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LE PRÊTRE AUGUSTIN-MARIE CLEC'H GUILLOTINÉ

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Augustin-Marie Clec'h naquit au bourg de Plestin dans l'ancien diocèse de Tréguier, le 15 Février 1739. Il fut baptisé le surlendemain à l'église paroissiale comme en fait foi cette copie exacte de son acte de baptême :

« Augustin Marie fils naturel et légitime de Guillaume Clech et de Marie Jeanne Le Marec ses père et mère, demeurants au bourg de plestin né le quinzième jour du mois de Février l'an mil sept cent trente neuf a été baptisé le dix septième en suivant en l'église paroissiale de plestin par moy soussigné recteur ; ses parrain et marraine ont étés noble homme Augustin Tily seigneur de penanrun négotiant à Morlaix et demoiselle Marie Baruet qui signent DE PENANRUN TILLY ; Marie BARUET ; C. VEFIEN ; François MAREC ; Yves BOUGET, Recteur de Plestin ».

Comme prêtre, Augustin Clec'h signera tantôt « Clech » (Clec'h), tantôt « Le Clech ». Nous gardons l'orthographe de son acte de baptême.

Quoique originaire de Plestin (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), l'abbé Clec'h, exécuté à Brest, relève de Quimper au point de vue de la Béatification. Ses deux receleuses habitaient d'ailleurs Morlaix.

Guillaume Clec'h et Marie-Jeanne Le Marec eurent une nombreuse et belle famille de sept enfants : trois garçons et quatre filles. Augustin fut le second des enfants. Quant aux filles, l'une, Marie-Augustine, entra au Carmel de Morlaix et en fut sous-prieure. Une autre se fit religieuse du Saint-Esprit et devint supérieure générale de la Congrégation. Une troisième épousa M. Michel Huon de Lannion (les Huon de Penanster sont leurs descendants). Une quatrième enfin, Jeanne-Françoise se maria à M. Paul-Marie Michel, originaire de Callac, et contrôleur des Actes à Plestin. Tous ces enfants eurent une éducation soignée et parfaitement chrétienne [Note : D'après M. Joncour, ancien curé de Plestin, et M. Huon de Penanster, descendant de la famille Clec'h].

Dès lors, il n'est pas étonnant qu'Augustin Clec'h tournât de bonne heure ses aspirations vers le sacerdoce. Malheureusement, nous n'avons pas de renseignements sur sa jeunesse.

On sait seulement qu'Augustin Clec'h reçut la tonsure vers le milieu de Septembre 1760, et qu'il fut promu au sous-diaconat en Mars ou Avril 1763, puisque son titre clérical date du 3 Février de cette année. Ce jour-là, devant les notaires royaux à Lanmeur, le sieur Guillaume Clec'h, marchand, veuf de Marie-Jeanne Le Marec, informé du pieux dessein qu'a le sieur Augustin-Marie Clec'h son fils, actuellement au Séminaire de Tréguier, d'entrer dans les ordres lui assigne une rente viagère annuelle de 60 livres sur tous ses biens situés en Plouégat-Guérand. [Note : Passé en l'étude de Me Jean Cam, notaire à Lanmeur, l'acte établissant ce titre clérical fut contrôlé à Lanmeur, le 4 Février, et insinué à Tréguier, le 11 Mars 1763. (Archives des Côtes-du-Nord aujourd'hui Côtes-d'Armor, Registre d'insinuations de Tréguier, 3 Février 1763)].

L'abbé Clec'h dut recevoir la prêtrise aux Quatre-Temps de Décembre 1763. Dès le 3 Janvier de l'année suivante, il signe aux registres de Plestin : « Augustin Marie Clech prêtre ». C'est donc qu'il commence son ministère dans sa paroisse natale.

Nous l'y retrouvons dans la suite, et, dès le 23 Février 1767, avec le titre de curé.

Plestin, qui avait comme trève Trémel, comptait parmi les paroisses les plus belles et les plus importantes du diocèse de Tréguier. De vieux manoirs et de nombreuses chapelles, dont plusieurs existent encore, sont une preuve de la vitalité de la foi dans cette région et de la richesse de ses habitants aux XVème siècle XVIème siècle et XVIIème siècles. L'église paroissiale date de la fin du XVème siècle.

La tour et les deux chapelles qui lui servent de contreforts, les piliers de la nef qui forment 14 arcades, sont les seuls morceaux conservés de la vieille église. Elle a été agrandie à diverses époques et surtout élargie en 1857 par la construction de chapelles collatérales. Le porche, datant de 1576, fut démoli à cette époque et reconstruit au midi de l'édifice.

A l'intérieur, on remarque le tombeau de saint Efflam, beau monument en granit du XVIème siècle.

A Plestin, l'abbé Clec'h eut d'abord comme recteur messire Guillaume Bouget, puis, à partir de 1780, M. Rouat. Celui-ci, né à Plouaret en 1743, et curé d'office à Pleubian, obtint au concours la paroisse de Plestin. Etant tous de la localité, les membres du clergé de cette paroisse, se partageaient également les revenus et le ministère. Un étranger, devenant recteur de Plestin, devait à ce point de vue, rencontrer des difficultés.

Tout alla bien jusqu'en 1787. A cette date, l'abbé Rouat refusa de payer le « rachapt » pour trois pièces de terre que la fabrique lui laissait en jouissance gratuite. Il fut condamné le 31 Décembre 1788, par la juridiction de Lesmaës. Tôt après, ce fut un second procès auquel le recteur mit fin en achetant les terres de la fabrique mises en vente. Il avait contre lui, dans cette affaire, le « général » de la paroisse, et presque tous les vicaires dont l'abbé Thomas, procureur de la fabrique. (Note de M. le chanoine Goasdoué, empruntée au Cahier paroissial de Plestin).

Ce conflit durait encore lorsqu'éclata la Révolution, et il s'aggrava du dissentiment religieux qui surgit entre le recteur et ses vicaires à propos du serment à la Constitution civile du Clergé.

Ce serment, l'abbé Clec'h refusa de le prêter. En voici plusieurs preuves :

Tout d'abord le « Registre des délibérations de la municipalité de Plestin » pour l'année 1791. [Note : Des extraits de ce registre, folios 25, 42, 43, 44, copiés par M. Le Bihan, vicaire à la cure de Plestin, ont été reproduits par M. Lemasson, Les Actes des Prêtres insermentés du diocèse de Saint-Brieuc..., Pièces justificatives, p. 123-128].

La prestation du serment à Plestin avait été fixée au dimanche 6 Février 1791, et devait se formuler comme il suit : « Je jure en vertu du décret de l'Assemblée nationale du 12 Juillet 1790 de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse ou la trêve qui m'est confiée, d'être fidèle à la Nation, à la loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi ».

Le curé de la paroisse, Guillaume Rouat, prêta ce serment. Mais quand vint le tour des prêtres habitués de Plestin, MM. Jean-François Guennec, Augustin Clec'h, Jacques Le Gallou et Toussaint Adam, il en fut autrement. Ceux-ci répondirent individuellement l'un après l'autre « qu'ils ont fait le serment civique en la forme ci-dessus, exceptée la première clause qui ne les regarde pas, parce qu'ils ne sont en possession d'aucun bénéfice... ; qu'ils veulent jouir de la liberté d'opinion décrétée par l'Assemblée nationale et différer à un autre temps un serment qui demande la maturité et des réflexions ».

Un fait reste bien acquis : le 6 Février 1791, jour fixé à Plestin, pour la prestation officielle du serment à la Constitution civile du Clergé, M. Clec'h remit à plus tard sa décision. Mais pourquoi cette attitude hésitante ? Il faut se rappeler le gallicanisme de l'époque, et savoir que le Pape n'avait pas encore condamné la Constitution civile du Clergé. C'est le 10 Mars 1791 qu'intervint cette condamnation, renouvelée le 13 Avril suivant.

Tout de suite, on voit M. Clec'h, fils obéissant de l'Eglise, réprouver hautement la Constitution schismatique.

Pressés de nouveau le 4 Octobre 1791, de prêter serment, M. Clec'h et les autres prêtres habitués de Plestin, firent cette belle profession de foi :

« Nous n'espérons aucune place de curé ny de vicaire sur le compte de la Nation et nous n'avons pas dessein de faire le serment. Nous sommes citoyens et en cette qualité nous sommes corps et biens pour contribuer de tout notre pouvoir au bien de notre patrie, mais nous désirons vivre et mourir dans notre opinion religieuse et le premier des droits de l'homme est de n'estre point inquiété, quand on se comporte en citoyen.

Nous sommes attachés à la foy de nos pères que nous croyons être la foy de Jésus-Christ et celle de la Sainte Eglise Catholique Apostolique et Romaine, c'est dans cette foy que nous avons été baptisés et c'est d'elle que nous avons notre opinion religieuse que notre conscience nous oblige à suivre.

C'est cette conscience qui nous commande de finir avec M. le Curé la communication in divinis que nous regrettons » (Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal du 4 Octobre 1791).

Les compatriotes de M. Clec'h ne se trompèrent pas sur sa qualité de prêtre insermenté. Le 22 Février 1792, la municipalité de Plestin adressait au procureur syndic du district de Lannion, la liste des prêtres de la commune qui n'avaient pas prêté le serment. Or sur cette liste on trouve « le sieur Augustin Clech, âgé d'environ 53 ans ». (Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal du 22 Février 1792).

Et dans la suite, toute la vie du prêtre proclamera son refus de serment.

Dans l'interrogatoire que l'abbé Clec'h subira le 20 Juin 1794 devant le Directoire du district de Morlaix, on trouvera ceci :

« Questionné sur le point de savoir s'il avoit fait le serment ? A dit que dans les premières assemblées primaires, il avoit fait le serment civique, mais qu'il n'a pas prêté le serment prescrit aux Ecclesiastiques ». (Archives nationales, W. 543).

De même, l'acte d'accusation du 27 Juin 1794 contre M. Clec'h dira textuellement : « D'après cet exposé, l'accusateur public a dressé la présente accusation... contre Augustin Clec'h, prêtre non assermenté, sujet à la déportation, aux termes de la loi du 30 Vendémiaire, non déporté et trouvé sur le territoire de la République ... » (Archives nationales, W. 543).

Enfin, c'est pour ces derniers motifs également que l'abbé Clec'h sera condamné à mort et montera sur l'échafaud de Brest le 1er Juillet 1794. (Archives nationales, W. 543).

Il est donc certain que M. Clec'h ne prêta jamais le serment à la Constitution civile du clergé.

On a vu que l'abbé Clec'h et ses confrères de Plestin avaient rompu avec le curé schismatique de la paroisse, dès le 4 Octobre 1791, toute communication « in divinis », c'est-à-dire tout rapport cultuel. Dans leur déclaration, ils s'offraient néanmoins à continuer le service des chapelles rurales, et à rendre au peuple tous les services spirituels qui dépendraient d'eux. (Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de Plestin, du 4 Octobre 1791).

Le curé Rouat, après avoir prêté serment le 6 Février 1791, ne s'arrêta pas en si beau chemin. Le 31 Octobre 1792, il prêtait un nouveau serment, celui de Liberté-Egalité. sans la moindre protestation, il laissa spolier son église de ses vases sacrés, de toute son argenterie et de ses ornements. Le 3 Floréal an II (22 Avril 1794), il déposa ses lettres de prêtrise au greffe de la municipalité. Plus tard, il fut frappé d'aliénation mentale...

Il n'est donc pas étonnant que ce triste personnage reçût fort mal l'offre généreuse de ses anciens auxiliaires : « Je déclare m'y refuser absolument, répondit-il, et protester contre tout ce qu'ils y prétendent, comme propre à susciter un schisme dans ma paroisse, à en troubler l'ordre, à donner un scandale public, à allarmer les consciences et à me faire perdre la confiance de mes ouailles : en foy de quoy je signe les mêmes jours et an que devant et requère copie » : signé : Rouat curé constitutionnel de Plestin. (Registre des délibérations du Conseil municipal du 4 Octobre 1791, fol. 44, 45).

Et désormais, ce malheureux « jureur » se mit à persécuter ouvertement M. Clec'h et les autres prêtres fidèles. Il leur défendit d'abord de dire la messe tant au bourg de Plestin que dans les chapelles éloignées : puis, il les poursuivit de ses dénonciations.

C'est le 16 Septembre 1791 que l'abbé Clec'h signe aux registres de Plestin pour la dernière fois. Il continue cependant de résider dans la localité, comme en fait foi le document suivant : « Le 22 Février 1792, la municipalité de Plestin se réunit pour donner au district les noms, âge, conduite des prêtres non assermentés résidant dans la localité : Yves Thomas, environ 50 ans, Augustin Clech, âgé d'environ 53 ans, le sieur Jacques Gallou, etc. De tout ce que dessus, nous maire et officiers municipaux de Plestin donnons pour assuré autant qu'il est en notre pouvoir et qu'un chacun d'eux demeurant chez lui et chez leurs parents à Plestin, le tout aussi après avoir fait les informations publiques des dits messieurs prêtres et de leur conduite, nous, nous (ne) trouvons rien de leurs probbités que nous promettons de tenir la main l'avenir à leur dite conduite, et en cas qu'ils ne soient pas tranquilles, tant par leurs marches, parolles que par leurs écrits, de faire part aussitôt à vous messieurs du district de Lannion. J. DELISLE maire ».

Entre temps, la Révolution augmentait ses violences non seulement à Paris, mais également dans les Côtes-du-Nord. M. Clec'h dut donc se cacher soigneusement et même quitter Plestin en Décembre 1792. Que devint-il dès lors ? Il mena la vie misérable et précaire des prêtres que l'on qualifiait alors de réfractaires [Note : Le 2 Décembre 1793, les scellés furent mis sur sa maison]. A propos de cette période de la vie de M. A. Clec'h et de sa capture, voici ce que raconte M. F. Le Bihan : « L'abbé Clech après avoir erré un peu partout vint se réfugier chez son neveu Huon, notaire royal, à Lannion. Ce refuge était des plus précaires. M. Huon très suspect lui-même, avait été suspendu trois fois, puis incarcéré pour avoir recueilli des prêtres et favorisé les Aristocrates. Grâce à de puissantes interventions, il avait été relâché. On comprend que, dans de pareilles conditions, il lui était impossible de dissimuler bien longtemps la présence chez lui de son oncle. Aussi fut-il dénoncé aussitôt et dut-il, pour échapper au péril, lui rechercher d'autres retraites en attendant qu'il fût possible de le faire passer aux îles anglaises. L'occasion s'en présenta bientôt. On loua un bateau qui devait partir de Trébeurden et le mener en rade de Morlaix à un sloop à la veille de faire voile pour l'Angleterre. Le départ eut lieu dans l'après-midi du 1er Messidor (19 Juin 1794), mais assailli par le gros temps à la hauteur des Triagos, par le travers de la baie de Saint-Michel-en-Grève, le bateau fut forcé de gagner la côte et on alla débarquer non loin de Plougasnou. Ne connaissant personne dans le pays, et sa situation, par suite, pouvant y devenir périlleuse, l'abbé, chargé d'un pauvre paquet contenant des hardes et quelques menus objets qu'il avait emportés, prit aussitôt le chemin de Morlaix, distant de dix-huit kilomètres. Il y arriva vers dix heures du soir et alla frapper à la porte de la maison portant le n° 977 de la rue des Vignes où demeuraient des femmes qu’il connaissait, pour leur demander l'hospitalité. Ces femmes, originaires d'Acadie [Note : L'Acadie, aujourd'hui Nouvelle Ecosse, est une ancienne colonie française cédée aux Anglais par Louis XIV, en 1713. Les Anglais protestants y persécutèrent les catholiques, et voilà pourquoi sans doute la veuve Leblanc vint en France en 1763], vivant ensemble, étaient Anne Leprince, veuve Sylvain Leblanc, 73 ans, sa fille Anastasie, 34 ans, et sa nièce Marthe Levron, 26 ans. Malgré le péril auquel elles savaient qu'elles s'exposaient en recevant un prêtre réfractaire, elles n'hésitèrent pourtant pas, étant donnés l'heure tardive et l'état lamentable du malheureux fugitif qui avait fait la route de Plougasnou à Morlaix sous une pluie battante, à l'accueillir de leur mieux, puis le firent monter dans une mansarde située au-dessus de leur logement. La journée du lendemain, 2 Messidor, s'était écoulée sans incident, et déjà les pauvres gens commençaient à se rassurer, lorsque vers six heures, la veuve vit deux hommes arrêtés devant la porte de la maison. Effrayée et pressentant un malheur à la vue de ces deux hommes, il n'en fallait pas plus, à cette triste époque, pour inspirer de la terreur, elle [Note : Il y a ici une erreur : Ce n'est pas la veuve, c'est sa fille, Anastasie Leblanc, qui « monta en toute hâte » avertir M. Clec’h, et qui fut arrêtée par Pitel et Gousselin. (Voir le procès-verbal de la perquisition chez la veuve Leblanc, et l'interrogatoire de M. Clec'h, ce même Jour, 20 Juin 1794)] monta en toute hâte, probablement un peu bruyamment, pour prévenir son hôte d'un danger probable. Les deux hommes, entendant du bruit, intrigués, entrèrent dans la maison et se précipitèrent dans l'escalier à la suite de la veuve. Ces deux hommes étaient Germain Pitel, officier municipal de la commune, et Antoine Gousselin, commissaires nommés, en tournée pour visiter les maisons et y faire le relevé des personnes indigentes qui pourraient s'y trouver. Cette irruption subite à lieu de surprendre et donnerait à supposer que leur présence n'était peut-être pas motivée par la seule recherche des indigents. En effet, les femmes Leblanc n'habitaient pas seules la maison. Elles occupaient le premier et la mansarde au-dessus et, au rez-de-chaussée, il y avait deux autres locataires, Louis Guivarch et Marie-Cécile Samson qui, plus tard, furent cités comme témoins au procès. Faut-il les soupçonner d'avoir été les dénonciateurs ? Dans ces temps de délations et de terreur, toutes les hypothèses sont admissibles, d'autant plus que les dénonciateurs touchaient une prime, variable suivant l'importance de la dénonciation. Elle était de « cent livres » pour un prêtre réfractaire. Quoiqu'il en soit, Pitel et son collègue Gousselin dressèrent un procès-verbal d'arrestation dont voici les conclusions :

« Arrivés dans la mansarde, y avons trouvé un particulier auquel le citoyen Pitel lui a demandé d'où il était et s'il avait un passeport et nous a répondu que non et la personne que nous avons suivie et qui étoit entrée dans la chambre ou mansarde en même temps que nous, lui avons demandé si elle connaissait cet homme, nous a répondu que non et qu'il n'était chez elle que depuis hier soir, auxquelles paroles le citoyen Pitel lui a dit qu'elle avait grand tort de donner azille à des personnes qu'elle ne connaissait pas. En conséquence les avons sommés tous les deux de nous suivre jusqu'à la maison commune, où étant rendu, l'agent national près la commune les a fait conduire au Directoire du district... » (Archives Nationales, W. 543).

Voilà donc comment furent arrêtés, le 20 Juin 1794 à six heures du soir, l'abbé Clec'h et Anastasie Leblanc, fille d'Anne Leprince. Il fallait cependant justifier cette arrestation et trouver des preuves de culpabilité. Le Directoire du district fit donc tout aussitôt perquisitionner au domicile de la veuve Leblanc, et c'est le juge de paix Jézéquel qui fut chargé de cette opération, en compagnie de son greffier et de deux administrateurs du district. On peut voir aux Archives nationales, le procès verbal « in extenso » de cette perquisition. (Arch. nat., W. 543, n° 14 du bordereau. (Extrait des minutes du greffe de la justice de paix de Morlaix). Pour le résumer, disons que Jézéquel demanda d'abord à la veuve Leblanc de « déclarer s'il n'est pas vrai qu'on avoit saisi et arrêté chez elle un prêtre réfractaire qui avoit été constitué prisonnier avec sa fille ? ». Et, il nota ainsi la réponse de la veuve : « A répondu qu'à la vérité cet homme, absolument inconnu d'elle, se présenta hier au soir, environ les neuf à dix heures du soir, se qualifiant de pauvre malheureux prêtre obligé de fuir et qu'elle le croit du côté de Lannion ». Puis, le résultat des recherches fut qu'on découvrit chez la veuve Leblanc « une boette à calice sans couverture..., un grand sac plein de hardes…, une pierre sacrée et 4 cierges..., une grosse montre en argent à deux boettiers..., une quantité de meubles et effets ci-devant appartenans aux religieuses Carmélites de cette commune pour la conservation de leurs dits effets... ». Le procès-verbal, quelques instants après, fut déposé au district. Et sur le champ. malgré l'heure avancée (il était dix heures du soir), le Directoire du district de Morlaix procéda à l'interrogatoire de M. Clec'h.

Voici la partie essentielle de cet interrogatoire qu'on trouve également « in extenso » aux Archives nationales :

« Sur les dix heures, le procès-verbal de cette vérification rapporté à l'administration, et, le citoyen Pitel ayant précédemment rapporté le sien, le Directoire a fait comparaître devant lui le prêtre en question ; lequel interrogé de ses prénoms, nom, profession, lieu de naissance et de domicile ; a dit se nommer Agustin Clech, être originaire et domicilié cy-devant de Plestin district de Lannion, département des Côtes-du-Nord, prêtre simple desservant en l'église dudit Plestin.

A lui demandé depuis quand il était dans la maison où il a été trouvé ce jour à Morlaix ? — A répondu qu'il y est depuis deux jours.

Interrogé si la maison dont est cas, lui avoit été indiquée comme retraite ou s'il la connaissoit comme telle ? — A dit qu'il avoit une sœur cy-devant Carmélite, qu'il savoit qu'une fille de cette maison l'étoit aussi et, qu'en conséquence. il avoit cru qu'il y seroit bien reçu.

A lui demandé d'où il était venu dans cette maison ? — A répondu qu'il arrivoit des campagnes où il étoit errant.

Questionné sur le point de savoir s'il avoit fait le serment ? A dit que dans les premières assemblées primaires, il avoit fait le serment civique, mais qu'il n'a pas prêté le serment prescrit aux Ecclésiastiques.

Interrogé s'il n'a pas été sommé de faire ce dernier serment et s'il l'a pas refusé ? — A dit que la municipalité de Plestin le lui avoit demandé et qu'il avoit refusé de le faire, croyant qu'il n'y estoit pas tenu attendu qu'il n'étoit pas fonctionnaire public.

A lui représenté la montre et hardes saisies, comme lui appartenant et interpellé de déclarer s'il les reconnoit pour être à lui, notamment la veste de berlinge ? — A répondu que rien ne lui appartient que la montre.

A lui représenté la boête à calice et les cierges et à lui demandé s'ils servoient à son usage dans la maison dont est cas ? — A répondu ne pas les connoître non plus qu'une pierre jadis sacrée, a lui représentée.

Interrogé s'il avait fait quelque fonction de son ministère dans la maison ? — A répondu que non.

Lecture à lui donnée et interpellé de signer, a déclaré le faire … Signé : Augustin CLECH. prêtre.

Fait et clos environ une heure du matin, ce 3 Messidor sous les seings des administrateurs et du secrétaire ».

Signé : GUIOMAR ; VERCHIN ; GUILLAUME, fils aîné ; André ROZEC ; BRIANT, secrétaire (Arch. nat., W. 543, n ° 16 du bordereau.. - Interrogatoire de Le Clec'h).

Ce qui frappe dans cet interrogatoire, c'est d'abord le souci extrême que M. Clec'h a de dire toute la vérité en ce qui le concerne. Alors que nul ne le connaît, il avoue sans hésiter son nom, son pays, sa qualité de prêtre réfractaire, son refus de serment. Le prêtre y dévoile ensuite pourquoi il a demandé asile à la veuve Leblanc : c'est qu'il avait eu une sœur Carmélite à Morlaix dans le couvent même où s'était trouvée la fille de cette dernière. [Note : Peyron, Documents pour servir... p. 280), nous dit qu'il y avait, en effet, le 9 Juillet 1791, au Carmel de Morlaix : Marie-Augustine Clec'h, sœur Augustine de Saint-François de Sales, 41 ans, sous-prieure et Marie-Modeste Leblanc, sœur Sainte Reine, 33 ans].

Après les déclarations si nettes de l'abbé Clec'h, et en possession des pièces à conviction requises, le Directoire du district de Morlaix n'eut aucune hésitation. Il avait sous la main quatre prévenus, car la veuve Leblanc et sa nièce Marthe Levron avaient été arrêtées, elles aussi, quatre prévenus qui étaient justiciables seulement du tribunal révolutionnaire. Séance tenante, et sans désemparer, le Directoire décida donc que dès le lendemain les prisonniers seraient conduits à Brest.

Et en effet, le lendemain 4 Messidor (22 Juin 1794), escortés par la gendarmerie, l'abbé Clec'h et ses campagnes partaient pour cette ville. Ils y arrivèrent le jour même et furent aussitôt incarcérés à la prison du Château. L'écrou est daté du 5 Messidor :

« Du 5 Messidor, an 2 de l'ère républicaine, concierge de la maison d'arrèt dite Le Château, de Brest, tu es par moi soussigné Le Guerne, brigadier de la gendarmerie nationale de Landerneau, chargé de la personne des nommés Augustin Clech, la veuve Le Blanc, Anastasie Le Blanc, sa fille, et Marthe Levron, sa nièce, desquels tu feras bonne et sûre garde sous les peines de droit jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, le tout en vertu du réquisitoire de l'agent national près le district de Morlaix. Signé : Le Guern ; Clausse ». (Archives du Finistère, série L u, registre d'écrou de la Maison d'arrêt du district de Brest, folio 47, verso).

Le procès de M. Clec'h et de ses receleuses fut mené très rapidement. La Terreur était à son apogée, et à Brest particulièrement, plusieurs prêtres fidèles avaient déjà porté leur tête sur l'échafaud. D'autre part, il apparut au tribunal révolutionnaire qu'il était temps d'appliquer dans le Finistère la loi du 22 Germinal (11 Avril 1794) concernant le recel des prêtres réfractaires. (Pierre de la Gorce, Histoire religieuse de la Révolution francaise, tome III, p. 283). On sait que cette loi atroce punissait de la peine capitale celui qui recevait un ecclésiastique ainsi dénommé.

Aussi, à peine les malheureux étaient-ils incarcérés au Château, que l'accusateur public, Donzé-Verteuil, convoqua les témoins qui devaient déposer sur l'identité des détenus et les circonstances de leur arrestation [Note : Joseph-François-Ignace Donzé, dit l'Abbé de Verteuil, puis Donzé-Verteuil, né le 20 octobre 1736 à Belfort et mort le 26 décembre 1818 à Nancy, est un ecclésiastique catholique, un homme de lettres et un révolutionnaire français, membre du Tribunal révolutionnaire. Issu d'une famille distinguée de la région de Belfort, il est le fils aîné de Jean-Nicolas Donzé, marchand, puis conseiller du roi et maître régent de la ville de Belfort, et d'Anne-Barbe Montagne, mariés en 1725 à Belfort]. En même temps, il dressa son acte d'accusation qui se trouva prêt dès le 9 Messidor (27 Juin 1794). Ce document qu'on peut voir aux Archives nationales est relativement court. Pour une fois, Donzé-Verteuil laisse de côté le style grandiloquent dont il est coutumier. D'abord, il se borne à relater les faits que nous connaissons. Puis, il met à la charge de l'abbé Clec’h le fait de « n'avoir pas prêté le serment prescrit aux ecclésiastiques bien que la municipalité de Plestin l'eut invité à le faire, » et relève également contre lui sa qualité de prêtre réfractaire, sujet à la déportation aux termes de la loi du 30 Vendémiaire, non déporté et trouvé sur le territoire de la République.

Quant aux trois femmes, l'accusateur public les inculpe d'avoir recélé sciemment dans leur domicile commun un prêtre réfractaire, qu'elles ne connaissaient pas, mais qui s'était annoncé, chez la veuve Le Blanc, comme un malheureux prêtre obligé de fuir. Donzé-Verteuil relève encore contre elles le « recelé d'objets servants à l'exercice du culte romain et qui feraient présumer celui d'un prêtre chez la femme le Blanc, si Augustin Clech n'y eut pas été arrêté ». (Arch. nat. W 543, n° 3 du bordereau. - Acte d'accusation de Clec'h).

Le 11 Messidor (29 Juin) l'huissier Le Lièvre signifiait aux détenus l'acte d'accusation :

« Du onze messidor l'an deux de la République, Augustin Clech, Anne Le Prince, veuve Silvain Le Blanc, Anastasie Le Blanc, et Marthe Levron, détenus ès prisons de céans comme maison d'arrêt, ont été cejourd'hui écroués et recommandés sur le présent registre comme maison de justice du tribunal révollutionnaire séant à Brest en exécution du jugement rendu par le dit tribunal le neuf du présent et à la requête du citoyen accusateur public près le dit tribunal et ce par moi huissier audiencier audit tribunal soussigné et ai laissé à chacun des susnommés en parlant à leur personne entre les deux guichets au dit lieu en liberté à chacune séparément copie dudit jugement et du présent. Signé : LE LIÈVRE, CLAUSSE » (Archives du Finistère, série L u, registre d'écrou, folio 50, recto).

Le jugement de M. Clech et de ses compagnes fut fixé au 13 Messidor, à 8 heures du matin (1er Juillet 1794). Donc, au jour dit, à l'heure indiquée, le prêtre et ses receleuses furent extraits de leur prison et conduits au tribunal révolutionnaire. Leur condamnation était certaine, et ils ne furent même pas interrogés. En effet, « l'affaire, dit M. Le Bihan, ne comportait ni débats ni défense, la simple constatation d'identité suffisant pour entraîner la condamnation. Celle-ci ayant été établie par la déposition de 11 témoins dont 7 de Morlaix, parmi lesquels se trouvaient les deux personnes habitant la même maison que la veuve Leblanc, indiquées au début de ce récit, Louis Guivarch et Marie-Cécile Samson, et quatre pour Plestin, dont Rouat l'indigne prêtre apostat, Ragmey déclara les débats clos et posa aux jurés les deux questions suivantes :

1° Est-il constant qu'à Morlaix, le 2 Messidor, présent mois (21 Juin), il ait été commis un recélé de prêtre réfractaire ?

2° Anne Leprince, veuve Sylvain Leblanc, Anastasie Leblanc, Marthe Levron, sont-elles auteurs ou complices du dit recélé ?

La réponse du jury ayant été affirmative pour les trois premiers accusés et négative pour Marthe Levron, l'abbé Clec'h, la veuve Leblanc et sa fille Anastasie furent condamnés à mort. Marthe fut acquittée ».

D'après les questions posées aux jurés, on voit que la condamnation des receleuses de M. Clec'h eut un caractère nettement et purement religieux. (Abbé Lemasson, op. cit., p. 119).

Voici d'ailleurs le libellé du jugement qui condamna l'abbé Clec'h et les femmes Le Blanc à la peine de mort, le 1er Juillet 1794 :

« Séance du treize messidor de l'an deux de la République une et indivisible.

Entre l'accusateur public, demandeur, contre Augustin Clech, âgé de cinquante six ans, prêtre, natif de la commune de Plestin, district de Lannion, y demeurant, Marie Marthe Levron, âgée de vingt cinq ans, marchande, native de Morlaix, y demeurant ; Anne Le Blanc, âgée de quatre-vingt ans, tricoteuse, native d'Acadie, demeurant à Morlaix ; Anastazie Le Blanc, âgée de 38 ans, tricoteuse, native d'Acadie, demeurant à Morlaix ;

Vu par le tribunal révolutionnaire l'acte d'accusation dressé par l'accusateur public contre les dénommés cy-dessus ; la déclaration des témoins portant qu'il y a identité entre Augustin Clech et l'accusé qui leur a été présenté à l'audience pour être le dit Clech ; la déclaration du jury portant à l'égard d'Anne Le Blanc, Anastasie Le Blanc et Marie Marthe Levron, qu'il est constant qu'à Morlaix, le deux messidor dernier, il a été commis un recélé de prêtres réfractaires ; qu'Anne Le Blanc, Anastasie Le Blanc sont convaincues d'être auteurs et complices dudit recélé, et que Marie Marthe Levron n'est pas convaincue d'être auteur et complice dudit recélé ;

En conséquence le tribunal l'acquitte des accusations portées contre elle et ordonne sa mise en liberté sur le champ.

Après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loy ; Au nom du Peuple français, le tribunal ordonne que ledit Augustin Clech sera livré dans les vingt quatre heures à l'exécuteur des jugements criminels, pour être mis à mort conformément, aux articles dix, quatorze et quinze et cinq de la loy du trente vendémiaire de l'an deux de la République, dont lecture a été faite, lesquels sont ainsi conçus : ...

Condamne Anne Le Blanc, Anastasie Le Blanc, sa fille, à la peine de mort, conformément à l'article premier du décret de la Convention nationale du vingt deux germinal de la République, dont lecture a été faite, lequel est ainsi conçu  : …

Déclare les biens dudit Clech et d'Anne Le Blanc. Anastasie Le Blanc, acquis et confisqués au profit de la République conformément à l'article deux de la loy du dix mars dernier, dont lecture a été faite, lequel est ainsi conçu : …

Ordonne qu'à la diligence de l'accusateur public le présent jugement sera imprimé et affiché dans toute l'étendue du département du Finistère.

Fait et prononcé en l'audience publique le treize messidor, par Pierre Louis Ragmez, président, Jean Corneille Pasquier, Joseph Palis, Maurice Le Bars juges, qui signent le présent avec le greffier.

Signé : RAGMEY, président, PASQUIER, PALIS, LE BARS, CABON » (Archives du Finistère, série L, registre du tribunal révolutionnaire de Brest, folios 26, verso, et 27).

Ance, le sinistre bourreau fut, cette fois, plus expéditif encore que de coutume. Ce même jour, à midi, il exécuta les trois condamnés sur la place « des Triomphes du peuple ». Bien tristes triomphes, en vérité ! Et le procès-verbal d'exécution des victimes fut, quelques instants après, établi par l'huissier du tribunal révolutionnaire :

« Du 13 messidor l'an deux de la République, Augustin Clech, Anne Le Prince veuve Silvain Le Blanc et Anastasie Le Blanc, condamnés à mort par jugement du tribunal révolutionnaire séant à Brest, en date de ce jour ont été cejourd'hui exécutés sur la place publique du Triomphe du peuple, et à l'égard de Marthe Levron elle a été mise en liberté à l'audience, le tout à la réquisition de l'accusateur public en présence de moi huissier audit tribunal soussigné. Signé : LE LIÈVRE » [Note : Archives du Finistère, série L u, registre d'écrou de la maison d'arrêt du district de Brest, folio 50, recto. — Voir aussi Archives nat. W 543, n° 7 du bordereau (Lemasson, op. cit., p. 121)].

On ne peut que s'incliner bien bas devant cette humble et forte figure d'Anne Le Prince, veuve Le Blanc. En 1763, avec deux enfants en bas-âge, elle avait quitté l'Acadie (sans doute pour se soustraire à la persécution protestante), et s'était réfugiée à Morlaix. Là, que voyons-nous ? La veuve vit du travail de ses mains, de son pauvre métier de tricoteuse. Et cependant elle élève parfaitement ses enfants. Car, l'une de ses filles devient Carmélite, tandis que l'aînée prend soin de la vieillesse de sa mère. Entre temps, la Révolution éclate et veut détruire la religion. Anne Le Prince ne craint pas de paraître suspecte. Quand les Carmélites sont chassées de leur couvent, elle recueille une partie de leur mobilier. D'autre part, habitant la ville même de Morlaix, elle connaît certainement les pénalités qui frappent le recel des prêtres. Néanmoins quand M. Clec'h se présente chez elle, l'âme de la veuve ne fléchit pas. Ce dernier est « absolument inconnu d'elle », mais il se qualifie de « pauvre malheureux prêtre obligé de fuir ». Et sans autre raison, par pitié et parce qu'il est prêtre, elle reçoit le proscrit. Plus tard, le jugement dira que l'acte d'Anne Le Prince fut accompli « sciemment ». Oui, certes ! Mais, s'il y eut crime aux yeux des hommes, quelle récompense aux yeux de Dieu ! Pour l'héroïque veuve se vérifia cette parole de Jésus dans l'Evangile : « J'étais errant, et vous m'avez recueilli ».

Anastasie Le Blanc eut, elle aussi, une grande part de mérite dans le recel de M. Clec'h. D'abord, ce n'était plus une enfant : elle avait 34 ans. Elle montra son esprit de foi et son zèle en courant affolée avertir le prêtre. Puis, elle participa à tous les actes de sa mère et répondit comme elle aux interrogatoires. Enfin, ce sera pour les mêmes motifs qu'Anastasie Le Blanc sera incarcérée, jugée et livrée à l'échafaud.

Il faut dire à l'avantage des femmes Le Blanc qu'elles étaient réputées, à Morlaix, personnes honorables et dignes de confiance. C'est à elles qu'un négociant de cette ville, Jean-Louis Gault, remettait les clefs de sa maison, au cours des tournées qu'il faisait en Bretagne, c'est chez elles qu'il avait en dépôt des meubles de valeur et des objets d'argent (Archives du Finistère, série Q).

Quant à M. Clec'h, dont le nom domine dans cette tragédie du 1er Juillet 1794, nous n'avons malheureusement pas assez de documents explicites pour juger parfaitement de ses sentiments intérieurs. Cependant, cet interrogatoire du 20 Juin, qu'il subit à Morlaix, lors de son arrestation, nous permet d'apprécier suffisamment l'âme claire et loyale du saint prêtre. Il semble accepter d'avance tout son sort et penser avec l'Apôtre que sa course est terminée, qu'il a conservé la foi, que la récompense vient. C'est sans doute avec ces sentiments de piété profonde qu'il subit son martyre.

Le souvenir de M. Clec'h est pieusement conservé dans sa famille qui existe toujours. Le 30 Fructidor, an IV, deux ans après la mort du prêtre, ses collatéraux se partageaient son mobilier. Entre autres meubles, y figurèrent : un lit garni, une armoire en noyer, une vieille bibliothèque en chêne, deux couverts et trois gobelets d'argent, une paire de boucles, deux vieilles montres en argent ... [Note : Archives de M. Huon de Penanster, membre de la famille. — L'une de ces montres, celle qui fut prise chez la veuve Leblanc, est la propriété de M. Huon de Penanster]. Le 21 Avril 1826, Augustin Clec'h, avoué à Guingamp, demande la liquidation de l'indemnité due pour l'aliénation des biens confisqués sur son oncle, l'abbé Clec'h, dont il est l'unique héritier (Archives du Finistère, série Q).

La paroisse de Plestin, elle aussi, garde fidèlement la mémoire de M. A. Clec'h. Son nom peut se voir dans l'église paroissiale : il est gravé sur une plaque de marbre près de l'autel du Sacré-Cœur avec l'inseriplion : « Mort pour la Foi à Brest ».

A Plestin également, la maison de la famille Clech existe encore.

M. le chanoine Goasdoué, curé de Plestin, a bien voulu nous communiquer les renseignemems qui suivent :

L'abbé Fournis, prêtre habitué, né à Plestin en 1846. et y résidant depuis plusieurs années, se rappelle que ses grand'mères Marie Brigant, morte à 89 ans, et Anne Bastard, décédée à l'âge de 76 ans, qu'il a parfaitement connues, parlaient souvent des prêtres de Plestin victimes de la Révolution et surtout de MM. Clec'h et Prat. Elles considéraient ces deux prêtres comme martyrs de la Foi.

M. l'abbé Joncour, né en 1842, curé-doyen de Plestin de 1892 à 1903, prêtre très pieux, savant et au courant de l'histoire locale, termine ainsi, dans le « Cahier paroissial » l'article qu'il consacre à M. Clec'h : « Un souvenir bien grand restera toujours attaché à la maison habitée par ce prêtre [Note : Cette maison existe toujours dans le voisinage et au Sud-Ouest de l'église. On voit qu'elle a été intérieurement remaniée. Elle porte au pignon Sud l'inscription : F. P. G. CLECH. 1739]. Toutes les fois que je vais vers cette maison, je salue le martyr qui l'a sanctifiée, je salue le héros chrétien qui a fait et fera toujours la gloire de Plestin ».

En 1894, deux monuments furent érigés dans l'église de Plestin en l'honneur des martyrs et confesseurs de la Foi de la paroisse. Voici le procès-verbal qui fut dressé à cette occasion :

« Ce jour, premier Juillet 1894, jour centenaire du martyre de vénérable et discret messire Augustin-Marie Le Clec'h, prêtre et vicaire de Plestin, nous soussignés prêtres et fidèles du doyenné et de la paroisse de Plestin, avons érigé et béni, pendant la grand'messe deux monuments en marbre... en l'honneur des martyrs et confesseurs de la Foi de cette paroisse pendant la Révolution et persécution de la fin du siècle dernier en France ».

Le premier monument porte l'inscription suivante :

SOUVENEZ-VOUS DE CEUX QUI VOUS ONT PRÊCHÉ LA PAROLE DE DIEU,
VOYEZ LA FIN DE LEUR VIE, IMITEZ LEUR FOI
VÉNÉRABLES ET DISCRETS MESSIRES

AUGUSTIN-MARIE CLEC'H
NÉ A PLESTIN ET VICAIRE DE CETTE PAROISSE,
MIS A MORT POUR LA FOI, A BREST, LE 1er JUILLET 1794.

GILLES-MARIE PRAT
NÉ A SAINT-QUAY-PERROS, ÉLEVÉ AU QUENQUIS, EN PLESTIN,
VICAIRE DE PLOUZÉLAMBRE,
MORT DE FAIM ET DE MISÉRE A BORD DES « DEUX ASSOCIÉS »,
A ROCHEFORT, LE 28 JUILLET 1794.

JOSEPH-MARIE PEN
NÉ A PLESTIN, PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE A TRÉGUIER,
DÉPORTÉ A L'ILE DE RÉ EN NOVEMPRE 1799,
IL MOURUT LE 28 JANVIER 1800.

MERZER GOAD — KRISTEN HAD [Note : Le sang des martyrs est une semence de Chrétiens].

« Le deuxième monument porte l'inscription suivante :

Nous avons édifié ce double monument pour nous édifier de l'exemple de nos martyrs et confesseurs de la Foi et rappeler aux fidèles de cette paroisse leurs frères parents et amis, le courage et la fermeté qu'ils doivent avoir dans les moments de troubles et de persécutions ».

Suivent les signatures de M. Jaouen, des prêtres du canton, de M. Bescond, aumônier des Filles de la Croix et prédicateur pour la circonstance, et des principaux personnages de la localité, dont le maire M. Saliou.

(abbé Yves Le Roux).

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