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Etude historique de la ville de Vitré et de ses seigneurs.

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En parlant de la Grèce, l'abbé Barthelemi disait, dans son admirable ouvrage où l'érudition la plus profonde est embellie des charmes du style " Vous ne trouverez peut-être pas un peuple, une ville, un temple célèbre, qui n'ait son historien. ", Il en est à peu près de même en Italie.

Assurément, en France nous ne sommes pas aussi avancés. Peu de provinces ont une bonne histoire ; le plus grand nombre des villes n'en a pas du tout.

L'homme de génie qui a réuni tant d'esprit, de raison et de goût à cette érudition judicieuse, profonde, justement vantée par les plus graves historiens de l'Angleterre, Voltaire a dit : " Il est plus difficile aujourd'hui d'écrire l'histoire d'une province, que de compiler toute l'histoire ancienne ". C'est en effet une grande difficulté, dont nous nous sommes convaincus, surtout à Vitré où nul essai, nul travail, nulle esquisse, n'ont été tentés sur son histoire. Animés du désir de nous rendre utile au pays que nous habitons depuis plus de six ans, nous avons dérobé aux délassemens de travaux sérieux et pénibles, les momens dont nous avons pu disposer, et, après avoir créé à Vitré et fait doter une bibliothèque publique, nous nous sommes livrés aux plus fatigantes recherches, pour donner à cette ville, sinon son histoire, du moins un essai sur ses annales et son état actuel. Habitant l'ancien prieuré de ses Bénédictins, il semble qu'à l'imitation des patiens érudits de la congrégation laborieuse de Saint-Maur, nous ayons recueilli, comme leur héritage, le courage des recherches, la patience des examens, et l'ardeur des discussions.

C'est le fruit de ces travaux que nous offrons aux Vitréens, après leur avoir, l'an dernier, fait connaître les rapports de Madame de Sévigné avec leur ville et leur territoire ; après leur avoir créé un journal, propre à répandre d'utiles leçons sur l'agriculture, et à recueillir sur le pays et ses monumens les notions les plus complètes.

A la fin de février 1833, le lendemain de notre arrivée ici, un heureux hasard nous fit découvrir chez un fripier, qui les vendait à la livre, une foule de pièces et de titres précieux que nous avons sauvés d'une imminente destruction. Plusieurs de ces manuscrits nous ont fourni sur l'histoire du pays quelques documens inédits et qui nous ont servi à rendre moins incomplète l'HISTOIRE DE LA VILLE DE VITRÉ : simple essai, travail fort médiocre assurément, mais qui n'a pas exigé une médiocre patience, ni de médiocres veilles.

Tel qu'il est, nous le donnons aux Vitréens comme un témoignage de notre affection pour eux, comme une preuve des efforts que nous n'avons cessé de faire pour leur être utile, comme un gage du moins de notre bonne volonté et du désir que nous avons toujours eu de plaire aux bons esprits et aux honnêtes gens.

Vitré conserverait encore la physionomie triste et sévère du moyen âge, dans un état à peu près complet, si, à l'époque de la renaissance, dans le XVIème siècle, le style italien n'y avait pas introduit quelques façades à colonnes, quelques portes et plusieurs tourelles très jolies et de fort bon goût, et si quelques constructions plus récentes n'avaient encore ajouté à la disparate des bigarrures archiftectoniques. Toutefois ce sont ses vieilles murailles, ses tours et son château, qui font son principal ornement, et qui ont fait dire à M. Victor Hugo (Notre-Dame de Paris : livre III ; chapitre 2) : « C'était un beau tableau que celui qui se déroulait à la fois de toutes parts sous vos yeux ; un spectacle sui generis, dont peuvent aisément se faire une idée ceux de nos lecteurs qui ont eu le bonheur de voir une ville gothique, entière, complète, homogène, comme il en reste encore quelques-unes, Nuremberg en Bavière, Vittoria en Espagne, ou même de plus petits échantillons, pourvu qu'ils soient bien conservés, Vitré en Bretagne, Nordhausen en Prusse ».

M. de Jouy (c'est-à-dire M. Kératri qui lui a fourni les matériaux du tome VI de son Ermite en province) a jugé assez bien la ville de Vitré, quand il a dit qu'il " était un triste chef-lieu " mais qu'il « était dédommagé des horreurs de son intérieur par les beautés du paysage qui l'entoure, et que la perspective dont on jouit principalement de l'ancien et noir couvent des Bénédictins, devenu aujourd'hui le siège de la Sous-Préfecture, etc, est le plus remarquable ».

Assurément la position de Vitré annonce que cette ville est d'une haute antiquité. Il devait être un chef-lieu de quelque peuplade gauloise de l'Armorique, à l'époque des invasions successives des Cimbres ou Kimris [Note : Vers l'an 587 avant l'ére vulgaire], des Romains, des Hommes du Nord (qu'il ne faut pas confondre avec les Normands de Rollon, illustres fondateurs du duché de Normandie), et de ceux des Francs de Clovis, qui osèrent s'aventurer dans les épaisses forêts auxquelles Vitré et la plus grande partie de son territoire dûrent l'avantage d'être long-tems dérobés à l'attaque des étrangers envahisseurs.

Suivant Guillaume Betham , les Celtes et les Gaulois de Jules César descendaient des Phéniciens, et les Cimbres, qui envahirent la Gaule 103 ans [Note : Ce serait une seconde invasion de ces peuples] avant l'ére vulgaire, venaient de la Chersonnèse Cimbrique (les Cimbres du Jutland). Ces peuples, réunis aux aborigènes, composaient, comme dans plusieurs autres parties des Gaules, la population armoricaine que les Romains combattirent et finirent par subjuguer en l'an 50. En s'affermissant dans leur conquête, les Romains vraisemblablement ne tardèrent guères, sous leurs premiers empereurs, à soumettre de proche en proche les contrées les plus difficiles à aborder; et Vitré, comme le reste du pays, finit par être soumis ll devint romain jusque à ce que les Francs, qui brisèrent vers 460 [Note : La Haute Bretagne, qui touchait à la monarchie proprement dite des rois Francs, fut souvent occupée par eux, surtout depuis 691 (Daru ; I; 181)] la puissance de Rome dans les Gaules, fussent venus s'emparer de l'Armorique qui fesait partie de la Troisième Lyonnaise. La contrée Vitréenne se trouvait alors comprise dans le territoire des Rédons ; elle était bordée au nord par les Ambibares (peuples d'Ambrières ), au nord-est par les Diablintes (peuples de Jublains), à l'est par les Aulerces Cénomans (peuples du Maine), au sud-est par les Andes (peuples de l'Anjou), et vers le sud par les Nannetes (peuples de Nantes).

Vers la fin du Vème siècle, Vitré et son territoire appartinrent au royaume des Francs Neustriens : à cette époque, le christianisme, nouvellement introduit dans les Gaules, où il était bien loin encore de régner généralement, avait établi le siège de ses évêchés dans les chefs-lieux des peuplades Gauloises, et Rennes, capitale des Rédons, était devenue celle du diocèse dont Vitré fit partie.

Vers 580, Vitré probablement et le territoire Vitréen eurent beaucoup à souffrir des brigandages et des massacres commis dans les environs de Nantes et de Rennes, par ces Bretons qui changèrent le nom de l'Armorique (Grégoire de Tours : livre V).

Dans le IXème siècle à peu près, la Bretagne se sépara du royaume de France et fit un état à part, qualifié tantôt royaume, tantôt duché. C'était encore l'époque de ces invasions qui, comme à l'ordinaire, arrivent des glaces du Nord pour se rapprocher des doux climats que le soleil favorise. Les Hommes du Nord, qui avaient eu tant à se plaindre de la cruauté de Charlemagne, se ruaient, vengeurs cruels aussi, sur les Gaules mal défendues par ses pusillanimes successeurs. Pour ce qui concerne la Bretagne, on fixe ces irruptions, dévastatrices comme toutes les guerres de ces tems déplorables, aux années 843 ou 845, 847, et vers 853, c'est-à-dire plus d'un demi-siècle avant Rollon, puisque le traité de Saint-Clair sur Epte fat conclu en 912. Toutefois Rollon et ses descendans, auxquels les Rois de France avaient cédé tout ou partie de la Bretagne, s'y établirent rapidement, mais ne s'y maintinrent pas sans contestation. Il y a lieu de croire que Vitré eut sa part des calamités guerrières de ces époques, pendant la longue péripétie de débats entre les ducs Normands et les seigneurs Bretons. L'histoire se tait à cet égard pour ce qui pourrait regarder Vitré.

Au reste, lorsque Guillaume, duc de Normandie, alla en 1066 échanger, dans les plaines anglaises d'Hastings, son surnom de Bâtard dont il ne rougissait pas, contre le titre de conquérant que lui a justement conservé la postérité, il compta dans son armée plusieurs seigneurs Bretons, qui étaient ses vassaux.. Parmi eux le poète normand Wace cite (vers 13604 et 13705) un baron de Vitrie : c'est Robert I, petit-fils de Rivallon.

Guillaume récompensa magnifiquement ses compagnons d'armes, tant les Normands que les Bretons ; mais, sous ses successeurs, ils reconquirent leur indépendance, surtout lorsque les crimes de Jean-sans-terre, meurtrier du jeune Arthur, eurent réduit ce monarque à l'Angleterre.

Après avoir été long-tems gouvernée par des souverains sous divers titres, la Bretagne, surtout depuis ces époques, eut ses Ducs particuliers, indépendans, jusque à ce que le duc Jean V, en 1380, rendit foi et hommage an Roi de France. Un siècle après, le mariage de la duchesse Anne, d'abord en 1491 avec Charles VIII, et ensuite en 1499 avec Louis XII, prépara la réunion. Enfin, en 1524 , François Ier reçut le serment et les hommages de cette province qui fut, en 1532, réunie définitivement à la couronne.

Quoique Vitré ne figure ni sur la carte de Peutinger, ni sur l'itinéraire d'Antonin, il a dit (comme nous l'avons dit) exister sous les Romains qui au reste n'y ont laissé aucunes traces architectoniques de leur séjour, ni aucunes médailles. On a prétendu, sans preuve, que cette ville a porté le nom de Fanum Martis, Temple de Mars ; et que, dans le IIIème siècle, Saint Clair conquit au culte chrétien deux temples païens, dont l'un dédié à Pan existait sur le bord de la Vilaine, où se trouve l'ancien couvent des Augustins, et fut consacré à la Trinité ; et l'autre, voué à Cérès, fut mis sous l'invocation de la Vierge-Marie, et est devenu l'église Notre-Dame, à la même époque, sans doute, où la cime de Mont-Autour était couronnée par un temple où l'on adorait Jupiter. Quelques communes des environs de Vitré rappèlent les noms de plusieurs divinités anciennes, telles que : Essé (d'Esus, dieu gaulois ; d'Aisai, divinités grecques) ; Isé (d'Isis, déesse égyptienne) etc. Suivant Albert Le Grand, on voyait (probablement à l'époque où il publiait sa Vie des Saints de la Bretagne Armorique, en 1637) une rue des Ermites, près de l'église des Augustins ; et le pont antérieur au Bas-Pont, lequel était placé plus haut, s'appelait le Pont-Josse, du nom d'un ancien ermite de ce quartier, vraisemblablement plus solitaire alors qu'il ne l'est devenu depuis.

Quoi qu'il en soit, les anciens noms de Vitré, dans le moyen âge, sont : Vitrœum, Vitriacum, Vitruviacum, et Victoriacum, dont on n'a fait Vitré, au lieu de Vitri, que par la tendance de ce pays à terminer en é les noms auxquels ailleurs on donne un i pour désinence, comme Martigné pour Martigni, Sévigné pour Sévigni, etc.

On remarque en cette contrée, où la civilisation pénètre fort lentement et très tard, que les paysans ont conservé le vêtement signalé par César, il y a dix-huit siècles : pellibus sunt vestiti. Ce sont les peaux de bique, fort laides assurément, mais fort commodes pour mettre à l'abri de la pluie. Les vieillards, dans les communes rurales, portent encore les longs cheveux de la Gallia comata de Pline l'ancien. Les larges culottes se sont éloignées, et Martial ne dirait plus aujourd'hui de cette partie de l'Armorique : Veteres bracchœ Britonis pauperis.

Quant à la langue celtique, elle a, dès la fin du VIIIème siècle, disparu de la Haute Bretagne, où on céda, mieux que dans la Basse Bretagne, à la voix du concile de Reims qui, en 813, déclara barbares, anti-chrétiens, incapables d'occuper des fonctions, ceux qui s'obstineraient à la parler.

Vitré fut d'abord et quelque tems l'apanage des cadets de Bretagne : il était le chef-lieu de la première et plus grande des neuf baronnies de ce duché [Note : Les neuf barons étaient ceux de Fougères, de Penthièvre, de Pont-Château, de Léon, de Vitré, d'Ancenis, de Château-Briant, de la Roche-Bernard, et de Retz. Les baronnies de Vitré et de la Roche-Bernard se trouvèrent dans la suite réunies sur la même tête ...... La baronnie de Château-Briant fut portée par une femme dans la Maison de Laval qui déjà possédait celles de la Roche-Bernard et de Vitré ...... Verse le milieu du XVème siècle, le nombre des barons bretons était réduit à quatre, ceux de Léon, de Vitré, d'Ancenis, et de Retz. Il en fut créé de nouvelles par la suite. Le sire de Vitré occupait la quatrième place des neuf barons, à gauche du duc, aux anciens Etats de Bretagne], qui était divisé en sept principaux sièges de justice. La baronnie de Vitré donnait à ses seigneurs le droit de présider les Etats de la province dans quelque ville qu'ils se tinssent. A la cour de justice, instituée à Rennes par le duc Alain Fergent, au commencement du XIIème siècle, le baron de Vitré siégeait à la gauche du prince.

Cette ville, souvent assiégée, quelquefois prise, eut beaucoup à souffrir des guerres du moyen âge entre ses barons et les ducs de Bretagne. Ses murailles, son château et ses diverses fortifications, succédant à de plus anciennes défenses, furent reconstruites pour la dernière fois en 1422 et probablement terminées en 1448, ou même en 1477, quoi qu'en dise Bertrand d'Argentré (Histoire de Bretagne. 1552. in-folio) qui sans doute n'avait pas remarqué la commission donnée en 1476, laquelle ne fut mise à exécution qu'en 1477 au plus tôt.

Dans une charte de donation faite à l'abbaye de Marmoutier par Robert I, à la fin du XIème siècle ou au commencement du XIIème, on lit la phrase latine suivante qui prouve évidemment que les débris curieux de vieille architecture de la cour du château sont fort antérieurs à cette époque : ce baron donne une terre située au lieu où était autrefois un vieux château (sita juxtà castellum meum vitriacum, in quâ fuit olim vetus castellum). Cette pièce de terre occupait vraisemblablement l'emplacement de la porte du château actuel, les fossés faits depuis, et la cour de la Madelene. Ce sont très vraisemblablement les débris de ce château, déjà vieux vers 1100, détruit alors et qui devait avoir été construit plusieurs siècles auparavant, que l'on voit parfaitement conservés en entrant dans la cour du château, à droite, et qui présentent des arceaux à plein ceintre, formés de claveaux alternatifs de granit gris et de schiste noir [Note : M. Prosper Mérimée nous semble s'être trompé en fixant au XIIème siècle la construction de ces arcades à plein ceintre. Je les crois du Xème siècle au plus tard, époque de l'introduction du régime féodal en France, et de la création de la baronnie de Vitré].

Comme nous l'avons dit, Vitré était un apanage du comté de Rennes, lorsque, vraisemblablement, vers 990, le comte Juhael (appelé aussi Juhel Bérenger) donna Vitré en fief à Martin, son fils puîné. C'est de ce seigneur qu'est descendue la Maison de Vitré, jusque à Philippe ou Philippine, unique héritière de cette baronnie, et qui la fit, en 1239, par son mariage, entrer dans la Maison de Montmorenci-Laval, d'où elle échut en 1412 à celle de Laval-Mont-Fort. C'est de là que la terre de Vitré passa ensuite à la famille des La Tremoille [Note : Cette illustre Maison tirait , dit-elle, son origine d'un Audebert de La Tremoille qui vivait sous Philippe Ier, vers la fin du XIème siècle, et forma , jusque vers la fin du XVIème siècle, une ligne de 22 seigneurs, d'aînés en aînés, sans interruption. Les seigneurs de Laval ne leur cédaient pas en illustration : ils prétendaient descendre de Charlemagne, « c'est à savoir, dit Le Bault, de sa propre sœur germaine »] par la mort, arrivée en décembre 1605, du dernier seigneur de Laval.

Autant qu'il nous a été possible de le faire, nous n'avons rien négligé pour recueillir des renseignemens exacts sur l'histoire fort obscure de Vitré : c'était une entreprise difficile, à cause de l'insuffisance des documens contemporains, et vu le défaut d'accord entre les chroniqueurs. Quoi qu'il en soit, nous allons donner la liste des BARONS DE VITRÉ depuis leur origine jusque à la révolution de 1789. Nous devons faire observer, quoi qu'en ait dit Le Bault (Chronique des Maisons de Vitré et de Laval. 1638. in-f°), que l'histoire des premiers de ces seigneurs est bien loin de présenter toute la certitude qu'il a cru devoir lui accorder.

On peut diviser la liste des barons de Vitré en quatre dynasties : la première appartenant à la Maison de Rennes ou de Bretagne, la deuxième à la Maison de Montmorenci-Laval, la troisième à la Maison de Laval-Mont-Fort, et la quatrième à la Maison de La Tremoille.

 

PREMIÈRE DYNASTIE. — Maison de Rennes.

I. MARTIN, fils puîné de Judael, comte de Rennes, et par conséquent frère de Conan Ier, surnommé le Tort, descendant des Rois de Bretagne, reçut de son père, vers 990, un fief ou apanage composé des seigneuries de Vitré, de Marcillé (qui de Robert Ier ci-après emprunta le nom de Marcillé-Robert), et d'Acigné qui passa à Renaud, troisième fils de Tristan, dont nous allons parler, et fut ainsi séparé de Vitré.

II. RIVALLON ou Ruivallon, fils du précédent. Vers 1036. Albert Le Grand (Vie des Saints de la Bretagne Armorique. 1637. in-4°), ainsi que Le Bault, le désignent comme mari de Génergande (ou Génergaude) la Vicaire, et comme ayant fait venir à Vitré les ermites de la Toussaints qui habitaient la basse ville de Rennes. Génergande leur fit construire un petit monastère au pied de son château, près de l'église de la Trinité, qui devint celle des Augustins. C'est à ce Rivallon qu'on donne ordinairement, comme à sa femme, le titre de Vicaire, qui signifiait vicomte ou lieutenant de comte, c'est-à-dire du comte de Rennes. A cette époque, on signalait parmi les seigneurs du pays ceux de La Guerche, de Martigné-fer-chaud, de Moutiers et de Saint-Melaine-sur-Vilaine.

III. TRISTAN. Le Bault donne pour fils et successeur immédiat à Rivallon un baron Tristan qui « fut débouté de ses terres par Conan, duc de Bretagne » ; qui épousa Inoguen de Fougéres ; qui recouvra Vitré, et qui fut inhumé à Marcillé-Robert dans l'église Saint-Ouen. Je crains bien que Le Bault n'ait confondu ici Tristan avec Robert II, dont nous parlerons plus bas. Je présume que le baron dépossédé par un duc nommé Conan n'est autre que Robert II, expulsé par Conan III en 1135, et qui rentra dans ses états en 1144.

Comme nous n'avons pu découvrir à quelle époque précise et combien de tems ont occupé la baronnie de Vitré les trois premiers seigneurs sur lesquels nous venons de faire connaitre quelques détails, recueillis dans les historiens bretons, nous croyons devoir placer ici les faits suivans : 1034. Le seigneur de Vitré seconda le comte Alain III dans son expédition contre son frère Eudon. - 1047. Ce baron ou son successeur contribue avec un seigneur de Tâlie (Taslé) à la délivrance du jeune Conan II qu'Eudon, son oncle et son tuteur, retenait prisonnier.

IV. ROBERT Ier, fils de Tristan et petit-fils de Rivallon. Robert eut l'honneur de combattre sous les ordres de Guillaume le conquérant, le 14 octobre 1066, à cette bataille d'Hastings qui soumit l'Angleterre aux Normands [Note : Wace cite le sire de Vitrie dans le roman de Rou, vers 13,604 et 13,605. Quelques branches de cette Maison de Vitré ont existé depuis cette époque en Normandie et en Angleterre, où les princes Normands lui donnèrent des domaines, en récompense des services de Robert Ier]. Vers 1070, il fonda à Vitré le prieuré de Sainte-Croix, où il fut inhumé [Note : Le Bault fixe la mort de Robert Ier au 6 des calendes d'août, c'est-à-dire au 27 juillet, sans indication d'année]. Le Bault prétend que ce baron fit, comme croisé, le voyage de Jérusalem, et qu'à son retour il fut arrêté par Gui, seigneur de Laval, qui ne lui rendit la liberté qu'en obtenant la cession de la moitié tant de la forêt que des landes du Pertre, et plusieurs terres à Mondevert et à Bréal [Note : Ces événemens dûrent se passer vers 1100, puisque Jérusalem fut prise le 15 juillet 1099. Ce croisé arrêté par un faux frère rappelle l'histoire de Richard-Cœur-de-Lion, arrêté par le duc d'Autriche à son retour de la troisième croisade]. Devenu époux de Berthe, fille unique de Guérin de Craon, Robert en eut une fille nommée Agnès, à laquelle il donna en dot la seigneurie de Craon, en la mariant à Hugues le Bourguignon. C'est de Robert Ier que sa terre de Marcillé a pris son surnom Son fils aîné lui succéda.

Dès 1051, Robert Ier avait épousé Berthe de Craon. Agnès leur fille, surnommée Domitilla, porte aussi le nom d'Enoguen qui parait un synonyme de celui d'Agnès. Nous avons vu plus haut que Tristan avait pris pour femme Inoguen de Fougères : c'est une de ces variantes si communes dans le moyen âge, où tant de noms furent défigurés par ceux qui les traduisaient : ainsi Odo a fait Odon, Eudes, Eudon, etc.

En 1057, Robert avait, en faveur du dernier, pris parti dans la guerre entre Conan II et son oncle Eudon qui fut fait prisonnier.

De Tristan ou Triscan et d'Inoguen sortirent André qui suit, Robert, Philippe, Inoguen, Gui et Goranton.

V. ANDRE Ier, qui figure dans une ancienne charte, sans date, avec Agnès de Mortain sa femme [Note : Suivant Le Bault, André Ier, après une guerre avec les Normands, avait épousé Agnès, fille de ce Guillaume, comte de Mortain, qui fut privé de son comté après la bataille de Tinchebrai, en 1106], et son fils Elie, mourut en 1135. Ce fut à sa prière que Marhod, évêque de Rennes, remplaça en 1116 les chanoines de Notre-Dame de Vitré, que l'on peignait comme très dissolus, par des moines de l'abbaye de Saint-Melaine lès Rennes qui, si l'on en juge par les désordres de ces tems barbares, ne valaient peut-être pas mieux que ceux dont ils acceptaient la dépouille. Cet arrangement se fit avec l'approbation de Conan III et d'Ermengarde, sa mère. Les anciens chanoines, qui avaient trouvé moyen de reprendre leur église, en furent chassés de nouveau dans le courant de 1132, par Hamelin, évêque de Rennes, lequel s'était pourvu d'un bref du Pape Innocent II.

Il s'agissait toujours de dépouiller les chanoines de Vitré au profit des moines de Saint-Melaine, favorisés par les seigneurs de Rennes.

Au surplus, la fondation du prieuré de Notre-Dame de Vitré [Note : Les Bénédictins de Vitré étaient recteurs primitifs de l'église Notre-Dame] fut confirmée en 1157 par Robert III.

Le Bault assure qu'André Ier fit la guerre ou la soutint contre Alain Fergent, duc de Bretagne : si le fait est exact, ce dut être avant 1112, puisque cet Alain abdiqua dans le cours de cette année.

En 1093, un Hervé fit don au prieuré de Sainte-Croix de quelques droits sur la foire Saint-Blaise de Vitré, et de la coutume du sel (consuetudo salis) sur les Hommes de la paroisse Saint-Martin. Cet acte curieux porte que la donation dont il s'agit fut faite avec le consentement d'André de Vitré. La foire Saint-Blaise dont il est question se tenait dans le Bourg-aux-Moines [Note : Ou faubourg aux Moines. Burgum monachorum sanctœ crucis de Vitreio, ainsi nommé à cause du prieuré de Sainte-Croix. Cette rue porte aujourd'hui le nom de faubourg de Rennes].

VI. ROBERT II, fils du précédent, lui succéda en 1135. Il ne tarda guères à se voir enlever Vitré par Conan III, qui s'en empara par surprise le 13 août de la même année ; c'est ce qu'avance Le Bault ; mais Lobineau, bien plus digne de confiance, assure que dès 1132 (sous André Ier), Conan était maître de Vitré sur lequel les ducs de Bretagne avaient conservé des prétentions.

On pourrait croire que Conan III fut déterminé à cet acte de rigueur contre son vassal par les violences de Robert qui s'était révolté contre André Ier, son père, qu'il avait forcé de se refugier chez les moines de Marmoutier, où il mourut le 10 des calendes de mai (22 avril) sans désignation d'année, mais probablement en 1135. Robert s'était emparé du Bourg-aux-Moines et de l'église Sainte-Croix : il s'était fortifié dans ce faubourg, d'où il tenait son père assiégé dans le Châtelet [Note : Partie du château]. Il paraît que les habitans de Vitré avaient pris parti contre Robert, puisque, après qu'il eut enlevé la ville à son père, ils y appelèrent Conan III auquel ils la livrèrent.

L'expulsion définitive des anciens chanoines de Notre-Dame de Vitré, dans le cours de l'année 1132, fut vraisemblablement dûe à la conquête et à la violence qui la suit, plutôt qu'à cette dissolution qui leur était imputée par ceux qui les dépouillaient et les chassaient.

Robert, poursuivi sans remission par Conan, alla d'abord solliciter un asile chez le baron de Fougères, son cousin, qui fut forcé de le renvoyer. De Fougères, le fougueux Robert fesait de fréquentes et désastreuses incursions sur son ancienne baronnie : il ravageait le Vandelais. C'était un mauvais moyen pour rentrer en grâce auprès de ses sujets et pour fléchir Conan qui devait les protéger, comme seigneur suzerain des barons de Vitré. Chassé de Fougères, Robert se retira momentanément hors des états du duc, à Maïenne chez Juhel : Il lui fallut encore déguerpir, après une entrevue de Juhel avec le duc, sur le sommet de Mont-Autour que Du Paz appelle Montauteu. Alors il chercha une retraite à Laval chez Gui, son cousin-germain [Note : Robert et Gui étaient nés de deux sœurs]. Toujours guerroyant contre ses sujets, Robert ne cessa de ravager leur territoire. Des châteaux de L'Aunai-Villiers et de La Gravelle, il tombait sur eux à l'improviste et leur causait les plus grands dommages. Enfin, rentrant en Bretagne, il trouva asile à La Guerche chez Guillaume de Château-Briant, son gendre, qui en était seigneur.

Pendant cette dernière période de son expulsion, le baron de Vitré se fixa quelque tems à Moutiers-sur-Seiche, où il fut reçu par Geffroi Téhel, son Homme, seigneur de cette commune. Conan était trop acharné à la perte de Robert pour le laisser tranquille à La Guerche, place qui n'est située d'ailleurs qu'à cinq lieues de Vitré : les Bretons marchèrent sur la première de ces villes, mais ils furent complètement battus en 1143, an pont de Visseiche. Geoffroi, comte d'Anjou, cousin-germain de Conan et son allié, accourut pour le seconder contre Robert et ses protecteurs. Le comte était déjà parvenu entre La Celle-Guerchaise et Moutiers, lorsque il apprit que Conan avait été surpris dans son camp et complètement battu ; il prit le parti d'aller le même jour coucher à Vitré, d'où il regagna Angers. Du Paz [Note : Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne. in-fol., 1619] donne au sujet de l'affaire de Visseiche les détails suivans : Robert II et son fils André s'étaient, avec Guillaume de La Guerche, Thébaud de Mathefelon et leurs autres protecteurs, embusqués dans la forêt de La Guerche ; ils en débouchèrent à l'improviste et allèrent tomber à Visseiche sur les troupes de Conan auquel les Angevins n'avaient pas encore eu le tems de se rallier. La victoire de Robert fut complète et lui assura la prochaine rentrée dans ses domaines. Suivant l'historien Morice, quelques Vitréens, qui avaient engagé le duc de Bretagne à s'emparer de leur ville, eurent ensuite des remords de leur conduite et se rendirent à Rome pour obtenir du Pape l'absolution de leur crime de félonie. Ce pape, que les chroniqueurs appèlent Lucius (Luce II), ordonna aux habitans de remettre la ville de Vitré au pouvoir de son légitime seigneur. « C'est, disent ces historiens, ce qu'ils firent par la même ruse dont ils s'étaient servis pour la livrer au duc ». Cet évènement dût avoir lieu en 1144 ou en 1145, puisque Luce n'occupa le trône pontifical que dans le cours de ces deux années. En effet, Le Bault assure que Robert II rentra à Vitré le 2 des nones de décembre (4 décembre) 1144.

Robert II avait épousé Emma de La Guerche, veuve de Juhael de Château-Briant, fille aînée de Gauthier Hay, de laquelle il eut deux fils, André qui mourut le 28 juin 1145, et Robert le jeune qui, sous le titre de Robert III, lui succéda.

Par une bulle d'Eugène III, la collégiale de Notre-Dame de Vitré fut unie à l'abbaye de Saint-Melaine le 8 des ides d'avril ( 6 avril ) 1148.

Les six barons que nous venons de citer offrent une ligne légitime. Il paraît que, par l'effet de l'entreprise de Conan III sur Vitré, et de l'expulsion de Robert II, il s'y établit de fait deux barons, jusque à la rentrée du seigneur dépossédé, lesquels depuis cette reprise de possession s'arrogèrent le titre de Barons de Vitré. Les chroniques désignent ces barons sous les noms de :

Goranton. Les chartes lui donnent pour femme Béatrix, pour frère Goffred ou Geoffroi, et pour fils Hervé et Guitenoc. On lui attribue, en 1164, une donation à l'abbaye de Saint-Sulpice [Note : Abbaye de Bénédictines qui était située près de Rennes. Il y avait aussi une abbaye de Bénédictins de ce nom ; mais elle était placée à Bourges].
Hervé. Il figure, comme fils de Goranton et de Beatrix, avec sa femme Sézilia et son fils nommé aussi Goranton, dans un acte de donation en faveur de l'abbaye de Saint-Florent [Note : Saint-Florent-le-Vieil : abbaye de Bénédictins dans le diocèse d' Angers] à laquelle il céda le péage de tous les objets qui passeraient par Vitré et son territoire [Note : Per castrum vitriacum, sive per castellariam ejusdem castri].

VII. ROBERT III, appelé d'abord Robert le jeu ne pour le distinguer de Robert Ier, désigné par les chroniques comme Robert le vieux. Il épousa d'abord Alix, fille de Henri de Fougères, puis Avice ou Anne, fille de Geffroi II de Château-Briant, seigneur de La Guerche ; puis il divorça sous prétexte de parenté. Il paraît que, ayant été fait prisonnier par Alain de La Roche [Note : Frère d'Eudon, père de Conan III] et conduit à Dinan, il s'y maria en troisièmes noces avec Emma, sœur de Roland, baron de cette ville. D'Emma, appelée quelquefois Anne, il eut cinq fils : André, qui lui succéda, Alain, qui fut seigneur de Dinan, Robert, qui fut chantre de Paris, Josselin, Martin, et une fille, nommée Aliénor, qui épousa Jodoin, fils de Jean de Dol. Tous, excepté Martin, choisirent leur sépulture dans la chapelle Sainte-Catherine de l'abbaye de Savigni.

Ce fut Robert III qui, en 1158, confirma la fondation du prieuré de Sainte-Croix, par une charte passée en présence d'Etienne Ier, évêque de Rennes : acte fort remarquable en ce qu'il détermine l'exercice et les bornes des juridictions, tant des seigneurs que des moines de cette époque. Ce fut le même baron qui, en 1160, le 5 des calendes d'Avril (28 mars) fit, avec sa femme Emma et son fils André le don d'une terre à l'abbaye de Savigni [Note : Il s'agissait de lui assurer Pitancia de pane albo et vino et piscibus in festo sancti Martini hiemali].

Vers cette époque, en 1162 et dans les années suivantes, on vit aux désastres de la guerre, telle qu'on la fesait alors, sanguinaire, impitoyable et destructive [Note : Roger de Hoveden dit que, dans la guerre (qui ravagea la Bretagne en 1198) entre la France et les Bretons unis à Richard Cœur-de-Lion, on démolissait les maisons et on vendait les habitans comme esclaves], succéder une horrible famine qui moissonna près d'un tiers des populations de la Bretagne. De jeunes enfans étaient enlevés pour être dévorés par des hommes que torturait la faim ; quelques-uns même servirent de pâture aux auteurs de leurs jours ; en certains lieux, dit la chronique, de l'église de Rhuis, les cadavres restaient sans sépulture, parce que il ne se trouvait personne pour leur rendre ce dernier devoir.

L'histoire cite les années 1162, 1176, 1221, 1260, etc. comme ayant été plus particulièrement signalées par les plus horribles famines de la Bretagne. Ces calamités sont en général l'effet des longues guerres qui enlèvent à l'agriculture les hommes et les chevaux, ravagent les champs, s'opposent aux moissons, et gaspillent les grains récoltés. Si l'on peut dire : après la guerre vient la famine, on doit ajouter : après la famine, les épidémies et la mort.

Constance, fille du duc Conan IV, à peine âgée de cinq ans, fut fiancée à Geoffroi, troisième fils de Henri II. Ainsi la Bretagne fut mise au pouvoir de l'Angleterre qui, par la suite, fit valoir des prétentions funestes et porta de longues et sanglantes perturbations dans le duché, devenu le théâtre des collisions des Français et des Anglais, entre lesquels les seigneurs bretons se partageaient.

Robert III ne put exécuter le vœu qu'il avait fait d'aller à Jérusalem en 1184, parce que il mourut en son château de Chevré le jour de la Saint-Martin (11 novembre).

VIII. ANDRÉ II. Fils aîné de Robert III et d'Emma de Dinan. Il donna à Sainte-Croix, en 1188 [Note : 1188, « anno quo reges tam Galliœ quam Angliœ cruci dati sunt », dit la charte que nous avons sous les yeux], la dîme de ses revenus à Marcillé-Robert, parmi lesquels sont comptés les droits de moulins, de péage, de marchés, de fêtes, de censive et d'avenage. Dans la charte où ces donations sont stipulées, on voit les noms des frères d'André II : ce sont Alain de Dinan, Robert, chantre de Paris, et Josselin. A cette époque, il dédommagea Champeaux des ravages qu'il y avait commis, probablement lorsque son grand-père était chassé de Vitré.

En 1189, avant de partir pour la troisième Croisade, Richard Cœur-de-Lion envoya des troupes pour enlever André qu'il accusait d'avoir, sinon mis, du moins fortement contribué à mettre en sûreté le jeune et malheureux Arthur de Bretagne [Note : Né posthume le 30 avril 1187 du duc Geoffroi qui était mort le 19 août 1186, Arthur était neveu de Richard Cœur-de Lion, qui vers la fin de ses jours désirait en faire l'héritier de ses vastes états. Jean-sans Terre, oncle aussi d'Arthur, l'égorgea à Rouen le 3 avril 1203. Richard était mort le 6 avril 1199, et Constance en 1201] que ce puissant monarque ne voulait pas laisser à la discrétion des Bretons.

Ce fut l'année suivante, en 1190, que , par une charte datée du 6 de l'octave de l'Assomption (en août 1190), André II fit hommage pour sa baronnie au jeune Arthur, fils de la duchesse Constance, et ne négligea pas de prendre des précautions contre les entreprises que, comme duc de Bretagne, Arthur pourrait tenter contre les barons de Vitré, ses vassaux.

André partit dans le cours de 1190 pour aller rejoindre les Croisés. Pendant son absence, Emma, sa mère, fit plusieurs donations à l'Hôpital et Confrérie de Saint-Nicolas, de Vitré [Note : Ces dons sont rapportés dans une charte (en 1205) souscrite par André II, par son frère Robert, chantre de l'église de Paris, et par Emma, leur mère. L'hospice Saint-Nicolas, au bas du Rachat, s'appelait anciennement la Chapelle et Maison-Dieu Saint-Nicolas].

Parmi les seigneurs bretons qui luttèrent glorieusement en 1197 contre les Anglais pour la délivrance de la duchesse Constance, on remarquait le baron de Vitré. On sait que cette généreuse princesse, la première qui en Bretagne ait gouverné par elle-même, avait été traîtreusement enlevée vers Pont-Orson, et enfermée d'abord au château de Saint-James-de-Beuvron [Note : Sanctus Jacobus de Beverun ou Bevrun, qu'on a eu tort de traduire par Saint Jacques et même par Saint Jean de Beuveron. Ce bourg, situé dans le département de la Manche, arrondissement de Mortain, porte le nom de Saint-James-de-Beuvron, ou, comme on dit dans le pays, Saint-James. C'est le mot Anglais qui a prévalu. Il ne faut pas confondre ce Beuvron avec le Beuvron du Calvados]. Le Bault raconte que, vers 1196, Richard Cœur-de-Lion, qui n'avait pas long-tems gardé pour Arthur les bonnes dispositions qu'il lui avait d'abord témoignées, et qu'il lui rendit plus tard, entra en Bretagne pour s'emparer du duché que convoitaient également la France et l'Angleterre. Afin d'éviter le sort de sa mère, détenue alors chez Hascot de Retz, le jeune prince s'enfuit à Vitré. André le tint soigneusement caché et le fit passer en France auprès de Philippe-Auguste ; mais, après une guerre sanglante, ayant donné sa propre fille Emma pour otage, il obtint la liberté de Constance qui sortit de prison en 1197 et reprit le gouvernement de la Bretagne. Long-tems obligé de fuir devant le vainqueur et de se refugier en Basse-Bretagne, André rentra enfin dans sa baronnie. Constance, reconnaissante des bons offices du baron de Vitré, renonça, d'accord avec Arthur, aux prétentions que leurs prédécesseurs avaient conservés sur son fief : la charte qui stipula cet arrangement fut signée à Ploermel , en présence de Guillaume, évêque de Vannes, de Pierre, évêque de Saint-Malo, et de Geffroi II sire de Château-Briant. On peut fixer la date de cet acte à l'année 1197, époque à laquelle Guillaume et Pierre occupaient leur siège épiscopal. Lorsque Constance eut épousé Gui de Thouars en 1198, André fit hommage à ce seigneur devenu son suzerain.

En 1198, le 14 des calendes de juillet (le 18 juin ), il fut, après de longues dissertions, contracté un accord important entre le baron de Vitré et Guillaume II sire de La Guerche, relativement aux services militaires que ce dernier devait à André. Dans la confirmation de cet accord par la duchesse Constance, le 4 des calendes de juillet (le 28 juin) 1199, on remarque que Rétiers était terre lige de Vitré, que cependant les appels de Rétiers devaient être relevés d'abord à La Guerche, puis de La Guerche à Vitré, et que le seigneur de Rétiers servait à l'armée celui des deux seigneurs de ces villes qui le premier l'aurait mandé.

Après la mort de Richard Cœur-de-Lion, arrivée en 1199, André rentra en campagne pour protéger les intérêts d'Arthur refugié à la cour de France, comme nous avons dit plus haut : pour prix de cette assistance persévérante il reçut la terre de Langeais que, après la mort du jeune duc, assassiné en 1203, il échangea vers 1206 avec Philippe-Auguste pour quelques seigneuries, telles que Guérande en Bretagne [Note : André fit cette même année 1206, avec F. du Pont, le partage de la terre de Guérande que le Roi de France leur avait donnée], et en Normandie S.-Sever, près de Vire. A cette époque, Philippe-Auguste ayant conquis la Normandie sur Jean-sans-Terre, la Bretagne ne releva plus de l'Angleterre, car, comme dit Daru (Histoire de Bretagne. 1826. 3 volumes in-8°), « la Normandie cessant d'appartenir à un prince étranger, la mouvance directe de la Bretagne revenait à la France, après 300 ans d'aliénation » opérée par le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 912.

Dans une Charte datée de Châtillon-en-Vandelais, au mois de mai 1208 (le jour de l'Ascension), André II cite son aïeul Robert : c'est Robert II dont nous avons parlé n° VI. Par cet acte il donne aux Cisterciens de Fontaine-Daniel la dîme de ses moulins de Châtillon (Chastelun) pour le salut de son âme et de celle de ses parens.

André fonda le 7 décembre 1209 dans la cour basse de son château de Vitré la collégiale de la Madelene, composée de neuf chanoines ou chapelains. Cette fondation, dont Lobineau a conservé la charte, est aussi un acte pieux pour le repos de l'âme du fondateur et de celle de son frère Robert, ci-devant chantre de l'église de Paris [Note : Ce Robert mourut à Vitré en 1210 et fut inhumé dans le chœur de l'église de la Madelene], de celle de feue Eustacie, sa femme, et d'Anne ou Emma de Dinan, sa mère. On y spécifie le consentement de sa fille Emma et de son fils André qui lui succéda immédiatement. L'année suivante, le 1er juillet 1210, André II fit confirmer la fondation de la Madelene par Pierre, évêque de Rennes, et ensuite à Tours par l'archevêque, comme il passait par ces villes pour rejolindre les croisés qui marchaient contre les infortunés Albigeois suivant Le Bault, André quitta Vitré le jour de la Sainte-Catherine (le 25 novembre) : il laissa la garde de ses enfans à Nicolas de Coêmes et à Gui le Breton ; tous deux Chevaliers, et assigna pour douaire à Luce, sa femme, la vicomté de Bais, Cornillé, Torcé, Vergeal, Etrelles, Argentré, etc.

Ce fut également en 1210 que l'abbaye de Saint-Melaine fit une donation en faveur du chapitre de la Madelene [Note : Voir Fondation de l'église collégiale de La Madelene de Vitré, avec des remarques sur les endroits les plus notables et l'ordre de la même église : tiré des statuts dressés en 1479 et 1570, ( par Hévin). Rennes, Champion 1683, in-folio].

Par une charte de 1212, datée de Nantes, Gui de Thouars donna à André II, avec la main de Catherine, sa fille, la forêt de Rennes, « sicut continetur a quercu apodiatâ usque ad molendinum Horrici, cum omnibus pertinentus illius forestœ et landis, videlicet Altam Sylvain et Lelu et Lelimignon et Savaille... de quibus contentio fuerat inter comites Britanniœ et dominos Vitreienses. ». Cette donation fut confirmée par Aaliz, fille de Gui de Thouars. Pierre Ier, duc de Bretagne, fit, en 1222, avec André III un échange de ces bois pour d'autres objets : échange qu'il ne faut pas confondre avec celui que les mêmes princes firent à Crêpi en 1227.

Dans le courant de 1220, André fit don de cent sous de rente aux pauvres de l'hôpital Saint-Nicolas, à prendre sur le minage de Vitré.

André II avait épousé d'abord Mathilde, fille de Geoffroi de Maïenne et de Constance de Bretagne, d'avec laquelle il divorça à son retour de la Palestine ; puis Guen de Léon, qui ne vécut que peu de tems ; puis Eustacie de Retz, le 5 mars 1180 ; et enfin Luce, fille de Foulques Painel, seigneur de Hambie, en Normandie.

Il paraît certain qu'André II mourut en 1221.

IX. ANDRÉ III, fils du précédent et d'Eustacie, succéda en 1221 à son père André II. En 1222, il combattit avec le duc Pierre de Dreux contre Maurice de Craon et fit beaucoup de prisonniers qui furent renfermés dans le Château de Vitré.

Il assista en 1225, la veille de la Pentecôte, avec Goranton de Vitré, Pierre de Cornillé et plusieurs autres seigneurs de sa baronnie, à l’assemblée de la noblesse bretonne qui se tint à Nantes.

Parti en 1226 pour le voyage de Saint-Jacques de Compostelle, il laissa en garde au duc Pierre sa baronnie et sa femme. Il se trouvait cette même année à la troisième des croisades contre les Albigeois, avec ce duc dont on vante avec raison l'opposition généreuse « au massacre de la garnison de Marmande qui s'était rendue à discrétion, et que l'évêque de Saintes voulait faire passer au fil de l'épée » (Daru : Histoire de Bretagne , tome II ; page 13).

Par une charte de 1229, André transféra l'Hôpital Saint-Nicolas dans le faubonrg du Rachat, à cause de l'établissement de fossés que l'on creusa autour de la ville ; il donna à cet hospice divers droits sur les places de Vitré. J'ignore si ce fut pour cette translation, à l'occasion de laquelle il négligea peut-être quelques formalités, que, dans le cours de cette année, il fut frappé d'une de ces excommunications que l'on prodiguait alors avec plus de fréquence que de discernement.

Au mois de juin 1230, il rendit hommage-lige à Louis IX (qui se trouvait au camp devant Ancenis) pour la baronnie de Vitré, qualifiée arrière-fief de la couronne. Dans une de ces recrudescences féroces de fanatisme qui sévissait si souvent pendant le moyen-âge, les Juifs furent à leur tour, en 1235, l'obiet d'une croisade où plusieurs milliers de ces infortunés furent massacrés sans pitié comme sans distinction de sexe ni d'âge : les seigneurs bretons, dit un historien digne de foi, y signalèrent leur zèle. Toutefois le duc Pierre de Dreux fut assez humain pour n'y prendre aucune part ; mais son successeur, Jean Ier, eut en 1240 [Note : Le samedi saint 1239, vieux style] la barbarie de les bannir à perpétuité, d'annuler leurs créances, et même de proclamer que nul ne serait recherché pour leur mort : c'était une prime séduisante offerte au meurtre et au vol.

En 1237, dans le courant de juin, le baron de Vitré fit avec le duc de Bretagne [Note : Le Bault parle d'un traité fait entre les mêmes seigneurs en novembre 1237, après lequel ils convinrent de se croiser pour aller secourir Jérusalem] un accord à Crêpi, portant exemption de tous droits de bail, de rachat, et de garde en faveur de sa baronnie [Note : Nous croyons devoir citer ici un passage important de l'Histoire de Bretagne par Daru : «  Un usage avait passé d'Angleterre en Bretagne. Lorsque un fief tombait en minorité, le seigneur de qui ce fief relevait en prenait l'administration et s'en réservait la jouissance. La loi en Bretagne était formellement contraire à cette coutume : l'article 3 des réglemens faits dans l'Assise du comte Geoffroi, attribuait ce droit d'administrer les biens des mineurs à l'oncle paternel ou, à défaut d'oncle paternel, au tuteur désigné par le père ; mais, comme ce choix devait être soumis à l'approbation du seigneur, les barons s'emparèrent de la régie des biens sous prétexte de pourvoir au service militaire dû par le fief, et ils jouissaient du revenu sans assurer ce service, sans acquitter les dettes du précédent propriétaire, sans même faire donner une éducation convenable au mineur possesseur actuel. Ce droit odieux, qu'on appelait Droit de Bail, fut aboli par Jean le Roux, et remplacé par le Droit de Rachat, c'est-à-dire par l'abandon d'une année de revenu ». Il est à remarquer que, suivant Lobineau, Livre 22, on trouve en effet des exemples de Rachat dies 1237].

Il est encore question d'André III dans une donation que, en juillet 1239, il fit d'un champ nommé Guorantou. Cette même année vraisemblablement, André fit hommage au duc de Bretagne, sous la réserve de la permission du Roi de France, dont les droits sur le duché n'étaient pas contestables, quoi qu'en ait dit d'Argentré et quelques autres écrivains.

Croisé avec Louis IX et Pierre de Dreux, André se trouva en 1249 à Damiette, pendant la cinquième croisade contre les Sarrasins. Avant son départ, il avait fait des dispositions de famille, le mercredi précédant la Saint-Jean-Baptiste de l'année 1248 ; il en fit de nouvelles, le dimanche après la Saint-Martin de l'année suivante (1249), en faveur de ses enfans et de sa femme Thomase, à laquelle il donna pour douaire Châtillon-en-Vaudelais.

André avait eu pour première femme Catherine, fille de Gui de Thouars, duc de Bretagne ; il la perdit en 1237, et dans le courant de janvier 1240 il épousa Thomase de de Mathefélon, fille de Geffroi de Pouancé, seigneur de La Guerche : union à laquelle assistèrent les évêques de Rennes et de Dol. Il avait marié Philippe, sa fille aînée, à Gui de Laval, et lui avait donné en dot ce qui lui appartenait encore au Pertre, à Bréal et à Mondevert.

Pendant la croisade d'Egypte, André fut tué à la funeste bataille de la Mansourah, le 8 février 1250.

 

DEUXIÈME DYNASTIE. — Maison de Montmorenci-Laval.

Là seigneurie de Laval était passée dans la Maison de Montmorenci par le mariage de Mathieu Montmorenci qui en secondes noces avait épousé Emma de Laval.

PHILIPPE (ou Philippine, comme nous dirions aujourd'hui), dame de Vitré et de Châtillon-en-Vandelais, était fille d'André III qui l'avait eue de son mariage avec Catherine de Thouars, sa première femme. Elle porta la baronnie de Vitré dans la Maison de Montmorenci-Laval par son mariage, conclu en 1239, avec Gui VII, fils de Mathieu II de Montmorenci, connétable de France, et d'Emma, fille de Robert III, comte d'Alençon. Philippe mourut entre les mains des médecins à Paris le 16 septembre 1254.

X. GUI I (VII de Montmorenci-Laval). Devenu baron de Vitré eu 1250, il reconnut, au commencement de janvier 1256, le jeudi après l'Epiphanie, devoir 54 livres et demie de monnaie courante à Guillaume Lambert, bourgeois de La Haie, pour pertes et dépenses à payer le jour de la foire de St-Florent de Saumur. A cet effet il engagea ses biens tant meubles qu'immeubles, et renonça à se prévaloir des privilèges accordés ou à accorder aux croisés de différer le paîment de leurs dettes. Dans le cours de 1258, Gui et les seigneurs de La Guerche (Geffroi II), de Château-Giron et d'Aubigné, comme barons feudataires de l'évêché de Rennes, portèrent en pompe, assis dans sa chaire, l'évêque Gilles I, depuis l'abbaye de Saint-Melaine jusque à sa cathédrale.

Le Bault place la mort de Gui I en 1268.

XI. GUI II (VIII de M-L). Fils aîné du précédent. Le Bault l'appèle Guyonnet, nom qu'il portait vraisemblablement du vivant de son père. Après avoir suivi en Sicile Charles d'Anjou dans le courant de 1265, Gui II, devenu baron de Vitré, se croisa en 1269 pour l'expédition malheureuse de Tunis, où mourut Louis IX le 25 août 1270.

Deux ans après son retour, Gui perdit en 1272 sa femme Isabeau de Beaumont, et suivit Philippele-le-Hardi dans la guerre de Foix; ensuite, en 1283, il marcha, avec ses vassaux, sous les ordres de Charles d'Anjou, contre Pierre III, roi d'Aragon.

Ce fut Gui II qui, au mois de juillet 128…., afféagea à Jean Goupil les moulins du Pont-Rioul, faits et à faire, sur la rivière de Vilaine (Villeine, moyennant cinq sous de rente.

On cite dans ses domaines le château et la châtellenie de Châtillon-en-Vandelais, la châtellenie d'Olivet, le Breil de Misedon [Note : Les bois de. Misdon, dans le département de la Maïenne (Mayenne), à peu de distance de l'arrondissement de Vitré. ainsi qu'Olivet où l'on exploite les forges du Port-Brillet].

D'après les Hosts du duc de Bretagne Jean II tenus à Ploermel en 1294, le jeudi après l'Assomption (dans le mois d'août), Gui II reconnut devoir à l'armée du duc cinq hommes-d'armes pour ses terres d'Aubigné, de Martigné, de Coêmes et de Rétiers. L'Homme ou chevalier de ce dernier fief devait se rendre aux ordres du baron de Vitré, si celui-ci l'appelait le premier, sinon il devait obtempérer à l'appel du sire de La Guerche, si cet appel précédait : c'est ce que nous avons déjà vu.

En 1295, Gui fit, avec le roi Philippe-le-Bel, la guerre en Gascogne contre les Anglais. Ce fut durant cette guerre que Gui II mourut à l'Ile-en-Jourdain, le lundi après l'Assomption, en 1295.

Il fut marié 1° avec Isabeau de Beaumont, fille unique de Guillaume de Beaumont-le-Vicomte [Note : Sur la Sarthe : département de la Sarthe], comte de Caserte dans le royaume de Naples ; 2° avec Jeanne de Brienne, fille de Jean de Brienne qui porta quelque tems le titre d'empereur de Constantinople. Gui II eut plusieurs enfans de cette princesse.

XII. Gui III (IX de M-L). Fils de Gui II et d'Isabeau de Beaumont, sa première femme. En 1302, il accompagna Philippe-le-Bel dans son expédition de Flandre, et en 1304 il combattit à la bataille de Mons-en-Puelle. C'est ce baron qui portait le nom de La Croix-Dé (La Croix de Dieu), parce que tel était son serment habituel. De son tems, en 1309. [Note : La première tenue des Etats de la Bretagne fût convoquée à Lamballe en 1205 par Gui de Thouars], aux Etats tenus à Ploermel, les roturiers parurent pour la première fois. Il mourut dans son manoir de Landavran [Note : Landavran, commune de l'arrondissement de Vitré, et non Landauran ou Landauren comme on le trouve écrit mat à propos par quelques auteurs trompés par la vieille orthographe qui confondait l'u avec le v] en 1333. Il avait épousé Béatrix de Gavre, dont il eut :

XIII GUI IV (X de M-L), fils aîné du précédent, comte de Caserte, comme ses deux prédécesseurs. Il eut de Béatrix de Bretagne (fille d'Arthur II), qu'il avait épousée en 1315, Gui V, dont nous allons parler.

Gui IV avait, en 1340, suivi Arthur dans le voyage qu'il fit avec l'armée de Philippe de Valois pour secourir Tournai. En 1341, pendant la guerre de succession entre Jean de Mont-Fort [Note : Cette baronnie est Mont-Fort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine)] et Charles de Blois, Gui IV rendit hommage à ce dernier qui était maître de Rennes. Les barons de Vitré cessèrent peu d'être engages dans les vingt-trois années de guerres que fit naître cette question d'ordre politique. Le 20 juin 1347, il mourut des suites de la blessure qu'il avait reçue la veille, au combat de la Roche-Dérien : Cette date est confirmée par une pierre tumulaire qui provient de la collégiale de la Madelene, où il fut inhumé.

XIV. GUI V (XI de M-L.). Fils du précédent, il fut fait prisonnier au même combat où son père perdit la vie. Il fit, en 1348, délivrer par le Château de Vitré à Jean de La Courbe, prieur de Saint-Nicolas, la dîme des grains consommés dans sa maison. La Chesnaie Desbois, d'accord avec Le Bault [Note : Le Bault dit expressément que Gui V mourut au château de Vitré le jour de la Saint-Maurice (22 septembre), et qu'il fut inhumé à la Madelene], prétend que sa mort eut lieu dès 1348, et qu'il ne laissa pas d'enfans de sa femme Isabeau de Craon qu'il avait épousée en 1358 (le jeudi après la mi-carême).

XV. GUI VI ( XII de M-L). Frère du précédent, il lui succéda en 1348. En 1350, un Guillaume Louvel s'opposa à l'inhumation, dans l'église Notre-Dame, d'un seigneur qui ne lui avait rien légué. Sa mère, Béatrix de Bretagne [Note : Cette princesse mourut en 1384, le vendredi après la Conception (après le 8 décembre)], lui transporta, le 4 février 1361, les 2,000 livres de rente qui lui appartenaient sur les recettes des foires de Champagne : rente que, le 12 février 1364, il céda à Olivier de Clisson, en sa qualité de mari de Béatrix de Laval, sœur de Gui, et dont la donation fut confirmée par lui et sa mère le 6 janvier 1365. Il avait traité avec sa belle-sœur (Isabelle de Craon) de son douaire pour les terres d'Aquigni et de Crèvecœur en Normandie.

Le 9 mai 1363, Gui VI, assisté d'un grand nombre de seigneurs, consentit à ce que les ermites de l’ordre de Saint-Augustin demeurassent à perpétuité à Guinefolle, dans le faubourg de Vitré, et y possédassent des maisons, des jardins et d'autres propriétés. Cette même année [Note : Ce dut être plus tard, quoi qu'en dise Le Bault. Jean V regnait encore, et Charles V ne monta sur le trône de France que le 8 avril 1364], Gui VI se rendit avec plusieurs barons bretons auprès de Charles VI qui les avait appelés et désirait opérer la réunion de la Bretagne à la couronne ; Gui défendit l'indépendance de son pays, et la réunion fut ajournée.

Enfin, le 11 avril 1365, le traité de Guérande, en assurant la Bretagne aux Mont-Fort, mit un terme à la guerre civile, à plus de vingt années de massacres et d'horreurs de toute espèce.

Probablement ce fut lui (quoique appelé Guillaume de Vitré) qui se trouva à Dun-le-Roi le 1er juin 1380, à la Montre de Geoffroi de Parthenai. Après le décès de son frère, Gui V, il fut gouverneur de Bretagne, en l'absence du duc Jean V, et contribua puissamment, en 1380, à la reconciliation qui s'opéra entre ce duc et le Roi de France, Charles V. Toutefois, pour éviter, dans ces circonstances délicates, de prendre parti entre son cousin-germain, Jean de Mont-Fort, et Charles de Blois, son compétiteur à la couronne ducale de Bretagne, Gui VI avait passé plusieurs années en Gascogne, sur les terres de sa femme, Louise de Château-Briant, d'où il ne perdit pas l'occasion de faire la guerre aux Anglais. Il figure dans trois chartes en faveur de l'hospice Saint-Nicolas qui, dans ce siècle comme dans le précédent, reçut beaucoup de bienfaits des seigneurs de Vitré : en 1384, pour la réunion à la chapellenie d'une messe fondée en 1193 et de revenus qui y étaient attachés, à la charge imposée au prieur de confesser les malades et de pourvoir à leur sépulture ; en 1385, pour faire délivrer de la forêt de Vitré du bois mort à ce prieur, qui est encore Jean de La Courbe ; et en 1387, pour la délivrance au même ecclésiastique de la dîme des pains dépensés au château [Note : La dîme en 1486 présente le résultat suivant : charge de 500 pains sur 2,487 pains de bouche ; 8,295 pains d'écurie ; 17,770 pains de seigle]. Ce fut au mois de juin 1387 que Gui VI qui se trouvait au château de l'Hermine, près de Vannes, avec son beau-frère le connétable de Clisson, vit arrêter traîtreusement ce grand capitaine par le duc de Bretagne Jean V, qui voulait le faire périr. Gui fit de vains efforts pour sauver Clisson qui le fut ensuite par une ruse de Bazvalen, gouverneur du château.

On voit encore Gui VI, le 26 février 1396, figurer parmi les barons dans l'acte d'assignation de douaire faite à Jeanne de Navarre, duchesse de Bretagne.

Ce fut dans le cours de 1398 qu'un bourgeois de Vitré, nommé Pierre Pilet, accusa Guillaume, seigneur de Marcillé-Robert, d'avoir fait tuer par ses fils un des parens de l'accusateur. Il échéait gage de bataille : il fut jeté par Pilet. Malgré l'édit de 1306 qui enfin défendit les duels juridiques, le sire de Laval accorda la permission de combattre. Comme Guillaume fit valoir son âge avancé [Note : Il suffisait d'avoir 40 ans pour être dispensé du duel personnel], il obtint la faculté de se faire remplacer par le bâtard du Plessis qui tua Pierre Pilet : ce qui ne prouve pas qu'il eut tort, mais c'était encore la justice du tems, jusque à ce qu'on eût aboli les jugemens de Dieu qui n'étaient, comme les autres duels, que les arrêts du plus aveugle hasard [Note : Le fameux duel juridique de Le Gris et de Carrouges avait eu lieu à Paris le 22 décembre 1387. L'innocent (c'était Le Gris) avait succombé ; je crains bien que le vaincu de 1398 ne fut aussi l'innocent].

Les comtes d'Alençon et de Laval transigèrent le 1er mars 1400 au sujet de la mouvance d'une partie du Vandelais, dont Jean de Laval avait été seigneur, et dont Gui VI était héritier du chef de Jeanne de Laval, sa dernière femme.

Ce fut en 1408 que Jean VI, duc de Bretagne, prit sous sa protection les Augustins de Vitré.

Gui VI avait épousé Louise de Château-Briant qui mourut en 1383, le vendredi avant la Saint-André (à la fin de novembre). Le 28 mai suivant, il se remaria à Jeanne de Laval, sa cousine, fille de Jean de Laval [Note :  Jean de Laval mourut eu 1398. Il était fils d'André de Laval, grand-oncle de Gui VII], seigneur de Châtillon-en-Vandelais, laquelle était veuve du célèbre connétable du Guesclin.

De Gui VI et de Jeanne de Laval sortirent deux enfans : 1° Gui, qui mourut [Note : Voici ce qu'on lit à ce sujet dans la Chronique de Le Bault, page 66 : « Le 25 mars 1403, Gui de Laval, fils de Gui XII, fut ensépulturé, auquel an advint que le dit Gui, ainsi qu'il s’esbattoit au jeu de paulme avec les nobles jouvenceaulx de son aage, comme il entendoit seulement à son jeu, en reculant pour cuider retourner son esteuf, il tumba à la renverse dedans un puits sans marjelle ... il ne vesquit que huit jours après »] le 23 mars 1403, lorsque il venait d'être fiancé à Catherine, fille de Pierre II, duc d'Alençon ; 2° Anne qui, le 22 janvier 1404, épousa Jean de Mont-Fort au château de Vitré, en présence du duc de Bretagne.

Gui VI mourut le lundi 24 avril 1412. On le surnomma Si Dieu me doint (donne) bonne vie, parce que tel était son serment.

 

TROISIÈME DYNASTIE. — Maison de Laval-Mont-Fort.

XVI. GUI VII (XIII de M-L). Jean de Mont-Fort-sur-Meu, seigneur de Kergorlai, avait épousé Anne de Laval, à la condition expresse qn'il prendrait les armes pleines de Laval (brisées de cinq coquilles sur la croix). Les deux époux descendaient de Gui III (IX de M-L) : Anne, à la troisième génération ; Jean à la cinquième. Ce Jean de Mont-Fort s'appela Gui, comme les précédents seigneurs de Laval [Note : Par concession des papes Urbain II et Pascal, II vers 1100, confirmée par le roi Philippe Ier, tous les aînés de la Maison de Laval portèrent le nom de Gui]. Il fit le voyage de Rome et de Jérusalem. A son retour il mourut en 1415, à Rhodes où il fut inhumé. D'Anne de Laval il eut pour enfans : 1° Gui VIII, 2° André de Lohéac, amiral et maréchal de France, et 3° Louis, seigneur de Châtillon-en-Vandelais, grand-maître des eaux-et-forêts, qui obtint de grands gouvernemens. Gui VII mourut dans l'année déplorable où la France perdit, le 25 octobre, contre les Anglais cette bataille d'Azincourt dont les suites furent si désastreuses, et à la suite de laquelle 30,000 familles se refugièrent de la Normandie en Bretagne, où leur industrie fonda quelques manufactures. Ce tems fut fécond en événemens calamiteux, parmi lesquels on remarqua (en 1418) le massacre des Armagnacs par la faction de Bourgogne : égorgement de 4,000 citoyens en trois jours, où l'on vit des enfans portés au bout des piques, des femmes violées et tues, et de grands seigneurs marchant à la tête de bourreaux, plus cruels et plus nombrenx que ceux du 2 septembre 1792.

XVII. GUI VIII (XIV de M-L). Fils aîné dit précédent. Il figura, le premier après le vicomte de Rohan, sur les lettres de l'union arrêtée à Vannes, le 16 octobre 1420, contre les Penthièvre.

En- 1423, les Anglais furent battus à La Gravelle. André de Laval, frère de Gui VIII, et qui fut si honorablement connu sons le nom de maréchal de Lohéac, fit ses premières armes dans ce combat.

En 1428, époque affreuse où la France était dévastée par les Anglais, ceux-ci ayant commis beaucoup de désordres dans la baronnie de Vitré, le duc de Bretagne, Jean VI, chargea deux de ses conseillers d'obtenir réparation du dommage commis ; il envoya en outre le comte d'Etampes vers le connétable de Richemont. Talbot, qui était au Mans, accorda une trève de plusieurs mois pour Laval et Vitré qui en avaient un pressant besoin, et sur le territoire desquels le ravage fut quelque tems interrompu. L'année suivante, le 8 juin 1429, Gui VIII et son frère, André de Lohéac, écrivirent à leur mère une lettre fort curieuse que nous donnerons dans les Piéces Justificatives de cette Histoire. On y voit qu'ils s'étaient rendus auprès de Charles VII qui était alors à Chinon où la Pucelle se trouvait, après avoir délivré Orléans, prête à faire sacrer à Reims le Roi qui le fut le 17 da mois suivant. Le duc Jean VI appela de Domfront, en 1431, le sire de Scales qui lui amena quelques troupes dont le sire de Coetquen fit la revue à Vitré.

Gui VIII fit ériger la seigneurie de Laval en comté par le Roi de France Charles VII, le 17 juillet 1429. (La Chesnaye Desbois dit que ce fut le 27 juillet 1427 : c'est une erreur). Les calamités du pays ne firent que s'accroître, quoique en 1434 la ville fut protégée coutre les Anglais par les troupes du comte de Laval.

Anne de Vitré, devenue veuve en 1415, continua d'administrer la baronnie, pendant quelques années, parce que elle s'était réservée la jouissance de ses terres tant qu'elle vivrait. Elle fit, au moyen de l'octroi établi par son ordonnance du 5 décembre 1444 [Note : Le droit d'octroi était de deux sous sur les draps de Normandie et d'Angleterre et autres objets vendus en gros et en détail à Vitré], réparer les fortifications de cette ville, dont le travail, commencé en 1448, n'eut véritablement lieu que plus de trente ans après.

Pendant son veuvage, elle eut de vices et longues altercations avec le fougueux Jacques d'Epinai, évêque de Rennes. Ce prélat arrogant et hargneux, dont le duc de Bretagne, Pierre II, eut aussi à se plaindre, était accusé d'avoir participé à l'assassinat du prince Gilles, frère du duc. Voici ce qu'on lit au sujet de l'évêque dans un historien digne de foi (Dom Morice) : « A l'entrée des évêques de Rennes, les seigneurs de Vitré avaient le droit de porter un des bras de la chaise du prélat ; en récompense de ce service, le cheval que l'évêque montait ce jour là leur appartenait. .. A l'entrée de Jacques d'Epinai, la comtesse et son fils, ne pouvant remplir par leurs mains leurs obligations, avaient chargé quelques gentilshommes de leur procuration. Le prélat, qui n'aimait pas la Maison de Laval, saisit cette occasion de molester la comtesse, il retint le cheval, fit chasser les procureurs et les excommunia. Il fit saisir un des officiers de justice du comte et un de ses vassaux et les fit mettre en prison, et fit maltraiter le vassal parce que il avait tenté de s'échapper de son cachot : ses blessures étaient dangereuses et exigeaient les secours d'un chirurgien. L'évêque inhumain refusa l'entrée pour panser le blessé. Une autre fois, il fit refuser la sépulture à un autre vassal de la comtesse qui avait été tué ..... Le pape ordonna que, durant l'épiscopat de Jacques d'Epinai, la comtesse, son fils, leurs officiers et leurs vassaux ne reconnaîtraient d'autre jurisdiction spirituelle que celle de l'archevêque de Tours ».

Revenons à Gui VIII : très jeune il avait, le 17 mars 1420, épousé Marguerite, fille puînée de Jean VI, duc de Bretagne, et de Jeanne de France, laquelle mourut avant la consommation du mariage, au mois de juin de la même année, et qui fut inhumée à la Madelene. Fidèle aux conventions arrêtées, le duc donna au jeune Gui la main d'Isabeau, sa fille aînée, le 1er octobre 1430. C'est de ce dernier mariage que sortirent 1° François de Laval, né à Montcontour le 16 novembre 1435, et qui devint Gui IX ; 2° Jean de Laval, né en 1436, dont le fils, Nicolas de Laval, fut Gui X ; 3° Pierre, né le 17 juillet 1442. Isabeau mourut à Aurai le 14 janvier 1443 et fut inhumée aux Cordeliers (Frères Prêcheurs) de Nantes que les seigneurs de Vitré avaient fondés anciennement. Gui VIII se remaria à Françoise de Dinan, Dame de Château-Briant, veuve de Gilles de Bretagne, troisième fils du duc Jean VI. Il s'était trouvé au siège d'Orléans en 1429 et à plusieurs batailles. C'est à Château-Briant qu'il mourut le 2 septembre 1436. Il fut inhumé à Laval.

XVIII. GUI IX (XV de M-L). Son premier nom était, comme nous venons de le dire, François de Laval qu'il dut changer contre celui de Gui. Né le 16 novembre 1435, il n'était âgé que de quelques mois lorsque il succéda à son père. Anne, sa grande-mère continua d'administrer la baronnie ainsi qu'elle avait fait sous Gui VIII.

La baronnie de Vitré, comme le reste de la France, était en proie aux sanglantes péripéties des guerres civiles. Dans ces tems malheureux, il était difficile sans doute de suivre le sentier de l'honneur. Aussi le duc Jean VI qui mourut en 1442 avait changé huit fois de parti ; allié tantôt de la France, tantôt de l'Angleterre, tour-à-tour Armagnac et Bourguignon, il n'en fut pas moins surnommé le Sage : c'était donc dans le sens que La Fontaine a depuis donné à ce qualificatif : Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpes changeans, - Aux dangers.... ont souvent fait la figue. - Le sage dit, selon les gens : - Vive le roi ! vive la ligue !

Une telle sagesse n'est conforme aux principes ni de la vertu ni du véritable honneur.

Anne de Laval maria, vers 1451, à Marie de Retz [Note : Fille et héritière unique du fameux Gilles de Laval, baron de Retz, qui, en 1440, fut, par l'inquisition à Nantes, condamné au feu pour les plus épouvantables crimes, tels que le viol, et l'égorgement, avec des circonstances atroces, de plusieurs centaines d'enfans des deux sexes. On voit dans l'église Notre-Dame à Vitré le tombeau de Marie de Retz, qui mourut le 1er novembre 1458], veuve de l'amiral de Coetivi [Note : L'amiral Prigent de Coetivi fut tué au commencement d'août 1450, devant Cherbourg qu'il assiégeait], son second fils. André de Laval, seigneur de Lohéac, de Kergorlai et de Lanvaux, lequel fut amiral et maréchal de France, et fut comblé d'honneurs jusque à sa mort arrivée en 1494.

De grands débats ayant eu lieu à l'ouverture des Etats de Bretagne en 1451, pour la préséance, entre la Maison de Laval (comme possédant la baronnie de Vitré) et la Maison de Rohan (comme jouissant de la baronnie de Léon), le duc Pierre II donna le 25 mai de la même année un règlement qui accorda la préséance aux barons de Vitré dont les droits légitimes furent ainsi reconnus et consacrés.

Robert de Grasménil, chanoine de la Madelene [Note : Robert de Grasménil, mort le 21 juillet 1500, était aumônier de l'hospice Saint-Nicolas dans la chapelle duquel ou voit son tombeau et sa statue, avec une épitaphe en prose que nous avons fait imprimer dans le n° 89 du Vitréen, le 12 mai 1839], reçut de Gui IX trois sillons de pré sous le château, près du jardin de la Maison-Dieu Saint-Nicolas : Ce don fut confirmé en 1486 par Gui X.

Jeanne de Laval, sœur aînée de Gui IX, avait épousé, par traité du 24 août 1424, Louis de Bourbon, comte de Vendome. Dans cet acte on stipula la condition que, si Jeanne devenait héritière principale de la Maison de Laval, son second fils serait obligé de porter le nom de Gui et le surnom de Laval dont il conserverait aussi le cri et les pleines armes, écartelées de celles de France.

Gui IX accompagna le connétable de Richemont (Arthur de Bretagne) dans l'expédition qui remit la Normandie au pouvoir de la France : il se trouvait au siège de Caen en juin 1450.

Louis XI fit célébrer à Tours, le 8 janvier 1462, les fiançailles de Gui avec Catherine de Valois, fille unique de Jean V, duc d'Alençon où le mariage se fit avec de grandes solemnités. La seigneurie de La Guerche fut donnée pour dot à Catherine. Les deux époux n'eurent qu'un fils, qui naquit à Laval le 12 mai 1486, et ne vêcut que quinze jours. Ce fut en 1486 que mourut Gui IX laissant ses seigneuries à son neveu, Nicolas de Laval, qui prit le nom de Gui et pour nous est Gui X.

Nous croyons, en revenant un peu sur nos pas, devoir placer ici les faits qui suivent.

Aux Etats de Bretagne, tenus à Vannes en 1462, sous le duc François II, le baron de Vitré ayant été appelé, le comte de Laval comparut à ce titre par Anne, dame de Laval et de Vitré, sa grande-mère, pour laquelle le duc admit le comte à siéger pour cette fois, sans préjudice de tout autre seigneur. Il semble que cette sorte de réserve n'était pas juste d'après le réglement du 25 mai 1451 dont nous avons parlé plus haut.

Au milieu du XVème siècle, il subsistait encore un usage infiniment préjudiciable au bon ordre et à l'équité. C'était un asile accordé, dans les lieux appelés Menehis ou Minihis , aux malfaiteurs qui pouvaient impunément y braver la justice. Sur la remontrance faite par le duc Pierre II des crimes, excès et malefices commis, même par des ecclésiastiques, le cardinal d'Estouteville ordonna par un mandement (conservé aux archives de Nantes) que ces malfaiteurs ne jouiraient plus d'immunités, et pourraient être tirés par force de leurs asiles soit églises, soit autres lieux ; il ajouta que les prêtres trouvés en habits séculiers ne jouiraient plus des privilèges de leur état, et qu'ils seraient punis comme personnes laïques.

Il existait en Bretagne une sorte de parias, méprisés et proscrits comme ceux de l'Inde : car ou retrouve partout les préjugés, l’injustice, l'oppression et le malheur. C'étaient les Caqueux. On les considérait comme un débris de juifs échappé aux massacres, et on les croyait infectés de la lèpre. Pauvres, ils exerçaient le métier de cordiers ; chrétiens, ils entraient dans les églises, mais ils s'y tenaient près de la porte. Un mandement de François II, daté du 5 décembre 1475, défendait à ces pauvres gens « d'aller par le pays sans avoir une merche (marque, morceau) de drap rouge sur leur robe », afin qu'on pût facilement les éviter. L'ordonnance du même prince, en date du 18 juin 1477, leur permit de louer pour trois ans des fermes dans leur voisinage, mais non d'en vendre les blés ni les fruits, ni d'y faire des constructions. Il paraît que c'était surtout dans le diocèse de Saint-Malo qu'on trouvait ces Caqueux ou Cacous, dont le nom, qui paraît d'origine grecque, signifirait méchant ou difforme, quoique la plupart d'entre eux ne fussent ni difformes ni médians : mais les proscripteurs ont toujours des expressions pour outrager les opprimés, et il est rare que les mots expriment logiquement les idées.

Enfin, en 1477 on s'occupa de réparer les fortifications de Vitré, dont le travail était pourtant autorisé dès 1448, et d'autant plus important que cette ville est frontière du côté du Maine, de l'Anjou, et même de la Normandie dont elle est peu éloignée. Une commission du 12 janvier 1476 avait été à cet effet donnée au sire de Rieux, maréchal de Bretagne, pour visiter Vitré, son artillerie et ses vivres. Il résulta de cette visite que, l'année suivante (en 1477), on préposa au travail dont il s'agit Jean de L'Annai, Geoffroi de Charonnière, et Jean Aguillon [Note : Le duc François II envoya en 1484 ce Jean Aguillon à Vitré avec 20 gentilshommes et 20 francs-archers, en même tems qu'il donnait mandement à Jean de Champaigne, sieur de La Montaigne, de résider avec 20 francs-archers à La Guerche]. Il paraîtrait qu'en 1448 on n'avait fait que peu ou point de réparations.

Vers 1476 (dès 1462, suivant Ogée, qui nous parait être dans l'erreur), le duc François II établit à Vitré plusieurs Florentins pour y fonder une manufacture de soiries qui, comme toutes les tentatives industrielles, faites en ce pays, n'eut pas de succès, quoique les Etats, assemblés en 1477 en cette ville, eussent pour encouragement accordé un moulin aux ouvriers qui avaient été appelés d'Italie. Il y a lieu de croire que Vitré dut l'avantage qu'il obtenait à un de ses plus illustres enfans, l'infortuné Landais qui, fils d'un tailleur de Vitré, parvint à la faveur de son souverain et reçut de lui la charge de Trésorier : faveur qui excita la jalousie, la haine et la persécution d'une noblesse orgueilleuse et dilapidatrice, et finit par conduire, malgré le prince et la justice, le malheureux favori à la potence, le 19 juillet 1485, après dix ans d'une habile administration, payée de la plus atroce ingratitude. Nous avons donné sur ce favori infortuné une Notice dans le Vitréen du 26 mai 1839.

XIX. Gui X (XVI de L-M). Fils de Jean de Laval et de Jeanne de Quintin, par conséquent petit-fils de Gui VIII : il s'appelait Nicolas et prit, suivant l'usage de sa Maison, le nom de Gui pour succéder à son oncle. Il suivit la cour de France sous Charles VIII, Louis XII, et François Ier.

Sur la fin d'août 1488, Gui X donna entrée aux Français dans son château de Nitré où il les introduisit secrétement par une poterne et rendit ainsi Charles VIII maître de la ville : c'était peu de jours après la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier qu'avait gagnée pour la France le 27 juillet précédent le plus illustre des La Tremoille. Charles VIII avait nommé Gui X Grand-Maître de France.

Gui épousa à Lyon, en 1500, Charlotte d'Aragon, princesse de Tarente, qui était fille aînée de Frédéric III, roi de Naples et de Sicile. Leur fils unique fut tué le 27 avril 1522 en Italie dans l'affaire de la Bicoque ; Anne, leur seconde fille, avait été donnée en mariage le 13 février 1521 à François de La Tremoille, vicomte de Thouars qui mourut le 5 janvier 1541. Jeanne, l'aînée, était devenue en 1518 [Note : Suivant Saint-Simon qui appelle Claude le sire de Rieux, et Catherine la fille aînée de Gui X, laquelle, dit-il, « devint héritière de Laval-Vitré »] la femme du sire de Rieux comte d'Harcourt.

Cette Jeanne n'eut que deux filles dont la jeune, qui s'appelait Claudine, fut mariée à François de Coligni, seigneur d'Andelot, colonel-général de l'infanterie française. C'est de ce mariage que sortit Paul de Coligni qui, héritant de sa tante Anne, seconde fille de Gui X, devint comte de Laval sous le nom de Gui XVIII et baron de Vitré sous celui de Gui XII.

Devenu veuf, Gui X se remaria dans le cours de 1510 à Anne de Montmorenci de laquelle il eut un fils nommé Claude de Laval, mort jeune.

De son troisième mariage, avec Antoinette de Daillon, Gui X eut un fils qui lui succéda sous le nom de Gui XI.

Comme baron de Vitré, Gui X fut chargé, le 23 septembre 1501, de convoquer les Etats de Bretagne à Vannes où il institua pour son procureur Robert de Saint-Gilles, son cousin.

Le 6 février 1526, il fit un réglement pour les toiles alors renommées de Vitré, qui devaient offrir une largeur de trois quarts d'aune [Note : Avant 1789, la grande aune de Vitré était de 50 pouces pour les toiles en fabrique, ou de 47 pouces 7 lignes pour les toiles en boutique].

Par l'effet d'un accident, Gui X mourut le 20 mai 1531 : il était amiral, gouverneur et lieutenant-général de Bretagne.

XX. GUI XI (XVII de L-M). Claude de Laval devenu Gui de Laval, fils de Gui X et d'Antoinette de Daillon, né au commencement de 1511, se trouvant mineur en 1531, fut placé sous la tutelle de Jean de Laval, seigneur de Château-Briant, et du connétable Anne de Montmorenci, son oncle. Par contrat de mariage du 22 octobre 1538, il épousa, à Château-Briant, Claude de Foix. De 1540 à 1545, Gui XI figura honorablement dans les guerres du tems et resta sept ou huit ans en otage (Jean Gesland, continuateur de Le Bault). Il était chevalier de l'ordre du roi. C'est lui qui fit bâtir les galeries du château de Laval. Il mourut sans enfans à Saint-Germain-en-Laie le 25 mai 1547, âgé seulement de 35 ans et 3 mois. C'est en lui, dit le duc de Saint-Simon, que finit la Maison de Laval Mont-Fort qu'il ne faut pas confondre avec les Laval-Montmorenci.

De grands évènemens s'étaient passés en Bretagne. La réunion définitive de ce duché à la couronne de France avait été opérée dans le courant de 1532 par le consentement des Etats réunis à Vannes. Dans l'année même de la mort de Gui XI, en 1547, cette réunion fut consommée par le roi de France, Henri II, qui organisa et rendit permanent le parlement de Bretagne.

QUATRIÈME DYNASTIE. — Maison de Rieux.

XXI. GUYONNE de Laval. Son véritable nom était Renée de Rieux. Elle était fille de Jeanne de Laval dont Gui X était le père. Vu la difformité et l'incapacité de Louis de Sainte-Maure, marquis de Nèle (ou Nesle), qu'elle avait épousé en 1518, elle fut autorisée par le roi et par le parlement à gérer ses biens. Elle adopta le nom de Guyonne « pour satisfaire, dit le Continuateur de Le Bault, aux conditions apposées eu traitant le mariage tant du sieur de Rieux, son père, que d'elle-même et du sieur de Nèle, par lequel il était dit qu'ils prendraient le nom et les armes de Laval, en cas qu'ils y succédassent ». Guyonne administra fort mal et ne conserva sa gestion que deux ans.

Vers 1554, il fut question de vendre le comté de Laval pour payer les dettes considérables que Gui XI avait laissées en mourant ; mais en 1556 le parlement de Paris ordonna que cette seigneurie serait simplement affermée.

Un procès s'étant élevé entre Guyonne et sou mari, il intervint au mois de juin 1557 un arrêt du parlement qui remit à ce dernier l'administration de Laval et de Quintin, et à la première celle de Vitré, d'Olivet et de Rochefort. Vers la même époque, le marquis de Nèle ayant fait excommunier sa femme par l'évêque de Paris « par défaut de ménager avec lui », elle se retira en Bretagne, probablement à Vitré.

Une grande révolution se préparait et acquérait d'autant plus d'intensité que la politique s'en emparait avec empressement. Les novateurs avaient recueilli la succession des opinions réformatrices de quelques siècles précédens, et la corruption du XVème siècle et du commencement du XVIème siècle prêtait beaucoup à la critique et aux déclamations des sectaires. L'inquisition établie à Nantes n'avait fait qu'aigrir les esprits, comme dans plusieurs autres parties de la France, et un évènement qui se passa à Vitré en 1526 prouve qu'une grande sévérité était employée contre les sacrilèges, peut-être avec plus de rigueur que de prudence. On trouve dans les archives très curieuses de la ville de Nantes [Note : Provenant du greffe de la chambre des comptes de Nantes] une sentence rendue contre Arthur Begouin, qualifié vagabond, condamné pour « ses démérites proférés par le Grand-Prévôt de Bretagne à Vitré, à avoir la tête séparée d'avec le corps ». La sentence porte en outre que « le dit corps, comme inhumaine personne et ennemi de la chose publique, sera retraîné par sur terre jusque à un arbre, ses biens confisqués, ayant, entre autres crimes, été convaincu d'avoir pris la sainte hostie et jeté contre terre, et emporté la boite ».

Les causes de révolution étaient donc imminentes.

Les opinions des réformés, déjà fort répandues en France, n'avaient, eu encore que de faibles et rares échos en Bretagne, lorsque, en 1558, le comte d'Andelot, frère de l'amiral Coligni, leur donna l'appui de son nom, de ses talens, de sa force militaire, et le concours de quelques seigneurs bretons très puissans, tels que le vicomte de Rohan, dont la femme était sœur d'Antoine, roi de Navarre.

XXII. GUI XII. Son véritable nom était Paul de Coligni ; il était fils de Claudine de Rieux, comme nous l'avons dit plus haut, et de François de Coligni, frère de l'illustre amiral, assassiné dans la nuit de la Saint-Barthélemi.

En 1565, le parlement de Bretagne quitta Rennes pour éviter les funestes effets d'une maladie épidémique : il se retira à Vitré d'abord, puis se transporta à Nantes, d'où il ne tarda pas à revenir siéger à Vitré, où il resta encore en 1564 et peut-être pendant plusieurs autres années Il y revint en 1582, effrayé par les mêmes maladies qui, sous le nom de peste, répandaient partout la terreur, comme nous avons vu lors du choléra en 1832. « Tout le monde, dit un ouvrage cité dans la Nouvelle Revue de la Bretagne (1839, page 289), se retirait de peur de la peste : le concierge du château de Vitré en refusa l'entrée au parlement, mais il fut passé outre. La peste augmentait de jour en jour à Rennes. La cour ordonna à toute personne de se retirer de la ville de Vitré et de ses faubourgs, et défendit de loger des gens sans aveu. Les religieuses de Saint-Georges s'y retirèrent également d'après les pouvoirs du grand-vicaire ». Il paraît que, comme celles de 1832, les épidémies de 1563 et de 1582 ne sévirent que très peu à Vitré, sans doute à cause de sa position élevée, beaucoup plus saine que celle des quartiers humides de Rennes.

Le 24 janvier 1577, au milieu des troubles, et pour en éviter de plus grands, Gui XII rendit une ordonnance pour prescrire aux trésoriers des paroisses de la châtellenie et juridiction de Vitré d'apporter les rôles des personnes tenues au service du guet, afin de les appeler en nombre suffisant dans les ville et château de Vitré. En 1578, le 14 janvier, il adressa des provisions au grand-maître des eaux-et-forets de la baronnie de Vitré : ce qui prouve que dès lors Vitré possédait une justice particulière pour cet objet. Ce baron s'occupa beaucoup de la police et de l'administration de ses domaines : il donna des réglemens (le 15 avril 1577 et 16 mai 1579) relatifs aux juridictions de la baronnie.

XXIII. GUI XIII, fis du précédent, né en 1585. Au mois de novembre 1588, Gui XIII n’étant âgé que de trois ans, la Noblesse des Etats-Généraux, alors réunie à Blois, demanda que les biens du jeune comte de Laval, qui était né protestant, ne fussent pas compris dans la rigueur des ordonnances jusque à ce qu'il dit atteint sa quinzième année. Gui avait à peine vingt ans lorsque il fut tué en Hongrie dans le cours de 1605. Comme il mourut sans enfans, il laissa son héritage à la postérité d'Anne de Laval qui avait épousé François de La Tremoille, ainsi que nous l'avons dit plus haut.

Ce fut pendant l'enfance de Gui XIII que la ville de Vitré eut à souffrir le plus connu de ses sièges, celui de 1589.

Le protestantisme s'était introduit et avait prospéré à Vitré [Note : Un synode protestant fut tenu à Vitré en 1583. (Biographie universelle, article J. de Serres)] par ses barons qui avaient embrassé cette réforme, ainsi que la plupart des grands seigneurs de l'époque. Le massacre de la Saint-Barthélémi (24 août 1572), en immolant plus de cent mille protestaNs, avait enflammé d'indignation ce qui en restait, et même rendu favorables à leur cause beaucoup de catholiques, affligés de voir leur religion servir de prétexte à tant d'horreurs. La première ligue, celle des Seize, qui date de 1576, avait encore été dépassée dans ses extravagantes fureurs par la sainte-ligue de 1577 et de 1587. Presque toute la Bretagne s'associa à cette union séditieuse qui prétendait agir pour la défense de la religion, du roi et de la liberté de l'état. Vitré toutefois, comme Rennes, Ploermel et Malétroit, résista aux instigations des ligueurs, chez les chefs desquels il existait plus de spéculations politiques que de convictions religieuses. Il dut cette conduite sage à l'influence de ses seigneurs et au grand nombre de ses bourgeois protestans.

Le duc de Mercœur (Philippe-Emmanuel de Lorraine, l'un des plus violens suppôts de la ligue, et beau-frère de Henri III qui l'avait comblé de bienfaits et l'avait nommé gouverneur de la Bretagne) ne dissimulait pas ses prétentions à la souveraineté de cette province, réunie pourtant solemnellement à la couronne par les plus respectables traités.

Mercœur avait reçu un nouveau dégré d'irritation de l'odieux assassinat du duc et du cardinal de Guise (23 et 24 décembre 1588) : il fit aussitôt éclater son ressentiment et celui des ligueurs.

Après les troubles et les barricades du 13 mars à Rennes qui finit par se soustraire à la ligue, le mardi 21 mars 1589 les protestans enlevèrent Vitré aux partisans du duc de Mercœur, après un siège fort court qui coûta la vie à 36 individus. Ce ne fut guères qu'une surprise [Note : Voici ce qu'on lit à ce sujet dans le registre de la paroisse Saint-Martin : « …. Vitré pris par les huguenots, étant dedans capitaine Cessard, M. Du Lac, et M. du Berdaige et les habitans de la ville joints avec eux. La nuit suivante, les faubourgs se barricadèrent et se vinrent en armes tant au bourg Saint-Martin qu'au Rachat »]. Dès le lendemain, Talhouet accourut de Fougères pour reprendre la place. N'ayant pu en venir à bout, il se borna d'abord à la bloquer, et fut bientôt rejoint par quelques ligueurs du pays, tels que le capitaine d'Etrelles qui, dès le 23 mars, s'établit aussi devant Vitré. Le 28, les assiégés firent une sortie désavantageuse dans laquelle ils perdirent quatre hommes, mais ils prirent leur revanche le samedi 15 avril, ainsi que nous le dirons plus bas.

Dans les premiers mois de cette année, Henri III, qui avait été chassé de Paris par les ligueurs, se trouvait à Tours pendant que Mercœur cherchait à fermer l'entrée de la Bretagne aux troupes royalistes. Maître de Nantes et de Fougères, il ne lui manquait que Vitré pour qu'il devint à peu près impossible à ses adversaires de pénétrer dans la province.

Mercoeur n'avait pu le 5 avril s'emparer de Rennes où un parlement fidèle et de loyaux serviteurs de la cause royale déjouèrent les manœuvres des adhérens de la ligue. Dès le 7 de ce mois, le duc de Mercœur et ses partisans, parmi lesquels était un sieur de Malnoe, furent déclarés par le parlement de Rennes rebelles et criminels de lèse-majesté : arrêt qui fut confirmé le 10 par lettres-patentes du roi (Henri III ).

Le roi de Navarre qui, peu de mois après, devint Henri IV, quitta le Poitou, traversa la Loire et, gagnant Tours, s'y réunit à Henri III.

A peine maître de la ville et du château de Fougères, Mercœur en avait détaché Talhouet qu'il avait chargé d'investir Vitré (comme nous l'avons dit plus haut), en attendant que lui-même vint en diriger le siège.

Gui XIII, qui n'avait pas encore quatre ans, était baron de Vitré. « La religion de ses pères, dit Taillandier (Histoire de Bretagne, tome II), avait fait de grands progrès dans cette ville. Plus de 300 des plus riches habitans se firent un devoir de fournir des munitions et de l'argent ». Ces généreux citoyens, échappés au massacre de la Saint-Barthélémi, dont le grand-oncle de leur seigneur avait été la plus illustre et la plus regrettable victime, avaient trop à cœur de conserver au roi et de soustraire à la puissance des factieux une ville aussi importante que l'était alors Vitré, pour ne pas réunir tous leurs efforts et déployer tout leur courage dans une si grande circonstance. Si Vitré fut bien et longuement attaqué, on peut dire qu'il fut défendu avec autant d'intrépidité que de persévérance.

La ville était sous le commandement de Des Croix ; Du Lac, ancien serviteur de la Maison d'Allaigre, était le gouverneur du château. Ils avaient, du moins dans la place, triomphé de l'influence de Jean Hay des Nétumières, qui, quoique conseiller au parlement de Bretagne, était dévoué à la Ligue.

Aux premières apparences de l'investissement de Vitré, plusieurs gentilshommes des environs s'étaient jetés dans la place pour contribuer à sa défense. Le jeune Brement-Fani, de la commune d'Argentré, amena vingt-cinq hommes déterminés ; de Saint-Cantin, La Mouche, et René de Monthourcher, seigneur du Bordage, tous voisins de la ville, arrivèrent aussi en toute hâte et portèrent la garnison du château, qui n'était d'abord que de quinze soldats, à cent-vingt hommes bien résolus à faire leur devoir, et avec lesquels il fallut durant sept semaines résister aux attaques de plus de dix mille assiégeans, sans compter prés de 20,000 paysans, attirés des campagnes par l'appât du meurtre, du viol et du pillage : brigands tellement âpres à la curée que, même après la levée du siège, on fut obligé d'employer les plus vigoureux moyens pour les réduire. C'était la chouannerie de ces tems déplorables. Il est vrai que la ville était bien fortifiée et que ses bourgeois fidèles prêtaient une généreuse assistance : toutefois ce n'était qu'une poignée de braves contre une armée.

Des trois portes [Note : De ces trois portes il ne subsiste plus en 1839 que celle d'En-Bas ou du couchant. La porte d'En-Haut fut démolie en 1835 ; la porte Gatecel vient de l'être ce mois de janvier 1839 ; il y a environ un siècle, la tour Sévigné fut détruite] qu'avait alors la ville, celles de l'orient ou d'En-Haut, et du couchant ou d'En-Bas, étaient défendues chacune par deux tours et un ravelin ; tandis que celle du midi (la porte Gatecel) n'avait d'autre défense imposante que la tour Sévigné. La porte d'En-Haut joignait à sa force une fausse braie. Au nord sur le val de Cantache, les murailles ajoûtaient à leurs moyens de résistance l'état fangeux du marais qui les séparait de la côte de Ville-Audin : le lit de la Vilaine s'y divisait en plusieurs bras et le sol était impraticable. Il n'y avait donc pas moyen d'attaquer au nord avec l'espoir de pénétrer de ce point dans la place.

L'artillerie des Ligueurs fut d'abord mise en batterie sur la hauteur des champs de Sainte-Croix, tandis qu'eux-mêmes se logeaient dans les faubourgs.

Le samedi 15 avril, le capitaine Des Croix avait fait, par la porte de fer du château, une sortie qui fut bien exécutée, mais qui ne produisit pas de résultats importans, excepté quelques prisonniers, tel qu'un sieur du Taillis (ou peut-être de Tâlie) qui était capitaine du faubourg du Rachat [Note : Il fut tué, ou du moins il mourut de ses blessures : le registre de l'église Saint-Martin dit qu'il fut occis], et surtout La Motte-Bonnelais qui fit connaître que les assiégeans se proposaient de porter leur attaque au coin de la Tour des Prisonniers. En effet Talhouet établit son artillerie vis-à-vis le coin de cette tour, quoique ce point fût le plus fortifié, mais il était le plus accessible aux boulets.

Cependant, vers la fin de mai, le duc de Mercœur était arrivé de Nantes avec du renfort et quelques bouches à feu. D'autre part il recevait l'assistance de De Vicques, commandant pour la Ligue en Basse-Normandie [Note : Il fut tué en 1592 devant Pont-Orsou qu'il assigeait et que défendit si bien le comte de Mont-Gomeri qui y commandait]. Ils étaient depuis peu de jours devant Vitré, lorsque ils apprirent que le comte de Soissons, nommé par Henri III pour commander en Bretagne, se rendait d'Angers à Rennes, et venait d'entrer à Château-Giron le 1er jour de juin [Note : Journal de Jean Pichart, notaire et procureur au parlement, contenant ce qui s'est passé à Rennes et aux environs pendant la Ligue ; inséré par Dom Morice dans le tome III de ses Preuves de l’histoire de Bretagne, col. 1695 à 1758]. A cette nouvelle le duc ne perd pas de tems et marche avec De Vicques et tout ce qu'ils avaient d'hommes à cheval : ils enlevèrent le comte de Soissons que Mercœur conduisit aussitôt lui-même à Nantes, oit il crut devoir passer quelques jours, pendant lesquels les assiégés ne cessaient pas d'être dans un grand embarras, surtout lorsque ils eurent appris le désastre de Château-Giron.

Il paraît que les catholiques ne se fiaient guères à la fidélité des leurs, car ils firent pendre plusieurs de leurs soldats et même un capitaine, sous prétexte de trahison à la patrie (28 avril et 1er mai).

Les royalistes avaient expédié auprès de Henri III un homme dévoué et intelligent, La Mergais (peut-être La Méryais), pour faire connaître au monarque l'état du siège et lui demander un prompt et efficace secours.

Après une pénible attente, voyant que nul secours n'arrivait et que le siège se prolongeait, puisque il durait depuis sept semaines, le gouverneur de Vitré prit le parti de demander assistance à Rennes où les capitaines Roussinol et Fourminières se rendirent en toute hâte et précaution, le jeudi 8 juin, après être descendus des murs au nord par le moyen d'échelles de cordes, et après avoir traversé à la nage les divers bras de la rivière. Ils allèrent trouver le lieutenant-général La Hunaudaie qui commandait en Bretagne pour le roi, et le capitaine Montbarot, gouverneur de la ville de Rennes.

Un secours de 700 chevaux fut envoyé le soir même sous le commandement de Montbarot, de La Conelaie, de La Bouteillerie, de Kernian, de La Tremblaie et du marquis de Lavardin qui depuis fut Maréchal de France : « tous à cheval, dit Montmartin [Note : Mémoires ou Relations des troubles arrivés en Bretagne depuis 1589 jusque en 1598. Montmartin fut nommé par Henri IV gouverneur de Vitré à la fin de 1589. Il s'appelait Jean du Mats, sieur de Terchant et de Montmartin. En 1595 il fut député de la noblesse aux Etats de Bretagne, et reçut de Henri IV plusieurs missions importantes, notamment en 1597. Ses Mémoires, fort curieux, jusque alors inédits, ont été imprimés dans l'Hisloire de Bretagne de Taillandier, en 1756, Tome II, pages CCLXXVII à CCCXVI], ils fesaient environ 200 cuirasses et 120 arquebusiers à cheval ». Ils arrivèrent par des chemins détournés et sans que l'ennemi prévît leur arrivée : entreprise assurément très hasardeuse, car les paysans de toutes les paroisses, à partir de deux lieues de Rennes jusque aux portes même de Vitré, avaient barricadé leurs chemins, naturellement peu praticables, et grâce à leurs talus et à leurs haies, étaient devenus maîtres absolus du pays qu'ils infestaient au profit de la Ligue et du désordre. Plus de six mille brigands couvraient la campagne, assassinaient les royalistes, et se trouvaient toujours prêts à dévaliser les voyageurs. La maison d'Epinal les soutenait de son château à Champeaux situé près de la route qui alors conduisait de Vitré à Rennes.

Partis à la chûte du jour, les royalistes étaient, avant le lever du soleil établis sur les Tertres Noirs, à peu de distance par conséquent du camp des assiégeans qui ne s'en aperçurent pas d'abord. Lavardin fit sonner la charge par ses trompettes, et fondit sur l'ennemi par trois points du faubourg du Rachat. Malgré l'impétuosité de cette attaque inattendue, les royalistes ne purent s'emparer que de ce faubourg, où furent tués 15 à 18 hommes, tant des ligueurs que des royalistes. Talhouet, commandant le siège en l'absence de Mercœur et qui était logé au faubourg Saint-Martin, accourut en toute hâte : il fit en même tems sonner, dans les campagnes voisines de Vitré, le tocsin d'alarme qui lui amena de nouvelles bandes, assez mal armées à la vérité, mais très dévouées aux ligueurs. Le but principal des royalistes fut manqué : ils ne purent faire lever le siège. Alors ils se déterminèrent à entrer dans la place, pour quelque tems seulement, car ils savaient bien que leur présence était nécessaire à Rennes. Ce fut par la poterne du château qu'ils pénétrèrent. Pendant la nuit ils firent construire un pont sur la rivière, et, pour que les assiégeans ne s'en aperçussent pas, le tambour ne cessa de battre et favorisa l'entreprise. Sortis par la porte Gatecel, les auxiliaires gagnèrent le pont. Une partie d'entre eux l'avait déjà traversé lorsque il se rompit et força ce qui n'était pas encore passé (100 cuirassiers et autant d'arquebusiers) à rentrer dans la ville sous les ordres de Montbarot, de La Tremblaie et de d'Avrilli, gendre du maréchal de Fervaques. Ce fut un bonheur pour les assiégés qui étaient en petit nombre.

La disette de fourrages ne tarda pas à se faire sentir : il fallut sacrifier les chevaux ; on les fit sortir par une fausse porte au-dela de laquelle on les tuait à coups d'arquebuse pour qu'ils ne tombassent pas vivans au pouvoir de l'ennemi [Note : On appela cette issue la Porte aux Chevaux : c'est la porte Saint-Pierre qui de la rue du Four conduit au Val de Cantache. Cette porte ne fut définitivement ouverte, par la permission de la duchesse de La Tremoille, qu'en 1698].

Nous allons ici faire connaître les difficultés du retour de Lavardin, en citant Montmartin qui était très bien informé : « Ce n'était pas (dit-il) une petite entreprise à M. de Lavardin de s'en retourner à Rennes, car il était guetté et attendu de tous côtés par des paysans conduits par quelques gentilshommes du pays et étaient au nombre de plus de 10,000 , ayant rallié ceux des paroisses plus lointaines. M. de Lavardin était accompagné de La Conclaie, de Crapado [Note : En 1591, le baron de Crapado (Angier de Lohéac), ayant tenté de livrer Rennes au duc de Mercœur, fut condamné à mort par un conseil de guerre et, malgré ses 80 ans, exécuté sur la Place du Champ-Jacquet], de La Roche-Giffart, de La Boutellerie, de Sarouette, de Buses, etc. et pouvaient être 80 à 100 bons chevaux, peu d'arquebusiers dont ils avaient grand besoin. Dès la sortie de la porte de Vitré, le cheval de son guide fut tué, de sorte qu'il fallut faire cette retraite à l'aventure des chemins : ils forcent la première barricade, mais il y en avait cent autres aussi périlleuses, qui ne se pouvaient passer sans combattre ; de sorte que, depuis la porte de Vitré jusque à deux lieues de Rennes, ils eurent toujours l'ennemi sur les bras ..... et ai oui dire à M de Lavardin qu'il n'avait jamais couru tant de fortune ».

Ce fut par le château de Gazon au nord-ouest et à une demi-lieue de Vitré que Lavardin prit sa route et gagna la lande d'Isé, après avoir passé la Cantache à gué : il faillit périr lui et sa troupe sur cette lande couverte de paysans armés et furieux, et il n'eût pu trouver d'issue sans le secours d'un homme qu'il gagna à force d'argent, et qui le fit échapper par un passage ouvert aux environs de la chapelle de Bon-Secours.

Mercœur, ayant appris à Nantes ces événemens, s'empressa de revenir prendre en personne (le mardi 13 juin) le commandement du siège et amena trois pièces d'artillerie et un renfort, à l'aide duquel, et grâce à sa présence, il se flattait d'emporter la place prochainement. Il fit d'habiles dispositions et, de La Ricordais, il dirigea une attaque fort vive au nord et à l'est de la ville, « à l’une des extrémités, entre la tour qui fait le coin et les deux tours, voisines » [Note : Ce devait être du côté de l'Éperon qui fût démoli vers la fin du XVIIIème siècle), et sur l'emplacement duquel se trouve en partie la Place aux Grains], ainsi que s'exprime l'auteur d'une relation du tems. L'attaque du nord produisit le 23 juin une large brèche [Note : Cette date nous est donnée par l'inscription qui fut placée au lieu même de la brèche après sa réparation. M. Pollet, conservateur de la bibliothèque de la ville, a fait remplacer cette inscription le 5 février dernier par une pierre schisteuse sur laquelle on a rétabli de l'antienne tout ce qui est resté lisible. (La pierre primitive a été déposée à la bibliothèque publique.) Voici cette inscription, à laquelle il ne manque que peu de lettres : CESTE . PLACE . FVT . ASSIEGEE . LE . 22 . DE . MARS . LA . PRESENTE, BRECHE . FVT . FAICTE . LE . 23. DE . JVIGN . LE . DICT . SIEGE . FVT . LEVE . LE . 14. DAOVGST . PAR . LA . CRAINTE . DE . HENRY . DE BOVRBON . PRINCE. DE . DOMBES . LA . DICTE . BRECHE . REFAICTE . LE. ...... BRE . 1589 . HENRY . ROY . DE . FRANCE . ET . DE . NAVARE. Le mois imparfaitement désigné par sa finale est probablement novembre : car ce fut le 21 de ce mois que le gouverneur par intérim de Vitré en sortit pour aller châtier les paroisses révoltées : ce qu'il ne fit sans doute qu'après avoir mis la place en sûreté] à la Courtine qu'atteignait une batterie de deux pièces établie au-delà de la rivière. Ce point portait en 1711 le nom de Tour de La Frênais, ou Tour Rompue. La tour du Coin fut minée le 24 juin [Note : C'est la tour de La Bridolle, située au sud-est des murs de ville près de l’ancienne porte d'En-Haut. Cette tour est encore parfaitement conservée, quoique lézardée par l’effet de la mine] ; mais ce fut sans succès : la mine fut éventée, et l'explosion ne produisit que de faibles lézardes. On lit dans le Journal de Pichart que le 24 juin le capitaine Montbarot se trouvait à Vitré.

Une batterie des assiégeans dirigée contre la tour de La Bridolle, ou vers ce point, y fit assez facilement une brèche considérable. Les royalistes y soutinrent deux assauts et finirent par repousser Guébriant, commandant de l'infanterie de Mercœur et qui s'était un moment établi sur cette breche. C'était le 28 juillet : le siège durait depuis plus de trois mois. Le brave capitaine Du Lac eut les deux cuisses emportées par un boulet de canon et mourut sur le champ. Montbourcher, si digne de le remplacer, lui succéda;

Depuis le 13 juin que l'artillerie tirait sur la place, avec plus de vigueur qu'auparavant [Note : Les assiégés toutefois perdaient peu de monde, et de loin en loin, ainsi qu'il résulte des registres des églises de Vitré], les murailles étaient criblées par les boulets, et, dans quelques points, n'offraient plus que de faibles moyens de défense. Aussi les intrépides défenseurs de Vitré prirent et exécutèrent très promtement la résolution d'élever un mur derrière celui qui se trouvait en ruines.

A la vue de ces nouveaux obstacles, et désespérant de prendre une ville si courageusement défendue, le duc, qui d'ailleurs venait d'apprendre que le prince de Dombes [Note : Henri de Bourbon, prince de Dombes, fils du duc de Montpensier ; nommé à 17 ans pour succéder au comte de Soissons dans le gouvernement de la Bretagne. Ses provisions de gouverneur, datées du 7 juin 1589, furent enregistrées au parlement de Rennes le 14 août, le lendemain de son arrivée en cette ville] arrivait (le 13 août ) de Château-Briant à Rennes, se détermina le lendemain (le lundi 14 août 1589) à lever enfin le siège de Vitré. Mercœur ne se retira pas toutefois sans avoir laissé de nouvelles traces de sa fureur contre les partisans du plus grand de nos Henris : il mit le pays à feu et à sang, sans distinction de protestans et de catholiques [Note : Le canon avait dans le courant de juin, probablement le 23, brisé le timbre de l'horloge de l'église Notre-Dame. Il fut refondu, dans le mois de juin 1596, aux frais de la ville. Une inscription. de la cloche refondue fait mention de cet événement].

Irrités de tant d'actes de cruauté, les assiégés sortis de la place pénétrèrent dans les faubourgs et y commirent, d'après la barbarie des représailles qui était trop souvent la loi de la guerre, beaucoup de désordres et même de cruautés. L'église Saint-Martin fut pillée ; Boishay, son curé, tellement maltraité qu'il en mourut au bout de trois jours ; et quarante-huit moines, appartenant aux divers couvens qui étaient hors de la ville, reconnus comme les instigateurs les plus ardens des paysans ligueurs, furent conduits en otage au château, sans doute pour répondre des vexations de toute espèce exercées dans les campagnes voisines par les catholiques contre les protestans. Les capitaines qui commandaient à cette sortie étaient Du Bordage, Montbarot, de La Tremblaie et de Brément-Fani. Voici ce qu'on lit dans le Journal de Pichart : « Le 18 août dans Vitré le capitaine de La Tremblaie, avec ceux de sa compagnie, y demeura et au château demeura le sieur Du Bordaige avec lequel M. de Montbarot avait eu prise de corps au désavantage du sieur Du Bordaige : lequel différent vint d'autant que le sieur Du Bordaige avait voulu brûler les faubourgs après le siège levé ; ce que le sieur de Montbarot empêcha, disant qu'il n'était de besoin de brûler des maisons qui ne portaient aucune nuisance à la ville. Ce néanmoins il eu fut brûlé une grande partie ...... Le 19 août le prince de Dombes s'en alla à Epinai où il fut long-tems ».

N'oublions pas de rappeler à la mémoire reconnaissante des Vitréens l'assistance de leurs aïeules pendant le siège de 1589. Les hommes seuls n'eurent pas le mérite du dévoûment. Tandis qu'à Blavet, pendant cette même année, quarante jeunes filles, vierges pudiques, qui voulaient échapper à la brutalité des ligueurs, se prirent par la main et, réunies ainsi, se précipitèrent dans les flots de la mer [Note : Histoire de la Ligue en Basse-Bretagne, particulièrement dans la Cornouaille, par l'abbé Moreau, publiée en 1836 à Brest, avec des notes, par M. Le Bastar de Mermeur. Page 107], à Vitré les dames secondaient leurs maris, leurs pères et leurs frères, pour repousser l'ennemi et prévenir les outrages dont les menaçaient les assiégeans. « Durant cette guerre de la Ligue, dit l'abbé de Brantome [Note : Dames Galantes, Discours VIII], les dames de Vitré s'acquittèrent de même en leur ville assiégée par le duc de Mercœur. Elles y sont très belles et toujours fort proprement habillées de tout tems, et pour ce n'épargnaient leurs beautés à se montrer viriles et courageuses, comme certes tous actes virils et généreux, à un tel besoin, sont autant à estimer en les femmes qu'en les hommes ». Ils le sont infiniment plus, vu la douceur et la faiblesse de leur sexe.

Le 23 août, neuf jours après la levée du siège, le prince de Dombes arriva à Vitré qu'il ne quitta que le jeudi 31. D'après l'ordre de Henri IV qui passa alors quelques jours à Laval, il nomma Montmartin gouverneur des ville et château de Vitré. Monthourcher du Bordage remit la place entre les mains du prince qui y installa La Courdanon [Note : Où La Courtanon : car les chroniqueurs ne sont pas d'accord sur l'orthographe de ce nom qu'ils écrivent aussi La Courdanoy], pendant que Montmartin, peu de tems après, alla rejoindre le roi. La Courdanon s'occupa de rétablir l'ordre et sans doute les fortifications.

Les communications étaient alors si difficiles, et les moyens de correspondre si lents, que ce n'avait été que le 13 août qu'on avait appris à Rennes l'assassinat commis le 1er de ce mois sur la personne de Henri III par le moine Jacques Clément.

Toutefois après l'éloignement de Mercœur et de son armée, la ville de Vitré n'était pas libre. Les bandes de paysans que ce duc avait soulevés au son du tocsin et par l'appât du pillage des huguenots, tenaient bloquées toutes les avenues et les rendaient inaccessibles à qui eût voulu entrer dans la place. Elle eût été exposée à la famine sans l'arrivée du capitaine Massoreau ou Montsoreau [Note : Les registres de la paroisse Saint-Martin l'appellent Monsoriais] qui accourut de Rennes avec des troupes tant de cavalerie que d'infanterie. Au moyen de ce renfort, qui arriva à Vitré du 15 au 20 novembre, les forces du commandant La Courdanon furent portées à 2,500 hommes. Les royalistes marchèrent sous les ordres de Monbarot, de La Tremblaie, de Mont-Bourcher du Bordage [Note : Il mourut le 23 janvier 1593 ; on le crut empoisonné], du comte Mollac [Note : Peut-être Sébastien de Rosmadec, baron de Mollac, sieur de Kergournadec'h du chef de sa femme. Le chanoine Moreau parle de ce brave militaire dans son Histoire des guerres de la Ligue. Je le trouve ailleurs (dans le Journal de Pichart) qualifié gendre du baron de Hallot] du comte Montsoreau, et autres capitaines. On dispersa les bandes, on détruisit leurs principaux repaires, et le mardi 21 novembre on s'empara d'Etrelles où la résistance fut si opiniâtre qu'il fallut l'emporter de vive force, ainsi que l'église où plusieurs ligueurs s'étaient fortifiés. Ceux qui se trouvaient dans le clocher mirent moins d'obstination : ils se rendirent. Le bourg fut brûlé. Il y périt 71 personnes tant tuées dans le combat que brûlées et pendues après l'action [Note : Un moine, nommé Caillel, curé d'Etrelles, fut tué dans le combat ; et il n'était pas le seul religieux qui portât les armes dans ce tems de désordre, de libertinage et de cruauté. Le capitaine royaliste Judier fut blessé au bras d'un coup d’arquebuse qui l'obligea de se faire transporter à Rennes, où il mourut le 3 avril 1590].

Montsoreau, auquel le prince de Dombes avait donné la charge de maréchal-de-camp, était assisté de La Conelaie dont nous avons parlé plus haut. Ils allèrent, dit Montmartin, « châtier ces méchans paysans des environs de Vitré qui avaient commis infinies inhumanités et cruautés ...... De paroisse à paroisse, il les fallait attaquer : le pays, fort et tout fosséyé de grands et hauts fossés, leur donnait de grands avantages. La maison de La Roberie, confite en Ligue, auprès de La Guerche, tenait fort : elle fut prise, pillée et saccagée, et les paroisses circonvoisines châtiées ». Quelle époque et quels désastres ! C'est le fruit malheureux de nos guères civiles.

1590. Au commencement de janvier, deux ligueurs forcenés, La Touche-Guinier et le moine Michelaie [Note : Ce redoutable moine fut pris dans le courant du mois de mai suivant, près de Vitré, et fut tué par quelques seigneurs parmi lesquels on signalait le baron du Hallot et sou gendre le baron de Mollac] ravageaient et brûlaient Coêmes, que les royalistes furent obligés d'assiéger et qui ne fut pris que le 15 février, grâce au concours du sergent Pierre Morel qui profita de l'absence du capitaine de la place pour armer cinquante prisonniers et ouvrir les portes aux assiégeans.

Le jeudi 3 août, les garnisons de Fougères et de Châtillon-en-Vandelais, places très fortes et toujours obstinément soumises au parti de la Ligue, tentèrent d'obtenir par surprise ce qu'elles n'avaient pu conquérir à force ouverte : elles essayèrent de pénétrer nuitamment dans le château de Vitré. Quarante Ligueurs environ s'y étaient déjà introduits, lorsque ils furent découverts à l'entrée de la nuit dont l'obscurité en sauva quelques-uns.

Pendant que Montmartin était allé rejoindre Henri IV, auprès duquel il resta jusque à la fin de 1590, Guillaume de Rosmadec-Meneuf, son lieutenant, s'était permis de laisser le commandement du château à son beau-frère Boisjouan, sieur du Breuil. Ce dernier céda aux insinuations corruptrices de ce duc de Mercœur qui, en 1598, ne vendit pas sa fidélité moins de 4,295,000 livres tournois, bien basantes, à notre bon Henri IV auquel il ne pouvait plus désormais résister.

Le traître Boisjouan avait formé le projet de faire entrer l'ennemi du côté où la rivière s'approche le plus de la ville sous le château. Là se trouvait une petite galerie souterraine fort étroite où un seul homme à la fois pouvait s'avancer. Heureusement pour Vitré, quelques officiers que le beau-frère de Rosmadee avait renvoyés, parce que ils n'avaient pas voulu s'associer à ses mauvais, desseins, prévinrent le capitaine Ralon [Note : Ce brave, qui avait le grade de sergent-major, est toujours appelé Raton par Taillandier qui sans doute a mal lu son nom dans le manuscrit de Montmartin, lorsque il le fit imprimer à la suite de son Histoire de Bretagne], militaire courageux, entreprenant et fidèle. Il était neuf heures du soir, et le soleil était couché depuis une heure et demie : les ennemis n'étaient plus qu'à deux lieues de la ville, prêts à fondre sur elle aussitôt qu'ils auraient été avertis du succès favorable de la conjuration.

Le brave Ralon qui, d'après les avis qu'il avait reçus à deux heures de l'après-midi, se tenait sur ses gardes, découvrit un nommé Saint-Laurent qui poussait une soixantaine d'hommes vers le souterrain. Sans perdre de tems, Ralon courut sur la contrescarpe et s'aperçut que le grand pont et une planche étaient levés. Avec tout le sang-froid de la véritable bravoure, il se fit apporter un petard et une échelle à l'aide de laquelle il descendit dans le fossé qui était profond, suivi seulement de sept ou huit hommes déterminés [Note : D'autres disent : seulement trois soldats]. Il planta adroitement son échelle contre le pilier du mur, entre deux ponts qui existaient alors, et se maintint dans ce poste périlleux sous les coups d'arquebuse qui des machicoulis, pleuvaient sur lui [Note : « Toute la précaution qu'il prit, dit Montmartin, fut de se tenir serré contre le grand pont »]. Comme Raton était de petite taille, fort leste et très adroit, il parvint à se glisser entre la petite porte et la planche dont nous avons parlé. Alors il attache le petard qui produisit l'effet qu'il en attendait, en emportant la petite porte qui donnait entrée dans le château ; puis il se jeta dans la place où il fut suivi de trois de ses hommes, les seuls probablement qui eussent échappé aux arquebusades des traîtres. Il fut, par leur chef, accueilli de deux coups de pistolet qui ne lui firent que de légères blessures ; mais ce chef paya aussitôt de sa vie son crime et sa témérité. Ceux qui l'accompagnaient, déconcertés à l'aspect de Ralon, lui rendirent les armes. Les autres conjurés, occupés à recevoir les soldats de Saint-Laurent, croyant heureusement qu'ils allaient avoir affaire à une force supérieure, prirent la fuite au plus vite par le souterrain au lieu de rentrer dans le château.

On employa la journée du lendemain (4 août 1590) à la punition des coupables les plus compromis, et tout rentra dans l'ordre [Note : Voici ce qu'on lit dans les registres de la paroisse Notre-Dame : « 1590 : 16 avril. Enterrés vingt-sept qui furent tués la nuit précédente, ayant entré par la poterne du château pour le surprendre ». Je présume qu'il n'y a pas là une simple différence de date, et que, par conséquent, il y eut plusieurs tentatives entreprises par les Ligueurs pour s'emparer de Vitré. Le registre de la paroisse Saint-Martin s'exprime ainsi : « Le mardi... avril 1590, à deux heures après minuit, massacre, au château de Vitré, de ceux qui voulaient le prendre : vingt-six tués, trois pendus, dont M. des Martinais et M. de Pariers »].

La mère de Gui XIII, encore mineur puisque il n'était âgé que de cinq ans, se rendit à Rennes le 19 novembre 1590, et, le 22, y fit enregistrer au parlement les lettres qui lui confiaient la tutèle de son fils, « à la charge de le nourrir dans la religion catholique, selon la volonté du feu roi » (Henri III).

1591. Le 25 janvier, le capitaine La Frosse conduisit à Rennes les prisonniers qu'il avait faits sur les Ligueurs, à Visseiche [Note : Au village de Longlées, sur la rive gauche de la Seiche].

Dans le cours de l'année 1591, Vitré, qui était toujours le point de mire et l'objet des spéculations hostiles des Ligueurs [Note : Le Menust de Brequigni, sénéchal de Bretagne, prononça, le 30 avril 1590, un décret de prise de corps contre les Ligueurs de Vitré et de quelques lieux du voisinage. Voir Dom Morice, Histoire de Bretagne, Preuves : Tome III, col. 1506, et nos Pièces Justificatives], éprouvait assez souvent des alertes inquiétantes. Environ 200 cavaliers des garnisons voisines, « toujours, comme dit Montmartin, ensorcelés du venin de la Ligue », essayèrent d'enlever 200 pipes de vin envoyées à Rennes. Ils crurent l'entreprise d'autant plus assurée qu'ils ignoraient que Montmartin, arrivant la veille très tard du siège d'Avranches, était rentré à Vitré. A mille pas de cette ville, les Ligueurs se saisissent des voitures et leur font prendre la route du château de Châtillon-en-Vandelais qu'ils occupaient toujours. L'alarme sonna bientôt dans la ville. Le gouverneur Montmartin, qui par hasard se promenait sur la contrescarpe, fit aussitôt sortir des gens de pied et surveiller les portes ; puis il s'achemina de sa personne à la tête d'une vingtaine d'arquebusiers et envoya en avant le capitaine Ralon qui marcha droit au pont Josselin [Note : Ce pont servait à passer la Vilaine, au-dessus du Bas-Pont construit à l'époque de la confection de la grande route actuelle de Vitré à Rennes. L'ancienne route était plus à l'est et gagnait vers Champeaux. Le pont Josselin, anciennement Pont-Josse, tirait vraisemblablement son surnom du nom de Josse, l’un des ermites établis près des Augustins], pour suivre les traces des ravisseurs. Trois militaires de la compagnie de Montmartin, La Fosse, Moussy et Michel, sont lancés pour engager l'ennemi dans une action qui puisse ralentir sa marche. La Fossille (ou Fausille), beau-fils et guidon du gouverneur, survient aven cinq de ses amis, et procure à son beau-père un cheval sur lequel il s'élance sans bottes ni éperons. Les charrettes et leurs conducteurs avaient déjà franchi le pont et paraissaient sur la hauteur au-delà. Deux troupes sont détachées pour les envelopper à droite et à gauche, tandis que les neuf cavaliers chargent l'ennemi et le mettent en déroute, après avoir tué quelques hommes et fait plusieurs prisonniers. Plus de 120 chevaux furent pris, les charrettes et le vin recouvrés, et les marchands qui les conduisaient rendus à la liberté.

On avait souvent dans ces contrées des engagemens avec les ligueurs. Peu de tems avant l'événement que nous venons de raconter, un brave soldat, nommé Gravelines, qui s'était brillamment distingué au siège de Vitré, deux ans auparavant, fut blessé à la hanche et estropié dans une affaire près du château de Malnoe [Note : Montmartin l’appelle Mallenoue]. Une autre affaire eut lieu à Champeaux entre quelques hommes de la garnison de Vitré et 500 ou 600 tant chevaux-légers qu'arquebusiers ligueurs qui furent obligés de se retirer devant un petit nombre de braves que les succès précédens poussaient aux actions d'éclat.

Le prince de Dombes qui sentait la nécessité de débarrasser Vitré d'un voisinage sinon très dangereux, du moins fort importun, prit la déterminatien de s'emparer de Châtillon-en-Vandelais, dont le château, bâti sur un point fort élevé, auprès d'un vaste étang, commandait tout le pays d'alentour. Montmartin fut chargé de faire disposer, tant de Rennes que de Vitré, l'artillerie nécessaire au siège proposé. En peu de jours six canons et deux coulevrines furent réunis. Montbarot, gouverneur de Rennes, les fit conduire par des bœufs. Le prince marcha droit à Châtillon ; Montmartin l'investit ; Vitré fournit les poudres et les balles dont il avait un magasin bien approvisionné. L'artillerie fut bientôt mise en batterie devant le château qui était défendu par 200 hommes de guerre, à la tête desquels Mercœur avait envoyé sept ou huit de ses meilleurs gardes. Près de 800 coups de canon furent tirés sur la place, et les assiégés demandaient à capituler au moment où elle fut emportée et la garnison taillée en pièces. Le feu prit aux poudres, gagna dans le château tout ce qui était combustible et l'endommagea gravement. Le duc de Montpensier perdit dans cette affaire un gentilhomme de distinction que l'on appelait le sire de Beaujeu. Le gouvernement de cette forteresse, d’autant plus, importante qu'elle se trouve entre Vitré et Fougères, fut confié à ce brave Brement-Fani dont nous avons parlé plus haut, et qui justifia si bien, par sa fidélité au roi, la bonne opinion qu'il avait inspirée [Note : En 1597, Brement-Fani, toujours commandant de Châtillon-en-Vandelais, se réunit à La Tremblaie et à quelques autres royalistes pour assiéger les Ligueurs dans le bourg de Saint-Suliac, entre Dinan et Saint-Malo. Dans cette expédition La Tremblaie fut tué le 8 septembre].

Pour donner une idée de la barbarie cruelle de ces déplorables époques, nous citerons le passage suivant des Mémoires de Montinartin : « Il ne faut omettre que le duc de Mercœur, après la prise de Châtillon, s'imaginant qu'on lui avait fait pendre ses gardes (qui lui furent renvoyés pleins de santé) et voulant venger la mort d'un nommé Tisonnière, qui avait été pendu pour ses malefices, fit pendre le juge de Laval, nommé Des Conières, l’ayant gardé près de deux ans prisonnier dans le château de Nantes ». Il ne faut pas omettre non plus de dire que ce malheureux magistrat était pourtant catholique et qu'il mourut tel ; mais le duc de Mercœur n'y regardait pas de si près, et la vie d'un homme était alors comptée pour bien peu de choses. Montmartin ajoute, et on l'en croira sans peine, qu'alors « il s'est commis plusieurs autres actes pleins d'inhumanité, lesquels il vaut mieux taire que dire ».

Dans le courant du mois d'octobre, Mercœur, assisté de troupes espagnoles, assiégeait Blain, qu'il prit le 31 de ce même mois. Les royalistes marchèrent trop tard pour secourir la place : ils s'étaient réunis à La Guerche, et n'allèrent pas au-delà de Marcillé-Robert, où sans doute ils apprirent la fâcheuse issue de ce siège.

Pendant que le prince de Dombes revenait dîner à Vitré, le lieutenant-général La Hunauldais y tomba malade, et, après deux jours qu'il y passa, il jugea à propos de se faire transporter en litière à Rennes, où le prince s'était rendu. Montmartin, n'ayant pu le détourner de cette imprudence, le fit escorter par des soldats commandés par Chambellan, lieutenant de sa compagnie, et La Faucille qui en était le guidon. Agé de plus de 65 ans, accablé des fatigues de la guerre et de sa maladie, le vieux guerrier ne put aller plus loin que la lande de Cu-Venté, qui portait alors un nom moins honnête encore : c'était le lundi 6 décembre [Note : René de Tournemine, baron de La Hunauldais, lieutenant-général pour le roi en Bretagne, chevalier des, deux ordres du roi, capitaine de 50 lances. Ses funérailles eurent lieu à Rennes le 16 janvier 1592].

Vers la même époque, un capitaine Vitréen se distingua par des actions d'éclat au siège de la tour de Sessons, près de Saint-Brieuc, qu'il contribua vaillamment à faire lever par les Ligueurs : il s'appelait La Perrière et servait en qualité de lieutenant d'une compagnie dans la garnison de Guingamp.

1592. Malgré les succès continuels de Henri IV, l'obstination des Ligueurs tenait toujours dans l'incandescence l'ardeur de la guerre civile [Note : Le 14 février 1592, le parlement de Rennes défendit de manger de la viande pendant le carême, et aux bouchers et revendeurs d'en vendre, sur peine d'être pendus et étranglés. JOURNAL DE PICHART]. Autour de Vitré, tout était à feu et à sang. Le 4 février, le prince de Dombes s'y rendit et, de Rennes, y fit conduire prisonnier Guébriant qui s'était signalé trois ans auparavant au siége de Vitré.

Craon, Château-Gontier, Laval et Maïenne éprouvaient les rigueurs des alternatives guerrières. Le 23 mai, Mercœur battit les royalistes et l'armée des princes, c'est-à-dire du prince de Dombes et du prince de Conti, devant Craon qu'ils assiégeaient. Le roi était alors en Picardie. Il apprit cette mauvaise nouvelle, quatre jours après l'événement, par un courrier que les Vitréens expédièrent à leur gouverneur Montmartin qui combattait alors à côté de son prince. Henri lui donna ordre de partir en diligence pour Vitré afin de le préserver du sort que venaient de subir Château-Gontier, Maïenne et Laval, enlevés aux royalistes par le duc de Mercœur, après sa victoire de Craon Montmartin ne mit que six jours pour se rendre dans la ville confiée à son gouvernement. Il arriva dans les premiers jours de juin, sentant bien la nécessité de ne pas perdre de tems, et, comme il le dit, le roi « connaissant bien la conséquence de cette place, étant celle qui pouvait le plus favoriser l'entrée en Bretagne, là où le sieur de Mont-Gomeri s'était jeté, deux jours auparavant, avec trente de ses amis ».

Fier du succès de Craon et de la prise des trois villes mancelles que nous avons nommées plus haut, Mercœur s'approcha de Vitré avec quelque espoir d'y venger ses affronts précédens ; mais Montmartin avait, sans être reconnu, passé à travers l'armée des Ligueurs et n'avait pas perdu de tems pour ravitailler la place menacée, dans laquelle il ne trouva guères qu'une faible garnison d'Anglais : mais le zèle des braves Vitréens, qui n'avaient pas oublié leur gloire de 1589, le seconda puissamment. Mercœur n'osa attaquer la ville, défendue alors par 1,200 hommes déterminés ; il passa, sans s'arrêter, à une distance respectueuse, s'empara, le 25 juin, de Château-Giron dont il fit pendre le gouverneur et un grand nombre d'habitans, et de là se porta sur Malétroit.

Le jeune baron de Vitré, accompagné du comte de Mont-Gomeri, se rendit le 30 septembre à Rennes, où sa mère ne le rejoignit que le 20 octobre.

D'après un ordre expédié de Rennes par le duc de Montpensier, le 8 novembre 1592, Du Liscouet [Note : Ou Du Liscoet, de Tréguier : il était seigneur du Bois-de-La-Roche, près de Guingamp. Il se distingua beaucoup dans les guerres de cette époque, notamment à la prise de Carhaix, et fut tué, en novembre 1594, devant Camaret, que les Espagnols défendaient pour la Ligue] fut envoyé à Vitré avec sa compagnie de 30 hommes-d'armes, pour y tenir garnison.

1593. Le 23 janvier, Du Bordage, dont il a été question en 1589, mourut à Rennes. On le crut empoisonné par les Ligueurs.

Dans le courant de juin 1593, le brave d'Epinai Saint-Luc, l'un des meilleurs généraux de Henri IV, et qui succéda à La Hunauldais dans la lieutenance-générale de la Bretagne, vint de Parné, près de Laval, assiéger la ville et le château de La Guerche [Note : Le Journal de Pichart s'exprime ainsi à la date du 22 juillet 1593 : « M. de Saint-Luc se rend de Rennes à Vitré pour continuer ses amours avec Madame de Laval ». Cette dame, le 27 décembre suivant, alla à Rennes avec Montmartin, qui était depuis peu de retour d'auprès du roi. Elle fut alors fort critiquée par rapport à ses liaisons, peut-être fort innocentes, avec Saint-Luc et le maréchal d'Aumont. Ce dernier fut blessé mortellement au siége de Comper, qui appartenait au baron de Vitré, et mourut à Rennes le 19 août 1595]. Il s'en empara, bien secondé qu'il fut par Montmartin qui lui amena deux coulevrines qu'ensuite on reconduisit à Vitré, d'où elles furent encore employées à divers siéges des environs, notamment à celui de Mont-Fort-sur-Meu, au mois d'août suivant [Note : Il se passa en 1594 peu d'événemens remarquables à Vitré. Pichart dit seulement, à la date du 29 octobre de cette année, que l'on conduisit, « de Rennes à Vitré, le corps du sieur de La Musse-Pont-Hue, huguenot mort à l'armée du maréchal d'Aumont ». Ce pourrait être le même qui est appelé La Mouche].

Dans le courant de l'année 1594, le maréchal d'Aumont remplaça le prince de Dombes dans le commandement de la Bretagne. Paris avait ouvert ses portes à Henri IV le 22 mars de cette année Montmartin commandait encore à Vitré et s'y trouvait en 1595 et quelques années après.

En 1596, il triompha devant le roi des accusations portées contre lui pour la comtesse de Laval : il fut, comme il le dit dans ses Mémoires, « trouvé beaucoup plus homme de bien qu'il ne pensait l'être ».

Les années 1595, 1596, 1597 et 1598 furent signalées en Bretagne par les plus horribles calamités dont puisse avoir à souffrir l'espèce humaine : la guerre civile et ses massacres, les épidémies et la famine, les pluies détruisant le peu de grains qu'on avait pu semer, et les loups affamés dévorant ce qui restait de bestiaux, les enfans et même les hommes ; plus cruels que les bêtes féroces, des bandes de brigands, et un monstre, nommé Gui Eder de La Fontenelle, entassant chaque jour crimes sur crimes ..... O Nations, voilà, comme l'a dit Voltaire.

Les coupables effets de vos divisions.

Ce fut en 1598 que Mercœur vendit sa soumission et que, après neuf ans de troubles et d'horreurs en Bretagne, la guerre civile fut éteinte en deux heures de tems, au Pont-de-Cé, le 5 mars, lorsque (comme le remarquèrent les chroniqueurs) finissait la grande éclipse de soleil.

Le 16 du mois de mai de la même année, Henri IV passa par Vitré [Note : La veille, avant de quitter Rennes, où il avait fait son entrée solennelle le 9 mai, il était allé voir la baronne de Vitré. Il fut bien accueilli et plut généralement. Voici ce qu'on lit à son sujet dans le Journal de Pichart : « c'est un fort agréable prince, et tort familier à tout le monde, et mêlé en toutes choses sans grande longueur de discours, et adonné à toutes sortes d'exercices, de moyenne taille, la barbe toute blanche, le poil blond commençant à grisonner, et l’œil plaisant et agréable, peut avoir l'âge de 46 à 47 ans : néanmoins la barbe le rend plus vieil qu'il n'est ». Il était alors âgé de 44 ans et 5 mois], à son retour de Rennes où il avait fait son entrée le 9, après avoir, à Nantes, donné le célèbre édit de tolérance que Louis XIV eut la barbarie et l'injustice impolitique de révoquer en 1685.

Le sage édit de tolérance, donné à Nantes par Henri IV, ne fut qu'imparfaitement exécuté il était sans cesse éludé par les catholiques qui accablaient d'obstacles et de persécutions les protestans partout où ceux-ci n'étaient pas assez nombreux pour faire respecter les lois, l'humanité et leurs personnes. A Rennes, on les obligeait à aller jusque à Liffré chercher les secours religieux [Note : Dom Taillandier, Histoire de Bretagne, II ; 275, parle des « excès auxquels se portaient contre eux les ecclésiastiques, les moines et la populace »] ; à Vitré, grâce à la protection de leurs barons qui suivaient aussi le protestantisme, ils obtinrent d'abord plus de liberté : un arrêt du conseil d'état, daté du 29 avril 1611, les autorisa à construire, dans deux maisons de la ville, un temple que, dès le 24 janvier 1642, un autre arrêt les obligea à rebâtir dans un faubourg (sans doute dans la rue de la Folie ou des Fouteaux). Enfin, le 7 août 1671, quelques mois seulement après que Heuri II de La Tremoille eut quitté le protestantisme, un Arrêt Notable du conseil ordonna la démolition de cet édifice. C'est ainsi que, de persécutions en persécutions, on marchait à la révocation de l'édit de Nantes. Ainsi, après 111 ans d'exercice à Vitré, le culte-protestant, qui s'y était introduit dès 1558, mais qui n'y avait été exercé qu'en 1560, y fut complètement aboli.

 

CINQUIÈME DYNASTIE. — Maison de La Tremoille.

XXIV. HENRI Ier de La Tremoille. Il était arrière-petit-fils de François de La Tremoille dont le fils (Louis de La Tremoille) avait, en 1549, épousé d'abord Jeanne de Montmorenci, et était mort le 25 mars 1577, laissant pour héritier son fils Claude de La Tremoille. Ce dernier, né en 1566, s'était marié à Charlotte-Brabantine de Nassau, princesse d'Orange, et était mort le 25 octobre 1604.

Henri Ier, leur fils, naquit en 1599.

Ce fut à l'âge de cinq à six ans en 1605, que, par la mort de Gui XIII, décédé sans enfans, Henri devint comte de Laval et baron de Vitré.

Le duc de Vendome, gouverneur de Bretagne, fit, en cette qualité, son entrée solennelle à Vitré le samedi 20 septembre 1608.

Dans le cours de cette même année, la communauté des habitans de Vitré arrêta que celui des bourgeois qui abattrait le Papegaut ou Papegai, paîrait 12 livres tournois à l'hospice Saint-Nicolas.

En 1611, l'étang qui protégeait Vitré au nord aboutissait au bas du faubourg du Rachat, et y était contenu par une chaussée dans le voisinage de laquelle on exploitait, comme aujourd'hui vers 1839, plusieurs tanneries.

Les Recollets de l'ordre de Saint-François se fixèrent en cette ville à la date du 7 août 1612. Il paraît que ces religieux y avaient été reçus en 1610, et que leur établissement, consenti par les habitans le 10 juillet 1609, avait été confirmé par arrêt du parlement le 13 avril 1611 [Note : Le dauphin, qui depuis fut Louis XIII, fonda les Recollets de Vitré en vertu de lettres-patentes de Henri IV, datées de Foutainebleau en juin 1609, et enregistrées au parlement de Rennes le 13 juillet de la même année. Ces religieux commencèrent leurs offices le dimanche 7 août 1612].

Les Jacobins, dont le véritable nom était Dominicains de l'étroite observance, furent fondés en vertu d'un titre du 21 juillet 1620, par François Guesdon de La Bedoyère. Le duc de La Tremoille autorisa cet établissement par lettres-patentes du 14 octobre suivant, confirmées par lettres-patentes du roi, en février 1621, enregistrées au parlement le 18 mars de la même année. La première pierre des, bâtimens fut posée par M. Hay des Nétumières, le 27 juin 1654. En 1770, on n'y comptait plus que quatre religieux.

Pendant la minorité de Henri Ier, le 13 juin 1617, sa mère rendit une ordonnance sur les poids de 22 onces, de 24, de 14 et de 16, dont on fesait usage à Vitré : elle prescrivit de n'employer désormais que des livres de 16 onces et prohiba les poids à crochet. Nous voyons encore aujourd'hui combien il est difficile d'arracher le peuple à la routine et de lui faire bien comprendre ses intérêts.

Dans la crainte de quelques troubles, le duc de Vendome s'assura de la ville et du château de Vitré le 28 mai 1621.

Le 20 avril 1622, le Chapitre des Augustins se réunit à Vitré pendant huit jours, et 160 religieux de cet ordre arrivèrent des divers couvents de France pour y assister. En 1734, on ne comptait plus dans le couvent de Vitré que cinq religieux, dont un prieur et un sous-prieur.

Henri se trouva avec l'armée du roi au siége de La Rochelle, dont la prise importait d'autant plus que cette ville était regardée comme le boulevart du protestantisme en France. C'était en 1628. Pendant la durée de ce siége mémorable, le duc de La Tremoille quitta, le 18 juillet de cette année, la religion de ses Pères pour embrasser le catolicisme entre les mains du cardinal de Richelieu. Pour prix de sa docilité, il reçut la charge de mestre de camp de la cavalerie légère. Le 7 mars 1629, il se trouva à l'attaque du Pas de Suse et s'y distingua. Après cette brillante campagne, Henri fit son entrée solennelle à Vitré, le 4 septembre de la même année, et fut reçu, au milieu de grandes réjouissances publiques, à la collégiale de La Madelène et ensuite à Notre-Dame.

En 1630, retourné à l'armée du Piémont, le duc de La Tremoille fut, d'un coup de mousquet, blessé au genou, en allant faire la reconnaissance de la ville de Carignan dont il s'empara ; il facilita ainsi la levée du siége de Casal. Ce fut un de ses titres pour obtenir en 1633 la décoration des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit qu'il méritait depuis long-tems.

Le 17 septembre 1636, il ouvrit à Nantes la session des Etats de Bretagne, et les présida en sa qualité de baron de Vitré, comme il l'avait fait à Rennes en 1617, à Vannes en 1619, à Nantes en 1623, en 1626 et en 1628, ainsi qu'à Dinan en 1634 ; comme il le fit depuis à Nantes en 1638, à Rennes en 1640, à Vannes en 1643, à Rennes en 1645, à Vannes en 1649, et à Fougères en 1653.

Dans la même année 1636, Henri conduisit au siège de Corbie un corps de 4,000 hommes, tant d'infanterie que de cavalerie, qu'il avait levés à ses frais.

Le 12 août de cette même année, il fit un afféagernent dans la lande de Rétiers, et, le 24 avril 1647, il y fonda la chapelle Notre-Dame.

A la mort de Louis XIII (en 1643), le duc de La Tremoille remplaça le prince de Condé (Henri de Bourbon), grand-maître de France, dans la cérémonie des obsèques du monarque.

On voit que dès 1645, quarante ans par conséquent avant la révocation de l'édit de Nantes, les catholiques de Vitré s'étaient emparés du temple des protestans, privés de protection depuis que le baron de Vitré s'était fait catholique. Ce temple fut converti alors en deux chapelles, sous les vocables de Saint-Louis et de Saint-Henri. Toutefois il existait encore à Vitré, malgré les persécutions, quelques protestans au commencement du XVIIIème siècle.

En 1648, Henri obtint du roi l'autorisation d'envoyer à Munster, où fut réellement fondé le droit public de l'Europe, un chargé d'affaires pour y faire valoir les prétentions qu'il avait sur le royaume de Naples et qu'il tenait d'Anne de Laval, fille et héritière de Charlotte d'Aragon.

Il avait épousé, le 19 janvier 1619, Marie, seconde fille de Henri de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, et d'Elizabeth de Nassau. Il était à son château de Thouars lorsque il mourut le 21 janvier 1654, âgé de 54 ans, comme le dit le Moréri de 1759 (Grand Dictionnaire Historique. 1759. 10 vol. in-f.°).

Dans le cours de l'année qui précéda sa mort, Henri avait vendu, entre autres terres, sa forêt de Brécilien, Breseliand ou Broceliande. Cette fameuse forêt [Note : Nous devons au savant M. Baron du Taya, ancien conseiller à la cour royale de Rennes, un livre très curieux sur Broceliande, ses chevaliers, etc. Cet ouvrage élégamment imprimé en 1839 par M.r J. M. Vatar, et qui fait beaucoup d'honneur aux presses Rennaises, offre une lecture fort agréable, et assurément très instructive, aux personnes qui prennent intérêt aux antiquités de la Bretagne; et s'occupent de notre littérature du moyen âge], si célèbre dans les romans de chevalerie, après avoir appartenu aux souverains de la Bretagne, était passée dans la Maison de Mont-Fort-sur-Meu ou de Gaël, et de là dans celle des Sires de Laval « lorsque, dit M. du Taya, de nouveaux liens réunirent les Mont-Fort aux Montmorenci : » c'était dans le XVème siècle. Les La Tremoille la possédèrent ensuite avec le comté de Laval et la baronnie de Vitré ; mais ils la vendirent en 1653 au président de Farcy et au comte D'Andigné de La Chasse. Cette forêt est connue aujourd'hui sous le nom de Penpont ou Paimpont, et se trouve à 8 lieues de Rennes, entre Guer et Gaël, où sans doute elle est réduite à n'occuper qu'une partie de son ancienne étendue.

XXV. HENRI II Charles de La Tremoille, fils du précédent. Né le 17 décembre 1620. Il avait en 1648 le commandement de la cavalerie Hessoise, et fut plusieurs années employé au service des Etats de Hollande, d'où il rentra en France pendant le cours de 1655.

Dès 1644, Madame de Sévigné habita quelque tems avec son mari le château des Rochers, où elle vint de 1654 à 1690 faire d'assez longs séjours pendant lesquels elle y écrivit un grand nombre de ces Lettres spirituelles qui l'ont justement immortalisée. Le 28 janvier de cette année, les dames hospitalières vinrent occuper à Vitré les hospices Saint-Nicolas et Saint-Yves : dans le procès-verbal de ce jour, ces religieuses reconnaissent le duc de La Tremoille pour leur fondateur.

Eu 1659, le 4 juin, une trombe passa sur la ville et renversa le clocher de l'église Saint-Martin, lequel était très élevé.

Comme seigneur de Mont-Fort, Henri II concéda à la métairie de La Poulainière (près de Mont-Fort-sur-Meu) l'échange de dè fournir deux harts torles, toutes les fois qu'on y exécuterait un criminel, pour une couronne de fleurs présentée le jour de la Saint-Jean.

Le 7 mars 1665, la Hollande, qui était en guerre avec l'évêque de Munster, confia à Henri le gouvernement de Bois-le-Duc où il entra le 25 mai. Le 11 février 1666, il mit en déroute les troupes de ce prélat, et, dans le mois suivant, il recut des Etats de cette république la charge de général de la cavalerie hollandaise.

Resté protestant, quoique son père eût, dès 1628, embrassé le catholicisme, Henri II abjura le protestantisme le 3 septembre 1670 entre les mains de l'évêque d'Angers.

Il avait épousé le 1er mai 1648 Amélie de Hesse, fille du Landgrave Guillaume V [Note : Née en 1625 ; restée fidèle à sa religion, elle quitta Paris et son mari ; habita long-tems Vitré, et, après la révocation de l'édit de Nantes, affligée des persécutions auxquelles ses coreligionnaires étaient en proie , elle alla mourir à Francfort le 23 février 1693. Il est souvent question de cette princesse dans les Lettres de Madame de Sévigné, ainsi qu'on peut le voir dans nos Recherches Nouvelles sur Madame de Sévigné et son séjour à Vitré et aux Rochers, etc. 1838 in-8°]. Il mourut à Thouars le 14 septembre 1672 ; et les Bénédictins de Vitré célébrèrent ses obsèques le 5 octobre suivant. Il présida les Etats de Bretagne à Vitré en 1655, à Nantes en 1661, à Dinan en 1669, et à Vitré en 1671 [Note : Dom Morice ne fait pas mention de ces Etats. Ce n'est pas la seule de ses erreurs que nous ayions rectifiée]. Il eut pour successeur son fils :

XXVI CHARLES I Belgique-Hollande. Né en 1655, suivant Moréri et le père Anselme [Note : Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, des Pairs ; etc. 1726-1733. 9 vol. in-f.°], il fut nommé premier gentilhomme de la chambre du roi ; puis, en 1688, chevalier de ses ordres.

Il transigea le 21 juin 1694 avec Monsieur, frère du roi, sur la succession du duc de Montpensier.

Le 3 avril 1675, il avait épousé Madelène de Créqui [Note : Elle mourut le 12 août 1707] ; il mourut le 1er juin 1709. Comme Henri Ier et Henri II, il fut inhumé à Thouars. Ses titres étaient duc de La Tremoille, de Thouars et de Loudun, prince de Tarente et de Talmont, comte de Laval et de Mont-Fort, baron de Vitré, vicomte de Rennes, de Bais et de Marcillé-Robert, marquis d'Epinai, etc. Il paraît que ce prince était un homme fort médiocre, du moins si on s'en rapporte à Madame de Sévigné [Note : La princesse de Tarente « n'a qu'un benêt de fils qui n'a point d'ame dans le corps. ». Lettre du 29 décembre 1675] qui le connaissait.

Ce baron présida les Etats à Vitré en 1675, à Saint-Brieuc en 1677, à Nantes en 1681 [Note : Les Etats tenus à Vitré en 1683 furent présidés, au commencement, par le marquis de Coislin, baron de Pont-Château, qui céda sa place au duc de Rohan, baron de Léon, dont le triomphe dans ses prétentions à la présidence ne fut pas de longue durée], à Dinan en 1685, à Rennes en 1689 [Note : Ces Etats ouvrirent le 22 octobre 1689. Le duc de La Tremoille, récemment décoré du cordon du Saint-Esprit, passa par Vitré le 20 de ce mois pour aller les présider. « Il fut reçu (à Vitré ) à grand bruit, à cause de sa chevalerie », dit Madame de Sévigné, Lettre du 23 octobre 1689], à Vitré en 1697, à Nantes en 1701 , et à Vitré en 1705.

Des troubles assez graves eurent lieu en Bretagne en 1675 à l'occasion de l'impôt sur le Tabac et de l'établissement du droit de Timbre. Les environs de Vitré se ressentirent de cette sédition qui avait commencé à Nantes, excita des émeutes à Rennes, et souleva quelques bandes de paysans. La corde et la roue furent rigoureusement prodiguées contre des révoltés qui, s'il faut prendre à la lettre ce qu'écrivait le marquis de Coulanges, « brûlaient tous les châteaux et violaient toutes les femmes ». Le marquis de Vins et le bailli de Forbin arrivèrent avec des troupes au nombre de « 10 à 12,000 hommes de guerre qui vivaient comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin, » [Note : Lettre de Madame de Sévigné, datée du 20 décembre 1675] au point de mettre des enfans à la broche. Le parlement fut, pendant quelque tems, transféré de Rennes à Vannes. La désolation qui n'épargnait pas même les innocens, était telle qu'on avait « chassé de Rennes [Note : Madame de Sévigné, Lettre du 30 octobre 1675] et banni toute une grande rue, et défendu d'en recueillir les habitans sous peine de la vie : de sorte qu'on voyait tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfans, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans trouver de nourriture ni de quoi se coucher ».

XXVII. CHARLES II Louis-Bretagne, né en 1683, mourut le 9 octobre 1719. Il avait épousé, le 12 avril 1706, Marie-Madelène de La Fayette, fille unique de la spirituelle auteur de la Princesse de Cleves. Premier gentilhomme de la chambre du roi, il se distingua le 14 octobre 1702 à la bataille de Friedlingen que le comte de Villars gagna sur les impériaux, et qui lui valut le bâton de maréchal de France. Au mois de décembre suivant, Charles II fut nommé mestre de camp de cavalerie, puis en 1709 brigadier des armées du roi ; il siégea au parlement le 8 janvier 1711, et dans la même année, le 12 juillet, il se trouvait au combat d'Arleux. Elevé le 1er mars 1719 au grade de maréchal de camp, il ne jouit que sept mois de cet honneur. Il avait présidé les Etats à Dinan en 1713, à Saint-Brieuc en 1715, et à Dinan en 1717.

XXVIII. CHARLES III Armand-René. Né le 14 janvier 1708, il prêta serinent le 8 mai 1717 comme premier gentilhomme de la chambre du roi. Il était fort jeune encore, lors de la conspiration de Cellamare contre le Régent, en faveur de l'Espagne, conspiration dans laquelle la Bretagne joua un rôle fâcheux de 1718 à 1720. Quelques gentilshommes bretons s'étaient fortifiés dans leurs châteaux, avaient séduit un assez grand nombre de ces ineptes paysans qui n'osent refuser de se soulever quand d'eux-mêmes ils n'y seraient pas disposés. De petites troupes campaient dans les bois, toutes prêtes à agir hostilement. Leur uniforme était une veste de toile ou de coutil, avec un chapeau de paille, d'où pendait un ruban noir. « La Bretagne, dit Le Montey (Histoire de la Régence, tome I. ) passait pour une contrée à demi-sauvage [Note : A la cour, on se fesait une idée exagérée de la barbarie de sa Bretagne, et il paraît qu'il était du bon ton de s'égayer sur le compte des gentilshommes bretons, même lorsque leur proscription devait intéresser en leur faveur. Voici ce que le maréchal de Tessé écrivait de Madrid au duc de Bourbon (le 6 mars 1724) : « Il y a ici de pauvres Bretons; ils sont d'une figure à faire croire qu'ils ne feront pas révolter la Bretagne. Qui les déchausserait, les trouverait chèvre-pieds »], où la profusion des supplices, la barbarie des peines et la facilité des condamnations n'avaient point déplu à la justice de Louis XIV ». Le Régent, plus humain, n'employa que très peu de rigueur, quoique les coupables eussent avoué qu'ils avaient pris des mesures pour livrer les ports de la Bretagne à l'Espagne et pour marcher en armes contre la France. Ainsi que les premiers chouans de 1792, le marquis de Pontcallet [Note : Ce Dugué de Pontcallet, de Mont-Louis, Le Moyne dit le chevalier de Talhouet, et du Couédic furent exécutés à Nantes le 26 mars 1720], le comte et le chevalier de Rohan-Polduc, et quelques autres, conspirateurs en 1718, étaient poursuivis comme contrebandiers par les tribunaux.

D'après le privilège attaché à la baronnie de Vitré, duquel avaient joui ses prédécesseurs, Charles III présida les Etats de Bretagne en 1730 à Saint-Brieuc, en 1738 à Rennes, etc.

Déjà colonel d'un régiment d'infanterie, il le devint de celui de Champagne, par commission du 15 septembre 1731. C'est à la tête de ce régiment qu'il combattit en 1733 en Italie, où il eut son chapeau traversé d'une balle, devant le château de Milan, le 18 décembre de la même année. Il se trouva l'année suivante au siège de Tortone, et apporta au roi la nouvelle de la réduction de cette place le 12 février 1734. Il fut blessé le 4 juin suivant à la reprise de Colorno, et le 29 du même mois à la bataille de Parme. Blessé encore à la bataille de Guastalla, il fut nommé, le 18 octobre 1734, brigadier des armées du roi. Il prit séance au parlement de Paris le 18 juin 1736, et à l'académie française le 6 mars 1738. Après la démission du comte d'Evreux, Charles III fut pourvu du gouvernement de l'Ile-de-France.

Un arrêt du conseil d'état, à la date du 8 août de l'année 1743, ordonna que la nouvelle route de Paris à Brest passerait sur les Fossés de la ville de Vitré. En 1744, on adjugea le pavage de la ville et les réparations du pontceau sur le ruisseau qui sortait de l'étang du Parc. Ces réparations ne furent pas faites ou furent insuffisantes, car en 1771 la ville contraignit le duc à mettre en bon état non seulement le pontceau, mais encore l'aqueduc qui servait à l'écoulement des eaux de l'étang du Parc, et sur lequel passe la route de Vitré à La Guerche.

Marié le 29 janvier 1725 avec Marie-Hortense-Victoire de La Tour d'Auvergne, sa cousine germaine, il mourut à Paris le 28 mai 1741.

XXIX. JEAN - Bretagne Charles Godefroi, né le 5 février 1757. Mineur encore, sous la curatelle de sa mère, Marie-Christine-Emmanuelle, il épousa, le 18 février 1751, Marie-Geneviève de Durfort; puis en secondes noces Maximilienne-Sophie-Louise-Françoise, princesse de Salm-Kirbourg. Elle fit sa première entrée solennelle à Vitré en 1766.

En 1759, Bernard O-Brien, officier au régiment de Clare, qui était en quartier à Vitré, y mourut le 15 février. Son inhumation, le 15 du même mois, fut l'objet de débats scandaleux entre le recteur de l'église Notre-Dame et les Bénédictins, qui étaient rarement d'accord.

Un arrêt du conseil d'état, en date du 29 mars 1770 [Note : En 1770, les revenus de la ville étaient de 4,930 liv.], supprima un droit de Travers ou Péage [Note : Dans la pancarte de 1674, ces droits de Péage sont appelés aussi Prévôté, Coutume, Doublage, Levage, Trepas ; il y était encore question des droits de Cibuage ou Cohuage, Minage, Mesurage, et Porche ; droits accordés au baron de Vitré, à la charge d'entretenir les ponts et passages de la ville et de la baronnie. Il était chargé de 25 à 30 ponts ; mais les quatre grandes routes qui traversent Vitré ayant été mises à la charge de la province, 14 de ces ponts cessèrent d'être à celle du baron] que prétendait le duc de La Tremoille dans la ville et baronnie de Vitré, sur les voitures, bêtes de somme, bestiaux, denrées et marchandises qui y passaient debout.

Le baron de Vitré fit réparer en 1771 une partie des arches et du parapet du pont du Rachat, et en 1772 le pont du Château : travail qui ne fut terminé qu'en 1773 et même ne fut complet qu'en 1780. Le Pont-Billon, tombé en ruines depuis 1775, fut reconstruit en 1777 : c'est ce pont de bois qui a été refait à neuf, en pierre, en 1837, depuis que la route stratégique d'Ernée a été établie. Le redressement du faubourg de la Mériais eut lieu en 1781.

Une délibération de la ville, en date du 2 septembre 1783, porte qu'il sera établi un marché aux pain et grains, place de la Ricordais [Note : Cette place fut alors appelée Place Bertrand de Moleville, du nom de l'intendant ; elle a eu depuis le nom de Place Napoléon : c'est bout simplement la Place aux grains], « sur l'emplacement de deux maisons et de jardins, situés dans les douves de la ville, le long du boulevart de la porte d'En-Haut ». On procéda l'année suivante à la démolition de la Tour de l'Horloge.

Il fut, en 1785, question de bâtir un corps-de-garde, qui n'eut pas lieu, et de la plantation de la promenade des Fossés [Note : La ville n'avait alors pour promenade que le sentier du Val sous les murs septentrionaux de la ville. Ce sentier lui avait été réservé par l'acte d'afféagement du Val, passé par Henri II de La Tremoille à Etieuue Le Coq de Jalaistre, le 22 mai 1655. Madelène de Créqui, épouse et procuratrice de Charles Ier de La Tremoille, céda ce sentier à la ville pour en faire une promenade publique, par acte du 9 juillet 1701, signé par elle à Paris, et dans lequel on lit : « Sur ce qui a été remontré que, entre l'Eperon et la porte Saint-Pierre, il existe un terrain vague au val de Cantache, le long et au pied du mur de ville, l'accorde à la communauté pour faire une promenade qui facilitera la communication entre les habitans du faubourg Saint-Martin et ceux du faubourg du Rachat »], dont le plan avait été approuvé, dès le 2 février 1766, par l'intendant Flesselles, et le 21 mars 1767 par le duc de La Tremoille. Ce fut aussi en 1785 qu'on s'occupa d'applanir la nouvelle place (celle du marché aux grains) qui ne fut terminée que l'année suivante.

En 1786, le roi convoqua les Etats de Bretagne pour le 23 octobre, en la ville de Rennes ; deux ans après, il en appela une nouvelle session d'abord à Ancenis, pour le 21 octobre, puis à Nantes. Dans l'année 1786, il fut arrêté (le 17 décembre) que les Fossés de la ville seraient plantés, le long de la rue des Fontaines : cette décision ne fut exécutée que long-tems après. Le 4 du mois précédent, la communauté de Vitré, d'accord avec l'opinion du tems sur la prochaine convocation d'une assemblée représentative, demanda une augmentation dans la représentation du Tiers-Etat, dont les députés seront nommés par lui seul, avec exclusion des nobles, anoblis, fonctionnaires, et agens ou fermiers de l'église et de la noblesse. En 1789, cette communauté demanda la double représentation du Tiers-Etat.

Jean, dernier baron de Vitré, mourut pendant la révolution, vers 1795.

La ville de Vitré, qui fut avant la révolution le siége d'une subdélégation, avait pour juridictions : la baronnie de Vitré, haute justice, qui ressortissait directement au parlement de Bretagne, comme haute baronnie de la province, donnant le droit d'en présider les Etats [Note : Les Etats de Bretagne tinrent à Vitré en 1655, 1665, 1671, 1673, 1679, 1683, 1697, et 1705] auxquels elle envoyait un député ; les traites et gabelles, Le Bourg, L'Aunaie, Le Plessis, La Rouvraie, Le Trozé, La Baudière, La Bouexière, Le Châtelet, Le Haut-Fleuri, Le Prieuré de Sainte-Croix, La Charonnière, La Roussière, Saint-Sulpice, Le Temple de La Guerche : tous 15 avec haute justice ; La Motte, Le Plessis, La Bichetière, La Bérue, La Corbinais, Gazon, et La Guichardière : tous 7 avec moyenne justice ; Baillé, Le Prieuré de Saint-Serge, Saint-Yves, et La Grande-Verge : tous 4 avec basse justice.

En 1400, les maisons nobles da territoire de Vitré étaient La Galiénais, Le Gât, Le Plessis, Chanteloup, L'Aunai et Le Pont-Billon, qui appartenaient au seigneur de Vitré ; les métairies des Rochers, du Boulai, de La Ferrière, de La Baillerie, de La Mare, de Clerheult, et de La Billonnière, à Guillaume de Sévigné ; La Morandière, et La Ripuiere, La Haute-Morandière, La Ruelle, La Chênelière, Le Pont-Josselin, et La Bânerie.

Les Armes de la ville étaient de gueules au Lion d'argent.

Située sur la rive gauche du rameau septentrional de la Vilaine, et sur le penchant de deux collines, Vitré appartenait, comme aujourd'hui, au diocèse de Rennes , et avait aussi trois paroisses : Notre-Dame, Saint-Martin, et Sainte-Croix.

Longitude : 3 degrés 35 minutes. Latitude : 48 degrés 8 minutes.

La population était de 8,000 habitans ; elle est aujourd'hui de 8,900.

Comme à présent, on y comptait : poste aux lettres, poste aux chevaux, et marché le lundi ; un collége, une maison de retraite ; et quatre grandes routes y aboutissaient.

Les couvens étaient : les Bénédictins, les Augustins, les Jacobins, les Récollets , les Bénédictines, les Ursulines, les Hospitalières, et l'Hôpital.

Le château, autrefois très fortifié, était flanqué de belles tours qui subsistent encore. Il doit être fort ancien à en juger par quelques arceaux à plein ceintre, mi-partis de granit et de schiste, que l'on voit, à droite, en entrant dans la cour. Une partie notable sert aujourd'hui de prison, après plusieurs reconstructions considérables.

Vitré fut, de 1790 à 1795, chef-lieu de district ; puis simple chef-lieu de canton jusque en 1800. Depuis cette époque, il est devenu chef-lieu d'arrondissement de sous-préfecture, avec un tribunal de première instance, une recette particulière des finances, une direction des contributions indirectes, une lieutenance de gendarmerie, et une conservation des hypothèques, dont le titulaire est en même tems receveur de l'enregistrement et des domaines.

Le maire est à la nomination du roi.

Vitré possède trois brigades de gendarmerie : deux à cheval et une à pied ; il est le chef-lieu de deux cantons, Nord et Sud, ou première et seconde division.

C'est sur son territoire rural que se trouve le château des Rochers, long-tems habité dans le XVIIème siècle par la célèbre Madame de Sévigné.

Les promenades de Vitré sont fort agréables, surtout la Baratière, que possède M. le comte Le Gonidec, et le Parc du Château-Madame qu'habita long-tems, à la fin du XVIIème siècle, la princesse de Tarente.

Ses cinq moulins à eau portent les noms du Pont-Billon, du Château, du Bas-Pont, de la RocheBlossac, et des Rochers.

Contributions en 1837 (tout compris ) : 57,288 fr. 80 c., savoir : Foncière : 35,200 fr. 37 c. ; — Personnelle et mobilière, 12,408 fr. 48 c. ; — Portes et fenêtres, 9,679 fr. 95 c.

Distance au chef-lieu de département : 35 kilomètres.

Foires : le vendredi qui précède Pâques, la Saint-Georges (23 avril) qui se tient le jour, s’il arrive un lundi, ou bien le lundi suivant, et tous les lundis jusque au second lundi de septembre.

 

PIECES JUSTIFICATIVES.

I. Déclaration de Pierre II, duc de Bretagne. 25 MAI 1451.

Pierre par la grace de Dieu duc de Bretagne, comte de Montfort et de Richemont :
Comme contrarietez et débats fussent à présent entre nostre très-cher et très-amé frère et féal Guy comte de Laval, seigneur présomptif de la baronnie et seigneurie de Vitré : et nostre très-cher et très-amé oncle et féal Main vicomte de Rohan, et baron de la baronnie et seigneurie de Léon : touchant leurs rangs et assiettes, et lequel d'eux auroit le premier rang, et le plus haut lieu au prochain de nous, et des seigneurs de nostre sang, du costé senestre de nostre siége, en cet nostre présent général parlement : lequel lieu disoit nostre dit frère luy appartenir par cause de la baronnie de Vitré, et en avoir eu autresfois possession ès parlemens généraux de Bretagne et autres estats : jacoit qu'il ne fust que présomptif héritier. Ce que nostre dit oncle de Rohan luy contrarioit, ainçois disoit celuy premier lieu luy appartenir par cause de sa dite baronnie de Léon, obstant que nostre dit frère n'estoit à présent seigneur propriétaire de la dite baronnie de Vitré ; et que nostre dit frère de Laval n'estoit recevable à y faire demande, ne aucune question : attendu ce que dit est, et que-belle cousine Anne de Laval sa mère en estoit dame et héritière de son héritage, et en jouissoit en propriété et possession. Sur lesquelles contrarietez, nos dits frère et oncle, et chacun de sa part se fussent, et soyent rapportez à nous, d'enquérir de leurs droicts, pour sur ce en ordonner et discuter entr'eux, promettant à en tenir de chacune part nostre déclaration. Sçavoir faisons que, après avoir veu et examiné aucunes lettres, et fait certaines autres informations en cette matière, et eu advis et délibération sur ce, avec les seigneurs de nostre sang, et autres seigneurs barons et gens d'estat, se y assemblez, pour le fait de nostre dit parlement ; et afin d'assoupir et esteindre en perpétuel la dite question entre nostre dit frère et oncle et leurs successeurs : entre lesquels désirons bonne amour estre entretenue à tousjours ; mais avons en présence de nostre dit frère et oncle, ordonné et ordonnons par ces présentes, que nostre dit oncle de Rohan, à cause de la dite baronnie de Léon, aura son assiette en ce dit présent parlement, et autres parlements généraux, à venir le premier jour que y serons, au prochain et plus haut lieu du costé senestre, emprès les seigneurs de nostre sang, qui y seront, et que le second jour ensuivant, tant de ce dit présent parlement que autres à venir, nostre dit frère de Laval aura le dit premier haut lieu du dit costé senestre, et que ainsi continueront leur dite assiette à tous les parlements à venir, alternis vicibus et diebus, jusques à ce que nostre dit frère de Laval soit entièrement seigneur propriétaire de la dite baronnie de Vitré ; mais, icelle seigneurie de Vitré luy advenue, en celui cas, nous avons déclaré et déclarons, que nostre dit frère de Laval, et ses successeurs seigneurs propriétaires du dit lieu de Vitré, auront et leur appartient avoir leur rang et assiette en nos parlements généraux, et autres estats à venir, au premier et plus haut lieu de nostre costé senestre, et ailleurs au prochain de nous et emprès les seigneurs de nostre sang qui y seront, et qu'iceluy lieu pourront garder et continuer sans alternatives, ne interposition pour le tems à venir, réservé les droits des barons d'Avaugour et de Fougères, et durant le temps de l'alternative de nostre dit frère et oncle. Ordonnons que celuy de nostre dit frère et oncle qui ne seront au premier lieu du dit costé senestre, ès jours dessus dits ordonnez se seoiront de l'autre part, et au costé dextre devers les prélats emprès les seigneurs de nostre sang, s'aucuns en y a. Laquelle déclaration et ordonnance, en la manière dessusdits, avons ordonné à nos dits frère de Laval, et oncle de Rohan, et chacun d'eux tenir pour eux et leurs héritiers et successeurs. Donné en nostre ville de Vennes, le vingt-cinquiesme jour de may l'an mil quatre cens cinquante-un. Ainsi signé, Pierre, et plus bas, par le duc, de son commandement, présent monsieur le comte de Richemont, le grand maistre d'Hostel, Guillaume Chauvin président des comptes, et plusieurs autres, De Coetlogon. Et scellé en queue de cire rouge.

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II. Lettre de Gui de Laval à sa mère et à son aïeule, Dames de Laval et de Vitré. [Note : Cette lettre est tirée des Mémoires du Cabinet de F. Du Chesne].

Mes très redoubtées dames et mères, depuis que je vous escrivis, de Saincte-Catherine-de-Fierbois, vendredy dernier, j'arrivay à Loches samedy et allay veoir Monsieur le Dauphin au chastel, en l'église collégiale, qui est un très bel et gracieulx seigneur et très bien formé et bien agile et habile, de l'aage de environ sept ans qu'il doibt avoir. Et illec vis ma cousine la dame de La Tremoille qui me fist très bonne chère, et, comme on dict, n'a plus que deux mois à porter son enfant.

Le dimanche j'arrivay à Sainct-Aignan où estoyt le roy, et envoyé quérir et venir de mon logis le sieur de Treves , et s'en alla au chastel avecq luy mon oncle pour signiffier au roy que j'estoys venu, et pour sçavoir quand il luy plairoyt que allasse devers luy Et eus réponse que j'y allasse sitost que il me plairoyt ; et me fist très bonne chère, et me dist moult de bonnes paroles. Et, quand il estoyt allé par la chambre ou parlé avecq aucun aultre, il se retournoyt chascune foys devers moy pour me mettre en paroles d'aucunes choses, et disoyt que j'estoys venu au besoing sans mander, et que il m'en scavoyt meilleur gré. Et, quand je luy disoys que je n'avoys pas amené telle compaignie que je désiroys, il respondoyt que il suffisoyt bien de ce que j'avoys amené, et que j'avoys bien pouvoir de en recouvrer greigneur nombre.

Et dist le sieur de Treves à la maison au sieur de La Chapelle que le roy et tous ceulx de environ luy avoyent esté bien contens des personnes de mon frère et moi et que nous leur revenions bien, et jura bien fort que il n'estoyt pas mention que à ung de ses amis et parens qu'il eust, il eust faict si bon accueil ne si bonne chère, dont il n'est pas maistre de faire bonne chère ne bon accueil comme il disoyt.

Et le lundy me party d'avecq le roy pour venir à Selles, en Berry, à quattre lieues de Sainct-Aignan ; et fist le roy venir au devant de luy la Pucelle, qui estoyt de paravant à Selles. Disoyent aulcuns que ce avoyt esté en ma faveur, pour ce que je la veisse. Et fist la dicte Pucelle très bonne chère à mon frère et à moy, armée de toutes pièces, saufve la teste, et la lance à la main. Et après que feusmes descendus à Selles, j'allay à son logis la veoir ; et fist venir le vin, et dist que elle m'en feroyt bien tost boire à Paris ; et semble chose toute divine de son faict et de la veoir et de l'ouyr.

Et s'est partie, ce lundy aux vespres, de Selles pour aller à Romorantin, à trois lieues en allant avant. Et approchant des avenues le mareschal de Boussac et grand nombre de gens armés, et de la commune avecq elle ; et la veis monter à cheval toute en blanc, saufve la teste, une petite hache en sa main, sur un grand coursier noir qui, à l'huis de son logis, se démenoyt très fort et ne souffroyt qu'elle montast. Et lors elle dit : « Menez-le à la croix ! » qui estoyt devant l'église auprès au chemin, et lors elle monta sans que il se meust, comme se il feust lié. Et l'ors se retourna vers l'huis de l'église qui estoyt bien prochain, et dit en assez voix de femme « Vous, les prestres et gens de l'église, faictes processions et prières à Dieu ! ». Et lors retourna à son chemin, en disant : « Tirez avant ! Tirez avant ! ». Son estendard ployé que partoyt un gralcieux page, et avoyt sa hache petite en la main. Et ung sien frère, qui est venu despuys huict jours, partoyt aussi avecq elle tout armé en blanc.

Et arriva ce lundy à Selles Monsieur d'Alançon qui ha très grosse compaignie, et ay aujourdhuy gaigné de luy à la paulme une convenance ; et n'est encores point icy venu mon frère de Vendosme.

J'ay icy trouvé l'ung des gentilshommes de mon frère de Chauvigny pour ce que il avoyt desjà ouy que j'estoys arrivé à Saincte-Catherine ; et m'a dict que il avoyt escrit aux nobles de ses terres, et que il pense estre bien tost par deçà, et dict que ma sœur est bien s'amye et plus grasse que n'ha acoustumé.

Et dict l'on icy que Monsieur le connestable vient avecq six cents hommes-d'armes et quatre cents hommes de traict, et que Jehan de La Roche vient aussy, et que le roy n'eust piéça si grande compagnie que on espère estre icy ; ne onques gens n'allèrent de si bonne voulenté en besongne que ils vont à cette.

Et doibt ce jourd'huy icy arriver mon cousin de Raiz et croist ma compaignie. Et, quoi que ce soyt, ce qu'il y a est bien honneste et d'appareil.

Et y est le seigneur d'Argenton, l'ung des principaulx gouverneurs qui me faict bien bon accueil et bonne chère. Mais de l'argent n'y en a-t-il point à la court que si estroictement que pour le temps présent je n'y espère aulcune rescousse ni soustenue. Pour ce, vous Madame ma mère, qui avez mon sceau, n'espargnez point ma terre par vente ne par engage, ou advisez plus convenable affaire là où nos personnes sont à estre saulvées ou aussy par deffault abbaissées et, par adventure, en voye de périr. Car se nous ne faismes ainsy, veu que il n'y a point de soulde, nous demourerous tous seuls ; et jusques icy nostre faict a encores esté et est en bon honneur. Et a esté nostre venue au roy et à ses gens tous et aussy aux aultres seigneurs qui vennent de toutes parts, bien agréable ; et nous font tous meilleure chère que ne vous pourrions escrire.

La Pucelle m'a dict en son logis, comme je la suys allé y veoir, que, trois jours avant mon arrivée, elle avoyt envoyé à vous, mon ayeulle, un bien petit anneau d'or, mais que c'estoyt bien petite chose et qu'elle vous eust voulentiers envoyé mieulx, considéré votre recommandation.

Ce jourd'huy Monsieur d'Alançon, le bastard d'Orléans et Gaucourt doibvent partir de ce lieu de Selles et aller après la Pucelle.

Et avez faict bailler je ne sçays quelles lettres à mon cousin de La Tremoille et sieur de Treves, par occasion desquelles le roy s'esforce de me vouloir retenir avecq luy jusques à ce que la Pucelle ait esté devant les places Anglesches de environ Orléans, où l'on va mettre le siége, et est desjà l'artillerye pourveue. Et ne s'esmayt point la Pucelle que elle ne soyt tantost avecq le roy, disant que, lorsque il prendra son chemin à tirer avant vers Rheims, que je iroys avecq luy. Mais jà Dieu ne vueuille que je ne le fasse et que je ne aille, et entretant en dict mon frère, et comme Monsieur d'Alançon : ce que habandonné qui seroyt celuy qui demoureroyt.

Et pense que le roy partira ce jeudy de icy, pour s'y approcher plus près de l’ost ; et viennent gens de toutes parts chascun jour. Après vous feray sçavoir, sitost que on aura aulcune chose besongnée, ce qui aura esté exécuté ; et espère l'on que, avant que il soyt dix jours, la chose soyt bien advancée de costé ou d'aultre. Mais tous ont si bonne espérance en Dieu que je croy que il nous aydera.

Mes très redoubtées dames et mères, nous recommandons mon frère et moy à vous le plus humblement que pouvons ; et vous envoye des blancs-signés de ma main, afin, si bon vous semble, du datte de ceste présente, escrire aulcune chose du conteneu cy-dedans à Monsieur le duc, que luy en escrivez : car je ne luy escrips oncques puis. Et vous plaise aussy sommairement nous escrire de vos nouvelles, et vous, Madame ma mère, en quelle santé vous vous trouvez après les médecines que avez prinses, car j'en suys à très grande malayse. Et vous envoye dessus ces présentes minutte de mon testament, afin que vous, mes mères, m'advertissez et escrivez par les prochainement venants de ce que bon vous semblera que y adjouste et y pense encores de moy y adjouster entre deux ; mais je n'ay encores eu que peu de loysir.

Mes très redoubtées dames et mères, je prye le benoist fils de Dieu que il vous doint bonne vie et longue ; et nous recommandons aussy tous deux à nostre frère Loys, et pour le liseur de ces présentes que nous saluons le sieur Du Boschet et nostre cousine, sa fille, ma cousine de La Chappelle et toute vostre compaignye ; et pour l'accès et ..... solliciter de la chevance au mieulx que faire se pourra. Et n'avons plus en tout que environ trois cents écus du poids de France.

Escript à Selles ce mercredy VIII de juing.

Et ce vespres sont arrivés icy Monsieur de Vendosme, Monsieur de Boussac et aultres ; et La Hire s'est approché de l'ost ; et aussy on besongnera bientost. Dieu vueuille que ce soyt à vostre désir ! Vos humbles fils, GUY et ANDRÉ DE LAVAL ; et GUY DE LAVAL.

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III. Décret et ordonnance du Sénéchal de Rennes contre les Ligueurs [Note : Cette pièce, dont nous ne donnons qu'un extrait, tirée des archives des Etats de Bretagne, a été imprimée en entier par Dom Morice, dans le Tome III des pièce justificatives de son Histoire, colonnes 1.506 à 1.510].

Gui Meneust, sieur de Brequigni, conseiller du roi, sénéchal de Rennes, savoir fesons que,

Vu les charges et informations faites contre les rebelles, séditieux et perturbateurs du repos public et service du roi ; le procès-verbal fait par les sénéchal et procureur fiscal de la juridiction de Vitré le 10ème jour d'avril 1590, suivant notre commission du 28 de mars précédent ;

Oui le procureur du roi, avons ordonné, en conséquence des précédens décrets et saisies, les ci-après nommés être pris au corps et constitués aux prisons du dit Rennes ; et au cas où ils ne pourraient être apprehendés, ajournés comparoir en personne, et poursuivis en cas de ban, leurs biens meubles et immeubles saisis et annotés, si fait n'a été, regis par commissaires qui y seront établis, etc ; fait défenses à toutes personnes, de quelque qualité qu'ils soient, les retenir en leurs maisons, leur aider de leurs moyens, ains les faire déférer et présenter à la justice, sur peine d'être déclarés fauteurs des dits rebelles, etc .....

Ordonné que le présent décret et ordonnances seront bannis tant en la ville de Rennes qu'en celle de Vitré et autres lieux, etc. Comme aussi les dits prévenus et nommés au décret ci-devant qui ne comparaîtront en personne pour se justifier des dits cas dans le mois après la dite publication, il sera procédé à la vente de leurs meubles etc.

Ordonnons en outre que le présent décret, contenant les noms des dits prévenus et rebelles, sera imprimé et attaché tant aux portes des auditoires, églises, qu'autres lieux publics des dites villes de Rennes et Vitré, et envoyé aux principales paroisses de sûr accès pour y être pareillement lu et attaché aux portes des églises et autres lieux et endroits qu'il appartiendra. Signés MENEUST, et AULNETTE.

NOMS DES DITS REBELLES.

En la ville de Vitré. Maître Jean Geslin, ci-devant procureur de la juridiction de Vitré. André Morel, sieur des Bretonnières. Jean Morel. Gui Roncerai. François Lambaré. Jacques Belloir. Jean Guillaudeu. Mathurin Guillaudeu. Olivier Guillaudeu. Jean Besnardais. Antoine Marais. René Marais. Macé Malherbe. Jean Le Breton. Jean Besnard, fils Louis. Pierre Guillaudeu. Gillette du Vergier. Macé Bonnyeu, et sa femme. Jean Besnardais. Gilles Besnardais. Georges Besnardais. Michel Le Moyne-Breardière. Jacques Lambaré. René Moulnerie. Jacques Le Faucheur. Pierre, Macé, Jacques, et Gui Le Faucheur. Jean Le Moyne-Vilermé. Jean Frain, et sa femme. Gilles Gerard. Mathurin du Verger. Gilles Le Moine, Guillaume Nouail-Faverie. Jean Benard-Ropine. Jean Costard. Jean Clavier-Préclos. Jean Nouail, fils Jean. Louis. Le Moine. René Lambaré-Aigrière. Jean du Verger. Gilles du Verger. André Bonnyeu-Valleraie. Gilles du Verger-Rivière Claude du Verger, et sa femme. Jean Louin, fils Georges. Robert Ringues. Maître Gilles Lambert, notaire. Maître Olivier Geslin, trésorier de La Madelène.

Du bourg Saint-Martin du dit Vitré. Christofle Moreau. Jean Fourmentin. Gilles Guillaudeu. Jean Bruneau. Guyon Gillet. Jean Alouard. Jean Gaulard. Pierre Frain. Armel Lambaré. Jacques Dommaigné. Guyon Colin Laurent de La Haye, et sa femme. Jean Le Coq. Jean Guy. Julien Mazurais. Benoît du Boust. Guerin Pouriel, et sa femme. Jean Dinomays, l'aîné. Julien Hédé. Jacques Fortin, et sa femme. Mathurin Ceré. Jean Fortin. Nicolas Gougeon. Julien Le Grain. Guillaume Le Gros. Les deux Maires, maçons. Julien Chauvin. François Pochart. Loyer, dit Roussault. De Sévigné, sieur d'Olivet.

Balazé. Annibal de Vassé, sieur de Vau-Fleuri. Deux fils de maître Jean Touraille. Guyon Le Maçon-Clerderye.

Saint-M’Hervé. Un nommé Bourg-Nouveau. Un nommé La Rivière. Le sieur de La Mazerye. Maître Georges Raimbault. Maître Jean du Bois-Marie.

Mondevert. Un nommé Rousion.

Le Pertre. Un nommé Guays, dit Fouscherye. Mathurin Bodaire, dit Boyleau. Maître Claude Rubin.

Argentré. François Possard, sieur de La Mazure, Maim Roger, fils Guillaume. Jean Gallays, fils Léonard. N.... Gaudin, fils Georges. Jean Lamharé-Robidaisière.

Etrelles. François Girault, dit Maillardière. Julien Sévigné. Jean Lizé.

Torcé. Jean Bénardays. Un nommé Fauconnier. Autre nommé Brégolays.

Vergeal. Jacques Pichot. Grand Jean Georgin. François Autin.

Saint-Aubin-des-Landes. Georges de La Charonnière, sieur du dit lieu. Georges de Cadelac, sieur de La Motte.

Cornillé. Jean de La Rainbaudière, sieur de La Guischardière.

Champeaux. Julien Blondeau, sieur de Beauregard.

Marpiré. Georges Posson.

Montreuil-sur-Pérouse. André Paigné.

Tâlie. Damoiselle Gillette de Sévigné, veuve du feu du Taillis.

Isé. Maître Guillaume Chenevière. Maître Jean Blanchais. Maître Michel Gérard.

Saint-Didier. Jean Julienne, sieur de Boisgérault.

Châtillon-en-vandelais. Michel Hardy, sieur de La Roussière. Jean Jumelais, sieur d'Ecoubrion. Guillaume Jumelais, sieur de Villeneufve. Michel Hardy, sieur de Montreuil. Guillaume Vauclin, sieur de La Brette. Jean Hardy, sieur de La Héminière. Julien Cherbonnel, sieur de Monceaux. Julien Rauclais, dit Gatelays. Maître Nicolas Turpin. Maître Guillaume Morice de Foucaudière. Michel Morice. Louis de La Barre. Julien Baron, dit Hattais.

Montreuil-des-Landes. Julien Herbert-Boullays. Pierre Macon.

Princé. N..... Roucheron, sieur de La Courvenne. Jean Escot, notaire. Les Roucheran, arpenteurs.

Mecé. Maître André Leziard, recteur de Mecé. Un nommé de Launay, sieur de La Vairie. Michel Leziard, sieur du Chantier. Le sieur de La Leziardière. Jean Le Mousnier. Nicolas Gyeu.

Saint-Christophe-des-Bois. Le sieur de Malnoe.

Note : Outre ces communes et ces individus, on voit figurer dans le décret : Dourdain, Javené, Billé, Combourtillé, Parcé, Dompierre-du-Chemin, Luitré et La Celle, Chené, et Vandel, qui appartenaient à la baronnie de Vitré.

Fait à Rennes sous notre seing, du procureur du roi, et du greffier d'office et du domaine, le dernier jour d'avril 1590.
Signés : MENEUST, BONNIER, et AULNETTE.

FIN DES PIECES JUSTIFICATIVES.

(Louis Du Bois).

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