dans les saintes fonctions.

Troisièmement : que tous les meubles, livres et autres objets quels qu'ils soient, seront vendus pour le profit d'iceux (ainsi que l'argent que je pourrai laisser), être employé d'abord au paiement de mes frais funéraires et aux réparations qui m'incomberont, et le reste être remis à mon successeur pour être par lui distribué (de concert avec la dame de charité de la paroisse) aux pauvres de celle-ci.

Je déclare respectivement à mes frais funéraires, que mes intentions sont que mon corps soit porté par ceux de mes paroissiens qui voudront bien me donner ce dernier témoignage d'attachement, sans assistance d'enfants de l'hôpital général, sans autres lumières que ceux d'une simple quarrée ordinaire, et inhumé sans la moindre pompe ni distinction dans le cimetière de la paroisse, à la suite des autres paroissiens. Je désire qu'il soit célébré douze messes basses pendant l'office qui se fera pour mon inhumation et autant au jour de mon service, et que depuis le jour de mon enterrement jusqu'au jour anniversaire inclusivement il soit célébré chaque jour à l'heure de huit heures, autant que faire se pourra, dans l'église paroissiale une messe basse pour le repos de mon âme, pour honoraire de laquelle messe (à raison de vingt sols pour chacune) comme pour celui des messes de mon enterrement et de mon service et autres frais funéraires, il sera prélevé une somme suffisante sur le produit de la vente de mes effets.

Au moyen de laquelle disposition, mes héritiers n'auront rien à prétendre dans ma succession, non pas que je veuille les exhéréder, mais parce qu'ils sont réellement sans droit dans tout ce qui pourra me rester comme venant des biens dont je ne suis que l'administrateur et non le propriétaire absolu.

Je prie en conséquence mes héritiers de concourir à l'exécution de mes présentes volontés, et dans le cas où, à Dieu ne plaise, ils voudraient critiquer mon testament en ce qui les concerne, je déclare en soumettre dès à présent la validité à l'arbitrage de trois docteurs en théologie et de trois jurisconsultes, à la décision desquels j'engage mes héritiers à se soumettre comme je m'y soumets moi-même ; et dans le cas où ils voudraient recourir aux tribunaux, je charge mon exécuteur testamentaire de ne résister aux prétentions de mes dits héritiers, que dans la circonstance où trois docteurs ou trois jurisconsultes l'y autoriseraient, persuadé que je suis, que je ne dois pas donner lieu, à des procès pour vouloir faire le bien, et que ma conscience sera également déchargée aux yeux du souverain juge.

Je remets au surplus l'exécution de mon présent testament à M. Pellerin, avocat à la Cour, militant à Nantes, demeurant sur le cours, paroisse de Saint Clément et que je prie très humblement et très instamment de me rendre ce service signalé ; et dans le cas où il ne pourrait pas, je lui substitue celui qui me sera donné pour successeur dans ma cure que je prie également de vouloir bien en accepter l'exécution.

Telles sont mes volontés que je prie Dieu de bénir, et que j'ai moi-même écrites, datées et signées de ma main à Saint Donatien de Nantes, le neuvième jour de Juin 1785.

Y. COAT Recteur de Saint Donatien de Nantes. [Note : Extrait des Notices sur les Confesseurs de la foi dans le diocèse de Nantes pendant la Révolution, par l'abbé Briand, tome I.

(F. Quiniou).

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