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CLÉDER ET L'AFFAIRE KERBALANEC SOUS LA RÉVOLUTION.

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Le 27 novembre 1793, un délateur clédérois dénonça les Kerbalanec [Note : Claude Gabriel Bolloré de Kerbalanec, un des chefs des révoltés de la bataille de Kerguidu, né le 19 décembre 1732 à Plouénan, décédé le 12 janvier 1823 à Saint-Pol-de-Léon. Marié le 22 février 1762 à Saint Pol de Léon, avec Anne Grall (1725-1785), puis le 11 octobre 1786 avec Marie-Françoise-Charlotte de La Morinière (1755-1835). MM. Bolloré de Kerbalanec, père et fils, firent bravement le coup de feu à la journée du 19 mars à Saint-Pol et à la bataille du 23, à Kerguiduff, en Plougoulm] au Comité de Surveillance de Saint-Pol, par une lettre écrite de Roscoff.

« Je viens vous renouveller, dit-il, la basesse des scélérats Kerbalanec père et fils... traîtres à la patrie, jeudi dernier dans l'après-midy, dans le bourg de Cléder, criant à haute voix : Vive le Roi et la cocarde blanche... ».

Denis Rosec, de Plouescat, entendit « ces horribles cris ». Mais « ce citoyen prudent n'osa leur rien dire, attendu qu'ils étaient munis chacun d'un fusil à deux coups et de deux pistolets ».

Le lendemain, Lesneven envoya des soldats à Cléder (nuit du 22 au 23) pour le tirage au sort. Or, nos « deux mauvais sujets » voulurent persuader aux déserteurs de tomber sur le détachement à la faveur de l'obscurité. Le délateur est indigné. Il accuse la mollesse du conseil municipal. Il dénonce spécialement le procureur de la Commune...
« ... Qui est déjà sous le coup de la loi, attendu qu'il a un frère émigré cy-devant curé à Cléder, et qu'il a logé différentes fois les Kerbalanec chez lui et leurs a donné des subsistances ».

Même accusation contre le secrétaire-greffier... : cet homme « a fait des études pour être prêtre... ». Donc !

Enfin, l'anonyme ne voit qu'un moyen de saisir les deux « rebelles... toujours menaçants les citoyens de la vie ».

« Si ces gens seraient publiés au son du tambour et affichés dans tout l'arrondissement du département comme traîtres à la patrie, avec la somme au bas de l'affiche qui est déjà accordée pour les captures, on pourrait peut-être réussir ».

La finale ne manque ni de pittoresque ni de lâcheté :

« Je suis avec sentiment un vrai républicain. Salut et fraternité. Signé : Olive canonier... C'est de la part d'un bon citoyen de cette paroisse qui n'ose pas se nommer d'ici qu'ils ne soient capturés ».

Le délateur obtint satisfaction, immédiatement.

Le 1er frimaire (21 novembre 1793), le commissaire administrateur du Finistère requit le commandant du 106ème R. I. d'envoyer à Cléder, le 2, à cinq heures du matin, un détachement de vingt-cinq hommes pour saisir au bourg de Cléder MM. de Kerbalanec père et fils, et au château de Tronjoly Mme de Parcevaux et ses enfants, — et pour requérir le juge de paix d'apposer les scellés « sur tous les appartements indistinctement ».

Les trois nobles et « les enfants » devaient être conduits à la prison de Lesneven ; et de même le juge, s'il n'obtempérait pas.

Le juge obtempéra. Les scellés furent apposés. Ainsi la République fut sauvée.

Mais les Représentants du peuple, en mission à Brest, inquiets des mouvements insurrectionnels qui ne cessaient guère, tant sur l'escadre de Brest que dans les campagnes, établirent une « Commission de recherches et de salut public à l'effet de purger les campagnes du Finistère des intrigants et des malveillants qui y abondent et corrompent par leurs principes liberticides les habitants des campagnes ».

Des deux Conventionnels, l'un était Jean-Jacques de Bréard, d'une ancienne famille de Normandie établie en Haïti. Il se vantait d'avoir sucé le lait d'une sauvage, et il ne manqua pas de sauvagerie, en effet. Négociant à Marennes, député à l'Assemblée législative puis à la Convention, il vota la mort de Louis XVI, s'affilia au parti de Robespierre qu'il lâcha peu avant sa chute, et il agit dans l'Ouest en vrai terroriste. Il était (déjà) communiste.

L'autre était Jean Bon Saint-André, pasteur protestant de Montauban, régicide, qui prétendait venger sur les catholiques du XVIIIème siècle finissant les injures subies par les protestants du XVIIème s., — qui avaient bien failli briser l'unité de la Patrie française. Il fut accusé de lâcheté au feu par des officiers de marine et des matelots, — et il fut très certainement un assassin, par le truchement du Tribunal révolutionnaire auquel il délégua ses fonctions à Brest. il mourut baron de l'Empire et préfet de Mayence : noble cent pour cent !

La Commission de recherches se composait du Brestois Jean-Gabriel Hériez, juge de paix de Recouvrance, de son greffier, de deux assesseurs et de deux gendarmes.

Né à Recouvrance en 1756, marin à la Compagnie des Indes, employé aux Fermes générales (contributions), gardien d'une grille du Parc-aux-vivres de l'arsenal en 1778, comme avaient été son père et son grand-père depuis 1640 (disait-il), grenadier dans la Garde nationale en 1789, il avait, dès 1790, adhéré au Club révolutionnaire et fait de la propagande rouge parmi les ouvriers du port. Investi de pouvoirs indéfinis, il s'en était servi pour décider des arrestations arbitraires et pour extorquer de l'argent.

Il fut dénoncé et mis au cachot, à Brest, avec son greffier. Après « neuf mois » de détention (il exagère !), il implora la liberté en ces termes :

« L'infortuné juge de paix de Recouvrance au bon et juste représentant Treouard (Tréhouart) salut républicain. — Représentant humain et sensible, écoute un homme simple, un homme innocent, mais vrai républicain... un innocent opprimé ».

Il supplie au nom de ses sept enfants (une autre lettre de lui dit : huit enfants) qui sont dans la misère et dont quatre sont au service de la patrie, au nom de sa femme languissante, au nom des services rendus (6 septembre 1794).

Et une main nerveuse, probablement celle de Tréhouart, écrit au bas de la feuille éloquente : « Accusé de concussion. Doit donc passer devant le Tribunal criminel » ; concussion, « dilapidations, vexations et autres actes d'oppression ».

Mais Hériez s'en tirera. Insolent et ivrogne, il finira par retrouver son poste de gardien de grille, après la Terreur ! Il n'était pas sans quelque instruction.

Le 28 brumaire, Jean Bon Saint-André étant à Rennes, Bréard avait écrit à Hériez (18 novembre 1793) :

« Nous espérons que notre confiance en vous sera confirmée par les bonnes et justes mesures que vous prendrez, en faisant toujours marcher d'un pas égal la Justice avec la Vigueur que la sûreté publique exige... ».

Le 29 brumaire, c'est au citoyen Durand, administrateur du Finistère, à Lesneven, que Brest écrit :

« Tes mesures vigoureuses ont notre approbation... Nous croyons comme toi que la paroisse de Cléder, si elle a donné lieu à cette insurrection, doit supporter les frais de notre expédition... ».

Après s'être fait la main dans le Bas-Léon, spécialement à Porspoder où elle éprouva quelques déboires, la Commission, composée de notre olibrius et de Cuny le jeune, Colinet, Jézéquel, Garnier et Bédouret, se rendit à Cléder. C'était ça qui allait disposer de la liberté et de la vie des citoyens !...

« Instruite par la voie publique » (sic) que les Kerbalanec avaient été à la tête de l'insurrection du 24 mars (Kerguidu) et qu'ils s'étaient vantés d'avoir tué le commandant du bataillon du Calvados, la Commission Hériez s'adjoignit sept gendarmes et dix gardes nationaux, volontaires, de Saint-Pol, pour arrêter les deux « scélérats », le 15 frimaire (5 décembre 1793).

Horreur et stupeur, les scellés, apposés sur leur maison le 2 frimaire, furent trouvés brisés !...

Aussitôt posés, le juge de paix avait commis à leur garde Charles Le Goff, qui fut dénoncé à la Commission Hériez comme ayant reçu chez lui les Kerbalanec hors-la-loi. Bien pis, les scellés ayant été brisés le 14 frimaire, le lit fut occupé, grâce à « la complaisance criminelle » de Le Goff. Incontinent, il fut arrêté, sans autre forme de procès.

La Commission se montra revêche dès son entrée dans la « maison commune ». Le maire affirmait que depuis plus de quinze jours il n'avait pas paru au bourg. Mais pendant ce temps, les Kerbalanec avaient obligé un aubergiste, en lui mettant le canon d'un fusil « sur l'estomach » à leur ouvrir sa cave et à leur donner de l'eau-de-vie. Ils en profitèrent pour blesser d'une balle la sentinelle apostée à quinze pas.

Sur-le-champ, la Commission destitua la municipalité, un mouchard ayant affirmé que le procureur de la Commune était un ami intime des Kerbalanec, et que les conseillers avaient permis aux deux hors-la-loi d'assister en armes à leurs délibérations, et même de les diriger.

Aussitôt, tous furent garrotés et mis en route pour Brest.

Voici les noms de ces hommes de cœur, victimes de la tyrannie : Yves Roudaut, maire ; Gabriel Cadiou, agent national ; Paul Séité, Jean Nédellec, François Rosec, François Brochec, Jean Tanné, René Le Jar, Olivier Riou, officiers municipaux ; Jean Postec, secrétaire-greffier.

Quant aux Kerbalanec, malgré huit heures de recherches, ils restèrent introuvables. Mais chez eux l'on saisit deux cocardes blanches et un nœud tricolore (ils sont annexés au dossier encore en 1938), deux « brasselets » à perles blanches et jaunes, avec cette inscription en perles brunes : « Aimable rencontre, source de plaisir ». Une cocarde blanche pendait à chaque bracelet, et — ceci est horrible — « des perles brunes par leur arrangement nous ont paru désigner quelque chose de mistérieux ».

Comment percer le mystère ? !

Tandis que la troupe patrouillait, la Commission nomma maire Jean-Marie Kerguvelen ; procureur de la Commune, François Quillévéré ; officiers municipaux : Yves Floch ; François Priser, de Fontaine-Bleue (?) ; Jean Séité, de Mespaul ; Olivier Trividic, de Kertanguy. Ils reçurent chacun un fusil pour abattre les Kerbalanec s'ils les trouvaient au bourg.

La rigueur révolutionnaire du citoyen Hériez fut approuvée par Jean Bon Saint-André :

« J'approuve, écrit le Conventionnel le 16 frimaire an II (11 décembre 1793), la mesure de rigueur que tu as pris contre la municipalité de Cléder, et son remplacement provisoire ; il faut que cette paroisse nous rende les scélérats Kabalanek, ou que ces fonctionnaires publics infidèles nous servent d'otages.

J'approuve aussi la garnison à mettre sur cette paroisse et à sa charge dans le même motif, et l'autorise à prendre pour cet effet quelques gardes nationales, n'importe d'où pourvu que leur civisme te soit connu, et quelques soldats dans divers détachemens çà et là pour ne pas trop en affaiblir aucun, et du tout former une garnison qui puisse tenir en bride la dite paroisse de Cléder et l'obliger à nous rendre morts ou vifs les dits Kabanalek ».

 

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Nos amis Clédérois, et d'autres sans doute avec eux, voudraient bien savoir comment finirent les deux héros des batailles de Saint-Pol et de Kerguidu... Que des chercheurs plus heureux écrivent un jour leurs dernières heures, s'ils peuvent : nous avons trouvé trop peu de chose, à notre gré.

La très ancienne famille Botloré de Kerbalanec appartenait à la noblesse de la paroisse de Neuillac (près de Pontivy), qui faisait partie de l'évêché de Quimper avant la Révolution. Aux réformations de 1426 et 1444, ils furent reconnus nobles et de noble extraction. Mais en 1670, les sieurs de Kerbalanec (en Plouénan) et Kéradennec (en Pont-l'Abbé) furent déboutés : sans doute ils n'avaient pas pu fournir les preuves écrites de leur lignage, ou ils avaient cessé de remplir les obligations qui incombaient à la noblesse.

Quoi qu'il en soit, la famille habita le manoir de Kerbalanec en Plouénan, dans le vallon du ruisseau qui se jette dans la Penzé, jusque vers la moitié du XVIIIème siècle. Ainsi : René de Kerbalanec, écuyer, époux d'Élisabeth de la Boixière, eut d'elle une fille Louise-Gabrielle née le 4 décembre 1669, « nommée » à Saint-Pol le 24 février 1670. François-Louis Botloré de Kerbalanec et son épouse Marie Choquer sont père et mère de Marie-Claude, née vers 1735, à Plouénan, mariée au négociant Louis-Joseph Richault (de Carhaix) ?, mère de l'abbé Richault, vicaire de Recouvrance, qui fut déporté en Espagne en 1792 par les « Bleus » de Brest et de Quimper, malgré les protestations de sa mère : elle ne craignit pas d'aller réclamer sa libération au district de Pont-Croix. Elle mourut le 19 avril 1814, aux Ursulines de Saint-Pol, où une Marie-Anne Richault, de Carhaix, avait fait profession sous le nom de Mère Sainte-Eulalie et fut expulsée en 1792 ; elle mourra en 1836, à l'âge de 79 ans, à Lamballe, où elle avait établi la Communauté. Mme Richault était-elle la sœur et la tante de l'un et de l'autre « rebelles » de 1793 ?

Une Marie de Kerantel de Kerbalanec épousa en 1744 (?) Joseph-Jean-Marie de Largez, de Louargat (C.-du-N.), et lui donna deux fils : Pierre, qui épousa Anne Pic de la Mirandole et fut tué à Quiberon en 1795 ; et Gabriel-Louis, recteur de Pleumeur-Bodou, émigré à Jersey, en 1792, venu à Quiberon comme aumônier du régiment du Dresnay où son frère était sergent. — Il se fia à la capitulation.

Il refusa de s'échapper, et marcha au supplice avec les blessés de son régiment, en récitant les prières des Agonisants (Vannes, 2 août 1795).

Etait-il de la même souche que nos Kerbalanec ?

On cite encore Gabriel de Kerbalanec, époux de Marie-Françoise-Charlotte Morinière, née à Trébeurden en 1755, morte à Saint-Pol, rue Corre, le 9 janvier 1835 ; elle tenait un bureau de tabacs : était-ce la récompense des batailles de son mari ? Son petit-fils Claude-Allain, né vers 1793, était-il fils de Claude le « conspirateur » ? Il mourut à Plouvorn, cultivateur.

Peu à peu, en effet, la famille s'était appauvrie [Note : Des « héritages » Kerbalanec furent saisis à Guipavas « tant sur défunt René Bolloré sieur de Kerbalanec, que sur René-Louis... son fils » et adjugés, le 14 janvier 1715, à Rennes, à Jean-Alexandre Le Grand, écuyer, gentilhomme de la grande Vénerie de France, « acquéreur judiciaire » des maisons et manoir noble de Kerbalanec, du Goulen, de Kerarmelly, de Quellennec, de Pennanguer et de « tout ce qui en dépend en Guipavas ». Ici comme à Plouénan, c'était la ruine...]. Il semble que le manoir avait été vendu d'abord aux Boisgelin ou aux Tréveneuc, puis vers 1760 à un sieur Le Grand. En 1792, il était occupé par les deux ménages Moal et Saout, et le recensement ne mentionne aucun Kerbalanec : peut-on en conclure que nos deux hommes résidaient alors à Cléder, à Tronjoly ? M. Le Saint, qui a tenu les registres paroissiaux de Plouénan pendant la Terreur et jusqu'au Consulat (1793-1799), ne signale pas la présence des Kerbalanec à Plouénan pendant toute cette période. Il faut arriver en 1802 et 1803 pour trouver la signature de J.-M. Bolloré de Kerbalanec, puis de M. et Mme Kergariou de Kerbalanec, aux actes de baptême de deux enfants Le Rouge de Rusunan [Note : Ce Jean-Marie de Kerbalanec fut-il des prisonniers de Saint-Brieuc ?].

Les Kerbalanec, ceux de Kerguidu, avaient pu s'échapper en 1794-1795 ; leur dossier d'alors porte ces mots, en caractères très fins : « A retenir lorsqu'ils seront pris ». Or, à la fin de l'an VI, les Anglais débarquèrent des armes dans le Léon, et une tentative de chouanage s'organisa. MM. de Kerbalanec, de Keruzoret et de la Boissière agitèrent Plouvorn et Guimiliau, non sans s'être ménagé des accords dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) avec M. de Crésolles et le terrible Taupin, ancien valet de chambre de Mgr Le Mintier.

Mais bientôt « le fils Kerbalanec » fut pris et envoyé aux prisons de Quimper.

Le 2 février 1799, tandis que l'Administration centrale du Finistère se disposait à traduire le pauvre Chouan, en compagnie de Fortuné Guivarc'h, devant le Tribunal criminel de Quimper, le ministère de la Police accusa bien réception de l'arrêté qui renvoyait « vers l'accusateur public près le Tribunal criminel du Département Bolloré Kerbalance (sic), fils, et Guivarc'h Fortuné, prévenus de chouanage ». Mais il ajouta :

« Je vous observe que ce n'est pas par un tribunal criminel que ces individus doivent être jugés, mais par un conseil de guerre... Je vous recommande de les y faire traduire sur le champ et de m'en rendre compte. Saluts et fraternité. DUVAL ».

Tribunaux criminels et Tribunaux militaires ne condamnaient pas toujours à mort les inculpés : ainsi le jeune Chouan Le Vicomte de la Villegourio, ayant traîné pendant deux ans de jugement en jugement, se trouva en 1799 dans la prison de Saint-Brieuc, bâtie à la veille de la Révolution... Et il en réchappa, comme nos Kerbalanec, ses compagnons d'alors.

Cette prison renfermait, fin octobre 1799, entassés, des cachots du rez-de-chaussée aux combles sous le toit, deux cent quarante-sept détenus, pêle-mêle : dix prêtres fidèles, vingt officiers royalistes, des Chouans, des Morbihannais, des émigrés rentrés, des déserteurs, des voleurs, des faux-monnayeurs, des assassins, les uns prévenus, les autres condamnés à la prison ou à la peine capitale. (Plusieurs femmes, dont Mme Le Frotter de Kerilis, qui avait beaucoup aidé les Chouans à Pontivy, condamnée à mort).

Le 19 octobre, des prisonniers avaient essayé de s'échapper. Le gardien Peyrode réprima brutalement la tentative, en blessant plusieurs et mettant aux fers les révoltés, la plupart déjà condamnés à mort.

Mais le 26, Mercier-la-Vendée, le fameux compagnon de Georges Cadoudal, conduisit une troupe de 500 Chouans à l'attaque de la ville. A 5 heures du matin, le 27, ils forcèrent la prison et délivrèrent tous les prisonniers, menaçant de fusiller ceux qui ne sortiraient pas. Tous sortirent, et parmi eux MM. de Kerbalanec père et fils, portés « émigrés » au registre d'écrou.

C'est le 9 mars 1799 que « Jean-Marie Bolloré Kerbalanec fils » prévenu d'émigration, renvoyé par le directeur du jury d'accusation de Landerneau devant le 13ème Conseil de guerre séant à Saint-Brieuc, avait été écroué à la maison d'arrêt de cette ville. Quant au père, nous ignorons.

Les Chouans et les émigrés délivrés furent armés avec les fusils enlevés aux soldats de la République, et la retraite s'organisa.

Par un chemin détourné, dit des Charbonniers, les prisonniers furent dirigés vers la grand'route de Quintin. Toutefois, le « mouton » Joseph Giraudeau, soldat du 30ème R. I. remarqua que : « tous... défilèrent sur la promenade, accompagnés de plusieurs de leurs soldats », à l'exception des nommés La Roche (Le Veneur de la Roche), le Vicomte, Villelorin (ces deux mots désignent le jeune Le Vicomte de la Villegourio), Pierre Even, Penanster (neveu du conventionnel Guezno d'Audierne), Thomas, Jean-Marie Kerbalanec père et fils (Claude et Jean-Marie) qui rejoignirent la colonne des Chouans. Les uns marchèrent à pied, les autres montèrent les chevaux trouvés dans l'église Saint-Guillaume transformée en écurie militaire : 39 de chasseurs, 23 d'artillerie légère.

Les prisonniers mis aux fers par le geôlier furent déferrés dans la rue par le serrurier Jean Madec. L'opération dura de 5 h. 1/2 à 7 h. 1/2. Ils emportèrent les boulons, « excepté deux », les marteaux de l'artisan, les ciseaux et « trois bouts de fer carré appartenant à la municipalité ». Ils voulaient se venger sur le brutal Peyrode, qui put se cacher après un moment d'exaltation. Quant aux fers, ils servirent à charger le canon conquis sur la troupe, les boulets manquant. Mais, après avoir essuyé un tir peu efficace au Château de Lorges, les soldats reprirent le trophée et le tournèrent contre les Chouans. Nul doute que les Kerbalanec se battirent avec ardeur : depuis six ans ils avaient l'habitude ! Mais aucun détail ne nous est parvenu.

En tout cas ils étaient libres. Le 29, après un échec à Lorges, la troupe royaliste dut se séparer en quatre bandes : deux dans les Côtes-du-Nord, une vers le Morbihan, celle de Debar vers la Cornouaille et Corlay. Peut-être nos Kerbalanec suivirent Carfort ou Saint-Régent qui allaient tenir encore vers Collinée et Merdrignac : s'il est vrai qu'ils « travaillèrent » avec Gabriel Jonathas de Cressolles, surnommé « L'Armoricain », et avec Taupin dans les Côtes-du-Nord, comme le veut Du Châtellier. Mais Cressolles dédaigna Taupin, ex-maître d'hôtel ; et Taupin se sépara de lui, d'accord avec du Rumain. Taupin fut tué le 10 février 1800, et ce fut la fin des combats chouans.

Nous n'avons pas retrouvé la trace des deux hommes après Saint-Brieuc.

On sait que, le 8 mai 1801, le ministre de la Police écrira aux Préfets de l'Ouest qu'aucun acte de soumission des Brigands ne doit être accepté. Pris les armes à la main, ils doivent périr sur l'échafaud. Aucune amnistie à attendre pour eux !

C'est que le désordre alors était porté à son comble. Un exemple : une bande de voleurs de voitures publiques, diligences, malles-poste, s'était organisée en société ; les statuts se composaient de 24 articles, dûment rédigés... Sans parler des sociétés moins soucieuses de paperasserie ! Peut-être en l'année 1799 on put être moins sévère, dans l'espoir d'obtenir la pacification (annoncée par Brune, le 15 février 1800). ... Nous ne savons pas...

Des vestiges mélancoliques demeurent, qui rappellent au passant les beaux jours de Kerbalanec, la pauvreté, les exploits, la décadence : le manoir sur l'affluent de la Penzé. Il en reste un bâtiment, 30 mètres de long, — au rez-de-chaussée, deux portes cintrées, à l'unique étage des fenêtres à meneaux, de faible ouverture. De là partait jadis une terrasse qui aboutissait à la chapelle ; les murs sans style ont subsisté, rien de plus. Les autres bâtiments, dont l'état accuse les injures du temps, sont devenus des écuries, des granges, des débarras. Non loin de là, un souterrain dont l'ouverture est bouchée depuis longtemps.

La terre noble de Kerbalanec est tombée en roture, depuis cent cinquante ans au moins... Et la dernière descendante des guerriers, qui étaient les nobles Kerbalanec dès avant le temps de Jeanne d'Arc, la dernière du nom dont nous ayons trouvé trace, n'était vers 1865 que dame de compagnie — il faudrait dire femme de chambre ! — chez une parente éloignée, Mme de Kersauson... Ainsi va le monde...

(René Cardaliaguet).

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