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District de Redon : la réaction Thermidorienne dans le district de Redon.

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SOMMAIRE. — 1° Félicitations du Directoire et du Comité de Surveillance à la Convention. — 2° Epuration des administrations par Boursault, le 28 vendémiaire. — 3° Désarmement des farouches révolutionnaires : Bastide et Le Batteux. — 4° Politique de conciliation ; secours. — 28 vendémiaire an III. — 18 ventôse an IV.

La chute de Robespierre fut accueillie avec enthousiasme à Redon par les autorités constituées. Il semble que jusqu'alors les administrateurs aient tremblé. Ils se bornent à enregistrer les arrêtés les plus tyranniques, les plus sanguinaires et à les transmettre sans commentaire aucun. C'est d'une manière très sèche que, le 30 germinal an II, l'agent national adresse aux municipalités le rapport de Saint-Just « sur la conjuration de Danton, Philippeaux, Lacroix et C. Desmoulins ». Dès la fin de thermidor, au contraire, le Directoire et le Comité de surveillance, dans un langage dithyrambique, envoyèrent leurs félicitations, le premier à la Convention, l'autre « à ses frères, les braves Parisiens » (Voir Pièces justificatives XX et XXI. A. D. I.-V. 2 L 83c, folio 120 ; 9 M 18).

De telles actions de grâces méritaient certes une récompense. La Convention nationale ne l'oublia pas et décerna une mention honorable au Comité révolutionnaire de Redon avec insertion au bulletin (20 fructidor an II) (Voir Pièces justificatives XXII. A. D. I.-V. 9 M 18).

C'est par de semblables congratulations, de semblables messages, que la période de la réaction thermidorienne s'ouvrait à Redon. Mais bientôt elle allait se marquer d'une manière plus effective par l'épuration des divers corps constitués. Dès le 2 vendémiaire an III l'agent national demandait aux municipalités des renseignements sur la réorganisation des juges de paix et des greffiers (A. D. I.-V. 2 L 95 bis). Le 9, il écrivait aux représentants du peuple composant le Comité de Législation en leur envoyant le tableau général des autorités constituées : « j'ai reçu votre lettre du 28 fructidor, le 4 de ce mois. Je m'empresse de vous faire passer le tableau que vous désirez. J'ai consulté ma probité et la justice, et j'ai, sans partialité, énoncé des vérités connues. Je n'ai point parlé de moi. Il vous est aisé de prendre des renseignements sur ma correspondance avec les Comités de Salut public, de Sûreté générale et les différentes commissions, etc. ».

C'étaient des signes avant-coureurs de réorganisation complète auxquels il était difficile de se tromper. Les correspondances strictement confidentielles se succèdent. Le Département adresse à l'agent national 52 exemplaires d'un arrêté de Boursault, daté du 4 vendémiaire, invitant toutes les administrations à lui envoyer, avant le 19 du mois, la liste de tous les citoyens capables d'occuper les diverses fonctions publiques. En dépit de toute la diligence de l'agent national, l'envoi ne put être fait que le 23. Enfin le 27 vendémiaire, Binet écrivait aux municipalités de Redon, Bains, Renac, Langon, Brain, Sixt. Pipriac, Union-sur-Vilaine (jadis Saint-Nicolas), Avessac, Fégréac, Rieux, Allaire, Saint-Perreux, Saint-Vincent et Beganné : « Je vous préviens que le représentant du peuple Boursault sera au temple de l'Etre Suprême, demain 28, à 10 heures du matin. Il m'a chargé de vous inviter à réunir le plus que vous pourrez d'habitants de votre commune pour se trouver à l'heure indiquée ci-dessus. Je compte assez sur votre patriotisme pour croire que vous n'allez pas perdre un instant pour inviter les citoyens de votre commune à se rendre ici et certes tous les vrais républicains ne manqueront pas de s'y trouver. Il est d'autant plus avantageux pour eux et pour vous d'y venir que le Représentant du Peuple a des Vérités et des Vérités bien consolantes à dire » (A. D. I.-V. 2 L 95 bis).

Nous n'avons aucun détail sur le discours que prononça le représentant Boursault [Note : Boursault était représentant du peuple près les armées des côtes de Brest et de Cherbourg et dans les départements contigus], à peine une indication dans la correspondance de l'agent national qui, le 9 brumaire, écrit en effet, au Comité de Salut public : « Le Représentant du Peuple Boursault a, le 28 vendémiaire dernier, renouvelé les corps constitués de cette ville et a prononcé un discours qui a ranimé l'esprit public : il a parlé le langage de la Vérité, de la Justice et de la Vertu. Les communes des campagnes qui étaient invitées à se rendre ici s'y sont trouvé et ont raconté à ceux qui n'y étaient pas venus les sentiments de fraternité que le représentant leur avait inspirés, ce qui ne contribue pas peu à réveiller l'esprit public des ténèbres où l'avaient plongé un moment de terreur » (Voir Pièces justificatives XVI).

Ce texte est cependant très caractéristique. La venue de Boursault à Redon avait essentiellement pour but d'épurer les corps constitués des plus farouches révolutionnaires. Le 29 vendémiaire, l'agent national avertissait les nouveaux membres qu'il installerait le Comité révolutionnaire, le juge de paix, les administrateurs du district, du Tribunal, du Bureau de conciliation, les officiers municipaux et les notables, le 5 brumaire à 10 heures du matin. Il n'excuserait aucune absence (A. D. I.-V. 2 L 95 bis).

Nous possédons les procès-verbaux d'installation de ces différents corps. La liste des nouveaux membres du Directoire montre qu'il y avait bien véritablement réaction. On n'y retrouve ni Degousée, ni Bastide, ni Le Batteux. Etaient nommés administrateurs du Directoire : Gentil, Saulnier, Thélohan, Molié fils. — Binel restait agent national, Raulin, secrétaire et Duval, receveur. Les administrateurs du Conseil étaient : Marvidès, Matard, Chaillou fils, Boullay fils, Rozy de Lieuron, Gory de Brain, Bouvier de Bains et Barbier père. L'élection du président opérée sur-le-champ par les membres du Conseil général du District désigna Marvidès qui aussitôt prêta le serment requis par la loi (A. D. I.-V. L 342). L'administration centrale ainsi constituée allait, être infiniment plus modérée que la précédente et inaugurer une politique de conciliation à tout prix.

Les autres administrations étaient aussi épurées en ce sens. Le Comité révolutionnaire notamment était presque entièrement renouvelé. Il est vrai de dire qu'à ce moment la loi du 7 fructidor an II, relative à l'organisation des comités révolutionnaires, avait reçu son application. Par cette loi était supprimé tout comité existant dans une commune de moins de 8.000 habitants qui ne serait pas chef-lieu de district. Aucune commune du district de Redon n'atteignait ce chiffre. Aussi vingt comités de surveillance furent supprimés : celui de Redon subsista seul. Or, Boursault avait choisi les membres de ce corps en partie dans les communes voisines du chef-lieu : c'étaient Lallemand père, Grallan aîné, Fouquet, Dazémar, Morlet, Simon, Boterel, Pavin, Fossé père, Pavo fils aîné, Hunault jeune, Fontaine aîné. Leurs noms nous sont presque tous inconnus. Le rôle du Comité révolutionnaire fut désormais bien effacé. L'affaire Le Batteux ne suffit pas à lui donner un regain d'activité ; il ne fit que végéter jusqu'au 30 ventôse an III, date à laquelle il disparut conformément à la loi du 21 précédent (A. D. I.-V. 2 L 95).

De même était profondément modifié le tribunal. Nous nous bornerons à mentionner le nom de ses membres à titre purement documentaire :
Rozy aîné, président.
Le Feuvre, juge.
Chevalier, juge.
Corbière, de Rennes, juge.
Jubault du Plessis, juge.
Gaultier, suppléant.
Blanchet, suppléant.
Malherbe, suppléant.
Malecotte, de Guipry suppléant.
Denis, greffier.
Hunaut aîné, commissaire national (A. D. I.-V. L 342).

Etait créé en outre un Bureau de conciliation qui remplaçait le Bureau de paix, dont les attributions ne nous sont pas très bien connues. Il était composé de six membres et d'un greffier. C'étaient tous des gens âgés — le plus jeune avait 40 ans — et bien posés, des négociants, des propriétaires campagnards et des rentiers. Son rôle étant de « concilier » fut particulièrement effacé. On y trouve quelques membres des administrations antérieures dont l'influence avait été à peu près nulle : Molié père, Maussion, Dumoutier aîné, Le Dault, Ménand, Berranger, Mesnil [Note : A. D. I.-V. 2 L 95. Nous ne parlons pas de l'épuration de la municipalité, ce qui nous ferait sortir des limites de cette étude].

Enfin, dans sept cantons, Boursault nomma les juges de paix. Six d'entre eux furent maintenus en fonctions ; c'étaient les élus de 1792 dont le gouvernement révolutionnaire n'avait jamais pris d'ombrage : Besnier à Redon, Bizeuil à Renac, Garel à Sixt, Rozy à Pipriac, Gourhaud à Guipry et Fromentoux à Maure. Seul le juge de paix de Bains était destitué et remplacé par Villerio, membre du premier Directoire du district (A. D. I.-V. 2 L 95).

La fortune de ces nouveaux administrateurs était singulière. Beaucoup d'entre eux retrouvaient la faveur dont ils avaient joui au temps du Directoire élu. Cependant, il ne faudrait pas croire que la réaction thermidorienne ramenait l'administration du district dans la situation qu'elle occupait en 1790. Les idées avaient progressé : tous ces hommes étaient devenus de sincères républicains. Seuls, les plus ardents des administrateurs de 1790 et de 1792 rentraient dans leurs anciennes places. On se tenait à distance égale de Le Batteux et de Dayot. De nouvelles transformations plus profondes, plus réactionnaires se produiront encore au 3 frimaire an IV (24 novembre 1795). Dominé sera nommé maire de Redon. Mais ce dernier acte nous amènera bien près de l'époque où sombrera le Directoire du District.

La nouvelle orientation du Directoire épuré par Boursault, du quatrième Directoire de Redon, se marque parce qu'on appelle le désarmement des farouches révolutionnaires, par les affaires Bastide et Le Batteux. La loi du 21 germinal an III ordonnait le désarmement de ceux qui avaient participé « aux horreurs commises par la tyrannie qui a précédé le 9 thermidor ». L'administration du District déclara que Bastide et Le Batteux tombaient sous le coup de la loi et les fit désarmer en conséquence. Bref, le 20 floréal, la loi était exécutée. Mais Bastide protesta et demanda quelles étaient au moins les raisons de son désarmement. On fit droit à sa requête.

« Du vingt-deux floréal, l'an 3 de la République française une et indivisible.

Séance publique présidée par le citoyen Gentil, vice-président, où étaient les citoyens Saulnier, Thélohan et Molié, présent le citoyen Binel, procureur-syndic [Note : Le titre et les fonctions d'agent national avaient été supprimés].

L'administration délibérant sur la demande lui faite par le citoyen Bastide de la communication des motifs qui ont autorisé son désarmement, vu la loi du 12 floréal, présent mois ; Arrête, le procureur-syndic entendu, d'y acquiescer. En conséquence elle déclare que le désarmement dudit Bastide résulte de l'ensemble des faits ci-après détaillés qui sont de grande notoriété à Redon.

Le citoyen Bastide, aubergiste, étant membre du Directoire du district de Redon, s'est de lui-même placé à la tête des détachements de la troupe lors commnendée par le citoyen Bouvard, a parcouru les campagnes lors paisibles, y a fait les arrestations arbitraires des citoyens Bernard du Treil, commissaire national près le tribunal de ce district ; Provost, enregistrateur à Guéméné, district de Blain, lesquels amenés à Redon, en ont été transférés aux prisons de Rennes, où, après la Révolution du 9 thermidor, l'un a été acquitté par le Représentant du Peuple, l'autre par le Tribunal Criminel.

Il fut le premier choisi par Le Batteux pour l'opération qui expulsa, de la Société Populaire, nombre de bons citoyens dans un temps où c'était les désigner suspects, les tuer civilement.

Ils s'obstina à porter sur la liste, pour la réformation des autorités constituées, ce Le Batteux, agent de Carrier, que la masse de ses crimes avait enfin fait arrêter.

Il engagea dans ces temps la Société Populaire à prendre parti pour Le Batteux.

Il a brisé des statues, chefs-d'œuvre d'art dans l'église des ci-devant Bénédictins, a faussement dénoncé au club, comme contre-révolutionnaire, le citoyen Lebel, agent de l'exploitation du salpêtre, a dénoncé la citoyenne Lefeuvre, réfugiée à Redon, qui s'était présentée aux autorités constituées de Blain, en conformité de la proclamation des représentants du peuple, laquelle arrêtée en conséquence de cette dénonciation et transférée à Rennes y a été acquittée.

Il a refusé et empêché ses collègues de viser des certificats de civisme et de bons comportements à des patriotes connus, tels que Arnould, procureur de la commune de Guipry, Pavin secrétaire-greffier de cette commune, de Bègues, commandant du bataillon, etc..., n'alléguant que... : « Cet homme-là est un aristocrate ».

Il influença la municipalité pour la faire déclarer Redon ville maritime, ce qui en fit expulser des gens infirmes, sous fortune et autres aussi peu à craindre, etc... [Note : Il faut citer ici une lettre de l'agent national au représentant du peuple à Rennes, le 5 floréal an II. Il y est dit que la loi du 27 germinal interdit aux ex-nobles d'habiter Paris, les places fortes, les villes maritimes. Redon, situé au confluent de la Vilaine et de l'Oust, à 12 lieues de la mer, avec un petit port où se fait le cabotage, doit-il être considéré comme ville maritime ? La municipalité l'a décrété, mais l'avis de l'agent national y est opposé. La municipalité eut gain de cause].

Il a depuis peu, étant au Tribunal de Conciliation, dit au citoyen Duval, caissier de ce district : Vous me mettez le pied sur la gorge, mais ce temps passera » (A. D. I.-V. 2 L 83c, folio 111).

L'affaire Le Batteux fut autrement plus importante et plus complexe. Je résumerai ici, pour plus de clarté, les divers événements de sa vie que nous avons déjà mentionnés à mesure que la nécessité nous l'imposait. Avant la Révolution, Le Batteux était cuisinier chez les Bénédictins. Nous avons vu que Dom Jausions l'accuse formellement d'avoir allumé l'incendie du 14 février 1790 qui consuma une partie de l'abbaye. Dénué de tout préjugé, de tout scrupule, de toute honnêteté, avide de parvenir, il se fait révolutionnaire parce qu'il est poussé par une haine assez explicable contre ses anciens maîtres, mais surtout par ambition. Comment se fit-il connaître ? On ne sait. Toujours est-il qu'à la fin de 1790, il était directeur des Postes. C'était une situation très importante qui le mettait dorénavant en vue. C'est lui qui interceptait toute correspondance suspecte, et devenait ainsi l'instrument le plus essentiel de l'administration du District, en tant que chargée de la police. Les élections de 1792 montrent qu'il est devenu l'âme de la Révolution : il est élu scrutateur, administrateur, etc., et maintenu à l'unanimité à la direction des Postes.

Carrier, lors de sa première mission dans les départements de l'Ouest, le connut. Il comprit qu'il trouverait un aide, un auxiliaire tout dévoué dans cet ardent ambitieux. Aussi, le 4 octobre 1793, le nomme-t-il membre du Comité de surveillance : ses collègues l'appellent à la présidence. C'est Le Batteux qui inaugure la Terreur à Redon. Quelques mois après, Carrier en fait son agent à l'armée des Côtes de Brest. La caisse du district lui prête 4,000 livres dont il ne rembourse que 3,794 livres 14 sols. Ce sera un des prétextes de son arrestation. Il accomplit cette mission avec rigueur, arrêtant, fusillant comme coupables des gens à peine suspects, soulevant après lui une tempête de malédictions et de haines.

Il revient à Redon au début du mois de nivôse an II, et le voilà en butte à l'hostilité des habitants. Le 19, Carrier rend personnellement responsables tous les citoyens de la ville si l'on touche à Le Batteux (Histoire de Redon, p. 284). Ce décret épouvante les Redonnais et l'on n'attaque plus le directeur des Postes, désormais logé au couvent des Calvairiennes. Mais le 16 germinal an II ce sont des menaces écrites qu'il reçoit et qu'il porte immédiatement au Comité révolutionnaire. Je transcris la déposition de Le Batteux en respectant l'orthographe du registre (A. D. I.-V. 9 M 19a).

« Séance du 16 germinal an 2.
Le citoyen Le Batteux a entré, nous a présenté un papié ou est mis en écriture contrefaite : Le Batteux, ta teste paiera tes crimes, nous a dit que ledit papié avait été getté dans la boitte aux lettres, et que plusieurs écritaux semblable avait été affiché aux potteau et calfourts, que Moisant, débitant, Simon, tisserand et Méard jeune en ont arraché ou déchiré plusieurs et a signé et nous a laissé un desdit déchiré. — Batteux ; — Signé : Hervy, Catenos, Le Coquet, Balard, Ménard, Jouppe, Vuillemot, président, Saulnier, secrétaire »
.

Une enquête, ordonnée le 17, démontre la vérité de ces faits, mais elle éveille aussi les soupçons du Comité de surveillance qui, le 11 floréal an II, interroge Le Batteux sur « des propos trop révolutionnaires tenus dans le sein de la Société populaire ».

Le 28 vendémiaire an II, sur l'ordre de Boursault, Le Batteux était arrêté. Mais on le gardait fort mal, si bien que, le jour suivant, on le vit se promener dans les rues de Redon avec les gardes nationaux chargés de sa surveillance. C'est alors que Boursault écrivit de Nantes pour le faire transférer à Rennes (1er brumaire). Sur ces entrefaites, l'ancien président du Comité révolutionnaire tomba malade. On le changea de geôle. Sa femme et son aide furent seuls admis à le visiter, tandis que précédemment beaucoup de personnes venaient le voir, se réunissaient dans sa cellule et faisaient avec lui de la politique jacobine. Il ne tarda pas à se rétablir et, le 8 brumaire il put partir pour Rennes, en charrette, sous l'escorte de deux chasseurs à cheval, douze volontaires et un officier. Le citoyen Hainaut était adjoint à ce détachement en qualité de commissaire près l'accusateur public. A ce moment, le dossier de Le Batteux comptait 64 pièces.

Cependant les plaintes continuaient à affluer contre lui. Le 7 brumaire, c'est le Comité révolutionnaire de Roche-Sauveur qui dénonce ses agissements, lors de sa mission à l'armée le 9, c'est la commune de Malestroit ; le 21, celle de Noyal-Muzillac. Puis c'est une accusation de corruption qui lui est intentée par un certain Dayot, de Ploërmel. Le Comité révolutionnaire de cette ville s'empresse d'en avertir celui de Redon (25 brumaire an III).

« Citoyens, sur l'interrogatoire que nous venons de faire subir au citoyen Dayot de cette commune, sur le fait de savoir de qui il avait appris que le ci-devant marquis de Kerouant aurait fait compter à Le Batteux, chef de l'armée révolutionaire dans le Morbihan, une somme de 200 louis d'or... il nous a répondu qu'il avait ouï dire que ce devait être le citoyen Duprédy qui avait fait le paiement et que c'était Jouanno de Lobo qui avait dû porter cette somme ».

Bref, le 13 pluviôse an III, l'accusateur public près le Tribunal révolutionnaire de Paris accuse réception d'une lettre du 23 frimaire venant du Comité de Redon et de douze pièces à joindre à la procédure Le Batteux.

En effet, Le Batteux avait été transféré à Paris. Deux lettres de Lemoine, accusateur public près le tribunal criminel de Rennes, nous donnent à ce sujet des renseignements précis. Il écrit la première fois, le 27 brumaire an III, qu'il attend l'arrivée de Boursault, le 28, pour savoir s'il faut envoyer Le Batteux au Tribunal révolutionnaire de Paris. Puis, le 20 frimaire, il annonce que « Le Batteux est parti le 18 de ce mois pour le tribunal révolutionnaire où je crois bien qu'il va être jugé avec son protecteur Carrier » [Note : Carrier fut exécuté le 26 frimaire an III (16 décembre 1794)].

Pendant qu'ainsi chacun s'évertuait à perdre l'ancien président du Comité révolutionnaire, sa femme agissait activement en sa faveur. Le 13 frimaire elle obtient que, en vertu de l'article 2 de la loi du 12 brumaire, les scellés soient levés pour qu'elle puisse prendre les papiers nécessaires à la justification de son mari. Puis elle fait rédiger une pétition en forme de certificat relatant les services que Le Batteux a rendus à la République. Cette pièce fut présentée aux officiers municipaux, mais ils refusèrent de la signer dans la crainte de se compromettre. C'était un certain Russel qui était chargé de recueillir les signatures. Il porta la pétition au Comité de surveillance qui, le 7 nivôse an III, décerna un mandat d'amener contre « la citoyenne Jeanne Simon, femme Batteux » (A. D. I.-V. 9 M 19). Interrogée le lendemain, elle refusa de dire qui avait rédigé le certificat. Une expertise en écriture dénonça un fournisseur du nom de Renaud. Il ne semble pas que Renaud ait été inquiété. Quant à la citoyenne Le Batteux, elle fut bientôt remise en liberté.

A partir de ce moment nous perdons la trace de son mari [Note : Nous n'avons pu nous procurer les documents du Tribunal révolutionnaire relatifs à cette affaire]. Des renseignements oraux nous ont permis d'établir qu'il était mort à Redon en 1805 ou 1806. S'il fut jugé avec Carrier, il ne fut donc pas guillotiné comme lui [Note : Cf. abbé Piederrière. Deux pages d'histoire de la Révolution, Rev. de Bretagne et de Vendée, 1860, t. XII, pp. 235 et sqq].

Les deux affaires que nous venons de retracer montrent donc seulement quelle fut la nouvelle orientation des membres du District. Trois grandes questions dominent alors l'administration intérieure du Directoire : les secours à décerner aux indigents, les subsistances et les mesures intérieures.

On sait que la loi du 22 floréal an II prescrivait d'établir des listes d'indigents que devait secourir la République. On sait aussi que la réaction thermidorienne arriva sans que rien ait été fait. Le 5 fructidor, l'agent national prévenait les municipalités de Langon, Sixt, Pipriac, Lassy, Goven, Loutehel, Campel, Les Brûllais et Bruc que, si elles n'obéissaient pas à la loi, sitôt réception de sa lettre, il les dénoncerait à la Commission des Secours publics. Cette menace fit de l'effet sur certaines municipalités, mais trois d'entre elles se montrèrent récalcitrantes. Aussi, Antoine Binel écrit-il le 19 fructidor aux maires de Lassy, Goven et Loutehel pour leur adresser de véhéments reproches et les rendre responsables de leur retard « ... Je vous déclare que si, par la première vedette, je ne reçois pas d'état, votre commune sera malgré moi privée de tous les secours... La loi ne vous donnait que 8 jours pour former vos demandes, voilà trois mois écoulés. C'est sûrement assez et trop retarder à secourir ceux dont les demandes sont faites depuis deux mois et demi que l'on attend les vôtres » (A. D. I.-V. 2 L 95 bi).

Une lettre écrite le même jour au maire de Langon contient des détails très précis sur la répartition des secours. « J'ai reçu ta lettre du 12 de ce mois, par laquelle tu me demandes de t'envoyer un commissaire à tes frais, pour former les demandes en inscription de ceux qui ont droit aux secours ». Après lui avoir répondu que c'est inutile, car les tableaux sont assez explicites, l'agent national ajoute : « D'ailleurs, Citoyen, ne crois pas que tous ceux qui seront portés sur les tableaux auront des secours. Il n'y a pour tout le district que 45 inscriptions, pour tous les cultivateurs vieillards ou infirmes, 22 pour les artisans vieillards et infirmes ; 39, pour les mères et veuves chargées d'enfants et 17 pour les veuves âgées, et je dois au terme de la loi choisir parmi les demandes d'inscription de tout le district, les plus âgés, les plus infirmes, les plus indigents et les mères et veuves les plus surchargées d'enfants et qui en allaitent un ». Il termine par les menaces qu'il faisait aux autres municipalités et reproche en outre au maire de n'avoir pas fait figurer sur les listes des patriotes indigents, reçues il y a quelques jours, un homme veuf chargé de neuf enfants (A. D. I.-V. 2 L 95 bis). Bref, le 11 vendémiaire, la loi du 22 floréal était exécutée.

La Convention avait institué un grand nombre de fêtes philosophiques dont on trouvera l'énumération dans l'Histoire politique de la Révolution, de M. Aulard. Il y en avait une notamment en l'honneur du Malheur ; c'était une fête de bienfaisance. Le 15 frimaire an III, le citoyen Binel adressait aux agents nationaux des communes les listes de secours définitivement arrêtées et les priait d'envoyer à Redon ceux qui y étaient inscrits, le 10 nivôse prochain à 10 heures du matin, à la fête du Malheur. S'il y avait empêchement, les agents nationaux auraient à procurer à l'indigent secouru un remplaçant muni d'un certificat. Le 11 nivôse, l'agent national en rendit compte dans ces termes à la Convention : « ... Après avoir entendu un discours touchant qui fut prononcé par un membre du District, ils (les pauvres) reçurent en présence des autorités constituées, du peuple et des jeunes gens des écoles primaires le paiement de leur premier semestre [Note : Cultivateurs vieillards et infirmes, 160 l. par an ; artisans, 120 l. ; mères et veuves, 60 l.]. La joie était peinte sur toutes les figures. Une musique guerrière fut exécutée dans le temple et cette fête sensible se termina aux cris mille fois répétés de Vive la République ! Vive la Convention nationale ! ».

De tels secours étaient insuffisants, on le comprendra sans peine, étant donné la misère du district. Les difficultés étaient toujours aussi graves et dues aux mêmes raisons : la chouannerie, le manque de fertilité du sol et le maximum. Bien que la loi du maximum ait été rapportée par décret du 3 nivôse an III, les approvisionnements restèrent toujours très difficiles. Le 23 frimaire, Binel avait écrit à l'agent national près de la commune de Redon que les marchés n'étaient pas approvisionnés parce que les cultivateurs étaient la proie de vols continuels : il engageait à y faire placer un commissaire de police. Le 6 nivôse, oublieux de sa propre détresse, il adressait une invitation pressante aux maires, agents nationaux et officiers municipaux de Maure, Guignen, La Chapelle-Bouexic, Baulon, Lassy et Campel, d'envoyer des denrées aux marchés de Rennes (A. D. I.-V. 2 L 95 bis. Voir Pièces justificatives XXIII).

Est-il besoin d'ajouter que les plaintes, les menaces de l'agent national étaient constantes en ce qui concernait l'approvisionnement des marchés de Redon [Note : Le 5 nivôse an III, le Directoire appuie la pétition de la municipalité de Redon pour obtenir de Lorient des denrées de première nécessité]. La crainte des réquisitions exagérées et abusives écartait tout le monde du commerce. Le 4 vendémiaire an III, l'agent national eut à se plaindre à la Commission de la marine et des colonies d'une corvette stationnée dans la Vilaine qui avait indûment saisi beaucoup de cidre et plus de 100 barriques de vin qui arrivaient par eau dans la ville. De nouvelles protestations furent faites le 9 vendémiaire et le 30 brumaire.

Il n'est donc pas étonnant que le prix des denrées ait considérablement augmenté et que celui du pain ait été fixé pour le mois de brumaire an IV à 33 livres 6 sols 8 deniers en assignats la livre.

Au cours de l'administration du dernier Directoire, divers arrêtés durent donc être pris en vue de réduire les effets de la misère. Le 22 prairial an II, le blé noir récolté sur les biens d'émigrés de la commune de Pipriac fut distribué aux habitants pour semence. Le 28 prairial, même arrêté en faveur des communes de Bruc et de Comblessac. Enfin, le 2 pluviôse an III, la disette étant extrême à Redon, les habitants, dont les besoins étaient les plus pressants reçurent les blés noirs « récoltés sur les biens de la patrie ».

Des difficultés très graves surgissaient en outre entre le Directoire et les communes. Celle de Brain notamment, qui n'avait pas obéi à l'arrêté du 21 thermidor an II, fut obligée par un arrêté du 4 pluviôse an III de fournir la somme totale des denrées qu'elle aurait dû apporter : 240 demés de blé, soit 120 au marché de septidi (lundi 26 janvier 1795) et 120 au marché suivant. Il fallait ainsi vaincre de nouveaux obstacles à propos de chaque loi, de chaque arrêté : loi du 9 messidor an II, sur le recensement des grains, loi du 25 vendémiaire an III, loi du 7 fructidor an II, relative au renouvellement par tiers des comités révolutionnaires, etc...

Nous mentionnerons en terminant, l'obligation dans laquelle se trouvait l'agent national d'envoyer tous les trois mois la liste des 37 citoyens du District devant former le jury d'accusation et le jury de jugement près du tribunal criminel de Rennes. C'est qu'en effet, la chouannerie durait encore : les campagnes s'étaient soulevées avec un regain de violence, les condamnations s'étaient multipliées. En dépit de la modération évidente de l'administration thermidorienne, il lui avait fallu lutter avec vigueur contre les soulèvements et les rébellions des campagnes.

(Léon DUBREUIL).

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