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Les places fortes du Trieux, de Bréhat à Pontrieux. |
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LES PLACES FORTES DU TRIEUX
De Bréhat à Pontrieux.
Le raz-de-marée des invasions normandes qui déferla sur nos rivages pendant un siècle et leur prédilection particulière pour les rivières vers les hâvres desquelles elles se laissaient guider par la marée montante, a donné naissance à l'obsession de la menace venue de la mer perpétuellement recommencée, et suscité la mise en place d'un réseau défensif constamment entretenu et modernisé.
Les riverains du Trieux, né dans les environs de Kerpert et dont l'estuaire forme entre le sillon de Talbert et la pointe de l'Arcouest, un site d'une incomparable beauté, avaient bien des raisons de se méfier des incursions ennemies.
N'est-ce pas sur ses rives, dans une lande de Plourivo, qu'Alain Barbetorte réussit à vaincre définitivement les vikings ?
Et quelques siècles plus tard, lorsqu'enfin débarrassés des drakkars surgis de la mer du Nord, n'avaient-ils pas le devoir de garder les yeux fixés sur « la perfide Albion » dont trois des meilleurs ports : Dartmouth, Plymouth et Falmouth se trouvaient en face de son embouchure ? [Note : Mémoire sur les ports de Bretagne qui regardent la Manche. B.N. mélanges Colbert 55, fol 123 et suivants — publiés par R. Couffon dans S.E. — tome 89 — 1962].
Aussi, forteresses qui se répondent de rive en rive, fortifications de Vauban, et tours de guet qui sont de tous les siècles, surplombèrent bientôt son cours en un cordon serré, dans toute sa partie navigable et même au-delà.
Pour faire l'inventaire des places fortes qui défendaient ses rivages nous disposons des recherches du Chevalier de Fréminville de celles de M. de la Messelière, des anciens cadastres et enfin du repérage sur place des vestiges si par chance ils n'ont pas entièrement disparu.
Pour celles qui devinrent le berceau de fiefs importants, les archives nous permettent d'en revivre l'histoire.
L'ILE DE BREHAT.
Le Trieux bénéficie d'un atout essentiel pour sa défense : Bréhat la rose qui veille en mer, dont l'importance stratégique, dépassant les limites du Goélo, n'a jamais été perdue de vue par le pouvoir en place.
Un rapport de 1793 sur la situation défensive des côtes du district de Pontrieux [Note : Service historique de l'Armée de terre] rappelle que « si l'île de Bréhat était prise elle servirait aux ennemis d'entrepôt et de poste de retraite d'où ils pourraient intercepter le commerce, faire des incursions sur le continent et épier tous les bâtiments qui sortiraient des différents ports obliques qui existent dans les districts armoricains ».
Dès le XVème siècle, les bréhatins étaient exempts de tailles, fouages et impôts, aides et subsides, en vertu des lettres patentes renouvelables tous les six ans, que leur accordaient à cet effet les Ducs de Bretagne et plus tard les rois de France, « en considération des pertes et pillages auxquels ils étaient exposés, et l'obligation où ils étaient de faire le guet nuit et jour et de travailler à la mer, l'île ne leur fournissant pas de quoi vivre ».
A plusieurs reprises les habitants demandent à défendre leur île eux-mêmes et par là d'être exempts d'avoir à remplir ailleurs leur devoir de guet. Mais cela leur fut toujours refusé, l'enjeu était trop important pour en confier la défense aux seuls habitants.
Une dernière tentative dans ce sens est faite en 1725 par le recteur de Bréhat dans une lettre adressée au Comte de Toulouse acquéreur du duché de Penthièvre.
On voit dans ce document à quel point les préoccupations des recteurs dépassaient le cadre spirituel. Celui-ci estime :
— « qu'il est nécessaire qu'il y ait un juge sur les lieux pour réprimer les désordres ;
— ... que si l'on ne s'oppose pas aux progrès de la mer il est à craindre que celle-ci ne se change en deux ou trois îles et peut-être même ne se submergeât ;
— ... qu'il faut défendre l'excès de chèvres et de brebis ;
— ... qu'il est juste que l'île jouisse des privilèges des autres places qui se gardent elles-mêmes ».
Au quatrième point il fut répondu que les privilèges des habitants ne leur donnaient pas le droit de se garder en paix et en guerre sans garnison et qu'ils ne pouvaient se décharger de la taxe de casernement des gens de guerre.
Il semble que l'année suivante ils obtinrent enfin d'être déchargés de la garde des côtes en d'autres lieux.
Au moyen âge, la défense de l'île s'appuyait sur le château-fort surplombant la grève de « Ot ar Hastel » à l'est de l'île sud, en face de l'île Lavrec.. Le champ où il se trouvait est entouré d'un muret qui pourrait avoir été la base du mur d'enceinte.
Un rocher appelé « Roch'ar Hastel » est tapissé côté mer, d'un parement de pierres appareillées de main d'homme et qui était probablement incorporé dans la construction du château.
Ce sont les seuls vestiges qui subsistent, depuis qu'en 1880 les pierres du Castel furent utilisées pour la construction du bassin de Paimpol (ainsi que des pierres prises, dit-on, à l'île Lavrec).
La première destruction du château-fort fut l'œuvre d'un amiral anglais, le comte de Kent, en 1409, et le résultat d'un conflit entre le duc de Bretagne et la Comtesse de Penthièvre, Marguerite de Clisson.
A partir de cette première destruction, le château connut de longues périodes où tout en étant habitable, il se trouvait hors d'état de défense. Cela fut le cas pendant tout le XVème siècle, puisqu'en 1507 on s'inquiète de cet état de choses et l'on tient conseil sur la nécessité de le rétablir [Note : A. D. Liasse E 1397].
A la suite de l'attentat de Châteauceaux en 1420, les terres de Penthièvre ayant été confisquées, l'île devint la propriété d'Arthur de Richemont, frère du duc Jean V, qui n'ayant pas eu d'enfants de ses trois épouses la laissa à sa fille naturelle Jaquette à l'occasion de son mariage avec Arthur Brécart.
En 1566, Catherine leur descendante, vend Bréhat à Sébastien de Luxembourg, gouverneur de Bretagne, dont la fille Marie allait l’apporter en dot 10 ans plus tard, à son mari le Duc de Mercœur.
Et c'est ainsi que durant la période cruciale des guerres de la Ligue, le chef de la Ligue en Bretagne allait se trouver propriétaire légal de cette importante place forte.
Il s'empressa de la relever de ses ruines et de la fortifier à nouveau avec l'aide des malouins pour qui elle avait une grande importance puisqu'elle les protégeait dans leurs courses.
En 1594, le Capitaine de Coatallec la reprend à nouveau au bénéfice des royaux et est nommé gouverneur de l’île pour cet exploit.
Le château ressort démoli de cette guerre qui écrivit le dernier chapitre de l'histoire de bien des maisons-fortes du Trégor.
On songea bien à plusieurs reprises au cours du XVIIème siècle à remettre le château en état de défense, mais les nombreux procès-verbaux constatant l'état du bâtiment et la nécessité des travaux à entreprendre resteront sans effet et le château n'aura plus à partir de cette époque d'importance stratégique [Note : A. D. Liasse 1398].
Lors de la vente des biens nationaux, le procès-verbal de l'an II mentionne « le vieux château avec les vieilles mazières, douves et clôtures donnant du Nord, levant et Midy, sur la grève, et du couchant sur un sentier menant du Gardennou au bourg ».
Mais la défense de Bréhat sera bientôt rétablie.
Vauban prend le relais et, faisant pivoter le système défensif d'un point cardinal, concentre la défense sur la côte Nord en face des côtes anglaises.
En plus de la chaussée reliant les deux îles, le Pont Vauban, il fit construire entre autres le fort de Pouillac qui était déjà en ruines au moment de la Révolution puisqu'un rapport de 1826 cite « les vestiges d'anciens retranchements dont la construction est attribuée au Maréchal de Vauban ».
De siècle en siècle, la défense de l'île se modernise.
A la fin du XVIIIème siècle elle compte sept batteries : une à l'est, deux au sud et quatre au nord.
Le Second Empire entreprend un ouvrage très important : la citadelle dont le fronton porte la date de 1863. Ce bâtiment situé à l'Ouest de l'île Sud était destiné à protéger le Port-Clos et à servir de réduit à la garnison. C'est une construction soignée en pierre de taille entourée de douves profondes garnies de pierre. L'ensemble est encore bien conservé et habité par quelques familles.
Il y avait dans l'île une deuxième caserne.
Sous la Révolution on envisageait de faire camper à Bréhat jusqu'à mille hommes. Cet endroit paraissait d'autant meilleur pour former les troupes et les aguerrir « qu'il n'y a pas de cause de dissipation et que la monotonie des objets les forcerait à chercher dans l'exercice un remède contre l'ennui ».
L'ILE MODEZ.
A un portée de canon de Bréhat, la nature a poussé la complaisance jusqu'à déposer sur les flots la petite île Modez dont les modestes dimensions ne lui retirent rien de son importance stratégique, car ses feux croisés avec ceux de Bréhat permettaient de verrouiller l'entrée du chenal par où les navires étaient obligés de passer pour se rendre dans la rade de l'île Bréhat et la rivière du Trieux.
On discuta un certain temps sur l'opportunité de placer une batterie soit à l'île à Bois soit à l'île Modez. Finalement cette dernière fut choisie. Un canon fut apporté de Port-Blanc et six hommes installés en garnison (1793).
Cet îlot minuscule a, on le voit, joué un double rôle dans l'histoire du Trégor, rôle religieux au moment de l'émigration, rôle militaire à l'époque moderne.
Pierre Barbier a relaté dans son étude sur les vestiges monastiques de l'archipel de Bréhat [Note : S.E. Tome 80 - 1951], un épisode assez curieux qui se déroula dans la clandestinité de cet îlot perdu : en 1636, deux sergents royaux se rendent à l'île Modez où ils trouvent une dizaine de personnes (étrangères à la province) occupées à faire brûler du goémon dans 32 fourneaux et qui leur déclarent qu'ils vendent la cendre à deux marchands de Rouen pour en faire de la poudre à canon.
LA BAIE DE POMMELIN.
Bien qu'elle ne se trouve pas exactement sur le cours du Trieux on peut dire ici quelques mots de la baie de Pommelin (autrefois Pont-Milin), limitée à l'est par l'île à Bois, à l'ouest par la commune de Lanmodez.
Cette baie était réputée offrir en tous temps un bon mouillage et pouvoir contenir six vaisseaux de ligne, mais d'entrée difficile à cause des rochers.
Dans son répertoire archéologique, Gaultier du Mottay signale à Lanmodez les forteresses de Castel-Yar et Castel-Coq « qui auraient disparu, dit-on, au moment de la Ligue ».
Aujourd'hui, le rocher de Castel-Yar se présente comme une minuscule excroissance de la grève de Pors-Guyon, et apparemment vierge de toute consruction. Pour imaginer dans un espace aussi exigu « une forteresse » si modeste soit-elle, il faut réaliser la force de l'érosion qui a creusé et parsemé d'îlots cette baie entre la pointe de Lannros et la péninsule de l'île à Bois, érosion qui se poursuit sans relâche et modifie à vue d'œil le relief de la grève.
Cet îlot pouvait bien représenter il y a 6 ou 7 siècles une île suffisamment importante pour supporter l'ouvrage défensif cité par la tradition. Il y a quelques années, un habitant, creusant pour planter quelques sapins, y rencontra des fondations circulaires qu'il prit pour celles d'un moulin.
Les archives lèvent à ce sujet tous les doutes qui pourraient subsister : en 1639, Etienne Cillart rend aveu pour sa seigneurie de la Villeneuve (qui domine la baie de Pommelin), et cite parmi ses possessions : « une isle ou péninsule dans laquelle il y a une vieille ruine et emplacement de chasteau, vulgairement nommé « Castel-Yar », avec ses appartenances et dépendances d'icelle, comme goretz et droit de pecherie et de cueillir du gouemon au circuit et dependance d'icelle, aussi autre île appelée Ile Couach, avec les mêmes droits » [Note : Liasse E 930 — Le nom de l'île Couach est aujourd'hui déformé en « Couhart »].
Dans un autre document dénombrant les terres et seigneuries relevant de la sénéchaussée de Guingamp [Note : Liasse E 1129] on relève parmi les terres appartenant à Geoffroy Cillart en 1583 « le château de Castel-Yar avec droit de pêcherie ».
On ne mentionne pas l'état de ce château à cette époque. Il peut donc avoir été détruit comme on le dit pendant la Ligue, bien qu'il semble étonnant que son propriétaire ne semble plus en avoir 50 ans plus tard qu'un souvenir très lointain.
Quant à « Castel-Coq » aucune, recherche, tant sur le territoire de Lanmodez que celui de Lézardrieux, n'a permis d'en retrouver même le nom qui est totalement inconnu des habitants.
Ce nom serait-il la déformation de Couach qui porte aujourd’hui sur la carte d'état-major le nom de « île Couhart ». Bien que cette île ait bénéficié des mêmes privilèges que Castel-Yar il paraît excessif d'imaginer un autre fortin à cet endroit.
L'ILE BOIS.
Ce promontoire projeté juste à l'entrée de la rivière forme ne rade qui a toujours retenu l’attention des militaires [Note : Durant la dernière guerre, l'île à bois fut fortifiée et munie d'une batterie et bombardée à la Libération].
Le rapport de 1793 la décrit « comme pouvant offrir un abri sûr à plus de 100 voiles qui voudraient se mettre à l'abri des corsaires ennemis ».
Dans le rapport de Vauban mentionné plus haut, celui-ci semble retenir avec faveur une proposition de bâtir une ville et des magasins sur la péninsule de l'Ile à Bois et d'y attirer la population.
Ce projet resta sans suite comme celui d'y construire un lazareth pour mettre les marins en quarantaine.
Il existe à l'Ile à Bois un petit corps de garde en forme de tourelle semblable à celui qui se trouve sur l'île dite de « la douane » au milieu de la rivière.
KERTANOUARN.
Sur la rive opposée, nous retrouvons à l'entrée de la rivière la belle gentilhommière de Kertanouarn qui a succédé à un important ouvrage défensif, une forteresse qui a donné son nom de « Pointe du Château » à une partie de Loguivy-de-la-Mer en Ploubazlanec.
Un acte de 1689 décrit ce fief en termes élogieux [Note : A. D. 2192] : « la terre de Kertanouarn, en la paroisse de Ploubazlanec, évêché de Saint-Brieuc, assez passablement bâtie, située en aussi agréable pays qu'il y ait en la province, voyant la mer de toutes parts, l'isle de Bréhat, celle de Saint-Modez et l'isle Verte, chasse, colombier, garenne, une chapelle où l'on dit la messe tous les dimanches et fêtes et où il se trouve du peuple comme dans la paroisse. Il y a deux greniers et des magasins sur le bord de la mer et un port qui appartient au seigneur de Kertanouarn seul, et même de belles pescheries. Ladite maison a de belles prééminences dans Ploubazlanec, un banc près joignant le balustre du grand autel, deux pierres tombales armoyées des armes de ladite maison, une chapelle prohibitive dans l'église où est un tombeau élevé avec seigneur et dame et leurs armes, la terre de Lézérec en Pleurmeur-Gauthier qui consiste en six convenants avec les vieilles ruines d'une chapelle, l'isle à bois et le greffe. Le fief est un des plus beaux de Tréguier, estant tout ensemble et n'ayant à démêler avec personne, haute justice relevant de Guingamp d'où relèvent 30 à 40 gentilshommes fort considérables ».
Le chevalier de Fréminville a donné une description des ruines de l'ancienne forteresse : une cour ceinturée d'une forte muraille, un portail défendu par une galerie couverte, garnie dans toute sa longueur de créneaux et de machicoulis et d'une file de meurtrières pour le feu de la mousqueterie.
D'après Habasque, il y aurait eu à Kertanouarn un souterrain fermé d'une porte de fer, dont l'un des embranchements allait au port de Loguivy, l'autre à une fontaine d'un village voisin.
D'après les gens du pays, une branche de ce souterrain partait du début de l'allée à proximité de la croix. La tradition veut que l'on ait frappé à Kertanouarn de la fausse monnaie.
LA RADE DE COATMEN.
Ayant dépassé Kertanouarn, on est alors franchement engagé dans le cours de la rivière dont la première partie porte le nom de « rade de l'île à bois » et la partie suivante, après la tour de Bodic construite par Vauban, le nom de « rade de Coatmen ».
Ce nom emprunté à l'une des grandes familles du Goélo est en effet justifié par le château qu'elle fonda au XIVème dans le fief qu'elle possédait le long de la rivière dans la paroisse de Pleumeur-Gauthier.
En 1399, Roland de Quoitmen détache en juveigneurie le manoir de Lézérec en Pleumeur-Gauthier au bénéfice de son frère Geffroy « pour en jouir durant sa vie » [Note : A. D. E 1540].
Le manoir de Lézérec, proche de la rade de Coatmen existe toujours et certaines de ses parties, la tour par exemple, accusent une haute antiquité. Il semble en effet qu'elle ait été construite indépendamment du logis dont elle menace dangereusement de se désolidariser.
En 1693, un seigneur voisin rendant aveu pour son fief de Kermarquer en Lézardrieux mentionne parmi ses biens « le vieux chasteau avec ses douves, bois taillis et aplacements de vieux moulin à vent appelés « Le Vieux Chasteau » et le bois de Coatmen avec la métairie dudit Coatmen et les terres en dépendantes » [Note : A. D. E 2115].
L'emplacement du moulin est parfaitement connu ; ses pierres d'ailleurs jonchent encore le sol d'un champ à côté d'une ferme qui pourrait avoir été « la métairie », puisqu'elle porte le nom de Coatmin, tandis que le champ voisin porte le nom de « Parc Milin Avel ».
Quant à la motte féodale, il n'y a plus que le relief du terrain qui puisse laisser supposer son emplacement et le bon sens qui incite à penser que cette forteresse avait vue sur la rade.
En continuant la route où l'on est engagé on arrive au « phare de Coatmer » dont c'est le nom officiel comme l'indiquent les panneaux routiers. Coatmer et Coatmin sont évidemment la déformation du même nom de « Coatmen ».
On voit aussi qu'il faut établir une distinction entre le « manoir » donné par Roland à son frère Geffroy, et le « château » mentionné par le sieur de Kermarquer.
En effet ces deux termes n'étaient pas utilisés au hasard. Le terme de château n'appartenait « qu'aux anciens châteaux-forts faits pour la défense des seigneurs qui avaient droit de chatellenie ».
Le même seigneur de Kermarquer se fait d'ailleurs rappeler à l'ordre pour avoir utilisé ce terme pour le manoir de Kermarquer, ayant été abusé par la présence de canons.
Dépendant du château de Coatmen existait et existe encore aujourd'hui un moulin à mer reconstruit en 1862 et dont l'imposante chaussée limite un vaste bassin. Ce moulin fut comme le château acquis par le seigneur de Kermarquer.
Un document de 1774 décrit la « rade de Coatmen » et son port « situé au bas de la rivière du Trieux ou de Pontrieux, entre la pointe de Lézardrieux et celle de Bodic. Il a là une lieue et demie de long. Il y a du côté de l'Ouest un enfoncement qui forme un bassin considérable dont le fond est de vase et qui est fermé actuellement par la chaussée du moulin de Coatmen. Les côtes de l'Est de ce port sont nommées le Vieux Chastel ».
COZ-CASTEL.
Sur la rive opposée et d'une façon absolument symétrique, se trouvait un autre moulin à mer dont la chaussée limitait un vaste étang commandé par un système de vannes. Le moulin fut détruit pendant la dernière guerre. On reconnaît encore les pierres d'assise qui maintenaient la machinerie.
Ce moulin dépendait de la seigneurie de Coz-Castel, dont l'importante motte, toute proche, domine la rive droite du Trieux.
Le chevalier de Fréminville, qui francise le nom en « vieux Chastel » ce qui est aussi la forme employée dans les archives, a encore pu déceler une enceinte de terre pentagonale et les fondations d'une tour également pentagonale.
M. Gaultier du Mottay la date du XIIème et M. de la Messelière dit ne pas l'avoir retrouvée. Aujourd'hui, l'accès en est largement facilité par une route fléchée.
On trouve dès l'abord deux enceintes parallèles bien conservées, faites de pierres sèches et de terre, l'extérieure étant plus élevée que l'intérieure, et entre lesquelles court une source. L'enceinte extérieure est coupée dans sa partie basse par une entrée limitée par deux pierres telles qu'on en trouve à l'entrée des champs.
Il n'y a plus au sommet de la motte, la moindre trace de fondations sinon peut-être enfouies sous la végétation, mais somme toute cet ensemble exemplaire : motte, chaussée, moulin, étang, laisse suffisamment de traces pour que l'on puisse se faire une idée de l'ampleur de cet ouvrage défensif encore fort imposant par l'élévation de la motte.
En se reportant à la carte d'état-major au 25.000 - Tréguier 5-6 et sachant que l'ensemble de la motte et des enceintes occupait tout l'espace compris entre deux routes, on peut évaluer sa longueur à 75 mètres, et sa largeur à 25 mètres environ.
Les noms de quelques propriétaires du Vieux-Chastel sont connus par des actes de vente.
En 1600 est établi un contrat de vente du manoir du Vieux-Chastel entre Jacques Le Saint et Vincente de Quelen son épouse, à Messire Maudé de Trogoff, manoir auquel il y a « coulombier, chapelle, bois, tailly ».
En 1656 il appartient à Yves du Vieux-Chastel et en 1732 il est vendu à François-René de Kerlehoury (Kerlehoury est une autre seigneurie de Plounez dont sortit un évêque de Tréguier).
En 1755 il est entre les mains de Claude de la Boissière. Mais aucun de ces actes ne donne la description du Vieux-Chastel. Il ne figure pas non plus dans la vente des biens nationaux. Aussi jusqu'à présent nous devons nous en tenir à la description du Chevalier de Fréminville.
LEZARDRIEUX.
Repassant sur l'autre rive, nous entrons dans le fief de Lez-Ar-Trew devenu Lezardre. Cette forteresse fut réunie à celle de Botloï, de la Roche-Jagu et de Frynaudour dès le XVIème siècle.
La seigneurie de Lézardrieux, d'abord à la famille de ce nom, passa rapidement à la famille de Tournemine.
Elle était en possession immémoriale au bourg de Lézardrieux dont elle avait fondé l'église, d'abord chapelle du château, du droit de haute moyenne et basse justice avec cour, auditoire et prison, avec sénéchal, alloué, lieutenant et gouverneur fiscal, greffiers et sergents, en outre le droit de foire et marché au bourg de Lézardrieux et celui de prélever sur toutes marchandises entrant et sortant du port de Lézardrieux : vin, lait, chanvre, drap, froment, gros bled, sel, etc... un droit qui s'élevait par exemple à quatre deniers pour un tonneau de vin ou de froment, et également un droit d'ancrage sur chaque navire.
De la forteresse de Lézardré, que M. de la Messelière décrivit comme une motte ovale de 30 et 36 mètres d'axes, et portant des traces de superstructures en pierre, il ne reste plus, dominant le port de plaisance que les traces de circonvallations, balafrées par la construction d'une route toute récente.
Le château de Lézardrieux était déjà ruiné au cours du XVIème siècle, car un acte de vente de 1607 ne mentionne déjà plus que « la motte de l'ancien château de Lézardré » et Honorat Auguste d'Acigné, à la même époque « reconnaît tenir les deux emplacements et vieux vestiges des châteaux de Botloï et de Lézardrieux ».
BOTLOI.
« Les vieux vestiges » de la motte féodale de Botloï en Pleudaniel sont encore très visibles sur la rive gauche du Trieux, à peu de distance du château de la Roche-Jagu. C'est l'esquisse d'une motte de 12 mètres d'axe environ, recouverte de végétation, sous laquelle il serait peut-être possible avec un défrichage en règle, de retrouver les restes du donjon carré de sept mètres de large et huit mètres de long dont les murs ont un mètre d'épaisseur, cités par M. de la Messelière et ses prédécesseurs, qui virent aussi des restes de constructions ruinées surplombant la rivière en contrebas de la motte.
Aujourd'hui on reconnaît seulement le modelé ovoïde de l'ensemble défensif avec sa basse-cour et les fossés qui l'entouraient.
Cette seigneurie, non moins importante que celle de Lézardrieux possédait haute justice à quatre piliers avec juridiction s'étendant en de nombreuses paroisses et titres de fondateurs dans les églises du fief et dans celle de l'île Verte possédé par les Récollets de Saint-François dont le couvent avait été fondé en 1434 par les seigneurs de Botloï.
Du fief de Botloï fut détaché en juveigneurie la seigneurie de Launay-Botloï en Pleumeur-Gauthier, dont relevèrent dès lors tous les vassaux de la trève de Trédarzec (Pleumeur-Gauthier était la paroisse dont dépendaient les trêves de Trédarzcc et de Lézardrieux).
Au Launay on a retrouvé les traces d'un tumulus de l'âge du fer et les vestiges de deux châteaux successifs.
Dans un aveu de 1691, on cite « le manoir principal, bois, etc... le tout cerné de deux murailles anciennes et fort caduques desquelles néanmoins paraissent encore les vestiges, buttes et mottes de terre élevées à une hauteur extraordinaire, en intersigne de seigneurie ».
En 1703, la dame d'Acigné, propriétaire du fief, déclare ne pouvoir faire le dénombrement de son fief sans recourir aux archives de Penthièvre parce qu'un sieur de Kermarquer (seigneurie en Lézardrieux), pour se venger d'un retrait lignager qui avait fait perdre à son prédécesseur la terre de Botloï, avait facilité en 1590 « dans les temps de la guerre de la Ligue, l'enlèvement et l'emprisonnement de Messire Jean d'Acigné, seigneur de la Roche-Jagu, avec perte de ses titres et autres effects ».
Une fois de plus, on le voit, la guerre de religion fut un prétexte à régler une rancune qui fermentait depuis des générations.
LA ROCHE-JAGU.
A deux kilomètres à vol d'oiseau des vestiges de Botloï, se dresse intact le château de la Roche-Jagu dont M. Couffon fit en 1967 une étude complète publiée dans la Société d'Emulation [Note : S. E. — Tome 96 — 1968].
Le château actuel, reconstruit en 1405 avait succédé à un autre dont l'origine remonterait au dernier tiers du XIème siècle. C'est l'époque où la surveillance des rivières était à l'ordre du jour, le souvenir des invasions normandes n'étant point oublié.
Surplombant le Trieux au sommet d'une boucle profonde, il tient en aval sous son regard tout le cours de la rivière jusqu'à la boucle suivante, celle de Botloi, et en amont il la remonte jusqu'à ce que son rayon de surveillance se croise avec celui d'une autre place-forte Frinaudour, assise sur le confluent du Trieux et du Leff. Et l'on peut supposer que ces forteresses formant ainsi un cordon continu sur les rives du Trieux furent conçues simultanément. De plus, dans toute la partie navigable de la rivière, de Lézardrieux à Quemper-Guézennec, ces forteresses se trouvèrent réunies dans les mains d'une même famille, les d'Acigné, lorsqu'en 1554, Louis d'Acigné, seigneur de la Roche-Jagu et de Botloï-Lézardré échangea avec la comtesse d'Harcourt, la seigneurie de la Balue contre la vicomté de Frinaudour en Quemper-Guézennec. (A. D. liasse E 2579).
FRY-DAOU-AN-DOUR.
est le nom exact du château que nous appelons aujourd'hui Frynaudour, située là où les eaux du Leff se jettent dans celles du Trieux, d'où « le nez entre deux eaux ». C'est le nom que porte cet endroit sur l'ancien cadastre.
Jean d'Acigné fut d'ailleurs son dernier propriétaire, car les guerres de la Ligue survenant 40 ans plus tard, signèrent son arrêt de mort. Il la fit détruire « afin que les gens de guerre ne s'y vinssent loger ». Le procès-verbal de ces ruines fut dressé en 1604 à l'occasion d'un procès entre Jean d'Acigné, sieur de la Roche-Jagu, chevalier de l'ordre du Roy, Vicomte de Quemper-Guézennec, et Charles Fleuriot, sieur de Kernavalet (en Saint-Clet). Le document original se trouve en possession de M. Yves de Bellaing qui a eu la grande amabilité de me le communiquer. Ce document donne une idée encore assez précise de ce que dut être la fortersse : « Et faict, nous serions en compagnie dudit demandeur et dud de Kmel, son conseil acheminez audit chasteau de Frinaudour distant de la dite ville de Pontrieu environ trois quart de lieue et estant au devant dudit chasteau, nous a ledit demandeur sur le deffaut et non comparution du deffendeur montré et avons vu à la ruine dudit chasteau fossés et douves et quelques logis ruinés ou forme de basse-cour entre le premier et le second fossé, le dict chasteau planté sur une petite colline à la pointe de laquelle passent deux rivières, l'une qui vient de Pontrieu appelée « Trieu » et l'autre « Layn » [Note : Le Leff] venant de Lanvollon lesquelles ripvieres se rencontret à la poinct dud chasteau et le fermet de lad poinct et des seuls costes et ne reste que le derrier dud chasteau qui est tranché comme dicte est d'une large et profond fossé au travers duquel estait le pont-levis pour entrer aud chasteau et avons vu que la mer reflust au pied dud chasteau et jusque près lad ville de Pontrieu, et montez par une petite sente en la court dud chasteau avons veu des deuls costés de lantrée dicelluy deuls grosses tours de taille diz pieds hors fondement et le reste de massonnerye à chau et sable que led seigneur demandeur a dict avoir faict ruisner durant les troubles dernieres pour empescher que les gens de guerre ne sy fusset logés, les dictes deuls tours à présant ruisnées de charpente et couverture ; et au bout de la court dud chasteau vers lad poincte il y a ung retranchement d'environ vingt pieds de laisse et au front deux grosses tours de tailles et au pendant dud chasteau vers lad rivière de Layn avons veu cinq ravelins de pierre de taille en partye ruiné comme sont les murs dud chasteau pour la plus grande partye et ressortis dud chasteau avons veu un grand pourpris vers oriant distant d'icelluy chasteau d'environ une traict d'arc au pendant duquel vers la ripvière de Layn avons veu une fuye bastye de pierre et aux mêmes lieus sont les garines de ladite maison aux advenues de laquelle des deuls costes arrivant aud chasteau avons veu des belle et grandes rabines, de gros et forts vieuls chesnes dont led demandeur nous a requis acte... ».
Aujourd'hui on devine encore le grand fossé d'enceinte et l'entrée marquée de deux pierres, mais tout le promontoire est si embroussaillé qu'il est impossible de reconnaître la moindre trace des tours encore reconnues par le Chevalier de Fréminville et M. Gaultier du Mottay.
La seigneurie de Frinaudour détachée du comté de Penthièvre à l'occasion du mariage de Marguerite de Penthièvre avec Pierre de Kergolay entra dans cette famille en 1137 et y resta jusqu'en 1380 où elle passa alors aux Monfort puis aux Rieux [Note : S. E. — Tome 100 — 1971 — page 48]. C'est en 1554 que Claude de Rieux, Comtesse d'Harcourt, épouse de François de Coligny, chevalier seigneur d'Andelot, prisonnier de guerre au château de Milan, céda à Louis d'Acigné, seigneur de la Balue et de Grandbois, demeurant au château de la Roche-Jagu, dans la paroisse de Ploézal « les chateau, castellenie et seigneuryes de Frinaudour, la ville de Pontrieu, terres et seigneuries de Quemper-Guézennec, Saint-Clezeuf (Saint-Clet), du Faouet, Pommerit-le-Vicomte, Tremerrec et Lann-Maudez et reçoit en retour le manoir noble, pièces et seigneuryes de la Ballue es parouesses de Bazouges-la-Pérouze, Antrain et Noyal... etc. » [Note : A. D. Liasse E 2579].
Cette emprise de la maison d'Acigné sur toutes les terres occupant au bord du Trieux une position stratégique prit fin avec les guerres de la Ligue d'abord, par la destruction et l'abandon de ces places-fortes et finalement par leur dispersion au gré de ventes successives par leur héritier Louis-François Armand du Plessis, duc de Richelieu et pair de France — petit neveu du Cardinal qui vendit en 1736 la seigneurie de Frinaudour au Comte de Langle pour « cent dix mille livres de prix principal, plus dix mille livres de pots de vin » [Note : Archives M. Yves de Bellaing].
A cette date le château est en ruines « à l'exception de quelques autres forteresses (sic) et logements souterrains sur les rivières ». La superficie du château et de ses dépendances était de 200 cordes. En 1774 on cite « la motte » du château de Frinaudour.
CHATEAULIN-SUR-TRIEUX.
Dans la « carte des ports et havres de Bretagne » datant de 1669, Pontrieux y est décrit comme un « havre de barre » (c'est-à-dire qui asseiche d'eau de mer) sur la rivière du Trieux, à deux lieues de la mer entre Saint-Brieuc et Tréguier, capable de contenir des vaisseaux de 20 tonneaux. Des vaisseaux de 100 tonneaux y abordent mais y demeurent à sec.
Entre les deux ports il y a un canal jugé le plus commode de la coste pour une chambre pour les vaisseaux du Roy, de tous ports.
Cet avant-port de Guingamp exigeait une défense qui, au moyen âge était assurée par la forteresse de Châteaulin-sur-Trieux, sur la route et dans la paroisse de Plouec.
La hauteur où elle se trouvait est dévorée chaque jour un peu plus par les pelleteuses d'une carrière.
Les habitants se souviennent d'en avoir vu les ruines au début du siècle lorsqu'ils allaient porter leurs sabots à l'artisan qui y avait élu domicile.
Il y a cent ans, les auteurs des « Anciens évêchés de Bretagne » [Note : « Les anciens évêchés de Bretagne » — Tome 5 — page 232 — bibliographie Luc YBER : « Bréhat, seuil du paradis »] y virent encore « au sommet d'un promontoire deux ravins profonds formant un triangle sur lequel s'inscrit un carré de 40 mètres de côté cantonné de quatre tours aux angles. On n'y découvre pas de traces de réduit, mais l'entrée est dans une tour plus forte que les autres. Elle est elle-même couverte de quatre mantelets... reprise aux Penthièvre et rasée en 1420, elle fut reconstruite puis brûlée en 1489... ».
C'est à Pontrieux que s'arrête le flux et le reflux des eaux marines.
(Nicole Chouteau).
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