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LA PAROISSE DE SAINT-THÉGONNEC SOUS LA RÉVOLUTION

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Le Clergé constitutionnel.

L'abbé François-Marie Allanet avait prêté serment à la Constitution civile du Clergé. — Il se présenta aux suffrages de l'assemblée électorale du district de Morlaix, et le 20 Mars 1791, il était nommé curé constitutionnel de Saint-Thégonnec. Jamais il n'avait exercé le ministère dans le pays du Léon ; mais, sans doute, connaissait-il, du moins de réputation sa nouvelle paroisse, car avant de poser sa candidature, il avait dû prendre des renseignements. Il savait qu'il allait avoir affaire à une population foncièrement chrétienne et profondément attachée à ses anciens pasteurs. Il n'ignorait pas qu'il aurait bien des difficultés à surmonter ; mais orgueilleux et opiniâtre à l'excès, il se croyait de taille à mater les résistances. Cette population dont il avait voulu être le chef et le pasteur s'était montrée, même à l'égard de ses prêtres légitimes d'une humeur parfois frondeuse et d'une indépendance frisant l'irrespect. (Histoire de Bretagne. — Barth. Pocquet, tome V Archives départementales. — Série L. Liasse 194).

Quels ménagements garderait-elle envers un curé assermenté ? Elle verra bien en lui le ministre de Dieu accomplissant validement les fonctions qu'il tenait de son sacerdoce ; mais elle le traitera, comme elle le connaissait, en ministre dévoyé.

Allanet laissera s'écouler le temps pascal avant de se rendre à son poste. Qu'irait-il faire là-bas, dans son confessionnal où il courrait grand risque de rester seul ? Les prêtres réfractaires, bien que légalement déchus de leurs fonctions, continuaient d'exercer leur ministère et gardaient toujours la confiance de leurs paroissiens. Le plus prudent sans doute serait d'attendre leur départ ; mais quand se décideraient-ils à s'en aller ? Enfin le 21 Avril parut l'arrêté dû aux instances de l'Evêque du Finistère et si impatiemment attendu par le clergé assermenté. En vertu de ce décret, les prêtres réfractaires devaient quitter leurs paroisses et s'en tenir à la distance d'au moins quatre lieues. Les curés intrus allaient donc pouvoir enfin occuper paisiblement le poste que leur avait désigné l'assemblée électorale. Allanet profitera de cet arrêté pour se rendre à Saint-Thégonnec. Il y arriva le Premier Mai, bien décidé à tenir tête à l'orage et à recourir, au besoin, à la garde nationale de Morlaix pour se débarrasser de ses adversaires et pour vaincre la résistance de ses paysans.

Les premiers jours se passèrent sans incident notable. On s'étudiait de part et d'autre. Ce calme ne devait pas durer. Le curé n'aura pas ce que vulgairement on appelle sa « lune de miel ». Le mois de Mai ne s'écoulera pas sans le mettre aux prises avec les difficultés, et elles lui viendront de son entourage immédiat. L'assemblée électorale du Premier Mai lui avait donné, un auxiliaire, dans la personne de Guillaume Charles, moine défroqué du Couvent de Cuburien de Morlaix. Ils pourront, tous deux, dans la solitude de leur presbytère mettre leurs peines et leurs déboires en commun.

Le vicaire fut appelé le 17 Mai à exercer ses fonctions. Il avait déja procédé aux cérémonies préparatoires du baptême et allait faire les onctions prescrites lorsqu'il remarqua l'absence de la boîte aux saintes huiles. Il la réclama vainement aux sacristains. Guillaume Bonnet et Thomas Morvan s'étaient amusés de jouer un tour de leur façon au nouveau vicaire. Ils avaient caché la boîte qui contenait l'huile sainte. Le baptême fut renvoyé au lendemain, et ce fut le curé qui se chargea de l'administrer. Cet incident s'ébruita bien vite, et il ne pouvait être que de nature à jeter le discrédit sur l'autorité du vicaire ; Allanet laissera tomber l'oubli sur cette histoire de vicaire et de bedeaux avant d'autoriser Guillaume Charles à procéder à un second baptême. Il lui interdira pendant deux mois de baptiser, et dans cet intervalle, pour calmer l'effervescence populaire, il permettra aux prêtres insermentés d'administrer les sacrements. Il tiendra cependant à les assister dans leurs cérémonies et il aura soin de consigner sur les registres que, les prêtres réfractaires avaient dû obtenir son consentement avant d'exercer les fonctions sacrées. Cette faible concession faite par mesure de prudence ne lui attirera pas pour autant la confiance de ses paroissiens.

Dès les premiers jours de leur arrivée, les prêtres intrus s'étaient facilement rendu compte des sentiments d'hostilité dont était animée la population à leur égard. On ne réclamait leurs services que pour certaines fonctions publiques que seuls, d'après la loi, ils pouvaient exercer. Seuls, ils pouvaient administrer solennellement le baptême et présider les obsèques religieuses ; mais ils enterraient bien des gens auxquels ils n'avaient pas eu à accorder les derniers sacrements. Les prêtres insermentés continuaient, malgré le décret du 21 Avril, de résider dans la paroisse et d'exercer en cachette les fonctions de leur ministère.

Que fera le curé intrus pour désarmer l'hostilité de ses paroissiens ? Il aura pour le soutenir dans la lutte, le District de Morlaix et l'Administration départementale qui devaient, d'après la loi, aide et protection aux curés assermentés. La garde nationale sera à sa disposition ; mais la confiance et l'estime ne s'imposent pas par la force.

Son vicaire. Guillaume Charles, perdra courage le premier et n'attendra qu'une occasion favorable pour aller exercer ailleurs un ministère dont les paroissiens de Saint-Thégonnec ne voulaient à aucun prix. Allanet montrera plus de ténacité. Il avait juré de ne pas céder et il usera de tous les moyens pour tenir à son poste. Il essaiera en vain de diviser ses adversaires. Il voudra par des concessions capter la confiance de ses ouailles pour les détacher ainsi de leurs anciens pasteurs ; mais son habileté ne lui servira de rien. Il aura à lutter à la fois contre les prêtres réfractaires qui sapaient en dessous son autorité, contre la population dont les préférences allaient manifestement à ces derniers et contre la Municipalité qui se contentera tout d'abord de faire une guerre sourde au curé intrus pour en arriver bientôt à la guerre ouverte.

Allanet commencera la lutte en s'attaquant aux prêtres insermentés. Une fois cet obstacle écarté, les autres tomberont d'eux-mêmes. Quand il sera seul prêtre avec son vicaire, pour administrer la paroisse de Saint-Thégonnec, il faudra de toute nécessité que les fidèles, s'ils veulent avoir les sacrements, se décident à recourir à leur ministère.

La lui avait déclaré, déchus de leurs titres, le recteur Abjean et son sicaire Robert Tanguy, et un arrêté du Département leur avait enjoint de quitter leur paroisse. Ces deux ecclésiastiques persistaient, au mépris de cet arrêté et malgré les dénonciations d'Allanet, à demeurer sur le territoire de Saint-Thégonnec. Le Département, poussé par les plaintes réitérées des curés constitutionnels, prit son arrêté du 2 Juillet 1791 qui mettait en état d'arrestation, tous les prêtres réfractaires qui refusaient de quitter leurs paroisses. Nous avons vu qu'en vertu de ce décret, le recteur Abjean et son vicaire avaient été internés aux Carmes de Brest. Voilà donc Allanet débarrassé pour quelque temps de deux de ses principaux adversaires ; mais il restait encore, à Saint-Thégonnec, trois autres prêtres, les abbés Drolac'h, Cras et Rolland, qui se chargeaient de continuer la lutte. Nous verrons que dans leur résistance ils auront et l'appui de la population et l'appui de la municipalité.

Au mois d'octobre 1791, le curé en sortant le matin, pour se rendre à l’église, trouva collé à la porte de son presbytère, un écriteau qui contenait des menaces de mort, à son adresse. Furieux, il jura de se venger. Ils savaient que ses paroissiens tenaient à assister aux offices des prêtres réfractaires. Il résolut, malgré la loi, de les punir, en interdisant à l'abbé Drolac’h de célébrer la messe dans l'église paroissialei. Le dimanche suivant, au prône de la grand'messe, il mît le peuple au courant de l'incident de la semaine et des sanctions dont il comptait le faire suivre. Rien, disait-il, ni les menaces, ni l'antipathie de la population, n'était de nature à l'intimider. « Prenant cet air furieux et ce ton menaçant qu'il a toujours dans la chaire, il a dit qu'il était aux trousses de l'auteur de cet écriteau, et que pour faire voir qu'il n'avait pas peur, il déclare que, passé ce jour, il défendait au sieur Drolac'h de dire aucune messe » (Rapport de la Municipalité au district de Morlaix) Le curé descendit de chaire, satisfait d'avoir déversé sa bile sur son auditoire. Il croyait ses paroissiens consternés et mis à la raison, sous prétexte qu'ils avaient subi sans murmure son algarade. La scène changera dans un instant lorsque l'abbé Drolac'h traversera l'église pour se rendre à la sacristie.

Cet ecclésiastique avait déjà eu maille à partir avec Allanet au sujet de l'heure de sa messe. Jusque là, il la disait à des heures différentes, selon les caprices du curé intrus : S'il la célébrait à cinq heures et demie du matin le curé constatait qu'à six heures, heure de la première messe paroissiale dite par son vicaire, l'église était déserte. Chacun s'en était retourné chez soi content d'avoir satisfait au précepte du dimanche et enchanté d'avoir assisté « à une bonne messe ». Allanet porta ses doléances devant la Municipalité qui pria l'abbé Drolac'h d'attendre pour célébrer sa messe, une heure plus tardive. Le prêtre réfractaire accepta de la dire, soit à huit heures, soit même après la grand'messe. En forçant cet ecclésiastique ainsi que les abbés Cras et Rolland à changer souvent l'heure de leurs offices, le curé s'imaginait que le peuple déçu dans son attente, perdrait patience et plutôt que de s'en retourner sans avoir rempli ses devoirs religieux, se résignerait à assister à la messe des prêtres intrus.

Son plan réussit au-delà de toutes espérance. Les paroissiens se croiront obligés d'assister les dimanches et jours de fête, à deux messes au lieu d'une seule, si la dernière était célébrée par l'un des prêtres fidèles. Allanet le constata lui-même ce dimanche d'octobre où, mécontent des menaces proférées contre lui, il avait déclaré en public qu'il prendrait sa revanche. Voyant que les fidèles, contrairement à leur habitude, ne se hâtaient pas de quitter l'église, sitôt l'office terminé, le curé se rendit bien vite compte de cet excès de piété. L'abbé Drolac'h arrivait en ce moment et se dirigeait vers la sacristie. Allanet se précipita au-devant de lui et l'arrêta au milieu de l'église. Il lui défendit de quitter sa place avant d'avoir entendu les instructions qu'il avait à donner du haut de la chaire. C'était le moment propice de frapper un grand coup et d'en finir à jamais avec ces prêtres réfractaires dont l'attitude et les discours ne tendaient à rien moins qu'à fanatiser la population. Il déclara que de sa part d'abord et ensuite de la part de l'évêque du Finistère, il interdisait l'abbé Drolac'h et lui défendait à l'avenir de célébrer la messe. Le curé réalisait en ce moment la menace qu'il avait proféré au prône de la grand'messe. Il tenait à montrer qu'il n'avait pas peur et que, devant sa volonté si audacieusement exprimée, tout devait s'incliner.

Ses paroles eurent, cette fois, le don d'exaspérer son auditoire. Les chaises s'agitent, des murmures s'élèvent, puis ce sont des injures et des menaces à son adresse. Devant ce tumulte. Allanet quitte la chaire, et pour prouver qu'il est resté maître de lui-même, il s'avance lentement vers l'autel du Rosaire et s'agenouille un instant au bas du degré pour dire une prière avant d'entrer à la sacristie ; mais son attitude arrogante produisit l'effet d'un vif remous sur cette mer humaine. Une sorte de vague, partie du fond de la nef latérale accentue et précipite avec une telle force son mouvement que les premiers rangs des fidèles doivent, sous peine d'être écrasés, enjamber la balustrade de l'autel du Rosaire. Allanet toujours agenouillé sur le parvis, est bientôt entouré d'une foule d'hommes qui l'insultent et le menacent. Les haines longtemps contenues se donnent libre cours. « Il y a trop longtemps, dit une voix, que celui-ci embarrasse cette paroisse. Que l'on tombe dessus ». Les poings sont déjà levés, et le caractère sacré du prêtre ne suffira pas pour le protéger. Le maire voit l'instant où le curé va succomber sous les coups. C'est lui, chef de la commune, qui est responsable de l'ordre public et qui doit en répondre devant l'autorité civile. Il accourt au nom de la loi défendre Allanet et ordonne à chacun de regagner sa place. L'ordre se rétablit instantanément. Le maire engage le curé à le suivre, et c'est sous la protection de ce Pierre Fichou, que bien des fois il avait dénoncé au District comme favorable aux prêtres insermentés, que le Curé peut regagner son presbytère. La foule lui fait escorte ; mais elle se contente de lui décocher des injures. Allanet, pendant ce parcours, rumine des projets de vengeance. Arrivé chez lui, il s'empresse d'adresser un courrier au District pour le mettre au courant des incidents de cette journée. Les Administrateurs lui répondent en envoyant deux gendarmes, le dimanche suivant, à Saint-Thégonnec, et tiennent en réserve soixante hommes de la garde nationale, qu'ils feront marcher au besoin pour maintenir, « dans cette paroisse et dans celle de Pleyber-Christ, l'ordre, le respect aux lois, à la religion et à ses ministres ».

Le maire et les officiers municipaux, de leur côté, n'étaient pas restés inactifs. Ils rédigèrent immédiatement un rapport sur cet évènement et l'adressèrent au District de Morlaix. Leur relation se terminait ainsi : « Tout le monde assure, Messieurs, qu'on ne sait pas comment le sieur Allanet se serait tiré de cette scène qui s'est passée aujourd'hui si M. le Maire ne s'y était trouvé pour apaiser le peuple. Nous vous prions d'écrire au sieur Allanet pour lui rappeler les limites de ses droits et la modération qui convient à un ministre de l'Evangile ».

Le curé, de retour dans son presbytère, put le soir, au coin du feu, échanger d'amères réflexions avec son vicaire, et envisager avec inquiétude sa situation future. Sa mère, Anne Nicol, qui l'avait accompagné à Saint-Thégonnec dut essayer de relever le moral de son fils, et lui rappeler sans doute le temps où ils vivaient heureux dans l'aumônerie de Guingamp. Peut-être même, malgré ses soixante-seize ans, se montra-t-elle disposée à l'accompagner ailleurs, et l'engagea-t-elle à demander un autre poste pour abandonner à son sort une population qui ne répondait que par la plus noire ingratitude au zèle et au dévouement de son curé. La pauvre femme ne pouvait pas se douter de la prévarication de son fils et souffrait de le voir en butte aux persécutions de toute nature. Dieu allait mettre bientôt un terme à ses souffrances en la rappelant à Lui le 19 avril 1792. Elle mourut, nous disent les registres mortuaires, dans la communion de notre sainte mère l'Eglise et munie des derniers sacrements. Elle fut inhumée le lendemain dans le cimetière de la paroisse. Ses obsèques furent présidées par V. Pacé, curé constitutionnel de Plounéour-Ménez, en présence du curé de Saint-Thégonnec et de deux autres prêtres assermentés, de Guillaume Charles et de J. Louboutin, curé de Plouénan.

La séance tumultueuse du mois d'Octobre ne permettait plus au curé de douter des véritables sentiments de la population et de la Municipalité à son endroit. Désormais, il n'aura d'autre but que de débarrasser sa paroisse des prêtres fidèles, et pour y arriver, il se montrera peu scrupuleux sur le choix des moyens. Peu lui importe que ses adversaires soient internés dans d'infects cachots ou qu'ils aillent pourrir sur les pontons de la Rochelle ou dans les marais pestilentiels de la Guyane. L'essentiel est de les écarter de son chemin. Ses dénonciations deviendront de jour en jour plus pressantes. Il établira dans sa paroisse un système d'espionnage pour se renseigner sur le lieu d'asile des prêtres réfractaires, et sur les propos séditieux qu'ils tenaient devant les paroissiens. Déjà il avait fait arrêter l'abbé Guy Cras et il se disait que le tour des autres prêtres ne tarderait guère. Il se substituera à la municipalité pour faire respecter les lois républicaines dans la commune, et il ne craindra pas, avec l'aide de quelques têtes chaudes de l'endroit, d'organiser des réunions publiques dans le dessein d'ameuter la foule contre le clergé réfractaire.

Au mois de février 1792, une réunion eut lieu à son instigation dans la Grande Maison située au bourg et appartenant à la fabrique ; mais, selon son habitude, le curé avait tenu à rester dans les coulisses. François Le Verge, de Laharéna, et Jean-Baptiste Meurice, dit Saint-Jean, s'étaient chargés, à l'issue de la grand'messe de convoquer la foule. Le curé accompagné de son vicaire se présenta au début de la réunion pour faire approuver par l'assemblée un rapport qui serait adressé au district de Morlaix. Il donna lecture, en breton et en français de cette « pièce qui tendait entr'autres choses, à demander au district une protection contre les aristocrates qui menacent d'assaillir les patriotes et à se plaindre de ce que les prêtres insermentés auraient persuadé au peuple que la messe des prêtres assermentés n'était pas bonne ».

Sitôt sa lecture terminée et son rapport approuvé, le curé n'eut rien de plus pressé que de quitter la salle avec son vicaire. Il savait que la réunion n'était pas légale, et il ne tenait pas à être pris en flagrant délit de désobéissance aux lois par les autorités municipales. Jean-Baptiste Meurice lui succéda comme orateur du club. Une table lui servait de tribune. Il pérorait tout à son aise, soulevant fréquemment les applaudissements d'un auditoire trié sur le volet, lorsque le maire Bernard Breton, (voir la note qui suit) ceint de son écharpe, fit irruption dans la salle. Il demanda à l'orateur les noms des instigateurs de la réunion. Meurice répondit que l'assemblée s'était réunie sous les auspices des Amis de la Constitution de Morlaix: et à son tour, dans l'intention de compromettre le maire, il lui enjoignit de déclarer s'il reconnaissait l'autorité de ces personnages. Bernard Breton, en paysan madré doublé d'un fin politique, se garda bien de tomber dans le piège qu'on lui tendait. Il reconnaissait l'importance des Amis de la Contitution de Morlaix, tout en leur refusant le droit d'autoriser des réunions publiques sur le territoire de sa commune. « C'était aux Corps constitués, disait-il, à accorder cette autorisation sur une réquisition du Comité des citoyens actifs ». Menacé par Meurice d'être dénoncé au Comité de Morlaix, le maire répondit à son insolent interlocuteur en déclarant la réunion dissoute, et en ordonnant à chacun de se retirer sur-le-champ sous peine d'être poursuivi conformément aux lois.

Note : Bernard Breton, qui avait remplacé Pierre Fichou à la mairie de Saint-Thégonnec, avait d'abord vécu en assez bonne intelligence avec Allanet. Il avait même fait baptiser l'un de ses enfants par le curé intrus. « Yves Breton, fils du sieur Bernard Breton, administrateur du district de Morlaix, et de demoiselle Jeanne Bizouarn son épouse, né au Grand Herlan le 5 juin 1791, a été le même jour solennellement baptisé per Allanet » (Registres paroissiaux).

Le rapport d'Allanet eut pour effet d'activer les poursuites contre les prêtres insermentés. Les gendarmes réussirent à s'emparer de l'abbé Rolland ; mais devant les menaces de la foule, ils durent relâcher leur prisonnier. Quant aux autres prêtres ils purent, grâce à la complicité de leurs parents et amis, échapper aux recherches de la police.

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§ I. — FUITE D’ALLANET.

La paix ne sera jamais rétablie à Saint-Thégonnec, déclarait le curé, tant qu'on n'aura pas chassé le dernier prêtre réfractaire. Les officiers municipaux répondirent au District pour réfuter le rapport d'Allanet, et l'on doit avouer que leur réponse, cinglante pour le prêtre intrus, est tout à leur éloge. « Si l'on avait voulu nous croire, disaient-ils, et laisser les citoyens jouir de la satisfaction d'avoir des messes à leur gré, il n'y aurait pas eu un moment d'orage [Note : Le Curé, contrairement à la loi du 17 mai 1791, défendait aux prêtres insermentés de célébrer la messe dans l'église paroissiale]. Nous ne savons quel esprit peut porter à ne vouloir pas mettre à l'aise les consciences et laisser à chacun ses opinions religieuses. Les campagnes sont, en général, affligées de la privation d'ecclésiastiques à leur goût qu'on leur fait éprouver, et l'acharnement qu'on met à cet égard à vaincre leurs préjugés y peut porter à des imprudences qu'on préviendrait en abandonnant ce système de conduite... L'ordre d'arrestation de nos prêtres insermentés a mis en fuite ces ecclésiastiques contre lesquels on ne peut prouver aucun délit et que le peuple se voit à regret enlever ». Ce rapport est signé par le maire, Bernard Breton, et par les officiers municipaux suivants : François Marie Cottain, Alain Pouliquen, Yves Inizan, Jacques Le Guen, Caroff procureur de la commune, Le Roux, Guillaume Grall, Alain Le Saint et Le Rideller secrétaire-greffier.

Le curé qui s'était vanté de briser toutes les résistances et de faire reconnaître son autorité dans toute la paroisse, rencontrait de l'antagonisme partout, jusque même dans le personnel à son service, là où il aurait dû trouver de l'obéissance et de l'appui. Les deux serviteurs de l’église voulaient se mettre à l'unisson des circonstances. Les paroissiens se montraient frondeurs ; les sacristains prendront la même attitude à l'égard de leur maître et curé.

Allanet et son vicaire quittaient de bon matin leur presbytère pour célébrer la messe ; mais ils avaient beau attendre à la sacristie, aucun servant ne se présentait, excepté les dimanches et les fêtes. Encore ces jours-là, les deux bedeaux prenaient-ils la précaution de se rendre à Guiclan pour y entendre la messe d'un prêtre réfractaire, celle de leur curé n'ayant pour Guillaume Bonnel et Thomas Morvan aucune valeur. Ils se résignaient cependant les jours d'obligation, à répondre la messe des prêtres intrus, pour la seule raison que leur refus d'obéissance eût entraîné la suppression de leur traitement. Ils ne tenaient pas à perdre la somme de 240 livres qui leur était allouée. Le curé agacé, on le comprend, de cette situation qui durait depuis un an, résolut de casser aux gages ces serviteurs indociles.

Il avait trouvé dans la paroisse deux bons patriotes, Jean La Haye et François Meudec qui avaient toutes les qualités requises pour faire d'excellents sacristains. Ils savaient « lire, écrire et même chanter ». Allanet avait longtemps hésité à faire cette petite révolution intérieure. Destituer le sacristain d'une paroisse, est souvent une affaire de grande importance ; c'est attirer sur soi l'animosité des parents et amis ; c'est alimenter pour longtemps les cancans du voisinage ; mais une goutte de plus dans son océan d'amertume ne devait pas compter pour le curé.

Allanet aura recours, pour se débarrasser de ses bedeaux, à ses protecteurs ordinaires, aux Administrateurs du district de Morlaix. Dans sa lettre de dénonciation, il impliquera eu même temps la municipalité qu'il accusera de favoriser l'insubordination de ses deux serviteurs à gages. « Il faut, dit-il, réprimer l'insolence de ces deux aristocrates » et comme ils prétendent que la messe des curés constitutionnels ne vaut rien, « en les déchargeant du soin de répondre cette messe, on mettra à l'aise leur conscience justement alarmée ». Le District donna raison au curé sur tous les points. Les sacristains perdirent leur emploi et les officiers municipaux virent blâmer leur attitude boudeuse à l'égard du culte officiel. On ne fit pas cependant à ces derniers le reproche de n'avoir pas destitué eux-mêmes les bedeaux puisque, n'assistant pas, « au cérémonies curiales », ils ne pouvaient pas être au courant des relations hostiles du curé et de ses deux serviteurs.

Que restait donc faire Allanet dans une paroisse où, sur tous les terrains, il ne trouvait que de l'antipathie et de la rébellion ? Il n'y régnait que par la terreur. A chacune de ses dénonciations, les gendarmes accouraient faire une enquête. Comme il y avait faute établie, il fallait bien qu'il y eût des coupables, et un châtiment sévère s'imposait. Son autorité n'était reconnue que de quelques partisans qui devenaient au besoin ses espions et qui, probablement en d'autres temps, n'avaient pas montré tant de zèle pour les cérémonies du culte. Quand les fidèles pourront s'appuyer sur un texte de loi pour brimer leur curé, ils ne laisseront pas l'occasion s'échapper.

Le 2 août 1792, Charles Grall du village de Kerfeultz, se présente à la sacristie, accompagné de quatre témoins et demande au curé d'inscrire, sur les registres de l'état-civil, la naissance de son enfant. Allanet se dispose à procéder au baptème lorsque le père lui déclare qu'il désire profiter de la liberté religieuse promulguée par le Département et par l'Assemblée Nationale. Charles Grall refuse de laisser un prêtre insermenté baptiser son enfant. Le curé, plutôt que de subir un échec humiliant pour sa dignité, se montre prêt à faire toutes les concessions possibles. Il propose au père de faire appel à un autre prêtre, fût-il même insermenté, ou à tout autre prêtre de son choix. A toutes ces concessions, le paysan se contente de garder le silence. Il se dit que, puisque la loi lui donne raison, le curé finira bien par céder. Il n'était pas obligé de déclarer que son enfant avait reçu le baptême d'un prêtre réfractaire. Devant l'entêtement de son paroissien, Allanet se lassera. Il terminera cette scène qui n'avait déjà que trop duré en inscrivant sur ses registres la naissance de Marie Anne Grall, fille natuelle et légitime de Charles Grall et de son épouse Marie Françoise Cam.

Si encore cet échec eut été isolé, la situation du curé eut été tenable, mais cet exemple devint bien vite contagieux. Trois jours plus tard la même scène se renouvelait, et elle se répétera bien des fois avant la fin de l'année. Le 29 août en particulier, la scène est encore plus orageuse. C'est l'ancien maire, Pierre Fichou de Kernisan qui vient braver Allanet en lui déclarant fièrement que son enfant a reçu le baptême privé, et qu'il attendra une occasion plus favorable pour procéder au supplément des cérémonies. Il se vengeait des dénonciations de son curé. Si la garde nationale ou le héraut municipal avaient reçu ordre de perquisitionner chez lui, c'était qu'Allanet l'avait dénoncé pour donner asile aux prêtres insermentés.

Le curé intrus tiendra les registres de l'état-civil jusqu'au 13 novembre 1792, date à laquelle la loi du 20 septembre les confiait à la municipalité. A partir de ce jour, les fidèles auront de moins en moins recours à son ministère. Ils s'adresseront de préférence aux prêtres réfractaires qui n"avaient pas craint de rester au pays, malgré les lois de proscriptions portées contre eux. Allanet, bien qu'il ne nous ait pas laissé de registres constatant les opérations de son ministère à partir de novembre 1792, dut cependant administrer les sacrements de baptême et de mariage et présider les obsèques solennelles, même la dernière année de sa présence à Saint-Thégonnec Les registres privés rédigés par les prêtres fidèles ne contiennent que quarante-trois baptêmes pour l'année 1793. Ce silence s'explique par le décret sur l'état-civil qui interdisait tous registres de catholicité.

Les curés constitutionnels, fort de l'appui du pouvoir civil, ne manquaient pas d'audace quand il ne s'agissait que de traquer les prêtres réfractaires ou de brimer une population rebelle à leur autorité. Mais que pourront-ils contre l'arbitraire de ce pouvoir lui-même, lorsque à un régime de protection il lui prendra fantaisie de substituer un régime d'oppression ? Sortis d'une loi révolutionnaire, ils devront bon gré mal gré eux, se soumettre à toutes les mesures prises à leur endroit par le pouvoir civil, quelqu'humiliantes qu'elles dussent être pour leur honneur et leur caractère sacerdotal. Ce qui leur restait de dignité ne leur laissera d'autre alternative que de résigner des fonctions devenues par trop dangereuses ou de résister ouvertement à des lois attentatoires aux droits de leur conscience. Ce dernier parti eut fait d'eux des confesseurs de la foi ou même des martyrs, perspective peu engageante pour des âmes qui, jusque là, avaient plutôt fait preuve de faiblesse ou d'ambition que d'héroïsme.

Allanet aura jusqu'à son départ à lutter contre une municipalité qui agissait à son endroit comme si elle s'était promis de débarrasser la paroisse de la présence d'un curé intrus. Toutes les fois que les besoins de son administration religieuse le mettront en contact avec les officiers municipaux, il n'aura guère à se louer de ses relations avec ses principaux paroissiens. Ce contact dégénérera bien vite en querelle et l’on n'aboutira à un compromis qu'avec l'intention de rouvrir les hostilités à la première occasion favorable.

Allanet croyait, à juste titre d'ailleurs, que son titre de curé lui conférait la libre disposition des objets consacrés au culte ; mais la municipalité, pour lui faire pièce, tiendra à lui montrer qu'elle n'ignorait pas les droits qu'elle tenait de la loi civile, et qu'elle n'avait pas renoncé à tout contrôle sur des objets qui légalement faisaient partie du domaine national. Elle ne reculera pas devant une guerre à coups d'épingle.

Le jour de la Fête-Dieu, le curé aurait voulu que la grande bannière eût, comme d'habitude, précédé la procession qui se faisait à l'issue de la grand'messe ; mais cette bannière se trouvait enfermée dans une armoire dont les deux trésoriers en charge avaient les clefs. A la demande d'Allanet, ces deux marguilliers, Alain Rannou et Jean-Marie Goarnisson, répondirent qu'ils n'avaient pas reçu d'ordre du Général de la paroisse (Conseil de fabrique) d'ouvrir l'armoire et que, d'ailleurs eux-mêmes ignoraient où se trouvaient les clefs.

L'heure de la messe avait déjà sonné. Les fidèles s'impatientaient de ne voir aucun prêtre à l'autel, lorsque des éclats de voix arrivant par intervalles de la sacristie, leur firent connaître que leur curé était engagé dans une grande discussion. Ils ne tardèrent pas à être édifiés sur le résultat de ce colloque bruyant. Leur pasteur, en sortant de la sacristie, monta les degrés de l'autel et de là il fit part au public du refus des marguilliers d'ouvrir l'armoire. « Cette bannière. dit-il, appartient au peuple, et si l’on est de mon avis, elle sortira pour la procession ». Quelques-uns de ses partisans élevèrent la voix pour approuver sa décision. Allanet, revêtu de l'aube et de l'étole, descendit au bas de l'église, et s'armant de la pioche des fossoyeurs, frappa à coups redoublés sur l'armoire. Il fit sauter la serrure inférieure, mais l'autre résista à tous ses efforts. Il dut revenir à l'autel, après s'être rendu coupable, « d'une indécente voie de fait dans l'église où le public était assemblé et devait recevoir de son pasteur d'autres exemples que celui de la violence et de l'impatience » (Rapport de la Municipalité au District). A la fin de la messe il résolut de mener à bien l'opération qui jusque là avait échoué. Il se fit aider pour cette besogne par son ami Jean-Baptiste Meurice qui, plus expert en cambriolage, délaissa la pioche pour briser à coups de hache la porte de l'armoire. La bannière put enfin être enlevée. Un jeune homme, du nom de Pierre Calvez, se montra aussi fier de la porter en procession que s'il avait promené en triomphe un drapeau pris à l'ennemi.

Les deux trésoriers se présentèrent devant la municipalité pour faire leur rapport sur cet incident. Dans la séance du dimanche suivant, les officiers municipaux, par l'intermédiaire de Caroff, procureur de la commune, rédigèrent une protestation contre l'acte de violence commis par le curé et firent sur sa conduite, une déclaration de principes en des termes qui rappelaient les théories des légistes des anciens Parlements. « Les curés, autrefois recteurs, n'ont jamais été les arbitres de l’usage des instruments de décoration imaginés pour relever l'état du culte. Ce sont les administrateurs civils des fabrices qui ont toujours réglé cet usage. Le clergé ne doit pas plus se flatter aujourd'hui qu'autrefois de nous gouverner en rien. Je ne souffrirais pas, et vous ne souffrirez pas plus que moi que les ecclésiastiques cherchent à nous diriger en autre chose que le spirituel ».

Instruite par l'expérience, la municipalité n'adressa pas au district sa plainte qui n'avait guère de chance d'être écoutée. Elle se contenta pour terminer ce différend de réclamer à Allanet la réparation de l'armoire à ses propres frais.

Si le curé ne pouvait pas à son gré se servir des objets destinés au culte, était-il plus libre de puiser dans les ressources de la fabrique les sommes nécessaires pour acquitter les frais de fondation et solder les frais d'entretien de l'église ? Ici surtout, il trouvera de la part des officiers municipaux une opposition tenace que sa fuite même ne désarmera pas. Les titres et l'encaisse métallique de l'église étaient déposés dans un coffre-fort, au-dessus de la sacristie. Allanet désirait connaître la somme dont disposait la fabrique ; mais, par malheur, cette caisse avait trois clefs dont une seule était en sa possession. A toutes ses demandes, le maire opposait te refus le plus formel, ajoutant même « que les titres contenus dans l'armoire à trois clefs étaient mieux placés et en plus grande sécurité entre les mains des paroissiens ». Tel était aussi l'avis de la municipalité et du conseil général de la commune. Deux membres seuls, Yves Inizan et Olivier Guillerm, que nous trouvons souvent du parti du curé intrus, étaient d'une opinion différente. Le curé était cependant décidé à avoir gain de cause, car en fait de ténacité, il ne le cédait pas à ses paroissiens. Il se fit accompagner de Jean-Marie Abgrall, délégué du Directoire du district de Morlaix, et avec son aide, il fractura le coffre-fort, où il comptait désormais puiser au fur et à mesure des besoins de l'église.

La Municipalité qui prétendait non-seulement contrôler, mais encore diriger la gestion des deniers de la fabrique, luttera avec opiniâtreté pour la revendication de ses droits. Elle ne craignît pas de s'appuyer sur les lois révolutionnaires pour triompher d'Allanet. Le prix des fondations que le curé avait perçu, ainsi que l'argent puisé dans la caisse de l'église pour solder les frais de réparations faites au presbytère. faisaient partie des biens dits nationaux. La gestion de ces biens appartenait à la commune. Le Conseil municipal eut cette fois gain de cause auprès du District qui déclara que l'argent des fondations devait revenir à l'Etat. Allanet fut condamné à rendre les cinq cents livres qu'il avait indûment perçues.

Enervé par ces tracasseries continuelles et abandonné par ses protecteurs ordinaires, le curé ne vit d'autre issue à cette lutte sans trêve que la fuite vers un pays moins inhospitalier. Avant de quitter sa paroisse, il avait eu soin de demander un autre poste, pour prouver aux habitants de Saint-Thégonnec, qu'il ne renonçait pas au ministère paroissial et qu'il s'en allait dans l'espoir de trouver ailleurs des âmes moins rebelles à son autorité. Jacob, l'évêque intrus des Côtes-du-Nord à qui il s'était adressé, lui accorda le 11 Juin 1793 l'institution canonique pour la cure de Plouagat-Châtelaudren. Les officiers municipaux de Saint-Thégonnec ne tenaient pas à laisser leur curé s'enfuir sans lui donner un dernier témoignage de leurs vrais sentiments à son endroit. Allanet, avant de partir, avait négligé de rembourser les cinq cents livres qu'il devait à la fabrique. Un exploit d'huissier qu'il recevra à Plouagat le 20 Juillet suivant, lui rappellera encore le souvenir d'anciens paroissiens avec lesquels il avait vécu dans une mésintelligence parfaite et dans un état continuel d'hostilité.

Allanet gagnera-t-il au change ? Trouvera-t-il dans sa nouvelle cure des âmes plus dociles et moins prévenues contre un pasteur assermenté ? Nous l'ignorons. Ce que nous savons, c'est qu'il dut démissionner le 25 Juillet 1795, et ce qui est plus étonnant chez un prêtre qui, jusque là, avait donné tant de gages à la Révolution, il fut à son tour arrêté. Il allait avoir le loisir de méditer dans sa prison sur les vicissitudes de la fortune. Ses confrères incarcérés pour leur refus de serment étaient traînés de prison en prison jusqu'au moment où venait l'ordre de les mener à la guillotine ou de les diriger vers les pontons de La Rochelle ou les marais de la Guyane. Ces perspectives n'avaient rien d'engageant pour Allanet en qui ne se trouvait guère l'étoffe d'un confesseur de la foi ou d'un martyr. Il ne cherchait qu'une occasion pour recouvrer sa liberté, dût-il renier une fois de plus son honneur sacerdotal. Pour donner à ses juges une preuve convaincante de ses idées révolutionnaires et leur montrer d'une façon péremptoire qu'il renonçait à exercer toute fonction ecclésiastique, il ne livra peut-être pas ses lettres de prêtrise mais il promit de se marier. Remis en liberté, il eut assez de pudeur pour ne pas réaliser la promesse qu'il avait faite. Deux ans plus tard, il eut de nouveau recours au même évêque intrus des Côtes-du-Nord pour obtenir un poste dans son diocèse. Le 3 Juillet 1797, il était nommé recteur de Camlez, sa paroisse natale ; mais il était écrit que son parjure ne lui réussirait pas jusqu'au bout. Le préfet Boullé, consulté sur le choix des candidats aux cures et aux sucursales, n'eut que des éloges pour ce prêtre apostat (voir la note qui suit), ce qui n'empêcha pas Allanet d'être écarté de toute paroisse en 1804 par Mgr Caffarelli, légat du Pape. Sa lâche abdication en 1795 et la promesse qu'il avait faite de se marier lui valurent cette disgrâce.

Note : Enquête faite eu 1802-1803 par Boullé, préfet des Côtes-du-Nord. « Allanet (François), 60 ans. — Assermenté, non déporté. S'est bien montré pendant la Révolution, bonnes dispositions actuelles ». Voir Lemasson. — Op. cit. tome 1er p. 92, 258, 261, 262, 300 ; tome II p. 203, 205, 308.

Le nouvel évêque de Saint-Brieuc prit en pitié le sort de ce prêtre dévoyé. Allanet dut toutefois rétracter ses anciennes erreurs avant d'obtenir un nouveau poste. Il fut nommé, le 20 prairial an XII (8 Juin 1804), recteur de la petite paroisse de Coatascorn où, selon toute probabilité, il mourut en 1818, âgé de 76 ans.

 

§ II. — LE DERNIER CURÉ INTRUS.

Les documents contemporains se montrent très sobres de détails au sujet du citoyen Le Frout, le second et dernier curé constitutionnel de Saint-Thégonnec. Il avait vécu quelques mois avec Allanet, et instruit par l'expérience, il se gardera hien de mener la vie active et militante de son prédécesseur. Il est à croire qu'il ne convoita la cure de Saint-Thégonnec que pour toucher les émoluments de la place. Nommé à l'âge de cinquante-six ans vicaire de cette paroisse, il fut installé le 20 Février 1793, trois mois après la nomination de Guillaume Charles, à la cure de Plounéour-Menez. Après le départ d'Allanet, l'assemblée électorale, appelée le 23 Juillet à lui désigner un successeur, ne crut faire un meilleur choix qu'en élisant l'ancien vicaire qui saurait mieux que tout autre gouverner une paroisse où quelques mois de séjour avaient dû le familiariser avec l'état d'esprit de la population.

Le nouveau curé entra en fonction le premier Août. Il se hâta de faire régulariser sa nomination par le Conseil de la commune. Ses papiers, bien qu'en règle au point de vue civil, laissaient à désirer au point de vue religieux. L'institution canonique nécessaire ne lui était pas encore parvenue. Elle avait, dit-on, été agréée par les vicaires épiscopaux. Il est plus vraisemblable de supposer que le choix du candidat n'agréait pas outre mesure à l'autorité épiscopale qui, cependant en d'autres circonstances, ne s'était pas montrée bien chatouilleuse sur la valeur des candidats.

Le Frout n'a laissé d'autres traces de son passage, à Saint-Thégonnec, que sur les registres de perception. Tous ces efforts ne tendirent qu'à toucher son traitement de curé ; mais il fallut un arrêté du Département, en date du 23 Floréal. an II (13 Mai 1794), pour l'autoriser à émarger â re titre au budget. Il perçut son dernier traitement le 3 Vendémiaire an III (24 Septembre 1795) puis il dit adieu à ses paroissiens de Saint-Thégonnec dont il n'avait même pas essayé de gagner les sympathies.

A Guiclan et à Pleyber-Christ, les curés assermentés ne jouissaient guère d'une meilleure considération. On n'avait recours à leur ministère qu'en cas de nécessité et pour certaines fonctions solennelles interdites par la loi aux prêtres réfractaires.

A Plounéour-Menez, le recteur Guillaume Charles et son vicaire François Rioual vivaient en assez bonne intelligence avec les paroissiens et la municipalité. Quelques fidèles, cependant, boudaient leur ministère, et s'ils faisaient bénir par eux leur mariage, ils venaient ensuite réclamer une nouvelle bénédiction aux prêtres insermentés. Guillaume Charles n'eut pas à regretter son départ de Saint-Thégonnec où l'on s'était passé facilement de ses services. L'abbé Rioual avait, dès les premiers jours, prêté serment à la Constitution civile du Clergé, et grâce à ses relations de famille dans la paroisse de Plounéour dont il était originaire, il devait grandement faciliter la tâche de son recteur et faire accepter par ses parents et amis le ministère des prêtres intrus.

Un clerc minoré. Yves Grall, tout frais émoulu du séminaire s'était laissé gagner aux idées nouvelles et était considéré dans la commune comme officier public.

Il ne pouvait, guère, cependant, rendre de grands services au culte officiel ; tout au plus, pouvait-il rehausser par sa présence l'éclat des cérémonies.

L'église de Plounéour réclamait des réparations urgentes, si l'on tenait à y célébrer décemment les offices religieux ; mais où trouver des ressources pour solder les dépenses nécessaires ? La Nation avait confisqué les revenus de la paroisse, et elle ne se montrait pas plus généreuse que les fidèles pour subvenir à l'entretien du culte. Le recteur, d'accord avec le maire, Yves Coat, et les officiers municipaux, adressa, à ce sujet, une requête aux Administrateurs du district. C'est de toute justice, déclarait-il, que le Trésor public, qui s'est approprié les biens de l'église, fasse à ses propres frais ces réparations, et il ajoutait : « Nous n'avons aucune ressource pour réparer notre église, attendu que les offrandes sont très modiques et suffisent à peine à payer le luminaire ».

Références. — Registres de l'église de Saint-Thégonnec. Années 1791 à 1795. — Archives de la mairie de Morlaix : Registres d'indemnités aux ecclésiastiques et religieux. — Arch. dépt. Série L. Liasses 67, 68, 194, 198. 220. — Peyron, op. cit. tome II, pages 45, 171 et seq.

(F. Quiniou).

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