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LE SIÈGE DE GUINGAMP PAR LES FRANÇAIS EN 1489 ou 1488 (ancien style).

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I.

Dans la lutte suprême qui devait rayer la Bretagne du nombre des nations et la mettre au rang des provinces, François II et la duchesse Anne, menacés à la fois par le roi de France et par les grands seigneurs bretons ligués contre leur souverain et contre leur patrie, s'appuyèrent sur la bourgeoisie et le peuple des campagnes. Ce caractère éminemment patriotique de notre histoire pendant les dernières années du XVème siècle a échappé à Le Baud et à Bouchard, ou s'ils l'ont reconnu, les circonstances et le milieu où ils ont vécu les ont forcés à se taire. D'Argentré, au contraire, devait en être frappé par dessus tout, et il a raconté cette dramatique agonie de son pays avec l'entrain et la chaleur qui le maintiennent à la tête de nos historiens, malgré les incorrections de son style et l'insuffisance de ses recherches.

Parmi les épisodes de cette grande guerre, que le vicomte de Rohan menait au nom du roi de France avec l'espoir de poser sur son propre front la couronne arrachée à François II et à sa fille, d'Argentré a mis le premier en relief le siège de Guingamp, dans le mois de janvier 1489. Il en avait sans doute recueilli les détails conservés par la tradition orale, lorsqu'il vint à Guingamp, en 1553, en qualité de commissaire à la Réformation du Penthièvre, puis à la suite de Jean de Bretagne, duc d'Étampes, en 1555 [Note : Ce voyage de d'Argentré à Guingamp est constaté par le célèbre sénéchal lui même, qui écrit, en parlant de Margot de Clisson : « Et me souvient à ce propos assez de fois avoir veu feu messire Jean de Bretaigne, comte de Ponthièvre et duc d'Estampes, entrant en l'église des Cordeliers de Guingamp, où il y avait quelque portraiture de cette femme, etc., etc. »]. Le récit de d'Argentré a été, il faut le reconnaître, la source unique où ont puisé les Bénédictins, et après eux, je n'ai pas besoin de le dire, tous leurs successeurs.

Voici en somme cette version.

Olivier de Coëtmen, seigneur de Châteauguy, commandait la compagnie qui tenait garnison au château de Guingamp, et était gouverneur de cette place importante. Après avoir servi le duc avec zèle, habileté et vaillance, il se laissa séduire par les Français, abandonna son poste, et fut fait gouverneur d'Auxerre. Son lieutenant Guillaume de Boisboessel le remplaça à la tête des compagnies ; Merien Chéro, capitaine des bourgeois, prit par le fait le gouvernement de Guingamp, où vint se jeter Gouicquet, capitaine naguère de Moncontour.

Le 9 janvier 1489, des éclaireurs, conduits par le capitaine de Saint-Pierre, le sénéchal de Toulouse et le seigneur de la Forest, furent envoyés par le vicomte de Rohan pour reconnaitre Guingamp, et l'investir ; les jeunes gens de la ville commandés par Gouicquet repoussèrent cette avant-garde et la forcèrent à rétrograder. Les Français prirent un détour, et le lendemain ils pénétrèrent dans les faubourgs de Montbareil et de Porz-Anquen, qu'ils brûlèrent.

Le vicomte de Rohan établit son quartier-général à Sainte-Croix. Il occupa d'abord ses troupes à fourrager dans les environs, et à incendier quelques gentilhommières du voisinage. Le siége ne commença que le 18 janvier, par l'attaque du fort de Saint-Léonard, contre lequel fut dressée une batterie de trois longues couleuvrines. Gouicquet ne laissa pas à l'ennemi le temps d'en faire usage ; il tenta, à la tête de ses jeunes gens, une vigoureuse sortie, hacha les canonniers sur leurs pièces, et s'en serait emparé, si toute l'armée ne s'était portée en cet endroit. Devant des forces centuples, il se retira prudemment. Tandis que l'artillerie battait des murailles trop faibles pour résister longtemps, le vicomte fit ouvrir au pied de la colline une large et profonde tranchée, qui devait couper toute communication entre le fort et Guingamp. Gouicquet se voyant ainsi traqué, résolut de rentrer aussitôt dans la ville ; les Français, qui, devinèrent son dessein, se jetèrent en masse pour lui barrer le passage ; alors, le capitaine excitant sa petite troupe du geste et de la voix, se précipite comme une avalanche du haut de la montagne, enfonce et culbute les rangs ennemis incapables de résister à un pareil choc. Le sang-froid du chef breton égale son impétueux courage ; il s'aperçoit que toute l'armée ennemie est sur ses talons et que les Français pourraient bien pénétrer, pêle-mêle avec ses jeunes gens, dans la place : il s'arrête au couvent des Cordeliers. Il y soutint, toute la nuit des attaques acharnées et incessantes ; et, à la pointe du jour, il rentra à reculons dans Guingamp, laissant les assiégeants stupéfaits de tant d'habileté et de tant d'audace.

Rohan se hâta d'occuper le couvent des Jacobins et la maison des Cordeliers, que Gouicquet venait d'abandonner. Il plaça une partie de son artillerie sur le coteau de Montbareil, d'où il pouvait envoyer ses boulets au centre même de la ville, et mit le reste de ses canons en batterie dans le jardin des Jacobins, pour faire brèche aux murailles entre la porte de Rennes et la porte de Montbareil. Il y eut bientôt une trouée que l'on jugea assez large pour donner l'assaut. Les assiégés se disposèrent à le soutenir : Chéro garda le boulevard, du côté de la porte de Rennes, et Gouicquet se posta en face même de la brèche ; l'un et l'autre firent si bien leur devoir, que l'ennemi fut repoussé avec grande perte et contraint de se retirer. Le lendemain, le vicomte fit reconnaître la brèche et la trouva insuffisante; il transporta ses canons dans le jardin des Cordeliers, et fit battre si furieusement la ville pendant tout un jour, qu'il abattit tout un pan de muraille entre la porte de Montbareil et, la porte de Tréguier. Le second assaut fut soutenu comme le premier ; mais Gouicquet fut blessé d'un coup de pique à la cuisse et il fallut l'emporter. La nuit étant survenue, chacun resta à son poste : comme il y avait dans les deux partis des Bretons qui se connaissaient, la conversation s'engagea entre les soldats qui étaient dans la tranchée et ceux qui gardaient les remparts ; ces pourparlers amenèrent une trêve qui fut prolongée de quelques lours, pour en référer à la duchese. Mais durant ce temps, l'or du vicomte jouait son rôle, et la désertion se mit dans la garnison. Rohan pressait et ne voulait pas de lenteurs ; les Guingampais jugèrent qu'ils ne pouvaient résister plus longtemps ; ils s'engagèrent à payer dix mille écus à condition que l'armée française se retirât, et à fournir des vivres et des munitions pour le siège de Concarneau, que l'on projetait, selon les ordres du roi. La ville avait éprouvé trop de pertes pour que l'on pût trouver les dix mille écus comptants ; on convint de donner six otages.

Pendant que l'on dressait les articles de cette capitulation onéreuse, mais honorable, le sire de Quintin négociait un autre traité ; il s'était abouché avec un traître, ce Guillaume de Boisboessel, dont Chéro s'était justement défié. Boisboessel ouvrit aux ennemis la barrière de Quenchi dont il avait la garde ; les compagnies de Pierre de Rohan n'eurent pas de peine à s'emparer de la ville, surprise à l'improviste, quand elle se reposait sur la foi des traités. Tout fut traitreusement saccagé et livré au pillage : Chéro et les plus riches habitants furent faits prisonniers. Gouicquet, plus heureux, parvint à s'échapper et se retira à la Roche-Derrien.

Telle est l'histoire connue du siége de Guingamp, de l'héroïsme de Gouicquet et de Chéro, de la trahison de Boisboessel et de la cruauté des soldats du vicomte de Rohan.

Les Bénédictins ont déjà lavé Olivier de Coetmen que d'Argentré avait trop légèrement accusé de félonie, par mauvaise humeur sans doute de ne l'avoir pas trouvé à son poste quand Rohan assiégeait Guingamp. Je vais, je l'espère, rendre aujourd'hui le même service à Guillaume de Boisboessel, en prouvant que s’il ne fut pas un héros, il ne fut pas un traître. Par contre, je cours grand risque d'assombrir un peu l'auréole dont tous les historiens bretons, après le sénéchal de Rennes, avaient amoureusement paré le front de Gouicquet et de Mérien Chéro. En tout cas, et quelles qu'en puissent être les conséquences pour la mémoire des uns et des autres, je vais, pour la première fois, opposer un récit contemporain, qui n'est autre chose que la déposition même de dix témoins oculaires, judiciellement formulée, au récit de d'Argentré écrit un siècle après l'événement, et, si l'on veut, à la ballade encore plus moderne, que tout le monde a lue parmi les chants bretons de M. de la Villemarqué, dont une autre version avait été recueillie par M. de Fréminville dans ses Antiquités des Côtes-du-Nord, et que, pour mon compte, après M. P. de Courcy, je crois être relative, non au siége de 1389, mais bien au siége de 1591.

 

II.

Au mois de septembre 1851, en déménageant le mobilier de la mairie de Guingamp qui allait se loger ailleurs, on trouva dans un coin noir, où personne ne pénétrait, une liasse, je dirai mieux un ballot de vieux papiers, sur lequel on avait écrit : Sans intérêt, et qui avait absolument échappé à mes investigations lorsque je réunissais, l'année précédente, les matériaux du petit livre que j'ai publié sur l'histoire de ma ville natale. Je fus immédiatement prévenu de la trouvaille ; mais, moitié par paresse, moitié par crainte de dénicher quelque titre qui fit mentir (comme cela arrive) l'ouvrage que je venais de faire paraître j'ajournai à d'autres temps le dépouillement et l'étude des gros et sordides paquets de papiers poudreux qui m'étaient exhibés. A quelque temps de là, M. de la Borderie étant venu à Guingamp, nous parlâmes des Archives de la municipalité et de la fabrique, et j'eus, en expiation de ma paresse, la honte de confesser que je n'avais pas encore délié les cordes du ballot qui avait été mis au jour quelques mois auparavant. Il y a pour les vrais savants des grâces d'état auxquelles les profanes ne sauraient prétendre ; à M. de la Borderie était réservé le privilège de découvrir les titres les plus précieux de nos Archives, qui s'étaient conservés, par la grâce de Dieu, dans ce monceau informe, malgré la méprisante et compromettante étiquette griffonnée sur l'enveloppe. M. de la Borderie ne s'est pas contenté de découvrir ces titres ; il a bien voulu les dépouiller et les classer et, grâce à lui, Guingamp possède un chartrier comme bien des grandes villes n'en ont pas.

Parmi les pièces dont je viens de raconter la découvérte, figure l'enquête édifiée du 19 au 28 septembre 1492, sur tes diverses circonstances du siège de Guingamp, et dont j'ai entrepris de faire état dans cet article. Il est aisé de voir, par la direction que suivent les témoignages, que cette enquête fait partie d'une procédure nécessitée par le refus de quelques bourgeois de Guingamp de contribuer au remboursement des dix mille écus payés au vicomte de Rohan. Les principaux motifs des récalcitrants étaient : — que la capitulation s'était faite absolument en dehors des bourgeois, qui n'avaient pas été consultés, qui n'avaient même pas été réunis à son de campane au lieu ordinaire des délibérations municipales, la chapelle Saint-Jacques en l'église Notre-Dame ; — en second lieu, que cette capitulation avait été de nul profit pour eux puisque les Français entrés dans la ville avaient tout mis au pillage, comme dans une place prise d'assaut. Voyons comment les témoins ont justifié les griefs des défendeurs, non pas assurément pour juger ce grave procès après trois siècles et demi, mais pour chercher dans ces témoignages les diverses circonstances du siège et de la capitulation.

J'allais oublier de dire que les témoins sont des mieux choisis pour être bien informés ; ce sont trois ou quatre hommes d'armes de la compagnie de Guillaume de Boisboessel, c'est le donnestique de Mérien Chéro, dizainier des bourgeois, lequel domestique, nommé Thebault Trevault, remplaça son maître malade pendant toute la durée du siège, ce qui ne laisse pas de nuire un peu à la gloire de Chéro ; ce sont deux prêtres, dont un vicaire de Notre-Dame ; c'est un serviteur du sénéchal de Guingamp ; c'est enfin le procureur des bourgeois lui-même. Aucun de ces témoignages ne contredit les autres, il n'y a pas de discussion ; je m'en estime heureux, puisque ma tâche se borne à lier entre elles les dépositions que j'analyse.

 

III.

Depuis plusieurs jours, une semaine au moins, on savait que l'armée française marchait sur Guingamp pour en faire le siège, quand un dimanche du mois de janvier 1489, on put voir, de la motte du Château, une partie de l'armée royale rangée en bataille en une lande, assez près de la ville. Guillaume de Boisboessel, qui était lieutenant de la compagnie de gens de guerre d'Olivier de Coëtmen, reçut de ce dernier, alors absent, une lettre par laquelle M. de Coëtmen commandait à la garnison, aux milices et aux bourgeois de tenir bon et de résister aux attaques des Français, leur promettant du secours avant le mardi suivant. Boishoessel communiqua cette lettre aux gens de guerre de sa compagnie, à Jean de Boisgeslin, capitaine des francs-archers de Tréguier, aux gentilshommes de la campagne qui s'étaient réfugiés dans la ville, et aux bourgeois : tous d’un commun accord s'engagèrent à suivre les ordres du gouverneur.

Le lundi matin le siége commença ; M. de Rohan s'alla loger aux Cordeliers. Les Français donnèrent l'assaut, mais ils furent vigoureusement repoussés. Malgré ce succès, Boisboessel trouva les forces dont il pouvait disposer tellement inférieures, qu'il jugea urgent de traiter avec le vicomte de Rohan, d'autant que le bruit de la reddition de Morlaix venait d'arriver à Guingamp, et qu'il semblait que rien ne pût résister l'armée royale. Boisboessel communiqua ces idées à quelques-uns de ses gens d'armes et notamment à Jean de Boisgeslin, capitaine des francs-archers. Comme il trouva de l'écho, il parlementa du haut du rempart avec un vieux capitaine de l'armée française, et le pria de dire au vicomte de Rohan que la garnison demandait une trêve pour traiter des conditions d'une capitulation. La suspension d'armes fut immédiatement accordée ; les hostilités cessèrent absolument, et il ne fut tiré ni un coup de canon, ni un trait, à partir de l'après-midi du lundi. Boisboessel descendit du château, et rassembla ses hommes d'armes et le capitaine des archers dans la nef de l'église Notre-Dame : quelques habitants, entre autres le sénéchal, le procureur fiscal et le procureur des bourgeois, s'y trouvèrent aussi ; mais il ne leur fut attribué et ils ne prirent que le rôle de simples curieux. Le lieutenant exposa aux gens de guerre sa pensée tout entière sur l'extrémité où ils étaient réduits ; il leur dit la démarche qu'il avait tentée vis-à-vis du vicomte afin d'obtenir une suspension d'hostilités pour parlementer, et il ne leur cacha pas que la réponse du vieil homme de guerre, qui avait porté ses propositions, laissait penser que le général ennemi ne voulait point entendre parler d'autre composition pour la garnison que de se rendre à la merci du roi ; il termina en demandant aux hommes d'armes ce qu'ils en pensaient. Vincent Le Seré et Jean de Boisgeslin, prenant la parole au nom des autres gens de guerre, déclarèrent qu'il était absolument impossible de se rendre à de telles conditions ; que le plus qu'on pût faire était de consentir à perdre armes et bagages pour avoir la vie sauve, et Boisboessel fut chargé d'aller en personne trouver le vicomte afin de dresser les articles de la capitulation sur ces bases.

Boisboessel demanda un sauf-conduit aux Français, et sortant de la place par la poterne de Toul-Quelenic [Note : « Le capitaine de Boësboissel se fit François et se saisit de la poterne de Tour Kellenic, qui respond sur le fauxbourg de Traoun-Trew, avait écrit Albert le Grand, au catalogue des évêques de Tréguier, N° CXXI. Cette poterne ouvrait à l'extrémité de la venelle du Moulin, sur la rue basse de Trô-Trieux, qui portait le nom de Trotrieux-Tourquelenic, ou mieux Toulquelenic, et se distinguait ainsi de la rue du Petit-Trôtrieux, que l'on appelait, à cette époque, Trôtrieux-Lambert »], il fit ainsi presque le tour des murailles pour aller trouver le vicomte, qui s'était logé aux Cordeliers. Il était alors deux ou trois heures de l'après-midi. Le lieutenant n'était escorté que de Bastien, son valet ; mais il était accompagné de maître Foulque de Rosmar, sénéchal, et d'Yves de Guerguezangor, procureur fiscal de la cour de Guingamp. Ils rencontrèrent en chemin Jehan Loisel, Tugdual Perthevault, notables bourgeois, et Guillaume Le Dyen, pour lors procureur des bourgeois ; et Boisboessel leur donna ordre de le suivre et de sortir avec lui de la ville.

Lorsque Boishoessel revint, il fut facile de voir qu'il n'avait pas eu bonne audience, car selon l'expression de Jean Banlost, l'un des témoins, « il faisoit mauvaise chière ». En effet, le vicomte avait déclaré qu'il ne voulait entendre à aucune composition avec les gens de guerre de la garnison, sinon qu'ils se missent à la volonté du roi. La garnison, qui entourait le lieutenant, déclara d'une voix unanime qu'elle ne consentirait jamais à une pareille soumission.

Boisboessel retourna le mardi au camp des Français et, vers le soir, le bruit se répandit dans la place qu'il civet si bien besogné que le vicomte de Rohan avait fini par consentir à ce que les gens d'armes de la garnison sortissent de Guingamp un bâton à la main, ayant la vie sauve et perdant seulement leur « desferre ». Mais on ajoutait que M. de Rohan exigeait en outre des habitants dix mille écus d'or, ou cinquante mille livres monnaie, pour avoir vie et biens saufs.

Cette prétention parut exorbitante, et les bourgeois poussèrent les hauts cris : autant, disaient-ils, valaient l'assaut et le pillage, et, en tout cas, on n'aurait su trouver dans toutes les bourses de Guingamp une somme si énorme, quand même on aurait fait contribuer les nobles des environs, qui s'étaient depuis la guerre réfugiés dans la ville.

Le mercredi matin, les nouvelles de la veille se confirmèrent tout à fait, et il n'y eut plus de doute possible quand on vit la compagnie du capitaine de Saint-Pierre entrer dans la courtine de la porte de Rennes qui lui avait été ouverte. Or, Boisboessel seul avait les clefs de la ville, qu'on portait à sa chambre tous les soirs, et était chargé de la fermeture des portes ; il exécutait donc, en ce qui le concernait personnellement, un traité négocié par lui la veille.

L'émotion des bourgeois était au comble. On les voyait réunis par groupes, à tous les carrefours : la protestation était unanime : « Qui donc s'était permis de traiter au nom du corps politique ? Est-ce que depuis la trève on n'avait pas eu vingt fois le temps de réunir les notables, à son de campane, à la manière accoutumée, dans la chapelle de Saint-Jacques en l'église Notre-Dame, le seul lieu où se pussent faire les assemblées et délibérations de la Communauté ? Aussi, quelque fût l'impudent qui avait osé promettre à M. de Rohan, si quelqu'un l'avait fait, dix mille écus d'or ou cinquante mille livres monnaie, tous et chacun des bourgeois étaient bien résolus à ne pas exécuter ces engagements ». Bref, on décida d'envoyer une députation aux Français, pour leur dire que les bourgeois ne consentaient pas à payer la rançon qui leur était demandée, ou qu'on avait promise pour eux sans leur aven, et que M. de Rohan n'eût pas à y compter. Yvon Le Dantec, Tugdual Perthevault, Yvon Coatgoureden, Jehan Loisel, Yvon Jégou et quelques autres furent délégués. Ils se rendirent vers M. de Saint-Pierre, au boulevard de la porte de Rennes. Pauvres bourgeois ! le capitaine, pour toute réponse, déclara aux ambassadeurs qu'il les gardait pour otages et comme sûreté des dix mille écus promis.

Dans l'après-midi, vers trois heures « environ vespres », comme dit Lancelot Le Chevoyr, un des témoins Boisboessel et toute sa troupe, un bâton à la main, sortirent de la ville par la porte de Rennes.

Les Français y entrèrent tout aussitôt.

L'occupation de Guingamp par les bandes du capitaine de Saint-Pierre fut un vrai brigandage. Les soldats se firent donner les clefs des caves et des greniers, des armoires et des huches : quand on ne trouvait pas la clef, ils brisaient la porte ou la serrure. Ils prirent tout ce qui était à leur convenance ; ne payèrent, rien de ce qu'ils consommèrent, et quand ils partirent, ils emportèrent tout ce qu'ils purent. Les personnes n'avaient guère été mieux traitées que les choses : les Français s'étaient emparés des lits, et les pauvres bourgeois couchaient par terre ; quand ils demandaient un peu de leur blé pour ne pas mourir de faim, on les refusait, et devant eux on jetait le froment aux chevaux. Les soldats faisaient entre eux, dans les rues, de scandaleuses enchères du vin pillé dans les caves enfoncées, en gouaillant les propriétaires.

Les chefs donnaient l'exemple. L'enquête révèle des particularités caractéristiques. Dom Pierre Olivier, prêtre, né à Guingamp, raconte qu'il y était pendant le siége, « le mercredi que le sieur de Saint-Pierre ô une compagnie desdits François y entra. Et à l'entrée que celx François firent en ladite ville et durant qu'ils y furent, ils pillèrent et robèrent ce qu'ils peurent trouver de biens en ladite ville et rompirent coffres, huges, caves, celiers, greniers, et firent de grands oultrages ; et dit ce témoin le savoir, pour tant que durant le temps que lesdits Français furent en ladite ville, il demeura et fit résidence en la maison Henry Queryen d'icelle ville, en laquelle logèrent deux hommes d'armes desdits François, dont l'un s'appeloit le sr de Locquanay et l'autre le sr de Clyant, lesquelx et leurs serviteurs, dès que ils furent logés en la dite maison, ostèrent de la femme dudit Queryen toutes les clefs de la dile maison, que elle gardait, prirent, tant des coffres que des huges et armoires de ladite maison, plusieurs grands biens qu'ils y trouvèrent, et rompirent un coffre où maistre Alain Le Forestier avait plusieurs biens, quelx ils portèrent ô eux quand ils s'en allèrent et tous les autres biens portatifs de la dite maison, et distribuèrent les vins et blés estans dans icelle maison ; et combien que ledit Queryen et sa femme avoient au grenier de leur maison environ cinquante-cinq quartiers de froment, lesdits Queryen et sa femme ne peurent avoir desdits François desdits blés pour semer ne mettre en terre, et leur convint emprunter, celle année, quatre quartiers froment de la femme Meryen Cherou pour semer et mettre en terre. Et néanmoins que les dits Queryen et sa femme avaient sept petits enfans et des serviteurs, il leur convint, cette année, vivre leursdits enfans de l'aulmosne et par prest ».

Un peu plus loin le même témoin ajoute, et ce témoignage est confirmé par plusieurs autres, que le séjour des Français et leurs brigandages n'avaient pas coûté aux malheureux habitants de Guingamp moins de quinze mille écus.

Qu'aurait-on fait de pis dans une ville prise d'assaut ?

Cependant le capitaine de Saint-Pierre faisait rentrer les dix mille écus du prétendu traité, en vertu duquel les Guingampais étaient censés avoir assuré leurs personnes et leurs biens et qu'il exécutait, pour sa part, de la façon que nous venons de dire. Les principaux bourgeois, que l'on avait d'office déclarés cautions de tous les autres, étaient traités comme des prisonniers dans leurs propres maisons, jusqu'à ce qu'ils eussent payé la somme à laquelle il avait plu à je ne sais quel répartiteur de les taxer.

On traitait de la même façon les étrangers, particulièrement les nobles qui étaient venus chercher un abri derrière les murailles de la ville. Il ne m'a pas été possible de savoir au clair si cette exaction était en sus des dix mille écus, mais je suis bien tenté de le croire : quoi qu'il en soit, on dressa également un rôle des étrangers, et jusqu'à ce qu'ils eussent payé on les retint prisonniers. Il n'y avait, comme vous pensez, à tout cela rien de bien régulier. Vincent Munehorre avait payé une rançon arbitraire à un sieur de la Luzerne, qui lui avait donné la clef des champs ; ainsi avaient fait Rolland Le Blanc et son fils, Jean du Boisgelin de Pordic, Jehan Le Gonidec et quelques autres. Au contraire, le fourier de Saint-Pierre (c'est le titre que lui donnent quelques témoignages à l'enquête), avait emprisonné dans la maison de Merien Chéro, d'autres gentilshommes qui ne pouvaient ou ne voulaient se racheter ; c'étaient Guillaume Taillart, Jehan Colin, Jean Coatgoureden et Jean Kergoaslay. Leur détention dura un mois. Je suis porté à penser que ces naïfs gentilshommes se retranchaient derrière un droit quelconque, car je vois qu'ils dépêchèrent deux procureurs, maîtres Jean Kerprigent et Charles Le Blanc, vers M. de Rohan pour avoir copie de la capitulation ; je n'ai pas besoin de dire que la copie ne fut pas produite, par la raison déterminante que l'original n'avait jamais existé.

Les prisonniers furent délivrés par le départ des Français, au mois de mars 1489. Quelle fut la cause de ce départ ? Notre enquête n'en dit rien ; l'histoire, on le sait, en attribue la gloire à la valeur de Gouicquet et à l'arrivée des Anglais, et les chants populaires, s'ils s'appliquent au siége de 1489, à un miracle de Notre-Dame.

 

IV.

Que si l'on accorde à l'enquête que nous venons de résumer une créance absolue (et en vérité pour ma part, je ne devine pas quelles objections pourrait soulever une saine critique contre ce document), il importe de voir en définitive jusqu'à quel point le récit de d'Argentré, c'est-à-dire le récit de tous les historiens bretons, est à modifier. L'enquête ne dit pas un mot de Gouicquet ; mais ce silence ne doit pas infirmer, je crois, ce que d'Argentré raconte du fait d'armes de Saint-Léonard et de tout ce qui se serait passé le dimanche : une enquête n'est pas une chronique ; les lois de la procédure ont, dans tous les temps, cherché à mettre des digues aux divagations des témoins et à prévenir les surprises et les piéges de la mauvaise foi, en ne permettant de déposer que sur les faits appointés en preuve par le jugement préparatoire. Or, il est clair que tout ce qui concerne Gouicquet n'a aucun trait aux deux grands faits que l'enquête devait prouver : le défaut de consentement des bourgeois à la capitulation, — et l'inexécution par les Français eux-mêmes de la capitulation supposée.

L'on peut encore admettre, par le même motif, les détails de l’assauit ; à condition de les resserrer dans la matinée du lundi et de laisser le vieux Merien Chéro dans son lit, malgré le bon air qu'avait cette blanche et vénérable figure au sommet des bastions ébréchés.

Quant à Boisboessel, il est certain qu'il n'a pas trahi et qu'il n'a pas changé de drapeau. Par une conduite tout à fait dans les mœurs de ce siècle, et dont on trouverait vingt exemples, il a sacrifié les bourgeois au salut de sa troupe ; mais, à aucun point de vue, excepté à celui de l'héroïsme militaire inspiré par un sentiment d'humanité et de charité, il n'avait à se préoccuper du sort des bourgeois à la garde desquels il n'était pas commis. Je l'ai dit en commençant, il n'agit pas en héros, mais il ne fut pas traître, et l'on n'a point à se scandaliser de voir messire Guillaume de Boisboessel, chevalier, recevoir de la reine Anne, à la maison de laquelle il est attaché, quatre aunes trois quarts de drap pour le deuil du feu roi Charles VIII [Note : Actes de Bretagne, tome III, col. 793].

Les vrais traîtres furent les Français, qui entrèrent dans la ville en invoquant un traité, et qui traitèrent Guingamp comme un pays conquis par les barbares. Il n'y a point de vieux titres endormis dans les chartriers qui puissent les laver de cette félonie, et prévaloir contre cette lamentation que les pauvres Guingampais faisaient, entendre dans leur requête à M. de Laval et aux États, et que Du Paz nous a conservée :

« Et après, l'an 1488 [Note : Vieux style : dans notre manière actuelle de compter, c'est 1489], au mois de janvier, arriva l'armée du roy sur Guingamp, et y tint le siège cinq jours. Et enfin, sous couleur de composition à 50,000 livres monnoye lors courante, y entrèrent, et quelque composition qu'ils disoient y avoir esté, ils pillèrent la ville, et y laissèrent grosse garnison jusqu'au mois de mars, que les Anglois arrivèrent à cinq lieues de Guingamp. Alors s'en allèrent lesdits gens de guerre sans rien payer, pillèrent ce qu'ils trouvèrent, brûlèrent plus de soixante maisons, se firent payer plus de deux mille escus par les habitants, et emmenèrent huit personnes sous couleur de hostages desdites 50,000 livres, à qui ils firent payer 7,500 livres de rançon.

...... A l'occasion desquelles guerres ont esté réduits lesdits habitants à si grande pauvreté, qu'il n'est possible à eux resourdre.

Si vous supplient avoir égard èsdites pauvretez, et pour un coup les faire quittes des aides qu'ils doivent, à ce que n'en soient contraints d'abandonner ladite ville, et qu'ils puissent payer les charges et debtes qu'ils ont contractées, ou autrement, leur pourvoir de tel remède que de bonne équité verrez y appartenir. Et ils prieront Dieu pour le roy et pour tous vous messieurs ».

Voir aussi les témoins :  Ville de Guingamp (Bretagne) " Siège et Prise de Guingamp en 1488 ".

(S. Ropartz).

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