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LES PENSIONNAIRES DE L'HÔTEL-DIEU DE NANTES

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Ce que j'ai dit par ailleurs suffit à indiquer ce qu'il faut penser de la destination du primitif Hôtel-Dieu, lorsqu'il était au Port-Maillard ; il me reste à exposer quelle importance il acquit, après sa translation. Dès qu'il fut reconstruit sur les bords de l'Erdre, il ouvrit ses portes à toutes les misères sans distinction : aux boiteux, aux aveugles, aux vieillards, aux blessés et aux fiévreux. On lit dans un arrêt du Conseil de 1532, que les pauvres de tous pays étaient reçus, et je n'ai vu nulle part aucune disposition restrictive envers les étrangers pendant les XVIIème siècle et XVIIIème siècles. Quand un malade était amené à l'Hôtel-Dieu, on s'empressait de lui donner un lit s'il y en avait un vacant, sans s'enquérir du lieu de son origine ou du temps de sa résidence à Nantes. On comprend qu'un établissement de ce genre ne pouvait se montrer exclusif et renvoyer dans son pays un malade qui avait besoin de prompts secours.

Jean Dono, chanoine de la collégiale Notre-Dame, donna, en 1545, une rente de 50 livres pour que les femmes et filles enceintes fussent reçues pendant leurs couches [Note : La dame de Goulaine, en fondant l'aumônerie du Loroux, avait aussi pensé aux femmes enceintes]. Les intentions du bon ecclésiastique ne furent pas longtemps remplies, sans doute à cause des inconvénients et des embarras que causait cette classe de pensionnaires dans un hôpital de petite dimension. Ce qui me fait penser que l'Hôtel-Dieu n'a point eu de salle de maternité sous l'ancien régime, c'est l'opposition qui se manifesta parmi les sœurs, lorsqu'en 1792, on voulût introduire ce service.

Pendant le XVIème siècle, l'hôpital de l'Erdre fut presque constamment occupé par les pestiférés, jusqu'au moment où le Sanitat fut fondé en 1572. Le fait est bien et clairement établi par le règlement dont j'ai donné le texte par ailleurs, par les comptes des miseurs et par diverses procédures où l'Hôtel-Dieu est toujours représenté comme le seul asile des pestiférés. « Or, est-il que, en la ville de Nantes, dit une requête de 1532 [Note : Requête déjà citée par ailleurs], ne aux fauxbourgs, ne és envyrons, n'y a hospital ne maison séparée pour mettre les pestiférés, mais est l'on contraint en la maison de l’hospital dudit Nantes les prendre, recevoir et loger indistinctement qui est, par ce moyen, cause que l'on donne infection et contagion à l'autre ». Quelques maladies de peau et des fièvres contagieuses y furent également traitées, mais dans une annexe sur la rive droite de l'Erdre.

Ceux qui étaient atteints du mal de Naples furent traités successivement, comme je l'ai montré ailleurs, à Saint-Clément et à Toussaints. Le règlement de 1568, que je citerai plus loin, au chapitre de l'Administration, indique formellement que les vérolés, les teigneux et galeux devaient être envoyés à Toussaints. Des dispositions furent prises, en 1570, pour les recevoir à l'hôpital de l'Erdre ; mais dans le nouvel édifice de la prée de la Madeleine, on ne jugea pas convenable de réserver une place pour cette catégorie de pensionnaires (Registre des délibérations de la mairie). Après la fermeture de l'aumônerie de Toussaints, on ne fit pas meilleur accueil aux galeux et aux teigneux ; le traitement de ces malheureux fut abandonné aux sœurs du Sanitat. Toutes les tentatives qui furent faites pour amener les gouverneurs des pauvres à se départir de cette exclusion n'eurent aucun succès. En 1748, la direction rédigea un avis pour inviter le public à ne pas envoyer de personnes attaquées de maladies incurables, de maux vénériens, de teigne, de lèpre ou de gale, ni de femmes grosses pour accoucher, attendu que l'entrée leur était interdite par lettres-patentes. Le major du régiment de Rohan ayant essayé, en 1786, de faire admettre des soldats galeux, il lui fut répondu que, suivant le vœu des fondateurs, les individus atteints de maladies vénériennes et contagieuses ne devaient pas être traités dans l'établissement [Note : Les soldats vénériens allaient à Brest et les galeux à Lorient]. Les galeux, les vénériens et les femmes en couche ne furent reçus sans résistance qu'après 1790 ; quant, aux vénériennes, filles de mauvaise vie, elles furent encore longtemps traitées dans l'infirmerie de la prison, à cause du trouble qu'elles apportaient dans la maison ; elles n'obtinrent leur entrée que depuis 1827.

La classe de malheureux qui absorba la plus grande part des ressources de l'Hôtel-Dieu fut, au XVIème siècle, celle des mendiants affamés. Donner du pain à ceux qui mouraient de faim fut l'une des plus grandes préoccupations des administrateurs, quand la peste leur laissait un peu de répit. La famine de 1531 fut si affreuse et les privations avaient été si longues parmi les indigents que beaucoup mouraient, dit un contemporain, aussitôt après avoir mangé.

Laissons parler le receveur des deniers de cette année là : « Il est à entendre que audict an 1531, septier seille valloit 6 livres, et que la famine fut au quartier nantois si grande, que homme jamais ne l'avoit veue telle, et pour ce que les pouvres mourrint de faim par les rues, chemins et en leurs maisons, et estoient en telle nécessité, qu'ils rompoient et persoient murailles, maisons, édiffices pour recouvrer du pain ».

Afin de soulager une aussi grande détresse les bourgeois assemblés décidèrent qu'on ferait des quêtes extraordinaires. Deux notables furent choisis dans chaque paroisse pour recueillir les aumônes, et le produit des collectes servait à acheter du pain qu'on distribuait. Les pauvres se plaçaient sur deux rangs le long de la chaussée des Ponts et sur la motte Saint-Pierre pour recevoir les secours de la charité.

Le bruit s'en répandit aux alentours, et bientôt de 1,600 le nombre des indigents monta à 5,000. Pour soulager tant de malheureux, on eut recours à tous les moyens. On envoyait par les rues des gens avec des tonneaux pour recueillir la soupe que chacun voudrait bien donner. Outre les dons volontaires, la ville dépensa en secours plus de 4,000 livres en quelques mois.

En 1568, le nombre des malheureux était si considérable qu'on fui obligé d'établir une police rigoureuse et centraliser les aumônes entre les mains d'un receveur général afin de les répartir convenablement, suivant les besoins de chaque semaine. Les directeurs de l'Hôtel-Dieu faisaient connaître au bureau des surintendants le nombre de leurs pensionnaires, recevaient des secours proportionnels et les distribuaient à leurs pauvres.

Vers 1584, la misère fit tant de victimes dans le comté nantais qu'il fallut prendre des mesures plus générales et étendre la police de la mendicité jusqu'aux paroisses circonvoisines. La ville avait assez de pauvres à nourrir dans son enceinte, plus que ses ressources ne lui permettaient d'en secourir, il était donc naturel que chaque paroisse assistât les nécessiteux de son ressort. On ordonna, après une consultation en assemblée générale, à tous les mendiants étrangers de se retirer dans leurs paroisses avec les secours de route qui leur furent distribués, et des chasse-gueux furent placés aux portes de la ville pour leur en interdire l'entrée. Les pauvres reconnus de la ville devaient s'abstenir, sous peine de privation de secours, de mendier aux portes et dans les églises, afin de ne pas nuire au produit des quêtes et à l'équité de la répartition. Les habitants qui recevaient les étrangers mendiants chez eux étaient passibles d'une amende de 10 écus ; tout le monde devait faire ses efforts pour vider la ville des étrangers. Le bureau de la mairie arrêta, la même année, que les curés du diocèse seraient invités à exhorter leurs paroissiens, afin qu'ils vinssent en aide aux pauvres de leur pays.

L'article 4 de la délibération prise en 1584 portait que les gens d'église et bénéficiers devraient s'assembler pour trouver les moyens de pourvoir à la subsistance des pauvres et qu'on les y contraindrait par la saisie de leur temporel s'ils ne montraient pas assez de générosité (Arch. de la mairie. — Cartons des hospices). Comme les pauvres, malgré toutes ces ordonnances, fondaient sur Nantes, parce qu'ils craignaient de mourir de faim chez eux, l'autorité de la justice fut invoquée. Il y avait au Loroux, en 1584, 1,200 pauvres privés de secours. A la requête des habitants de Nantes, le siége présidial condamna le curé à payer 10 écus tous les trois mois, le prieur 15 écus et le desservant de l'aumônerie 12 écus.

Il paraît que les charités publiques n'étaient pas proportionnées aux misères à secourir, et que beaucoup de gens donnaient avec parcimonie, car la mairie sollicita et obtint un arrêt du Parlement (18 avril 1584) qui permît aux directeurs de la police des pauvres de taxer au prorata de leurs moyens les habitants de Nantes qui refuseraient de payer une contribution honnête. En chassant les étrangers, le principal but était aussi d'éloigner la contagion causée par la malpropreté affectée de tous les mendiants. C'est pour se préserver de leur affluence qu'en 1587 la ville fit distribuer des secours dans les paroisses voisines. Cette année 1587 fut encore une année pénible à traverser pour la classe indigente. L'Hôtel-Dieu fut peuplé d'une foule de mendiants valides, de femmes et d'enfants sans travail, qui dévoraient tous ses revenus. Les gouverneurs des pauvres obtinrent l'autorisation d'envoyer toute cette population aux fortifications qui se faisaient autour de la ville neuve du Marchix pour y porter de la terre.

En 1597, les distributions publiques se faisaient encore, comme nous l'apprend l'ordonnance de police ci-jointe. Les gens de métier avaient perdu leur aisance pendant les guerres de la Ligue, aussi se seraient-ils volontiers joints à la foule des mendiants si des défenses expresses ne leur avaient été faites.

DE PAR MONSEIGNEUR ET MM. DE LA POLICE A NANTES.

Sont faictes très-expresses déffances à tous gens de mestier de la ville et faulxbourgs, soient texiers, moulniers, pescheurs, portefeix, chartiers, encaveurs, cordonniers, savetiers, merciers, batelliers, lavendiers, taverniers et tous autres de quelque estat et mestier qu'ils soint et dont ils sont accousturné guaigner leur vie, de se trouver à la distribution des aulmosnes qui se font aux pauvres nécessiteux, ny de y envoier leurs femmes, enfants et serviteurs, sur paine du fouet pour la première foix et pour la seconde d'estre chassez.

Sont aussi faictes deffences à tous les dicts pauvres necessiteux qui sont hors ladicte ville et faulxbourgs tans hommes que femmes, de porter auxdictes données autres enffants que les leurs ny de desadvouer les parroisses dont ils sont, sur pareilles paines.

Sont pareillement faictes deffences sur mesmes peines à tous lesdicts pauvres nécessiteux de se desrober pour aller de l'un des lieux de ladicte donnée demander l'aurnosne en ung autre lieu.

Est aussy deffendu à tous ceux qui portent la hotte de quitter leur palle ny hotte pour aller à autres données sur les peines du fouet.

Est aussy faict injonction et commandement à tous lesdits pauvres necessiteux aussy tost que ladicte donnée aura esté faicte de se retirer hors ladicte ville et faulxbourgs, sans y retourner, séjourner, loger ny couscher, le tout sur pareilles paines du fouet.

Faict et arresté au bureau de la police tenu le 28 avril 1597 (Arch. du département. F. de l'évêché).

Sous Louis XIII, la ville n'était pas encore débarrassée des vagabonds et gens sans aveu. Ils arrivaient encore par bandes nombreuses et cherchaient à s'établir en ville pour y mendier. En 1624, il fut arrêté au bureau de l'Hôtel-de-Ville que deux archers seraient placés aux quatre principales portes de la ville et qu'on les armerait d'épées et de hallebardes. Deux ou trois autres archers furent envoyés par les rues pour appréhender ceux qui auraient échappé à la surveillance des portes. L'année suivante 1625, les échevins se partagèrent les quartiers de la ville, visitèrent toutes les maisons et firent enfermer en la tour de la Poissonnerie tous les vagabonds étrangers et valides.

Nous verrons au chapitre du Sanitat, comment le bureau de l'Hôtel-Dieu fut déchargé du souci des distributions et remit aux mains des directeurs de l'Hôpital Général la police de la mendicité.

Une innovation fort utile et que les hôpitaux de nos jours devraient faire revivre partout fut établie à la fin du XVIIème siècle. Des personnes charitables gardant l'anonyme s'alarmèrent des dangers que couraient les femmes pauvres et inoccupées sortant de l'Hôtel-Dieu. Elles donnèrent en 1695 une somme de 550 livres, afin qu'elle servît à l'achat d'une maison de retraite où les filles iraient passer leur convalescence jusqu'au moment où elles auraient trouvé un emploi à leur goût. Leurs intentions furent mises à exécution dès le 10 juillet 1695. On acheta près la motte Saint-Nicolas et de la barrière des Bretineaux une portion de maison composée de deux chambres au premier étage, de deux antichambres, d'un petit grenier et d'une cave. Ses revenus, montant à 304 livres au milieu du XVIIIeme siècle, se composaient de cotisations fournies par les paroisses et de 30 livres données par l'Hôtel-Dieu. Elle resta ouverte jusqu'en 1790. Suivant l'intention des donateurs la régie de la nouvelle maison fut confiée à trois personnes dont deux prêtres. Ce bureau de direction se recrutait par lui- méme quand une vacance se produisait ; le bureau de l'Hôtel-Dieu était néanmoins celui qui décidait en dernier ressort et prononçait souverainement sur toutes les questions. L'intérieur de l'asile fut d'abord desservi par des servantes à gages ; mais en 1717 des personnes charitables offrirent leurs services gratis. Voici le traité qui fut passé à ce sujet :

RÈGLEMENT APPROUVÉ PAR L'ÉVÊQUE DE NANTES.

On ne peut assez louer les personnes charitables qui veulent se sacrifier au service de Dieu dans la maison des convalescents. Cet établissement est un effet de la Providence dont on espère beaucoup de fruits ; mais il ne peut être solide si on ne lui donne des règles qui soient exactement observées et c'est cette considération qui engage MM. les Directeurs de l'Hôtel-Dieu, premiers supérieurs de ladite maison à prescrire le règlement qui suit sous le bon plaisir de Monseigneur l'Evesque de Nantes :

1° Que la maison de convalescence sera membre dépendant de la maison de l’Hôtel-Dieu, sans cependant que ladite maison de l'Hôtel-Dieu soit en aucune manière ny pour quelque cause que ce soit sujette à fournir aucuns fonds ni revenus à ladite maison de convalescence.

2° Que les dames et demoiselles ne pourront recevoir aucuns dons ni fondations, mais MM. les Directeurs de l'Hôtel-Dieu qui seuls les pourront employer suivant l'intention des donateurs et fondateurs et par l'avis de leurs compagnies.

3° Pourront cependant la supérieure et la trésorière recevoir les sommes d'argent qui seront données par forme d'aumosne dont la trésorière se chargera sur son livre pour en tenir compte.

4° La trésorière aura un livre de recette et un autre de dépense chiffré par MM. les Directeurs de l'Hôtel-Dieu et rendra compte tous les mois.

5° Tous les mois, il se tiendra un bureau par MM. les Directeurs dans ladite maison de convalescence dans lequel ils appelleront les sujets et officiers de la maison qu'ils jugeront à propos.

6° Pourront néanmoins lesdits sieurs directeurs traiter dans leur bureau de l'Hôtel-Dieu des affaires de la maison de convalescence.

7° Que la supérieure et autres officiers de ladicte maison seront esleus tous les ans par l'avis de MM. les Directeurs après en avoir conféré avec la supérieure et trésorière.

8° Il ne sera reçeu aucunes veuves ou filles dans ladicte maison, que par l'avis et consentement de MM. les Directeurs après eu avoir conféré à la supérieure et trésorière. Et autant que faire se pourra on ne recevra que des sujets de bonne famille et après un an de probation.

9° Qu'après leur réception, elles ne pourront être mises dehors que pour causes jugées suffisantes à la pleuralité des voix des sieurs directeurs, après en avoir conféré avec la supérieure et la trésorière.

10° Pourront néanmoins lesdites soeurs sortir de ladite maison, si bon leur semble, sans prétendre aucune gratification de leurs services pour les pauvres de ladite maison de convalescence.

11° Que les dames ou demoiselles qui seront receues dans la maison paieront leur pension qui ne pourra estre moindre que de 160 livres.

12° Pourront cependant, MM. les Directeurs en recevoir à moindre prix lorsqu'ils le jugeront avantageux pour la maison.

13° Que les dames et demoiselles ne pourront recevoir que les convalescents de l'Hôtel-Dieu qui auront des billets de l'un de MM. les Directeurs.

14° Qu'elles auront aussy les malades trépanés dudit Hôtel-Dieu, sur des billets desdits sieurs directeurs et que pour cet effect, elles auront une chambre particulière.

15° Le chirurgien de l'Hôtel-Dieu ira dans la maison faire les trépans et y panser les malades trépanés et prendra les remèdes nécessaires pour cet effect à ladite maison de l'Hôtel-Dieu.

16° Que lorsque mesdits sieurs les directeurs jugeront les revenus de ladite maison des convalescents excéder la dépense nécessaire pour l'entretien des convalescents et trépanés, les enfants de police pourront y estre receus, nourris et entretenus jusqu'à l'âge de dix ans.

17° Que mesdits sieurs les directeurs pourront entrer et visiter ladite maison quand bon leur semblera et donner tels ordres qu'ils jugeront avantageux pour le bien de ladite maison, parce qu'ils rendront compte au premier bureau pour y estre délibéré.

18° Au cas que ladite maison des convalescents vint à manquer pour quelque cause que ce soit, les biens d'icelle et généralement tout ce qui pourra en dépendre sans réservation, demeureront en propre à l'Hôtel-Dieu.

Passé que lesdits articles auront esté veus et reçeus par les trois compagnies, ils seront présentés à Monseigneur l'Evêque de Nantes.

Nous approuvons les articles ci-dessus parce que nous nous réservons et donnerons la nomination, approbation des chapelains et aumosniers et sauf tous nos autres droits à Nantes, ce 21 avril 1717. G., évêque de Nantes.

Nous soussignées de l'autre part, déclarons accepter tous les articles concernant la maison des convalescentes et de les accomplir dans toute leur forme et teneur.

Fait à Nantes, ce 23 avril 1717.
MARIE CHAPELAIN et BRIGITTE BOUYER
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Lorsque le public fut témoin des heureux résultats de cette institution il se prit à regretter que les autres classes de pensionnaires ne fussent pas à même de jouir d'un semblable bienfait, car la période de rétablissement était toujours fort longue pour les malades qui passaient leur convalescence à l'Hôtel-Dieu. La direction appelait de ses vœux le jour où elle serait assez riche pour créer une annexe spéciale pour les convalescents ; elle fut obligée d'attendre jusqu'en 1734. A cette époque, un prêtre, M. Maillard du Plessis ayant eu la généreuse pensée de laisser un legs de 2,433 livres en exprimant l'intention formelle qu'il fût utilisé pour un asile de cette nature, le bureau des pauvres désigna de suite dans le voisinage de l’Hôtel-Dieu une maison qui fut appropriée au moyen de cette libéralité et mise à profit dès l'année 1734 (Reg. des délibérations de l'Hôtel-Dieu, f° 141).

En 1759, d'après les instances du Ministre de la guerre, il fut décidé qu'une chambre spéciale serait destinée à recevoir les soldats en convalescence dont la guérison était toujours retardée par le mauvais air des salles communes. Ce n'est pas la première fois que les registres font mention de cette classe de pensionnaires ; dès 1717, on voyait des soldats dans les salles de l'Hôtel-Dieu, mais ils ne furent jamais nombreux sous l'ancien régime. En 1780, le commissaire des guerres ayant demandé qu'une place plus étendue leur fût réservée, on établit trente lits de plus pour eux. Le major du régiment de Rohan voulant, en 1786, que ce nombre fut augmenté, il lui fut répondu par les pères des pauvres que le local ne permettait pas de donner plus d'extension aux salles des militaires, que l'établissement suffisait à peine pour la ville, qu'il était indispensable de réserver des places pour les temps d'épidémie et que si on avait, consenti à recevoir des soldats auparavant, c'était par déférence seulement pour les ordres du Roi.

Quand un cavalier ou un fantassin entrait dans les salles de l'Hôtel-Dieu, il était d'usage que l'officier payeur de son régiment laissât un mois de sa solde pour fournir à sa subsistance. Si beaucoup d'hôpitaux se contentaient du prix de la paye militaire et ne demandaient rien de plus à l'Etat, l'Hôtel-Dieu de Nantes avait des revenus trop minimes pour qu'il pût se dispenser de réclamer à l'intendant un supplément d'indemnité quand le séjour se prolongeait. Le greffier dressait un état de journées que le commissaire des guerres certifiait conforme, puis il l'envoyait au Ministre par l'intermédiaire de l'intendant de la province. En 1756, les réclamations étant vives, le Roi fixa le prix des journées d'abord à 14 sous, puis à 16. Cette dépense était à la charge des régiments quand elle concernait un militaire quelconque attaché à un corps, mais elle était soldée par le trésor royal quand elle regardait un soldat congédié ou réformé se rendant à destination ou à un invalide des compagnies détachées.

Pendant la période révolutionnaire et particulièrement pendant la durée de la guerre de la Vendée, les militaires et les marins envahirent la plus grande partie des salles de l'Hôtel-Dieu, au grand détriment de la population indigente de Nantes. On ne peut pas en faire un reproche à la Commission administrative, car dans les circonstances douloureuses que traversait alors le pays, il était naturel que les premiers soins fussent réservés aux défenseurs de la patrie.

L'Hôtel-Dieu de Nantes possédait aussi comme tous les hôpitaux de France un quartier d'orphelins qui mérite une place importante dans ce chapitre. La classe des enfants abandonnés est celle qui paraît avoir le moins ému la pitié pourtant si large de nos pères dans le cours du moyen âge. Il est bien entendu que je ne comprends pas dans cette catégorie d'êtres souffrants ceux qu'on désigne ordinairement sous le nom d'orphelins, c'est-à-dire ceux qui étaient nés de parents légitimement mariés. Dans les lieux où s'élevait un Hôtel-Dieu ceux-ci étaient accueillis de préférence à tous autres et partout ailleurs ils ne manquaient pas de trouver assistance au presbytère du recteur, à l'aumônerie du monastère, à l'école de l'archidiacre ou à la maîtrise épiscopale. Quand bien même tous les documents se tairaient à cet égard, notre clergé français a donné assez de preuves de son amour envers les pauvres pour que nous lui fassions l'honneur de croire qu'il a toujours tendu la main à l’enfance en détresse [Note : On a vu par ailleurs que l'aumônerie de Saint-Clément recueillait les enfants, les mettait en nourrice et en apprentissage].

Ceux qu'on a le plus longtemps traités avec dureté sont les enfants trouvés. Rejetées tout à la fois par la société qui les réprouvait à cause de leur origine et par leurs mères qui les déposaient de nuit, comme un fardeau incommode, au coin d'une rue ou sur le seuil d'une porte, ces malheureuses créatures étaient le plus souvent condamnées à périr, faute d'asile. Ce n'est pas à dire cependant que tous les cœurs leur aient été fermés, comme toutes les demeures, jusqu'aux temps modernes. L'époque qui a tant versé d'aumônes pour l'œuvre du rachat des captifs, pour la création des innombrables léproseries que couvraient le sol de la France, pour l'édification des aumôneries établies sur chaque grande route à l'intention des pèlerins et des voyageurs, ne pouvait oublier l'enfance délaissée. On cite des villes qui, comme Angers, possédaient dès le temps de Charlemagne un hospice spécial pour ces infortunés, fondé par l'évêque du diocèse.

D'autres villes, comme Montpellier, Paris, Marseille, ont été dotées d'établissements semblables au XIIème siècle, puis au XVIème siècle ; mais ces fondations n'ont jamais pris assez d'extension et ne se sont pas assez propagées pour obvier aux expositions. Dans les grandes villes, particulièrement où les filles mères de la campagne sont venues toujours se réfugier, malgré les persécutions, pour cacher la honte de leur grossesse, les rues ont longtemps montré aux yeux des passants le triste spectacle de nouveau-nés abandonnés à tous les hasards et à toutes les intempéries, mourant de froid et de faim.

Ce n'est guère qu'au XVIIème siècle que la charité publique stimulée par l'exemple et les prédications de Saint-Vincent-de-Paul, s'est efforcée dans toutes les provinces d'opposer aux envahissements du mal tous les moyens que peut suggérer une compassion éclairée, et c'est la gloire de ce grand bienfaiteur de l'humanité d'être regardé comme l'inspirateur des améliorations successives qui se sont accomplies dans cette partie de l'assistance publique.

En ce qui concerne Nantes, les premières et les plus importantes fondations faites en faveur des enfants orphelins et abandonnés ne remontent pas au-delà de cette époque [Note : Le compte de l'année 1531 rendu par l'aumônier de Saint-Clément fait mention de deux enfants apportés la nuit. On pourrait en conclure que la porte de l’Aumônerie s'ouvrait aussi pour les enfants trouvés]. Au XVIème siècle aucune salle ne leur était réservée à l'hôpital de l'Erdre ; leur sort était à Nantes le même que dans les campagnes, soumis aux éventualités de la charité publique. Le compte de fabrique de Saint-Nicolas de Nantes pour l'année 1515, en fournit la preuve (Comptes cités par l'historien Travers t. II).

Dans le nouvel Hôtel-Dieu construit en 1643, les directeurs employèrent leurs premières ressources à préparer le plus de place possible aux malades et attendirent que des âmes généreuses leur offrissent les moyens d'admettre une nouvelle classe de pensionnaires. En 1668, M. de la Meilleraie, gouverneur de Nantes, légua une somme de 20,000 livres afin qu'une salle spéciale fût construite pour les petites filles, et deux ans après, à son exemple, M. de Marques de la Motte fit un don de 10,000 livres afin qu'une salle semblable fût fondée pour recevoir les petits garçons.

Dès quis les deux nouveaux corps de logis furent achevés et meublés, les portes de l'Hôtel-Dieu furent assiégées par une foule d'indigents qui voulaient faire admettre leurs enfants. Forcé par l'exiguïté des locaux et par la modicité de ses ressources de choisir ceux dont les besoins sont les plus impérieux, le bureau des administrateurs arrêta qu'il recevrait seulement les nouveau-nés et s'écarta rarement de cette règle, même lorsque la maison des filles convalescentes, ouverte en 1695, lui permit de disposer d'un plus grand nombre de berceaux.

L'Hôtel-Dieu ne gardait pas les enfants qui pouvaient être envoyés au dehors, il en confiait une grande partie à des nourrices dont la santé avait été dûment vérifiée par un médecin et auxquelles on payait 24 livres par an Ce salaire fut porté, en 1749, à 30 livres et augmenté encore d'une certaine quantité de farine (un quart de septier). Quand les nourrices faisaient défaut on avait recours au lait des chèvres.

Pénétrés de l'importance de l'œuvre des orphelins, les pères des pauvres étendaient leur vigilance sur ceux du dehors comme sur ceux de la maison et s'occupaient de leur sort avec la plus tendre sollicitude. Ils firent d'abord de nombreux placements chez des femmes de la ville pour exercer une tutelle plus attentive sur leurs pupilles ; mais ils s'aperçurent bientôt que le séjour de Nantes présentait beaucoup d'inconvénients. Mal nourris et mal gardés par leurs parents nourriciers, les enfants cherchaient de quoi vivre, en mendiant leur pain dans les rues et contractaient des habitudes de vagabondage. Les uns étaient enlevés par des marchands forains ou des bateleurs ambulants, les autres servaient de marchandise aux mains déloyales qui voulaient les échanger.

Le premier mouvement des administrateurs fut de décider que les enfants seraient retirés aussitôt après le sevrage pour être élevés dans les appartements de l'Hôtel-Dieu, c'est la résolution qui fut prise dans un arrêté de 1675 ; mais il fallut bientôt se relâcher de cette règle trop absolue qui tendait à trop multiplier le nombre des pensionnaires de la maison. On tenta l'expérience des placements au dehors chez les fermiers et le résultat ayant été satisfaisant, le bureau décida, en 1751, que les enfants ne seraient plus confiés désormais qu'aux femmes de la campagne.

Les recteurs des bourgs qui remplissaient alors beaucoup de fonctions civiles se chargeaient volontiers du rôle d'inspecteurs de bienfaisance. Tous les trois mois ils recevaient de l'Hôtel-Dieu un état nominatif des femmes de leur paroisse qui avaient pris un nourrisson à leur charge, et faisaient des tournées domiciliaires. Lorsqu'un décès survenait, ou qu'un changement de mains leur paraissait nécessaire, ils en informaient les directeurs.

De tous ces soucis, les plus pénibles n'égalaient pas ceux qu'entraînaient les précautions à prendre pour les admissions. Comme il était établi en principe que l’Hôtel-Dieu sérail ouvert seulement pour les enfants de la ville de Nantes et de la banlieue, le bureau avait toujours lieu de craindre les fausses déclarations et se voyait souvent dans la nécessité de faire des enquêtes minutieuses, non-seulement sur l'état d'indigence des parents, mais encore sur leur résidence habituelle.

Quand la vigilance ne parvenait pas à déjouer les manœuvres de la fraude, il fallait invoquer le secours des gens de justice et requérir du Présidial la permisssion d'informer contre les coupables, ce qui arrivait souvent. L'évêché, toujours favorable à la cause des hôpitaux, ne refusait pas son appui et envoyait des monitoires à tous les curés qui, du haut de la chaire, invitaient leurs paroissiens, sous peine d'excommunication, à faire leurs dénonciations, comme dans les cas de crime capital. Tantôt les poursuites étaient dirigées contre des étrangers de qualité qui profitaient de l'incognito pour se débarrasser de leurs enfants entre les mains de nourrices qui les exposaient ensuite sans pouvoir donner aucun renseignement, tantôt et plus souvent contre les filles mères indigentes que la honte éloignait de leur pays, ou contre les habitants qui les logeaient (Voir le registre des délibérations de 1685). Quoique bien informées des règlements, ces dernières n'en continuaient pas moins de venir à Nantes faire leurs couches avec l'espoir de se dérober aux recherches. Leur affluence devenant fort embarrassante, les gouverneurs de l'Hôtel-Dieu eurent recours à toutes les voies de droit pour se délivrer d'une surcharge qui aurait en peu de temps absorbé toutes leurs ressources.

La jurisprudence, sur ce point, n'était pas uniforme. Tandis que dans les provinces voisines les enfants trouvés étaient élevés aux frais des seigneurs, en Bretagne, ils retombaient à la charge des vassaux. Suivant l'article 533 de la coutume, les administrateurs de l'Hôtel-Dieu avaient la faculté de rejeter leur fardeau sur les communautés paroissiales ; ils en usèrent.

En vertu d'un arrêté pris de concert avec la municipalité, en mars 1719, quand on découvrait la mère d'un enfant exposé, on s'informait près d'elle du lieu de sa conception et du nom de son père, afin de le renvoyer à son lieu d'origine. Le général des habitants de la paroisse représenté par les marguilliers de la fabrique était obligé de le recevoir des mains d'un huissier ou d'un sergent auquel il remboursait les frais de transport, même le prix de la pension si l'enfant avait été reçu provisoirement. En cas d'insolvabilité du père et de la mère, les dépenses étaient réparties sur tous les feux de la paroisse.

Quand l'enquête constatait que le père habitait Nantes et qu'il jouissait d'une certaine aisance, il était ajourné à la requête de l'Hôtel-Dieu devant les juges de la prévôté ou de l'évêché qui lui imposaient une aumône de 150 à 200 livres, dont le montant servait à payer l'entretien de l'enfant jusqu'à l'âge de dix ans. Toute personne que payait la même somme pouvait sans difficulté présenter un enfant, quels que fussent sa naissance et son pays.

Lorsqu'il fallut passer à l'application des nouvelles règles adoptées, le bureau des pauvres se heurta à de nombreuses oppositions qui lui démontrèrent bientôt que la matière à laquelle il venait de toucher n'était pas la plus facile à réglementer. La sanction même qu'y ajouta le Parlement de Rennes, par son arrêt du 4 août 1725, n'augmenta pas l'autorité sur laquelle il comptait s'appuyer. Ni les injonctions des officiers de justice, ni les mesures coercitives, ni l'emprisonnement qui frappait les délinquants, ne purent arrêter l'invasion dont on voulait préserver la ville de Nantes ; toutes les délibérations qui sont passées sous mes yeux le prouvent. Les expositions se multiplièrent à tel point pendant le jour comme pendant la nuit, qu'il fallut solliciter un nouvel arrêt, comminatoire du Parlement [Note : En 1747 il y avait 92 enfants à l’Hôtel-Dieu et 170 en nourrice. On en comptait auparavant 180 à la maison et 250 en nourrice]. Il est assez curieux pour que je le rapporte ici :

Extrait des registres de Parlement du 7 juillet 1747.

La Cour faisant droit sur la dite requête et conclusions du Procureur général du Roi, a déclaré l'arrêté de réglement du vingt-quatre mars 1719 commun avec la ville et l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Nantes ;

En conséquence, ordonne que l'enfant dénommé aux extraits dont est cas, sera envoyé à la diligence des suppliants, dans la paroisse du Clion, ou la mère a été engrossée ;

Enjoint aux trésoriers et marguilliers d'en donner bonne et valable décharge aux huissiers et sergents qui l'y conduiront, aux frais de la dite paroisse du Clion, desquels sera délivré exécutoire, sauf son recours, soit vers le père, soit vers la mère dudit enfant ;

Et pour prévenir tous abus à l'avenir, enjoint aux habitants, chirurgiens, matrones de la ville et faubourgs dudit Nantes qui logent chez eux ou en maisons interposées, les filles grosses et les femmes étrangères, d'en donner les noms et demeures dans les vingt-quatre heures, aux commissaires de police et à l'économe de l'hôpital, pour y être pourvu ainsi qu'il sera vu appartenir, sur peine de cent livres d'amende conformément aux regléments ;

Enjoint pareillement aux commissaires de police et économe, de faire exactement leurs visites chez lesdits chirurgiens et matrones et dans les maisons interposées où il peut y avoir des filles grosses ou femmes étrangères ; et aux dits habitants, chirurgiens et matrones, de souffrir lesdites visites, aussi à peine de cent livres d'amende, et d'être procédé contre eux extraordinairement, en cas d'empêchement ou d'opposition ;

Et à l'égard des filles grosses et femmes étrangères, soit des villes et campagnes de cette province, soit des autres provinces circonvoisines qui viennent à Nantes pour cacher leur grossesse, y accoucher, faire recevoir leurs enfants par surprise à l'hôpital, pour éviter à de pareils désordres et à la ruine dudit hôpital, fait expresses inhibitions et défenses à toutes filles grosses et femmes étrangères, de venir en ladite ville de Nantes pour y accoucher, sur peine du fouet après qu'elles auront accouché ;

Fait pareille défense à tous habitants, chirurgiens et matrones de les recevoir chez eux ou en maisons interposées, à peine de cent livres d'amende et de répondre personnellement, et par corps, de la nourriture et entretien des enfants, et ordonne par provision qu'à la diligence de l'économe de l'hôpital, les mères et enfants seront renvoyés aux frais, périls et fortunes desdits habitants, chirurgiens et matrones, dans les lieux de leur naissance, lorsqu'elles n'auront pas déclaré où et par qui elles ont été engrossées ; et en cas de pareille déclaration dans les villes ou paroisses où lesdites grossesses seront arrivées.

Desquels frais, exécutoire sera décerné par les juges de police contre lesdits habitants, chirurgiens et matrones qui leur auront donné retraite, lesquels seront tenus de payer, et par corps, le montant desdites exécutoires ;

Et à l'égard desdites filles et femmes grosses, ou accouchées sans qu'on puisse découvrir qui leur a donné retraite, ordonne qu'elles seront renvoyées, à la diligence dudit économe, avec leurs enfants, dans les paroisses d'où elles sont natives, et spécialement dans celles où elles auront été engrossées, aux frais desdites paroisses, sauf leur recours vers les père et mère des enfants, ou à faire tels égails qu'elles verront ;

Avec injonction et commandement à tous huissiers et sergents, même aux messagers de s'en charger et de les y conduire, à peine de cent livres d’amende ; et aux trésoriers et marguilliers des paroisses, de les recevoir et de leur en donner bonne et valable décharge, sous pareille peine ;

Leur enjoint de veiller à la nourriture et subsistance desdits enfants, et sera décerné exécutoire aux huissiers, sergents ou messagers, des frais de conduite vers les paroisses ;

Enjoint pareillement aux substituts du Procureur général du Roi et Procureurs-fiscaux desdites villes et paroisses, de veiller à la conservation et sureté desdits enfants, et de poursuivre incessamment les habitants des villes et paroisses pour pourvoir et contribuer à leur nourriture sur peine d'en répondre personellement.

Et en attendant l'envoi de la mère et de l'enfant aux dites villes et paroisses, et la discussion qui en pourrait arriver, ordonne que l'enfant sera mis à l'hôpital dudit Nantes, et la mère constituée prisonnière, jusqu'à ce que l'enfant n'ait été reçu par ladite ville ou paroisse, à laquelle il sera jugé appartenir, parce que toutefois ledit hôpital le verra exécutoire, ou vers l'une ou vers l'autre, pour la nourriture et entretien dudit enfant, pendant le temps qu'il y aura été ;

Et à ce que personne n'en prétende cause d'ignorance, ordonne qu’à la diligence du substitut du Procureur général du Roi audit Nantes, le présent arrêt sera imprimé, lû aux prônes des grand'messes des paroisses, tant de ladite ville que des autres paroisses de l'évêché, publié et affiché aux carrefours et partout où besoin sera.

Fait en Parlement à Rennes, le septième juillet mil sept cent quarante-sept.

Signé : LE CLAVIER.

J'ai cité cet arrêt important, non pas tant pour dévoiler les embarras que causait à l'Hôtel-Dieu l'extension croissante de l'immoralité, que pour montrer comment l'extrême sévérité du moyen-âge s'est perpétuée jusqu'au XVIIIème siècle, malgré l'adoucissement des mœurs. Les procédés se sont singulièrement améliorés depuis que l'administration est sortie des mains de la justice, et surtout depuis que l'unité nationale a permis d'établir plus de solidarité entre les intérêts autrefois trop divisés.

Les habitants de Nantes, qui alimentaient la caisse de l'Hôtel-Dieu de leurs propres aumônes sans subvention importante de la province ou de l'Etat, étaient d'autant plus fondés à frapper d'exclusion tous les étrangers, que l'établissement ne répondait même pas aux nécessités urgentes de la ville. Le service des orphelins laissait à désirer comme les autres et réclamait des salles spacieuses en rapport avec l'accroissement de la population.

Un riche négociant, M. Grou, avait été à même d'étudier de près, dans la double charge d'administrateur et de trésorier, les besoins de la maison, et son coeur charitable s'était surtout ému du sort des orphelins. Cet homme de bien, témoin de la mortalité qui en emportait le plus grand nombre, crut que le fléau serait conjuré le jour où on éloignerait ces êtres chétifs de l'atmosphère corrompue de l'Hôtel-Dieu pour les élever dans un asile spécialement approprié pour eux. Le placement à la campagne ne lui semblait pas un moyen d'éducation bon à développer, mais une nécessité temporaire à laquelle il fallait renoncer après le premier âge. Il préférait que l'Administration prit elle même soin de veiller sur la santé et la moralité des enfants.

Afin de fournir aux pères des pauvres les moyens de réaliser ses idées, il légua, en 1772, une somme de 200,000 francs, en exprimant le désir qu'elle fût employée à établir, dans un faubourg de Nantes et en bon air, une maison où seraient reçus les orphelins, depuis la sortie de nourrice jusqu'à l'âge de dix ans. Les intentions de ce bienfaiteur généreux furent accueillies comme elles devaient l'être, avec reconnaissance. Dès qu'elles furent connues, le bureau de l'Hôtel-Dieu s'occupa de les mettre à exécution. Après avoir visité plusieurs endroits de la banlieue de Nantes, les directeurs arrêtèrent leur choix sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la maison de secours et de travail dans la paroisse Saint-Donatien.

Au siècle XVIIIème siècle, ce terrain était une tenue dont le revenu composait le temporel de la chapellenie des Trois-Pendus , desservie à la cathédrale. Sa superficie, d'une étendue de 94,694 pieds, fut estimée, à raison de 15 sous le pied, à la somme de 33,520 livres. Le chanoine Donaud, qui était le propriétaire bénéficier en 1777, ayant obtenu de son évêque la permission de céder son bénéfice pour l'établissement projeté, s'en dessaisit à la condition que l'Hôtel-Dieu lui paierait une rente de 500 livres durant sa vie et ferait célébrer à perpétuité une messe par mois, selon le titre de fondation de la chapelle.

La première pierre de l'édifice fut posée par l'évêque de Nantes et la veuve Grou , le 22 mai 1780. L'architecte, Mathurin Crucy, mena les travaux avec tant d'activité, que le 30 avril 1782 il fut en mesure d'ouvrir aux enfants les portes de leur nouveau domicile. On avait d'abord espéré que cette création d'utilité publique serait favorisée de nombreux dons qui permettraient de lui donner les dimensions d'un vaste hôpital. Les charités qui se recueillirent à cette occasion ne dépassèrent pas 15,000 livres. Il fallut donc renoncer aux plans trop coûteux et se contenter de modestes constructions. Les bâtiments, composés d'une façade terminée par deux ailes, comprenaient six salles spacieuses, bien aérées, mais incapables de contenir plus de 200 lits.

Si M. Grou avait vécu assez longtemps pour voir debout l'œuvre qu'il avait rêvée, il n'aurait pas été satisfait, car il avait toujours conçu la pensée d'un établissement assez grand pour loger 7 à 800 enfants. Son legs, quoique considérable, ne pouvait suffire à réaliser un projet d'une pareille étendue, et dans l'état de pénurie où se trouvait sa caisse, l'Hôtel-Dieu était dans l'impossibilité de mieux faire. S'il avait voulu pousser plus loin les dépenses de construction, les ressources lui auraient ensuite manqué pour subvenir aux besoins journaliers de ses petits pensionnaires.

M. Grou n'avait pourvu qu'en partie à cette nécessité, en imposant à ses légataires l'obligation d'employer 60,000 livres en constitution de rentes foncières. La belle maison qui fut élevée avec cette somme à l'entrée de la chaussée de la Madelaine donnait par son loyer un revenu de 7,000 livres, or la dépense présumée de 145 enfants élevés dans l'asile Grou devait monter à 28,500 livres. Restait à combler un déficit de 21,500 livres. Il fut convenu qu'en attendant une meilleure situation financière l’Hôtel-Dieu fournirait une subvention de 15,000 livres, et que le surplus serait abandonné à l'éventualité des charités.

Les charges arrivèrent plus promptement que les dons. Dès que le bruit de la nouvelle création se fut répandu dans le diocèse de Nantes, les filles-mères que retenait encore dans leur pays la crainte des châtiments portés par les arrêts revinrent en 1780, avec le même empressement que celles de 1759, convaincues que les bienfaits du sieur Grou leur étaient destinés comme aux mères de Nantes : leur insolence devint si menaçante, que le greffier des déclarations se vit forcé de porter plainte au bureau des administrateurs. Ceux-ci prirent alors la délibération suivante :

BUREAU DE L'HÔTEL-DIEU.

POLICE DES FILLES-MÈRES.
A été représenté qu'il n'est plus possible de tirer aucuns droits des déclarations qui se font actuellement au greffe de l'Hôtel-Dieu ; que des filles enceintes arrivent cependant de toutes parts en cette ville pour cacher leur grossesse et faire recevoir leurs enfants par surprise en cet hôpital ; que ces filles et autres de cette ville ou des environs qui vont faire leur déclaration se flattent que leurs enfants doivent désormais être reçus sans difficulté ni approfondissement sur la sincérité de leur déclaration ou infidélité d'icelles, et qu'elles trouvent mauvais qu’on leur fasse des demandes pour que l'on puisse s'instruire du lieu de la conception de leurs dits enfants ; disent que cela doit être indifférent aux pauvres de cet hôpital, puisque l'on établit ici une maison d'enfants trouvés ; que le greffier ne peut plus exercer sa profession dans cette partie avec autant de liberté qu'il en faudrait pour s'assurer de la bonne foi que devroient contenir les déclarations, et que les mauvais propos qui lui sont tenus tant par les filles que par les sages-femmes et autres personnes qui les accompagnent ordinairement chez lui le forcent de s'écarter des dispositions des arrêts rendus en faveur de cet hôpital le 4 août 1725 et 7 juillet 1747 ; que les sages-femmes même et les autres femmes qui font des accouchements contreviennent librement auxdites dispositions et prennent journellement des précautions aussi nuisibles aux filles qu'elles accouchent qu'aux pauvres, en exigeant d'elles des sommes qui excèdent souvent les droits dus auxdits pauvres pour la pension des enfants qui sont reçus par surprise à l'Hôtel-Dieu, dont elles s'approprient ; que ce monopole est proscrit par lesdits arrêts, ce qui donne d'autant plus lieu de les faire exécuter ;

Qu'ainsi il est de la plus grande importance pour cet hôpital d'y remédier attentivement pour éviter sa ruine et de faire connaître au public que la nouvelle maison dont il entend parler ne peut, quant à présent, être destinée au service croit ;

Le bureau, par ces motifs, invite legreffier, en conformité des arrêts du Parlement de Bretagne cités plus haut, à se faire assister d'un commissaire de police dans les visites à faire chez les femmes en couche, en observant dans ses fonctions toutes les règles de la prudence, de la délicatesse et de l'honnêteté.

Toutes les difficultés que soulevait la création du nouvel asile n'étaient pas vaincues, il fallait encore pourvoir à son administration en respectant les intentions du testateur et sans blesser les susceptibilités des bureaux de l'Hôtel-Dieu et du Sanitat qui tous deux avaient été chargés de l'exécution du testament. L'arrangement n'était pas facile, car, des deux côtés, la rivalité se montrait ardente et belliqueuse. Je regrette que les limites de cette histoire ne comportent pas toutes les citations relatives aux incidents de mon sujet ; j'aurais bien amusé le lecteur en lui montrant sur quel ton les amis des pauvres èchangaient autrefois des remontrances à propos des intérêts de leurs protégés. L'Hôtel-Dieu, dont le droit de garder les enfants jusqu'à l'âge de dix ans avait été transféré au nouvel établissement, se disait seul appelé au gouvernement de la maison, et le Sanitat qui les recevait après dix ans, soutenait avec raison qu'il avait intérêt à concourir, et participer à la surveillance. Pour mettre fin à ce conflit de prétentions, on en vint au concordat suivant :

Maison des orphelins fondée avec le legs Grou.

Concordat passé entre le Sanitat et l'Hôtel-Dieu, concernant l'administration de la nouvelle maison des orphelins.

ARTICLE 1er.
La maison des orphelins et bâtards, située sur la tenue des Trois-Pendus, avec ses dépendances et les biens qn'elle possède sur la prairie de la Madeleine, pourra acquérir, par la suite, à quelque titre et condition que ce soit, sera régie et administrée, conformément au testament de M. Grou, par un comité qui sera présidé par M. l'Evêque, et composé de huit administrateurs, savoir : quatre de l'Hôtel-Dieu et quatre du Sanitat.

ART. 2.
Les administrateurs auront séance et voix délibérative dans l'ordre qu'ils ont établi entre eux, et ceux qui les remplaceront prendront rang suivant l'ordre de leur entrée dans le comité.

ART. 3.
La réception des enfants se fera à la pluralité des voix, dans les assemblées du comité qui se tiendront tous les lundis à trois heures précises du soir, depuis la Saint-Martin jusqu'à la Saint-Louis, dans la salle ordinaire de l'Hôtel-Dieu, que le bureau dudit Hôtel-Dieu consent de prêter, à cet effet, jusqu'à ce que le comité ait trouvé un autre endroit pour tenir ses assemblées.

ART. 4.
Le comité nommera, à la pluralité des voix, les sœurs pour la direction des enfants, au nombre de trois ou quatre, et il sera établi un noviciat d'une ou deux novices pour les remplacer, afin qu'on ne soit point obligé de prendre celles de l'Hôtel-Dieu ou du Sanitat, qui ne seroient point au fait de cette direction. Le comité nommera pareillement les aumônier, médecin, chirurgien et autres personnes qu'il jugera nécessaires au service de la maison, pourvu néanmoins que lesdits aumôniers soient approuvés de M. l'Evêque de Nantes, et seront destituables et révocables, à la volonté des administrateurs.

ART. 5.
Le comité sera chargé de la dépense de la maison des orphelins et bâtards et de celle qu'ils feront en nourrice, à compter du 1er avril prochain, et il touchera les sommes que procureront la réception et le travail des enfants, à compter de la même époque.

ART. 6.
La nouvelle maison des enfants ayant été établie dans la vue de décharger l'Hôtel-Dieu et parce que, toutefois, il contribuerait à la dépense de cette nouvelle maison, jusqu'à ce qu'elle fût dans le cas de se passer des secours de l'Hôtel-Dieu ; on est convenu que l'Hôtel-Dieu contribuerait à la dépense de la nouvelle maison, jusqu'à concurrence de ce que les enfants pourraient coûter audit Hôtel-Dieu. On est aussi convenu de fixer la dépense de la nouvelle maison, et que l'excédent de la recette sur cette dépense fixée et sur les charges dont il sera ci-après parlé, seroit colloquée, soit à éteindre les dettes, soit à acquérir de nouveaux revenus, parce que la contribution de l'Hôtel-Dieu diminueroit en proportion de l'extinction des dettes ou de l'augmentation des revenus.

ART. 7.
Pour parvenir à connaître la dépense particulière des enfants, lorsqu'ils étaient à la charge de l'Hôtel-Dieu, on a consulté le tableau des dépenses et recettes totales de l'Hôtel-Dieu, depuis 1771 jusqu'à 1780 inclusivement et on a trouvé que la dépense commune de ces dix années étoit de 126,500 livres. On a estimé la dépense particulière des malades à 98,000 livres, et celle des enfants à 28,500 livres. On a remarqué que, dans la dépense totale de 126,500 livres, on avoit compris les rentes dues par l'Hôtel-Dieu, les réédifications, les réparations des maisons affermées et les dépenses de la pharmacie ; que ces divers articles faisoient un objet d'environ 26,000 livres, et on a considéré que cette somme restant à la charge de l'Hôtel-Dieu devoit être déduite proportionnellement sur la dépense des malades et sur celle des enfants. Cette déduction ainsi faite , la dépense des malades s'est trouvée réduite à 77,858 livres et celle des enfants à 22,643 livres. On a trouvé au chapitre des recettes du même tableau que les dons, legs et aumônes montoient, année commune , à 7,350 livres 8 sols 9 deniers , et envisageant que plusieurs de ces dons pouvoient être déterminés par la considération des enfants et qu'actuellement ils se feroient à la nouvelle maison, on a estimé à 3,910 livres la partie des dons faits en considération des enfants, en gardant la même proportion que celle établie entre leur dépense et celle des malades. Et on est convenu de faire déduction de cette somme de 3,910 livres sur le montant de leur dépense. On a pareillement trouvé que le prix commun desdites dix années des sommes que procurent la réception des enfants et leur travail montoit à 3,285 livres, et l'on est aussi convenu d'en faire déduction sur le montant de leur dépense. Déduisant ces deux sommes de 3,910 livres et 3,285 sur celle de 22,643 reste la somme de 15,448 livres. Et, en conséquence, on a arrêté que la contribution de l'Hôtel-Dieu à la dépense de la nouvelle maison ne pourroit excéder ladite somme de 15,448 livres.

ART. 8.
Pour fixer la somme à laquelle pourroit monter la dépense des enfants dans la nouvelle maison, on a observé :

1° Qu'elle y seroit plus considérable qu'elle n'étoit à l'Hôtel-Dieu lors qu'elle se confondoit avec celle des malades ;
2° Que la dépense des nourrices moutoit à environ 12,000 livres et les vêtements à environ 1,000 livres ; à quoi il faut ajouter la nourriture et entretien de 145 enfants qui sont dans la nouvelle maison et auxquels il faut cinq ou six, tant sœurs que novices pour les gouverner, un aumônier et huit ou dix domestiques ;
3° Que les réparations qui pourront être nécessaires à leurs bâtiments doivent encore entrer en considération.

On a fixé, en conséquence, la dépense totale de leur maison à 28,500 livres, et l'on est convenu qu'elle ne pourroit excéder cette somme tant et si longtemps que seroit tenu d'y contribuer.

ART. 9.
La maison des orphelins et bâtards étant chargée envers l'Hôtel-Dieu d'une rente foncière de 1,650 livres pour cause du terrain que l’Hôtel-Dieu leur a concédé sur la prairie de la Madeleine et d'une rente viagère de 500 livres au profit de M. Donaud, titulaire du bénéfice des Trois-Pendus, dont le temporel a été concédé en considération des enfants ; la maison des enfants devant, en outre, environ 60,000 livres pour cause des bâtiments faits sur la prairie de la Madeleine, il a été convenu que les intérêts de cette somme d'environ 60,000 liv. ainsi que les rentes de 1,650 liv. et de 500 liv. ne seroient pas compris dans la dépense de 28,500 livres ; qu'ils seroient au contraire prélevés, ainsi que les intérêts des sommes que le comité pourra être tenu d'emprunter, pour les causes dont il sera cy-après parlé, sur le prix des fermes de la maison de la prairie de la Madeleine, et que ce qui resteroit du prix de ces fermes seroit seulement employé à la dépense des 28,500 livres.

ART. 10.
Cet excédant des fermes ne pouvant être, quant à présent, que d'environ 1,300 livres et ne pouvant suffire avec la contrition de l'Hôtel-Dieu et les casuels particuliers aux enfants pour faire face à la dépense de 28,500 livres, on est convenu que le déficit seroit pris sur les dons, legs, aumônes qui seront faits à la maison des enfants et qui n'auront pas une destination différente marquée dans les actes de donations, testaments ou autres actes authentiques.

ART. 11.
Si les dons qui seroient faits aux enfants et qui pourront être appliqués à leur dépense ne montoient pas à la somme nécessaire pour remplir le déficit mentionné dans l'article précédent et pour parfaire la dépense de 28,500 livres ; la contribution de l'Hôtel-Dieu ne pourra pas être augmentée et le comité sera tenu d'aviser aux moyens qui lui paraîtront les plus avantageux, soit en empruntant, soit en faisant des quêtes extraordinaires, et les intérêts des sommes empruntées seront aussi prélevés sur le prix des fermes de la maison de la prairie de la Madeleine.

ART. 12.
Les sommes qui proviendront des dons, legs et aumônes pour ce qui excédera la partie nécessaire à parfaire la somme de 28,500 livres, seront employées au remboursement des sommes qui seront dues ou à acquérir de nouveaux revenus, et la contribution de l'Hôtel-Dieu diminuera à raison des intérêts des sommes qui auront été remboursées et des nouveaux revenus que la maison des enfants se sera procurés.

ART. 13.
La maison des orphelins et bâtards ne pourra emprunter tant que l'Hôtel-Dieu sera tenu de contribuer à sa dépense, que dans le cas seulement où les dons joints à l'excédant du prix des fermes sur les charges mentionnées à l'article 9, aux casuels particuliers aux enfants et à la contribution de l'Hôtel-Dieu, seraient insuffisants pour parfaire la somme de 28,500 livres.

ART. 14.
La maison des orphelins et bâtards ne pourra prendre des sommes à fonds perdus à un denier plus fort que le denier vingt, et elle sera tenue de les employer, soit en extinction de dettes, soit en augmentation de revenus ; mais le produit annuel de ces dons ne tournera à la réduction de la contribution de l'Hôtel-Dieu qu'autant que les charges de ces dons à fonds perdus seront moindres que leurs revenus, ou qu'après l'extinction de ces mêmes charges.

ART. 15.
Les membres du comité ne pourront ordonner aucune dépense s'ils n'y sont expressément autorisés par une délibération du comité, et le comité ne pourra aussi entreprendre d'autres bâtiments que ceux qui ont été autorisés par les bureaux de l'Hôtel-Dieu et du Sanitat, sans prendre l'avis de ces deux bureaux, ce qu'il sera pareillement tenu de faire dans tous les cas extraordinaires.

ART. 16.
La maison des orphelins et bâtards sera tenue de payer à l'Hôtel-Dieu, à compter de la St Jean dernière, la somme de 1,650 livres pour la rente foncière due sur la maison de la prairie de la Madeleine, et de continuer ensuite d'année en année le service de ladite rente.

ART. 17.
La maison des orphelins et bâtards sera aussi tenue de payer à M. Donaud, titulaire du bénéfice des Trois-Pendus, 500 livres pour l'année de la rente viagère qui lui est due et qui écheoira à Noël ; de continuer ensuite le service de ladite rente et de libérer l'Hôtel-Dieu des obligations qu'il a prises à cet égard.

ART. 18.
Ladite maison sera pareillement tenue de garantir et indemniser l'Hôtel-Dieu pour toutes et telles sommes qui peuvent rester dues pour cause des bâtiments faits pour lesdits orphelins et bâtards tant sur la prairie de la Madeleine que sur la tenue des Trois-Pendus.

ART. 19.
La contribution de l'Hôtel-Dieu commencera à courir du 1er avril, et elle sera payée d'avance, par quartier, en quatre paiements égaux, chacun de 3,862 livres, jusqu'à ce qu'il y ait lieu de faire une réduction sur ladite contribution.

ART, 20.
L'Hôtel-Dieu fournira les remèdes nécessaires à la nouvelle maison, sans diminution sur sa contribution, et seulement jusqu'à ce que les revenus de la nouvelle maison montent à 30,000 livres et la mettent à ce moyen dans le cas d'établir une pharmacie particulière.

Sur quoy le bureau, après en avoir délibéré, a approuvé et approuve ledit concordat, a consenti et consent qu'il soit exécuté suivant sa forme et teneur.

En séance du 21 mars 1783.

(Extrait des registres du Sanitat).

Les enfants trouvés ou de police restèrent sous cette double tutelle ainsi organisée jusqu'en 1792. A cette époque l'asile Grou perdit son caractère d'établissement municipal et se transforma en un dépôt d'utilité générale dont les pensionnaires se nommaient les enfants de la patrie. Ce nouveau titre nous révèle un changement complet dans le régime adopté à leur égard et nous transporte dans une ère toute différente de la précédente. Loin de rejeter les orphelins, la Nation leur tend les bras, les adopte, leur ouvre tous les hôpitaux de la République et met toute la dépense de leur entretien à la charge du trésor public. Ils deviennent alors les pensionnaires de l'Etat et n'ont plus aucun rapport avec le lieu de leur origine, car la recherche de la paternité est interdite. Leur admission dans la grande famille nationale, au lieu de donner naissance à des contestations scandaleuses, s'accomplit sans difficulté à tel point qu'en l'an VIII le nombre des berceaux s'élève à 450. La patrie les accueille avec empressement et les traite comme des membres précieux dont elle a besoin pour défendre ses frontières et assurer l'œuvre de son émancipation.

On ne peut douter des soins maternels qui présidaient alors à l'assistance des enfants trouvés en lisant le règlement suivant, daté de floréal an III.

RÈGLEMENT.
Pour le mode d'aluchement et de salubrité des enfants en nourrice sèche à la maison dite des enfants de la patrie.

Art. 1er. — Tous les enfants sans distinction de sexe seront divisés par classe de trois en trois mois ou environ. La première, s'entendra de ceux qui n'ont pas trois mois révolus, la seconde, six, la troisième, neuf, la quatrième douze et la cinquième, quinze mois. Ceux au-dessus de cette dernière classe étant censés sevrés et nourris plus solidement que les premiers, sauf les réserves accidentelles, ne formeront qu'une seule et même clase qui sera soignée suivant le mode commun qui sera donné pour les enfants sevrés.

Art. 2. — Chacune des classes susdites recevra des soins communs et particuliers, suivant le mode détaillé ci-après.

Art. 3 — Chaque enfant de toutes les classes aura son lit particulier, son trousseau, son aluchoir et sa ration proportionnée à ses forces et à ses besoins. Les hardes seulement seront réunies par classe comme des enfants ; tous recevront les mêmes soins pour la propreté et la salubrité. Les malades seront séparés et soignés dans un semestre approprié au genre et à la nature de leur maladie sur l'ordre de l'officier de santé.

Art. 4. — Chaque matin après la distribution des aliments solides et fluides et le soir avant la retraite, c'est-à-dire après le souper, toutes les balines seront brassées, retournées et garnies de linges secs et blancs par les nourrices.

Art. 5. — Les nourrices ne pourront faire resservir aucunes couches, chemises ou linges qu'ils n'aient été passés à l'eau ; on évitera de les faire sécher sans ce préalable, pour prévenir les indispositions et les maladies qui sont souvent occasionnées par des linges imbus de l'urine des enfants sans avoir été lavés. Le séchoir sera hors la salle.

Art. 6. — Le corps des nourrissons sera bien essuyé à fur et à mesure qu'ils se saliront et dans les cas seulement où ils ne pourraient être nettoyés de cette manière, on les lavera de la ceinture en bas avec de l'eau tiède, pour les essuyer et les recouvrir immédiatement après, soit avec du linge fin, soit avec une éponge douce. A cet effet, il y aura matin et soir un vase d'eau propre auprès du feu.

Art. 7. — Aucun enfant ne sera emmaillotté d'en bas et ses langes seront ouverts pour la liberté de ses mouvements. Ils seront seulement attachés légèrement au-dessous des aisselles avec des liens par dessus la brassière. Les bras seront également libres.

Art. 8. — Le lait et les panades seront toujours donnés au degré de chaleur supportable et pour faciliter le service à cet égard, l'eau d'orge et l'eau de riz destinées à couper la ration de lait, seront constamment auprès du feu et assez chaude pour dégourdir le lait à fur et mesure des besoins.

Art. 9. — On entendra par ration de lait la valeur d'une once à la fois coupée comme il sera expliqué plus bas, suivant l’âge des enfants. Pour éviter l'erreur à cet égard, il sera fait une petite mesure en étain ou fer blanc qui ne contiendra que la quantité susdite.

Art. 10. — Chaque panade sera d'une once de mie de pain ou environ, en outre de la quantité d'eau nécessaire à sa cuisson, puis d'une ration de lait délayée dans la panade cuite. On aura des mesures indicatives pour la panade comme pour la ration de lait.

Art. 11. — La journée commencera à six heures du matin pour faire les panades et préparer la boisson du déjeûner. De suite on donnera à boire à ceux des enfants qui seront éveillés. Puis on les appropriera, comme il a été dit ci-dessus et toujours sans provoquer leur réveil et l'on finira ce service par la distribution des panades à ceux qui ne seront pas de la première classe.

Art. 12. — La ration de lait sera répétée de trois en trois heures pour les enfants de la première classe et cela nuit et jour dans l'état ordinaire et hors les cas du repos. Mais dans ceux où les enfants auraient des coliques et ne s'apaiseraient pas, on leur donnerait plus souvent et à demi-ration seulement.

Chaque ration pour la première classe sera coupée des 3/4 d'eau d'orge dans l'état ordinaire, d'eau de riz dans les cas de dévoiement et finalement on substituera le lait de chèvre au lait de vache, si l'officier de santé l'ordonne.

La ration de lait ne sera coupée qu'avec une moitié d'orge pour les enfants du second âge, d'un tiers pour ceux du troisième et d'un quart pour la quatrième classe. La cinquième clase pourra recevoir du lait pur.

Art. 13. — Les panades seront pour la seconde classe d'enfants et pour les subséquentes. On les donnera deux fois le jour, matin et soir aux enfants de six et neuf mois et trois fois à ceux de douze et quinze mois. La première se distribuera à sept heures du matin, la deuxième à onze heures, pour la quatrième et la cinquième classe seulement et la troisième à cinq heures. Elles seront faites en commun dans un vase de terre.

En général, elles doivent varier en quantité, suivant l'appétit de l'enfant, lien que le règlement fixe une quantité commune pour servir de comparaison.

Art. 14. — Les enfants à l'usage des panades recevront leur ration de lait coupée dans l'intervalle, suivant leurs besoiris, soit de nuit, soit de jour, mais avec les proportions prescrites relativement à leur âge.

Art. 15. — Les panades seront données à la cuillère et le lait avec un aluchoir ; chaque enfant aura le sien numéroté comme son lit et le bibron sera garni tous les matins d'un petit linge ficellé tout autour à travers lequel l'enfant sucera plus facilement qu'à travers une éponge et ne courra pas risque d'être suffoqué par une trop grande quantité de liquide versé à la fois.

Ces aluchoirs seront de faïence ou d'étain et au moment de regarnir le bibron on le passera régulièrement chaque matin dans l'eau bouillante avec les cuillères pour les panades.

Art. 16. — Lorsqu'un ou plusieurs enfants seront éveillés ou crieront dans l'intervalle des repas, les hospitalières les feront promener par les petites filles et sous leurs yeux, évitant de les porter à la pluie, au soleil ou au grand froid sans avoir le corps et la tête bien couverts.

Art. 17. — Indépendamment des promenades accidentelles précédentes, il y aura tous les jours deux époques fixées, l'une le matin et l'autre le soir, pour faire prendre l'air aux enfants, soit dans la promenade couverte, soit dans l'enclos, suivant le temps.

Ces promenades seront constamment dirigées par une des hospitalières ou au moins une des nourrices. Elles dureront une demi-heure ou environ pour chaque enfant qu'elles viendront échanger et fur et mesure de leur réveil dans la salle ou de leur sommeil entre leurs bras.

Art. 18. — Il est au surplus bien entendu que les quantités des aliments et le temps des promenades pourront toujours être augmentés ou retranchés suivant les circonstances. L'excédant de l'une des rations servira de remplacement à l'autre, sans cependant pouvoir donner à aucun nourrisson le reste d'un autre. C'est-à-dire que connaissant leur appétit divers, on leur présentera à chacun plus ou moins à la fois, suivant leurs besoins présumés. C'est une attention de détail qu'on ne saurait trop recommander aux nourrices qui seront seules chargées de cette exécution.

Art. 19. — La salle des nourrissons sera éclairée chaque nuit par une lampe convenable suspendue au milieu de ladite salle pour éclairer le service et l'abréger.

Art.. 20. — Toutes les nuits et à la turne il y aura une nourrice de garde qui sera obligée de se lever toutes les fois que les enfants crieront, soit pour les changer ou les faire boire. Cette nourrice prendra chaque soir le soin de s'assurer de rechange, de lait, d'eau d'orge et de feu suffisamment pour la nuit. Dans le cas où elle n'entendrait pas les enfants, elle sera réveillée par l'une ou l'autre de ses compagnes qui les entendraient.

Art. 21. — Les nourrices seront subordonnées aux deux hospitalières chargées spécialement de l'emploi des nourrissons. Elles leur obéiront en toute occurrence et notamment pour l'exécution du présent règlement. Elles auront sous leurs orders chacune deux ou un plus grand nombre de petites filles pour les aider seulement pendant le jour.

Art. 22. — Les nourrices coucheront toutes dans la salle des nourrissons, chacune à côté de sa classe d'enfants. Elles iront par moitié, successivement prendre leur repas au réfectoire et les dernières ne pourront s'y rendre que les premières n'aient pris leurs places. Il en sera de même des petites filles.

Art. 23. — Chaque nourrice prendra soin au surplus du trousseau de ses enfants et déposera les hardes sales dans un lieu indiqué en en donnant le compte à la seconde hospitalière que les lui rendra propres et toujours étiquetées par le numéro de la classe à laquelle elles appartiennent.

Art. 24. — La première hospitalière surveillera l'exécution entière du susdit règlement et prendra par compte deux fois par jour les aliments et autres choses nécessaires à l'entretien et à la vie des nourrissons.

C'est elle qui formera tous les soirs ses demandes pour le lendemain en en donnant la note écrite à la supérieure de la maison à laquelle elle sera immédiatement comptable. Enfin, elle préparera les aliments de concert avec une nourrice à tour de rôle.

Art. 25. — La seconde hospitalière suppléera à la première et la remplacera en cas d'absence ou de maladie. Dans tout autre cas elle lui sera subordonnée. Son service le plus immédiat consistera à compter les hardes sales, pour les faire laver et les remettre propres aux nourrices réparties par classes ; à en distraire celles qui auraient besoin de réparations et à les faire raccommoder de suite. Elle dirigera de même la confection des hardes neuves, le renouvellement des balines, bois de lit, etc., et l'appropriement général de la salle qui lui est confié et toujours sous la surveillance de la première hospitalière.

Art. 26. — Les deux hospitalières coucheront dans la salle des nourrissons et surveilleront les services des nourrices. Elles ne mangeront que l'une après l'autre et ne pourront s'absenter en même temps, ainsi qu'il a été dit pour les nourrices.

Art. 27. — Il y aura une toile cirée étendue sur la baline de chaque lit pour empêcher les urines de pénétrer. Ces toiles seront changées, lavées et séchées chaque semaine. Il y aura en conséquence un rechange au moins pour chaque lit.

Arrête en outre qu'il sera fait par le secrétaire de l'administration des expéditions du présent règlement de lui certifiées véritables pour être remises l'une à la supérieure dudit hospice et les autres aux hospitalières (Extrait des registres de l'Hôtel-Dieu).

Quoique l'institution fondée avec l'initiative de M. Grou ne fût pas exempte de critique, elle rendait de tels services qu'elle se maintînt jusqu'en 1811. A cette époque, on reconnut qu'elle aurait une meilleure destination si elle était affectée au service de la maternité et les enfants furent réintégrés à l'Hôtel-Dieu. Une maison qui tendait à acclimater dans les villes une classe nombreuse d'ouvriers indigents ne devait pas rester en faveur à une époque où le courant de l'opinion emportait tous les esprits à la recherche des moyens les plus prompts pour repeupler les campagnes dénuées de bras. L'administration des hospices s'unit à ce concert d'efforts en donnant tous ses soins au placement des enfants chez les cultivateurs, et depuis lors ce système a toujours prévalu.

L'Empire et les Gouvernements qui lui ont succédé ont témoigné une égale sollicitude pour cette classe d'infortunés. Le décret du 19 janvier 1811, en établissant dans chaque hospice un tour qui protége la mère contre toute inquisition diminua sensiblement le nombre des expositions [Note : Ce tour n'a été supprimé à Nantes qu'en 1861]. Sous la Restauration, un règlement du 6 février 1823 est entré dans les plus minutieux détails sur l'admission des enfants dans les hospices, leur placement chez les nourrices et chez les patrons, leur surveillance et les réclamations de leurs parents [Note : En 1804, on revint à l'allaitement naturel des nourrices. L'Evêque invite les curés à surveiller le sort des enfants et le Préfet excite les Maires à faire de même].

La Monarchie de juillet, elle aussi a voulu étudier les importants problèmes qui se rattachent au sort des enfants trouvés. Depuis 1847 [Note : En 1828, des secours à domicile étaient déjà donnés à plus de cent enfants], les filles-mères qui veulent garder leurs enfants reçoivent du département une subvention que des appréciations trop légères ont parfois qualifié de prime offerte à l'immoralité, mais que l'expérience approuve. Ce nouveau mode de secours est, à notre avis, l'un des meilleurs palliatifs d'un mal incurable, car d'un côté la moralité de la mère se purifie en exerçant les devoirs de la maternité et de l'autre l'enfant élevé au foyer domestique peut devenir un appui pour celle qui ne l'a pas rejeté ou un motif de réconciliation avec son séducteur.

Au reste, les inconvénients qu'on pourrait craindre de la part de ce système, sont en partie écartés par la vigilance de l'administration supérieure qui a institué une inspection spéciale pour les enfants trouvés [Note : Cette création remonte à 1847 pour la Loire-Inférieure]. Qu’ils soient assistés au domicile de leur mère ou qu'ils soient remis aux nourrices des hospices, dans tous les cas ils demeurent sujets à une tutelle attentive.

(Léon Maître).

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