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District de Redon : Les affaires ecclésiastiques du district de Redon.

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SOMMAIRE. - 1° Les Bénédictins. — 2° Ursulines et Calvairiennes. — 3° Prêtres insermentés ; affaire Dayot ; biens nationaux de 1ère origine. — 4° Prêtres assermentés nommés par Claude Le Coz. — 5° Premiers troubles : armée, garde nationale.

Bien plus encore que l'administration, bien plus que les travaux publics, les affaires ecclésiastiques occupèrent le Directoire élu. De nombreux couvents étaient bâtis dans l'étendue du District. La ville de Redon possédait à elle seule une abbaye de Bénédictins et deux couvents d'Ursulines et de Calvairiennes.

Lorsqu'eurent lieu les élections du 21 juin 1790, le deuxième incendie de l'abbaye des Bénédictins venait d'éclater (14 février 1790). « C'était le temps, dit Dom Jausions, où, par toute la France, les châteaux brûlaient sans que le pouvoir fût assez fort pour punir les incendiaires. Le roi avait les mains liées, et l'Assemblée laissait passer la justice du peuple. Ce fut aussi la haine des droits seigneuriaux, le désir d'anéantir les titres de l'abbaye qui poussa l'incendiaire, chef des conspirateurs révolutionnaires du pays. Le feu se déclara dans les bâtiments qui contenaient le chartrier, la procure et la bibliothèque. Les malintentionnés profitèrent du tumulte pour s'introduire dans ces précieux dépôts ; et, comme nous l'a dit un témoin oculaire, qui était alors tout enfant, on gaspillait, on jetait, on déchirait les chartes, les registres, les manuscrits et les livres, en les précipitant par les fenêtres sous prétexte de les sauver.

Ce qu'on put arracher aux flammes et au pillage fut déposé chez le procureur fiscal de l'abbaye ; mais aussitôt on le menaça, par des lettres anonymes, de mettre le feu à la maison, s'il y conservait les papiers ; et, comme de nouveaux incendies, allumés chaque jour dans la ville et les campagnes environnantes, répandaient partout la terreur, le procureur fiscal, craignant pour sa sûreté et surtout pour celle de ses voisins, fit porter à la municipalité ce qui restait des titres du monastère. Personne ne voulant se charger d'un aussi dangereux dépôt, on le plaça sous des tentes, sur la place publique ; et le conseil de la commune accédant à la requête présentée le 16 février par les Bénédictins fit faire bonne garde autour de ces tentes. Quand on crut que les précautions étaient bien prises pour empêcher un nouveau malheur on reporta ces papiers à l'abbaye.

Mais il était évident que les religieux ne pouvaient songer à réparer ce désastre. Ils se réfugièrent dans les bâtiments non incendiés, en attendant qu'on vînt les chasser, au nom de la loi, de ce dernier asile ».

Quoi que nous puissions penser de la manière dont l'auteur de l'Histoire de Redon apprécie les faits, il reste cependant vrai que l'abbaye fut incendiée le 14 février 1790 par haine des droits seigneuriaux, et que la veille, le 13 février 1790, l'Assemblée nationale avait aboli les vœux monastiques en France., permettant « aux victimes du cloître » de rentrer dans la société civile [Note : Bien entendu, nous ne songeons à établir aucune corrélation entre le décret de l'Assemblée et l'incendie de l'abbaye. Tout dérive d'un même mouvement d'esprit beaucoup plus général]. Le Directoire allait avoir à envisager la situation créée par ces deux événements.

Dès le lendemain de son entrée en charge, le 3 août 1790, il est saisi d'une requête présentée par les religieux bénédictins de Redon aux fins d'examen de compte. Avis favorable ayant été donné, le compte fut présenté le 4 août par dom Vautey ; on en commença l'examen le jour même et le lendemain on s'inquiéta de former un état général des revenus et charges de l'abbaye de Redon.

Tout aussitôt une série de questions complexes se présente aux membres du Directoire. Aussi le 21 août 1790 adressent-ils une demande d'audience au Directoire du Département pour l'un d'entre eux, relativement à la décharge qu'il convient d'accorder aux Bénédictins. Déjà plusieurs de ces religieux étaient partis et les autres n'attendaient pour les imiter que d'avoir reçu leur décharge, après apuration des comptes. Mais il y a bien des difficultés et, cette opération se fait lentement : on est en droit de soupçonner que du linge, de l'argenterie ont été enlevés par les moines lors de l'incendie du 14 février. En somme le Directoire désire savoir de quel mobilier les religieux peuvent disposer, ce qu'on peut et doit leur livrer en les congédiant, ce qu'on doit faire pour assurer la rentrée des objets actuellement disparus.

En effet, le 9 août 1790, conformément à l'arrêté de l'Assemblée nationale du 13 février, les Bénédictins avaient été appelés devant le conseil de la commune pour déclarer leurs intentions, soit de rester fidèles à leurs vœux, soit de rentrer dans la vie civile (A. D. I.-V. 2 L 81a). Dom Le Breton [Note : Kerviler, Recherches et Notices sur les députés de la Bretagne, etc., 2ème vol. — Article : Le Breton], prieur de l'abbaye, membre de l'Assemblée nationale, profita immédiatement des avantages de la loi. Quelque temps après il fut imité par dom Laurent Billard, dom Claude Rabany et dom Sébastien Vautey, celui-ci le 31 décembre 1790. Trois Bénédictins seulement restèrent fidèles à leurs vœux : le sous-prieur dom Basille que Carrier fit noyer à Nantes en 1793 ; dom Radiguel, âgé de 70 ans et dom Guimond de la Rifaudière. Deux autres étaient absents de l'abbaye, le 9 août 1790 : dom Pichon embrassa avec ardeur la cause révolutionnaire, tandis que dom Linois se retirait dans un monastère de Trappistes (3).

Or, le 24 août, le substitut du procureur-syndic, Villerio, apprit que les Bénédictins étaient partis le matin « sans en avoir conféré avec le Directoire à qui ils devaient la représentation des objets ci-devant inventoriés ». Ils ont fait emporter, sans nul droit, des malles et des ballots par des messagers de Nantes et de Rennes, ils ont vendu des meubles et du vin en sorte « que cette conduite renferme une contravention manifeste aux décrets de l'Assemblée nationale que les corps administratifs sont dans l'obligation de faire observer... ». Le Directoire prit donc un arrêté par lequel il renonçait à faire arrêter les ballots aux messageries de Nantes et de Rennes, car ils ne contiennent que des effets, mais se réservait le droit de priver les Bénédictins de la pension qui leur était allouée par les décrets de l'Assemblée nationale, s'il y a contravention. En effet, les religieux réguliers sont soumis aux mêmes lois que les séculiers : on leur enlève tous leurs biens, mais on leur donne un traitement.

Ce départ subit causa une grande émotion dans la ville de Redon, non pas qu'on regrettât beaucoup les Bénédictins auxquels la population était assez hostile, mais parce que l'église Saint-Sauveur allait être privée des cérémonies du culte. Le procureur-syndic s'en inquiéta et le lendemain 25 août faisait part, en ces termes, de ses appréhensions au Directoire : « Messieurs, les Religieux Bénédictins de Redon nous ont remis les clefs de l'abbaye : dès lundi ils ont fermé leur église, et mercredi matin, ils ont tous quitté la ville : sur quoi j'aurai l'honneur de vous observer que le public habitué depuis des siècles à jouir des avantages d'une seconde église, ou régulièrement tous les jours l'office divin s'y célébrait à des heures fixes, s'en verrait peut-être privé à regret et particulièrement des messes qui s'y disaient à six et à onze heures du matin.

Notre devoir, Messieurs, n'est-il pas d'aller au-devant des vœux que ne tarderaient pas sans doute à manifester les habitants de Redon et de leur prouver notre zèle pour tout ce qui peut concerner leur bonheur ou leur satisfaction ? ». Le Directoire, mû des mêmes sentiments, arrêta que « provisoirement et jusqu'à ce que des circonstances particulières le déterminent à prendre d'autres arrangements, il sera célébré, dans l'église Saint-Sauveur de Redon, tous les jours de chaque semaine, deux messes : la première à six heures du matin en été et à sept heures en hiver, et la seconde à neuf heures, à l'exception des dimanches et fêtes où elle se dira à onze suivant l'usage. Arrête en outre que ladite Eglise sera ouverte tous les jours jusqu'à midi, que le Saint-Sacrement continuera d'y être exposé de la même manière qu'autrefois à la vénération des fidèles, et qu'au surplus un des deux ecclésiastiques, qui y diront la messe, sera chargé de recevoir les offrandes que chacun jugera à propos d'y apporter, pour le produit, ainsi que celui des chaises, être employé, comme par le passé, à l'entretien des autels et de leurs ministres, sauf en cas d'insuffisance à y être pourvu par le Directoire » (A. D. I.-V. 2 L 81a).

Ayant ainsi paré à toutes les réclamations possibles des habitants de Redon, le Directoire poursuivit la tâche qu'il avait entreprise, l'apuration des comptes des Bénédictins et les profits à tirer des biens qu'ils laissaient. D'abord il s'agit d'entretenir le bâtiment dont il est possible de tirer un parti considérable [Note : Le 5 fructidor an II, le Directoire et le Comité révolutionnaire s'en partageaient une partie. A. D. I.-V. 2 L 95 bis]. Un portier est nommé à l'abbaye, qui reçoit, comme rémunération, le logement gratuit pour lui et sa famille, et le produit du jardin. — Le 2 septembre, le Directoire appuie la municipalité qui demande des réparations à la maison conventuelle « pour empêcher la ruine totale et conserver à la nation une propriété aussi précieuse ». Le 4 octobre (A. D. I.-V. 2 L 81a, p. 29) on décide de supprimer les armoiries apposées « au-dehors et au-dedans de la ci-devant communauté des Bénédictins ». Trois jours après, à la suite d'une ordonnance du Département, en date du 27 septembre, le Directoire du District arrête de mettre en adjudication au rabais les réparations à effectuer, tant à la maison conventuelle qu'à l'église Saint-Sauveur. Enfin, après une protestation énergique du procureur-syndic, le 20 novembre, à cause de la trop grande lenteur apportée aux réparations, alors que l'abbaye pouvait être utilisée par la Nation et que « les ouvriers et manœuvres de cette ville qui étaient sans ouvrage pouvaient se porter à des excès désolants, » on obtient l'autorisation de vendre pour 5,000 francs d'argenterie et d'ornements d'église.

Pendant toute la durée de sa gestion, le Directoire administra ou afferma les propriétés des Bénédictins pour son propre compte. Le Département, à des renseignements demandés le 22 septembre, lui avait, en effet, répondu que les dettes exigibles de l'abbaye de Redon devaient être acquittées par la caisse du District, mais qu'en retour le District pouvait jouir des propriétés des religieux.

Enfin, à diverses requêtes présentées successivement par dom Radiguel, dom Vautey, Le Breton, pour obtenir le paiement de leur pension, le Directoire répond avec énergie, le 12 novembre 1790. « Le Directoire, vu ce qui résulte du décret de l'Assemblée nationale du 13 novembre 1789, revêtu de lettres patentes du 18 dudit mois et d'autres postérieures concernant les déclarations frauduleuses, les spoliations et déprédations dont les religieux se seraient rendus coupables, est d'avis que comme ayant participé à celles commises à l'abbaye de Redon, le suppliant lui semble devoir être, conformément auxdits lois, déclaré déchu de tout droit aux traitements ou pensions ecclésiastiques ou religieuses... ».

Ainsi se réglait en novembre 1790 la question des Bénédictins. Le Directoire se saisissait de leurs biens, liquidait leurs dettes, devenait propriétaire exploitant au lieu et place des anciens moines, et comme ceux-ci, d'après les inventaires établis par Le Marchant et Villerio, commissaires délégués à l'abbaye, étaient convaincus d'avoir emporté certains objets en dépit des lois de l'Assemblée nationale, après avoir versé plusieurs quartiers de pension, il refusait en définitive de payer plus longtemps.

Il y avait aussi à Redon, comme nous avons eu l'occasion de le dire, deux couvents de religieuses : celui des Ursulines et celui des Calvairiennes. Dès le 23 septembre 1790, les Ursulines présentèrent au Directoire une requête portant soumission d'acquérir des biens nationaux dépendant « de l'abbaye de cette ville et situés tant sous le ressort de ce District que sous celui de Blain, pour la somme de 78,300 livres, offrant pour cet objet la remise d'une créance de pareille somme leur due aux fins de constituts à leur profit, créés par le Clergé de France, par le chapitre de Vannes, et par les ci-devant abbayes de Redon et de Saint-Gildas-des-Bois dont les biens sont aujourd'hui à la disposition de la nation et de plus grande somme en cas d'insuffisance ».

Mais le Directoire se défiait et le 1er octobre rejetait en fait la requête. Bien qu'il soit « vraiment avantageux à la Nation de se libérer d'une manière aussi peu dispendieuse, » il refusait de recevoir « ladite soumission jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait statué sur le traitement à faire aux communautés chargées de l'éducation publique, ainsi qu'elle en a clairement annoncé l'intention par l'art. 2 de son décret du 13 février 1790 ... » (A. D. I.-V. 2 L 81a).

Les Ursulines ne furent pas satisfaites, et, dès le 11 octobre, le Directoire examinait une nouvelle requête tendant à la liquidation de leur créance sur le Clergé de France et de plusieurs marchés passés avec les Bénédictins. Ces dettes, on le sait, étaient dues dorénavant par l'État. Il s'agissait de créer au District des embarras financiers. Le Directoire, animé du meilleur esprit de justice, reconnut la créance des Ursulines « pour 652 livres de rente nette jusqu'au remboursement des 13,600 livres de capital » et demanda « qu'attendu l'épuisement de la caisse du District de Redon, le Directoire du Département de l'Isle-et-Vilaine pourvût à ce paiement » (A. D. I.-V. 2 L 81a).

On s'occupa alors presque exclusivement du traitement auquel ces religieuses avaient droit. Cependant plusieurs incidents survinrent. Jusqu'à l'automne de 1792, les communautés avaient été tolérées. Le 26 juillet 1792 encore, Jean Daniel arrivait à Redon comme chapelain des Calvairiennes et faisait sa déclaration en ce sens. « Mais le 17 septembre, sur le réquisitoire du procureur de la commune, quatre commissaires furent nommés par le corps municipal à l'effet de se transporter dans les deux communautés existantes dans cette ville, dont l'une Calvairiennes et l'autre Ursulines... lesquels procèderont incessamment à la vérification de l'existence des effets inventoriés et dresseront l'inventaire de l'argenterie et livres communs, vases et ornements de l'Eglise, tableaux et monuments des arts, à la charge à eux, en outre, d'observer les autres formalités prescrites par la loi » (Histoire de Redon, chap. XI, pp. 264-267). Ces « autres formalités » n'étaient autres que la signification du décret d'expulsion. Il fut exécuté le 5 octobre 1792. « ... Les Ursulines se retirèrent à la maison Collet qu'elles affermèrent pour y demeurer toutes ensembles ; et elles vécurent ainsi pendant quatre ou cinq mois. Au bout de ce temps, les municipaux leur ordonnèrent de se séparer. Quelques infirmes obtinrent la permission de rester à la maison Collet, avec un petit nombre de leurs sœurs pour les soigner ».

Quant aux Calvairiennes, elles se réunirent aussi dans une maison particulière, mais le 9 mars 1793, à la suite d'une délibération de la commune, des commissaires furent nommés « à l'effet de se transporter à la maison qu'occupent les ci-devant Calvairiennes, pour, en conformité de la loi et l'arrêté du Département, leur notifier qu'elles aient à se retirer dans le délai de huit jours, où il leur plaira fixer leur domicile, et ne demeurer ensemble au delà du nombre de trois ... » (Histoire de Redon, chap. XI, pp. 264-267).

C'est pendant leur séjour à la maison Collet que les Ursulines eurent maille à partir avec l'administration centrale du District. Le 18 février 1793, le Directoire reçut avis que les « ci-devant Ursulines » de Redon vivaient en commun au nombre de seize ou dix-sept, retiraient, chez elles des prêtres réfractaires pour y dire des messes, avaient à leur disposition les reliques de Saint-Clément, des vases sacrés, des ornements et « autres effets mobiliers appartenans à la Nation, dont elles font un usage abusif et contraire à l'esprit des lois ». « Le Directoire... considérant qu'il est de l'intérêt de la République de recouvrer autant qu'il est possible les objets spoliés, et d'empêcher surtout que les reliques, vases sacrés et ornemens ne servent à entretenir le fanatisme, arrête de prévenir la municipalité de descendre aujourd'huy chez les dites Dames ci-devant Ursulines, soit pour y faire arrêter les prêtres réfractaires qui pourraient s'y trouver, soit pour s'emparer des reliques de saint Clément, etc... » (A. D. I.-V. 2 L 82c). En outre, la municipalité ayant désiré être accompagnée de deux commissaires du District, le Directoire nomma à cet effet les citoyens Bellouard et Gentil.

La descente produisit d'heureux résultats — non qu'on ait trouvé des prêtres réfractaires, mais parce qu'elle permit de rentrer en possession des vases sacrés et des ornements enlevés. Tous ces biens furent laissés à la garde et sous la responsabilité « de la citoyenne Bain, ex-prieure des Ursulines de Redon ». Après le départ des Ursulines, sur l'ordre de la municipalité, Lallemand et Le Batteux furent nommés commissaires pour enlever les objets saisis. Le Batteux surtout était très apprécié pour ces sortes de besognes. Le 16 juin, le maire de Redon et trois volontaires du 4ème bataillon de Seine-et-Marne, en garnison à Redon, ayant affirmé que l'on trouverait dans un grenier et dans une petite maison située au fond du jardin des Ursulines divers effets et ornements spoliés, ce fut encore Le Batteux qui, de concert avec Molié, fut chargé du procès-verbal. — Trois jours après, Le Batteux et Lallemand étaient de nouveau nommés commissaires pour s'entendre avec deux commissaires de la municipalité et dresser procès-verbal des effets laissés dans les sacristies des Ursulines et des Calvairiennes.

Reste donc à étudier succinctement la question du traitement des unes et des autres. On sait que l'Assemblée nationale, lorsqu'elle s'empara des biens du Clergé, promit un traitement ou une pension à tous ses membres. C'était cette pension qu'il s'agissait de fixer. Le 26 janvier 1791, le Directoire arrêtait que les Calvairiennes recevraient un traitement provisoire de 3,000 livres, à charge d'acquitter les honoraires du chapelain, des domestiques, de fournir le luminaire, de faire blanchir les linges de leur chapelle, et enfin de faire les réparations locatives de leurs maisons et enclos. Le lendemain, 27, les Ursulines recevaient un traitement provisoire de 7,400 livres aux mêmes conditions (A. D. I.-V. 2 L 81a).

Le 19 février, le traitement des premières fut porté à 4,000 livres et celui des Ursulines à. 11,250 livres. Chaque religieuse de choeur recevait ainsi 300 livres et chaque sœur converse seulement 150 (A. D. I.-V. 2 L 81b).

Enfin, le 25 février 1792 (A. D. I.-V. 2 L 82a), la proposition Dominé tendant à fixer définitivement le traitement des sœurs des deux communautés était adoptée. On versait, par quartier, une somme globale de 11,500 livres et aux Calvairiennes une somme globale de 4,500 livres. — Le 30 avril 1793 on liquidait des communautés du District : les Calvairiennes (13 religieuses de chœur, 4 converses) reçurent 9,233 livres, 6 sols, 8 deniers ; les filles de Saint-Thomas de Villeneuve, à Guignen (3 sœurs, une converse) reçurent 1,733 livres, 6 sols, 8 deniers (A. D. I.-V. 2 L 82c).

Les Ursulines, qui avaient été en butte à la suspicion légitime du Directoire, devaient, pour recevoir leur traitement, se conformer à la déclaration de l'art. 25, titre V, de la loi du 18 août 1792, c'est-à-dire rentrer dans la vie civile (29 août 1793). Peu après, les Calvairiennes furent mises dans la même nécessité. Les unes et les autres refusèrent. Deux religieuses seulement obéirent aux lois comme l'indique « l'Etat des ci-devant religieux des deux sexes et ecclésiastiques » arrêté le 16 thermidor an III (A. D. L-V. 2 L 90). C'étaient Françoise Thelerbe, née en mars 1738, ex-religieuse calvairienne, qui touchait 600 livres de pension, et Marie Damond, née en décembre 1759, ex-religieuse ursuline, qui touchait 500 livres.

Ainsi, en mai 1793, le Directoire était complètement débarrassé du clergé régulier. Il y trouvait un double avantage : d'abord il était délivré d'une partie des agitateurs possibles, et non les moins turbulents ; ensuite il faisait une excellente opération par l'acquêt ipso facto de leurs possessions. En effet, les biens immobiliers de première origine qui furent vendus par le Directoire rapportèrent 687,257 livres. Dans cette somme les 49 immeubles de l'abbaye bénédictine entraient pour 212,555 livres. L'enclos du Calvaire seul était évalué 75,000 liv.

L'abbaye de Bains rapportait 60,434 livres pour 13 immeubles, et la communauté des Ursulines 19,905 livres pour 8 immeubles (A. D. I.-V. 1 Q 345. — Consulter le 5ème appendice).

On peut se rendre compte par ce seul fait de l'influence qu'auraient eue religieux et religieuses dans un District dont ils possédaient une partie si considérable. Le Directoire allait cependant avoir à lutter contre le clergé, contre les très nombreux prêtres réfractaires cachés dans la campagne.

De très bonne heure les difficultés avaient commencé, malgré l'esprit de conciliation des administrateurs. Le 8 février 1791, le Directoire décide, en effet, pour ne pas priver les Redonais d'un prédicateur pendant le Carême et l'Avent, de faire venir le P. Joseph, de Saint-Brieuc, capucin et vicaire du Croisic. Il recevra 180 livres pour le Carême et 120 livres pour l'Avent. Ces 300 livres seront prises sur les revenus des Bénédictins (A. D. I.-V. 2 L 81b).

L'administration suivit en outre les indications que lui avait données le Département par une lettre du 21 février 1791. Elle arrêta en conséquence « de payer à tous les curés et vicaires de ce District, quoiqu'aucun n'ait prêté le serment, une somme proportionnée au traitement fixé pour chacun d'eux par les décrets de l'Assemblée nationale, sauf plus ample somme qui serait jugée leur revenir par la suite... ».

Aussi la question des traitements ecclésiastiques occupa-t-elle souvent le Directoire qui n'hésita jamais à ordonnancer les paiements même d'avance. Les curés ne lui en surent aucun gré et agirent en ennemis de l'administration du District parce qu'elle avait été instituée par le gouvernement révolutionnaire de la Constituante. Nous avons eu l'occasion de voir que le 15 avril 1791, le Directoire avait dû destituer le sieur Poisson, curé à Bains, comme maire et assesseur du juge du paix.

Le 20 mai suivant éclate l'affaire Kersauson. Kersauson était un ecclésiastique de Redon, coupable de faits répréhensibles et dénoncé au Directoire. Ce prêtre « se répand journellement, dit la dénonciation, en présence des ouvriers et du public, en propos les plus indécents et les plus atroces, tant contre l'Assemblée nationale et ses décrets que contre les divers corps administratifs et les personnes attachées à la constitution du royaume, etc... ». Le Directoire y répondit par un arrêté très énergique. « Le Directoire... vu la dénonciation ci-dessus... regrette d'avoir à se plaindre des ministres d'une religion de paix et de charité, dont on ne devrait attendre que des leçons et des exemples de soumission à la Loi et de respect pour les législateurs, mais ne pouvant se dissimuler les dangers de la conduite qu'on reproche à l'ecclésiastique dont il s'agit, dangers d'autant plus grands que son ministère lui donne plus d'influence et d'ascendant sur l'esprit de la multitude... » remet la dénonciation à l'accusateur public.

Or l'accusateur public était ennemi du régime nouveau et, le 28 mai 1791, le Directoire avait à délibérer sur le rapport d'un de ses membres relatif aux suites données à l'affaire Kersauson. Dans une conversation à laquelle assistaient deux membres du District, l'accusateur déclara, en public, avec des propos malveillants, qu'il n'avait pas voulu poursuivre cette affaire. Le Directoire, justement irrité, envoya le dossier au Département pour qu'il lui donnât une solution. La réponse se fit attendre quelque temps, mais enfin, le 18 juillet, il fut entendu que les affaires ecclésiastiques seraient du ressort de l'administration générale du District, avec recours à l'administration du Département (A. D. I.-V. 2 L 81b).

Les faits analogues semblent avoir été très nombreux à cette époque, d'autant plus qu'aucun prêtre n'avait consenti à jurer la constitution civile du clergé. Conformément à une loi postérieure, le 21 juillet 1792, le Directoire adressait au Département la liste des ecclésiastiques résidant dans le District de Redon, avec avis que certains d'entre eux fussent autorisés à rester dans leur domicile actuel. Le Directoire fut encore là extrêmement libéral : il donna des autorisations nombreuses et revint même sur certaines décisions trop sévères. C'est ainsi que le 3 septembre 1792, il autorisait le sieur Roul, prêtre, à ne pas quitter son domicile, car il est « constant que depuis quinze à vingt ans le sr Roul est attaqué d'une affection nerveuse accompagnée de vapeurs hystériques » [Note : A. D. I.-V. 2 L 82b. Consulter Debidour : Les Rapports de l'Eglise et de l'Etat en France].

Tous les prêtres qui n'avaient pas reçu semblable autorisation devaient être déportés. La plupart s'enfuirent en Espagne ou en Angleterre. Beaucoup d'entre eux se cachèrent dans la campagne et le secret fut gardé de telle façon que très peu de ces prêtres purent être capturés. Toutefois, le 10 novembre, on s'empara du sieur Poisson, ex-curé à Bains, caché chez une demoiselle Gatechaire. L'un et l'autre furent déférés au tribunal criminel de Rennes [Note : Le 5 février 1790 on avait arrêté le sr Guimarel, chapelain de la Trêve Saint-Jean-des-Pilleurs, en Bains].

Déjà le 8 janvier 1791, le procureur-syndic avait accompagné à Nantes les objets d'or et d'argent enlevés aux églises. Le lendemain, sur un arrêté du Conseil général d'Isle-et-Vilaine, en date du 26 décembre, le citoyen Bellouard fut délégué pour fermer provisoirement à Bains l'église tréviale de Saint-Marcelin et les chapelles de Sainte-Magdelaine, Saint-Jean-des Pilleurs et Saint-Méen. De même devaient être fermées toutes les chapelles non desservies par des prêtres assermentés.

En dépit des soins du Directoire, aucun ecclésiastique, nous l'avons dit, n'avait consenti à prêter serment à la constitution civile du Clergé. Dans ces conditions il devenait impossible de faire célébrer les offices et le Directoire était encore trop attaché au catholicisme pour songer à la complète « déchristianisation » des campagnes. L'eût-il voulu que c'eût été une tâche impossible. Or Rennes possédait, depuis le mois de mai 1791, un évêque constitutionnel, Claude Le Coz. Le Directoire de Redon lui avait souhaité la bienvenue en termes enthousiastes (Voir Pièces justificatives), dès le 17 mai 1791.

Quelque temps après, le 26 septembre 1791, à propos d'une ordonnance de l'évêque, une discussion orageuse avait éclaté au sein du Directoire. Villerio avait reçu, le 24 septembre, 26 exemplaires en placard d'une ordonnance de Le Coz. Le procureur-syndic était prié de l'envoyer dans toutes les paroisses du ressort pour être lue au prône, affichée dans toutes les sacristies « et partout où besoin sera pour faire renaître l'ordre trop long tems troublé par le fanatisme ». Le paquet était venu sous le couvert du Département, mais n'avait rien d'officiel. La discussion s'engagea sur le point de savoir s'il fallait envoyer l'ordonnance aux curés ou aux municipalités. Dayot tenait, pour les curés auxquels il avait fait parvenir toutes les circulaires précédentes. Villerio, au contraire, voulait qu'elle fût adressée aux municipalités, sous le prétexte fondé que tous les prêtres sont non-conformistes et ne reconnaissent pas l'évêque. Dominé appuya la motion du procureur-syndic et, malgré l'opposition de Gory, il ne fut pas délibéré à ce sujet. Gory et Villerio avaient alors protesté en ces termes : « ... protestons de l'illégalité dudit envoi comme de son inutilité et déclarons au surplus que les suites qui peuvent en résulter restent aux périls et fortunes dudit procureur-syndic... » (A. D. I.-V. 2 L 81c).

C'est à l'évêque constitutionnel, cause involontaire de tels dissentiments, que le Directoire demanda des prêtres assermentés. Déjà, le 10 octobre 1792, la commune avait demandé un curé conformiste. Sa requête, appuyée par l'administration centrale, fut prise en considération et une lettre de Le Coz, écrite de Rennes le 23 décembre 1792, annonçait qu'il envoyait provisoirement à Renac, le citoyen Devars et à Redon, le citoyen Degousée. D'autre part il disait que le citoyen Ferrand, second vicaire de Saint-Sulpice, à Paris, consentirait à venir dans le District de Redon s'il était élu à une cure un peu importante. Enfin il demandait s'il était possible de placer près de Redon le citoyen Decamps, vicaire épiscopal d'Evreux. Ni Ferrand, ni Decamps ne vinrent dans le district. Seuls, Devars et Degousée, auxquels s'adjoignirent peu après les citoyens Gourhaud et Rivierre, remplirent les fonctions ecclésiastiques de l'aveu de l'administration. Devars et Degousée, lorsque les curés assermentés se démirent de leurs fonctions, ne tardèrent pas à se marier l'un et l'autre.

Auguste-Alexandre-Marie-Anne Devars était né le 17 mai 1756 et avait été baptisé le même jour à la paroisse de Saint-Sauveur de Quimper. — Jean-Baptiste-Constant Degousée était né le 2 octobre 1754 à Ohain, en Hainaut, diocèse de Cambrai (A. D. I.-V. 2 L 90). Le rôle du premier semble avoir été assez effacé. Quant à Degousée, il ne devait pas tarder à diriger d'une manière effective les opérations du Directoire. C'était un homme d'une grande sincérité, persuadé que la Révolution était un acheminement vers plus de perfection. Même dans les années 1793 et 1794, lorsque les pires excès se déchaînèrent sur la France, il conserva toujours une grande dignité et une foi invincible dans l'avenir. Aussi ne peut-on expliquer que par la passion le jugement que porte sur lui l'historien de Redon (Histoire de Redon, chap. XI, pp. 270-271) : « Le 7 février 1793, dit-il [Note : Il y a là une légère erreur. L'arrêté est du 16 janvier 1793 ; A. D. I.-V. 2 L 82c], on s'occupait de lui fournir un logement dans l'abbaye qui était depuis longtemps disponible. Cette mesure était le complément d'une autre décision municipale ayant pour but de faire transférer l'office de la paroisse dans l'Eglise Saint-Sauveur…. Il (Degousée) n'avait d'ailleurs la confiance de personne, si ce n'est des meneurs du parti républicain : encore ceux-ci n'assistaient-ils à ses offices que par civisisne et non par conviction religieuse ».

Il est bien certain que Degousée eut seulement la confiance des quelques citoyens qui représentèrent la Révolution dans le District, mais le fait seul qu'il ne fut jamais inquiété par les contre-révolutionnaires, est une preuve de ce que nous avançons.

En effet, depuis quelque temps, une sourde agitation couvait dans les campagnes. De très bonne heure, le 6 septembre 1791, le Directoire avait délégué Hénault et Bellouard en qualité de commissaires pour connaître la cause des rassemblements nocturnes tenus depuis huit ou dix jours et les faire cesser par la persuasion (A. D. I.-V. 2 L 81c).

Le 8 septembre de la même année, le Directoire était averti que des attroupements d'hommes armés avaient lieu à Bain et à Maure, dans le but de s'opposer à la déportation de leurs prêtres. C'est qu'en effet le lendemain, dimanche 9 septembre, la loi sur la déportation des prêtres non conformistes et les prêtres fonctionnaires publics devait être affichée dans toutes les paroisses du District. Des commissaires furent envoyés à cet effet : le procureur-syndic Dayot à Brain, Baudaire et Gentil à Maure. L'émeute fut arrêtée cette fois au moins par l'action rapide de l'administration. Ce ne devait être qu'à la fin de mars 1793 que Redon allait être sérieusement menacé. Certains agents du District étaient d'ailleurs loin d'être sûrs et c'est ce qui résulte des affaires Dayot et Marti.

Le 13 mars 1793, Lesage, avoué près le tribunal du District et Duval fils, aubergiste au bourg de Maure, dénoncèrent au Directoire le nommé Marti, gendarme à Lohéac, qui, chargé d'un service à Maure le 24 février, avait provoqué des attroupements et prêché la révolte contre les corps constitués (Cf. Appendice 7. A. D. I.-V. 2 L 82c, folio 56).

Deux jours avant, le 11 mars, avait éclaté l'affaire Dayot. Le procureur-syndic, révolutionnaire d'apparence, était en réalité très favorable aux prêtres insermentés. C'est ainsi que nous l'avons vu, le 26 septembre 1791, adresser aux curés une ordonnance de l'évêque qu'il savait très bien devoir rester lettre morte. Envoyé en mission à Brain lors des troubles de septembre 1792, il avait agi sans énergie et comme s'il avait été de connivence avec les meneurs des campagnes. Cependant les Directeurs — à part Bellouard et Gentil — semblaient ne rien soupçonner jusqu'au 11 mars, date à laquelle sa conduite fut mise en pleine lumière. Des présomptions graves, mais seulement des présomptions, nous amènent à croire que le substitut Bellouard n'était pas étranger à ce qui se passa dans la séance du 11 mars.

« Du lundy unze mars mil sept cent, quatre-vingt treize, l'an 2ème de la République française.

Séance tenue par le citoyen Gentil, vice-président ; Symon et Bastide, administrateurs ; présent le citoyen Dayot, procureur-syndic [Note : Noter l'absence inexpliquée du citoyen Bellouard].

Est entré le citoyen Martin, membre du Directoire du Département d'Isle et Vilaine, lequel a représenté les pouvoirs lui délégués par le conseil général du Département d'Isle et Vilaine, par arrêté du 9 de ce mois, et, a requis la transcription d'icelui au présent, etc...

Extrait du procès-verbal des séances du Conseil général du Département d'Ille et Vilaine.

Du neuf mars mil sept cent quatre-vingt treize, l'an 2ème de la République.

Sur le raport fait au nom du Comité de Sûreté générale, l'Assemblée, après avoir entendu le procureur général syndic, considérant que le citoyen Dayot, par une lettre anonime qu'il a avouée, a averti le sr Moizon, prêtre réfractaire, des mesures prises par lui par le Directoire ; que les expressions et le sens de cette lettre anonime annoncent l'improbation de la Loi qui condamne ces prêtres, et le dessein de faire échouer les moyens employés contre eux. — Considérant que le même Dayot, stimulé par le citoyen Even, commissaire du Département, de poursuivre les auteurs des dilapidations commises sur les biens nationaux, s'est refusé à toute injonction à cet égard, et est constamment resté dans l'inaction. — Considérant enfin que les raports des citoyens Even, commissaire du Département et Bellouard, administrateur du District de Redon, prouvent que l'administration de ce District a été constamment entravée par l'insouciance du procureur-syndic,

Suspendent ledit Dayot de ses fonctions de procureur-syndic du District de Redon ; nomment le citoyen Martin, membre du Directoire du Département, à l'effet de se rendre sur le champ à Redon, pour faire mettre aussitôt son arrivée le séquestre sur les papiers dudit Dayot, et lui donnent plein pouvoir pour faire toutes recherches nécessaires, tant sur le registre du Directoire que sur ceux du procureur-syndic [Note : Nous n'avons trouvé aucune trace de ces registres] qui pourraient donner lieu à des mesures ultérieures ... » (A. D. I.-V. 2 L 82c, folio 53).

Dayot sortit immédiatement de la salle des séances et ses fonctions furent dorénavant exercées d'une manière effective par son substitut, le citoyen Bellouard. L'affaire fut réglée définitivement le 28 mars par la nomination de Bellouard au poste de procureur-syndic [Note : Arrêté de Carrier du 26 mars, approuvé quelques jours après par Billaud-Varennes].

Naturellement le Directoire avait pris des mesures préventives destinées à empêcher toute émeute, et cela par trois moyens : 1° accroissement du nombre des gendarmes ; 2° requêtes pour obtenir des troupes ; — 3° création de la garde nationale.

Le 8 septembre 1790 un arrêté est pris, sur une requête de la commune de Guignen, tendant à établir une brigade de maréchaussée à Lohéac. Les considérants de cet arrêté méritent d'être cités. Le Directoire, en effet, croit ne pouvoir se refuser à cette demande.

« 1° parce qu'elle lui paraît de toute nécessité dans les circonstances ;
2° parce que, depuis Redon jusqu'à Rennes, il ne se trouve aucune espèce de force publique ;
3° parce que cet établissement n'occasionnera point une augmentation de dépenses, la brigade de Lohéac, pouvant être formée de cinq cavaliers, qu'il sera facile de tirer de plusieurs autres brigades que le Directoire sait être plus que complètes ;
4° enfin, parce qu'une brigade de maréchaussée établie à Lohéac déconcertera les ennemis du bien public et tranquillisera 15 à 20 paroisses, en en défendant les habitants et leurs possessions contre toutes incursions, voies de fait ou pillages de la part des brigands, notamment de 50 à 60 bandits échappés des galères de Brest, et qui, depuis peu, ont passé dans cette partie des districts de Redon, Bain et Ploërmel (A. D. I.-V. 2 L 81a).

Malgré les demandes réitérées du Directoire, pendant longtemps encore la gendarmerie de Redon dut assurer l'ordre à elle seule. Le 15 octobre on lui votait une subvention de 48 livres pour avoir protégé la circulation des grains et fait exécuter les lois dans les communes de Redon, Pipriac et Rieux. Puis on décida de remercier les gendarmes de leur zèle « pour le maintien du bon ordre et de la tranquillité publique » et de les engager « à faire de fréquentes tournées pour éloigner les malfaiteurs, brigands, tous gens sans aveu, et procurer la sûreté du pays ».

Le 19 mars 1791, à la suite de vols presque continuels commis à Baulon, — tant était grande l'insécurité des campagnes — de mauvais traitements éprouvés par les officiers municipaux, notamment par le maire alors qu'il faisait la police des cabarets, de voies de fait, imputables aux brigands qui trouvent un refuge assuré dans la forêt de la Musse, le Directoire « attendu l'augmentation des brigades de gendarmerie nationale en Ille et Vilaine » en demande une, même à pied, pour Baulon (A. D. I.-V. 2 L 81b). Il ne semble pas que ce vœu ait été réalisé. Nous trouvons simplement mention à la date du 8 février 1792, d'une brigade de gendarmerie à cheval à Lohéac.

On se rend bien compte que cinq gendarmes de plus ne suffisaient pas à maintenir l'ordre dans un district activement travaillé par les agitateurs. Aussi le Directoire, d'accord avec la municipalité de Redon, s'efforça-t-il d'obtenir un corps de troupes.

Dès le 10 septembre 1790, après en avoir référé à la municipalité, le Directoire demandait que l'on mît en garnison dans la ville un escadron de cavalerie. Comme on ne s'empressait pas de réaliser les désirs des administrateurs, une importante délibération fut prise le 15 octobre suivant. « M. le Procureur-Syndic a dit que les meurtres qui s'étaient commis tant sur la grande route de Vannes où trois personnes avaient été tuées qu'au lieu de Saint-Clair où il en avait été massacré deux autres, et plus encore la troupe de bandits réfugiée dans la forêt du Gâvre, voisine de cette ville, ce qui alarme tous les parages, rendaient indispensable la présence de troupes réglées ; que le District avait déjà formé vers le Département une demande à ce sujet, laquelle avait été appuyée auprès du ministre, mais qu'on n'avait reçu aucune réponse, et que, dans de semblables circonstances, le moindre retard pouvait devenir funeste et occasionner de grands malheurs. En conséquence a ledit procureur-syndic requis qu'il en fût délibéré de nouveau, et, que, vu l'exigence du cas, il fût écrit directement au ministre de la guerre, pour l'engager à hâter l'arrivée d'un escadron de cavaliers à Redon » (A. D. I.-V. 2 L 81a). Le Directoire approuva la requête du procureur-syndic et demanda à M. de la Tour du Pin, ministre de la guerre, de faire passer à Redon, pour rétablir la sécurité, un escadron de cavalerie, provenant soit du régiment de Royal-Picardie en garnison à Angers, soit du régiment de Royal-Conti (dragons), en garnison à Ancenis.

Ce vœu ne fut pas exaucé. Cependant, au début de janvier 1791, le régiment de Rohan se dirigeant de Nantes sur Vannes dut séjourner à Redon jusqu'au 10, à cause du débordement des eaux aux environs de Malestroit. Quelques jours après, c'est le régiment d'Agénois (infanterie) qui, le 20 janvier, est cantonné à Redon. En fait, il doit partir le lendemain pour Blain et gagner Rochefort-sur-Mer en dix jours, mais l'inondation l'oblige à rester jusqu'à ce que les eaux se soient retirées (A. D. I.-V. 2 L 81a). Le 25 janvier, il partit, laissant pour quelques jours seulement un détachement de 100 hommes. Mais le 1er février, étant donné les troubles qui ont éclaté dans diverses paroisses, le Directoire donne l'ordre au capitaine commandant le détachement de rester à Redon, en dépit « de tous ordres contraires, le rendant responsable de son refus » (A. D. I.-V. 2 L 81b).

En vain reçoit-il, le 14 février, une lettre de M. du Portail, ministre de la guerre, ordonnant au détachement d'Agénois de quitter la ville le lendemain. Les troubles n'ont fait que s'accroître : notamment ceux du dimanche 6 février et du dimanche 10 ont été extrêmement graves. Le détachement est donc plus nécessaire que jamais. Le Directoire, décidé à s'opposer de toutes ses forces aux ordres du ministre, fait appeler les officiers de la municipalité et du tribunal, et les trois corps réunis arrêtent « unanimement de requérir sur-le-champ, au nom de l'administration du district et du conseil général de la commune, M. L'Ecotay, capitaine commandant le détachement d'Agénois caserné dans cette ville depuis le 26 janvier dernier, d'y rester, sous peine de répondre personnellement des événements qui pourraient résulter de son refus... et que le susdit détachement ne pourra désemparer jusqu'à ce que le calme ne soit entièrement rétabli à Redon et aux environs, qu'afin de hâler ce moment désiré, M. du Portail sera prié de joindre au détachement d'Agénois, un autre détachement tiré du Conti-Dragons, en garnison à Ancenis » (A. D. I.-V. 2 L 81b).

Je ne sais quelle fut la réponse du ministre. Toujours est-il que, le 20 mai suivant, le détachement était encore caserné à Redon. Le 30 juin, un acte constate que le serment civique a été prêté par les sieurs Le Coq et de Serre, capitaine et lieutenant du détachement du 16ème d'infanterie « ci-devant Agénois » (A. D. L-V. 2 L 81c). Puis ses traces se perdent définitivement.

Par contre, le 23 janvier 1792, nous savons que des troupes de ligne étaient arrivées pour tenir garnison dans la ville (A. D. I.-V. 2 L 82a). Le 8 février suivant, à l'effet d'assurer leur recrutement, le Directoire nommait un commissaire par canton. Bastide était désigné pour Redon, Villerio pour Sixt ; Guillemoys jeune pour Renac, Rozy de Saint-Soleil pour Pipriac, Boullay pour Guipry ; Duval, maire, pour Maure, Lemoine pour Guignen, Trelluyer pour Baulon et Saillard pour Campel.

Dire que ces troupes étaient bien accueillies de l'habitant serait excessif. A diverses reprises, il fallut sévir contre elles. C'est ainsi que le 5 juillet 1792, le Directoire approuvait la conduite d'Even, maire de Redon, qui avait demandé la punition de 30 ou 40 soldats du détachement de la Guadeloupe, à la suite d'une démarche irrégulière de leur part, pouvant entraîner des désordres. — Enfin, le 5 février 1793, quelques jours seulement avant l'épuration de l'administration générale, arrivaient à Redon « des citoyens militaires du 36ème régiment d'infanterie pour y rester en garnison » et le Directoire était obligé de contraindre la veuve Gérault, boulangère, qui fournissait le pain à la troupe, de continuer à l'en approvisionner, malgré le refus qu'elle opposait, sous prétexte que son marché était périmé (A. D. I.-V. 2 L 82c).

Le Directoire élu s'occupa enfin d'organiser la garde nationale de son District. Nous n'avons trouvé aucune indication précise sur sa formation. Elle existait cependant au mois d'août 1791, comme le prouvent une lettre de Couesnongle, commandant de la garde et une délibération de la municipalité de Redon qui lui est relative. La municipalité refusait de payer la solde échue. Le Directoire l'y contraignit, et comme toute cessation de service était alors dangereuse, il lui ordonna de réorganiser immédiatement ce corps (A. D. I.-V. 2 L 81c). Cependant la garde nationale ne fut officiellement établie que plus tard, en vertu de la loi du 14 octobre 1791. Elle comprenait alors quatre compagnies de fusiliers, ayant chacune un effectif de 70 hommes. Une pièce curieuse (Voir Appendice 8. — A. D. I.-V. 2 L 95) nous apprend qu'elle fut réorganisée pour la dernière fois le 23 septembre 1792. On lui adjoignit une compagnie de grenadiers dont l'effectif fut le même que celui des autres compagnies. Puis, le 30 septembre, on procéda à l'élection de ses chefs.

Au début, la garde nationale de Redon semble s'être spontanément créée, grâce au zèle obscur mais indéniable de la Société Populaire. L'examen attentif des registres du Directoire ne nous a pas permis de trouver la moindre mention qui puisse nous la faire considérer comme une création officielle. D'autre part, la pétition du 23 juin 1792, sur laquelle nous avons précédemment insisté, demande que l'on donne à cette garde une organisation définitive, et tout nous porte à croire qu'une telle pétition ne pouvait émaner que de la Société Populaire. Les 358 hommes qui faisaient partie de la garde — bien que quelques-uns dussent être arrêtés comme suspects l'année suivante [Note : Julien Lollivier. Denis Ménager. A. D. I.-V. 9 M 21] — étaient partisans avérés de la Révolution. La nomination à différents grades de Le Batteux, Bellouard, Molié et Le Dault nous en est une preuve suffisante.

Beaucoup moins spontanée et beaucoup moins facile fut la levée de bataillons de garde nationale et de garde mobile dans les campagnes. La formation des bataillons d'Ille-et-Vilaine avait été décrétée au mois d'août 1791 (A. D. I.-V. 2 L 95). En dépit de l'activité des commissaires du Directoire, les résultats restèrent défectueux. Le 6 juin 1792, de nouveaux commissaires sont nommés sans plus de succès. Le 2 octobre, le Directoire se plaint qu'aucune municipalité, sauf celle de Redon, n'ait organisé de garde nationale.

Le Département s'impatientait. Aussi, le 19 février 1793, demande-t-il au Directoire de Redon un détachement de 105 gardes nationaux pour prendre garnison au mois de mars au fort de Châteauneuf, près de Dol. Le Directoire n'hésita plus et fixa le contingent que devait fournir chaque commune, au prorata de sa population. Les 105 hommes furent levés, mais ce fut le seul effort des campagnes. En principe une garde nationale existait bien dans chaque commune, les noms des officiers et des soldats étaient inscrits sur des registres, mais en fait seule la garde de Redon put agir avec quelque succès [Note : Cependant, le 21 juillet 1791, la commune de Langon demandait 12 fusils au Directoire ; le 25, la commune de Renac en demandait 60, et, le 6 octobre, celle de Sixt en demandait 25 pour armer leurs gardes nationaux].

Le Directoire n'eut donc pas seulement affaire à des ennemis. Son gouvernement fut modéré, trop modéré même, au gré des Conventionnels. L'affaire Dayot et les troubles de mars lui portèrent un coup décisif. Bientôt Billaud-Varennes et Sevestre allaient inaugurer le gouvernement de la Terreur à Redon.

(Léon DUBREUIL).

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