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FOUGÈRES DURANT LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

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INQUIÉTUDES, TROUBLES ET PERSÉCUTIONS.

 

RÉPERCUSSION DES DISPUTES DES ETATS-GÉNÉRAUX. — INQUIÉTUDES. INDISCIPLINE.

A la suite de la discorde entre les trois Ordres, le pays était en pleine ébullition ; les événements de Versailles énervèrent les esprits.

D'autre part, des bruits dont on ignorait l'origine, mais qui semblent répandus en vertu d'un ordre secret, circulaient sans relâche ; on craignait la famine, on voyait partout de prétendus accapareurs, et finalement des troubles éclatèrent sur les marchés.

Un vendredi, — dit vendredi-fou (24 juillet 1789) — à Vitré, toute la ville fut en armes et en alarmes pour repousser des brigands qui n'existaient que dans les imaginations malades. Il en fut de même, en beaucoup de localités, les 23 et 24 juillet 1789 (Abbé ANGOT, Dict. de la Mayenne ; Préface, p. 43. — Voir MADELIN, La Révolution, p. 65 ; Arch. départ., C. 1717).

A Fougères, le 6 juillet 1789, 7 ou 800 ouvriers s'étaient armés de haches et de bâtons, et avaient arrêté, sur les grandes routes, les voitures de grains à destination du Maine et de la Normandie [Note : Les transports étant longs et coûteux, il était assez difficile de ravitailler une région en cas de disette ; aussi n'aimait-on pas à voir sortir les blés de la ville et des campagnes environnantes. M. Le Bouteiller (IV, 125-128) signale, en 1631 ou 1632, une émeute pour ce motif. La question, très complexe, a beaucoup préoccupé les esprits]. Leur mot de ralliement, écrit le subdélégué, était « Vive le Tiers ». La maréchaussée fut assaillie à coups de pierres ; il fallut envoyer des troupes : une compagnie des dragons d'Orléans et une compagnie du régiment de Penthièvre.

Les troubles se prolongèrent (LE BOUTEILLER, Feuilleton n° 2). Au début, les soldats cherchèrent à les réprimer ; mais lorsque le bruit de la prise de la Bastille (14 juillet 1789) se répandit, la discipline des militaires se relâcha et bientôt on les vit se joindre aux mutins. Ce fut une confusion complète.

 

GARDES NATIONALES.

A l'instar de Paris, on organisa, dès la fin de juillet 1789, une garde nationale avec un bel uniforme bleu de roi [Note : Il se forma des gardes nationales non seulement à Fougères, mais dans un bon nombre de nos bourgs. (LE BOUTEILLER, Feuilleton n° 5 verso.) M. Delarue croit que celle d'Antrain date des premiers mois de 1790. La loi du 14 octobre 1791 prescrivit l'organisation des gardes nationales par canton, chaque canton devant fournir un bataillon. Le service des gardes nationales, d'abord gratuit, fut, à partir de la fin de 1793, rémunéré (pour quelques compagnies) au taux de la solde des troupes. A côté des gardes nationales, on institua, en l'an III (novembre et décembre 1794), des compagnies de gardes territoriaux, appelés aussi « contrechouans », qu'il ne faut pas, confondre avec les « faux chouans » dont nous parlerons par ailleurs. Les gardes territoriaux ne portaient pas d'uniformes ; ils touchaient 5 livres et 5 sols par jour. Ils étaient recrutés parmi les prétendus « patriotes » des campagnes, et servaient de guides dans les expéditions sur le territoire des paroisses rurales. On devine quelle haine les chouans devaient avoir pour eux. Elle explique bien des attentats]. On fit des enquêtes ; on rechercha les prétendus accapareurs ; on défendit de laisser sortir les grains ; les cultivateurs reçurent défense de les vendre ailleurs qu'à Fougères, et tout cela ne fit qu'exciter les esprits.

En septembre 1789, les soldats furent rappelés à Rennes, par leurs chefs. Les dragons obéirent, mais la compagnie du régiment de Penthièvre refusa de quitter Fougères ! Loin de s'étonner de ce grave acte d'indiscipline, la commune de Fougères s'y associa ; elle décida d'entretenir les soldats rebelles à la maison de retraites (rue de la Forêt, maison A. Durand).

L'autorité supérieure ne pouvait tolérer cela ; mais elle ne se montra guère sévère ; les soldats durent ou regagner leur corps, ou rendre leurs armes ! C'est à ce dernier parti que la plupart s'arrêtèrent. Quelle pitié !

C'est le moment où commença le pillage des châteaux, en vue de la destruction des titres féodaux, mentionnant droits et redevances [Note : Ce n'était pas seulement un avantage pécuniaire (bien léger d'ailleurs, et malhonnête) que l'on recherchait en détruisant les titres féodaux. La passion de l'Egalité y était pour beaucoup. Les servitudes des terres étaient considérées comme injurieuses. (Voir Revue universelle, 1er septembre 1922)]. Je n'ai pas connaissance de pillages chez nous. Il y en eut dans le pays de Saint-Malo (ROBIDOU, Hist. et panor. d'un beau pays).

 

LA MUNICIPALITÉ DE RENNES EMPÊCHE UN RAPPROCHEMENT TENTÉ PAR LA NOBLESSE FOUGERAISE.

Cependant, pour fêter la réunion des trois Ordres qui s'était produire aux Etats-Généraux (27 juin 1789), on avait organisé des fêtes à Fougères : feu de joie, salve de canons, Te Deum, etc...

Entrant dans cette voie, et en vue de favoriser l'union, une délégation de la noblesse de Fougères, ayant à sa tête M. Le Bouteiller, s'était rendue, le 21 juillet 1789, près de la municipalité de Fougères, et avait été accueillie courtoisement.

Cette manifestation, sitôt connue à Rennes, provoqua la colère de la municipalité rennaise : une lettre de reproches, rédigée en termes grotesques, fut envoyée à la municipalité de Fougères.

Cela suffit pour provoquer dans notre ville, prompte à s'échauffer, une espèce d'émeute, et des délégués furent désignés pour surveiller la municipalité fougeraise. Celle-ci, terrorisée, baissa la tête. M. Le Mercier était encore maire [Note : Le 3 février 1790, M. Julien Loysel devint maire ; mais bientôt nommé administrateur du Département, il fut remplacé le 28 juin 1790 par M. Lebouc. En novembre 1791, M. Lesueur, ancien greffier du Tribunal, devint maire à son tour] ; mais, sentant de l'hostilité, il s'abstenait de venir aux séances.

Peu après (5 août 1789), arrive une délégation des Rennais. Une grande assemblée se réunit à Saint-Léonard. Deux Rennais, MM. de la Motte-Fablet et Ponsart, ne craignirent pas de monter en chaire (scandale qui se renouvellera plusieurs fois), pour y prononcer des discours d'une ridicule emphase ; après quoi, les officiers présents durent prêter un serment, prétendu patriotique, par lequel ils s'engageaient surtout à s'opposer au « despotisme ». Trois mois plus tard (26 novembre 1789), une assemblée tumultueuse, à Fougères, décidait d'exclure la noblesse de la garde nationale. La division s'accentuait.

 

NOUVELLES DIVISIONS ADMINISTRATIVES. — DISPARITION DES PROVINCES. NOUVELLE ORGANISATION JUDICIAIRE.

Le 15 janvier 1790, les anciennes provinces cessèrent officiellement d'exister ; elles étaient remplacées par les départements, circonscriptions entièrement artificielles, oeuvre de gens férus d'égalité et d'uniformité, n'ayant aucun souci des traditions.

Il eût pourtant été sage de maintenir nos vieilles provinces. Leur origine, nous l'avons dit, se perdait dans la nuit des temps ; on peut l'affirmer sans métaphore, puisqu'elles correspondaient aux cités ou groupe de cités gauloises. Au cours de tant de siècles, il s'était créé, sur leur territoire, des habitudes profondes, des liens et des souvenirs de toutes sortes, une façon identique d'agir, de parler et de penser, qu'un décret ne pouvait supprimer. Aussi, le souvenir des provinces est-il resté vivace, et les différences de langage et de coutumes se reconnaissent-elles toujours !

***

La Bretagne forma cinq départements. Le département d'Ille-et-Vilaine fut divisé en neuf districts : Fougères, Vitré, La Guerche, Bain, Redon, Montfort, Saint-Malo, Dol et Rennes. Les villes s'étaient disputé le titre de chef-lieu de district ou de département. Saint-Malo, notamment, voulait être la capitale d'un département.

 

CANTONS DU DISTRICT DE FOUGÈRES.

Le district était administré par 14 personnes, qui élisaient entre elles un « Directoire » permanent, composé de quatre membres assistés d'un « procureur syndic ».

Les 14 membres étaient nommés par les « électeurs » du district, ces derniers ayant été nommés eux-mêmes par les « citoyens actifs » de chaque canton, réunis en « assemblée primaire » [Note : Les électeurs du district, qui étaient surtout des laïques, mais parmi lesquels se trouvaient quelques ecclésiastiques, nommèrent également les « curés » des paroisses et les juges. Les électeurs de tout le département (à raison de 1 pour 100 de ceux de chaque canton) nommaient l'administration départementale et l'évêque du diocèse d'Ille-et-Vilaine. Les municipalités étaient nommées, dans chaque commune, par les citoyens actifs de la commune. Pour être citoyen actif, il fallait être Français, avoir 25 ans, et payer des impôts équivalant à la valeur de 3 journées de travail. Pour être électeur, il fallait posséder une certaine aisance. Les élections des nouvelles municipalités se firent en février 1790, tant en ville que dans les campagnes ; celles des administrateurs du département et des districts eurent lieu à Rennes, où les électeurs se rendirent le 1er juin 1790 ; celles des juges, en octobre de la même année ; celles des curés, le 8 mai 1791].

Le district de Fougères comprenait neuf cantons, ainsi composés (en plus des paroisses des chefs-lieux) :

Canton de Fougères : Lécousse, Romagné et Saint-Sauveur.

Canton de Billé : La Chapelle-Saint-Aubert, Saint-Georges-de-Chesne, Combourtillé et Vendel.

Canton de Parcé : Dompierre, Javené et Luitré.

Canton de Fleurigné : Beaucé, La Chapelle-Janson, Laignelet, Landéan, Le Loroux, La Celle-en-Luitré.

Canton de Louvigné : La Bazouge, Mellé, Parigné.

Canton de Saint-Georges : Le Ferré, Poilley, Villamée, Monthault, Le Châtellier et Saint-Germain.

Canton de Saint-Brice : Cogles, Montours, La Celle et Saint-Etienne.

Canton de Saint-Marc-le-Blanc : Baillé, Saint-Christophe, Saint-Hilaire et Le Tiercent.

Canton de Saint-Aubin : Gosné, Mézières, Saint-Jean, Saint-Marc-sur-Couesnon et Saint-Ouen-des-Alleux.

Plusieurs communes de notre arrondissement actuel furent comprises dans le district de Dol et ainsi réparties dans les quatre cantons suivants de ce district, qui en comprenait neuf :

Canton d'Antrain : La Fontenelle, Saint-Ouen-de-la-Rouërie, Tremblay et Chauvigné.

Canton de Bazouges-la-Pérouse : Noyal, Saint-Rémy, Marcillé-Raoul et Rimou.

Canton de Trans : La Boussac, Vieuviel, Sougeal, Pleine-Fougères et Cendres.

Canton de Sens : Vieux-Vy, Romazy, Gahard et Feins.

On devine que tous ces changements de principes, de méthodes, de circonscriptions et d'administrateurs amenèrent d'immenses complications, nécessitant un labeur considérable pour l'exécution d'une multitude de décrets, parfois contradictoires.

L'administration du district, malgré le peu de temps qu'elle vécut (elle finit de disparaître le 26 septembre 1796, dans notre région), eut une importance considérable et une influence dépassant de beaucoup celle de nos conseils d'arrondissement et de nos sous-préfets actuels.

Si, en principe, la plupart des décisions incombaient au Directoire départemental, en fait les propositions du district étaient le plus souvent adoptées et ses avis suivis.

Les administrateurs de notre district n'étaient pas, du reste, les premiers venus. Voici ceux du début, il y eut ensuite quelques changements : MM. Jamin du Fresnay (de Louvigné), Blot, P.-J. Ruette, Delatouche (de Billé), Guérin, Le Métivier, Lottin, Salmon, Le Breton, avocat à Fougères, Pierre Roch, Le Beschu, Quantin, Le Provost, Gautray fils, Eugène Pierre (de Mézière).

Le 6 juillet 1790, furent élus : président, M. Le Beschu [Note : Le 14 octobre 1790, M. le Beschu ayant été nommé juge au Tribunal fut remplacé à la présidence par M. Le Métivier], et directeurs, MM. Blot, Jamin [Note : M. Jamin fut élu vice-président le 9 août 1790], Gautraye et Delatouche. Le procureur-syndic fut M. Le Breton [Note : Le 17 septembre 1791, M. Lebreton, élu à l'Assemblée législative, fut remplacé, comme procureur syndic, par M. Blot, qui fut lui-même remplacé, le 15 décembre 1792, par M. Delatouche. Plusieurs personnages d'Antrain, Bazouges, etc., furent élus membres du district de Dol : M. Chevetel, de Bazouges, en fut le président ; M. Hodouin, d'Antrain, vice-président ; M. Gauthier de Ronthonnay, de Bazouges (frère du recteur de Saint-Brice), procureur syndic ; Herbert. membre, était de Tremblay, etc... Le district de Fougères s'installa d'abord au coin de la rue du Four et de la rue de l'Aumaillerie ; puis, à la Saint-Georges 1791, il se transporta dans le logement « de Mme Vve Lemercier des Alleux, ci-devant occupé par Mme du Boisguy ». Il s'agit de la maison située au coin sud-ouest de la rue J.-J. Rousseau. Mme Lemercier la possédait depuis peu ; elle avait appartenu à Mme du Bois-Guy, née du Bois le Bon, mère d'Aimé. C'est là que dut naître le fameux général chouan. (Note de M. Le Bouteiller)], et le secrétaire, M. Baron.

Tous ces personnages, dont plusieurs étaient officiers seigneuriaux ou avocats, avaient quelques connaissances et une certaine expérience. Au début, ils étaient honnêtes et bien intentionnés. La plupart avaient de la religion, mais ils étaient tous imbus des idées nouvelles.

Ils prirent leurs fonctions au sérieux et furent dévoués à ce qu'ils croyaient le bien public. Grisés de leur importance, admirateurs fanatiques des « adorables décrets » de la Constituante, ils ne tardèrent pas à glisser sur la planche savonnée de l'erreur, jusqu'à se rendre complices et coupables des pires excès. La peur des violents hâta la déchéance de ces hommes tranquilles.

***

La nouvelle Constitution avait aboli les anciennes juridictions, royales ou seigneuriales, et établi une organisation judiciaire toute différente. Il y eut un juge de paix par canton, un tribunal au chef-lieu du district et un tribunal de cassation à Paris. Un jury pour les affaires criminelles fut institué au chef-lieu du département.

Les magistrats étaient élus comme les curés, les membres du district et les administrateurs du département. A Fougères, l'élection des juges du tribunal du district se fit les 11, 12, 13 et 14 octobre 1790 ; 70 électeurs, réunis à l'hôtel de ville, y participèrent. A Dol, l'élection se fit en l'église des Carmes, les 18, 19 et 20 octobre.

Ces tribunaux disparurent avec les districts [Note : Celui de Fougères tint sa dernière séance le 3 décembre 1795].

Les assemblées ou « municipalités » cantonnales qui, en 1796, succédèrent aux administrations du district, n'héritèrent pas de leur influence ; celle du département en fut accrue d'autant ; elle s'exerça par l'intermédiaire de ses agents, les « commissaires du pouvoir exécutif » qui assistaient et contrôlaient les municipalités cantonnales.

La loi du 28 pluviose an VIII (17 février 1800), établissant les arrondissements, engloba dans celui de Fougères, les cantons d'Antrain et Bazouges. L'arrondissement se composa alors de onze cantons, qui ont été réduits à six par l'arrêté du 27 brumaire an X (18 novembre 1801).

 

LES BIENS ECCLÉSIASTIQUES. — CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ (Juillet-Août 1790).

On sait que la Constitution civile du clergé, votée par la Constituante, le 12 juillet 1790, fut promulguée, hélas ! le 24 août 1790, par le Roi, après bien des hésitations. Le décret parvint à Fougères le 12 octobre 1790.

L'obligation du serment de fidélité à cette constitution fut votée le 27 novembre 1790 ; le Roi n'accorda son veto que le 26 décembre de la même année, sur le conseil de l'archevêque d'Aix, qui considérait le souverain comme ayant la main forcée, et qui refusa lui-même de prêter le serment. Ce nouveau décret parvint à Fougères le 7 janvier 1791.

La prestation de serment, à Fougères et aux environs, fut prescrite pour le 23 janvier 1791 et demandée à tous les ecclésiastiques « fouctionnaires publics », c'est-à-dire recteurs, vicaires, aumôniers d'hôpitaux, etc.

A ce moment, le Pape n'avait pas encore porté officiellement sa condamnation ; elle ne fut édictée que les 10 mars et 13 avril 1791. Mais l'opinion du chef de l'Eglise ne pouvait guère être ignorée [Note : Les Cardinaux réunis à Rome s'étaient prononcés le 24 septembre 1790 et le 15 décembre 1790 contre la Constitution civile du clergé. Le 14 décembre 1790, le Pape avait fait savoir au cardinal de Bernis, ambassadeur de France, que tout ce qu'il pouvait faire était de retarder sa décision. Le Bref du 13 avril 1791 laissait, aux prêtres assermentés, un délai de 40 jours pour se rétracter ; après quoi ils perdaient leurs pouvoirs et étaient déchus de leurs titres]. Les députés à la Constituante savaient fort bien que l'opposition de Louis XVI tenait aux pourparlers qu'il entretenait avec Rome ; dont les avis restaient défavorables, et partout en France on devinait cette situation.

Partisans ou adversaires de la Constitution ne manquaient pas, du reste, de faire parler le Pape, chacun dans son sens. Evêques, grands vicaires ou députés envoyaient des circulaires blâmant ou louant la nouvelle Constitution. Des conversations et des lettres du Pape, authentiques ou non, étaient publiées. Ce sont sans doute des écrits de ce genre que l'on qualifia de « faux brefs », contre lesquels s'élevèrent, en janvier 1791, les membres du district de Fougères qui, dans leur sphère, poussaient fort au serment [Note : L'Assemblée nationale s'occupa de ces prétendus faux brefs le 18 janvier 1791. (Jager, II, 221.) Lorsque parurent les Brefs véritables, on les qualifia aussi de faux, sous prétexte qu'il n'avaient pas reçu l'approbation du gouvernement français. (Lettre de M. Duport, ministre de la Justice, du 12 juillet 1791)].

Dans nos régions on connut, de façon positive, les intentions de Rome, par la lettre écrite par le Pape, le 4 février 1791, à M. des Vauxponts, vicaire général de Dol, élu pour le nouveau siège épiscopal de Laval, qu'il refusa du reste.

***

Mais il n'était guère besoin d'un avis officiel pour être fixé sur la valeur de la Constitution. Il suffisait de la lire et de n'être pas aveuglé par l'esprit démocratique auquel elle était subordonnée.

Qu'on songe que les circonscriptions ecclésiastiques étaient bouleversées, sans accord préalable avec le chef de l'Eglise ; que l'autorité d'un évêque, « dont le siège serait établi sous la domination d'une puissance étrangère », ne pouvait être reconnue ; que les évêques et les curés seraient élus par des assemblées composées presque entièrement de laïques, catholiques ou non, et élus eux-mêmes ; que les évêques, ainsi élus, devaient se borner à aviser le Pape ; que l'évêque constitutionnel ne pourrait exercer aucun acte de juridiction, sans l'assentiment de vicaires généraux, qui étaient inamovibles et irrévocables..., etc.

Par ailleurs, la dîme avait été supprimée (11 août 1789) ; les biens ecclésiastiques confisqués [Note : La propriété foncière ecclésiastique, dans le district de Fougères, est estimée par M. Rébillon à environ 2.39 % de la superficie totale du district. En utilisant. ses propres données, j'arrive plutôt, sauf erreur, à 1.80 % seulement, soit environ 1.400 hectares. Le chiffre ne peut être qu'approximatif. Ces biens, qui appartenaient soit aux œuvres diocésaines, soit aux abbayes et couvents, soit aux hôpitaux, soit aux œuvres paroissiales, peuvent se décomposer, en 40 et quelques métairies ; à peu près autant de closeries, 2 à 300 pièces de terre détachées ; une soixantaine de petites maisons de rapport et une dizaine de moulins, à quoi il faut ajouter les presbytères et leurs jardins. Dans notre pays, la fortune ecclésiastique était surtout constituée par la dîme ; la propriété foncière était presque insignifiante.], à charge par l'Etat de servir un traitement aux ministres du culte (2 novembre 1789). Les ordres religieux avaient été supprimés dès février 1790 ; une maigre pension, dont le taux variait avec l'âge, étant accordée aux religieux et religieuses dépossédés, même de leur mobilier, qui devait être vendu à l'encan.

Telle était la Constitution civile du clergé, dont l'adoption eut des conséquences terribles, et à laquelle il fallait jurer fidélité.

Tout ecclésiastique exerçant un ministère public fut donc tenu, sous peine de perdre sa situation, de prononcer, le 23 janvier 1791, le serment dont voici la formule : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi ».

Le serment fut bientôt demandé à tous les ecclésiastiques, mais sous des formes variées selon les époques.

Voir   Ville de Fougères (Bretagne) " Les différents serments ecclésiastiques durant la période révolutionnaire ".

 

L'APPLICATION DE LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ PROVOQUE DES TROUBLES.

Le 15 décembre 1790, la municipalité de Fougères ordonna la lecture, au prône de la grand'messe, d'un mémoire de l'abbé Le Coz, sur la Constitution du clergé.

Le clergé de Saint-Léonard s'y étant refusé, un membre du conseil communal, M. Mille, se chargea de faire lui-même cette lecture en chaire, malgré les protestations des fidèles : on devine le scandale !

Ce scandale se renouvela le 20 mars 1791 lorsque cet abbé Le Coz [Note : Claude Le Coz, né en 1740 à Plonévez-Porzay (diocèse de Quimper), professeur principal au Collège de Quimper et procureur syndic du district de Quimper, fut élu le 28 février 1791 évêque d'Ille-et-Vilaine par les électeurs du département, et sacré le 10 avril 1791, par Massieu, évêque intrus de l'Oise. Il s'installa à Saint-Melaine le 17 avril 1791. Il fut élu député à l'Assemblée législative. Le 24 septembre 1793, il fut enfermé à la Tour le Bast, à Rennes, par ordre de Carrier, pour avoir refusé d'apostasier et de se marier. Le 15 octobre 1793, il rejoignit à la Trinité, à Rennes, un grand nombre de prêtres fidèles qui y étaient détenus, et fut conduit le lendemain, avec eux, au Mont-Saint-Michel où il resta jusqu'au 17 décembre 1794. De retour à Rennes, il obtint d'abord (1er mars 1795) la jouissance de la chapelle de la Trinité ; puis (le 28 du même mois), il put prendre, en location, l'église de Saint-Sauveur qu'il occupa jusqu'en 1803. En août 1797, il présida un concile schismatique dans la cathédrale de Paris. Il tint à Rennes un synode en 1799 et présida un second concile en juin 1801. Lors du Concordat, Le Coz fut nommé à l'archevêché de Besançon. Il ne se rétracta pas et ne demanda pas de rétractation aux prêtres constitutionnels de son diocèse. Cependant, en 1804, il eut, à Paris, un entretien particulier avec le Saint-Père et signa, dit-on, un acte de soumission. On ne lui reproche rien au point de vue des mœurs. Il mourut le 3 mai 1815, à Villevieux, dans le Jura] ayant été élu (28 février 1791) évêque constitutionnel d'Ille-et-Vilaine, le greffier de la municipalité entreprit de proclamer cette nomination dans les églises.

Certains prêtres de notre région (assez rares du reste) étaient décidés, par démocratisme, à prêter le serment.

Poussés sans doute par les administrateurs du district et autres fonctionnaires zélés, ils durent faire de la propagande parmi leurs confrères.

Quelques prêtres de caractère indécis, ou affaiblis par l'âge et la maladie, se laissèrent endoctriner, malgré les conseils contraires des prêtres fermes et éclairés.

La perspective de quitter des paroissiens auxquels ils étaient attachés, influença certains recteurs ; d'autres cédèrent à la peur, parfois à la peur de la misère, car nos administrateurs, dès le 25 janvier 1791, menaçaient de refuser le traitement aux insermentés.

L'ambition aussi put guider quelques prêtres.

Sûrement, entre confrères du voisinage il y eut des conciliabules, des discussions. Certains ne jurèrent qu'avec hésitation et regret, et se retractèrent [Note : Il y eut des serments tardifs, des rétractations et des rétractations de rétractations !], surtout lorsque le Pape eut parlé officiellement.

***

En examinant la carte du département on reconnaît des zones où de notables influences se devinent et s'exercèrent avec succès en faveur du serment.

Un petit clan de révolutionnaires se trouvait, comme nous l'avons dit, au Pont Dom Guérin ; aussi voit-on des jureurs dans le voisinage : La Bazouge, Le Loroux, Saint-Georges, Savigny.

Dans une vaste région où les jureurs étaient rares ou inexistants, on constate une grande tache rouge formée par les paroisses entraînées dans le schisme : d'Antrain à Saint-Aubin-du-Cormier, de Chesné à la Bouëxière, d'Andouillé à Saint-Hilaire-des-Landes ; ces paroisses se touchent.

On a essayé d'expliquer ce fait curieux tantôt par l'existence de restes de protestantisme, de jansénisme ou de gallicanisme ; tantôt par une présomption de manque de ferveur, de la part des ouailles ou du clergé de cette région.

Ces causes me paraissent ou fausses, ou exagérées, ou trop lointaines, et incapables de produire cette unanimité dans le schisme.

Je crois plutôt à l'effet d'influences locales exercées sur le clergé par des personnages en vue, laïques ou ecclésiastiques.

Si l'on ne craignait de faire des jugements téméraires, on pourrait en citer quelques-uns, hommes de loi, ou membres du clergé, ayant leur demeure au centre de la région contaminée, qu'à plus d'un titre on peut soupçonner. On les devine à l'influence héritée de leurs parents ou due à leurs fonctions, ou encore à l'ardeur mise en 1789 à la confection de cahiers d'allure très révolutionnaire, ou à leur goût pour les affaires publiques, ou à leur nom et leur situation de fortune, on enfin à la réputation qu'ils ont laissée.

***

Quoi qu'il en soit, les recteurs qui jurèrent et demeurèrent dans leur paroisse firent un mal énorme. Les ouailles, trompées par eux, les suivirent dans l'erreur. Et de là me semble résulter l'état d'esprit spécial, favorable aux principes révolutionnaires, qui distingua quelques paroisses pendant la tourmente et qui parfois se révèle encore aujourd'hui.

Au contraire, dans les paroisses où les anciens recteurs furent remplacés par des intrus, ceux-ci ne purent acquérir la confiance des populations, qui restèrent fidèles à leurs bons prêtres et se montrèrent, comme eux, réfractaires aux idées révolutionnaires.

Il faut aussi tenir compte de l'action et de l'influence, bonnes ou mauvaises, des ecclésiastiques obligés de quitter leurs fonctions ou leurs couvents, et revenus dans leur paroisse d'origine.

La règle ci-dessus put s'en trouver modifiée. Ainsi, à Fleurigné, où le recteur et le vicaire jurèrent et où celui-ci resta en place remplaçant le recteur élu à la cure de Saint-Léonard, l'influence du vicaire ainsi devenu curé schismatique de Fleurigné, fut heureusement annihilée par l'influence plus puissante du chanoine de Langan, fils de l'ancien seigneur de la paroisse, revenu dans son pays natal, qu'il sauva du schisme, avec l'aide, du reste, d'autres prêtres fidèles.

Dans tous les cas, on devine l'affection confiante des paroissiens pour leurs prêtres ; cette sympathie les perdit ou les sauva.

***

M. l'abbé Piron, mort récemment (1924) aumônier de la Retraite à Fougères, a fait une étude [Note : Voir cette étude manuscrite à la bibliothèque municipale de Fougères] très approfondie sur l'attitude du clergé de nos régions, à l'occasion du serment. En voici la conclusion pour le district de Fougères :

Recteurs assermentés : 15, contre 33 fidèles [Note : Les trois recteurs de Fougères : Dom Delaunay, prieur recteur de Rillé ; M. Le Meneult des Aulnais, recteur de Saint-Léonard, et M. Beaulieu, recteur de Saint-Sulpice restèrent fidèles].

Vicaires assermentés : 15, contre 37 fidèles.

Soit 30 % de jureurs parmi les prêtres fonctionnaires publics [Note : Les évêques étaient considérés aussi comme fonctionnaires publics. Quatre jurèrent sur 137 fidèles].

Et pour l'arrondissement actuel :

Recteurs assermentés : 19, contre 40 fidèles.

Vicaires assermentés : 18, contre 48 fidèles.

Soit une proportion de jureurs de 29,50 %, toujours parmi les prêtres exerçant un ministère public.

Pour le département, la proportion des jureurs ressort à 14,50 % ; les recteurs ayant juré dans la proportion de 15.80 %, et les vicaires dans celle de 13,50 %.

Ces chiffres se rapportent aux jureurs de 1790 et à ceux des prêtres que l'administration qualifiait de fonctionnaires publics : recteurs, vicaires et aumôniers d'hôpitaux.

La proportion des jureurs, dans notre district, est très forte, relativement à celle des districts voisins : Fougères, 29,50 % ; La Guerche, 27,75 ; Dol, 17,75 ; Saint-Malo, 16,60 ; Rennes, 10,50 ; Vitré, 9,20 ; Bain, 8,80 ; Montfort, 6,75 ; Redon, 0 (ni un recteur, ni un vicaire !!!).

Cela résulte en grande partie de l'attitude sévère de nos administrateurs, de leurs démarches et de leurs menaces.

La proportion, indiquée ci-dessus pour chaque district, changea lorsque tous les ecclésiastiques (religieux, prêtres habitués, etc.) furent tenus aux divers serments. Les moines, sortis des couvents fermés, fournirent un nombre important de jureurs. Beaucoup paraissent avoir été désireux d'obtenir un poste de recteur ou de vicaire. Cependant, le changement ne fut pas très sensible ; de 30 %, la proportion descendit à 28 %, dans le district de Fougères [Note : La situation s'établit ainsi d'après M. l'abbé Piron (district de Fougères) : 1° Recteurs (y compris le prieur de Rillé) : 34 Fidèles et 15 Jureurs ; 2° Curés (vicaires) : 40 Fidèles et 14 Jureurs ; 3° Autres prêtres : 29 Fidèles et 11 Jureurs ; 4° Religieux (Récollets, Franciscains, Chanoines réguliers) : 2 Fidèles et 2 Jureurs. Soit 28, 50 % de Jureurs (Total : 105 Fidèles et 42 Jureurs)] ; tandis que dans celui de Rennes elle monta de 10 à 17 %. Sans les religieux, très nombreux au chef-lieu du département, la proportion des jureurs, pour l'ensemble des prêtres (fonctionnaires ou non) ne serait montée, dans le district de Rennes, qu'à 13,40 %.

Après la prestation de serment vint, le 8 mai 1791, pour Fougères 23, l'élection des curés [Note : Dans le district de Dol, les élections de curés se firent les 29, 30 et 31 mai 1791. Il y avait 42 paroisses à pourvoir ; douze nominations seulement purent être faites. Plus de la moitié des paroisses de ce district restèrent gouvernées par des prêtres fidèles (tant que le culte fut toléré). De nouvelles élections furent faites le 1er avril 1792, le 15 juillet 1792 et le 16 novembre de la même année. (Delarue)].

Les « électeurs », au nombre de 44, dont 4 ou 5 prêtres [Note : L'abbé Bégasse des Flégés ; l'abbé Martin, prêtre habitué à Saint-Marc-le-Blanc ; l'abbé Bonamy, vicaire de Saint-Hilaire-des-Landes. Tous les trois étaient les élus du canton de Saint-Marc-le-Blanc. Je ne connais pas les autres prêtres « électeurs »], avaient été élus eux-mêmes par les « citoyens actifs » de chaque commune du district. Il y avait 24 paroisses à pourvoir, sur 49 que comprenait le district : 15 des autres étaient pourvues d'avance, leurs recteurs ayant prêté serment ; quant aux dix dernières, les administrateurs du district étaient d'avis de les supprimer [Note : Le district avait demandé la suppression d'un plus grand nombre de paroisses, mais les recteurs de certaines paroisses menacées ayant juré, leur cure fut maintenue].

L'élection se fit à l'hôtel de ville de Fougères, après une messe célébrée à Saint-Léonard, par l'abbé Bégasse des Flégés, électeur. Les opérations durèrent trois jours, car il fallait aller s'assurer près des élus, à la campagne, qu'ils acceptaient les postes que le suffrage leur accordait.

On ne put réussir à nommer à toutes les cures.

En plusieurs paroisses, les pasteurs légitimes purent en conséquence, rester en fonctions [Note : Ainsi l'avait décidé l'Assemblée nationale le 21 janvier 1791] pendant quelque temps, en attendant l'arrivée d'un « intrus » [Note : C'est ainsi qu'on appela les curés jureurs qui avaient la vilenie de venir prendre la place des recteurs légitimes] élu tardivement.

De nouvelles élections eurent lieu le 18 septembre 1791, puis en juillet et novembre 1792, après quoi le district nomma lui-même aux cures.

Le Coz donnait l'institution canonique.

Une manifestation de protestation, qu'on qualifia d'émeute, marqua à Fougères la fin de l'élection des 8-10 mai 1791 ; élection vraiment scandaleuse, car alors le Pape s'était prononcé officiellement depuis plusieurs mois déjà.

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Il fallut, les dimanches suivants, procéder à l'installation des nouveaux curés [Note : Ceux de Fougères (Le Marchand, ancien prieur recteur de Fleurigné, élu curé de Saint-Léonard, et de Ruan, ancien obitier de Saint-Léonard, élu curé de Saint-Sulpice) furent installés le 15 mai 1791]. Ce ne fut pas petite affaire.

Ces installations furent l'occasion, en Bretagne et dans le Poitou notamment, de protestations indignées, de troubles violents, d'émeutes spontanées, où le sang coula. La question du serment amenait des conséquences imprévues ; on ne peut nier la grande part qu'elle eut dans les événements qui suivirent.

Partout les curés intrus furent reçus avec colère et traités en apostats, dans la ville comme dans nos campagnes, où plusieurs municipalités refusèrent de participer à l'installation, malgré les ordres réitérés et les menaces du district affolé.

Après de violentes protestations, le vide se fit autour des intrus. Personne n'assistait à leur messe ; en de nombreuses paroisses ils ne trouvaient ni sacritains, ni enfants de chœur. Les foules se portaient vers les chapelles, où les prêtres fidèles s'étaient retirés, et assistaient en plein air à l'office, les oratoires étant trop petits.

Le dimanche 7 août 1791, lit-on dans un procès-verbal du district, 4.000 personnes entendirent la messe à Iné ; 2.000 à Saint-Louis, et un très grand nombre à Rillé.

Cela mettait les révolutionnaires en fureur.

En ville, on essaya de disperser les foules qui priaient ainsi dans la rue ; cela amena de nouveaux troubles. Un arrêté du département, du 30 mai 1791, avait déjà prescrit la fermeture des chapelles des communautés ; le 11 août 1791, on décida de fermer celle d'Iné, et on réglementa l'accès de celle de Saint-Louis, qu'on n'osait pas fermer parce que l'affluence des fidèles procurait à l'hôpital un profit inespéré. Quant à l'église de Rillé, on ne pouvait la fermer avant que la suppression de la paroisse, qui avait été demandée, ne fût réalisée.

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Cependant la confusion devenait extrême.

En certaines paroisses les intrus ne purent se maintenir en place ; ailleurs, faute de chapelles particulières, prêtres fidèles et prêtres schimatiques officiaient dans la même église [Note : L'Assemblée nationale avait daigné reconnaître, le 13 mai 1791, le droit aux insermentés, de célébrer la messe dans les églises paroissiales et oratoires publics] ; parfois une municipalité hostile, suivant les instructions du district, empêchait les insermentés de se servir des ornements de la Fabrique ; il arriva, comme au Ferré, qu'il fallut, pour éviter des troubles, fixer les heures auxquelles chaque prêtre pourrait célébrer. A Parcé, en avril 1792, un prêtre non conformiste, l'abbé Derbrée, malgré les plaintes des intrus et les menaces des administrateurs du district, remplissait encore ostensiblement les fonctions curiales, à côté du curé officiel négligé par les paroissiens.

Chose incroyable, on vit, en de rares presbytères, prêtres catholiques et prêtres schismatiques, vivre sous le même toit ; à Saint-Hilaire-des-Landes et à Saint-Germain notamment. De même que des prêtres n'avaient juré qu'avec répugnance et par la crainte de la misère, des prêtres fidèles, sans doute, n'acceptèrent que poussés par la faim, une situation aussi étrange ; à moins qu'ils n'eussent en vue des services à rendre aux catholiques de l'endroit.

En général, les intrus, jaloux, désabusés et apeurés, cherchaient à éloigner les prêtres fidèles et les dénonçaient sans cesse au district.

 

LA CONQUÊTE JACOBINE.

Le 23 septembre 1791, Moreau, le futur général, vint s'installer à Fougères avec sept compagnies des volontaires nationaux d'Ille-et-Vilaine.

Qu'y venait-il faire ? — « Protéger » la liberté des élections municipales, qui allaient avoir lieu en novembre. On comprend ce que cela veut dire ! Au moment de voter, en effet, les volontaires se rendirent dans les paroisses suspectes. Ceci explique, en partie, comment dans les communes les plus catholiques, Fleurigné, par exemple, les rares partisans des idées nouvelles furent élus. A Parigné, le curé constitutionnel, même, fut désigné !

Il faut dire que le nombre des abstentions fut considérable : à Fougères, sur 564 électeurs il n'y eut que 145 votants, dont 95 votèrent pour M. Lesueur, qui ainsi devint maire. A Louvigné, sur 300 électeurs il n'y eut qu'une centaine de votants, et certains élus le furent avec 36 et 37 voix, le maire en ayant obtenu 94.

On évitait de venir à l'assemblée électorale par crainte des violences, et surtout à cause du serment civique exigé des électeurs. Depuis l'adoption de la Constitution civile du clergé on ne voulait pas jurer fidélité à la « Loi », qui comprenait la loi schismatique. Les révolutionnaires en bénéficièrent.

Ce fut une des faces de ce que Taine a appelé la « conquête jacobine » ; une infime minorité devenant maîtresse de la France.

Les politiciens de villages se donnèrent libre carrière ; on vit, même chez nous, de grotesques et dangereux tyranneaux qui seraient à peindre !

La situation ne cessa d'empirer. Les 26 et 27 août 1792, après des séances tumultueuses et inutiles, tenues au chef-lieu de canton, les électeurs de Saint-Aubin furent convoqués, sans plus de succès, à Mézières, pour le 31 août.

En certaines communes, soit à cause de la rivalité des factions, soit à cause des ennuis causés par d'incessantes réquisitions, soit parce que les besognes demandées répugnaient et que le mécontentement des honnêtes gens s'accentuait, soit à cause du fameux serment que devaient prêter ceux qui exerçaient des fonctions publiques, le district, malgré ses instances et ses démarches, ne réussissait pas à constituer une municipalité régulière ; — ou bien, s'il y en avait une sur le papier, elle demeurait inerte et opposait à tout une force d'inertie invincible.

Comme par dérision on plantait partout des « arbres de la Liberté » ; l'arbre « saint », disait-on. A Fougères, ce fut la place du Brûlis qui eut l'honneur de posséder cet emblème « sacré ».

Ajoutons que la municipalité fougeraise ne tarda pas (16 mai 1792) à faire fondre deux canons qui devaient être exposés sur la même place du Brûlis, afin « d'intimider les réactionnaires », dit le procès-verbal.

Et bientôt (3 juin 1792) la même municipalité fut mise en demeure de dresser un échafaud.

C'est le 12 avril 1793, que pour la première fois, on vit la guillotine à Fougères ; elle venait de Laval. On profita de ce qu'il en vint une autre dans notre ville, en avril 1794, pour en prendre le modèle et en fabriquer une spéciale pour nous (décisions du 20 et du 22 avril 1794).

 

PERSÉCUTIONS.

Une foule de mesures mesquines et indiscrètes, dictées par le préjugé égalitaire, vinrent tracasser le clergé et la noblesse à propos d'encensements dans les églises (19 juin 1798), de prières nominales, de titres, d'armoiries, de bancs, de tombeaux, de distribution de pain bénit ; mais on ne s'arrêta pas là.

Les biens des communautés religieuses et des fabriques paroissiales furent vendus (décret du 19 août 1792), la fortune de l'Eglise étant devenue propriété nationale.

La première vente de biens nationaux d'origine ecclésiastique, dans notre pays, se fit le 29 décembre 1790 [Note : Les adjudications de bien nationaux se firent d'abord à Fougères ; après la suppression des districts (fin de 1795), elles se firent à Rennes. Des expertises avaient été faites en septembre 1790].

Plusieurs municipalités, et notamment celle de Fougères, tentèrent de se faire attribuer quelques immeubles (couvents des Urbanistes, des Ursulines, etc.). Ces attributions n'eurent lieu qu'à la fin de la Révolution.

Les religieux avaient reçu ordre d'évacuer leurs couvents pour le 1er avril 1791. On leur laissait la faculté de se retirer dans des maisons désignées, qui devaient abriter au moins vingt religieux de robes et règles diverses. On délivrait à ceux qui rentraient dans le monde un trimestre de pension et une partie du mobilier de leur cellule [Note : En septembre 1790, les religieux avaient été mis en demeure d'opter pour la vie commune ou pour la vie séculière. Dès le 31 mars de la même année, le Pape avait fait savoir que des Brefs de sécularisation seraient expédiés gratuitement de Rome aux religieux, dont les motifs seraient jugés légitimes par les évêques de leur territoire. Il leur donna aussi toutes les dispenses nécessaires quant au port de l'habit monacal et à l'obervance des règles].

***

EXPULSION DES RELIGIEUX ET FERMETEURE DES COUVENTS.

Le couvent des Récollets était vide depuis la fin de janvier 1791 [Note : Le couvent des Récollets, avec l'enclos, fut affermé le 26 mars 1791, puis vendu le 7 septembre suivant. Les meubles avaient été vendus à l'encan du 7 au 14 février 1791].

Le couvent de Saint-François, dans la forêt, depuis février 1791 [Note : Saint-François fut vendu le 28 mars 1792. Le mobilier l'avait été du 14 au 21 avril 1791].

A Rillé, le prieur recteur, dom Delaunay, pouvait rester jusqu'à la suppression projetée de sa paroisse, suppression qui fut décidée par le département le 16 novembre 1791 et exécutée trois jours après. Le digne prieur, futur martyr de la Foi, ne quitta cependant l'abbaye que vers la mi-janvier 1792 [Note : La vente principale du mobilier de l'abbaye de Rillé eut lieu du 2 au 17 mai 1791. L'enclos, les bâtiments, y compris l'église, furent adjugés le 28 mars 1792. A la fin de 97, Dufeu, l'acheteur, se décida à démolir l'église. Ce fut (2 décembre 1797) l'occasion d'une émeute (voir LE BOUTEILLER, Révol., 119) où l'on manifesta violemment contre l'acquéreur et sa famille. Nous avons vu qu'un grand concours de peuple avait lieu à Rillé, depuis que les 2 autres paroisses de la ville étaient aux mains des intrus. Après la fermeture de Rillé en novembre 1791, les fidèles se portèrent vers Lécousse et Beaucé. A Lécousse, il se célébrait jusqu'à 9 messes. Les révolutionnaires firent du tapage, surtout au moment des Pâques : sous leur pression, le district, le 14 avril 1792, insista à nouveau près du département pour obtenir la suppression des deux paroisses de Lécousse et de Beaucé. Sans attendre la réponse, dès le lendemain (Dimanche de la Quasimodo, 15 avril 1792), à 5 heures du matin, une trentaine de gens armés, sans mandat, se rendirent à Lécousse et à Beaucé et pattefichèrent les portes de ces deux églises. Le lundi matin, les mêmes retournèrent à Lécousse et forcèrent le vicaire à porter, séance tenante, le Saint Sacrement à Saint-Sulpice. Ils firent escorte, rendant les honneurs, le long du chemin. Le district n'osa sévir contre les auteurs de cette « procession insolite », comme il l'appelle. Il se sentait débordé et se borna à réclamer une suppression officielle, au moins provisoire, qui fut accordée par décision départementale du 14 mai 1792. Déjà, à la fermeture de l'église de Rillé, le 19 novembre 1791, on avait ainsi porté processionnellement le Saint Sacrement à Saint-Sulpice, où le curé assermenté avait donné la Bénédiction], mais ses religieux, à l'exception d'un malade qui avait pu y rester quelques mois, étaient partis en février 1791.

Les religieuses ne furent pas épargnées. On interdit, le 24 mars 1792, aux Gigonnes et aux Ursulines de continuer leur enseignement, parce qu'elles avaient refusé le serment, qu'on exigeait aussi des maîtres et maîtresses d'école.

Les Ursulines [Note : Les Ursulines, au nombre de 31, dont 7 sœurs converses (Rébillon), occupaient les locaux servant actuellement au collège et au pensionnat Saint-Joseph. Elles avaient donc un vaste établissement. Le couvent servit, à partir d'avril 1793, de magasin pour l'armée. Le gouvernement, en l'an XI, en céda une partie à la ville pour y installer le collège ; l'autre partie, y compris la chapelle, étant louée à des particuliers au profit du collège. Par suite d'un échange, en 1817, cette dernière partie servit à la fondation du pensionnat actuel de Saint-Joseph. — La ville, pour l'établissement du collège, avait d'abord demandé la maison des Gigonnes. — Les Ursulines avaient comme aumônier l'abbé Goret des Martinais, le futur chef des Louisets] et les Urbanistes [Note : Le couvent des Urbanistes sert vers 1927 de caserne. Il fut tardivement cédé à la ville sous certaines conditions. La ville le mit plus tard à la disposition de l'autorité militaire, en posant aussi des conditions. Pendant la Révolution, ce couvent, qui était assez remarquable, servit de caserne et d'hôpital. L'aumônier des Urbanistes était M. Genest, qui a publié la vie et les révélations de la sœur de la Nativité. Il quitta le couvent dans la nuit du 10 au 11 juin 1791. Les Urbanistes de Fougères furent expulsées le 27 septembre 1792, après une émouvante protestation de la sœur Nativité. Elles se retirèrent dans leurs familles ou chez des amis. M. Binel en recueillit plusieurs, parmi lesquelles deux de ses propres sœurs et la sœur Nativité. L'abbesse alla chez M. Bochin, son beau-frère. Malgré leur dispersion, elles s'efforcèrent de suivre les règles de leur congrégation. Elles conservèrent l'habit jusqu'au 14 septembre 1793. La sœur Nativité, pendant la Terreur, se réfugia dans sa famille en La Chapelle-Janson. En 1795, elle revint chez M. Binel où elle mourut en 1798. Quelques survivantes, après la Révolution, reprenant leur habit, entrèrent dans une nouvelle communauté qui se forma, vers 1803-1804, à Saint-James, et dont la première supérieure fut l'ex-abbesse des Urbanistes, la mère Marie-Louise Lebreton de Sainte-Madeleine. Une autre, la mère Pétel de Sainte-Thérèse, s'associant avec une ancienne Gigonne, Mlle Thérèse Duval, fonda un établissement d'éducation pour les jeunes filles, qui fut l'origine du Pensionnat actuel de Saint-Joseph], en vertu de la loi du 4 août 1792, durent laisser leurs couvents libres pour le 1er octobre 1792.

La situation légale de la maison des Gigonnes [Note : Les Gigonnes ne formaient pas, à proprement parler, une congrégation ; elles ne prononçaient pas de vœux. Elles avaient une maison à Fougères et une à Louvigné. Dans celle de Fougères, située en face de l'entrée de la prison actuelle, on installa plus tard la gendarmerie. La maréchaussée avait, avant la Révolution, comme caserne, une maison appartenant aux Cordeliers de Saint-François et située près de la chapelle Saint-Gorgon, à l'entrée de la rue actuelle de la Caserne] provoqua une hésitation. Finalement, elle fut déclarée bien national, et le 15 janvier 1793, les « Filles de l'Instruction » (c'est ainsi qu'elles s'intitulaient) furent mises en demeure de déguerpir sous huitaine.

Les Hospitalières ne furent inquiétées qu'un peu plus tard [Note : Les religieuses Augustines de l'hôpital Saint-Nicolas, et celles de la Sagesse qui desservaient l'hospice Saint-Louis, durent faire place à des infirmières laïques, qui prêtèrent serment le 5 avril 1794. Les infirmières laïques de Saint-Louis furent chassées pour inconduite (Archives de la blibliothèque municipale), et Mlle des Buffards fut invitée à prendre le gouvernement de la maison. Les dames de la Sagesse furent rappelées en 1801. La mère Saint-Augustin (Mme de Vallois), supérieure des Augustines, fut enfermée au château de Fougères le 11 mars 1794 ; bientôt transférée dans les prisons de Rennes, elle y resta jusqu'en janvier 1795. — Au début d'avril 1794, quatre de ses religieuses furent également écrouées au château de Fougères. Il y avait, en 1789, à Saint-Nicolas, 28 religieuses, dont 4 converses. (Abbé Avice). La chapelle de l'hôpital Saint-Nicolas servit à divers usages. Les hospitalières de cette maison furent très peinées de l'attitude de leur chapelain, M. Guillaume Leroux, qui avait prêté le serment constitutionnel. Elles l'avaient remplacé par M. Delaunay, prêtre fidèle ; mais le premier réclama et se fit maintenir par le district. Les Augustines rentrèrent à Saint-Nicolas en 1810. Quant à l'établissement de la Providence, étant données la présence de la propriétaire et fondatrice, Mlle Pauline de la Belinaye, dame de Vendel, et la fabrication de flanelle qu'on y faisait, le district voulut bien le considérer comme une entreprise industrielle privée, et les religieuses purent y rester. Elle conservèrent leur costume, malgré une mise en demeure de la municipalité du 7 septembre 1793 (voir LE BOUTEILLER, Rév, n° 38), jusqu'à ce que le district ne leur donnât, le 20 mars 1794 (Arch. du district), l'ordre formel de le quitter. Mais les religieuses, quoique décostumées, durent sortir du couvent le 23 avril 1796. Elles s'installèrent alors au bas de la rue des Vallées. Au mois de décembre de la même année, les religieuses demandèrent à rentrer à la Providence ; mais leur demande fut rejetée. Elles ne purent rentrer qu'en 1800 ; la maison fut réorganisée en 1801].

 

ELOIGNEMENT DES PRÊTRES FIDÈLES.

Naturellement, les biens meubles et immeubles de toutes ces religieuses avaient été confisquées. Pour avoir essayé de sauver du désastre une partie de leur linge, les Ursulines se virent traiter de voleuses par les membres du district.

On accordait aux religieuses une pension dont le taux variait selon le revenu de l'établissement ; elle ne devait pas dépasser 300 livres par an, pour les professes et 150 livres pour les converses (lettre du district du 11 février 1791). Elle fut parfois moindre.

Les religieux devaient toucher de 400 à 1.000 livres par an, suivant l'âge et les fonctions.

***

Cependant, les prêtres fidèles avaient dû abandonner leurs presbytères aux intrus. Retirés dans des maisons amies, ils s'efforçaient, comme c'était leur devoir, d'écarter leurs ouailles des schismatiques, dont ils stigmatisaient la conduite. Ceux-ci, vexés, humiliés et effrayés, multipliaient les dénonciations ; cela attira aux intrus une haine terrible, dont quelques-uns furent bientôt les tristes victimes.

Assailli de réclamations contre les anciens pasteurs, le département prit, le 16 juin 1791, un arrêté, qu'on reçut à Fougères le 23 juin, prescrivant aux recteurs et vicaires remplacés de quitter, dans la huitaine, leur ancienne paroisse et de se retirer à trois lieues de là, ou dans leur lieu de naissance.

Et le 26 août 1791, un nouvel arrêté ordonna aux prêtres insermentés, nés dans les paroisses qu'ils administraient, de s'en éloigner également de trois lieues.

Le ministre fit opposition à ces arrêtés. Sur l'insistance de l'évêque Le Coz, il les laissa enfin publier, le 14 décembre 1791 (DELARUE, District de Dol, VI, 236-239).

Les paroissiens perdirent donc leurs véritables pasteurs. Ils ne furent cependant pas privés encore de bons prêtres, les partants étant, en partie, remplacés par ceux qu'on faisait déguerpir d'ailleurs.

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La résistance aux intrus ne cessant pas, le département en rendit responsable les prêtres fidèles. A la date du 14 avril 1792, il arrêta que les prêtres étrangers au département, refusant de prêter le serment d'allégeance, devraient en sortir sous huitaine ; ceux du département devant être internés à Rennes, sauf ceux de Rennes qui le seraient à Fougères ; pour l'exécution de cette mesure, la gendarmerie et les gardes nationales devaient prêter main-forte.

 

INTERNEMENT DES PRÊTRES A RENNES.

C'était la chasse aux prêtres qui commençait.

Le clergé catholique n'a plus que trois partis à prendre : quitter la France, — se cacher, — ou obéir à l'arrêté.

Beaucoup de prêtres de nos régions émigrèrent à Jersey, entre autres les recteurs de Saint-Léonard et de Saint-Sulpice [Note : Ce dernier ne tarda pas à revenir en France. Il débarqua près du fort Duguesclin, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1792. (Notes de M. Piron, d'après un procès-verbal des arch. départ.)].

D'autres se cachèrent dans le pays, continuant, au prix des plus grands dangers et des plus grandes fatigues, leur pieux ministère ; ils changeaient souvent d'asile.

D'autres, enfin, obéissant à l'arrêté, se rendirent dans les villes désignées.

Les prêtres internés à Rennes devaient se présenter à l'appel deux fois le jour ; ceux qui étaient internés à Fougères étaient soumis à trois appels journaliers.

Par ailleurs l'Assemblée législative interdit, le 6 avril 1792, jour du vendredi saint, sous un ministère girondin, le port du costume ecclésiastique. La mesure ayant été mal exécutée, l'ordre fut renouvelé le 12 (ou le 18) août 1792 [Note : JAGER, Eglise pendant la Révolution, III, 396. — Cependant, le 7 septembre 1793, le district de Fougères faisait observer à la municipalité que certaines religieuses portaient encore leurs costumes ; et il semble bien qu'en mars 1794, les religieuses de la Providence le portaient encore, à l'intérieur de l'établissement tout au moins].

***

La loi du 27 mai 1792, due surtout aux efforts des girondins, permit aux Directoires des départements de déporter les prêtres insermentés, lorsque vingt citoyens le jugeraient utile. Le roi fit opposition, mais le 10 août 1792 il était suspendu.

L'obstacle ayant disparu, la loi fut reprise et aggravée le 26 août 1792, encore sous un ministère girondin : la dénonciation de six citoyens était suffisante.

Mais les administrateurs du département d'Ille-et-Vilaine n'avaient pas attendu si longtemps. Du 12 au 20 août 1792, ils avaient arrêté les mesures suivantes :

La déportation était requise contre tout prêtre refusant le serment d'allégeance, à l'exception cependant (à titre provisoire) de ceux qui n'avaient pu encore être remplacés dans leurs paroisses. En attendant la déportation, la réclusion serait employée ; le Mont Saint-Michel devait servir de lieu de déportation provisoire.

Les prêtres internés à Rennes furent aussitôt (dès le 14 août 1792) enfermés à Saint-Melaine.

La loi du 26 août 1792 fit modifier les dispositions arrêtées : le 5 septembre 1792, la Trinité fut indiquée comme résidence des vieillards et des infirmes ; le lendemain, un nouvel arrêté ordonna le transfert, non au Mont Saint-Michel, mais à Saint-Malo, en vue de la déportation à la Guyane, des prêtres reclus, et fixa au 8 septembre 1792 le départ de Rennes.

Les malheureux arrivèrent à Saint-Malo le dimanche soir, 9 septembre, et s'embarquèrent le 14 septembre 1792, non pour la Guyane, à cause des frais jugés trop élevés, mais pour Jersey.

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PERSÉCUTION VIOLENTE.

C'était la persécution violente et odieuse, devenue déjà sanglante, car les 2 et 3 septembre 1792, à Paris, 400 ecclésiastiques et de nombreux laïques avaient été massacrés, sous l'impulsion d'un « Comité de surveillance » qui, par circulaire, invitait les départements à suivre son exemple, et cela sans que les ministres girondins aient rien fait pour l'empêcher.

Les administrateurs de l'Ille-et-Vilaine se bornèrent à user de la déportation à Jersey [Note : Environ 700 prêtres de l'Ille-et-Vilaine s'exilèrent ou furent déportés à Jersey. C'est de cette époque que date la renaissance catholique de cette île, privée de prêtres catholiques depuis 1565. En moins d'un mois, l'île de Jersey reçut près de 3.000 prêtres ; bientôt, à Jersey et Guernesey, leur nombre atteignit 4.000. Les habitants de ces îles firent des prodiges de charité : non seulement ils aidèrent les exilés de leur bourse, mais, quoique protestants, ils leur facilitèrent l'exercice du culte catholique. Les prêtres d'Ille-et-Vilaine eurent plusieurs chapelles à Saint-Hélier ; ceux de Normandie, à Saint-Aubin ; ceux d'Angers, à Gouville. En décembre 1796, devant la menace de la descente d'une armée française à Jersey, le gouverneur fit conduire les prêtres français dans le nord de l'Angleterre. Vingt-cinq prêtres originaires de notre pays, ou y exerçant le ministère, faisaient partie des convois de septembre 1792 pour Jersey. Le 14 septembre 1792 passa à Fougères un convoi de prêtres dirigés de Laval sur Granville pour être déportés. Insultés à Vitré, ces malheureux prêtres furent au contraire accueillis à Fougères avec respect et sympathie par la foule, qui s'opposa aux mesures vexatoires arrêtées par la municipalité. (LE BOUTEILLER, n° 24)] et de la réclusion au Mont Saint-Michel.

Désormais de nombreuses paroisses restèrent sans prêtres, ni fidèles, ni schismatiques, beaucoup de ces derniers ayant dû s'en aller devant les dispositions hostiles des habitants.

Cependant, quelques apôtres dévoués, qui se cachaient de ferme en ferme, exerçaient un ministère secret.

Chose curieuse, les administrateurs du district tolérèrent que les clefs des églises, en l'absence de prêtres, fussent confiées à des personnes sûres, qui tenaient les portes ouvertes aux fidèles désireux de prier ou de se réunir pour tout autre motif.

On continua à sonner les Angelus (procès-verbal du district du 20 septembre 1792), à entretenir l'horloge ; et ces usages semblent s'être continués longtemps.

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Par contre, le département prescrivit bientôt (26 décembre 1792) la dénonciation et l'arrestation de tout ecclésiastique insermenté ; les gendarmes devaient toucher 50 livres par arrestation, prime qui fut portée à 100 livres après le 15 mai 1793. Les personnes donnant asile aux proscrits devaient être poursuivies.

D'autre part, la Convention [Note : L'Assemblée législative avait pris fin le 20 septembre 1792. Les élections pour la Convention avaient eu lieu le mois précédent. Les assemblées primaires s'étaient réunies le 26 août pour nommer des « électeurs » qui avaient été convoqués à Saint-Malo pour le 2 septembre, afin d'élire les représentants de l'Ille-et-Vilaine à la Convention. M. Le Breton, ex-procureur syndic du district, fut au nombre des élus. Il avait déjà été nommé député à la Législature on septembre 1792 et avait été alors (le 17 septembre 1792) remplacé comme procureur syndic par M. Blot], le 18 mars 1793, rendait un décret punissant de mort tout prêtre, dans le cas de la déportation, trouvé sur le territoire de la République, et ordonnant à tout citoyen de le dénoncer. Un autre décret de la même Assemblée des 21-23 avril 1793 ordonnait la déportation de tout ecclésiastique refusant le serment de Liberté-Egalité. Et le 9 octobre 1793, le département, d'accord avec Carrier et Pochollé, représentants du peuple en mission, décidait le transport au Mont Saint-Michel des prêtres détenus.

En conséquence, du 15 au 20 octobre 1793, 180 prêtres renfermés à la Trinité de Rennes, furent conduits au Mont Saint-Michel.

C'étaient ceux qui n'avaient pas été déportés pour raison d'âge ou de santé, et ceux qui avaient été arrêtés depuis.

Mais les prêtres catholiques n'y étaient plus seuls.

Parmi les détenus, il se trouvait des assermentés, mal récompensés de leur asservissement au régime. Le fameux évêque Le Coz faisait partie du convoi. Il avait été arrêté en septembre 1793, par ordre de Carrier.

 

L'EMIGRATION.

Comme celle du clergé, la situation de la noblesse devint intolérable : les fouilles, visites domiciliaires, arrestations, menaces, outrages, se multipliaient.

C'est alors (1792) que se développa l'émigration.

Il est exact de dire que les gentilshommes étaient réduits à opter entre deux partis : ou émigrer, se mettre à l'abri ; ou se défendre, se révolter. Je ne parle pas, évidemment, de ceux qui se rallièrent à la Révolution.

A son début, l'émigration n'impliquait pas la lutte à main armée, de concert avec les puissances étrangères, contre la Révolution. Mais cela ne tarda pas, et le cas de conscience devint grave. On conçoit cependant que, placés dans l'alternative d'une guerre civile dans leur propre pays, ou d'une guerre à la frontière, plusieurs aient reculé devant l'horreur du premier parti pour adopter, à regret, le second.

On a reproché à ceux-ci d'avoir fait appel à l'étranger contre la France.

Il faut distinguer : si l'on fait appel à l'étranger pour mutiler, ruiner, amoindrir sa patrie, rien n'est plus odieux. Cet odieux disparaît si l'on a fait appel à l'étranger pour le bien de sa patrie, pour la préserver des agissements des fous qui menacent de la faire périr.

Et c'était le cas ; comme c'était récemment (1918) le cas en Russie, où les gens tranquilles appelaient, de tous leurs vœux, des nations alliées, contre la Révolution. Il en fut de même en France ; nombre de bons Français souhaitèrent le succès des émigrés et de leurs alliés. Mais le fait de réclamer le secours de l'étranger reste dangereux, car si les intentions des émigrés Français étaient pures, — ce dont on ne peut douter, — nul ne pouvait garantir le désintéressement des souverains étrangers ; et, en réalité, ce désintéressement n'existait pas.

Si donc on peut accuser, les émigrés d'une certaine naïveté et d'une grande imprudence, on ne peut les taxer de trahison.

La justice oblige aussi à reconnaître le patriotisme des armées républicaines luttant contre les alliés. Les soldats républicains ne furent pas seulement les partisans et les propagandistes d'idées fausses ; ils furent aussi les défenseurs de la France.

Fatales divisions ! qui donnaient à chaque adversaire de bonnes raisons pour se combattre.

Tous les émigrés, du reste, ne prirent pas les armes.

Sur les listes dressées par ordre du Gouvernement révolutionnaire, on remarque beaucoup de noms de prêtres, de femmes et d'enfants ; et parmi les autres personnes, certaines se contentèrent de se mettre à l'abri hors de France. Les listes d'émigrés sont imparfaites ; elles donnèrent lieu à une foule de réclamations, fondées ou non. On y voit, inscrits, des personnages que l'on sait être restés cachés dans le pays. On peut y relever les noms d'une soixantaine de personnes habitant notre région ou y possédant des propriétés ; et parmi elles, sauf erreur, huit prêtres et sept femmes. La qualité étant souvent omise, on ne sait pas toujours de qui il s'agit.

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Le 9 février 1792, un décret mit les biens des individus soupçonnés d'émigration sous la surveillance des corps administratifs. Un arrêté départemental, du 22 février 1792, mit arrêt sur les fermages de leurs biens.

On vit, dès lors (arch. départ, L. 40), beaucoup de demandes de mains-levées, de partages, de liquidations, de séparations de biens, les parents et les épouses des émigrés cherchant à mettre à l'abri de la confiscation (elle fut prononcée le 27 juillet 1792), leurs fortunes personnelles. On sait que, sous l'ancien régime, beaucoup de propriétés restaient indivises entre les membres d'une même famille.

Suivant les cas et les personnes, on constate de la sévérité ou de la bienveillance dans les avis que le district fut appelé à donner à cette occasion.

Un décret du 30 mars 1792 (sanctionné le 8 avril suivant) déclara les fonds et revenus d'émigrés affectés aux frais de la guerre, et prescrivit l'établissement d'un tableau de tous les biens leur appartenant.

Le district eut beaucoup de mal à obtenir des municipalités de campagne des états pour dresser ces tableaux. Il s'en plaignait encore le 17 juillet 1792.

En même temps se faisait le tableau des personnes. La liste des absents ou émigrés du district de Fougères (arch. départ. 2 L. 40) n'est pas datée. Elle paraît être d'octobre ou de novembre 1792. Le 20 novembre, le district y fit ajouter encore quelques noms.

La municipalité de Fougères (arch. départ. 2 L. 40) dressa, le 27 octobre 1792, une liste des pères et mères d'émigrés. C'était en application de la loi du 15 août 1792 (appelée aussi loi du 12 septembre 1792), qui consignait, dans chaque municipalité, les parents, femmes et enfants d'émigrés.

Une autre loi, du 12 novembre 1792, obligea les pères et mères à fournir l'habillement et la solde à deux hommes pour chaque enfant émigré : les parents durent donc justifier de la présence en France de leurs enfants. Le 20 novembre 1792, le procureur syndic du district cita, devant le juge de paix de Fougères, les pères et mères de dix-sept émigrés (dont quatre prêtres), pour se voir appliquer la loi.

 

LES BIENS NATIONAUX ET VENTE DES BIENS NATIONAUX.

En octobre 1792, dans notre pays, on procéda à l'inventaire des mobiliers des émigrés, et on en commença la vente aux enchères publiques, en janvier 1793.

Quant aux immeubles, dont les baux avaient été déclarés résiliés le 14 septembre 1792, on les réafferma par voie d'adjudication, à partir du 6 mars 1793 [Note : Les nouveaux fermiers furent souvent visités par les chouans, qui se faisaient remettre le prix de la location]. Le 28 janvier 1794, on désigna des experts pour en estimer la valeur, et, le 26 mars 1794, on commença à les vendre, au bureau du district.

Ces adjudications se poursuivirent sur un long espace de temps, car des retards de procédure étaient souvent provoqués par les familles des émigrés, désireuses de gagner du temps.

Après la disparition des districts (fin de 1795), les adjudications se firent à Rennes.

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En général, ces ventes furent fort mal vues.

Le public flétrit les propriétés ainsi aliénées, de ce nom de « biens nationaux », qui n'est pas encore oublié [Note : Il faut dire que certains acheteurs, ou leurs familles, ont, depuis, mis ordre à leur conscience. Les biens nationaux étaient d'origines diverses ; et certaines étaient particulièrement odieuses, comme on va le voir. Il y avait : les biens des congrégations, des Fabriques ; les églises et presbytères, les biens des fondations de messes. Il y avait : les biens d'émigrés, pacifiques ou non, laïques ou ecclésiastiques, hommes ou femmes, et ceux des parents d'émigrés. Il y avait : les biens des absents, présumés émigrés, notamment ceux des prêtres que l'on savait cachés dans le pays. Il y avait, enfin : les biens des condamnés à mort, sans excepter les martyrs de la Foi !]. Les estimations furent faites à un prix très inférieur à la valeur réelle ; il en fut de même des adjudications, et le mode de paiement augmenta encore le bénéfice des acquéreurs peu scrupuleux ; la loi du 25 juillet 1793 leur avait accordé dix années pour se libérer de leur prix d'achat. Tant que les assignats eurent cours forcé, ils purent payer en assignats au pair. On sait que, malgré le cours forcé, les assignats, entre particuliers s'échangeaient à une valeur de plus en plus réduite de numéraire, alors que l'Etat les recevait pour leur valeur nominale.

Il y eut quelques achats de biens nationaux faits secrètement au nom des propriétaires, par des personnes interposées ; et l'on cite d'ardents terroristes qui, cependant, s'entremirent pour rendre ainsi service à des familles d'émigrés, même d'émigrés nobles.

Parmi les grands acheteurs des biens nationaux de notre pays, on peut indiquer un ancien curé de Landivy, nommé Voilliaume, qui se maria.

Le 28 mars 1793, parut la loi ordonnant le bannissement perpétuel des émigrés et édictant leur mort civile. Le 21 septembre 1795, les parents et alliés d'émigrés durent cesser toutes fonctions publiques. Des membres de la municipalité et du district de Fougères furent alors obligés de se retirer.

Ajoutons qu'en 1802, les émigrés furent amnistiés ; qu'en 1814, ce qui restait invendu de leurs biens leur fut restitué ; et qu'en 1825 les Chambres votèrent une indemnité de un milliard en leur faveur pour les indemniser, en partie, des confiscations dont ils avaient été l'objet.

(Emile Pautrel).

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