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HISTOIRE DU CHATEAU DE LARGOET A ELVEN

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Historique. — Situées à environ trois kilomètres du bourg d'Elven, sur le bord d'un étang entouré de bois, les ruines imposantes que les touristes et les lecteurs d'Octave Feuillet connaissent sous le nom de « Tours d'Elven » représentent ce qui reste de l'ancien château de Largooët, siège de la seigneurie de ce nom [Note : L'Argoët (nom formé de deux mots bretons : ar — sur, auprès de, et coët — bois était opposé à l'Arvor (ar et mor — mer), pays des bois et pays de la mer].

On trouve, depuis le Xème siècle, des seigneurs, d'Elven, entre autres un Derrien, fils d'Alain. On a cru voir dans cet Alain le vainqueur des Normands, Alain le Grand, comte de Vannes, mort en 907. M. de la Borderie a aprétendu que Largoët, dont Elven est le chef-lieu, était né du partage du comté de Vannes, opéré, à la mort d'Alain, entre ses fils.

Mais il n'y a pas là une certitude absolue : si l'on rencontre encore à diverses reprises des seigneurs d’Elven, du moins, le nom, comme le château de Largoët, qui appartenait à la ramille de Malestroit au XIIIème siècle, n'apparaissent-ils, dans les documents connus actuellement, qu'à cette époque où s'élevèrent les parties les plus anciennes de l’enceinte.

En 1341, Jean de Montfort, après la prise du château d'Auray, vint pour faire le siège de Largoët ; mais, dit Froissart, celui qui en était « châtelain », c'est-à-dire gouverneur, « voyant, que le comte avoit grand ost et que tout le pays se rendoit à lui, s'accorda au dit comte et lui fist féaulté et demoura gardien dudict chastel de par le comte ».

L'année suivante, les partisans de Charles de Blois se présentaient à leur tour devant la place. « Quant Gautier de Mauny vit le chastel de Goy-la-Forest, qui estoit merveilleusement fort, il dit à ses chevaliers et seigneurs qui estoint avec lui, qu'il n'iroit pas plus loing, quoique fatigué, qu'il ne l'eust assailly. Li eut fort assault dedans et deshors jusqu'au soir ». Les fossés remplis de paille et de bois, les assaillants firent aux murs un trou d'une toise de large, entrèrent par force et tuèrent tous ceux qu'ils y trouvèrent... « L'endemain se mirent en chemin et alèrent par telle manière qu'ils vindrent à Hennebont ». Vers la fin de la même année 1342, Robert d'Artois, qui tenait pour le parti Montfort, assiégea Vannes avec 1.000 hommes d'armes et 3.000 archers « et couroit, dit le chroniqueur, tout le païs d'environ, le brusloit et ravageoit jusque à Goy-la-Forest, Succeniou et La Roche-Bernard ».

Enfin, d'après dom Lobineau, le château de Gouet-la- Forêt se rendit à du Guesclin en 1373.

Nous identifions ce château de Goy ou Gouet-la-Forêt avec celui de Largoët. On sait combien le célèbre chroniqueur a défiguré de noms de lieux ou de personnes, les reproduisant, le plus souvent d'après des récits qui ne sont pas toujours de première main. Quoi d'étonnant à ce que du mot Largoët, — prononcé dans une partie de la Bretagne Largoat et qui signifie auprès du bois, — il ait fait, par pléonasme, Goy-la-Forêt ?

La situation de ce lieu, « assez près » d'Auray, à une forte journée de marche d'Hennebont, correspond admirablement à celle d'Elven et non à aucune autre. Aussi est-on étonné de voir dom Morice et, après lui, M. de La Borderie chercher l'emplacement de Goy-la-Forêt dans la paroisse de Landerneau, à l'extrémité du Finistère.

Si nous insistons sur ce point, c'est que nous pensons y trouver un élément de précision pour l'attribution d'une date au gros donjon octogone, dont nous ferons sans hésitation remonter la construction au XIVème siècle, comme on le verra plus loin.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

En 1347, la seigneurie de Largoët échoit, par le mariage de Jeanne de Malestroit, à Jean de Château-Giron, seigneur d'Oudon, qui écartèle ses armes de celles de Malestroit et dont les enfants ne prendront même que le nom de leur mère, de sorte que le château semble toujours rester dans la même famille.

Il passe, en 1374, à Jean II de Château-Giron, dit de Malestroit, qui fût un des grands hommes de guerre de cette période si troublée. Sans parler de ses campagnes hors de Bretagne, c'est lui qui, gouverneur de Sucinio, jette à la mer les Espagnols débarqués sur la côte de Rhuys, en 1379, défend Nantes contre les Anglais, en 1380, prend part aux États de Rennes et au siège de Brest, en 1386, assisté aux États de Vannes, en 1387, lors de l’emprisonnement d'Olivier de Clisson, par le duc Jean IV, et, après avoir accompagné celui-ci à Paris, en 1388, s'occupe de réconcilier les deux ennemis. Il mourut en 1394, ayant joué un rôle considérable dans sa province.

Le 14 octobre 1409, le duc Jean V est à Largoët. Les Malestroit sont alors au point culminant de leur puissance. Aussi, quand Jean Raguenel eut épousé Jeanne, la dernière héritière des sires de Malestroit, s'empressa-t, il, à son tour, de substituer aux siens le nom et les armes des Malestroit.

Restée veuve, sa femme jouit de Largoët jusqu'à sa mort survenue en 1468. Le château devint, seulement alors, la propriété de son fils Jean IV Raguenel, dit de Malestroit.

C'est à lui que nous attribuerions volontiers la construction de la tour du nord-ouest, œuvre indubitable du XVème siècle, comme l'indiquent sa batterie basse, sa forme légèrement en fer à cheval et son appareil. Il fut grand constructeur : on lui doit notaniment les murs de Malestroit. Homme de guerre, maréchal de Bretagne depuis 1448, il prit part à la Ligue du Bien Public. Toutefois, comme il mourut deux ans seulement après avoir hérité de sa mère, peut-être convient-il de rapporter cette œuvre, ou au moins son achèvement, à son gendre, Jean IV de Rieux, qui fut, lui aussi, maréchal et, le plus grand personnage féodal du duché en cette fin du XVème siècle, où se jouait l'existence nationale de la Bretagne.

Homme de confiance de François II, Rieux fut chargé de garder à vue, dans son donjon de Largoët, le jeune Henri Tudor, comte de Richmond, réfugié en Bretagne après la bataille de Tewksbury, et que le duc, désireux de s'en servir pour sa politique de bascule entre le roi de France et celui d'Angleterre, avait d'abord emprisonné à Sucinio. Largoët fut sa geôle de 1474 à 1476.

En 1487, François II ayant pris part à la révolte du duc d'Orléans contre Charles VIII, les Francais envahirent la Bretagne. Dans une courte campagne, qui ne fut marquée que par des revers du côté breton et se termina par la défaite de Saint-Aubin-du-Cormier, où sombra l'indépendance de la province, ils occupèrent tout le pays jusqu'à Vannes. Le maréchal de Rieux était le plus ferme appui de son duc ; ses biens furent particulièrement visés. Ancenis fut rasé de rond en comble, Rochefort, Rieux, Elven, brülés et plus ou moins endommagés (1488).

Deux ans après, Anne de Bretagne, devenue duchesse de Bretagne, voulut panser la plaie faite par celui que allait devenir son mari à celui qui avait défendu son père et, par lettres du 9 août 1490, elle lui accorda 100.000 écus d'or « pour le récompenser en quelque manière des pertes qu'il a souffertes de la part des Francois, ses ennemis, qui ont brûlé et razé ses places et chasteaux d'Ancenis, Rieux, Rochefort, Esleven et aultres maisons ».

On sait qu'il ne faut, pas toujours prendre dans leur sens absolu les expressions des lettres patentes, dont les rédacteurs forcent souvent la note en faveur du bénéficiaire de l'acte. C'est ainsi que l'expression « razé » ne s'applique réellement qu'à Ancenis.

A Largoët, nous voyons, dès 1491, le marchal de Rieux s'appliquer à la restauration de son château, grâce à l'aide pécuniaire de sa souveraine. Les murs seuls étaient restés debout, encore l'enceinte devait-elle avoir été plus ou moins abîmée. Rieux refit l'intérieur du donjon, une partie de l'étage qui en surmonte la terrasse et la grand porte d'entrée à mâchicoulis, sur laquelle il fit sculpter ses armes.

Après sa mort, arrivée en 1518, le château devint la propriété de son fils Claude Ier. Son histoire militaire est finie. S'il fut encore habité, jusqu'à la fin du XVIème siècle, au moins par les gouverneurs des Coligny, qui en avaient hérité de Renée de Rieux, en 1567, et si, lors, des troubles de la Ligue, il était encore en état de fournir un asile à plusieurs familles nobles du pays, il ne dut guère subir de réparations, car, en 1660, il n'était depuis longtemps qu'une ruine, ainsi qu'en témoigne l'état de lieux très détaillé que fit alors dresser le surintendant Fouquet, devenu, en 1656, adjudicataire de Largoët après la déconfiture de Jean-Emmanuel de Rieux, marquis d'Assérac, dont le père l'avait racheté, en 1616, à Jacques de Chabot, époux d'Anne de Coligny.

Cet état, de lieux dénote un délabrement presque aussi complet que celui d'aujourd'hui. On y voit même notées les deux grandes crevasses qui balafrent les faces est et ouest du donjon. C'est pourquoi certaines personnes pensent, avec vraisemblance, que la main destructrice de Richelieu a dû passer par là, comme à Josselin, à Blain, à Rieux et en tant d'autres endroits ; mais sans cependant pouvoir en donner aucune preuve.

La veuve de Fouquet vendit Largoët au chevalier Louis de Trémereuc, conseiller au Parlement de Bretagne, dont la fille épousa M. de Cornulier en 1689.

Largoët ne fut pas aliéné sous la Révolution et fut apporté par Thérèse de Cornulier à la famille du Bot, qui le possède encore au début du XXème siècle. Le comte du Bot a fait, au début du XXème siècle, restaurer la tour nord-ouest qui sert vers 1914 de rendez-vous de chasse.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Enceinte générale : Porte, courtines, tours ruinées. — Le château de Largoët affecte la forme d'un heptagone irrégulier. Un étang, alimenté par des sources vives qui descendent d'un petit vallon boisé, protège le flanc nord, où se trouvaient des logis d'habitation. Une chaussée, avec vanne de retenue, barre le vallon à la sortie de l'étang, permettant de régler à volonté le niveau de l'eau dans les vastes fossés, larges de 20 mètres et profonds de 13, qui entouraient le château. Ce niveau est réglé de telle sorte que le trop-plein se déversait par-dessus la chaussée exactement quand l'eau arrivait à quelques centimètres des canonnières de la tour nord-ouest.

L’entrée principale du château était dans l'angle sud-ouest. En face de cette entrée, sur un terre-plein qui domine la contre-escarpe, et qui doit être un reste de quelque boulevard ou défense avancée, se voient encore, à côté de bâtiments de ferme du XVIème siècle, les ruines d'une chapelle qui semble avoir été construite au XVème siècle. Il en subsiste, outre les fondations, un pignon très aigu, percé d'une fenêtre à joli remplage flamboyant.

Un mauvais pont de bois remplace l'ancien pont-levis, qui donnait accès à une large porte amortie par une plate bande droite, appareillée en crossettes. Cette porte est percée dans un mur en grand appareil de granit très soigné, appliqué en avant d'une entrée du XIIIème siècle, dont il reste la porte en tiers-point, flanquée de deux tours rondes ruinées, de faible diamètre et de médiocre arpareil. Le collage est évident.

Au-dessus de la porte, à droite et à gauche, s’ouvrent les longues fentes où venaient se loger les montants du pont-levis à bascule, du type habituel en Bretagne. A gauche, une étroite poterne pour les piétons se fermait, en se relevant, par un petit pont dont le bras de levier allait se loger dans une rainure. De chaque côté du seuil, on voit encore très distinctement les cavités ménagées dans le granit, pour les tourillons qui servaient à la manœuvre du pont-levis.

Au-dessus de la poterne, une meurtrière pour arbalète ou mousquet permettait au gardien chargé de détendre le pont et la porte de tirer dans toutes les directions.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Le mur est couronné d'une ligne de mâchicoulis formés de consoles à cinq encorbellements en quart de rond simple, séparés par une petite baguette et supportant des linteaux ornés de trilobes simulés, inscrits dans des arcatures brisées ou en anse de panier. Ces mâchicoulis diffèrent à la fois de ceux du donjon et de ceux de la tour nord-ouest. Les premiers ont des consoles, dont les trois faces sont en encorbellement et qui sont reliées, non plus par des trilobes simulés, mais par de véritables trèfles découpés dans les arcatures, et c'est là ce qui, marque leur antériorité et les distingue des mâchicoulis à linteau mouluré de la fin du XVème siècle. Les seconds ont seulement trois encorbellements séparés par une mince baguette et supportant un linteau droit et uni.

Cette comparaison des mâchicoulis suffirait à elle seule pour établir à Largoët quatre campagnes de construction : l'une, du XIIIème siècle, caractérisée par le défaut de mâchicoulis, qui comprend le bâtiment derrière l'entrée et la plus grande partie des courtines ; la seconde, du XIVème siècle, qui fut limitée au donjon ; la troisième, à laquelle se rattache, au XVème siècle, la tour nord-ouest ; enfin la quatrième, œuvre du maréchal de Rieux, qui restaura, après 1490, son château, endommagé par les Français. C'est à cette dernière qu'il convient, d'attribuer la porte d'entrée. Son constructeur l'a, du reste, signée. Entre les deux fenêtes du pont-levis principal se détache, en haut-relief, un médaillon formé de deux colonnettes engagées amorties par de petits pinacles à crochets et reliées par un bâton brisé dont l’angle se termine en fleuron. Au milieu du cadre se détache, l’écu des Rieux (10 besans, par 4, 3, 2 et 1), coiffé d'un heaume monumental représentant une tête de cheval.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

La porte était, fermée, non seulement par le pont-levis, mais par des vantaux roulant sur des gonds, dont les scellements sont encore visibles, et maintenus par derrière, à l'aide d'une forte barre de bois qui, la porte ouverte, s'enfoncait de toute sa longueur dans un trou ménagé à travers la maçonnerie du mur latéral.

Au-dessus du passage voûté se trouvait le corps de garde, en même temps chambre de manœuvre du pont-levis, aujourd'hui ruiné, et déjà en fort mauvais état au temps de Fouquet. On y accédait par le petit escalier de pierre qui s'ouvre, à droite, dans l'épaisseur de la muraille et qui mène au parapet des mâchicoulis.

La seconde porte, XIIIème siècle, située en arrière, n'avait pas de pont-levis. Elle était fernnée par une herse, dont on voit, les coulisses de chaque côté, contre les piédroits. Les deux tours rondes qui la flanquaient étaient déjà « presque ruinées et n'avaient plus de charpente ni de couverture » en 1660. Il n'en subsiste que les bases et des décombres. Chacune d'elles avait trois archères pour battre la parte, les fossés et le couloir d’entrée.

En tournant à gauche, on trouve les restes de la courtine ouest, qui vanait se souder à la tour du XVème siècle formant l'angle nord-ouest. Le lierre, masque en grande partie cette muraille à demi ruinée, mais on aperçoit suffisamment l'appareil, assez irrégulier, imparfait et rongé par le temps, pour ne pas hésiter à l'attribuer au XIIIème siècle. Cette impression est confirmée par la présence d'archères très étroites et très longues, d'un modèle archaïque. Contre la la face sud de la tour d'angle, on voit les pierres d'attente d'un gros mur qui devait, dans la pensé du constructeur du XVème siècle, remplacer tout ce morceau de courtine. Du logis qui y était adossé, il ne reste qu'un amas de décombres envahis par une végétation folle. L'état de lieux dressé au XVIIème siècle le désignait déjà sous le terme de « vieille mazure à deux étages absolument ruinée ». Ce logis venait buter contre la tour nord-ouest, comme le prouvent, les ouvertures de cette tour du côté de la cour. Ce ne sont pas des fenêtres, mais des portes ; ce qui implique une communication avec un corps d'habitation attenant.

Nous décrirons plus loin la tour nord-ouest. Continuant l'inspection de l'enceinte, nous trouvons sur le front nord baigné, par l'étang, les éboulis d'un mur dont les arrachements se voient dans la tour et qui, par suite, dut appartenir à la même campagne. Ce mur venait rejoindre un corps de logis qui occupait le côté nord et dont il reste seulement des pans de murs à demi écroulés.

Autant qu'on peut en juger dans l'état actuel, l'appareil, meilleur que celui du XIIIème siècle, mais inférieur aux parties du XVème siècle,, permettrait de supposer que ce corps de logis fut construit au XIVème siècle, peut-être en même temps que le donjon.

De là, un mur tout à fait ruiné rejoint ce dernier. On croit y voir les traces d'une baie donnant de la cour dans la douve. Peut-on supposer que, tout en livrant passage à l'eau destinée au fossé particulier du donjon, cette baie aurait servi à rentrer une ou plusieurs barques à l'abri de l'enceinte fortifiée. Le terrain se trouve tellement obstrué et surélevé par l'amoncellement des décombres que, seules, des fouines permettraient, en déblayant la cour, de restituer exactement l'état primitif des lieux.

De l'autre côté de l'angle sud-est du donjon, la courtine se continue en grand appareil, semblable à celui de la porte d'entrée. Son chemin de ronde communiquait avec le donjon par une baie percée au premier étage et qui dut être une réfection du maréchal de Rieux. Dans cette portion de courtine s'ouvre une poterne surplombant de haut le fossé et surmontée d'une fente pour la bascule de son pont-levis. L'amortissement de cette porte par un arc en mitre, constitué par deux pierres arc-boutées, l'une sur l'autre, rappelle, absolument la forme de l'arc qui surmonte, à l'entrée, les armes du maréchal de Rieux.

A quelques mètres du donjon, le raccord de cette petite façade en grand appareil se fait assez maladroitement avec le vieux mur du XIIIème siècle. A la base de celui-ci s'ouvre, presque aussitôt après le raccord, une porte simple, suivie d'un corridor qui aboutit à une seconde porte, amortie par un linteau sur corbelets, et destinée à donner accès à l'étage inférieur d'une tour ronde, entièrement écroulée. Les restes d'une petite chaussée de pierres, démolie et envahie par les ronces, se voient en face de cette porte.

Il convient de signaler ici, contre le versant sud de la chaussée qui forme la contre-escarpe du fossé, et presque en face de l'endroit qui nous occupe, une construction ronde, semblable à une base de tour ou de colombier et dont l'intérieur voûté en dôme avec orifice central, forme un cul-de-basse-fosse. A une centaine de mètres, en allant toujours vers le sud, on trouve une large galerie souterraine, voûtée en blocage, que des éboulis empêchent de suivre au bout d'une vingtaine de mètres. La tradition voudrait que ce souterrain communiquât avec le donjon sous le fossé et ait pu être inondé au moyen d'une trappe pour couvrir la retraite de la garnison.

Revenons à la courtine sud. Au travers des broussailles, elle rejoint l'entrée.

Du logis qui s'y appuyait, il ne reste que des débris informes et les fondations. Au temps de Fouquet, on y distinguait encore « une vieille cuisine, suivie d'une grande salle », le tout menaçant ruine. Près de la salle, on signalait, une petite tour servant probablement de cage d'escalier.

 

Tour du Nord-Ouest, dite la Tour-Ronde. — Cette tour, récemment restaurée, est un peu en fer cheval, selon une mode qui se répandit en Bretagne et s'y accentua de plus en plus au cours du XVème siècle. Elle est construite avec soin, en grand appareil régulier de granit. Sa base est assez fortement empattée. Elle renferme un rez-de-chaussée voûté, formant batterie couverte avec trois embrasures, munies d'une archère-canonnière et d'un petit réduit sur le côté pour protéger le pointeur contre le recul de sa pièce. C'est, dans des proportions beaucoup plus modestes, la disposition de la batterie couverte qui se trouve au rez-de-chaussée de la Tour Neuve de Sucinio.

A chacun des trois étages, le plan est le même, très simple d'ailleurs : l'escalier à vis qui monte à travers l'épaisseur du mur, dans l'angle sud-est, et qui est éclairé par une série de petites fenêtres rectangulaires, débouche dans un corridor donnant accès à une chambre éclairée au nord et au sud par des fenêtres de grandes dimensions, à croisée de pierre. Les cheminées, très retouchées, occupent le côté ouest, absolument dépourvu de fenêtres. Sur le corridor d'entrée s'ouvre un couloir très étroit et coudé, qui mène à des latrines ; le tout pris dans l'épaisseur du mur.

Au-dessus des mâchicoulis, dont nous avons décrit plus haut, le type et dont le parapet est moderne, s'élève un petit bâtiment à six pans, flanqué d'une tourelle d'escalier pentagonale. Toutes les charpentes et toitures avaient disparu avant la récente restauration, mais des trous visibles dans le mur de l'étage en retrait prouvent que le chemin de ronde était couvert d'un toit, dont le bord s'appuyait sur le haut des merlons.

Le mur qui regarde la cour et dont les portes, maintenant ouvertes sur le vide, donnaient accès au logis adossé à la courtine ouest, paraît plus ancien ; l'appareil est moins bon, plus irrégulier et mélangé de parties en blocage. On dut, au XVème siècle, coller la tour sur le pignon de l'ancien logis, dont le mur contribua ainsi à former la face est du nouvel édifice.

 

Donjon. — Le gros donjon, qui a surtout fait la célébrité des ruines de Largoët, est un formidable édifice, en forme d'octogone irrégulier, mesurant 44 mètres de hauteur du côté de la cour, ce qui représente 57 mètres jusqu'au sol des fossés profonds de 13 mètres. Les murs ont environ 9 mètres d'épaisseur au nord et 6 mètres dans l'ébrasement de la grande fenêtre du rez-de-chaussée. Cette épaisseur apparaîtrait encore sensiblement plus grande si l'on pouvait la mesurer à la base, empattée à l'aide de grands blocs de granit admirablement taillés et appareillés, disposés en retraites successives toutes les deux ou trois assises.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Les parements extérieur et intérieur sont en bel appareil de granit gris, composé de blocs de moyenne grandeur, disposés par lits réguliers et liés par un mortier très riche en chaux de coquillages, la seule que produise la région. La construction dénote une recherche extrême de la solidité, plutôt qu'un très agrand souci de la décoration. Un exemple montrera le soin et l'habileté des appareilleurs. Au rez-de-chaussée, le claveau central d'une plate-bande appareillée, qui sert de manteau à une petite cheminée, a été enlevé, il y a quelques années, par des gens désireux de s'approprier l'écusson qui s'y trouvait sculpté. Or, cela permet de constater que cette clef était liée aux claveaux voisins en queue d'aronde, comme dans un assemblage d'ébénisterie ; aussi la plate-bande est-elle encore en place, malgré l'enlèvement de la clef.

La plupart des pierres portent, comme dans le logis de Jean IV (est) de Sucinio, des marques de tâcherons très variées. On sait, d'ailleurs, qu'il n'est guère possible, en Bretagne, de chercher, comme d'aucuns l’ont cru, un élément de date dans ces signes traditionnels et trop rudimontaires.

Le seul défaut de construction que l’on puisse relever dans ce donjon est l'absence d'arcs de décharge au-dessus des grandes baies, du reste peu nombreuses. Les effets de cette omission sont visibles à tous, sous la forme des deux grandes lézardes, déjà signalées en 1660, qui ont suivi les lignes de moindre résistance indiquées, à l'est, par la baie de la chapelle surplombant directement une grande fenêtre du second étage ; l'ouest, par une série d'ouvertures, grandes et petites, se suivant du haut au bas. A Sucinio, au contraire, où l'on ne disposait pourtant que de matériaux beaucoup moins bons, les tours du XIVème siècle et du XVème siècle ne présentent aucune lézarde importante, en dépit de l'enlèvement de toutes les pierres de taille que encadraient les baies, grâce aux arcs de décharge dont elles étaient toutes surmontées.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Les murs du donjon de Largoët sont très irrégulièrement percés, d'abord d'une grande quantité de petites fenêtres qui ne sont guère que des trous rectangulaires plus ou moins, étroits, sans décoration, destinés à éclairer les deux escaliers, ainsi que les divers réduits, et dont le nombre est de plus en plus considérable à mesure qu'on s'élève ; puis d'un petit nombre de grandes baies à croisée de pierre, répandant la lumière dans les pièces d'habitation. Leurs meneaux présentent tous le même profil, légèrement curviligne, et leurs piédroits sont moulurés d'une petite gorge entre deux larges cavets. Les murs conservent encore les scellements à boucles dans lesquelles passaient les deux barres verticales auxquelles venaient se rattacher le réseau en damiers des barres de fer forgé qui fermaient ces baies extérieurement, selon un modèle que l'on peut voir encore en place au château de Nantes, au manoir de La Roche-Jagu (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor) et ailleurs.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

 Nous avons décrit les mâchicoulis à linteaux tréflés, qui forment au donjon une couronne fort élégante ; ajoutons que chacun des huit angles supportait une longue gargouille sculptée, chargée de déverser loin des murs l’eau qui ruisselait de la toiture de plomb, remplacée au XVème siècle par un dallage de pierre.

La terrasse est surmontée d'une construction en retrait importante, qui comprend deux étages et affecte la forme d'un noyau central carré, flanqué de quatre bastions, dont deux, contenant les tuyaux de cheminées, sont de plan rectangulaire et les deux autres, renfermant les cages d'escalier, pentagonaux. Cette superstructure possède ses défenses indépendantes et semble avoir été destinée à servir de réduit suprême, une fois le donjou oecupé par l'ennemi. Elle présente une ligne continue de mâchicoulis, composés de petites consoles à deux encorbellements en quart de rond, supportant des linteaux droits. On voit qu'ils diffèrent complètement des mâchicoulis du donjon lui-même. Ceci, joint au manque de collage de plusieurs parties, permettrait de supposer que cet étage supérieur a pu être agrandi après coup, peut-être, par le maréchal de Rieux, pour réparer et compléter d'autres superstructures endommagées par les soldats de Charles VIII.

Un grand tuyau de cheminée, renversé par le vent, il y a une quarantaine d'années, et visible sur des photographies de cette époque, pointait sa fine silhouette bien au-dessus des plus hautes maçonneries. On peut donc se figurer à quelle hauteur se dressait le faîte de la toiture pointue, que la mitre de cette cheminée latérale n'atteignait certainement pas. En indiquant 70 mètres comme élévation totale, nous ne devons pas être loin de la réalité.

Ce souci de l’élévation provient, d’une part, de la nécessité de racheter la situation défavorable du terrain. L'assiette avait été choisie pour la facilité que donnait le ruisseau d'inonder des fossés très profonds à l'aide du barrage de la vallée ; mais, en revanche, elle était dominée par les coteaux voisins. D'autre part, il faut remarquer qu'avant la diffusion définitive de l'artillerie à feu, la tendance était de surélever de plus en plus les fortifications. On voulait placer les machines de guerre le plus haut possible, pour augmenter leur rayon d'action. L'artillerie, à ses débuts, ne changea rien à cette conception. Les premiers canons, qui lançaient des boulets de pierre, furent considérés comme de simples améliorations de la baliste, où le resort était avantageusement remplacé par la poudre. La force de propulsion des engins n'était pas encore assez grande pour abattre ou percer des murs dont on avait porté l’épaisseur à 9 mètres et plus. On ne cherchait donc pas encore à rabaisser le niveau pour diminuer la cible, comme on le fera plus tard, et l'on essayait d'augmenter la portée des engins en les plaçant le plus haut possible. C’est ainsi qu'au donjon de Largoët, on ne trouve pas, dans les parties basses, le moindre aménagement pour l'artillerie tandis que, sur la terrasse, il était facile d'installer machines et canons. Cette constatation est un des arguments qui nous ont décidé à faire remonter au XIVème siècle la construction de cet édifice.

Un fossé secondaire, aujourd'hui comblé, assurait, du côté de la cour, son indépendance et permettait de le défendre, si l'enceinte tombait aux mains de l'assaillant. L'existence de ce fossé est attestée par les traces d'un pont-levis dont les deux bras se relevaient dans des rainures pratiquées au-dessus de l'entrée.

La porte, relativement étroite, est amortie par un arc en tiers-point, dont le tore est accompagné d'un cavet. Cette moulure forme colonnette le long des piédroits. Elle est coupée par deux petits chapiteaux, dont l'un est décoré de feuilles de chou et repose sur deux socles polygonaux. Cette disposition particulière au XIVème siècle, se retrouve, à peu près semblable, bien qu'en plus grandes proportions, à la porte d'entrée de l'hôtel Clisson, rue des Archives, à Paris, datée de 1380.

La porte était fermée par un vantail de fer ; un peu plus loin, un évidement dans le mur du corridor servait de logement, quand il était ouvert, à un épais vantail de bois. Dans l'intervalle qui sépare ces deux vantaux, des trous d'assommoir, percés à travers la voûte en cintre brisé ; menaçaient l'intrus. A gauche, une archère avec embrasure garnie d'un banc de pierre profilé d'un talon permettait au gardien de surveiller l'entrée.

Le corridor aboutit à trois portes ouvrant : celle de gauche, en arc brisé et simplement biseautée, sur une petite pièce ; celle de droite, amortie par un linteau arrondi aux angles et profilé, ainsi que les piédroits, d'un tore entre deux cavets que supportent de petites bases à quatre faces, donne accès au grand escalier en vis, composé de marches de granit mesurant près de 2 mètres et, qui, pratiqué dans l'épaisseur de l'énorme mur, dessert la pièce principale de chacun des six étages. Un autre escalier vis, beaucoup plus étroit et très sombre, destiné au service, prend naissance dans la salle des gardes par une petite porte à linteau sur corbelets en quart de rond.

L'intérieur du donjon est divisé, par des murs de refend, en trois compartiments d'inégale grandeur. Au rez-de-chaussée, l'entrée prend la place d'un appartement ; il en reste deux seulement. Le principal est la salle des gardes. C'est une grande pièce octogone, éclairée par une fenêtre dont l'ébrasement est percé dans un mur de 6 mètres d'épaisseur et forme une sorte, d'escalier de 9 degrés ; un banc de pierre, profilé d'un gros tore, monte en gradins de chaque côté. Devant la fenêtre, une trappe permettait de descendre au sous-sol obscur et voûté, qui devait servir de magasin.

Dans le mur sud de cette pièce sont ménagées deux grandes baies aveugles, en plein cintre, mesurant quatre pieds de profondeur, et qui formaient des placards, comme le prouvent le ressaut des parois latérales, destiné à supporter une étagère, et les trous de scellement des portes qui les fermaient par devant. Un bel arc de décharge en plein cintre surmonte la cheminéé à linteau droit, sans hotte et à angles simplement chanfreinés.

A côté, une pièce plus petite, hexagone, présente, à mi-hauteur du mur, des trous de poutre qui semblent dénoter l'existence d'une petite tribune. La tradition en fait, sans preuves, l'auditoire de la justice de Largoët. Au fond de la pièce, une porte carrée, aux angles arrondis, donne accès à un corridor coudé, assez long et étroit, qui conduit à des latrines pratiquées dans l'épaisseur du mur. Chaque étage est ainsi pourvu de latrines, disposées de la même manière, avec un égal souci de l'hygiène et de la commodité.

Nous ne pouvons songer à décrire en détail chacun des six étages — sans compter ceux de la terrasse — qui composent ce donjon. Bornons-nous aux remarques les plus intéressantes.

Le plan octogone de la cage centrale devient, par une disposition ingénieuse et des encorbellements en porte-à-faux, hexagone au premier étage, puis carré à tous les autres. Les portes sont de divers types, mais le plus usité est celui à linteau sur corbelets ; plusieurs de ces corbelets sont profilés d'une bande suivie d'un talon, puis d'une doucine. Les cheminées, surmontées d'arcs de décharge généralement en plein cintre, se composent d'un linteau qui repose de chaque côté soit sur deux colonnettes, soit sur une forte colonne ronde dont la face antérieure s'orne parfois d'un petit listel en faible relief. Ce dernier modèle est celui, notamment, de la belle cheminée qui orne la grande salle du troisième étage et dont la disposition est particulière. Elle est, en effet, portée en saillie du mur par un massif de maçonnerie bâti sur un arc surbaissé que soutiennent deux consoles à cinq encorbellements en quart de rond.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Les fenêtres de cette salle, différentes de celles du rez-de-chaussée, sont à embrasures de plain-pied. Il en est ainsi à tous les étages supérieurs.

Au quatrième étage se trouve la chapelle, dans une grande baie de la muraille, ajourée d’une haute fenêtre, aujourd'hui bouchée, dont, on peut voir, à l'intérieur l'archivolte en tiers-point décorée d'un tore. Une petite piscine s'ouvre dans le mur, de droite ; son tuyau d'écoulement est percé directement à travers la maçonnerie et descend jusqu'en bas du donjon ; dans le fond, deux petites niches, surmontées d'arcs trilobés, recevaient les burettes. La chapelle communiquait, d'une part, avec la grande salle du quatrième étage ; d'autre part, à l'aide de petites galeries inscrites dans un arc en plein cintre, avec deux chambrettes prises dans l'épaisseur de la muraille et d'où l'on pouvait assister aux offices au coin du feu, car elles sont munies d'une cheminée. Celle de droite, plus ornée et communiquant avec le grand escalier, devait servit au seigneur et à sa famille ; l'autre, qui débouche, par un petit corridor, dans l'escalier de service à côté des latrines, était réservée à la domesticité. Les autres personnes se massaient dans la grande salle. C'est, avec des différences de détail et de dimensions, la même disposition Sucinio, dans le logis de Jean IV.

Elven (Bretagne) : château de Largoët.

Quelle est la date de ce donjon ?

Les opinions les plus diverses et souvent les plus fantaisistes ont été émises à ce sujet. Depuis le XIème siècle jusqu'au XVIème siècle inclusivement on l'a attribué à tous les siècles, sauf au XIVème siècle, auquel personne, excepté M. de La Borderie, n'a songé. C'est précisément à cette époque que nous placerons la construction de cet admirable chef-d'œuvre de l'architecture militaire antérieure au développement de l'artillerie à feu.

Nous ne discuterons pas les opinions d'Athénas (XIème siècle), de Fréminville-(XIIème siècle), d'Ogée et de Cayot-Délandre (XIIIème), qui ne sont, que des hypothèses gratuites et insoutenables ; mais il n'en est pas ainsi de celles de P. Mérimée, d’une part, de M. le chanoine Le Mené, suivi par M. Allanic et l’auteur anonyme d'une brochure sur Largoët, d'autre part. Ceux-là ont apporté des arguments qui ont leur valeur, au moins à première vue.

L'un penche pour le commencement du XVIème siècle, à cause de la fréquence du plein cintre dans les arcs de décharge, dans les voûtes et dans les embrasures, et aussi pour se conformer au texte des lettres d'Anne de Bretagne, qui rangent Elven au nombre des châteaux du maréchal de Rieux qui ont été « brûlés et rasés » par les Français de Charles VIII. Les autres affirment, au contraire, que Rieux n'a fait que restaurer un édifice apparemment construit dans la seconde moitié du XVème siècle, par Jean IV Raguenel de Malestroit, mort en 1470. Ils s'appuient sur des marchés passés, bien avant 1490, pour des réparations importantes à effectuer à la « grosse tour » de Largoët. C'est, ainsi qu'en 1481, il est fait marché de remplacer un grand nombre de solives et de fenêtres, voire même de refaire la voûte d’une embrasure et de « paver et cymenter la grosse tour... ou lieu de la coupverture de plomb qui y soule estre ».

A ceux qui tiendraient, avec Mérimée, pour le XVIème siècle, on peut répondre que, si cette attribution rend bien compte de certains caractères, elle ne peut en expliquer plusieurs autres, comme les portes en arc brisé, les moulures des portes et des cheminées, la hauteur de l'édifice, l'absence de baies pour bouches à feu, le type des mâchicoulis, la baie de la chapelle. Les traces d'époque avancée qu'il serait possible de découvrir s’expliqueraient par la restauration entre 1490 et 1495. Quant à l'argument tiré de l'emploi fréquent du plein cintre, il ne porte pas, car cette forme d'arc, aussi bien d'ailleurs que l'arc surbaissé, est très souvent en usage, au XIVème siècle, dans l'architecture civile dont les caractères sont très différents — on l'ignore trop — de ceux de l'architecture religieuse.

Pour ce qui est de l'attribution du donjon au troisième quart du XVème siècle (1460-1470 environ), ceux qui en sont partisans n'ont sans doute pas réfléchi que leurs arguments se retournaient contre leur propre hypothèse, car on ne remplace pas des poutres de chêne, ni des menuiseries de fenêtres, ni des voûtes de pierre, au bout de dix ou vingt ans.

Ces grosses réparations montrent bien, assurément, que la construction est antérieure à l'incendie allumé par les Français en 1488 ; mais elles prouvent, une antériorité beaucoup plus grande encore. Que l'on suppose un siècle ou un siècle et demi d'existence et la vétusté de certains bois devient vraisemblable.

Or, un simple rapprochement avec un autre monuntent breton, daté, celui-là, avec certitude, va faire jaillir pour nous la lumière. Le château d'Oudon, près d'Ancenis, sur les bords de la Loire, présente avec Largoët, une analogie absolument frappante. Il a été construit, entre 1392 et 1415, et par qui ? Précisément par un membre de la famille des Château-Giron-Milestroit. En 1347, Jean Ier de Château-Giron, seigneur d'Oudon, épousant l’héritière des Malestroit, devint aussi seigneur de Largoët. Son fils aîné, Jean II, eut Largoët, et Alain, Oudon. En construisant la tour d'Oudon, ce dernier a pris pour modèle le donjon de son père ou de son frère aîné, le grand homme de guerre de la famille.

La tour d'Oudon, très semblable comme plan et comme disposition générale, bien que de proportions moindres, présente dans sa décoration les caractères d'une époque sensiblement plus avancée que celle d'Elven. Aussi convient-il de reculer, par comparaison, la construction de celle-ci assez au delà de 1392.

Cela nous amène à poser l'hypothèse de son existence en 1342. Voilà pourquoi Froissart aurait attribué, l'épithète de « merveilleusement fort » au château dont ce donjon formait la principale défense et nous l'aurait montré capable de tenter l'audace des amateurs de « belles emprises ». Parce qu'il avait cette réputation, Alain de Malestroit, qui y fut élevé, n'aurait eu d'autre idée que de le copier à Oudon, avec les modifications dans la décoration imposées par le progrès, la mode et la différence des matériaux.

Rien n'empêcherait donc de placer la construction du donjon d'Elven dans la première moitié du XIVème siècle. Toutefois, comme, de cette hypothèse, dans le silence des textes, nous ne pouvons apporter aucune preuve péremptoire, nous pencherions plutôt, vu l'épaisseur des murs, la beauté de l'appareil, les dimensions et le plan de l'édifice, pour l'attribution à Jean II de Malestroit, qui recueillit Largoët en 1374. Sa haute personnalité politique et militaire est bien digne d'un tel monument, que la faveur du duc Jean IV lui aurait permis d'édifier si redoutable. Les caractères de la décoration s'accordent avec ce que nous savons en Bretagne de cette époque (1375-1380 environ) fertile en constructions militaires (Sucinio, Josselin, Blain, Fougères, etc.).

Qu'il soit un monument du second ou du troisième quart du XIVème siècle, on ne peut, à notre avis, ramener plus bas la construction de ce donjon, qui reste l’un des témoins de la puissante influence des Malestroit pendant les règnes de Jean IV et de Jean V.

(Par M. Roger GRAND).

Voir aussi   Château d'Elven (Bretagne) " L'histoire du château de Largoët ou Tour d'Elven"

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