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NOTICE HISTORIQUE SUR LE CHATEAU DE NANTES (du IVème au Xème siècle).

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Que le voyageur, qui se rend d'Angers à Nantes, suive la voie de fer ou descende le cours sinueux de la Loire, le premier objet qui frappe ses regards à son entrée dans cette ville, est le Château, demeure affectionnée des anciens ducs de Bretagne, aussi imposant par ses hautes murailles et ses, énormes bastions qu'au temps de François II et de la reine Anne, et, de plus, consacré par la majesté des souvenirs.

A gauche de l'antique monument coule silencieusement la Loire ; à droite, un peu en arrière, se dressent les jours de la cathédrale, comme si l'asile de la prière avait cherché à se rapprocher de l'asile de la force, comme si la croix avait voulu se mettre sous la protection de l'épée.

Cette position du Château entre la cathédrale et le fleuve nous sera expliquée par les commencements de son histoire : la suite de cette histoire nous initiera aux transformations qu'il a subies, aux développements que chaque siècle lui a laissés, aux événements qui se sont passés dans ses murs. Car, il n'a pas toujours été tel qu'il se montre maintenant à nos yeux, ce château, noirci par les ans. Simple tour et petite forteresse d'abord, il s'est peu à peu agrandi : chaque année y a mis sa pierre et chaque pierre y rappelle un souvenir.

« Il est surtout à Nantes, dit M. de la Gournerie [Note : Moeurs et coutumes bretonnes, Nantes, par E. de la Gournerie. Revue européenne, tome IV, n° X], un édifice qui doit inspirer un profond respect : c'est ce vieux Château que vous apercevez tout d'abord en arrivant d'Angers par la Loire. Ce ne serait point sans doute aujourd'hui une imprenable forteresse : mais qu'importe !. Le vieux fort a fait ses prouesses. C'est à présent un invalide, et ses larges bastions, ses douves, ses fenêtres grillées, ses barbacanes, ce mélange d'architecture et d'emblêmes, où vous reconnaissez çà et là les hermines de François II et les croix de Mercœur, tout cela vous pénètre de telles pensées, qu'il vous semble revivre au milieu des grands hommes qui ont passé par là et dont la vie s'est usée plus vite que ces pierres ».

« Revivre au milieu de ces grands hommes » tel est le but que nous avons déjà dit nous être proposé.

Pour atteindre ce but, enlevons un instant de dessus ses bases, par un effort de notre volonté et de notre imagination, le Château tout entier, avec ses courtines et ses tours, ses bastions et ses créneaux. Puis, promenant notre oeil scrutateur sur ses fondements, efforçons-nous d'y entrevoir la date de sa naissance. Enfin, remettons un à un chaque bloc de granit, en nommant la main qui l'a posé, et arrivons ainsi à le reconstituer tel qu'il existe de nos jours.

La même obscurité, qui plane sur les premiers temps de la ville de Nantes, enveloppe également les origines de son Château, et les érudits ne se sont pas moins appliqués à mettre en lumière les commencements de la forteresse que ceux de la cité elle-même.

Différentes opinions ont été émises sur l'origine du Château de la tour neuve ou Château de Nantes [Note : Quelques écrivains, entre autres Ogée et Mellinet, ont prétendu qu'avant de prendre le nom de tour Neuve, le Château de Nantes avait porté celui de Château de l'Hermine. Cette assertion est fausse et cette dernière appellation ne s'applique qu'au château de Vannes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les chartes qui nous restent de cette époque. Celles du château de Vannes sont toutes datées du Chastel de l'Ermine près Vannes, tandis que sur les lettres et les ordonnances écrites au Château de Nantes, on lit toujours ces mots : Fait en nostre Chastel de la tour neuve de Nantes. Mais on ne trouve jamais le nom d'Hermine pour le Château de Nantes]. Quelques auteurs parmi lesquels on remarque Travers et Mellinet, en attribuent la construction à Guy de Thouars en 1207. Ogée et plusieurs autres le font remonter à Alain-Barbe-Torte vers 936. Dom Lobineau et Touchard-Lafosse semblent se rallier à cette idée, en la modifiant par une nuance. D'après M. le colonel du génie Allard, il dut être construit au Vème siècle. Enfin plusieurs savants archéologues pensent que, sur l'emplacement du Château actuel, il existait dès le IVème siècle une tour, faisant partie de l'enceinte romaine, et que cette tour, restaurée et augmentée par Alain-Barbe-Torte, Guy de Thouars, François II, Anne de Bretagne et le duc de Mercœur, est devenue le Château de Nantes.

Ce dernier sentiment est celui, qu'après un sévère examen et de mûres réflexions, nous avons cru devoir adopter.

Afin d'appuyer notre opinion et montrer qu'elle repose sur des fondements, sinon inébranlables, au moins plus sérieux que les autres, il nous paraît indispensable de donner quelques détails sur les murs d'enceinte et les châteaux qui protégèrent Nantes depuis le IVème siècle jusqu'au XIIIème

La ville de Nantes dut être fortifiée, comme la plupart des cités des Gaules, au commencement du IVème siècle, époque à laquelle les barbares du Nord se précipitèrent sur cette contrée. Ce fut alors que les commandants romains entourèrent le portus Nannetum d'un mur de défense, dont les assises et les matériaux indiquent à quelle époque on doit légitimement l'attribuer [Note : Bulletin de la Société Archéologique de la Loire-Inférieure, tome I, 3ème trimestre de 1860. Des Nannètes aux époques celtiques et romaines, par M. Bizeul]. Ce mur partait du Bouffay, remontait la Loire jusqu'à la hauteur du Château actuel ; il se redressait au Nord et se prolongeait à quelque distance au-delà de la cathédrale. Rendu à cet endroit, il inclinait à l'Ouest pour former le côté Nord de l'enceinte. Ce côté passait par la tour du Trépied (rue Royale, n° 7), et longeait la rue Garde-Dieu jusqu'à Saint-Léonard. A ce point, il formait un angle droit et courait vers la gauche pour finir au Bouffay, en suivant les rues Saint-Léonard, des Carmes et de la Poissonnerie.

Les deux angles Sud-Ouest et Sud-Est de cette circonvallation devaient être munis de tours. La découverte d'une tour romaine, en 1849, l'époque de la démolition du Bouffay, lieu même de cette forteresse, est un témoignage incontestable qu'il en existait une à cet angle.

C'est une tour analogue à cette dernière, et, ayant, comme elle, pour but de défendre le cours de la Loire, que nous pensons avoir dû s'élever à l'angle Sud-Est de l'enceinte romaine et être l'origine du Château de la tour neuve. Nous allons trouver plus loin des preuves sérieuses à l'appui de cette opinion, que nous avançons ici seulement comme une supposition nécessaire à l'intelligence des faits qui vont suivre.

Quand les Nantais eurent chassé les Romains vers 448, ils se trouvèrent face à face avec de nouveaux ennemis : les Huns, les Visigoths et surtout les Saxons. Ces luttes continuelles engagèrent les comtes de Nantes à entourer la ville de retranchements. Ces fortifications, qui doivent dater du milieu du Vème siècle, furent élevées sur l'enceinte romaine elle-même, et en formèrent une nouvelle, qui a reçu le nom de gallo-romaine.

La tour de l'angle Sud-Est devait évidemment jouer un rôle important dans cette ligne de circonvallation restaurée. Les ravages ; exercés dans Nantes par les Normands en 843, pourraient faire croire qu'elle eut à subir le sort de la cathédrale et du reste de la cité. Toutefois, si elle fut détruite, ce ne fut qu'en partie, car les chroniques en font mention trois ans plus tard.

Nous trouvons, en effet, sous la date de 846, un fait qui mérite considération, parce qu'il devient pour nous un premier argument en faveur de l'existence de la tour romaine. La chronique de Nantes s'exprime ainsi : « Lambert se fortifiait tous les jours d'hommes et d'armes, pour se mettre à couvert, des insultes des Nantais ; et, afin de se rendre entièrement maître de la ville, il résolut de se faire bâtir une maison dans le principal Château. Jusque-là les Nantais, étonnés de sa puissance, s'étaient contentés de gémir en secret sous le poids de la tyrannie ; mais cette entreprise réveilla leur courage. Ils s'y opposèrent avec plus de fermeté que l'usurpateur n'en attendait d'un peuple abattu et sans force ».

Que faut-il entendre par ce principal Château, dont parle le passage que nous venons de citer ? A notre avis, la réponse n'est pas douteuse : nous pensons que ces mots désignent la tour Romaine et ne peuvent désigner qu'elle. Donnons-en d'abord une preuve indirecte, que nous ferons suivre de deux autres, tendant plus directement à notre but.

Si l'on repousse l'opinion que nous venons d'énoncer, on ne peut trouver qu'un seul sens à cette dénomination de principal Château. Ce sens, plusieurs écrivains l'ont accepté : ils entendent par là une enceinte fortifiée autour de la cathédrale, et ici le moment est venu de parler des fortifications qui furent construites, à l'époque où nous sommes arrivés, autour de l'église cathédrale [Note : Plusieurs églises de notre contrée, datant de cette époque, sont également crénelées et fortifiées].

L'enceinte gallo-romaine avait été faite contre les Normands ; mais la ville étant trop grande pour être défendue avec succès, on songea à entourer la cathédrale d'un mur de défense, à établir ainsi une sorte de castrum, de camp retranché ou château, dans lequel les habitants pourraient se retirer, afin de mieux résister à leurs barbares ennemis.

Le premier document où il soit parlé de cette fortification est un passage de la Chronique de Nantes, ainsi conçu :

« Foulcher… s'appliqua bien et honorablement à refaire son église et à la rendre magnifique ; et aussi à élever autour d'elle un château (ou camp retranché) fait d'un mur, dans lequel les clercs et les laïques pourraient se mettre en sûreté, et se défendre, si nécessité était, contre les Normands. Car la ville de Nantes était grande, et avait déjà été prise souvent par ces anciens assiégeants, ruinée par parties, comme on » le voit encore aujourd'hui, et les citoyens, tant de fois pris par les Normands, ne pouvaient la défendre que très faiblement. » - « Fulcherius ... studiit bene et honorifice ecclesiam suam reficere ac magnificare, ac etiam castrum, muro factum, circa eam componere, in quo clerici et laïci ad tutamentum, si necessita fuerit, fugientes se a Normannis defendere possent. Civitas enim Nannetis magna erat, et ab antiquis expugnatoribus jam saepe capta, et per partes, sicut usque hodie demonstratur, ab illis diruta, nec non et cives, tantis vicibus à Normannis capti, minime eam defendere valebant » (Dom Morice, Preuves, tome I, col. 144).

Quelques auteurs soutenant que les fortifications épiscopales étaient antérieures à Foulcher [Note : Foulcher avait succédé au siége épiscopal de Nantes à l'évêque Landran, vers 896], la question, ci-dessus exposée du principal Château de Lambert, peut donc maintenant se confondre en partie avec cette autre : Existait-il des fortifications autour de l'église cathédrale avant Foulcher, c'est-à-dire avant la fin du IXème siècle ? S'il en existait, étaient-elles antérieures ou non à 846 ?

Si nous prouvons que Foulcher éleva le premier des remparts autour de la cathédrale, nous obtiendrons deux fins : nous donnerons d'abord une première preuve en faveur de notre opinion sur le principal Château de Lambert, et nous ferons un premier pas dans l'argument en faveur de la fondation romaine de la tour Neuve, que nous fournit ce principal Château. De plus nous détruirons une objection contre cette même fondation.

Ecartons de suite la dernière partie de la question, en disant que tous les auteurs s'accordent à reconnaître quel s'il y avait des fortifications autour de la cathédrale avant la fin du IXème siècle, elles devaient être antérieures à 846, l'espace qui sépare ces deux époques n'ayant aucun caractère qui puisse les lui faire attribuer. Abordons maintenant le premier point du sujet en litige. M. Camille Mellinet, dans son ouvrage intitulé : la Commune et la Milice de Nantes, embrasse cette opinion, que les murs élevés autour de la cathédrale remontent au VIème siècle, et par conséquent devaient exister au temps de Lambert. Il s'exprime ainsi : « La cathédrale d'Eumérus dut, dès le VIème siècle, s'entourer d'une enceinte fortifiée, dont la proximité du terrain sur lequel s'éleva plus tard le Château ducal, et l'époque de construction si rapprochée des Romains, auront fait croire que la fondation de ce dernier leur appartenait ». Quelques pages plus loin, il ajoute : « A la fin du IXème siècle, l'évêque Foulcher rétablit l'enceinte fortifiée qui entourait la cathédrale et l'évêché ».

Ces dernières paroles expliquent le sens un peu obscur de la phrase précédente, et expriment formellement cette idée que la cathédrale avait eu des fortifications avant Foulcher, et que ces fortifications dataient du VIème siècle.

Tout ce qu'on peut faire est donc de se borner à supposer que l'enceinte épiscopale devait remonter à une époque beaucoup plus reculée que la fin du IXème siècle. Or, cette supposition même ne nous paraît pas admissible. On ne cite aucune preuve, si faible qu'elle soit, qui vienne la fortifier. Si les arguments sans réplique nous manquent pour la battre en brèche, au moins avons-nous contre elle les plus sérieuses probabilités.

D'abord, la Chronique dit que Foulcher établit et non releva autour de la cathédrale un château fait d'un mur. S'il avait réédifié une ancienne fortification, pourquoi la Chronique n'en ferait-elle pas mention, puisqu'elle dit bien, un peu plus loin, qu'Alain-Barbe-Torte fit son rampart sur le mur même de l'évêque Foulcher.

En second lieu, si la muraille régnait autour de la cathédrale avant Foulcher, pourquoi les habitants de la cité ne se seraient-ils pas défendus derrière cette muraille contre les attaques des Normands en 848, 853, 868 et 878 ? Or, dans la Chronique, rien ne nous dit que cette muraille existât, ni que les habitants en eussent fait un moyen de défense lors de ces invasions, comme ils le firent en 908.

Il est donc indubitable pour nous que l'enceinte épiscopale remonte à Foulcher vers 897, et c'est une première preuve que le Château principal, où Lambert voulut, s'établir en 846, n'était autre que la tour Romaine. Ajoutons-en deux autres.

Nous en tirons une de ce nom même de Château principal. En effet, une charte de 936 mentionne une tour principale, dont il n'est pas question ailleurs. Or, ces deux appellations : principal Château et tour principale, que nous sommes portés à appliquer chacune séparément et à diverses époques à la tour Romaine, ne peuvent signifier qu'un même ouvrage. La dénomination de principal Château laissant à penser qu'il en existait plusieurs autres, il faut ici regarder le mot château comme synonyme de tour ; car il ne pouvait y avoir alors à Nantes plusieurs châteaux ou vastes bâtiments composés de tours et de courtines. Enfin, quand bien même on admettrait que la forteresse épiscopale fût construite au VIème siècle, est-il raisonnable de croire que Lambert voulût s'établir dans la même enceinte que l'évêque, enceinte qui était aussi le Château des habitants de la cité, quand il était en guerre ouverte avec les Nantais et leur évêque ? N'était-il pas plus naturel qu'il occupât la principale tour des fortifications de la ville, afin d'avoir là un refuge assuré où il pût tenir ses ennemis en respect.

Pour être sincère et complet, nous devons rectifier à ce sujet une assertion que nous jugeons erronée :

« Landran, dit Ogée dans son Dictionnaire de Bretagne, informé de la défaite des Normands, revient à Nantes l'an 889, et s'occupe du soulagement de son troupeau. Le duc Alain [Note : Alain Rébré ou le Grand, mort en 907] aide le prélat dans ses desseins et fait bâtir auprès de la cathédrale un petit château pour la sûreté de l'évêque ». Ce dire nous semble tout gratuit. Les Chroniques n'en parlent pas, et les Chroniques sont les seules sources certaines ouvertes aux recherches de l'historien qui ne poursuit que la vérité.

D'un autre côté, M. le colonel du génie Allard s'exprime en ces termes : « Alain Rébré… resta paisible possesseur de Nantes, dans le Château qu'il avait rétabli, jusqu'à sa mort en 907 ». Ici la difficulté n'est plus la même car M. le colonel Allard n'entend pas parler de la forteresse épiscopale, mais de la tour Romaine, qui avait pu etre ruinée en 853, 868 ou 878. Cette hypothèse qu'Alain la rétablit, ne s'appuie d'aucune autorité, mais est parfaitement logique. Certaines conclusions, développées plus loin, ne nous permettent cependant pas de l'accepter. Pour ce qui est de la résidence d'Alain au Château, on peut présenter une observation : quand Alain était à Nantes, il devait évidemment se loger à la tour Romaine ; mais ce ne pouvait être son séjour ordinaire, car les Chroniques font foi qu'il habitait le plus souvent le château de Rieux, près de Bedon.

Ainsi donc, le Château principal, où le comte Lambert voulut s'établir en 846, était la tour Romaine elle-même. Les trois preuves que nous en avons données nous paraissent suffisantes. Remarquons ici, comme nous l'avons déjà annoncé, que la première, en même temps qu'elle a contribué à l'ensemble de notre argument, anéantit naturellement l'objection précitée de M. Mellinet que « la proximité du terrain où fut construit plus tard le Château ducal et l'époque de construction de la forteresse épiscopale au VIème siècle, ont fait attribuer à tort à la tour Neuve une origine romaine ».

Plusieurs questions peuvent être soulevées sur le mur de l'évêque Foulcher. On peut discuter son origine, son emplacement, sa forme, comme moyen de défense.

Nous venons de traiter le premier de ces points, et nous en avons déduit d'importantes conclusions. Le second ne rentre pas essentiellement dans le cadre de notre travail, nous le développerons cependant, afin de suivre l'histoire de la tour Romaine depuis le comte Lambert jusqu'à Alain-Barbe-Torte. Le troisième doit nous mener à des conséquences non moins intéressantes que le premier, puisqu'il nous fournira une seconde preuve en faveur de l'origine romaine de la tour Neuve. Nous nous en occuperons ensuite.

Ces divers problèmes ayant tous rapport à l'enceinte de Foulcher, sont un trait d'union naturel entre les temps les plus reculés de la tour Romaine et les événements moins obscurs de la fin du Xème siècle et des siècles suivants.

Depuis le comte Lambert (846) jusqu'à Alain-Barte-Torte (936), nous n'avons aucune donnée historique sur la tour Romaine. Une seule question s'offre à notre examen durant cet intervalle : c'est celle de savoir si cette tour jouait un rôle dans l'ouvrage de Foulcher.

Pour essayer de résoudre cette question nous devons évidemment tâcher de nous rendre compte de la position qu'occupait le castrum établi par cet évêque, le sentiment que nous adopterons sur ce point devant faire naître une conclusion pour le sujet qui nous importe.

Les auteurs ne sont pas d'accord sur l'emplacement du Château de Foulcher. La discussion des diverses hypothèses formulées suppose éclaircir, selon nous, une question importante qui est celle-ci : la muraille gallo-romaine existait-elle au moment où Foulcher éleva son retranchement ? Examinons-la en peu de mots. Les Chroniques ne parlant d'aucun changement dans les fortifications de la ville avant Guy de Thouars et Pierre de Dreux au XIIIème siècle, on doit regarder comme évidente la conservation jusqu'à cette époque de la muraille, gallo-romaine. Car, dans ces temps de guerres continuelles, les Nantais ne pouvaient laisser leur cité ouverte et sans défense. Il est aussi évident que chaque invasion des Normands ruinait au moins en partie cette muraille, et que, l'ouragan passé, les habitants la relevaient. Or, au moment où Foulcher fit son rempart dix-huit ans s'étaient écoulés depuis la dernière invasion des Normands. Les murs n'avaient pu rester si longtemps détruits ; ils devaient donc exister en 896 ou 897.

Exposons maintenant les hypothèses des différents écrivains. On peut en réduire le nombre à deux principales.

La première, soutenue par Ogée et Mellinet, est celle d'une muraille, commençant à la cathédrale et revenant y finir, en embrassant une partie restreinte de l'ancienne ville. Le mur, suivant ces auteurs, commençait à l'église, fermait l’évêché et les regaires, descendait par la rue Saint-Denis à la maison du doyen, après avoir traversé la rue Saint-Gildas et finissait à l'église, renfermant les paroisses Saint-Jean et Saint-Laurent, ou tout le canton assigné aux chanoines par les anciens statuts du chapitre, et d'où ils ne pouvaient sortir sans être accompagnés d'un clerc ou d'un serviteur.

« L'enceinte, dit M. Mellinet, selon l'usage du temps, et comme au siècle suivant celle du Bouffay, formait une forteresse quadrilatère, et comprenait du premier côté, le grand cours ; du second, la rue de l'Evêché jusqu'à la rue Saint-Denis, avec une porte dans l'axe de la rue Royale ; du troisième, la rue Saint-Denis et partie de la rue des Carmélites, avec une porte donnant sur la chaussée que fit exhausser Alain ; enfin, le quatrième côté, avec une porte presque en face de l'église Sainte-Radégonde, porte qui s'est conservée jusqu'au XVème siècle, allait joindre l'angle du cours Saint-Pierre, où se trouvait, comme aux autres angles, une tour qui s'élevait sur un rocher qu'on voit encore dans les douves, par conséquent assez voisine pour l'avoir fait confondre plus tard avec la tour Neuve ou le Château ducal ».

La deuxième; qui appartient à M. Bizeul, a pour base l'existence de l'enceinte romaine, et admet que le mur de Foulcher reliait le côté septentrional et le côté méridional de cette enceinte. « C'est donc seulement à l'Ouest, dit M. Bizeul, que fut élevé ce rempart, qui, pour enceindre la cathédrale, devait partir à peu près de la tour du Trépied (maison Bessard du Parc, rue Royale, n° 7), enclore le terrain des regaires, la place de Saint-Pierre (alors cimetière) [Note : Le grand cimetière occupait le terrain sur lequel on a bâti la Psallette et élevé d'autres maisons jusqu'à la rue Saint-Laurent, et occupait une partie de la place. Il fut aplani l'an 1617], puis descendre au mur gallo-romain méridional par la rue Haute et la douve occidentale du Château ».

La première de ces deux hypothèses, soutenue par Ogée et Mellinet, ne nous semble pas admissible. D'abord, le tracé que donnent ces auteurs, ne se recommande d'aucune autorité ; de plus, il n'a aucune raison d'être valable, car rien dans la disposition des lieux ne pouvait le faire adopter. Enfin, on peut raisonnablement supposer que Foulcher dut se servir pour sa fortification de la muraille gallo-romaine, qui défendait déjà la cathédrale au Nord, à l'Est et au Sud.

Avant de nous occuper de la deuxième, on nous permettra d'interposer ici quelques hypothèses secondaires. Peut-être pourrait-on penser que Foulcher éleva son rempart autour de la cathédrale, sans qu'on puisse en préciser l'endroit ; mais ce système serait condamné facilement par les mêmes motifs que celui de M. Mellinet ; ou bien encore que le mur épiscopal, partant du côté Nord de l'enceinte romaine, se coupait à angle droit vers le milieu de la rue Haute-du-Château actuelle pour aller finir au cours Saint-Pierre. Mais un tel castrum aurait peut-être été trop restreint pour le nombre des habitants qui devaient y chercher un asile, et n'aurait compris ni le fief des chanoines, ni le jardin de l'évêque. De plus, ce système de construction aurait eu l'inconvénient de laisser en dehors la tour Romaine, ce qui n'est pas supposable, disons plus, ce que est erroné, comme nous allons le voir tout-à-l'heure.

La deuxième hypothèse principale, qui est celle de M. Bizeul, nous paraît la plus logique et la seule conforme à la vérité. D'abord, ce système utilise la fortification romaine ; de plus, il ne contredit pas le texte : « Fulcherius studiit castrum, muro factum, circa eam componere ». - « Foulcher s'appliqua à établir autour d'elle un camp retranché fait d'un mur ». Le castrum, ainsi formé sur trois faces par le mur romain et sur la quatrième par le mur épiscopal, entourait bien la cathédrale, comme le dit la Chronique. Mais le texte ne précise pas si l'évêque établit un castrum, en complétant par un mur le quadrilatère que commençaient les trois côtés Nord, Est et Sud de l'enceinte romaine, ou s'il forma ce camp retranché par une muraille faite par lui dans toute sa continuité.

Une interprétation du texte peut donc devenir ici une objection à notre hypothèse. Car on peut vouloir faire signifier au passage de la Chronique, que l'évêque fit un castrum, au moyen d'un mur qui entourait la cathédrale, et partir de là pour combattre notre conclusion. Afin de donner plus de solidité à l'objection, on pourrait s'appuyer du passage de la Chronique, qui parle de l'ouvrage d'Alain-Barbe-Torte, et qui dit : « Prœcepit terrarium magnum in circuitu ecclesiœ facere, sicut murus prioris castri steterat ». Observons à cela que les murs du camp retranché, établi en tout ou en partie par Foulcher, ayant été détruits par les Normands, en 908, Alain fit son rempart sur l'emplacement même des murs de ce camp retranché, sicut murus prioris castri steterat. Or, sous le mot murus, on peut comprendre ici les trois côtés d'origine romaine et le côté épiscopal, qui formaient l'enceinte totale.

Cette observation diminue la force de l'objection, sans l'anéantir complètement.

Si l'on admet la base de l'objection, le mur de Foulcher devait réunir deux conditions dans son emplacement :

1° être construit autour de la cathédrale, c'est le fondement même de l'objection ;

2° comprendre la tour Romaine.

En effet, nous allons bientôt voir Alain-Barbe-Torts construire un talus en terre sur le mur même du premier castrum, et relever, pour s'y loger, une tour principale, qui n'est autre que la tour Romaine. Cette tour devait certainement être comprise dans le premier château de l'évêque, restauré par Alain ; car celui-ci n'aurait pas établi sa demeure en dehors des fortifications. De plus, quand les Normands assiégent le Château, en 908 et 958, il n'est fait mention que d'un seul. Donc, la tour Romaine devait être comprise dans l'enceinte de Foulcher.

Or, ni l'une ni l'autre de nos hypothèses ne réunit ces conditions essentielles. Le mur de M. Bizeul n'entoure pas la cathédrale, celui de Mellinet et le mur des hypothèses complémentaires ne renferment pas la tour dans leur enceinte et ne sont nullement justifiés.

Après ces différentes opinions, il n'en reste qu'une. Afin de faire concorder les deux conditions, il est nécessaire, d'admettre que le mur romain n'existait pas au moment où Foulcher fit son retranchement ; en d'autres termes, que les murs n'avaient pas été relevés depuis la dernière invasion des Normands en 878. Or, pour cela, il faut supposer que Nantes resta sans défense pendant dix-huit ans, ce qui n'est guère à croire à une époque de luttes incessantes.

Cette objection peut se discuter, mais nous embrassons l'hypothèse de M. Bizeul, parce que, entre deux interprétations de texte, nous préférons celle qui ne choque pas la vraisemblance.

Ainsi donc, pour ce qui est de l'histoire de la tour Romaine, depuis 878 jusqu'à 936, nous devons conclure qu'elle fit partie de l'enceinte de Foulcher ; ruinée depuis 878, si l'on suppose la non-existence de la muraille romaine, car les Chroniques ne diseut pas que l'évêque l'ait relevée ; subsistant, si l'on pense, ce qui est plus probable, que cette muraille formait à la fin du IXème siècle l'enceinte fortifiée de Nantes. Dans ce dernier cas, l'enceinte romaine dut être rebâtie après l'invasion de 878, pour être détruite plus tard, en 908.

Après avoir discuté la situation de la muraille épiscopale, passons à une troisième question : Quelles devaient être sa valeur et sa nature comme moyen de défense ? « Foulcher, nous dit la Chronique, s'appliqua à établir autour de la cathédrale un château, fait d'un mur ». D'après M. Mellinet, le retranchement, dont il nous décrit le parcours, était flanqué de tours à ses quatre angles. Rien dans le passage de la Chronique, nous engage à regarder comme réelle l'existence de ces tours : elle n'en parle nullement, et elle n'aurait pas manqué de citer des ouvrages aussi importants.

Ces quelqués mots suffisent pour établir que la forteresse épiscopale consistait en un simple mur. Les travaux d'Alain-Barbe-Tonte vont nous amener à tirer de cette assertion les déductions qu'elle comporte.

Les fortifiçations élevées par l'évêque Foulcher montrèrent, bentôt, leur utilité. « En 908, les Normands aissaillirent la cité de Nantes, qui n'avait en celui temps nul défenseur, sinon petits hommes démourés des premières pestilences, et la prindrent, fors le chasteau, qui, par la peur d’eulx, avait été faict, auquel tous les citoïens fuirent, fors ceux qu'ils avaient ja pris ou occis, afin qu'ils se peussent mieulx deffendre, mais ils ne leur purent résister. Toutefois celui jour se deffendirent-ils vertueusement et sauvèrent jusques à la nuict. Si s'en retournèrent les Normans, grandement las à leurs navires, quand le soleil fut couché.... espérant le lendemain le dict chasteau prendre avec ses deffendants. Les Normans, au matin, descendirent de leurs nefs armés et retournèrent au chasteau, mais ils n'y trouvèrent rien.... Puis ils mirent le feu à la couverture de l'église et desrompirent aussi les murs du chasteau ».

Il dut rester en cette triste situation, jusqu'à ce que Alain-Barbe-Torte eût chassé les Normands des bords de la Loire et se fût emparé de Nantes en 936. « Il ordonna, disent les Chroniques, de faire un grand rempart en terre autour de l'église, dans le même endroit où avait été le mur du premier Château. Cela fait, il releva la tour principale, et y établit sa demeure ».

« Prœcepit que terrarium magnum in circuitu Ecclesiœ facere, sicut murus prioris castri steterat. Quo facto, turrem principalem reficiens, in eâ domum suam constituit ».

Il ressort clairement de ce passage, d'abord qu'Alain éleva un talus en terre sur le mur de Foulcher, ensuite qu'il refit la tour principale.

Et c'est ici le point le plus important qui doit éclaircir et terminer les discussions précédentes, et tourner en certitude la supposition de la fondation romaine de la tour Neuve, que nous avons faite au début de cette histoire.

Qu'était cette tour principale ?

Quelques écrivains prétendent qu'Alain réédifia la principale tour du fort construit par l'évêque Foulcher. Cette opinion croule d'elle-même, quand on lit la Chronique : elle ne dit point que l'ouvrage de Foulcher fut un château, mais seulement un camp retranché, castrum muro factum.

Cette hypothèse détruite, il en subsiste deux autres : Ou cette tour principale doit être regardée comme l'une des quatre tours que M. Mellinet ajoute à la muraille épiscopale, hypothèse qui se rattache un peu celle que nous venons de combattre ; ou il faut voir en elle la tour Romaine de l'angle Sud-Est.

La simple inspection de la Chronique ne laisse à la première aucune chance de prévaloir. Reste la deuxième, et c'est elle que nous admettons comme une conséquence de la nature de la fortification épiscopale.

En effet, cette tour, que ni Foulcher, ni aucun autre évoque n'avait bâtie, et qu'Alain relève, ne peut être que la tour Romaine, à qui son importance dans l'ensemble de la première enceinte, avait fait donner le nom de principale.

Donc, l'existence certaine d'une tour analogue au Bouffay, les preuves successives que nous ont apportées le Château principal du comte Lambert, et la tour principale d'Alain-Barbe-Torte, tout concourt à témoigner que dès le IVème siècle, il s'élevait une tour à l'angle Sud-Est de la circonvallation romaine, et que cette tour a été l'origine du Château de la tour Neuve.

La certitude que nous possédons maintenant de la fondation du Château de la tour Neuve, nous permet de réduire à néant une seconde objection contre cette fondation.

« On peut croire, dit M. Mellinet, qu'en faisant travailler pour l'église, Alain ne dut pas s'oublier et qu'il se ménagea une habitation personnelle sur l'emplacement du Bouffay, ayant issue sur la chaussée, et qui avait dû contenir un établissement quelconque fondé par les Romains, ainsi que l'attestent diverses médailles découvertes à l'extrémité de cet emplacement entre le Change et la place Sainte-Croix. Cette croyance serait justifiée par la prétendue fondation romaine du château de l'Hermine, par suite de la confusion entre les divers châteaux de Nantes ». Sachant qu'Alain se logea dans la tour principale, nous ne voyons pas qu'il eût besoin d'une autre demeure au BoufFay ; mais, en outre, l'objection que renferment ces lignes est clairement renversée par les preuves que nous avons développées précédemment.

Suivant Ogée, Alain-Barbe-Tonte mourut, au Château de la tour Neuve, en 952.

A la nouvelle de sa mort, les Normands reparurent bientôt sur la Loire et vinrent assiéger Nantes en 958. Ils prirent la ville, mais le Château les arrêta. Ses défenseurs envoyèrent demander du secours à Foulques, comte d'Anjou. Celui-ci leur en promit, « mais dans la résolution de n'en rien faire, de peur de s'attirer les Normands en cas d'une défaite ». Irritée de sa lâcheté, la veuve d'Alain s'écria : « Qu’il paraissait bien que le grand pieu, qui fermait aux barbares l'entrée de la Loire, était abattu ». Au bout de huit jours, les Nantais, voyant qu'ils n'avaient rien à attendre de ce côté, firent de vigoureuses sorties contre les assiégeants : « Commandés par leur propre courage, » ils mirent en fuite les Normands et les poursuivirent jusqu'à Guérande.

En 990, Alain, fils de Guérech, étant mort, Conan-le-Tort prit Nantes. Ce fut lui qui construisit la forteresse du Bouffay dans le delta de la Loire et de l'Erdre. D'après M. le colonel Allard, il démantela la tour Neuve. Cette assertion nous semble dénuée de fondement, car la Chronique dit que Conan donna la garde du Château à Auriscand, évêque de Vannes.

En résumé, il existait donc réellement une tour à l'angle Sud-Est de l'enceinte romaine, élevée dans la première moitié du IVème siècle. Cette tour devait porter le nom de tour principale. Au siècle suivant, elle fit partie de la nouvelle enceinte, nommée gallo-romaine. En 846, le comte Lambert voulut s'y établir, mais échoua dans son projet. Après lui, l'histoire de cette tour suit une phase obscure, pendant laquelle elle dut être ruinée en 878 par les Normands, relevée par les Nantais après l'invasion, comprise ensuite dans l'enceinte de Foulcher, pour être de nouveau détruite en 908. En 936, Alain-Barbe-Torte la restaura et en fit sa demeure. Enfin, dans les dernières années du Xème siècle, elle passa sous la garde d'Auriscand, évêque de Vannes.

(Charles Bougouin).

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