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La descendance des Vicomtes du Bas-Léon ou la Maison Duchâtel-Trémazan.

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La descendance des Vicomtes du Bas-Léon ou la Maison Duchâtel -Trémazan
ET SES PLUS ILLUSTRES REPRÉSENTANTS DU XVème SIÈCLE.

I.

Les premiers sires Du Châtel.

Tous ceux qui s'intéressent aux anciens châteaux de Bretagne ont remarqué, dans la collection de cartes illustrées qui les représentent, les ruines encore assez nettes de la forteresse féodale de Trémazan. Debout ou presque, près de l'anse de Porsal dans le Bas-Léon, à l'extrémité septentrionale du passage du Four, jalonné par des roches la plupart du temps sous-marines, en face de cette armée innombrable d'écueils qui compose les Roches de Porsal, s'étendant au loin vers le large, le vieux manoir de Trémazan peut facilement prendre, aux yeux de primaires malveillants et suggestionnés, un air de réduit impénétrable pour barons naufrageurs. En réalité, il est infiniment plus probable que les vieux tierns bretons, ses premiers fondateurs, s'y soient fixés précisément pour empêcher les pirates d'y établir leur repaire et les « paganis » de la côte d'y attirer vaisseaux et nefs en attachant la nuit des fanaux aux cornes des bestiaux. Cette protection justifiait le droit de bris ou de bagans réservant exclusivement au seigneur la faculté de prendre tout ce qui venait s'échouer sur les rochers et le littoral.

Château de Tremazan à Landunvez (Bretagne).

Quoi qu'il en soit, à la vue de cette position de Trémazan, on ne peut s'empêcher de penser à certain vicomte du Léon, nommé Guyomar, qui, aux environs de l'an 1235, montrait aux enquêteurs de Saint Louis sa pierre précieuse, un écueil plus précieux que toutes les pierres précieuses du monde parce qu'écueil terrible sur lequel des courants violents précipitaient les navires ou leurs épaves et qui rapportait de ce chef, bon an, mal an, près de dix mille sous d'or comme droit de bris.

Il est difficile, au reste, de ne pas considérer ce Guiomar ou Wiomarch comme un membre de la famille Duchâtel qui, déjà illustre et puissante au XIIIème siècle, possédait de temps immémorial la châtellenie de Trémazan et aussi la suzeraineté de tout le Bas-Léon. La tradition, plus ou moins légendaire, il est vrai, lui donnait comme premier ancêtre au VIème siècle un nommé Gwalon ou Walon dont saint Tanguy et sa sœur Haude auraient été issus. C'est là ce qui explique que le prénom de Tanguy reparaisse constamment dans leur généalogie comme un refrain dans un chant ancestral héroïque.

Trémazan a longtemps fait partie essentielle de leur patrimoine effectif jusqu'au XVIIème siècle à son aurore et, de ce jour, les Duchâtel adjoignirent à leur nom celui de Trémazan. Le Trémazan de pierre succomba, dès lors, sous les coups du temps et des tempêtes, mais le nom s'en continua et la Maison resta toujours, jusqu'à notre époque, celle des Duchâtel-Trémazan. Ainsi les années ont pu venir à bout de ces épaisses murailles, les reconstructions presque totales ou partielles changer, sa physionomie et sa valeur militaire, l'abandon puis les effondrements et enfin la ruine s'abattre sur son emplacement, Trémazan n'en resta pas moins aussi entièrement lié aux Duchâtel qu'un débris de château-fort pût l'être à une famille humaine, toujours vivante. Ceux-ci jouirent aussi pendant longtemps de leur droit de suzeraineté sur tout le Bas-Léon, y compris Brest où leur juridiction féodale siégeait près du pont actuel de Recouvrance, à la tour de la Motte-Tanguy qui s'y voit encore.

Le premier des Duchâtel que l'on connaisse positivement et qui, par conséquent, se tient à la base de leur arbre généalogique, est Bernard Duchâtel, chevalier, vivant en 1274 et portant un écu chargé de fasces. Plus tard, quand les armoiries se régularisèrent et prirent chacune un type définitif, les fasces des Duchâtel-Trémazan, jusque-là en nombre variable, se réduisirent à six, alternativement d'or et de gueules. Quant à Bernard Duchàtel, nous le soupçonnerions volontiers d'être le fils ou l'héritier direct de ce Guiomar ou Wiomarch qui montrait un écueil redoutable comme principale source de ses revenus.

L'arrière-petit-fils du chevalier Bernard, sire de Trémazan ou du Bas-Léon, préside à l'entrée de sa famille dans l'histoire en s'y introduisant lui-même à sa tête. Il s'appelait Tanguy, prénom par excellence de la vieille maison Duchâtel ; prénom qui lui était si habituel que certains généalogistes ont été jusqu'à souder invariablement le nom de Tanguy à celui de Duchâtel. C'était vraiment aller trop loin, car il y a un bon nombre de gentilshommes de cette famille, même des chefs de nom et d'armes, qui ne le portèrent point. Appelons donc Tanguy Ier ce premier Tanguy Duchâtel connu, vivant au XIVème siècle.

Ce baron breton des côtes léonardes vit éclater la guerre de la succession de Bretagne et y intervint avant même qu'on eût combattu. En effet, parmi les documents relativement peu abondants que contient, aux Archives Nationales, le dossier du jugement des pairs du royaume sur la succession du duc et pair Jean III, figure une lettre fort curieuse écrite par Tanguy Ier. Le successeur des vicomtes du Léon, le châtelain de Trémazan, proteste tout d'abord de son absolu dévouement et de son inaltérable fidélité à la personne du Roy, mais, ne reconnaissant pas comme juste et bien fondé le verdict des princes et hauts barons du royaume, il déclare qu'il considère Jean de Montfort comme son légitime suzerain envers lequel il doit, par conséquent, remplir les devoirs de tout féal chevalier, son homme. Effectivement, sa forteresse de Brest s'ouvrit une des premières au parti de Montfort et lui-même en reçut le titre de gouverneur en même temps que celui de lieutenant-général du prétendant. C'est à ce titre qu'il commanda les forces qui vainquirent celles de Charles de Blois à La Roche-Derrien puis, cinq ans plus tard, à Mauron. Malheureusement, — et il semble bien que cela ne lui ait guère plu surtout dans la suite, — les Anglais étaient les alliés indispensables et fort aimés du sire de Montfort. On eût dit que la tradition encore toute vivante du fief de Montfort-l'Amaury semblait, depuis la croisade des Albigeois, lier ses titulaires à la fortune et à la cause insulaires. Celles-ci requéraient des clefs géographiques et stratégiques sur tout le littoral du royaume. L'occasion était bonne pour occuper cette position importante de Brest ; les Anglais s'y installèrent donc d'abord pour la défendre contre les entreprises du parti de Blois, mais, une fois entrés, ils n'en voulurent plus sortir. On ne saurait douter que Tanguy Ier n'en ait été fort mécontent. Néanmoins son fils aîné Guillaume continua de servir aussi fidèlement la cause de Montfort, si bien qu'il fut fait prisonnier dans un combat et dut, pour se racheter, payer une rancon de six mille écus d'or. D'autre part, le dernier de ses fils, Garsin, Garsis ou Garsiot, entra au service d'un des princes des Lys, le duc d'Anjou, Louis Ier, roi de Naples et de Sicile, qui lui donna le titre de maréchal avec le commandement de ses forces militaires.

Garsin ou Garsis mourut sans alliance, mais son neveu Hervé, le petit-fils de Tanguy Ier, et le fils unique de son frère Guillaume, entra au service du roi de France Charles V. Après lui, les Duchâtel affluèrent à la maison royale ou à celle des princes des Lys, grands feudataires. Hervé devint bientôt l'homme, le féal et le conseiller privé du roi Charles V, dit le Sage, par l'effet d'une rente à vie de 600 livres, procédé très usité dans les, applications du code féodal. Les arrière-vassaux n'avaient d'obligations certaines qu'envers leur suzerain immédiat. Ainsi le bon sire de Joinville, sénéchal de Champagne, l'ami intime et le biographe de Saint Louis, affirmait que lui, homme du comte de Champagne, lequel était à son tour homme du roi, ne devait personnellement rien au roi. Ce dernier ne put l'attacher légalement à sa personne et lui donner officiellement place en son conseil intime qu'en lui allouant à vie une rente fixe et invariable. C'est ce que le saint monarque fit en Palestine. Charles V agit de même en faveur d'Hervé, sire Du Châtel. Cependant les barons et hauts seigneurs de Bretagne ne se trouvaient pas exactement dans le même cas que les seigneurs et châtelains de Champagne ; car ils réservaient formellement, dans leurs prestation de foi et hommage à leur suzerain, le duc de Bretagne, la fidélité « due au roy de France, nostre sire ». Et, soit dit ici en passant, dans sa grande majorité, pendant près de deux siècles, la chevalerie Bretonne se montra fidèle à cet engagement, sauf peut-être vers la fin du XVème siècle quand les luttes féodales tournèrent en sortes de guerres intestines ou de partis, autour de questions de personnes.

Quoi qu'il en soit, Hervé devint l' « homme lige et féal » de Charles V sous le serment habituel de le servir envers et contre tous. C'était l'époque où, à la suite de Duguesclin et de Clisson, de très nombreux chevaliers affluaient dans les armées royales. Hervé, capitaine de guerre comme la plupart des hommes de sa famille, tint un rang élevé dans les forces militaires de Charles V. Mais il fut aussi diplomate, — les gens d'épée, les seigneurs l'étaient tout naturellement, puisque possesseurs ou chefs d'Etats plus ou moins minuscules, plus ou moins subalternes. — Hervé, sire du Châtel, chef de nom et d'armes de sa Maison, jouissait d'une très haute considération, aussi bien dans la noblesse de Bretagne et la pairie du royaume qu'à la cour ducale des Montfort. Le duc lui-même devait beaucoup à Tanguy Ier et à Guillaume, grand-père et père d'Hervé, qui, pour le soutenir, lui avaient livré Brest ; et ni l'un ni l'autre n'avaient pu récupérer cette place sur les Anglais soi-disant alliés. Jean IV ne paraissait pas d'ailleurs s'en préoccuper autrement.

Sur ces entrefaites, Hervé Du Châtel, qui avait de hautes et puissantes relations des deux côtés, s'entremit pour terminer la guerre déjà bien longue entre le parti de Montfort et celui de Blois. Soutenu par la noblesse bretonne, excédée de cette lutte incertaine et fastidieuse que la précipitation insolite du sage roi Charles et le retour du duc Jean IV avaient ranimée, le sire Du Châtel ne tarda pas à réussir. Quand le second traité de Guérande fut enfin conclu, Hervé, sire Du Châtel, chevalier, signa l'acte solennel en qualité d'instrument et de témoin, accompagné de quatre écuyers dont un porte-étendard. Il le ratifia de Guingamp au nom du nouveau roi, encore mineur, — car son protecteur et bien-aimé seigneur, le roi de France Charles V, était mort prématurément l'année précédente et le duc d'Anjou avait la régence du royaume.

De son côté, le duc de Bretagne, Jean IV, se trouvait ainsi doublement obligé, tant par la lettre de ce traité que par sa dette de reconnaissance envers les Du Châtel, de restituer la forteresse de Brest, provisoirement cédée aux Anglais. C'est ce qu'il tenta vainement, à deux reprises différentes. Il offrit alors d'attaquer cette place de vive force, de la reprendre et de la remettre entre les mains du Roy. Mais la noblesse bretonne, qui avait bien volontiers répondu à son appel, avec ses gens d'armes et ses milices, la bloqua et l'assiégea sans succès, pendant trois années consécutives : 1386, 1387 et 1388. On finit par se lasser et les choses en restèrent là pendant dix ans.

II.

Les Duchâtel du XVème siècle.

Les grands officiers de la Couronne.

Hervé, sire Du Châtel, eut quatre fils, dont le premier et le dernier entrèrent au service de Louis de France, duc d'Orléans, frère du roi Charles VI. C'étaient l'aîné, Guillaume et le dernier de tous, Tanguy III que nous appellerons, suivant l'usage incorrect de la plupart des historiens, Tanneguy Duchâtel. Ce dernier, comme aussi très probablement son frère aîné, naquit au château de Trémazan en l'an 1370. Leur éducation y fut bien soignée. N'avaient-ils pas, sous ce rapport, de précieuses ressources dans l'abbaye bénédictine de Saint-Mathieu, dont on attribuait la première fondation à saint Tanguy, le saint ancestral ? Mais Guillaume Duchâtel ne prolongea pas longtemps ses études. Il ne tarda pas à partir pour la cour du jeune duc d'Orléans qui le prit d'abord pour chambellan et qui ensuite retint d'avance les services de son frère Tanneguy. Néanmoins ce dernier eut le temps de parfaire son instruction qui fut aussi complète qu'un damoiseau de grande famille pouvait le souhaiter. Outre ses deux langues maternelles, le breton et le français, il avait appris le latin comme un jeune clerc, et encore les parlers usuels d'Italie et d'Angleterre, sans compter l'apprentissage militaire, base de toute éducation seigneuriale.

Les deux frères Du Chastel, qui étaient à peu près du même âge et du même caractère que le prince, devinrent bientôt ses favoris et ses confidents. Ils ne désiraient d'ailleurs qu'une occasion de se distinguer et, comme tout bon gentilhomme, rêvaient gloire et renommée par faits de chevalerie. Or, à ce moment, on se trouvait en pleine époque de paix relative. L'Angleterre, pendant la vieillesse d'Edouard III était retombée dans ses crises intestines, à la fois démocratiques et aristocratiques. Quand enfin Edouard III mourut, son petit-fils Richard II hérita de la couronne. Après avoir obtenu à grand peine la tranquillité de son royaume, celui-ci réagit contre l'esprit conquérant et altier de son grand-père. Il prolongea la trêve avec la France et épousa lui-même Isabelle de France, la fille de Charles VI. C'est sur son ordre qu'en conséquence Brest fut enfin restitué aux Duchâtel ou au Roi par les Anglais. Malheureusement, cette pacification des esprits dura peu. Richard II fut renversé du trône à main armée et incarcéré à la Tour de Londres par son cousin germain, le comte de Derby, Henri de Lancastre, échappé de Paris où le roi et les princes le surveillaient cependant. Richard périt peu de temps après.

Le duc d'Orléans en conçut contre le nouvel usurpateur grande aversion et grand mépris. Aussi se résolut-il de lui jeter le gant et d'envoyer sept gentilshommes de sa Maison défier ceux de la noblesse anglaise qui le soutenaient. Sept seigneurs anglais se levèrent et furent acceptés comme champions. Parmi les Français, les deux frères Duchâtel, Guillaume et Tanneguy, s'étaient dès l'abord proposés ; mais ce dernier fut considéré comme trop jeune. D'ailleurs le duc d'Orléans ne voulait pas s'exposer à les perdre simultanément tous les deux. Guillaume Du Châtel se trouva là, entre autres, avec Arnaut Guillaume, sire de Barbazan, appelé le Chevalier sans reproches .., vrai Bayard d'avant la lettre, qui sera un jour enseveli à Saint-Denis.

Le combat eut lieu le 19 mai 1402 à Montendre, près de Bordeaux, sur la limite des terres françaises et de celles restées aux Plantagenets d'Angleterre. Les sept Français l'emportèrent ; Guillaume Duchâtel qui, avec Barbazan, était un peu considéré comme leur chef, contribua beaucoup à la victoire et à l'issue glorieuse de cette sorte de réédition du Combat des Trente. Le duc d'Orléans, enthousiasmé, fit entrer en triomphe ses sept vainqueurs à Paris, tous vêtus de satin blanc.

Cependant la trêve était virtuellement rompue. La guerre recommençait et les Anglais insultaient les côtes de Bretagne, spécialement celles du Léon. Regrettaient-ils déjà Brest qu'ils avait rendue depuis seulement cinq ans ? En voulaient-ils plus particulièrement aux Duchâtel, à Guillaume, leur vainqueur de Montendre ? Toujours est-il que leurs menaces, bien manifestes, attirèrent ce dernier dans son pays dès le mois de juin 1403. Entre temps, sept vaisseaux ennemis avaient doublé la pointe Saint-Mathieu ou Saint-Mahé et étaient entrés dans la rade de Brest en ils avaient capturé un navire breton richement chargé. A l'appel et sous l'impulsion de Guillaume Duchâtel, la noblesse bretonne de la région, avec 1.200 hommes, troupes et milices, s'embarqua sur tous les bâtiments que l'on put rassembler. Cette armée navale, commandée par Guillaume Duchâtel, chambellan du Roy, et Jean de Penhouët, amiral de Bretagne, attaqua de bon matin la flotte anglaise près de cette même pointe Saint-Mathieu et la vainquit complètement. Duchâtel poussa ensuite plus loin, jusqu'à l'île de Jersey, qu'il ravagea.

Cette victoire navale de Saint-Mathieu eut un grand retentissement. A sa nouvelle, la Bretagne entière alluma des feux de joie. De leur côté, le duc d'Orléans et le Roy ne s'en montrèrent pas moins satisfaits. Ils regrettaient toutefois que les vainqueurs n'aient pas occupé définitivement Jersey et ne l'aient pas conquise en entier.

Les Bretons se décidèrent bientôt à y revenir sous les ordres de Guillaume Duchâtel, des sires de Châteaubriant et de La Jaille. Ils étaient là deux mille gens d'armes de la noblesse. Malheureusement trois chefs, c'était trop. Il y eut des mésintelligences, des susceptibilités, des divisions. Les Anglais de l'île eurent le temps d'être prévenus, de se préparer à l'attaque et de se fortifier. Finalement, Guillaume Duchâtel, avec son corps de troupe, se lança seul, mais avec une folle impétuosité, à l'attaque. Il causa de grandes pertes aux ennemis, mais tomba, criblé de blessures, la plupart mortelles. Très humainement recueilli et transporté à Saint-Hélier, il y reçut les soins les plus éclairés et les plus minutieux, mais en vain, et il expira bientôt. C'était en l'an 1404. — « Sa réputation était déjà si grande », dit Dom Lobineau, « que toute la France pleura sa mort». Le duc d'Orléans en fut extrêmement affligé. Il venait d'envoyer Tanneguy Duchâtel dans le Milanais, dot de Valentine Visconti qu'il avait épousée tout récemment. Tanneguy, apprenant la mort de son frère aîné, obtint non sans peine un congé de son prince. Celui-ci lui donna quatre cents gens d'armes d'élite et Tanneguy partit écumer le littoral ennemi. Il attaqua les côtes méridionales de l'Angleterre et y fit tant de ravages qu'il épouvanta la ville de Londres. Auparavant, il avait pénétré dans Jersey par surprise où il avait tout mis à feu et à sang et fait raser ou démolir Saint-Hélier. Après son retour en Bretagne, les Anglais, furieux, résolurent d'armer une seconde expédition contre les côtes ocidentales de Bretagne mais, après avoir débarqué près de Penmarch, ils y rencontrèrent des troupes et des bandes réunies par Tanneguy Duchâtel, bientôt appuyées par l'ost de Jean V, duc de Bretagne. Du coup, ils furent réduits à battre en retraite précipitamment et s'éloignèrent.

Quand ce nouveau danger fut écarté, Tanneguy Duchâtel se mit en devoir de se marier, et il épousa, en 1405, « Damoiselle Le Voyer, de la primitive noblesse de Bretagne ». Les deux époux partirent alors pour Paris et la Cour. — Lorsque Tanneguy franchit les limites orientales du duché, se douta-t-il qu'il ne devait plus y repasser de son vivant ? — Quoi qu'il en soit, il revit non sans plaisir le Roi, le duc d'Orléans et le duc d'Anjou, roi titulaire de Naples et de Sicile sous le nom habituel de roi de Sicile. On l'accueillit avec empressement du coup il fut nommé conseiller du Roi de France en tous ses conseils et chambellan de sa Maison. Sa femme obtint la place de dame du palais de la Reine.

Cependant, il arrivait à un moment où la querelle d'Orléans et de Bourgogne s'aggravait. Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, était mort le 27 avril 1404. Grande perte pour le royaume ! Car ce prince, frère puîné de feu Charles le Sage, avait toujours montré une grande prud'hommie avec un attachement filial à la Couronne. Cela du reste n'empêchait point qu'il ne se soit guère entendu avec son jeune et un peu frivole neveu, le duc d'Orléans, et une lutte sourde d'influence existait, depuis les premiers accès de folie du roi, entre les deux Maisons d'Orléans et de Bourgogne. L'avènement de son fils, Jean Sans Peur, à la couronne ducale de Bourgogne, exaspéra encore cette mésintelligence et la porta bientôt au plus haut point, car Jean Sans Peur n'avait ni la valeur morale, ni la sagesse, ni l'attachement sincère au Roi, ni l'expérience du pouvoir que possédait son père. Trois ans après sa mort, il faisait assassiner le duc d'Orléans, avec préméditation, après avoir tout préparé pendant plus d'une année — Grand malheur, précurseur de maux innombrables et terribles !

Ce fut également une immense douleur pour Tanneguy Duchâtel, son protégé, son ami, qui s'en trouva plus que jamais, entraîné dans le parti d'Orléans dont il ne tarda pas à devenir un des militants les plus notables et un des chefs.

C'est alors que, sur la demande du roi de Sicile, Tanneguy Duchâtel fut envoyé pour lui reconquérir son royaume des Naples. Effectivement, il y fit une fort glorieuse expédition qui ébranla extrémement le pouvoir du compétiteur Ladislas. La prise de possession était faite mais il eût fallu l'affermir par une occupation presque continuelle et sérieuse. C'est ce qui manqua, semble-t-il.

Le roi de Sicile revint à Paris, ramenant Tanneguy Duchâtel. La lutte d'influence entre les Maisons d’Orléans et de Bourgogne tournait de plus en plus à l'âpre rivalité. D'abord les ducs de Bourgogne s'étaient évertués à marier les trois fils du pauvre roi Charles VI dans leur sphère de parenté ou d'alliance. Déjà l'aîné. Louis, duc de Guyenne, dauphin du Viennois, se trouvait lui-même gendre du duc Jean de Bourgogne. Le second, Jean, duc de Touraine, venait d'épouser Jacqueline de Bavière, fille du comte de Hainaut et nièce du même Jean Sans Peur. Il ne restait plus que le troisième, le comte de Ponthieu, encore bien enfant, auquel déjà, dans ses projets, le duc de Bourgogne avait fiancé une de ses filles cadettes. Aussi Tanneguy Duchâtel suggéra-t-il au roi de Sicile l'idée de demander à Charles VI la main de ce jeune et dernier rejeton pour sa fille qui avait deux ans de moins, environ six ans. Ainsi fut fait. Le Roi agréa fort ce projet. Le soin du prince enfantelet fut, dans ce but, confié à Tanneguy Duchâtel, nommé son gouverneur et, en quelques façons, son tuteur. Mais, en attendant, la petite princesse, fille du duc Jean, vivait à la Cour et était élevée avec le comte de Ponthieu, son fiancé d'après le plan bourguignon. La toute jeune Marie d'Anjou vint bientôt la rejoindre à son tour et, peu de temps après, sa miniature de rivale était reconduite à la Cour de Bourgogne.

D'antre part, le dauphin Louis commençait à parler et à agir en roi et se soustrayait à la tutelle morale de son beau-père. Il se prit même d'affection pour Duchâtel et le nomma son maréchal de Guyenne avec 1.200 livres de pension. Plus tard, il le favorisa encore de grands biens pour récompenser ses services dans Paris. En effet, voyant son pouvoir lui glisser entre les mains, le duc de Bourgogne s'était mis à agiter, pour se venger, le peuple de la capitale, où ses promesses de grandes libertés municipales lui avaient attiré de nombreux partisans. Il fomenta l'esprit de sédition dans la puissante corporation des bouchers, nommée dès lors la faction des Cabochiens, qui tint le roi, ses ministres et toute la Cour dans une sorte d'esclavage. Heureusement, le dauphin, avec les princes et leurs capitaines de guerre, dont Tanneguy Duchâtel, accouruent à Paris et y rétablirent l’ordre.

Désormais, la capitale demeura sous la surveillance energique et habile de ses principaux défenseurs qui, après le désastres d’Azincourt, devinrent les grandes chefs des Armagnacs. Le triumviral se composait du comte Bernard VII d’Armagnac, chef de la plus puissante Maison féodale qui tint le parti français en Guyenne, d’ailleurs gendre du duc de Berry, oncle du Roi, un des plus grands feudalaires de la Couronne. Le duc de Berry, très âgé et ne pouvant plus paraître au Conseil, laissa sa place au comte Bernard qui, après Azincourt où venait de périr le dernier connétable, le comte d’Albret, recut le titre et l’épée de connétable de France. A ses côtés prenaient place d’abord Tanneguy Duchâtel nommé prévôt, c’est-a-dire gouverneur de Paris, et enfin le chancelier du Roi, Henri de Corgne, sire de Marles, vrai magistrat de haut mérite, aussi ferme que juste et bienveillant.

Leur tâche à tous trois devint bientôt des plus lourdes. Le connétable et le prévôt avaient à défendre la grand´ville non seulement contre les entreprises continuelles de l’extérieur, mais encore contre les complots sans cesse renaissants de l’intérieur. L’Université de Paris, guide et porte-parole de l’Eglise gallicane, jouissant d’un immense crédit auprès des plus hautes autorités religieuses, était déjà plus qu’à moitié acquise aux Bourguignons et sa population d’écoliers ou de clercs, toujours turbulente, nécessitait une surveillance constante, une fermeté très grande mais tempérée de beaucoup de tact et d’adresse.

Cependant, les deux frères ainés du comte de Ponthieu, d’abord le dauphuin, duc de Guyenne, puis le duc de Touraine moururent successivement ; et le comte de Ponthieu, le pupille de Tanneguy Duchâtel, devint dauphin du Viennois. Le parti Armagnac se montrait de plus en plus comme le parti national. — Voilà où en étaient les choses au printemps de l’année 1418.

Mais un dernier complot, vraiment inopimé, réussait à ouvrir, dans la nuit du 29 au 30 mai 1418, la porte de Bussy aux troupes bourguignonnes du maréchal Villiers de l’Isle-Adam ; elles se grossirent aussitôt d'un bon nombre de conjurés. On devait naturellement s'assurer des personnes du roi et de sa Cour. Le triumvirat armagnac du connétable du prévôt de Paris et du chancelier devait périr, et probablement aussi, dans les projets de certains chefs, le dauphin lui-même. Effectivement, le pauvre roi Charles VI, déjà bien malade et accablé d'infirmités, dut monter à cheval à deux heures du matin, sur un de ses plus beaux chevaux richement caparaçonné, et se montrer solennellement, escorté d'innombrables flambeaux, à son peuple de Paris qui l'aimait bien et avait grand pitié de son état. Le chancelier fut jeté en prison et, le lendemain ou le surlendemain il en arriva de même au connétable ; la populace les massacra tous deux peu de temps après.

Tanneguy Duchâtel réussit à fuir, mais, auparavant, il s'était précipité chez le jeune dauphin, encore endormi, et l'avait emporté dans ses draps de lit jusqu'à la Bastille, restée au pouvoir des Armagnacs, où ils se trouvèrent en sûreté. Dès le lendemain ou le surlendemain y affluèrent de puissants renforts commandés par Pierre de Rieux, maréchal de Rochefort, le sire de Barbazan et Tanneguy Duchâtel lui-même qui était allé les chercher à Melun pour tenter un audacieux coup de main contre Paris. Cette entreprise dangereuse manqua et faillit même tourner très mal. Elle fut le prétexte d'épouvantables massacres de la part des Cabochiens ; et ils durèrent plusieurs jours dans la capitale. Tanneguy Duchâtel ramena aussitôt le Dauphin à Melun où la jeune Marie d'Anjou, sa femme, vint le rejoindre.

Le Dauphin n'avait plus qu'un seul conseiller en qui il pût avoir toute confiance. C'était Tanneguy Duchâtel. Il était abandonné de ses propres parents qui lui faisaient la guerre : le Roi, parce qu'il n'avait plus la force ni la lumière d'une raison plus que jamais défaillante, la Reine Isabeau parce qu'elle se livrait avec un impudent cynisme à tant de passions violentes et odieuses qu'elle en perdait même l'instinct maternel. N'était-ce pas elle qui se trouvait à l'origine du bruit d'après lequel le Dauphin aurait été un se ses bâtards ? On peut le supposer avec quelque vraisemblance. Par ailleurs, il n'y avait presque plus de princes des Lys dans le royaume : beaucoup frappés par l’âge et par la mort, beaucoup fauchés dans le désastre d'Azincourt ; beaucoup encore qui, blessés et captifs, étaient détenus en Angleterre. Tanneguy Duchâtel devenait ainsi le conseiller par excellence, le premier ministre et le bras droit du Dauphin et en même temps son vrai et paternel tuteur. Le jeune prince l'appelait volontiers, depuis surtout la nuit fatale du 30 mai : « Son père et son ami ».

Certes, les futurs possibles, comme disent les philosophes, sont impossibles à deviner ou à démontrer, mais deux ans plus tard, après le traité de Troyes, il eût pu paraître fort probable que le descendant des vicomtes du Bas-Léon ait sauvé, en cette occasion, le royaume et la monarchie capétienne. Il aura ainsi préparé le terrain politique où allait triompher Jeanne d'Arc.

La stratégie générale que Tanneguy Duchâtel préconisa au futur Charles VII consiste en une guerre de chicane : prise ou reprise de châteaux ou de forteresses, mise en valeur des travaux défensifs des places de guerre exposées ; coups de main incessants contre les partis ennemis. Ce fut alors surtout comme une sorte de chouannerie d'avant la lettre où allaient se distinguer Ambroise de Loré, Jean d'Harcourt, comte d'Aumale, Jean sire de Bellay, les célèbres Etienne de Vignoles, dit La Hire, et Poton de Xaintrailles, le fameux Gilles de Laval, maréchal de Retz, les sires de Boussac, de Beaumanoir, etc. En même temps, la politique proprement dite du Dauphin et de Duchâtel était une tentative continuelle de rapprochement entre les deux partis qui divisaient le royaume ou de recherche des alliés naturels. D'où des négociations toujours plus ou moins en cours, des pourparlers et des trêves fréquentes, mais très généralement circonscrites comme lieux et comme durée avec les fidèles de Bourgogne.

Aussi l'accusation portée contre Tanneguy Duchâtel d'avoir tué Jean Sans Peur à l'entrevue du Pont de Montereau, le 16 juin 1419, ne peut-elle à priori que paraître fort suspecte. D'ailleurs il s'en défendit de suite avec une extrême énergie. Il écrivit à Philippe le Bon, fils et successeur du duc Jean, pour s'en disculper et défier en champ clos simultanément deux chevaliers, au choix du duc, qui s'inscriraient en faux contre ses affirmations et l'accuseraient de mauvaise traîtrise et de félonie. Du reste, jamais dans la suite les ducs de Bourgogne ne réclamèrent-ils dans les essais de pacification subséquents, contre Tanneguy Duchâtel vivant ou mort. Bien plus, ils n'accueillirent jamais défavorablement ses propres neveux, portant le même nom, et ne protestèrent en aucune occasion contre leurs nominations à des postes élevés auprès de la Couronne, pas davantage d'ailleurs que Philippe le Bon contre le crédit de leur oncle. En un mot, l'histoire impartiale ne peut, semble-t-il, qu'absoudre Tanneguy Duchâtel d'un meurtre si contraire à sa ligne de conduite politique manifeste.

Cet assassinat la rompit, en effet, d'une façon extrêmement désastreuse ; car il eut pour premier effet d'amener la fin virtuelle du royaume par le traité de Troyes signé à peu près exactement un an plus tard, le 21 mai 1420. Désormais, la terre des Lys se voyait invariablement soudée à celle des Léopards et les Capétiens, chevaliers et prud'hommes, remplacés par les Plantagenets avides et violents, repus et sanguinaires. De longtemps on ne pourrait plus songer à un rapprochement avec la branche de Bourgogne. Il restait toutefois quelques vagues lueurs d'espérance. Les Etats de Bourgogne et de Bretagne, convoqués par leurs ducs respectifs pour reconnaitre Henri V comme roi de France, entendirent s'élever les voix de plusieurs protestataires. Le Souverain Pontife, de son côté, à qui le roi d'Angleterre avait fait part du même traité, de sa prise de possession du trône royal français et de la condamnation par contumace du Dauphin du Viennois comme assassin de Jean de Bourgogne par le Parlement de Paris, attendit la réponse du Dauphin, comte de Ponthieu, et sur l'exposé de ses droits et des faits, n'écrivit à celui-ci qu'en l'assurant de ses dispositions bienveillantes et sympathiques. D'autre part, une armée de 4.000 gens d'armes « Escots » ou écossais, fidèles à leur vieille alliance avec la France, avaient débarqué à La Rochelle sous le commandement de Jacques Stuart, comte de Buchan et de Douglas. Pour débuter, ils avaient coopéré très brillamment à la victoire de Baugé, le 22 mars 1420, et fait lever le siège d'Angers. Le comte de Buchan et de Douglas fut nommé connétable de France, dignité sans titulaire depuis la mort tragique du comte Bernard d'Armagnac.

Mais le but principal que visaient alors le Dauphin et Duchâtel était d'obtenir, — non sans doute la coopération du duc de Bretagne, Jean V, qui venait de reconnaître comme son « redouté seigneur » le roi Henri V, — du moins celle de son frère, Arthur de Richement, moins empêtré dans les liens d'une politique à bascule, plus ennemi des Anglais, plus attaché à la Couronne de France. Sur ces entrefaites, Duchâtel, qu'après le traité de Troyes le Dauphin, en prenant le titre de roi, nomma Grand Maître de France, venait d'être envoyé par Charles VII en Champagne avec le titre de gouverneur pour y arrêter les tentatives anglaises. Il amenait avec lui son neveu de Coëtivy. Bientôt les mouvements et l'approche des forces ennemies supérieures en nombre l'obligèrent à la retraite ou plutôt le contraignirent d'esquiver leur étreinte, en poussant une pointe en Bourgogne. Duchâtel comptait d'ailleurs y trouver et il y trouva en effet des forces dauphinoises importantes. Cette campagne, malheureusement, se termina brusquement par la défaite de Cravant (département actuel de l'Yonne), le 10 juillet 1423, où le comte de Buchan et Polon de Xaintrailles furent blessés et faits prisonniers. Le Dauphin ne s'en montra pas encore très affecté ; du reste les deux capitaines Buchan et Xaintrailles revinrent bientôt, à peu près guéris et libérés. Il ressentit, quelques mois plus tard, un coup qui lui fut bien plus sensible lors de la nouvelle du choc presque désastreux de Verneuil (département de l'Eure), où le connétable Jacques Stuart, comte de Buchan, fut cette fois compté parmi les morts.

Son fidèle confident et conseiller Tanneguy Duchâtel le pressa plus que jamais de donner toute satisfaction au duc de Bretagne, et surtout à Arthur de Richement, pour attirer ce dernier à son service. En cette occasion encore à quelque chose malheur était bon. La mort néfaste du connétable Jacques Stuart avait laissé de nouveau l'épée du connétable sans possesseur. Aussi, sur les conseils de Duchâtel, le Dauphin envoya une députation au duc Jean V pour offrir à Richement cette épée et cette dignité qu'il estimait et même désirait. D'autre part, son sincère attachement à la Couronne de France poussait ce grand seigneur breton a secourir le Dauphin dans son extrême détresse. Ce qui ne l'empêchait pas d'ailleurs d'être au fond plus bourguignon qu'Armagnac. Sentiment qui lui venait de loin, dont les Anglais avaient essayé de profiter pour l'attirer à eux. Leur allié de Bourgogne avait offert à Richemont la main de Marguerite de Bourgogne, fille de Jean Sans Peur, veuve de feu le premier dauphin Louis, et eux-mêmes joignirent à sa dot des terres et des dons considérables. Enfin, pour sceller le tout, une triple alliance de guerre et de paix solidarisa les trois ducs de Bourgogne, de Bretagne et de Savoie.

Le Dauphin et son principal conseiller Duchâtel ne se décourageaient toujours pas. Une première tentative d'ambassade à Vannes fut malheureuse, car on y commit la faute de mettre à sa tête Jean Louvet, président de Provence, ministre fort habile mais cupide, aussi peu désintéressé qu'intelligent et capable. Or Jean V et son frère le considéraient comme un complice des Penthièvre qui l'avaient assez récemment enlevé, séquestré et rançonné. Une seconde ambassade où figurèrent Tanneguy Duchâtel lui-même et la duchesse douairière d'Anjou, reine de Sicile, Yolande d'Aragon, mère de la Dauphine, réussit beaucoup mieux. Avec l'agrément de son frère, Richemont accepta, sauf opposition des ducs de Bourgogne et de Savoie, si on chassait du Conseil les soutiens des Penthièvre, nommément Louvet et le sire d'Avaugour. De son côté, le duc de Bourgogne demandait réparation pour le meurtre de son père et, ne sachant à qui s'en prendre, réclamait l'éloignement de tous les ministres et conseillers du Dauphin responsables de l'attentat.

C'est alors, en 1425, que Tanneguy Duchâtel suggéra au jeune roi, pour lever toute difficulté, l'idée de faire quitter la Cour à tous ceux de son entourage qui avaient mis le pied sur le Pont de Montereau, en y ajoutant ceux que le duc de Bretagne désignait. Pour donner l'exemple, il offrit de se retirer lui-même là où Charles VII jugerait bon de l'envoyer. Il fallut, pour que le roi s'y décidât, de très longues et de très puissantes instances. Enfin, il s'y résigna avec la plus grande peine et vraiment à contre-cœur, stipulant bien que le grand Maître de France resterait toujours son conseiller, toujours apprécié, toujours bien tenu au courant des affaires importantes et toujours écouté avec la plus grande attention. Tanneguy Duchâtel en profita pour lui recommander chaudement ses deux neveux Duchâtel et aussi son neveu de Coëtivy. Il partit ensuite pour Beaucaire où Charles VII le nommait sénéchal, gouverneur du Languedoc.

Le sacrifice de Duchâtel ne fut pas inutile. Tous les seigneurs présents à l'entrevue fatale de Montereau quittèrent bientôt spontanément la Cour. Arthur de Richemont reçut l'épée de Connétable de France et, rendu auprès du roi, commença par épurer le Conseil et par faire expulser tous les ministres qui lui déplaisaient. Il fallut arracher le président Louvet à sa charge dont il n'entendait pas se dépouiller car elle lui rapportait beaucoup. Or, aucun de ses collègues ne s'était enrichi au service peu lucratif de leur maître, mais, lui, dit-on, y avait accumulé des richesses si considérables qu'il se retira, somme toute, avec « grosse chevance ».

Dès lors, l'ancien tuteur et gouverneur du comte de Ponthieu ne vit plus son roi qu'à d'assez rares intervalles ; d'abord à Bourges au temps de Jeanne d'Arc tandis que Charles VII, grâce à la sainte héroïne, revenait de Reims sacré roi de France ; plus tard, à Montpellier, après le traité d'Arras, lors de la convocation des Etats du Languedoc. Plus tard encore, en 1441, il l'accompagna en Poitou pour chasser les bandes de routiers et de brigands qui désolaient cette province ; puis en Languedoc jusqu'à Toulouse pour réprimer des mouvements hostiles et des tentatives de rébellion contre l'autorité royale. —Enfin, une vingtaine d'années après son départ de la Cour, il fut nommé gouverneur de Provence, — ce qui était alors un poste fort enviable.

Comme, à cette occasion, Tanguy Duchatel avait été trouver le Roi à Chinon pour lui prêter le serment de fidélité afférent à sa charge et aussi le voir encore une fois, il s'y rencontra avec des notables génois venus pour demander au roi de France des secours en vue de rétablir leur doge renversé dans une nouvelle révolution. Duchâtel, étant dès lors gouverneur de Provence, fut chargé de cette affaire. Il prit, entre autres, le célèbre Jacques Cœur avec lui et partit pour Marseille. Grâce à lui, le doge déposé put recouvrer l'exercice de sa magistrature. Moyennant quoi il devait, d'après ses promesses et celles de ses partisans, mettre la République sous la suzeraineté du roi. Mais, une fois le succès obtenu, nos Génois n'en firent rien ; ils renvoyèrent grossièrement leurs auxiliaires français ou plutôt les chassèrent hors de leur ville. Or ceux-ci occupaient la place forte maritime de Finale à une cinquantaine de kilomètres dans l'ouest de Gènes, appartenant à sa république. Ils en firent don, au nom du roi, à un seigneur de la région qui combattait les Génois.

Quelque temps après, Tanneguy Duchâtel repassa par là et mit en déroute les Génois venus pour prendre Finale qui les incommodait fort. C'était son dernier voyage : une ambassade solennelle. Il allait à Rome, envoyé, avec d'autres éminents personnages, par Charles VII « le Souverain de la Chrétienté qui avait le plus contribué à l'extinction du schisme » [Note : Histoire de Tanguy Duchastel, grand-maître de France sous le règne du roy Charles VII. Manuscrit anonyme de 1760, publié par B. Le Jannic de Kervizal] pour rendre obédience au Pape Nicolas V. Chemin faisant, ils firent un crochet jusqu'à Ripaille où s'était retiré le duc de Savoie, Amédée VIII, qui avait été un moment antipape sous le nom de Félix V. Les envoyés du Roi obtinrent sa renonciation complète à la tiare et poursuivirent ensuite leur voyage. Ils furent très bien reçus par le Souverain Pontife et par la Cour romaine. On se souvenait encore dans la Ville Sainte des services que Tanneguy Duchâtel lui avait rendus, en 1409 et 1410, lors de son expédition de Naples au service du duc d'Anjou, roi de Sicile. Sa mission très heureusement terminée, Tanneguy Duchâtel revint en France avec ses collègues pour rendre compte au roi Charles VII. Ceci fait, il se retira dans son gouvernement où il mourut peu de temps après, le dimanche 30 mars 1449. Il fut enseveli dans l'église de l'ancien couvent des Cordeliers de Beaucaire, dans le chœur. Les habitants d'Arles y firent, pour le repos de son âme, une fondation de 60 florins par an.

Charles VII pleura beaucoup son ancien tuteur, qui avait été longtemps son principal, sinon son unique appui des mauvais jours ; son « bon père » qui l'avait tant aidé d'une façon si désintéressée et si foncièrement dévouée par ses grands talents militaires, son habile diplomatie et ses prudents conseils. Pourrait-il être remplacé entièrement par son neveu restant, du même nom, dont cependant l'abnégation et la valeur semblaient jusqu'alors les mêmes ?

Quoi qu'il en ait été, Tanneguy Duchâtel ne paraît pas avoir, dans l'histoire, la place qu'il mérite. Un désintéressement presqu'héroïque, une fidélité opiniâtre dans le malheur rehaussée avec éclat par les qualités d'un excellent capitaine de guerre, d'un négociateur intelligent et avisé et aussi d'un homme d'Etat sage et prudent, ami de l'ordre et de la justice, qui sut tenir tête à une situation presque désespérée — tout cela aurait dû lui valoir l'honneur d'être compté parmi ces grandes figures dont l'ensemble encadra la mission divine de Jeanne d'Arc. Educateur du Dauphin qui allait devenir Charles le Victorieux, introducteur du connétable Arthur de Richemont, défenseur pied à pied du territoire jusqu'à son arrivée, il a joué un rôle considérable dans ce grand fait de la libération du royaume.

Aurait-il un continuateur dans ses deux neveux ? C'étaient deux frères, les enfants d'Olivier sire Duchâtel — qui lui-même se place entre son aîné Guillaume, tué à Jersey, en 1404, et son cadet Tanguy III ou Tanneguy dont il vient d'être longuement question. — Olivier Duchâtel fut à la fois ou tour à tour attaché au service du duc de Bretagne et à celui de la couronne de France. Chambellan, capitaine gouverneur de Dinan et de Brest pour le premier, il fut en dernier lieu pour le Roi sénéchal de Saintonge. C'est alors sans doute qu'il reçut le 20 novembre 1415, un mois environ après le désastre d'Azincourt, ses gages comme chevalier banneret au sceau fascé de six pièces alternativement d'or et de gueules. Sa femme, Jeanne de Plœuc, lui donna quatre fils. L'aîné, François, chevalier banneret, figura comme baron aux Etats de Bretagne de 1455, le troisième fut d'Eglise et devint évêque de Carcassonne en 1457, le second et le quatrième, nommés l'un Guillaume et l'autre Tanguy, — Tanguy IV — entrèrent à la Cour de France où ils furent introduits par leur oncle Tanneguy.

Peu de temps après que le Dauphin, comte de Ponthieu, eût prit le titre de roi sous le nom de Charles VII, Guillaume reçut la charge de grand pannetier et Tanguy IV celle de chambellan. Un peu plus tard, quand le fils aîné de Charles VII, le nouveau Dauphin qui devait devenir Louis XI, eut l'âge suffisant, Guillaume lui fut attaché comme écuyer. On doit voir surtout dans ces divers titres donnés aux deux frères des sinécures honorifiques ou tout au plus des fonctions de repos à la Cour. En réalité, l'un et l'autre étaient des chevaliers, des hommes de guerre. Guillaume ne tarda pas à se signaler et à tomber victime de sa vaillance. Ecuyer du Dauphin, il se signala d'abord dans les combats qui eurent lieu autour de Saint-Denis, un peu avant la prise de Paris en 1436. Plus tard quand le principal gouverneur du Dauphin, le comte de la Marche, ne voulut pas le suivre dans sa première révolte de la Praguerie alors que ce prince s'enfuit de la Cour et partit pour Niort, soutenu par quelques hauts seigneurs des Lys, grands vassaux révoltés, — Guillaume conforma sa conduite à celle de son chef hiérarchique immédiat. Enfin, grâce à quelques puissants barons fidèles, le Dauphin revint, six mois environ après, à récipiscence avec ses principaux alliés. Guillaume Duchâtel l'accompagna quand le jeune prince se remit à marcher avec l'armée royale.

C'était au mois de juillet 1441. A cette époque le Roi en personne, accompagné du Dauphin, de Charles d'Anjou, comte du Maine, du connétable de Richemont, des comtes d'Eu et de La Marche, du neveu de Tanneguy, de Coëtivy, devenu amiral, quitta Saint-Denis pour attaquer avec eux Pontoise qui était retombée entre les mains des Anglais. Dès l'abord, il s'établit et se fortifia solidement aux portes orientales de la ville, en tête du pont de l'Oise. Néanmoins, l'ennemi réussit plusieurs fois à y jeter des vivres et des renforts. Les Anglais essayèrent aussi à diverses reprises d'attirer les Français dans une bataille rangée ; le tout inutilement. Dans une de ces tentatives, le duc d'York, venu de Normandie avec de grosses forces, jeta un pont de bateaux sur l'Oise de façon à passer sur la rive gauche, à gêner ainsi les communications de l'armée royale avec Paris, et à faire lever le siège. Il n'y réussit pas ; enfin, sur le point de se replier, il vit le vaillant et habile capitaine de guerre, Ambroise de Loré, monté sur une grande péniche fortement armée, s'avancer pour détruire son pont volant et lui couper ou entamer fortement sa ligne de retraite par la rive droite. Une grosse escarmouche s'en suivit, le 20 juillet, dans laquelle beaucoup d'Anglais périrent mais où Guillaume Duchâtel qui allait, dit-on, être nommé maréchal, fut tué. Le duc d'York s'avoua vaincu en repartant dès le lendemain pour la Normandie. La joie que ce succès, suivi de près par la prise de Pontoise, causa au Roi, fut fort tempérée quand il apprit la perte de ce fidèle officier, souvenir vivant de son cher ministre et confident Tanneguy. Il plut alors « au roy pour sa grande vaillance et les services qu'il lui avait fait en maintes manières et spécialement en la deffense de cette ville de Saint-Denys, contre le siège des Anglais — que Guillaume Duchâtel, de la Basse-Bretaigne, pannetier du roy Charles VIII et escuyer de Monsieur le Dauphin fut enterre céan » [Note : Epitaphe de Guillaume Duchâtel à Saint-Denis, d'après le manuscrit de 1760. Son tombeau était du côté du nord de la basilique « dans la croisée proche la muraille ». Il y était représenté armé de toutes pièces avec les armoiries de sa Maison : six fasces alternées d'or et de gueules et, en plus, avec un annelet d'or sur la seconde fasce, marque d'un juveigneur, d'après le manuscrit] dans la basilique funéraire des rois.

Pendant ce temps, son frère Tanguy IV Duchâtel, portant par conséquent les mêmes nom et prénom que son oncle appelé ici Tanneguy pour le distinguer des autres, Tanguy IV Duchâtel, chevalier, vicomte de la Bellière, devenait conseiller et chambellan du roi Charles VII, grand écuyer de France et, en même temps, grand Maître d'hôtel du duc de Bretagne, puis gouverneur du Roussillon et de la Cerdagne, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel dès la première promotion, et enfin grand écuyer de France.

Quand Charles VII commença sa dernière maladie, en 1460 ou 1461, il se trouvait toujours dans un état de demi-hostilité avec son fils, le Dauphin, qui ne voulait plus revenir auprès de lui et se tenait constamment chez son cousin de Bourgogne ou, à tout propos, on lui faisait grande fête. Il y avait quinze ans qu'ils ne s'étaient vus et, depuis ce temps, malgré la bonté du roi, malgré ses appels conciliants, son fils et ses amis continuaient à conspirer plus ou moins ouvertement contre lui. Si malade que fût son père, le Dauphin n'inclinait pas vers de meilleurs ni de plus conciliants sentiments. Aussi, dans sa résidence de Mehun-sur-Yèvre, Charles VII s'abandonnait-il, troublé par des racontars sinistres et tendancieux, aux idées les plus noires et à des soupçons dévorants. Sous ce prétexte, maint serviteur et courtisan, voyant un nouvel astre paraître à l'horizon du ciel politique, abandonnait son maître qui allait partir pour toujours. Cependant plusieurs demeuraient et, parmi eux, le grand écuyer Duchâtel qui se montrait le plus attaché au roi moribond. Il ne le quittait plus et se trouvait à son chevet quand il mourut le 22 juillet 1461. Mais, à ce moment, tout fonds manquait pour ensevelir convenablement celui que l'on appelait encore Charles le Victorieux et que son peuple en entier pleurait bien sincèrement. Ce fut Tanguy IV qui se chargea des funérailles et y employa trente mille écus de sa fortune personnelle. Cette somme, semble-t-il, ne lui fut jamais rendue de son vivant et une pareille dépense le força à contracter des dettes.

Le nouveau roi Louis XI commença par se débarrasser des vieux serviteurs et conseillers de son père. Fut-il touché dès le début ou après réflexion par ce bel exemple d'attachement au maître malheureux et délaissé ? toujours est-il qu'il garda ou reprit Tanguy IV Duchâtel à son service avec les mêmes titres auxquels il en ajouta d'autres par la suite. Louis XI lui accorda même sa faveur quoique l'ancien grand officier de son père ne semblât pas apporter toujours autant d'empressement et de zèle cordial dans son service qu'il en avait montré dans celui du feu roi. Il se serait livré, disait-il à son lit de mort, à des accès de colère et de mauvaisé volonté. On peut supposer qu'effectivement, de temps à autre, lui remontait au cœur l'amertume de la conduite passée du nouveau roi vis-à-vis de l'ancien, ce bienfaiteur si bon et si attirant.

Quoi qu'il en soit, malgré ces boutades et ces éclats, Tanguy IV sut se faire apprécier et pardonner ces écarts d'une âme ulcérée par sa fidélité même. Le grand écuyer suivait partout le souverain en campagne. Or, en 1477, Louis XI partit en guerre contre les Flamands et surtout les gens de Gand qui haïssaient le royaume de France et déjà s'armaient contre lui. Il commença par attaquer Bouchain. Un jour que le roi s'était avancé fort près des canons ennemis, familièrement appuyé sur l'épaule de Tanguy Duchâtel, un coup de fauconneau dirigé sur le prince, vint frapper mortellement son grand écuyer. Celui-ci ne mourut que le lendemain après avoir dicté un testament dans lequel il demandait au Roi de payer ses dettes, de marier sa seconde fille en la lui recommandant spécialement. Il confiait l'aînée à ses amis et la troisième à sa femme Jeanne de Raguenel, vicomtesse de la Bellière et de Combourg. Il priait encore le Roi de pardonner ses désobéissances et ses emportements, actes inspirés plutôt par la folie que par la malice. Le jour même où expira Tanguy IV Duchâtel, Bouchain se rendit.

Louis XI éprouva une grande et réelle douleur de cette mort. Il fit faire au défunt un magnifique service à l'abbaye de La Victoire et voulut qu'il fût enseveli à Notre-Dame de Cléry, sanctuaire pour lequel le prince avait une grande dévotion et où il fixa lui-même sa propre sépulture.

Les deux neveux de Tanneguy ou Tanguy III Duchâtel, moururent sans laisser de descendance masculine. Ce fut leur frère François, qui assura la continuation des Duchâtel-Trémazan, d'abord, pour un siècle environ, par son fils aîné, Tanguy V et, ensuite par son second fils Gabriel Duchastel, seigneur de Coëtangars. Dès le milieu du XVIème siècle, cette branche des Coëtangars héritera du droit d'aînesse et le répandra dans toute la lignée.

III.

La Maison Duchâtel-Trémazan depuis le XVIème siècle jusqu'à nos jours.

Mais dans les premières années du XVIème siècle, la branche aînée c'est-à-dire la filiation directe de Tanguy V Duchastel se continuait et devait durer encore l'espace de deux générations. Ce dernier rameau s'épanouit particulièrement avec un des fils de Tanguy V, Guillaume Duchâlet, seigneur de Kersimon, lieutenant du roi en Basse-Bretagne qui, dans la guerre finale de Henri II contre la Maison d'Autriche, gardait, suivant l'habitude ancestrale, le Bas-Léon contre les ennemis. Le seigneur de Brest, nommé capitaine de Brest, chassa, en l'année 1558, les Anglais des côtes qui lui étaient confiées en leur infligeant une défaite navale sous la pointe de Saint-Mathieu ou Saint-Mahé. C'était l'année même où Calais retombait entre les mains du Roi de France. Son neveu Claude, baron Duchaste!, du Juch et de Coëtivy, vicomte de Pommerit est le dernier représentant de la branche aînée, chef de nom et d'armes comme son oncle Guillaume et, immédiatement après lui sans doute, il sera lieutenant du roi en Basse- Bretagne.

Le dernier baron Claude Duchâtel étant décédé, la prérogative de chef de nom et d'armes passa à la branche des seigneurs de Coëtangars. Cet événement héraldique dut avoir lieu dans le dernier tiers du XVIème siècle. Le nom de Duchâtel ne brillera plus désormais avec autant d'éclat qu'auparavant. Il semble d'abord pâlir pendant cette période de troubles intérieurs et de guerres religieuses qui coïncida avec l'extrême déclin et l'extinction définitive de la Maison royale des Valois, notamment durant ce temps chaotique et confus que fut celui de la Ligue en Bretagne. Si on tenait à classer, d'une façon d'ailleurs toute hypothétique, ces Duchâtel-Coëtangars dans un de ces partis mal définis qui brigandaient plutôt qu'ils ne guerroyaient au fond de la Bretagne, ce serait très vraisemblablement parmi les royalistes, aux côtés de René de Rieux, seigneur de Sourdéac, gouverneur de Brest, qu'il faudrait, semble-t-il, les mettre.

Quoi qu'il en soit, au sortir de cette époque ténébreuse d'anarchie, nous trouvons Jean Duchastel, seigneur de Coëtangars, de Kerivant et de Bruillac, — arrière-petit-fils de Gabriel, — devenu chevalier du Roy, c'est-à-dire chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. Il arbora, le premier, le titre de chef de nom et d'armes de la Maison Duchâtel et se maria deux fois, la seconde en 1625. Son deuxième fils, Tanguy VII, épousa en 1659 Françoise de Kerprigent. L'aîné des enfants issus de cette union, Jacques-Claude Duchâtel, chevalier, baron de Bruillac, seigneur de Parcaric de Coëglaziou, etc... épousa, à son tour, en 1691, Marguerite de La Porte, dame de Guerdevollée, qui lui donna trois fils. L'aîné, Hyacinthe-Marie, chevalier de Saint-Louis devint le chef de nom et d'armes ; le second, Jacques-Thomas, également chevalier de Saint-Louis, fut officier de marine. Il mourut, pendant la guerre de Sept Ans, le 20 novembre 1759 au malheureux combat naval des Cardinaux. Lieutenant de vaisseau en premier, il commandait comme tel par intérim Le Juste quand il fut frappé de trois coups de feu à l'épaule. Enfin, le dernier de ces trois frères, Tanguy VIII Duchâtel, fut d'Eglise. Commendataire de l'abbaye de Samer-au-Bois en juin 1746, il reçut, au mois de novembre suivant, la charge ou le titre d'aumônier du Roi.

Un peu auparavant, à la fin du XVIIème siècle, le dernier fils de Tanguy VII, Louis-Jonathas Duchâtel commandait en 1692 une des compagnies de marins détachée aux Iles et, avec l'aide de quelques miliciens, il délivra des Anglais le quartier du Marin, à la Martinique. Il devint ensuite inspecteur général des troupes françaises en Amérique, chevalier de Saint-Louis et lieutenant du Roy dans une des petites Antilles, l'île de Marie-Galande. Il paraît avoir épousé à la Martinique, Elisabeth Pocquet de Puilerie dont il eut deux fils.

Avec lui, dans la première moitié du XVIIIème siècle, la Maison Duchâtel-Trémazan, nom et armes, émigrait aux Antilles, tout en allant chercher généralement épouses et époux sur la terre de France. En effet, les deux fils de Louis-Jonathas, lieutenant du Roi dans l'île de Marie-Galande, c'est-à-dire Louis-Claude, prénoms de l'aîné, et Raymond-Balthazard, prénoms du second, firent enregistrer leurs titres, le 8 mai 1732, au Conseil souverain de la Martinique. Ils semblent être morts tous deux dans cette colonie, Louis-Claude n'ayant eu qu'une descendance féminine et son cadet Raymond-Balthazar se trouvant à la tête d'une assez nombreuse famille, dont cinq garçons. L'aîné de ceux-ci, Claude-Tanguy, marquis Duchâtel, capitaine de vaisseau, prit, après la mort de son cousin Hyacinthe-Marie, frère de l'officier de marine tué aux Cardinaux, l'appellation de « chef de nom et d'armes ». Il justifia ses titres de noblesse, épousa, le 14 août 1770, Marie-Louise Frollo de Kerlivio, et fut admis, le 3 février 1786, aux honneurs de la Cour. Ce n'était pas pour longtemps : la Révolution arrivait. Il n'eut qu'un seul fils, Victor-Jonathas, baptisé à Brest le 27 mai 1773 et mort sans alliance le 1er octobre 1810. Son cadet, François-Raymond, entra aux Mousquetaires et y mourut sans postérité. Son second frère, Victor-Pierre Duchâtel de Bruillac, que l'on appelait aussi Trémazan, né le 17 février 1742, chevalier de Saint-Louis et capitaine au régiment de La Fère-Infanterie, vécut pendant la Révolution et la vit de loin, des Antilles, bientôt toutes occupées par les Anglais. Sa femme, Catherine-Luce de Cours de Saint-Gervasy, mourut le 26 août 1793, A l'île de la Dominique. Son mari, Victor-Pierre, lui survécut treize ans encore ; il finit ses jours à la Martinique en 1806. Le dernier des frères de Claude-Tanguy et de Victor-Pierre, Louis-Jonathas Du Chastel de Bruillac, devint chevalier de Saint-Louis et lieutenant-colonel au régiment de La Fère-infanterie. Il épousa une cousine et n'eut pas d'enfants. Quand, au début de la Révolution, il fut obligé de quitter son régiment, il se retira probablement dans sa petite patrie de la Martinique, où il mourut le 7 mai 1821.

Victor-Pierre Duchastel de Bruillac, le capitaine au régiment de La Fère-Infanterie, appelé aussi Trémazan, devait être comme le bourgeon du rameau terminal sur l'arbre généalogique des Duchâtel. Il n'eut qu'un fils, Victor-Gabriel, marquis Du Chastel, baron de Bruillac, né le 19 décembre 1790. A vingt ans, Victor-Pierre prit la qualification de « chef de nom et d'armes », par suite du décès de son cousin Victor-Jonathas, mort le 1er octobre 1810, sans alliance. Avec sa postérité masculine allait disparaître et s'éteindre la race antique des Duchâtel, et, mystérieuse concordance, le nom de son vieux castel reparaissait comme pour revendiquer et illustrer ses derniers représentants. C'était ici, en quelque sorte, le primitif aïeul de certaines légendes nobiliaires dont l'ombre ou l'âme revenait hanter leurs manoirs quand ses derniers descendants allaient disparaître.

Victor-Gabriel épousa à la Martinique, le 1er juillet 1824, Marie-Rose-Anne d'Anglard de Bassignac, fille d'un ancien capitaine de cavalerie au régiment de Royal-Bourgogne, chevalier de Saint-Louis. De cette union naquirent deux filles et quatre garçons. Comme il est logique de le supposer, le marquis Du Chastel, baron de Bruillac, était une personnalité de ce petit monde colonial, chef de la milice de l'île, membre du Conseil général et du Conseil particulier de la Martinique. Il mourut le 14 février 1805.

L'aîné de ses fils, Gabriel-Tanguy, marquis Du Chastel, né le 19 mai 1825, n'eut pas d'enfants et mourut dans la propriété familiale de Saint-Esprit, à la Martinique, en mai 1886. Le second Louis-Victor Duchâtel, né le 31 décembre 1826, entra dans les ordres et devint l'abbé Du Chastel, qui laissa la réputation d'un saint prêtre aussi intelligent, lettré et aimable que charitable et vertueux. Il alla d'abord faire ses études en France avec « un grand nombre de jeunes créoles » dont plusieurs lui survécurent et rendirent « hommage aux belles qualités de leur ancien condisciple » [Note : Panégyrique de l'abbé Du Châtel, dans le Journal des Antilles du 4 juin 1892, dû â son ami l'abbé Lancelot]. Sans avoir alors aucune pensée de vocation ecclésiastique, il se faisait déjà remarquer « par un esprit sérieux et une dignité de vie qui ne se démentirent jamais ».

Ce fut seulement plusieurs années après son retour à la Martinique qu'il perçut l'appel de Dieu aux ordres ecclésiastiques. Après son ordination, il pensa un moment devenir missionnaire, mais on lui démontra que son pays natal avait besoin de prêtres appartenant à l'élite sociale et ayant une culture vraiment sérieuse. De fait, il excella dans l'art de capter les âmes, non seulement sans doute par sa foi, sa charité et son zèle mais encore par l'épanouissement en sa personne des qualités naturelles les plus séduisantes, telles que la courtoisie, la distinction de pensée et de manières, la politesse du gentilhomme, une exquise bienveillance pour chacun dans toutes les circonstances. On doit y joindre des dons intellectuels raffinés, une érudition et une science remarquables, une vraie force de pensée et une valeur littéraire appréciable, le tout voilé par une très grande modestie. Il combattait âprement les doctrines mais ménageait délicatement les personnes, n'en faisant jamais aucune critique.

Il fit d'abord du ministère paroissial dans l'île et fut curé de La Trinité pendant dix-neuf ans ; on le nomma chanoine honoraire, puis l'âge survenant, on le fit partir comme aumônier à l'hospice de Saint-Pierre. Là il se montra comme le ministre ou même l'ange de la Charité. C'était d'ailleurs un intégriste en ce qui concerne la foi telle qu'il l'enseignait quand il catéchisait les enfants de sa paroisse. Il n'y admettait jamais ni glose édulcorante ni atténuation quelque peu débilitante. Aussi se tournait-il volontiers vers la Chaire de Pierre qu'il vénérait au point de faire taire devant les consignes purement politiques du Pape ses convictions royalistes les plus enracinées. Car ce dernier descendant des Duchâtel était légitimiste par toutes les fibres de son cœur et conservait dans son âme, chacun à sa juste place, l'alliance sacrée de Reims entre le trône et l'autel.

Il espéra jusqu'à la fin de sa vie qu'arriverait un jour le monarque sauveur, rejeton de l'antique souche capétienne, « tenu en réserve par la Providence pour la vieille Gaule chrétienne, fille ainée de Marie parmi les Nations » [Note : Panégyrique de l'abbé Du Châtel, dans le Journal des Antilles du 4 juin 1892, dû à son ami l'abbé Lancelot]. Chrétien et prêtre, il savait attendre et attendit. Mais, devant les mystérieux délais voulus par le Ciel et le déclin de toutes ses espérances terrestres, la disparition graduelle de son ancienne et noble famille, parmi les revers de fortune, il voyait la mort arriver, non sans doute avec l'œil sec et indifférent du stoïcien, mais avec l'œil joyeux et lumineux du voyageur qui va enfin atteindre son lieu de repos et de bonheur. La gloire de ce prêtre humble, charitable et pieux éclata le jour même de sa mort le 1er juin 1892. Ce fut un deuil général dans toute l'île, surtout parmi le menu peuple des pauvres, des malades et des misérables, créoles ou noirs.

Il ne restait après lui que deux survivants de la Maison des Duchâtel : Jean-Guillaume-Tanguy Duchâtel, qu'on appela en plus Trémazan, son plus jeune frère, et sa sœur, Louise-Angèle-Tanguyne, restée sans alliance. Donc Jean-Guillaume-Tanguy Duchâtel, devenu marquis Duchâtel-Trémazan, vivait avec sa sœur, fort retiré, dans sa propriété familiale de Saint-Esprit. Homme aux goûts simples, c'était une nature douce, calme et aimable mais renfermée, quoique sa bonté, sa bienveillance, sa profonde modestie le fissent hautement apprécier par ceux qui l'approchaient quelque peu. Ils n'étaient pas nombreux d'ailleurs car les mauvais jours s'étaient abattus, depuis un certain temps déjà, sur bien des propriétaires des Antilles et particulièrement sur cette noble famille, s'amenuisant tandis que la mort la disloquait à petits coups. Du reste, le cœur toujours supérieur à leur fortune matérielle, ils voyaient sa débâcle avec le détachement des âmes élevées et chrétiennes. C'étaient vraiment des gentilshommes. Tels ils avaient traversé avec plaisir l'ère de prospérité, tels ils supportaient avec résignation celle des revers et des pertes.

Enfin, la mort arriva pour le dernier des Duchâtel-Trémazan, le 10 août 1894, dans la propriété de Saint-Esprit. L'heure redoutable de la séparation et de la solitude presque absolue sonnait pour Louise-Angèle-Tanguyne qui, sans alliance, célibataire, vivait depuis de longs mois seule avec son frère. Quand elle mourrait la vieille souche issue de terre léonarde deviendrait tout à fait sèche. Aussi la pauvre femme isolée était-elle comme une sorte de vestale chrétienne, gardant en sa personne, sous son toit familial de Saint-Esprit, le foyer ancestral emblématique de la Maison illustre des Duchâtel-Trémazan. Déjà, d'ailleurs son souvenir était presque éteint en Bretagne, son pays d'origine, sauf peut-être à Brest et dans le Bas-Léon, autour des ruines de son château-fort de Trémazan.

(Emile SAGERET).
N.-B. — Ce travail a été tiré presque entièrement de l'Histoire de Tanguy Duchastel, par Le Jannic de Kervizal (Société académique de Brest, année 1893-1894) et surtout d'un Mémoire anonyme publié dans cet ouvrage, datant de 1760, et dû à un membre de la famille Duchastel qui ne portait pas néanmoins ce nom.

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