Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA PAROISSE DE SAINT-THÉGONNEC SOUS LA RÉVOLUTION

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Saint-Thégonnec       Retour "Saint-Thégonnec sous la Révolution" 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Les Municipalités et les églises (1790-1795).

Le roi Louis XVI, impuissant à contenir la Révolution, expia sa faiblesse sur l'échafaud le 21 janvier 1793. La disparition de la Monarchie ne se fit pas sans occasionner de violentes secousses dans différentes parties du Royaume. Plusieurs provinces, celles de l'Ouest notamment et beaucoup de villes du midi restaient attachées à l'ancien Gouvernement. Lyon et Toulon avaient osé se soulever contre la Convention. L'Assemblée Nationale décréta qu'à Toulon « les maisons de l'intérieur seront rasées et que le nom de Toulon sera supprimé. Cette commune portera désormais le nom de Port-la-Montagne ». La ville de Lyon fut condamnée à disparaître. Tout ce qui fut habité par les riches sera démoli. La réunion des maisons conservées portera le nom de Ville-Affranchie. Il sera élevé sur les ruines de la ville une colonne avec cette inscription : « Lyon fit la guerre à la Liberté, Lyon n'est plus ».

La Convention pour réprimer toute velléité de sédition, établit sur tout le territoire le régime de la terreur. L'insurrection couvait dans l'Ouest ; mais il faudra pour la faire éclater les mesures de plus en plus restrictives de la liberté religieuse. Les paysans de la Bretagne, de l'Anjou et de la Vendée prouvèrent à la Convention que la foi avait encore de profondes racines dans le pays. Ils avaient subi sans s'insurger la révolution sociale et la révolution politique ; mais ils prendront les armes contre la révolution religieuse. Ils se révolteront devant les atteintes portées contre la liberté de leur conscience, et devant la confiscation de leurs églises. « La paix n'aurait jamais été troublée dans ce canton, déclarait la municipalité de Saint-Thégonnec au district de Morlaix si on avait voulu laisser chaque citoyen suivre le culte de son choix ».

Les églises, considérées comme biens nationaux, avaient d'abord été laissées à la disposition du clergé. Les municipalités en avaient la garde et devaient veiller à la conservation des différents objets qui servaient pour le culte. Les prêtres intrus et les prêtres réfractaires pouvaient officier dans la même église, mais la loi favorisait les premiers au détriment des autres. L'antagonisme existant entre les partisans des deux clergés dégénérait souvent en querelles qui atteignaient parfois les proportions d'une véritable émeute. Aux municipalités incombait le devoir de réprimer les désordres et de rappeler chacun au respect de la loi. Ce n'était pas toujours chose aisée que de maintenir la paix dans une assemblée dont les membres ne cherchaient qu'une occasion favorable de manifester leurs préférences et de faire triompher leur cause. Obligés d'assister à des cérémonies présidées par des curés jureurs, les fidèles ne cherchaient qu'un prétexte pour troubler la réunion. Les municipalités qui, dans la plupart des paroisses étaient animées des mêmes sentiments hostiles que leurs administrés a l'égard des prêtres assermentés, devaient cependant à ces derniers aide et protection conformément à la loi. Les curés intrus ne se faisaient pas faute de signaler au District tous les incidents qui se passaient dans leurs paroisses et lui dénonçaient les officiers municipaux qui faisaient preuve de tiédeur dans l'application des lois révolutionnaires.

Les catholiques se lassèrent bien vite de cette promiscuité avec les tenants du clergé officiel. lls leur laisseront l'église principale et réclameront les chapelles pour les prêtres de leur choix. S'ils ne peuvent obtenir ces chapelles, ils se renseigneront pour connaître l'endroit où célébrait le prêtre réfractaire. C'est à ses offices qu'ils assisteront, et c'est à lui qu'ils feront appel pour assister leurs mourants.

Lorsque les églises seront, en vertu de la loi, enlevées au clergé, les municipalités devront s'ingénier pour les protéger contre le vandalisme des lois révolutionnaires et contre les déprédations des particuliers. En vertu du décret du 19 Juin 1790, les écussons, armoiries et autres prééminences des ci-devant seigneurs et gentilshommes devaient être supprimés sur tous les édifices religieux. A Saint-Thégonnec, l'église principale ainsi que les chapelles de Saint-Joseph, de Sainte-Brigitte, de Saint-Sébastien [Note : Cette chapelle qui était située dans la partie Nord du cimetière a été démolie vers 1860], de Coasvout et de Pennanrun [Note : De ces deux dernières chapelles, il ne reste pas même les ruines. La chapelle de Pennanrun se trouvait sur la route du Hellin, non loin de la croix de Kérincuff] étaient atteintes par ce décret. Les officiers municipaux ne protestèrent pas contre l'application de cette mesure. Ils se rappelaient sans doute les difficultés qu'avaient éprouvées leurs aïeux pour reconstruire et embellir leur église, à cause de ces droits honorifiques qu'il fallait sauvegarder. C'étaient entre « les fabriques » et les seigneurs des procès interminables et ruineux à propos d'une lisière, d'un enfeu ou d'une tombe qu'un projet de reconstrution d'une partie de l'église devait faire disparaître. La modification projetée était généralement terminée que le procès suivait encore son cours [Note : Voir « l'Eglise de Saint-Thégonnec et ses annexes », par F. Quiniou]. La municipalité qui voyait sans trop de déplaisir disparaître ces marques de prééminences, ne voulait pas cependant qu'en les faisant effacer, on eût dégradé les édifices. Elle tenait trop à la beauté des monuments de la paroisse pour tolérer qu'on y eût porté atteinte. L'adjudicataire avait pour condition de recouvrir d'une quantité suffisante de chaux les armoiries incrustées dans la pierre de taille. Quant aux armoieries et écusssons qui faisaient saillie à l'extérieur, il devait se contenter de les faire disparaitre au ciseau « sans cependant causer aucune dégradation à l'ordre d'architecture ».

On dit que, lorsque l'ordre vint du district d'abattre toutes les croix qui se trouvaient sur le territoire de la commune, la population, craignant qu'on dût également démolir le calvaire du cimetière, se chargea elle-même de le mettre à l'abri de la haine iconoclaste des sans-culottes. Les statuettes, dont le groupement figurait les principales scènes de la Passion, furent détachées de leurs socles et mises en lieu sûr. Lorsque revint le calme, on vit le calvaire se reconstituer comme par enchantement. Les statuettes remontèrent à leur place et la reproduction der groupes se fit tant bien que mal. Quelques personnages cependant manquèrent à l'appel, soit qu'ils fussent brisés en les déplaçant, soit qu'ils fussent si bien cachés qu'il fût dans la suite impossible de les retrouver. Ce fait, dont nous ne garantissons pas l'authenticité, expliquerait au besoin, le bon état de conservation dans lequel nous est arrivé ce monument religieux.

En face du calvaire, dans la même enceinte que ferme l’arc de triomphe, se trouve la chapelle ossuaire ou chapelle de Saint-Joseph, vrai bijou d'architecture du plus pur style renaissance. C'est sur cet édifice que le nouvel instituteur de Saint-Thégonnec, le citoyen Dubois, jeta son dévolu pour en faire une salle d'école. Avait-il l'intention d'initier ses jeunes élèves aux secrets de l'art de la Renaissance, ou voulait-il leur faire goûter les beautés des colonnes corinthiennes qui ornaient la façade de la chapelle ou la splendeur des lanternons de l'abside qui, se mariant harmonieusement avec les riches décors de l'arc de triomphe, font de cette entrée du cimetière de réglise comme l'accès d'une demeure vraiment royale ?

L'instituteur venait à peine d'arriver dans la commune que déjà il donnait sa mesure. C'est de sa propre autorité qu'il installa sa classe dans « cet établissement si intéressant au bonheur des jeunes enfants des agriculteurs ». Sa réputation de dénonciateur l'avait précédé à Saint-Thégonnec. Il ne dut être envoyé dans cette paroisse que pour surveiller les agissements de la municipalité et dénoncer au chef-lieu du district toutes les infractions aux lois républicaines. Son concurrent, l'instituteur Perrot, s'était cantonné dans l'exercice de ses fonctions pédagogiques sans se mêler des questions politiques ou administratives. L'Administration supérieure tenait à avoir dans les communes des instituteurs plus zélés et plus militants que le citoyen Perrot. Dubois était d'une autre trempe que son rival. Il ne craignit pas de tenir tête à lia municipalté, et il mit tous ses soins à découvrir les abus qui régnaient dans le canton pour les signaler au Comité de surveillance de Morlaix.

A son arrivée à Saint-Thégonnec, il ne daigna pas présenter ses papiers à la signature du maire. Il arriva directement au secrétariat pour enregistrer ses pouvoirs, puis il se mit en quête d'un logement. Des officiers municipaux, auxquels il s'était adressé lui désignèrent le presbytère comme local qui aurait pu lui convenir. L'instituteur ne se souciait pas d'aller demeurer à cinq cents mètres du bourg. Il demanda à voir la grande chambre où le citoyen Perrot tenait école. Cet appartement lui plut ; mais par malheur le locataire ne consentait pas à déguerpir. Dubois avait beau déclarer que seul il était autorisé à enseigner dans la commune, Perrot se contentait de se retirer à l'abri de la loi du 29 Frimaire qui donnait à tout citoyen le droit d'enseigner en remplissant les conditions qu'elle prescrivait. Dubois, contraint de se mettre à la recherche d'un autre local, fut enfin assez heureux de découvrir une salle qui n'avait pas encore d'occupant. C'était la chapelle du cimetière. Il s'y installa sans avoir demandé au préalable l'avis ou l'autorisation du maire. Ce local, il fallait maintenant l'aménager comme salle d'école. « Dans ces lieux, écrira-t-il à la municipalité, il ne doit exister de marques d'aucun culte. En conséquence, vous voudrez bien les faire tous sauter ». Pour satisfaire le vandalisme de ce précurseur de la neutralité scolaire, il aurait fallu enlever l'autel surmonté d'un riche rétable à colonnes torses qui s'élevait au fond de la chapelle, ainsi que la mise au tombeau qui se trouvait dans la crypte. Le maire, Bernard Breton, prit un moyen terme pour apaiser le farouche pédagogue. Il laissa à leur place l'autel et la mise au tombeau, mais il fit fermer l'entrée de la crypte et élever une cloison en planches pour cacher le rétable.

Voilà donc notre instituteur installé dans une des plus belles salles d'école de France. Il ne restait plus qu'à y attirer des élèves. Le citoyen Perrot tenait toujours à son poste et lui faisait une terrible concurrence. Dubois s'imaginait avoir trouvé un moyen infaillible de couler son adversaire. Il le communiqua à la municipalité qui ne daigna même pas lui accuser réception de sa lettre.

« Déconcerté, écrivait-il à ses amis du Comité de surveillance de Morlaix, par le peu d'enfants qui vieillirent à nos instructions, j'ai invité la municipalité à employer un moyen que j'ai cru efficace d'en augmenter le nombre, elle ne m'a fait aucune réponse ». Ce moyen génial consistait à annoncer à huit heures du matin et à deux heures du soir, l'ouverture de la classe par douze coups de cloche. Le maire qui ne voulait pas voir sa lettre transmise par Dubois au Comité de surveillance, se contenta de répondre verbalement à l'instituteur. Il se chargea d'écrire lui-même au District le 5 Vendémiaire an III. « Les concierges du Temple, disait-il, sont déjà surchargés de besogne par le service de la municipalité. On ne peut pas leur imposer un surcroit de fatigue en les forçant à monter deux fois par jour dans le clocher ».

L'instituteur était venu à Saint-Thégonnec avec l'ordre formel de propager les idées nouvelles et de surveiller l'exécution des lois de la République. Il ne tarda pas à constater les nombreux abus qui régnaient dans cette commune. Dans sa lettre du 29 Thermidor an II (16 Août 1794) aux citoyens de la Société populaire composant le Comité de surveillance de Morlaix, il avait signalé entr’-autres pratiques religieuses qui rappelaient l'Ancien Régime, le son de l'Angelus. Il leur en voulait à ces cloches de rappeler certaines pratiques superstitieuses qui « ne servaient qu'à fanatiser le peuple », tandis que plus tard, il voudra les faire sonner pour annoncer l'ouverture de ses classes. Comme elles devaient tinter étrangement à ses oreilles puisqu'il avait cru remarquer qu'elles sonnaient : « le ci-devant Angelus quatre fois par vingt-quatre heures ». Elles ne devraient désormais avoir d'autre fonction que de rappeler au peuple les fêtes républicaines. Pourquoi n'annoncerait-on pas les jours de décades et les fêtes nationales par une sonnerie plus solennelle ? L'instituteur poursuivait son réquisitoire contre les cloches, en demandant qu'elles fussent, conformément à la loi, descendues de la tour et envoyées à la fonte. Il en arrivait à la fin à accuser les officiers municipaux de négligence dans l'accomplissement de leurs fonctions. Il existait à Saint-Thégonnec, prétendait-il, cinq cloches dont trois moyennes et deux grosses, ainsi que deux croix et d'autres objets d'argent dont la place était à la Monnaie. Il était temps de rappeler à l'ordre une municipalité qui négligeait à ce point ses devoirs et qui donnait si peu de preuves de son civisme qu'elle n'avait affiché nulle part d'enseigne républicaine, pas même à la maison commune.

A ces accusations, qui lui furent transmises par les Administrateurs du district, le maire répondit le 5 Vendémiaire an II (26 Septembre 1794). Il commençait par fustiger en termes cinglants le vil caractère du maître d'école et réduisait ensuite à néant les divers chefs d'accusation. « La dénonciation faite contre nous par le citoyen Dubois ne nous a que très peu surpris ; nous avions appris de bonne heure que depuis longtemps il s'était acquis le titre de célèbre dénonciateur. C'est peut-être le seul talent qu'il ait pour se faire valoir, et auquel il est redevable de la place qui lui est confiée. Il aurait donc tort de se départir d'un système qui lui a si bien valu jusqu'à présent ». Bernard Breton rappelait ensuite le sans-gène dont avait fait preuve en plusieurs circonstances l'instituteur, à l'égard de la municipalité. Dubois n'avait pas jugé à propos de se présenter devant le conseil de la commune pour signer ses pouvoirs, et c'était de sa propre autorité qu'il avait disposé d'un édifice national pour en faire une salle d'école.

Quant à l'affaire des cloches, l'instituteur montrait d'une façon évidente qu'il agissait plutôt par envie de dénigrer la municipalité que par esprit de patriotisme. Il aurait dû savoir, dès lors qu'il se prétendait si bien renseigné, que la plus grosse des cloches avait été envoyée à la fonte. Cette cloche dont parlait le maire avait, de fait, été expédiée à Morlaix, mais elle ne fut pas livrée au fondeur. Le chef-lieu du district avait le 24 Floréal précédent (15 Mai 1794) envoyé à Rennes trente et une cloches pesant ensemble 24.064 livres. Morlaix jugea-t-il cet envoi suffisant, ou la cloche de Saint-Thégonnec arriva-t-elle trop tard pour faire partie du convoi. Toujours est-il qu'elle ne fit pas le voyage de Rennes. Elle se trouve actuellement dans le clocher de l'église de Plougonven. Pour ce qui concernait les deux croix et autres objets d'argent que la commune était accusée de retenir illégalement, il était facile de constater que la dénonciation de Dubois n'était pas justifiée. Ces divers objets étaient portés sur l'état que la municipalité avait remis à l'Agent national. Pouvait-on dans ces contitions accuser les officiers municipaux de les avoir dérobés au yeux des agents de l'autorité ? Ce qui plus est, ils venaient eux-mêmes de faire un envoi de 28 marcs d'argent à la Monnaie.

Dubois, par bonheur, n'avait été qu'imparfaitement renseigné. Il ignorait que l'une des croix, la croix en vermeil, avait été soustraite à l'inventaire. Le maire devait être au courant de ce fait, mais il ne tenait pas à le signaler aux Administrateurs du district. Cette croix avait été cachée sous les combles de la sacristie, et elle ne fut retrouvée que de longues années après la Révolution (voir la note qui suit).

Note : Cette croix de procession, classée dans les objets historiques par la Commission des Beaux-Arts, mesure un mètre de hauteur et est à double croisillon, comme toutes les croix archiépiscopales. Deux clochettes sont suspendues eu croisillon supérieur. De chaque côté du Christ, sur le croisillon inférieur, se trouve une statuette, l'une représente la sainte Vierge, et celle de gauche, saint Jean. Au-dessous du Christ, on voit un évêque agenouillé avec en mains un calice. Le noeud de la croix surtout est d'une grande richesse et d'un travail finement ciselé : six statuettes d'apôtres ornent ce nœud. Derrière le Christ est représenté saint Thégonnec, le patron de la paroisse. Cette croix serait, dit-on, un don d'un des seigneurs du Penhoat.

Le maire terminait sa lettre par une invitation au district, « d'engager le citoyen Dubois à se tenir au pas de son institution ». Toutes ces discussions avec l'instituteur, ajoutait-il, étaient de nature à lui faire négliger ses occupations municipales.

Quatre jours plus tard, parut l'arrêté du district de Morlaix qui enlevait les églises et les chapelles aux ministres du culte. Ces édifices étaient mis à la disposition des instituteurs pour la tenue des écoles primaires, du moins là où les communes n'étaient pas à même de leur fournir un local convenable. Les presbytères subissaient le même sort que les églises. Aux municipalités était laissé le soin de fournir le mobilier scolaire. Point n'était nécessaire de grever à cet effet le budget communal. Il suffisait, pour se procurer les tables et les bancs de l'école, de prendre les boiseries de l'église devenues désormais inutiles. La salle de l'instituteur Dubois avait dû être suffisamment aménagée.

Il n'aurait pas manqué de réclamer le bois des rétables ou de la chaire à prêcher pour que la richesse de son mobilier fût en harmonie avec la beauté du monument qui constituait sa classe.

Son digne émule de Plounéour, l’instituteur Guyonvarc'h, l'un des précurseurs de la réforme de l'orthographe, comme nous le verrons plus loin, prendra à la lettre l'arrêté du 9 Vendémiaire. Il voudra avoir l'église comme salle d'école, et sans doute les boiseries du choeur et des autels comme mobilier de sa classe. On lui fera voir qu’il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Les paroissiens avaient toléré qu'un prêtre assermenté eût officié dans leur église, mais ils n'entendaient pas que cet édifice fût affecté à une autre destination que celle que lui avaient donnée leurs ancêtres. Si plus tard, chez eux comme ailleurs, leurs monuments religieux serviront à un autre usage, étranger à Leur affectation, il faudra s'en prendre à la loi qui interdisait tout exercice du culte dans les églises. Cette défense atteignait aussi bien les prêtres jureurs que les prêtres insermentés.

La population tiendra à montrer à Guyonvarc'h qu'il est bon parfois de savoir modérer son appétit. A peine l'instituteur dit-il commencé la lecture de l'arrêté du district qu'un prêtre prit la parole pour ameuter contre lui l'assemblée. Les fidèles indignés contre la prétention du maître d'école, se précipitèrent sur lui et le tirèrent par les cheveux. Guyonvarc'h faisait des efforts désespérés pour se dégager de l'étreinte de ses adversaires, et voyant sa vie en danger, appela La municipalité à son secours. Les officiers municipaux durent lui prêter assistance et ne virent d'autre moyen de rétablir l'ordre que de conduire le prêtre en prison. L'instituteur se hâta de faire son rapport sur cet incident, et c'est ici que nous pouvons constater combien il était qualifié pour enseigner les règles de la syntaxe. Il écrivait au District: « Aujourd'hui, j'ai été surprit d'entandre sonner des glas et j'ai demandée aux bedeaux pourquois il sonnet il ma répondu qu'il avait des ordres ceux que j'ai fait sécer dans la pansée que ceux la maintenait le fanatisme qui a malheureusement trop d'ampire dans notre commune. ». Puis venait le récit de l'agression dont il avait été victime.

A Guiclan, la municipalité dut défendre le mobilier de l'église contre les déprédations des agents de l'autorité. Le gendarme Cuminik, de la garnison de Landivisiau, avait reçu mandat de procéder à l'arrestation du vénérable chanoine Hyacinthe Autheuil, recteur de Guiclan. Il requit l'agent municipal, Alain Breton, pour l'accompagner dans ses perquisitions. Ce dernier sachant que le recteur avait depuis quelques jours quitté la paroisse, se mit bien volontiers à la disposition du gendarme. Tous deux cheminèrent de conserve à travers les landes de la commune, inspectant minutieusement les villages qui se trouvaient sur leur parcours. Ils revinrent au bourg après avoir battu en vain la campagne. Le gendarme, mécontent de sa déconvenue, et soupçonnant peut-être l'officier municipal d'avoir mal dirigé ses recherches, ne tenait pas à rentrer à Landivisiau sans avoir pris sa revanche. L'adresse du pandore allait être aux prises avec la roublardise du paysan.

Le gendarme exigea l'ouverture de l'église et de la sacristie, sous prétexte qu'il avait reçu l'ordre de faire l'inventaire du mobilier de la paroisse. Alain Breton qui, comme agent municipal, avait la garde de ces objets et en était responsable devant la loi s'opposa à cette demande. Pour mettre sa responsabilité à couvert, il voulut savoir si réellement le gendarme avait reçu de ses chefs l'ordre d'inventorier les effets mobiliers de l'église. Cuminik ne put exhiber d'écrit qui justifiât sa prétendue mission. Alain Breton se dit qu'il avait dès ce moment cause gagnée. Le gendarme aura beau employer la ruse ou la menace, tous ses efforts viendront se butter contre la ténacité du paysan fort de son droit. L'agent municipal laissera Cuminik ouvrir les armoires de la sacristie et inventorier tous les ornements et autres objets consacrés au culte ; mais quand il s'agira de toucher à une partie quelconque du mobilier religieux, son attitude changera. Il ne permettra pas au gendarme d'emporter le moindre des objets dont il avait la garde. Cuminik furieux le menaça de deux ans de galère ; puis, voyant que son adversaire restait insensible à cette menace, il crut prudent de changer ses batteries. Il n'était plus question pour lui d'emporter les ornements et les calices ; mais il voulait que l'agent municipal les retirât lui-même de la sacristie. Si cette fois, Alain Breton refusait de se soumettre, le gendarme lui prédisait que deux cents soldats viendraient tenir garnison à Guiclan. Il ne devra attribuer qu'à son entêtement cette punition qui sera infligée à la commune. Dépité de voir que ses menaces ne produisaient aucun effet, Cuminik changea de procédé et fit appel à la ruse.

L'agent municipal l'avait accompagné et même guidé dans ses perquisitions à travers la paroisse, lorsqu'il s'était agi de rechercher le recteur réfractaire à la loi. C'était là une démarche qui ne pouvait que lui être nuisible aux yeux d'une population catholique. Pourquoi ne déclarerait-il pas qu'il s'était opposé à l'arrestation du citoyen Autheuil, le ci-devant recteur ? Cuminik prendrait à son compte de rendre publique cette déclaration ; Breton n'eut garde de donner dans ce piège. Il savait les pénalités encourues par tout agent de l'autorité qui s'était opposé à l'exécution de la loi contre les prêtres insermentés. Il se chargeait lui-même de justifier plus tard sa conduite devant ses concitoyens, comme il saura, à propos de ces incidents, plaider sa cause auprès des Autorités du département. Il écrira aux Administrateurs, après avoir fait le récit de ses démêlés avec le gendarme : « Veuillez bien, citoyens Administrateurs, examiner cet exposé de ma conduite et celle de Cuminik et juger lequel de lui ou de moi a manqué à son devoir ».

Références. — Taines. Origines, tome VII p. 62 et 64. — Peyron. Op. cit. tome II, p. 331 et seq. — Arch. départ. Série L. Liasses 198, 200 et 220. — Arch. municipales de Saint-Thégonnec. — Correspondance, Lettre 99ème. — Archives paroissiales. — Délibération du 26 Décembre 1790.

 

Bretagne : Histoire, Voyage, Vacances, Location, Hôtel et Patrimoine Immobilier

L'arrêté du 3 Vendémiaire, an IV, avait enlevé les édifices religieux aux ministres du culte ; mais les catholiques menaçaient un peu partout de s'insurger contre cette mesure sectaire qui, en les privant de leurs églises, ne leur permettait plus de pratiquer leurs devoirs religieux. « Nos agriculteurs tiennent à leur religion, » écrivait le 1er Pluviose an III (20 Janvier 1795) le district de Quimper au Comité du Salut public. Il ajoutait que ce serait pour le moment une grave imprudence de prendre toute mesure qui heurterait de front les opinions religieuses. Les populations du Finistère commençaient par se laisser gagner aux idées nouvelles, bien que ce fût plutôt par intérêt que par conviction. Il n'y avait plus qu'à laisser à l'instruction qui s'organisait partout, le soin de consolider l'alliance du peuple et de la Révolution. Prendre atuellement des arrêts de rigueur contre la religion, déclarait le district, ce serait jeter les paysans du Finistère dans les bras des Chouans du Morbihan qui, déjà avaient tenté de soulever le pays de Quimperlé, ou dans le parti des royalistes qui parcouraient le département en bandes armées.

La crainte de voir l'insurection s'étendre dans tout le pays donna à réfléchir à la Convention. Le 3 Ventose suivant (21 Février) elle publiait un décret qui proclamait la liberté des cultes tout en déclarant que la République n'en subventionnait aucun. Les églises et les presbytères, faisant partie des biens dits nationaux devaient être vendus ou loués au plus offrant. Etrange façon de comprendre la liberté, que d'enlever aux catholiques leurs biens pour leur laisser ensuite la faculté de les racheter en les payant de leurs propres deniers. Pour que cette liberté du culte ne fût pas complètement illusoire, il eut fallu leur rendre avec leurs églises, les prêtres dont ils reconnaissaient l'autorité. Or, les Représentants du peuple, les deux anciens régicides, Guesno et Guermeur, s'ils avaient par leur arrêté du 6 Ventose (24 Février) proclamé la liberté pour les ministres du culte, avaient eu soin de spécifier que : « les individus connus sous la dénomination de prêtres réfractaires ou non assermentés » étaient exclus de cette mesure libérale. C'étaient là, justement, les seuls prêtres que désiraient les catholiques. Devant les nombreuses réclamations qui leur vinrent de tous les coins du département, les Représentants du peuple comprirent la faute politique qu'ils avaient commise. Ils voulurent la réparer, le 6 Germinal (26 Mai) par un nouvel arrêté qui accordait la même liberté aux prêtres intrus et aux prêtres non assermentés ou détenus pour cause de refus de serment, à la condition de vivre paisibles et de faire tous leurs efforts pour consolider la paix entre les citoyens.

Les catholiques avaient donc obtenu les prêtres de leur choix ; mais il leur restait à trouver un local convenable pour l'exercice des fonctions du culte. Dans plusieurs paroisses, les fidèles se cotisèrent pour louer les églises avec l'intention de les céder aux prêtres restés fidèles à leurs serments religieux. Dans d'autres, en ville surtout, on se contenta de louer des salles ou des maisons particulières. Il fallait en outre faire une déclaration à la municipalité et indiquer le lieu où devaient se tenir les réunions, sous peine de voir l'exercice du culte interdit.

A Saint-Thégonnec, la veuve Pouliquen née Marie Péron, du village du Fers, acheta la chapelle de Sainte-Brigitte pour la mettre à la disposition du clergé insermenté. Plus tard, lorsque la persécution sévira de nouveau et que tout culte public religieux aura cessé dans la paroisse, les habitants de cette section préviendront la municipalité de leur intention de se réunir dans cette chapelle, « pour y adresser en commun leurs prières et leurs vœux à l'Etre suprême » (Correspondance municipale. — Lettre du 22 Ventose an VI).

S'il faut en croire la tradition locale, c'est aux environs de Sainte-Brigitte que se serait passée la scène dramatique suivante. Les habitants de ce quartier avaient résolu d'organiser une procession et avaient fait appel à ceux des paroisses voisines, telles que Guiclan et Guimiliau.

Rendez-vous fut pris pour le dernier jour des Rogations. Tous devaient se trouver, avant le lever du soleil, au carrefour situé à un kilomètre de la chapelle. Les gens du district avaient été prévenus et avaient envoyé des soldats pour dissiper cette manifestation religieuse. La troupe se cacha derrière les hauts talus qui bordaient le sentier et attendait la procession. Les pélerins s'avançaient sans défiance, et seul, le chant des litanies troublait le silence de la nuit. Soudain une vive fusillade les accueillit et leur fit payer cher leur infraction aux lois républicaines [Note : Le même fait est rapporté pour d'autres paroisses].

L'église paroissiale de Saint-Thégonnec ne fut, semble-t-il, ni louée ni vendue, mais elle fut probablement mis au service des prêtres insermentés, Alain Le Roux et François Abgrall. Ce qui nous le fait supposer, c'est que ces deux ecclésiastiques avaient, à cette époque administré solennellement quelques baptêmes et procédé à des obsèques religieuses, ainsi que le constatent leurs registres de catholicité.

La loi n'était pas appliquée partout avec la même rigueur. Dans certaines paroisses on pouvait favoriser les prêtres jureurs et leur accorder l'usage exclusif de l'église paroissiale, parce que municipalités et habitants étaient d'accord pour les soutenir. Dans d'autres, au contraire, il fallait user de modération, sous peine de susciter de graves désordres. Tout en ménageant les susceptibilités des partisans du clergé intrus, il n'était pas prudent d'écarter les vœux d'une population qui réclamait l'église pour les prêtres fidèles. Le district de Morlaix avait en vain essayé de concilier les exigences des deux clergés. A chacun d'eux il avait désigné, dans la plupart des communes, un local particulier pour exercer les fonctions du culte. Le clergé constitutionnel se prévalait de sa fidélité à la République pour réclamer un traitement de faveur.

Les décrets du 3 Ventose et du 12 Prairial, (voir la note qui suit) ainsi que l'arrêté du district du 6 Germinal étaient loin d'avoir réalisé dans le Finistère la pacification religieuse. A la rivalité qui existait entre les tenants des deux clergés vinrent s'ajouter les prétentions des instituteurs. La cession des églises aux ministres du culte ne faisait nullement l'affaire de ces derniers. Jusqu'ici ils en avaient disposé à leur gré pour exercer leurs fonctions pédagogiques et surtout pour y faire, les jours de décades, la lecture des lois. Aussi protestèrent-ils d'une voix unanime contre cette mesure.

Note : D'après le décret de Prairial, il fallait, pour exercer librement les fonctions du culte, avoir promis fidélité aux lois de la République.

A Plounéour-Ménez, l'ex-curé Charles se vit disputer l'église paroissiale par l'instituteur Guyonvarc'h. Ce prêtre, bien qu'assermenté, n'avait pas cependant livré ses lettres de prêtrise et ne voulait pas renoncer à l'exercice de ses fonctions ecclésiastiques. D'une vie privée qui semblait donner prise à la malveillance, il avait su néanmoins, par son caractère conciliant, gagner la confiance de la municipalité (voir la note qui suit). Bien que plusieurs familles, dont le nombre allait croissant de jour en jour, n'eussent plus recours à son ministère, il possédait cependant de nombreuses amitiés dans la paroisse. Il se croira assez fort de l'appui de ses partisans pour s'opposer aux prétentions du maître d'école.

Note : Guillaume Charles, né à Saint-Thégonnec en 1766, se retira après la Révolution dans sa paroisse natale comme prêtre sans fonction. Moralité douteuse — Minus habens — Telle est sa note sur les cahiers de l'Evêché.

Le 18 Ventose (8 Mars), il arrivait à l'église vers les trois heures de l'après-midi, pour chanter les Vêpres. Tout avait été secrètement préparé pour la cérémonie, ainsi que le relate l'instituteur dans son rapport au District de Morlaix. Pour donner plus de saveur au récit de Guyonvarc'h, laissons-lui un moment la parole et respectons son style et son orthographe : « lotel est garni de 6 grands chandeliers de cuivre et de fosse fleures, en entrant dans le temple, le dit Charles, monte en cherre et a fait sonner la cloche. Le fils du bedeaux a été survenu et a opposée de sonner jusqu'à ce qu'il eust eu des zordre du maire, le dite Charles sur ceux ceux reffus a ditte cet à vous jeune jeans à faire sonner et d'aller à la Municipalité pour les forcer de faire sonner la cloche ».

Les jeunes gens obéirent à la voix de leur curé et se rendirent chez le maire. Ce magistrat fit preuve en la circonstance d'aussi peu de bravoure que l'instituteur Guyonvarc'h. Il fut pris de peur à la vue de cette foule hostile, massée devant sa maison. Peu habitué sans doute à rencontrer de la résistance de la part de ses administrés, il se disait qu'il fallait à tout prix dissiper au plus vite cet attroupement d'où sortaient de temps en temps des menaces à son adresse. Aussi dès qu'il s'aperçut que les choses allaient se gâter, lorsqu'il vit le fils du bedeau « prie au collet devant lui » il s'empressa de déclarer qu'on pouvait à discrétion sonner les cloches. Les jeunes gens, fiers de leur succès retournèrent aussitôt à l'église. Là, ils durent avec des voix déjà bien exercées devant la maison du maire, chanter à plein gosier les psaumes des vêpres entonnés par leur curé. L'instituteur regrettait de ne pouvoir transmettre au district un compte-rendu complet de la réunion, car disait-il dans son rapport (Archives départementales — Série L. Liasse 200). « Aujourd'hui come je n'ai pas beauoup osé me montrer pendant ce tumulte, je ne puis vovs donner une plus ample connaissance ».

Losque parurent les décrets de la Convention et les arrêtés du département proclamant la liberté des cultes, les curés intrus perdirent de leur autorité et virent bon nombre de leurs anciens partisans se rallier à la cause des prêtres réfractaires. Dès que la loi autorisera les prêtres insermentés à exercer librement les fonctions de leur ministère, les prêtres constitutionnels seront dans des conditions inégales pour soutenir la concurrence contre leurs confrères restés fidèles à leurs serments. Les curés intrus n'auront à compter que sur la bienveillance de certaines municipalités pour obtenir gratuitement les églises. Leurs amis ne seront pas assez désintéressés pour leur procurer de leurs propres deniers une salle de réunion ; et ils ne tarderont pas à déserter un culte qui leur demandait des sacrifices trop onéreux. Leurs adversaires, arrivant dans les paroisses, avec l'auréole que met toujours au front de ses victimes la persecution, verront les fidèles accourir à leurs offices, peu importe l'endroit où ils célébraient.

A Plounéour-Menez, le curé Charles avait dû perdre du terrain, si nous en jugeons d'après la lettre de la municipalité au district en date du 27 Ventose (17 mars 1795). L'exercice du culte venait d'être interdit dans les chapelles comme dans l'église de cette paroisse. La population ne voulait pas rependant renoncer à toute pratique religieuse. Elle aurait cru déchoir à ses propres yeux et renoncer complètement à sa foi si elle n'avait pas accompli certains actes que prescrit la religion. La loi de la sanctification du dimanche n'avait pas encore été supplantée totalement par les décadis. Elle était entrée trop profondément dans les mœurs pour qu'on s'y fut soustrait sans de très graves raisons. Les familles chrétiennes tiendront également à ce que leurs enfants soient élevés dans la foi de leurs pères et fassent partie de la même société religieuse. Elles feront leur possible pour procurer à ces enfants le bienfait du baptême. Elles ne se contenteront pas du baptême privé qu'au besoin elles auraient pu administrer elles-mêmes. Il leur faudra ce sacrement avec les onctions et les prières liturgiques, toutes cérémonies que le prêtre seul pouvait accomplir. Les fonts baptismaux de leur paroisse étaient ainsi que l'église interdits au culte, mais elles savaient que dans les paroisses avoisinantes, des prêtres autrefois persécutés pouvaient aujourd'hui, à l'abri de la loi, exercer librement leur ministère. C'est à ces ecclésiastiques qu'elles auront recours pour le baptême de leurs enfants. Elles ne reculeront ni devant la distance, ni devant le froid d'un hiver si rigoureux que même « les hommes les plus robustes ne pouvaient se garantir du froid en marchant. Aussitôt que les enfants sont nés, on a l'imprudence d'aller les faire baptiser si loin quatre et cinq lieues entre aller et retourner ; qu'il pleuve ou qu'il tonne, qu'il gèle ou qu'il vente, qu'il fasse jour ou nuit, on va toujours au loin sans avoir pitié des enfants. ». Cet acte que la municipalité, dans sa lettre au district qualifie d'imprudence atteste que la Révolution n'avait pas encore déraciné la foi dans les âmes. Les officiers municipaux devront tenir compte des sentiments chrétiens de leurs administrés et réclamer pour Plounéour ce qui existait dans les paroisses voisines « où l'on officiait comme dans l'ancien régime ». Ils écriront au chef-lieu du district. « Il semble qu'il y aurait de la prudence de permettre à nos ci-devant prêtres de baptiser dans notre église ou dans quelques chapelles de notre commune » (Arch. départ. — Série L. Liasse 200).

La Convention allait finir son mandat et disparaître, sous le mépris et la haine de la population qui en avait assez du régime de terreur qu'elle avait fait peser si longtemps sur la France. Les Conventionnels craignant à juste titre d'être rejetés par le futur collège électoral ; avaient pris leurs mesures pour assurer leur réélection. Ils décrétèrent, les 5 et 13 fructidor, que les deux tiers d'entr'eux feraient partie de la future Assemblée. Le Corps législatif composé du Conseil des Anciens et du Conseil des Cinq-Cents comprenait cependant, tel qu'il était sorti des élections de Brumaire, une forte majorité d'opposants choisis parmi les membres les moins sectaires de la Convention. Les électeurs avaient tenu à écarter les plus farouches des Montagnards et anciens Terroristes. Le coup d'Etat du 18 Fructidor an V (4 septembre 1797) permettra aux trois Directeurs, Barras, Laréveillère-Lepeaux et Reubell (ou Rewbell) de se débarrasser de leurs deux collègues Carnot et Barthélémy qu’ils auront d'ailleurs soin de faire condamner à la déportation. Ils vont du même coup épurer l'Assemblée en annulant l'élection de deux cent quatorze des membres du Corps législatif soupçonnés d'attaches royalistes ou d'opposition à leur arbitraire gouvernemental. Désormais, maîtres incontestés du pouvoir, ils vont rétablir en France le régime de la Terreur, et déchainer, de nouveau sur tout le territoire, la persécution religieuse.

Le Gouvernement du Directoire„ non content d'exhumer les anciennes lois persécutrices, prit de nouvelles mesures contre la religion, ses ministres et son culte. Son dessein était d'extirper du sol de France une religion qui s'y était implantée depuis quatorze siècles. Il essaya d'établir un culte sans doctrine, niais avec des cérémonies et une liturgie qui n'étaient qu'une parodie grotesque des fêtes religieuses et de la liturgie de l’Eglise romaine. Le décadi remplaçait le Dimanche et devait être religieusement observé sous peine d'amende et de prison. Les églises, au lieu de retentir de chants liturgiques ne résonneront plus qu'aux accents des chants patriotiques. La publication des lois et éloges officiels de la République tiendront la place de l'enseignement chrétien. Les édifices religieux n'abriteront plus les mystères augustes de la foi, mais ils seront les témoins des cérémonies sacrilèges du culte nouveau. Ils perdront même leur ancienne dénomination, et après s'être appelés les temples de la Raison, sous la Terreur, ils ne seront plus connus que sous le nom de Temples décadaires. La participation au culte nouveau était rendue obligatoire pour tous les fonctionnaires publics et leurs familles ainsi que pour les instituteurs officiels ou privés qui devaient se faire accompagner de leurs élèves. Cette religion théophilantropique obligatoire, comme d'ailleurs toute religion qui veut s'imposer par la force, n'eut guère d'adeptes convaincus ; mais la crainte du pouvoir contraignit les fonctionnaires à célébrer les fêtes prescrites avec le cérémonial expédié de Paris.

Le décret du 19 Fructidor (5 Septembre 1797) proscrivit tous les ministres du culte sans distinction. Tout prêtre accusé de troubler la tranquillité publique était condamné à la déportation. Pour être convaincu de ce crime, il suffisait pour les ecclésiastiques d’avoir exercé les fonctions de leur ministère et d'avoir prêché la doctrine catholique. Les prêtres assermentés eux-mêmes devaient donc être sur leurs gardes. Quant aux prêtres réfractaires, en révolte contre les lois de proscription de 1792 et de 1793, ils avaient encore plus d'intérêt à se cacher. Ce décret permettait de les fusiller dans les vingt-quatre heures. Ces mesures sectaires eurent pour effet d'interdire tout exercice public du culte en France. Ce fut partout la chasse aux curés, menée avec furie. De longues files de prêtres s'acheminaient des différents points du territoire, vers Rochefort, port d'embarquement pour la Guyane. « Plus de 1.200 prêtres, dit Taine, étouffent ou pourrissent dans les casemates des îles de Ré et d'Oléron, et de toutes parts dans les départements, les Commissions militaires fusillent avec force. » (Origines de la France contemporaine. Tome VIII, p. 385).

Cette poursuite acharnée contre les prêtres aboutit à quelques arrestations dans les paroisses avoisinantes de Saint-Thégonnec. Deux ecclésiastiques originaires de Plounéour-Ménez, Gabriel Joachim Briand âgé de 61 ans et Michel Guillerm, âgé de 58 ans furent arrêtés, l'un le 26 Avril 1798, près de Saint-Sauveur, paroisse limitrophe de Plounéour, et l'autre, à son domicile, le 21 Janvier de la même année. Ils furent écroués à la maison d'arrêt de Quimper. Leurs confrères du canton furent plus heureux. Ils échappèrent encore une fois aux poursuites des gardes nationaux et continuèrent jusqu'à la fin de la tourmente d'exercer en secret et de nuit, les différentes opérations de leur ministère. Les églises où ils officiaient auparavant, étaient désormais réservées pour la célébration des fêtes civiques prescrites par le Gouvernement.

Le citoyen Guillaume François Kerbrat, Commissaire du Directoire exécutif, était chargé de rappeler les fonctionnaires et les administrateurs publics à l'observation des lois. Il ne laissait passer aucune des principales fêtes républicaines, telles que l'anniversaire « de la juste sanction du dernier roi des Français, » la fête de l'Agriculture ou celle de la Souveraineté du peuple, sans convoquer ses subordonnés au temple décadaire. Bien des articles du programme rédigé à Paris ne pouvaient cependant être exécutés par les municipalités des campagnes. Le Directoire avait omis de rédiger un cérémonial à l'usage des communes rurales ; mais à chacune était laissée la faculté de s'ingénier pour donner à ces fêtes le plus d'éclat possible. Il fallait avant tout faire oublier les fêtes de l'ancien culte, en intéressant le peuple aux cérémonies de la religion nouvelle. Malgré le zèle et le talent déployés par les Commissaires des cantons pour rendre populaires les décadis et les fêtes civiques, le peuple s'obstinait, dans la plupart des paraisses à observer le Dimanche en abandonnant tout travail et à laisser aux seuls Administrateurs et fonctionnaires le soin de célébrer le culte prescrit par le Directoire.

A Saint-Thégonnec, le citoyen Kerbrat ne restait pas inactif. A la veille des fêtes républicaines, il appelait à la maison commune les administrateurs du canton pour soumettre à leur approbation les modifications qu'il avait cru utile d'apporter au programme venu de Paris. Il voulait que le 21 Ventôse an VI ( 11 Mars 1798), la fête de la Souveraineté du peuple fut célébrée dans le canton avec la plus grande solennité. Ne possédant pas de canons pour tirer des salves d'artillerie, il se contenta d'attirer l'attention du peuple par la sonnerie des cloches. La musique prévue par l'article VII du règlement fut remplacée par quelques tambours et clairons.

A Dix heures du matin le cortège quittait la maison commune pour se rendre au Temple décadaire qui était l'église paroissiale. Sur le parcours, la garde nationale en armes formait une haie d'honneur. En tête, ouvrant la marche et faisant en l’occurence fonction de suisse, s'avançait gravement l'Appariteur du canton. Si la croix et les bannières avaient figuré dans ce cortège, c'eut été à s'y méprendre, une vraie procession d'autrefois. — D'après l'article V du règlement, les administrateurs municipaux et les fonctionnaires devaient être suivis « du plus grand nombre possible de cultivateurs, d'ouvriers et d'autres citoyens munis chacun des attributs de leur profession ». C'était certes un spectacle peu banal que ce défilé de paysans, de marchands de toile, de cordonniers, de charpentiers et d'aubergistes arborant fièrement les instruments de leurs métiers. Aussi, l'on comprend que cette cérémonie eut attiré une foule de curieux et que le commissaire Kerbrat pût écrire aux Administrateurs du département : « La fête a été célébrée avec toute la solennité possible dans une commune rurale ». La cérémonie se terminait à l'église. Le Président, François Floc'h du Kermat, après avoir donné lecture de la loi du 23 Pluviose qui instituait la fête de la Souveraineté du peuple, faisait l'appel des fonctionnaires et des Administrateurs. Voici, avec la désignation de leurs fonctions, les noms de ceux qui avaient fait partie du cortège.

Le citoyen Floc'h, président de l'administration municipale du canton ; François Breton, agent municipal de Saint-Thégonnec [Note : La commune n'avait pas d'adjoint. Cette fonction venait d'être refusé] ; Alain Breton, agent municipal de Guiclan ; Jean Floc'h, adjoint municipal de Guiclan ; Guillaume François Kerbrat, commissaire du Directoire exécutif et notaire à Morlaix ; François-Marie Le Rideller, secrétaire provisoire de l'Administration municipale et notaire à Saint-Thégonnec ; François-Marie Menez, juge de Paix ; Milliau Larvor ; Jean L'Herrou ; François Le Maguet ; Alain Le Saint ; Jean-Hervé Le Loutre ; Bernard Breton ; Louis Le Bras ; François Le Mer ; les huit, assesseurs du Juge de Paix ; Jean Breton, notaire public ; Jean Abgrall, huissier du Juge de Paix.

Le président, avant de clore la séance, prononça un discours « par lequel il faisait sentir pathétiquement l'avantage qu'à le gouvernement républicain sur le gouvernement monarchique, » et l'on se sépara aux cria de : « Vive la République, Vive la Constitution de l'an Trois, » non sans avoir fait « des imprécations contre les parjures et une invitation à l'Etre Suprême pour la prospérité de la République ».

Ce n'était guère le moment de se livrer à ces palabres grandiloquentes quand, de tous les points de la France, des prêtres, par centaines, prenaient la direction de Rochefort ou de la Rochelle, subissant en chemin toutes sortes d'avanies avant de rejoindre leurs casemates infectes ou les marais de la Guyane. Nul besoin pour ces paysans catholiques de jeter leurs regards par delà leur paroisse pour voir de quelle façon le gouvernement du Directoire comprenait la liberté et pratiquait la Fraternité. Leurs anciens pasteurs n'étaient-ils pas retenus sur la terre d'exil ? Les ecclésiastiques qui se trouvaient sur le territoire de leur commune ne risquaient-ils pas tous les jours leur vie en exerçant en cachette les fonctions de leur ministère ? Ces églises, œuvres de la foi et de la générosité de leurs aïeux n'avaient pas évidemment été construites pour être témoins de ces scènes grotesques et sacrilèges. Sans vouloir excuser les Administrateurs du canton de Saint-Thégonnec, nous pouvons dire que, tiraillés par la peur, ils hurlaient avec les loups. Le citoyen Kerbrat, dans ses rapports au chef-lieu du district ou au Département, ne visait à rien de moins qu'à faire valoir son zèle et son civisme. Il aura beau écrire que les idées républicaines étaient en progrès dans son canton et que les fêtes révolutionnaires attiraient de plus en plus la population, il nous sera permis de croire que ces comptes-rendus élogieux frisaient l'exagération et la fantaisie. Nous serions plutôt de l'avis de cet autre commissaire qui écrivait au Département, à propos des fêtes décadaires. « Dans beaucoup de cantons ruraux, les Administrateurs seuls composent le cortège ». Si parfois, ces fêtes attiraient une grande affluence de monde, il ne faut pas oublier que le décadi était également réservé pour la célébration des mariages civils. Toutes ces cérémonies étaient si peu populaires que la chute du régime les fera complètement oublier.

Bonaparte, par son coup d'Etat du 18 Brumaire (9 Novembre 1799) vint heureusement mettre un terme au régime odieux du Directoire. Sous le Consulat, les prêtres émigrés furent autorisés à rentrer en France, et les prêtres cachés purent se montrer au grand jour sans être inquiétés. Avant même que la paix religieuse fut officiellement proclamée, elle était reconnue de fait dans la plupart des paroisses. A partir du 23 Août 1800, François Abgrall se servait des fonds baptismaux de l'église et procédait à des inhumations religieuses dans le cimetière paroissial.

Cette fois encore, il fallait à ces ecclésiastiques se présenter à la mairie de leur arrondissement pour indiquer le lieu où ils avaient l'intention de se fixer et « s'engager à s'y tenir en état de surveillance et à se présenter au premier ordre de l'autorité supérieure au besoin ». Le serment à la Constitution de l'an VIII, serment purement civique était obligatoire, Abgrall et Rolland qui avaient été contraints, l'un de s'exiler, l'autre de se cacher durant la tourmente révolutionnaire pour avoir refusé de prêter serment à la Constitution civile du Clergé se défiaient désormais de toute formule de serment. Ils promirent cependant fidélité à la Constitution de l'an VIII, « sauf et réserve de tout ce qui dans cette Constitution pourrait se trouver de contraire à la religion catholique, apostolique et romaine ». Hervé Drolac'h revenu d'Angleterre en même temps que son ancien collègue Robert Tanguy, fit le même jour une déclaration analogue. Il devint au Concordat, vicaire de Saint-Thégonnec, puis de Tréflez et mourut en 1826. Deux autres prêtres originaires de Saint-Thégonnec, François Le Breton et Jean Le Breton déclarèrent à la sous-préfecture de Morlaix leur intention de se fixer dans leur paroisse natale. Ce dernier, né le 3 Août 1730 et ordonné prêtre en 1755, était recteur de Sibiril lorsque parut la Constitution Civile du Clergé [Note : Jean Le Breton, recteur de Sibiril, licencié de Paris, était examinateur des candidats qui se présentaient pour les paroisses mises au concours. (Archives de l'Evêché de Quimper)]. Il avait lu en chaire la protestation de Mgr de Saint-Luc et refusa le serment prescrit par la loi. Interné aux Carmes de Brest du 8 au 18 Juillet 1791, puis en 1794 aux Capucins de Landerneau, il ne recouvra la liberté qu'à la pacification religieuse. Il redevint recteur de Sibiril en 1804 et mourut le 5 Août 1810. François Le Breton naquit à Saint-Thégonnec le 16 Décembre 1759. Ordonné prêtre en 1784 il fut nommé vicaire à Saint-Martin de Morlaix. Son refus de serment le fit incarcérer aux Carmes et au Château de Brest. Il ne quitta la prison que pour être déporté en Espagne au mois d'Août 1792. Il profita du sénatus-consulte qui abrogeait les lois d'exil pour quitter Santander et rentrer dans son diocèse d'origine. Il fut promu en 1804 à la cure de Roscoff qu'il administra jusqu'à sa mort survenue le 23 Janvier 1806. Jacques Mallégoll qui avait dû s'exiler pour recevoir les ordres des mains de Mgr de la Marche et Guy Cras dont nous avons rapporté la tragique odyssée en Espagne ne rentrèrent qu'en 1802 à Saint-Thégonnec. L'abbé Guy Cras devint recteur de Trézilidé en 1804, et recteur de Lanhouarneau en 1809. L'ancien recteur de Saint-Thégonnec, René-Marie Abjean mourut en exil en Angleterre en 1801.

Références. — Arch. départ. Série. Liasses 200 et 249. — Peyron, Documents... Tome II, pages 341, 347 et 375. — Taine. Origines Tome VIII, pages 339, 388 et seq. — Archives communales de Saint-Thégonnec. — Correspondance, Lettres du 22 Ventôse an VI — 2 Pluviôse — 21 Ventôse an VII — 20 et 20 Prairial an IX.

(F. Quiniou).

© Copyright - Tous droits réservés.