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SAINT-POL-DE-LEON SOUS LA REVOLUTION (CHAPITRE 24). |
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CHAPITRE XXIV.
SOMMAIRE.
La Convention décrète d'accusation les administrateurs du Finistère. — Ils sont écroués au château de Brest. — Consternation générale. — Leur Jugement. — Exécution des condamnés.
Lors des événements du 31 mai et du 2 juin 1793, les membres du Directoire et du conseil général du Finistère, ainsi que nous l'avons rapporté, s'étaient déclarés pour les Girondins contre les Montagnards, et ils avaient fait appel à plusieurs départements pour sauvegarder l'indépendance de la Convention.
La municipalité de Saint-Pol se tint, dans cette circonstance, sur la plus grande réserve. Plus tard, après le triomphe de la Montagne, elle se glorifia d'avoir été, la première, à dénoncer à la Convention le fédéralisme des administrateurs du Finistère.
Le 19 juillet, ces administrateurs étaient décrétés d'accusation par la Convention, « pour avoir tenté d'avilir la représentation nationale, d'usurper l'autorité souveraine, et comme coupables d'entreprises contre-révolutionnaires ».
C'était, à n'en point douter, l'arrêt de mort des inculpés. En même temps la Convention ordonnait de former, à Landerneau, une commission administrative, composée d'un membre choisi dans chaque district, commission qui exercerait provisoirement les fonctions, attribuées aux Directoires des administrations de départements.
Dans le décret d'accusation de la Convention étaient compris : Kergariou, président, Le Gac, Le Doucin, fils aîné, Descombes, Le Roux, Prédour, Expilly, évêque du Finistère, Daniel Kersaux, Postic, Derrien, Le Baron (Baron- Boisjafrray), Piclet, Le Goazré, Le Noan (Morvan), Poullain, Le Thoux, Déniel, et Brichet, procureur général syndic. La proscription ne s'arrêta pas là ; elle s'étendit à tous les administrateurs du département.
Saisis par les soins de la commission administrative, ils avaient primitivement été dirigés sur Paris, mais après avoir été retenus quelque temps à Rennes, comme on craignait qu'à la faveur de l'agitation du haut pays, ils ne fussent délivrés ou ne parvinssent à s'échapper en route, ils furent transférés à Brest et écroués au Château, le 5 ventôse (23 février 1794), avec leur collègue et compagnon, Aimez.
En face du péril qui les menaçait, et comptant sur l'indulgence de la Convention, les administrateurs du Finistère, dans une délibération du 24 juillet 1793, avaient désavoué les arrêtés qu'ils avaient pris en mai et en juin. Le représentant du peuple Cavaignac, chargé par eux de transmettre cette délibération à la Convention, l'avait accompagnée d'une lettre dans laquelle il sollicitait l'Assemblée de prendre en considération le repentir des administrateurs.
La Convention eût peut-être accueilli favorablement la demande de Cavaignac, si les administrateurs n'avaient pas eu parmi eux de haineux adversaires. Le citoyen Royou-Guermeur, qui avait été détenu au château du Taureau par ordre de la précédente administration et le fameux démagogue Perrin, avec deux autres auxiliaires non moins ardents, Blanchard et Vallée, venus de Carhaix, se rendirent à Paris. Admis à la barre de la Convention dans les derniers jours de juillet, ils demandèrent le maintien du décret d'accusation, ce qui leur fut accordé.
Plus tard, trois généreux citoyens de Brest, MM. Smith, premier juge du tribunal du district, Le Hir, ancien administrateur de ce district et Massiac, commissaire de la marine, essayèrent, mais en vain, de sauver les infortunés détenus, en intéressant les sections brestoises au sort des prisonniers. La section du quai, qui se tenait dans l'ancienne église des Sept-Saints, leur fit une forte opposition, et ils coururent même des dangers assez sérieux pour avoir refusé de livrer la pétition où l'on voulait exprimer un vœu contraire.
Les administrateurs durent se résigner à paraître devant le fatal tribunal. Le 30 floréal (19 mai 1794), veille du jugement, à sept heures du soir, trois copies de l'acte d'accusation, comprenant dix-sept pages sur papier tellière, furent notifiées par l'huissier Lelièvre, non aux trente prisonniers, mais à leurs défenseurs, Riou-Kersalaûn, Le Hir et Chiron.
Sans prendre le temps de le lire, Lehir et Riou-Kersalaün coururent au château. Mais comment recueillir dans une si courte entrevue les moyens de défense des accusés ? Onze d'entre eux entouraient à la fois M. Lehir et lui présentaient des notes. Les défenseurs se séparèrent de leurs malheureux clients, sous les plus sombres pressentiments, en leur disant : « A demain sept heures ». Les portes de la prison se refermèrent sur les accusés.
Mais laissons comjyiètement la parole à M. Levot, qui a raconté d'une façon si pathétique ce qui s'est passé dans ce monstrueux procès. On croirait entendre un témoin oculaire. C'est à lui que nous empruntons la plupart de ces détails. (Histoire de Brest, pendant la Terreur).
« Le lendemain (20 mai), dès six heures du matin, toute la garnison était sous les armes. Conformément à la réquisition que Donzé-Verteuil avait adressée la veille à l’autorité militaire, quatre mille hommes de troupes étaient échelonnés dans les rues que les accusés devaient traverser, et dans les principaux carrefours. Huit cents maratistes de l'armée révolutionnaire étaient spécialement chargés de l'escorte et de la surveillance des accusés dans le long trajet qu'ils avaient à faire avant d'arriver au lieu des séances du tribunal. C'était dans la chapelle de l'ancien séminaire des Jésuites. Au fond du sanctuaire, devant une table surchargée de papiers, étaient assis les juges, coiffés du bonnet rouge. A gauche de cette table avaient pris place Donzé-Verteuil et Bonnet [Note : Bonnet, ancien procureur au Châlelet, puis secrétaire de Fouquier-Tinville. A cette double école il avait appris à grouper, avec une adresse machiavélique, les faits servant de motif ou de prétexte aux actes d'accusation dont il fut le rédacteur presque constant. Un œil de verre ajoutait, par sa fixité, à l'aspect sinistre de son visage, aspect en harmonie avec son caractère]. Derrière eux, sur une estrade, étaient les jurés. Sur une autre estrade en face, se voyaient les accusés, placés chacun entre deux gendarmes, le sabre au poing, et éloignés de leurs défenseurs qui ne pouvaient communiquer avec eux. Des piquets de l'armée révolutionnaire gardaient toutes les issues.
Les deux premiers jours furent employés à la lecture d'une foule de pièces dont les défenseurs n'avaient ni connaissance, ni idée. Pendant ce temps, le président du tribunal, Ragmey [Note : Ragmey, Pierre-Louis, né à Lons-le-Saunier (Jura) le 17 janvier 1762. Il y exerça la profession d'avocat jusqu'en 1789. Dès le début de la Révolution, et avant même que le parti démagogique fût devenu le plus fort, Ragmey, dit M. Le Guillou Penanros (bulletin de la Société académique de Brest, t. 2, pp. 97-98), s'était signalé par la violence de ses doctrines et de ses actes], promenait ses yeux farouches sur les spectateurs saisis d’effroi. Le système d'intimidation qui, du reste, lui était habituel, se manifesta dès la première déposition, celle de l'imprimeur Havard, de Landemeau, dont les accusés avaient employé les presses. Ragmey ne le laissa pas achever. Il ordonna de le conduire au Château, où il serait détenu jusqu'à ce qu'il eût été ultérieurement statué à son égard. Un autre témoin commençait ses dépositions où il disait (ce qui était vrai), que Banéat était retenu chez lui par un violent accès de goutte à l'époque où l'administration avait pris ses résolutions contre la Montagne, et que, plus tard, passant à cheval devant l'hôtel du Département, il avait signé, sans la lire, une de ces résolutions, prescrivant de verser des fonds aux fédérés bretons, à Caen. Sur l'ordre de Ragmey, un gendarme mit la main sur la bouche du témoin et étouffa sa voix. Si tous les témoins à décharge ne furent pas traités comme les deux précédents, du moins les menaces ne leur furent-elles pas épargnées.
Le troisième jour s'ouvrirent les débats, si ce nom peut être donné aux formes sauvages qui furent suivies. Donzé-Verteuil développa son acte d'accusation. En vain l'ancien procureur-général syndic Brichet, voulut-il présenter des observations sur les arrêtés servant de base à l'accusation. En vain demanda-t-il la lecture des quarante-huit lettres des députés du Finistère qui avaient déterminé les résolutions des administrateurs, lettres qu'ils avaient eu l'imprudence d'adresser à Donzé-Verteuil comme autant de preuves manifestes de la droiture de leurs intentions. Repoussé par Ragmey, tantôt avec dérision, tantôt avec brutalité, il ne put obtenir la lecture d'aucune pièce à décharge. Riou-Kersalaun et Lehir, chargés de la défense du plus grand nombre des accusés, ne furent pas plus libres qu'eux. Ils s'étaient partagé les moyens de défense. Le premier devait exposer les moyens généraux, et le second discuter ceux qui s'appliquaient à chacun des accusés considéré isolément. Mais Riou-Kersalaun débutait à peine que Ragmey l'interrompit, bien qu'il ne s'exprimât qu'avec réserve, et sous forme hypothétique. « Mais si ces administrateurs, disait-il, n'ont eu d'autre but que le salut public, s'ils n'ont été animés que par l'amour de la patrie dans les mesures qu'ils ont prises à la suggestion de nos députés, s'ils n'ont eu d'autres intentions... » — « Avant que tu ailles plus loin, citoyen défenseur, s'écria Ragmey d'un ton menaçant, le tribunal a besoin de connaître tes opinions personnelles sur les arrêtés de cette administration ». — Riou, interdit, ne peut répondre. — « Le tribunal, poursuivit Ragmey, t'interpelle de t'expliquer et te demande si tu ne regardes pas ces arrêtés comme liberticides parce que d'après ta réponse, il aura peut-être alors des mesures à prendre à ton égard ».
Frappés de stupeur, les deux défenseurs furent réduits désormais à n'invoquer d'autres considérations que celles qui militaient en faveur de la moralité personnelle de leurs clients. La voix de ceux-ci fut également étouffée. Morvan ayant voulu ajouter quelques détails à ceux que Lehir avait donnés sur sa vie publique et privée, et protester contre l'absurde et inqualifiable accusation d'avoir voulu livrer le port de Brest aux Anglais, Ragmey l'arrêta et adressa cette mercuriale aux défenseurs : « Il faut se renfermer dans les faits de l'accusation, et non divaguer dans des éloges étrangers ».
« Lehir, défenseur de Cuny, essaya plus tard d'émouvoir les juges et les jurés, en parlant des neuf jeunes enfants de cet administrateur, de ses blessures, de ses services auxquels il devait de s'être élevé du rang de simple soldat au grade de capitaine d'artillerie. Des murmures accueillirent ses paroles comme celles qu'il fit entendre en faveur de Guillier, de Le Gac, de Le Thoux et de Piclet. Parvenu à la défense de Postic et de Derrien, il fut moins entravé. Il put démontrer combien il était injuste et cruel d'envelopper dans l'accusation générale deux cultivateurs que leurs antécédents, leur éducation rendaient incapables de la gestion des affaires publiques, et que les circonstances y avaient fatalement mêlés contre leur gré. Ainsi que la commission administrative, le comité révolutionnaire de Quimper avait intercédé pour eux, et Lehir croyait avoir en eux des auxiliaires efficaces. Impatient d'en finir, Ragmey ne voulut pas laisser Morvan ajouter quelques mots à ceux que Lehir avait prononcés en leur faveur. « Le tribunal, dit-il brusquement à lui et aux défenseurs, ne vous écoute plus ».
Les faits sur lesquels reposait l'accusation étaient patents ; aussi les accusés ne cherchèrent-ils pas à les nier. Ils se bornèrent à invoquer leur patriotisme. Se retranchant derrière le décret du 24 mai par le quel la Convention avait fait appel à la Nation, et s'était placée sous sa sauvegarde, ils protestèrent n'avoir eu autre chose en vue dans leurs actes et leurs écrits que le salut de la patrie, l'indivisibilité de la République et la liberté de la représentation nationale.
Ce système de défense, le seul possible, et le seul vrai tout à la fois, entraînait pour chacun des accusés, la possibilité de la question spéciale d'intentionaliste, et cela avec d'autant plus de raison que la part d'action de chacun d'eux n'avait pas été le même, notamment pour un qui, absent lorsqu'on avait pris un des arrêtés incriminés, ne l'avait point signé.
Bergevin, Brichet, Morvan, Mérienne et leurs défenseurs, démontrèrent inutilement que la position de cette question était formellement prescrite par la loi du 21 octobre 1791, portant que « les juges examineront la moralité du fait, c'est-à-dire, les circonstances de provocation, d'intention, préméditation qu'il est nécessaire de connaître pour savoir à quel point le fait est coupable, et pour le définir par le vrai caractère qui lui appartient ». Ragmey ne tint aucun compte de cette réclamation, et arguant de la loi du 26 frimaire, an II (16 décembre 1793), il passa outre et procéda au résumé des débats, reproduction aggravée de l'acte d'accusation. Au lieu de mettre en regard les uns des autres les moyens développés réciproquement par Donzé-Verteuil et les défenseurs, il écarta ceux qu'avaient fait valoir ces derniers et ne mit en relief, que les faits matériels. « Ceux qui en sont les auteurs ou les complices ne peuvent être que coupables, » s'écriait-il en concluant pour chacun d'eux. Qu'un accusé eût, ou non, apposé sa signature à l'un des actes incriminés, il ne faisait aucune distinction dès que cet accusé y était nommé ».
« Son résumé terminé, il posa les deux questions suivantes :
1° Est-il constant qu'il a existé une conspiration contre la liberté du peuple français tendant à rompre l'unité et l'indivisibilité de la République, à allumer le feu de la guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, en les provoquant à la désobéissance à la loi et à la révolte contre l'autorité légitime de la représentation nationale ?
2° Les accusés sont-ils convaincus d'être auteurs ou complices de cette conspiration ?
Le jury rapporta un verdict négatif en faveur des quatre accusés : Bienvenu (François-Marie), homme de loi et notaire, âgé de 54 ans, né et demeurant à Quimperlé ; Descourbes (Vincent-Julien), homme de loi, âgé de 45 ans, né à Pontaven, demeurant à Quimperlé ; Pruné, marchand, âgé de 42 ans, né à Rogent-le-Rotrou, demeurant à Poullaouen, et Le Cornée (Jean-François), homme de loi, âgé de 48 ans, président du tribunal du district de Carhaix, né et domicilié dans cette ville. Les trois premiers furent mis immédiatement en liberté. Leur acquittement avait été convenu entre les juges et les jurés avant leur comparution. En effet, Descourbes et Bienvenu, inexactement qualifiés dans le jugement, et peut-être à dessein, étaient, le premier, président du tribunal de Quimperlé, le second, commissaire national près le même tribunal. Cambry, président de l'administration du district de Quimperlé, avait chaleureusement sollicité Tréhouart en leur faveur, et ce dernier avait appuyé sa recommandation près de Jean-Bon Saint-André. Ces démarches avaient eu un plein succès. Bienvenu et Descourbes s'étaient constitués prisonniers seulement pour la forme. C'est ce qui résulte du registre de pointe conservé aux archives du tribunal civil de Quimperlé ; leurs signatures y figurent peu de jours avant comme après le jugement. Pruné, lui, s'était recommandé lui-même en entrant dans la commission administrative et en acceptant, à trois reprises, des missions des représentants du peuple. Quant à Le Cornec, il fut reconduit au château sur la réquisition de Donzé-Verteuil qui déclara qu'il y avait d'autres faits contre lui.
La stupéfaction fut générale quand on entendit que Postic, Derrien, Malmanche et Cuny étaient compris dans la sentence de mort. Un des jurés, nous ignorons son nom, avait demandé à ses collègues l'acquittement des deux premiers, et deux autres membres du jury celui de Malmanche et de Cuny.
Poullain (Auguste), Baron-Boisjoffray, actuellement à Paris, et Le Goazre (François-Marie-Hyacinthe), fugitif, ex-administrateurs, étaient également au nombre des accusés. Il ne fut pris aucune décision à leur égard.
Sur les trente-trois accusés, vingt-six étaient conséquemment frappés de mort. C'étaient :
1° Kergariou (François-Louis de), ancien maréchal de camp et chevalier de Saint-Louis, né le 13 juin 1725 à Plounévez-Moëdec, arrondissement de Lannion. Il avait présidé l'administration départementale depuis les élections de 1790 ;
2° Brichet (Mathieu-Michel-Marie), homme de loi et ex-procureur général syndic du département du Finistère, âgé de trente-six ans, né à Landerneau, demeurant à Quimper ;
3° Aymez (Jacques-Remy), négociant, ex-secrétaire général de l'administration départementale, né à Brest, le 14 juin 1744, demeurant à Quimper ;
4° Morvan (Olivier-Jean), homme de loi, né à Pont-Croix, Finistère, le 15 mai 1754, demeurant à Quimper ;
5° Guillier (Louis-Jean-Marie), marchand, âgé de quarante-cinq ans, né et domicilié à Douarnenez ;
6° Bergevin (Pierre-Marie de), homme de loi, né à Brest le 2 janvier 1750, demeurant à Lanildut ;
7° Dubois (Joseph-Marie), juge au tribunal du district de Landerneau, âgé de trente-six ans, né au Croisic ;
8° Doucin (Thomas-Bernard), homme de loi, âgé de trente-huit ans, demeurant à Quimper ;
9° Derrien (Louis), cultivateur, âgé de quarante-deux ans, né à Saint-Thurian, demeurant au Quéren, district de Quimperlé ;
10° Postic (Yves), cultivateur, âgé de trente-neuf ans, né et demeurant à Kériguel, commune de Scaër ;
11° Cuny (Antoine), négociant, ancien militaire, âgé de quarante-cinq ans, né à Bordeaux, demeurant à Quimperlé ;
12° Le Roux (Guillaume), marchand de toile, âgé de vingt-sept ans, né à Pleyber-Christ, domicilié à Landivisiau ;
13° Le Prédour (Louis-Joseph-Marie), homme de loi et juge au tribunal de Châteaulin, né à Pleyben le 2 juillet 1758 ;
14° Daniel Kersaux (Yves), âgé de quarante-cinq ans, né et demeurant à Penmarch ;
15° Expilly (Louis-Alexandre), ex-recteur de Saint-Martin de Morlaix, ex-évêque constitutionnel du Finistère, né à Brest le 24 février 1742 ; [Note : Comme plusieurs de ses compagnons d'infortune, Expilly était dans un dénuement complet. Il devait aux citoyennes Bougaran et Léon 200 livres prêtées en assignats, 15 livres pour blanchissage et 30 livres pour diverses commissions faites pendant sa détention].
16° Herpen (Guillaume), juge au tribunal du district de Pont-Croix, né et demeurant dans cette ville, âgé de quarante-six ans ;
17° Mérienne (Jean-Louis), sous-chef des vivres de la marine, né à Fougères (Ille-et-Vilaine), demeurant à Brest (Recouvrance), âgé de trente-huit ans ;
18° Malmanche (Charles-François), né à Verteuil dans l'ancien Angoumois, âgé de quarante-six ans, chirurgien, ancien maire de Brest (1790-1791), demeurant à Lambézellec ;
19° Banéat (Charles-François), marchand et cultivateur, né à Carhaix, y demeurant, âgé de quarante-trois ans ; [Note : Banéat était à la tête d'une maison de commerce importante. La qualification de cultivateur, qui lui avait été donnée dans l'espoir qu'elle aurait contribué à le sauver, n'était justifiée que par une culture d'agrément dont il s'occupait. Il était animé de sentiments religieux. Maire de Carhaix, à deux reprises, il n'avait vu dans l'autorité ont il était investi qu'un moyen de concourir au bien public. Il en avait usé pour faire respecter les lois, protéger les honnêtes gens, et s'opposer aux mesures violentes, ce qui l'avait fait appeler le protecteur des aristocrates].
20° Le Pennec (Jean-Marie), homme de loi, né et domicilié à Carhaix, âgé de cinquante ans ;
21° Le Thoux (Julien), juge au tribunal du district de Quimper, y demeurant, né à Neuillac, district de Pontivy, âgé de soixante-douze ans ;
22° Déniel (François-Marie), marchand et cultivateur, né à Landerneau, demeurant à Lannilis, âgé de trente-six ans ;
23° Moulin (Julien), militaire réformé, né à Concarneau, demeurant à Quimper, âgé de quarante-deux ans ;
24° Le Gac (Yves), homme de loi, né et domicilié à Plounévez-Porzay, district de Châteaulin, âgé de quarante-deux ans ;
25° Piclet (Louis), homme de loi, juge à Pont-Croix, y demeurant, né à Locronan-du-Bois, âgé de soixante-quatre ans ;
26° Le Denmat-Kervern (Yves-Joseph-Louis), homme de loi, né à Callac, demeurant à Morlaix, âgé de quarante-trois ans. [Note : M. Le Dennat-Kervern avait été maire de Morlaix avant d'entrer dans l'administration départementale. Le 30 pluviôse, an X (19 février 1802), le conseil municipal de Morlaix, sur la proposition du maire, M. Philippe d'Elleville, décida qu'il serait érigé dans l'enceinte de l'hôtel de ville un monument rappelant les vertus et les services de Le Denmat-Kervern, monument consistant en une table de marbre, portant en lettres d'or la date de la délibération et l'inscription suivante : « A la mémoire du citoyen Yves-Joseph-Louis Le Denmat-Kervern, maire de la ville de Morlaix en 1790, administrateur du Finistère en l'an II de la République ». Ce projet n'eut pas de suite].
La fatale sentence avait été prononcée dans un morne silence, interrompu seulement par cette exclamation simultanée de Bergevin, Guillier et Moulin : « Scélérats, notre sang retombera sur vos têtes ».
Pendant ce temps, Ance s'impatientait ; le tribunal était bien lent à lui livrer sa proie. Le matin, il était allé requérir au district les chevaux et les charrettes nécessaires au transport des condamnés. Sur l'observation de l'administrateur Pérard auquel il s'était adressé : « Comment on ne leur donnera pas au moins vingt-quatre heures pour se retourner et mettre ordre à leurs aflfaires ! » — « Pas un quart d'heure avait-il répondu ; du moment qu'ils seront jugés, ils seront à mes ordres ». Donzé-Verteuil avait été moins brutal, mais en apparence seulement. La veille, il avait mandé le citoyen Camarec, administrateur du district, et avait voulu « qu'il se fût chargé de faire préparer pour le lendemain un repas bien servi, mais sans couteaux, pour les trente accusés, et de faire rechercher en ville trente bouteilles du meilleur vin, parce que l'humanité exigeait qu'ils fissent au moins un bon repas avant de mourir ». Camarec, ayant répondu qu'une telle commission ne regardait pas l'administration du district, Donzé-Verteuil s'était adressé ailleurs, et un banquet avait été préparé à l'hôpital. Les condamnés ayant refusé de profiter de cet acte d’humanité, rien ne s'opposait plus à ce que Ance s'emparât d'eux. Il se hâta de leur faire couper les cheveux, de leur faire lier les mains derrière le dos et de les entasser dans deux charrettes qui les conduisirent sur la place du Triomphe du Peuple (place du Château), où s'accomplit le dénouement de ce lugubre drame. Expilly monta le dernier à l'échafaud, après avoir donné l'absolution à ses collègues, dont il avait même, dit-on, confessé antérieurement quelques-uns. Il se serait écrié à ce moment suprême, ajoute-t-on, qu'il voyait les cieux ouverts, et selon d'autres, il aurait dit, peu d'instants après le prononcé du jugement : « C'est beaucoup de paraître devant le tribunal des hommes et devant celui de Dieu dans la même journée ».
On a dit que cette boucherie humaine avait fourni à Ance l'occasion de montrer combien la vue du sang avait d'attraits pour lui. Au lieu de laisser les têtes tomber dans le panier destiné à les recevoir, il les aurait rangées symétriquement sous les yeux de ceux des condamnés qui attendaient leur tour, probablement dans l'espoir — il fut déçu — que ce spectacle ferait faiblir quelques-uns d'entre eux. Nous ne pouvons affirmer si ce raffinement de cruauté eut réellement lieu, mais le caractère de celui auquel on l'attribue ne le rend pas invraisemblable [Note : M. l'abbé François Tresvaux du Fraval affirme le fait dans son Histoire de la Persécution Révolutionnaire en Bretagne, t. 2, p. 18. Edition 1892].
Une monstruosité dont il n'y a pas d'exemple dans les annales judiciaires semble avoir couronné la monstrueuse procédure dont nous venons de résumer les principales péripéties. Il y a lieu de croire que la constatation du décès des condamnés précéda leur exécution. Il existe en effet aux archives de l'empire, carton W 1", un extrait du jugement de condamnation, accompagné de l'annotation suivante : « l'exécution des vingt-six administrateurs eut lieu le jour même de la condamnation entre six et sept heures du soir, à la vue d'un peuple immense, qui à la chute de chaque tête, s'écriait avec l'accent le plus prononcé et le mouvement des chapeaux élevés en l'air : Vive la République ». Et pourtant les actes de décès des vingt-six suppliciés, rédigés à cinq heures du soir, portent qu'ils étaient morts ce jour, sans indication d'heure, il est vrai, mais naturellement alors avant cinq heures. Or l'extrait des archives dit que leur supplice eut lieu une ou deux heures plus tard, et en cela il s'accorde avec les notes que nous devons à la bienveillance de M. Lehir, et où il s'exprime ainsi : « Un crêpe funèbre semblait voiler le tribunal. L’heure des ombres s'approchait, — on était au mois de mai, et avec elle l'heure dernière. Toutes les poitrines étaient haletantes. Et quand on entendit prononcer sur l'honneur et la conscience regorgement des vingt-six administrateurs, l'effroi, la désolation fut à son comble... Mon sang était figé. Je ne sais comment je retrouvai ma demeure sur le pont de terre ; je m'enfermai pour rendre compte de ce terrible événement à une femme de grand cœur qui s'intéressait au sort de l'innocence. Je ne m'exprimais que par mots entrecoupés, et ses larmes abondantes n'augmentaient pas mon courage. Un bruit sourd dans la rue nous fit courir à la fenêtre. Ciel ! c'étaient les vingt-six administrateurs entassés dans les charrettes fatales, en corps de chemise, la tête nue, les cheveux coupés, les mains liées derrière le dos. Oh ! surprise ! Oh ! stupeur ! Je ne faisais que de les quitter. Je ne pouvais penser qu'en si peu d'instants on eût pu déployer tant de rage et de célérité. La force me manqua, et ma santé fut altérée pendant plusieurs mois ». Ajoutons qu'invité par M. du Châtellier à bien préciser ses souvenirs sur ce point, M. Lehir lui a dit plusieurs fois, et toujours avec indignation, que les actes de décès des vingt-six administrateurs avaient été rédigés avant leur exécution. Donzé-Verteuil, la veille, Ance, le matin, ne les avaient-ils pas traités en condamnés ? Faut-il s'étonner qu'ils les aient considérés comme morts à l'instant même où leur sentence était prononcée ? Que serait-il arrivé pourtant si quelques généreux citoyens, au nombre desquels était M. Le Gléau, avaient pu exécuter leur projet d'enlever les condamnés lorsqu'on les conduirait à l'échafaud, projet qu'ils durent abandonner devant le déploiement extraordinaire de forces militaires mises en réquisition par Donzé-Verteuil ?
Nous avons dît que cette monstruosité avait été la dernière. Nous nous sommes trompé. Donzé-Verteuil eut la lâcheté de calomnier la mémoire des infortunés administrateurs en faisant imprimer (Journal de Paris, n° 520) qu'ils avaient porté leur tête sur l'échafaud pour avoir voulu donner la Bretagne aux Anglais. Les anciens sacrificateurs ornaient leurs victimes de bandelettes, ils ne les insultaient pas » [Note : Le Vot, p. 327, Brest sous la Terreur].
Note : un monument fut élevé au Cimetière de Brest à la mémoire des Administrateurs du Finistère exécutés à Brest le 22 Mai 1794.
(abbé J. Tanguy).
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