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SAINT-POL-DE-LEON SOUS LA REVOLUTION (CHAPITRE 10). |
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CHAPITRE X.
SOMMAIRE.
Profonde aversion de la
population pour le nouveau régime. — Craintes qu'en éprouve la municipalité. —
Demande de troupes.— Des officiers de la garde nationale de Lesneven viennent à
Saint-Pol pour se disculper d'avoir dérobé un lapin au château de Kerno. — Eloge
qu'ils reçoivent de la municipalité. — Choix de prédicateurs pour la station du
Carême. — Envoi de gendarmes pour arrêter Mgr de La Marche. — Il s'évade par une
porte secrète et passe en Angleterre. — Magnifique don de Louis XVI aux
indigents de chaque département. — M. de Troërin, trésorier de la fabrique de la
cathédrale est remplacé par un conseiller de la municipalité.
Le nouvel ordre de choses qui s'établissait en France était loin d'être sympathique à la généralité des habitants de Saint-Pol. Les gens honnêtes, les âmes timorées voyaient avec une horreur profonde ce qui se passait en France. La Constitution civile du clergé troublait les esprits et les indisposait de plus en plus contre le nouveau régime. Les partisans eux-mêmes de la Révolution, ceux du moins qui étaient de bonne foi, reconnaissaient qu'on poussait les choses à l'extrême et qu'il eût été sage d'abandonner la Constitution civile du clergé. Voici ce qu'écrivait le 16 novembre 1790 au district de Lesneven un homme qui avait dénoncé deux fois à ce district son recteur, M. Breton, Le Conniat, maire de Sibiril : « Messieurs…. Les voies de rigueur dont l'autorité pourrait user ne serviraient probablement désormais qu'à aigrir les esprits et à préparer une insurrection générale. Que l'on cherche à réduire le corps pastoral par la privation de ses pensions ou même par la perte de ses bénéfices, comment serait-il remplacé, puisque le clergé en entier, pour ainsi dire tient au même système ? D'ailleurs les nouveaux pasteurs, si l'on en trouvait, seraient-ils agréables au peuple ? La force ne fut jamais un moyen de persuader, le peuple la considérant comme une véritable persécution.
Je ne puis donc, messieurs, cacher les vœux que je forme pour que nos dignes et zélés représentants à l'Assemblée nationale prennent en considération l'état de crise où nous nous trouvons. Que perdrait la Constitution à rendre au pape son ancienne juridiction légitime ou non, et combien ne gagnerait-elle pas, combien ne se consoliderait-elle pas, combien ne déconcerterait-elle pas les projets de ses ennemis en écartant un schisme qui ne tend à rien moins peut- être .... » Les derniers mots manquent [Note : Levot, Histoire de Brest pendant la Terreur, pp. 4-5].
Ces paroles, si l’on excepte les mots que nous avons soulignés, étaient frappées au coin de la vérité.
A Saint-Pol, les municipaux ne jugeaient de même les événements qui se déroulaient sous leurs yeux. Ils voyaient bien que les choses allaient de mal en pis, sans toutefois remonter jusqu'aux causes qui jetaient le trouble dans les âmes et divisaient les citoyens entr'eux. Le but unique des municipaux de Saint-Pol était de se mettre à couvert de tout danger.
Le 24 janvier 1791, M. le maire fit un affreux tableau de la situation où se trouvait la ville. Nous tenons à reproduire intégralement cet exposé qui n'est pas dépourvu d'intérêt.
« Les discours, les sermons, les instructions incendiaires contraires aux décrets de l'Assemblée nationale et surtout ceux concernant le clergé gagne beaucoup dans le peuple. Il s'effraye de ce qu'on lui répette chaque jour qu'il n'y aura plus de religion, plus de baptêmes, plus de messes, plus d'églises pour les fidèles, en chaires, en confessionnaux, par promesse, enfin par toutes sortes de manières, on a tellement séduit les trois quarts et demi des habitants de Saint-Pol que d'un coup de sifflet de l'aristocratie sacerdotale, on verrait la cohorte se sous lever, s'armer, tomber sur le petit nombre de bons patriotes et inhumainement les massacrer. Vous savez, messieurs, que nous en serions les premières victimes, puisqu'on attribue à la municipalité tout ce que l'on trouve qui se fait de mal en tenant la main à l'exécution des décrets.
L'instant est venu, messieurs, nous voilà au milieu du danger, je n'en frémis pas, mais je songe à notre sûreté ; quelque courage que nous ayons, nous ne pouvons pas résister aux malveillants de toutes les classes ; nous avons des armes, nous ne pouvons guère nous en servir, au contraire par force on les prendrait plutôt pour s'armer contre nous. Vous savez que sur la garde nationale il n'y a point grand chose à faire ; il nous faut donc main forte, il nous faut donc de la troupe de ligne, la minute l'exige.
La notification faite depuis dix jours à M. La Marche ci-devant évêque de déguerpir dans quinzaine du palais épiscopal, celle faite aux messieurs du séminaire de renvoyer incessamment les sujets qu'ils avaient reçu au quartier pour les ordres. L'arrivée du décret concernant le serment des ecclésiastiques qui fut reçu et affiché hier augmente la fermentation dans les esprits, échauffent les têtes et nous exposent à la cruauté de ceux qui se révolteront. L'exemple du lointain nous doit faire prendre des précautions. Oui, messieurs, il nous faut absolument main forte, il faut de la troupe de ligne à résidence pour contenir le peuple et empêcher les émeutes. Nous l'avons toujours pressenti, nous l'avons écrit à MM. Lusignan et Bertier pour leur en demander. Ils nous ont répondu que le service de Brest ne leur permettait pas de nous donner de détachement, nous l'avons écrit au ministre et au département. Quand, en attendant les réponses nous avons reçu le 21 courant une lettre de messieurs de l'administration du district de Brest qui nous témoignent leur attachement et le souvenir qu'ils ont toujours des risques que nous courons qu'ils avaient parlé à M. Bertier qui leur avait donné quelque espérance que Saint-Pol autant qu'il n'y aura pas d'impossibilité auroit toujours de la troupe, peut-on s'y fier d'après ce qu'il nous a écrit ainsi que M. Lusignan ; par le même courrier du 21 vous avez écrit à messieurs de la Société des Amis de Brest pour leur apprendre que les messieurs du club des Jacobins de Paris nous avaient écrit et pour les prier en même temps d'employer leur zèle et leurs offices pour le même objet ; avec quelle activité messieurs ils ont agi ; à la réception de notre lettre ils ont fait tous les mouvemens que leur a inspiré l'amour du patriotisme, ils nous regardent comme leurs frères, ils ont fait par députations des démarches vers la municipalité de Brest, et pour comble de la plus grande précaution puisée dans l'amitié et un parfait dévouement pour nous, on nous écrit, on députe un courrier de dépêche, un frère de la société. M. de Puyferré, qui est arrivé à minuit et demi, apporte une lettre pour mettre du calme à nos inquiétudes, elle indique le parti que nous avons à prendre : c'est pour que vous en preniez lecture, messieurs, et que vous délibériez que je vous ai convoqué à la hâte pour délibérer sur le champ, car M. Puyferré a ordre de rentrer à Brest aujourd'hui pour communiquer à l'Assemblée qui sera séance tenante jusqu'à son arrivée ; notre réponse doit donc être prompte et brieve et le préalable doit consister à remercier nos frères des Amis de la Constitution de tout l'intérêt qu'ils mettent à notre sûreté et à prier et réquérir formellement messieurs de la municipalité de Brest, de faire tout réquisitoire nécessaire à MM. les chefs et commandants la troupe de ligne et commissaire ordonnateur des guerres, pour demander un détachement égard à la nouvelle position critique ou nous sommes, au moins de trois cents hommes pour maintenir le bon ordre et la tranquillité publique et pour mouvoir et agir sur nos réquisitoires aux termes des décrets de l'Assemblée nationale et a le dit sieur maire signé : Raoul, maire » [Note : Reg. 21. Fol. 32].
Dans cette même séance on demanda à Brest le maintien à Saint-Pol de ce qui restait du 1er bataillon du régiment du Forez puisqu'il n'embarquait pas. Deux jours après le conseil municipal faisait savoir à Brest que 180 hommes et deux pièces d'artillerie seraient acceptés et suffiraient actuellement avec la garde nationale.
Après la note lugubre vient la note gaie, la note comique. Du reste la chose n'était pas si rare à cette terrible époque. Le burlesque et l'horrible se coudoyaient parfois. Nous reproduisons intégralement la séance tenue à Saint-Pol par le conseil municipal le 25 février 1791. C'est une page d'histoire qu'on lira, croyons-nous, avec intérêt, car elle montre ce qu'étaient les hommes d'alors et le sérieux avec lequel ils prenaient par moment de simples bagatelles.
« Se sont présentés à l'Assemblée Messieurs les officiers municipaux de Saint-Pol, convoqués par billet, à la quelle ont assisté MM. Miorcec, Guillaume, Figuières, Le Bihan, Berdelo et Deniel, officiers municipaux, y présidant M. Raoul, maire.
Présent : M. Le Gall de Kerven, procureur de la commune.
Les sieurs Creff, commandant la garde nationale de Lesneven, Guinet et Testard, lieutenants des grenadiers de la même garde nationale, ont demandé l'entrée dans l'Assemblée, qu'elle leur a accordée.
Entrés accompagnés de Messieurs de Mézangeau, chevalier de Saint-Louis, colonel, La teste, lieutenant-colonel, chevalier aide-major et d'autres officiers de la garde nationale de cette ville ont représenté différentes pièces concernant une inculpation infamante faite à la garde nationale de Lesneven, entr'autres extrait d'une délibération de la dite garde nationale du 23ème de ce mois par la quelle témoignant qu'étant vivement indignée de l'accusation portée contre elle par un ennemi juré de la paix et de la tranquillité publique, elle a unaniment arrêtté, que les dits sieurs Creff, Guinet et Testard se retireroient le jour vendredi 25 de ce mois vers M. Miorcec, officier municipal de Saint-Pol, pour s'informer du nom et demeure du calomniateur infame qui sans rougir a osé accuser de vol la garde nationale de Lesneven indistinctement,
Que les dits députés se retireroient ensuite vers la garde nationale de Saint-Pol pour lui dénoncer le dit calomniateur,
Qu'enfin les dits commissaires se rendroient de là accompagnés de quelques membres de la garde nationale de Saint-Pol à la municipalité du dit lieu à l'effet d'y dénoncer aussi le dit calomniateur.
En conséquence les dits commissaires ont requis que l'Assemblée voulût bien coopérer à découvrir le calomniateur en question et à faire à cet égard ce que sa sagesse et sa prudence lui suggereroient.
Signé : P. TESTARD fils, lieutenant des grenadiers, CREFF, commandant, VIGNIOBOUL dt GUINET, lieutenant des chasseurs.
L'Assemblée, vu la dite déliberaôn (délibération), et autres pièces et notamment un certificat du sieur Le Floch, receveur de M. de Lescoet demeurant au château de Kerno paroisse de Ploudaniel en date du 17 février courant, par le quel il atteste qu'il est faux qu'il ait été enlevé des flambeaux d'argent du dit château de Kerno par la garde nationale de Lesneven a donné acte de la représentation des dites pièces et de la déclaration de ce jour faite par François Larvor perruquier et caporal de la compagnie des chasseurs de la garde nationale de cette ville « que le mercredi 16 de ce mois il avoit accomodé M. Crézolles de Lannion qui lui dit qu'il revenoit de Lesneven et qu'il y avoit entendu dire en dinant chez M, de Kerdanet de Lesneven que la garde nationale avoit été prendre des canons au château de Kerno et que les soldats du détachement avoient emporté un lapin qui étoit au croc, des clous dorés de fauteuils et des flamoeaux ».
« A loüé et loüe la dite garde nationale de Lesneven de la sage démarche qu'elle a fait faire par ses commissaires pour découvrir l'auteur du faux bruit qui s’est répandu en cette ville et qu'il l'est sans doute aussi dans d'autres de l'inculpation infamante qu'on lui a faite pour détruire dans son principe l'impression désavantageuse que les ennemis de la Constitution cherchent à faire naitre contre les amis de la même Constitution et surtout contre les gardes nationales. [Note : Reg. 21. Fol. 39-40].
Signé : Miorcec, Raoul, maire, Guillou, Deniel, Figuières, Le Gall de Kerven, etc., etc. ».
La municipalité de Saint-Pol avait l'œil à tout, et il ne fallait pas que ses commettants pussent la soupçonner, encore moins l'accuser d'irréligion. On était à la veille du Carême qui exigeait pour la station des prédicateurs extraordinaires. Impossible de déroger à cette antique coutume sans s'attirer l'animadversion publique. Dans la séance du 26 février 1791, séance tenue dans l'après-midi, on délibéra sur le choix des prédicateurs. Le conseil était d'avis de choisir pour le breton M. Le Saout, curé de Carantec, auquel il avait, deux mois auparavant, délivré un certificat de satisfaction pour avoir prêché avec « édification » la station des Avents. Quant au prédicateur français, le choix du conseil s'arrêta sur le P. Suillart ou à son défaut sur le P. Goguelin, de la communauté des Jacobins de Morlaix. Le sieur Berdelo fut chargé d'aller à Carantec s'entendre avec M. Saout pour savoir s'il accepterait, et le sieur Miorcec à Morlaix pour s'assurer également si l'un ou l'autre des dominicains choisis accepterait. En cas de refus on s'adresserait ailleurs. [Note : Reg. 21. Fol. 42, verso]
Nous avons rapporté plus haut le discours du maire de Saint-Pol, discours dans lequel ce magistrat manifestait à ses conseillers ses vives appréhensions au sujet des sentiments hostiles tant de la ville que de la campagne. Il s'attaquait aussi avec colère à Mgr de La Marche qui ne tenait aucun compte de l'ordre de la municipalité de quitter son palais épiscopal et continuait, malgré les décrets, à gouverner son diocèse. Le département, instruit de ce qui se passait, prescrivit au district de Morlaix de déférer l'évêque à son tribunal. Mais il traîna l'affaire en longueur de sorte que le prélat agissait comme si rien n'était. L'ordre formel de l'arrêter fut en conséquence délivré en février 1791. Un lieutenant de gendarmerie et vingt hommes arrivèrent à cet effet à Saint-Pol, et le lieutenant s'étant présenté devant Mgr de La Marche, lui intima l'ordre de le suivre. Le prélat, qui était dans sa chambre, demanda seulement la permission de passer dans le cabinet voisin pour faire sa toilette, et le lieutenant, ayant examiné les lieux et ne voyant sur le pourtour que des rayons de bibliothèque chargés de livres, resta à la porte et l'attendit. Mais la toilette ne finissant pas, il se décida à ouvrir et reconnut qu'une porte secrète, dont la disposition de la bibliothèque lui avait d'abord masqué la vue, avait permis à l'évêque de s'évader. On apprit bientôt qu'il avait gagné par Roscoff, ou plutôt par Sainte-Anne les côtes de l'Angleterre. Ses instructions, ses lettres pastorales et ses mandements n'en circulèrent pas moins dans son ancien diocèse.
La France, à cette époque, souffrait extrêmement de la disette. Pour atténuer, autant que possible, la misère générale, Louis XVI, au cœur si bon, avait donné trente mille livres à chaque département. Dans une séance tenue le 14 février 1791, le conseil municipal de Saint-Pol, dans le but de diminuer la mendicité et de remédier à l'oisiveté, beaucoup de personnes ne se livrant pas au travail, parce qu'ils ne trouvaient pas à s'occuper, demanda aux administrateurs du département :
1° A être autorisé à consacrer ces trente mille livres à un établissement de charité à Saint-Pol ;
2° A posséder une garnison, vu les bâtiments qui restaient inoccupés. Le couvent des Minimes bien aménagé pourrait servir d'atelier qui serait composé de plusieurs métiers ;
3° A instituer une foire par mois dans la ville le 3ème mardi de chaque mois. Cette affaire ne nuirait aucunement aux foires circonvoisines ; si elle coïncidait avec un jour de fête, elle serait remise au lendemain.
M. de Troërin, ci-devant grand chantre et fabrique de la cathédrale et de Saint-Pierre, avait dû faire une déclaration des biens de ces églises. Le conseil général arrête qu'un trésorier serait nommé pour les recettes et les dépenses avec six fabriques pour veiller, agir et quêter dans les églises et surveiller les réparations à y faire. Provisoirement on les prendrait parmi les membres du conseil général. On ouvrit en conséquence deux scrutins. A la suite du premier, M. Miorcec fut élu trésorier ; au second tour, les sieurs Michel Combot, Louis Bolloré, Guy Caroff, Louis Combot, Paul Derrien et Jean-Louis Lucas, notables, furent nommés fabriques. Le 1er janvier 1792, en présence du conseil général, ils rendraient leurs comptes qui seraient ensuite vérifiés par le Directoire du district de Morlaix.
Le conseil général les chargeait en outre de faire rendre compte « au sieur Troërin, ci-devant fabrique, des attouchements qu'il a fait sur l’année 1790, et à remettre les rentiers, baux à ferme, titres, papiers et tous renseignements dont il peut être saisi et à l’y obliger en cas de refus, d'après l’ordre qu'ils en auront reçu du Directoire du district, annoncé par sa lettre du 11 de ce mois. ». [Note : Reg. 22. Fol. 47-52]. Signé : Raoul, maire, Deniel, Miorcec, Guilmer, Berdelo, Du coin, Le Gall de Kerven, procureur de la commune, etc.
(abbé J. Tanguy).
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