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LA VILLE DE VITRÉ ET SES PREMIERS BARONS.

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Toute ville qui se respecte a une légende : Vitré, d'après la sienne, remonte aux Troyens et aurait pour fondateur Vitruvius, l'un des compagnons du petit-fils d'Enée, Brutus, qui, après avoir semé çà et là diverses colonies en Gaule, finit par aller peupler la Grande-Bretagne. Vitruvius, resté sur le continent, donna son nom à sa ville, Vitruviacum. — Plus tard, dans la guerre des Gaules, l'Armorique tout entière était soumise, que Vitruviacum, obstinée et imprenable, bravait encore, du haut de ses murailles, le grand Jules César, qui ne l'eut que par composition et fut charmé de ce succés au point de vouloir changer, en souvenir de sa victoire, le nom de Vitruviacum en Victoriacum. — Si elle avait été la dernière à recevoir le joug romain, la ville de Victoriacum fut l'une des premières à accepter celui de l'Evangile. En l'an 72, saint Clair, évêque de Nantes, y serait venu prêcher la foi chrétienne, et il aurait si bien réussi, que les habitants s'empressèrent, dit-on, de transformer leurs sanctuaires païens en églises chrétiennes ; le temple de Pan devint l'église de la Trinité, plus tard la chapelle des Augustins, et le temple de Cérès, l'église Notre-Dame.

A cela il n'y a qu'un malheur ; c'est que, dans aucun ancien texte, Vitré ne s'appelle Vitruviacum ou Victoriacum, mais simplement Vitreium ou Vitriacum ; — c'est encore que l'on ne connaît aucune trace d'antiquités romaines trouvées à Vitré, et  que récemment, entre autres, dans les grands remuements de terre exécutés soit pour les longues tranchées du chemin de fer, soit pour les nouveaux percés de la ville, on n'a pu découvrir ni une tuile, ni une médaille, ni un tesson d'amphore. Concluons de là hardiment que Vitré n'existait point à l'époque romaine : ce qui d'un coup met à néant Vitruvius, et le siége de César, et la mission de saint Clair.

Le nom de Vitré n'apparaît que dans la première moitié du XIème siècle, et comme titre féodal. Disons donc que cette ville est une création du moyen Age et de la féodalité, et qu'elle a été fondée pour servir de capitale à l'antique baronnie du même nom. Donc, l'origine de la ville se confond avec celle de la baronnie. Mais quel est le premier baron de Vitré ?

La légende, qui se prend à tout, a voulu encore ici relever l'illustration de nos origines vitréennes, en faisant sortir la maison de Vitré de celle des ducs de Bretagne par un certain Martin, dont on ne trouve trace nulle part dans les actes authentiques, et qui est bon, par conséquent, à mettre avec le Vitruvius, les temples de Pan et de Cérès, etc. — D'ailleurs, pour n'être pas issu de la tige ducale, le premier baron de Vitré n'en a pas moins une histoire assez curieuse.

Environ l'an mil, le duc de Bretagne, Geoffroi Ier, tenait, un beau jour, dans la petite ville d'Aurai, son grand Parlement, c’est-à-dire l'assemblée générale de ses barons et féaux, ou se décidaient toutes les affaires importantes du duché. C'était aussi l'occasion de grandes fêtes, de grands banquets, de grandes libations, parfois de querelles et de rixes. Ce jour-là, le seigneur d'Hennebont ou, comme on disait alors, de Guemené-Héboi, s'emporta contre le duc, de telle façon qu'il lui donna un démenti en plein Parlement. Le duc aussitôt sortit de la salle, en grand courroux, maudissant ses parents et ses vassaux s'ils ne prenaient soin de venger cet outrage. Mais le sire d'Hennebont était brave, riche, puissant, bien apparenté, allié du comte de Cornouaille, plus ou moins cousin de presque tous les seigneurs du pays de Vannes ? Chacun le tenait pour un adversaire des plus redoutables ; aussi dans la salle du Parlement, malgré l'appel du duc, personne ne bougea, personne, du moins, n'osa jeter à l'insolent le gage de bataille.

Bientôt le bruit de cet incident se répandit au dehors et parvint jusqu'aux oreilles d'un jeune chevalier qui n'assistait point ce jour-là au Parlement, quoiqu'il fût alors le possesseur, non de la ville, mais de la seigneurie d'Aurai ; il s'appelait Riwallon. De naissance obscure et surtout de fortune médiocre, son courage, son dévouement lui avaient attiré l'affection du duc Geoffroi, qui s'était plu à le marier à une belle Bretonne, nommée, pour son éclatante blancheur, Gwen-Argant, c'est-à-dire blanche comme l'argent, et de plus aussi riche que belle, étant unique héritière de la seigneurie d'Aurai, de droits lucratifs à Vannes, et à Rennes même d'un grand fief, auquel étaient attachés la garde du château de cette ville et l'office de lieutenant ou, comme on disait alors, de vicaire du comte de Rennes.

Riwallon devait donc au duc Geoffroi sa fortune et son bonheur ; et quand son devoir lui en laissait le temps, il venait jouir de l'un et de l'autre dans un petit château-fort qu'il s'était bâti sur la rive gauche de l'Alrée, en face de la ville d'Aurai, restée possession ducale. C'est là qu'était Riwallon quand il apprit l'insulte, encore impunie, qui venait d'être faite à son bienfaiteur. D'un bond il endosse ses armes, saute à cheval, et, lance au poing, s'encourt dans la ville, à la recherche de l'insulteur qu'il rencontre, provoque, attaque, presse, tue, le tout avec la rapidité de la foudre. Mais aussitôt, grande rumeur. Tous les parents et amis du mort s'assemblent et jurent d'exterminer le meurtrier. Celui-ci, bien avisé, ne les attend pas, met le feu à son manoir, et va avec sa femme et son fils se renfermer dans la ville de Rennes, d'où il brave l'impuissante rage de ses ennemis.

Mais après un tel éclat, Riwallon ne pouvait plus habiter le pays de Vannes ; le duc Geoffroy tenait d'ailleurs à le garder près de lui et à couronner son dévouement d'une haute récompense. Un échange eut lieu entre eux : Riwallon remit au duc la seigneurie d'Aurai, et le duc lui donna en retour, dans le comté de Rennes, un grand fief immédiatement limitrophe du Maine et de l'Anjou, large en moyenne de six à sept lieues et long d'une douzaine, du sud au nord, depuis les paroisses de Fercé, de Noyal et de Villepôt, jusqu'à celles de Montautour, de Taillie, d'Izé et de Livré. — Dans ce grand fief, sur les deux plus grosses rivières qui le traversaient, Riwallon érigea deux châteaux, l'un au nord, sur la Vilaine, qui fut Vitré, et l'autre au sud, sur la Seiche, Marcillé-Robert. Ce dernier semble avoir été d'abord le plus important; c'était d'ailleurs un lieu fort anciennement habité, où on avait battu monnaie à l'époque mérovingienne ; Riwallon s'y tenait aussi de préférence. Vitré, au contraire, création nouvelle, n'était encore guère peuplé; d'ailleurs, la forteresse primitive de Riwallon ne s'élevait point au lieu qu'occupe le château actuel, mais vis-à-vis, un peu plus au sud, dans l'emplacement même de l'église et du cimetière de Sainte-Croix.

Telle fut l'origine de la ville et de la baronnie de Vitré, certainement antérieure à la mort du duc Geoffroy Ier, c'est-à-dire à l'an 1008. En créant cette seigneurie, en la donnant à un homme d'une bravoure et d'un dévouement à toute épreuve, le but de ce prince fut d'élever à l'est de ses Etats un rempart solide, capable de protéger la Bretagne contre toutes les attaques du Maine et de l'Anjou. Riwallon et ses successeurs défendirent fidèlement ce poste pendant deux siècles et demi, c'est-à-dire tant que dura la maison de Vitré proprement dite. Voici la suite des barons de cette antique lignée : Riwallon ou Rivallon le Vicaire, de 1008 à 1030 ou environ, — Triscan ou Tristan, de 1030 à 1045 environ, — Robert Ier, de 1045 à 1090, — André Ier, de 1090 à 1135, — Robert II, de 1135 à 1155, — Robert III, de 1155 à 1173, — André II, de 1173 à 1211, — André III, de 1211 à 1250 (8 février), — André IV, du 8 février 1250 au 15 mars 1251 [Note : Ce ne sont ici que des dates approximatives, sauf toutefois celles qui concernent les trois derniers barons, qui sont précises et certaines, et la date de 1135, mort d’André Ier].

Ce fut une race rude et batailleuse, bien digne de son auteur Riwallon, et qui défendit intrépidement pendant plus de deux siècles la frontière bretonne, guerroyant presque sans relâche, tantôt contre les seigneurs de Laval et de Mayenne, tantôt contre les comtes d'Anjou, les ducs de Normandie, les rois d'Angleterre, même parfois — quand la guerre du dehors chômait — contre les ducs de Bretagne et contre ses propres vassaux.

Le fils de Riwallon, Tristan (son vrai nom, son nom breton était Driscamn ou Triscan, mais l'autre orthographe a prévalu), Tristan , dis-je, vit ses chevaliers se révolter contre lui et, avec l'aide du duc de Bretagne, s'emparer de ses châteaux et le chasser de sa terre. Mais cette mésaventure se tourna pour lui en bonne fortune. Il était allé chercher un refuge chez le sire de Fougères, appelé Main, son parent, qui le reçut fort bien, prit fait et cause pour lui, et lui donna les moyens de faire la guerre au duc de Bretagne.

« Or, — nous disent les vieilles Chroniques de Vitré — avoit celuy Main, seigneur de Foulgères, une sœur nommée Inoguen, belle à merveille, laquelle aima Tristan de Vitré el, désirant l'avoir à époux et non aultre, révéla le secret de son cœur à son frère Main, qui de ce requit Tristan. — Tristan, en s'excusant, répondit qu'il étoit desherité et n'avait terre où il la pût mener quand il l'auroit épousée. Adonc Main lui promit en dot de mariage, avec ladite Inoguen sa sœur, tout ce qu'il avoit en Vendelais outre le fleuve de Coaynon (c'est-à-dire au sud du Couesnon). Quand Tristan se vit ainsi pressé et requis, il considéra la grâce que lui avoit faicte Main, si (ainsi) ne l'osa refuser, mêmement pour l'honneur et la beauté de la damoiselle, et la print à femme avec celui dot qui lui fut assis et baillé... Et en celle partie de Vendelais que Main donna à Tristan en mariage, fit ledit Main construire et fermer (fortifier) un chasteau pour Tristan, moult fort et defensable, en un plessix, lequel, pour ce qu'il étoit du dot de ladite Inoguen, fut en après appelé le Plessix-Inoguen » (Le Baud, Chroniques de Vitré, p. 8).

C'est ce même château qui depuis s'est appelé Châtillon-en-Vendelais, dont on voit encore les ruines, trois lieues au nord de Vitré, près du bourg de ce nom. De là, Tristan continua avec avantage la lutte contre le duc de Bretagne et contre ses vassaux révoltés. Bientôt d'ailleurs une nouvelle révolution se produisit. Le chef chargé par le duc de Bretagne de gouverner en son nom la terre de Vitré, était dur et rapace ; il fut bien vite détesté. Un jour qu'il s'était pris de querelle avec le seigneur de Landavran, celui-ci exaspéré le tua d'un coup d'épieu, et tout aussitôt, Tristan, rappelé par ses chevaliers, rentra sans plus batailler en pleine possession de l'héritage paternel.

Tristan gagna donc à cette révolte une charmante femme et un beau fief, le Vendelais, qui ajouta quinze ou seize paroisses à la baronnie de Vitré et en porta les limites sur la rive du Couesnon, à quatre lieues plus loin du côté du nord et à une lieue seulement de la ville de Fougères.

Robert Ier, fils et héritier de Tristan, peut être considéré comme le véritable fondateur de la ville de Vitré. Ses deux prédécesseurs n'avaient là qu'un château presque isolé, qu'ils habitaient rarement. Robert, qui affectionnait cette résidence, trouva ce château mal situé et le transporta sur ce promontoire de roches abruptes, où il se dresse encore aujourd'hui. Une centaine de pas plus loin, vers l'est, il bâtit une église où il érigea une collégiale sous le titre de Notre-Dame. Puis (de 1064 à 1076) il donna le château primitif, l'ancien château de Riwallon, avec un grand terrain à l'entour, à la puissante abbaye de Marmoutier-lès-Tours, pour y établir un prieuré sous le vocable de Sainte-Croix.

Autour de Sainte-Croix, autour de Notre-Dame, autour du nouveau château, des habitations s'élevèrent, se groupèrent, et, s'étendant de proche en proche, finirent par se réunir et former une ville.

Pour Robert, après avoir combattu, en 1066, à la journée d'Hastings, sous les ordres de Guillaume de Normandie, et assisté ce vaillant prince dans la conquête de l'Angleterre ; après avoir ensuite longuement, avec des succès divers, bataillé contre le comte d'Anjou, il fut en pèlerinage à Rome, à Jérusalem (avant la première Croisade), et au retour de cette lointaine expédition, comme il revenait exténué de fatigue avec trois hommes seulement de toute sa suite, il fut pris en trahison, au seuil même de la Bretagne, par le sire de Laval, qui ne le relâcha qu'après avoir obtenu de lui pour rançon la moitié de la forêt et des landes du Pertre, de Bréal et de Mondevert. Il mourut peu de temps après, vers 1090, certainement avant 1093.

André Ier guerroya contre les ducs de Normandie, les rois d'Angleterre, et aussi contre les ducs de Bretagne, Alain Fergent et Conan le Gros. Ce dernier était maître de Vitré en 1132 ; il semble toutefois l'avoir rendu, de gré ou de force, à André, qui y mourut en 1135, et fut enterré dans l'église de Notre-Dame. En 1116, cette église avait été ôtée aux chanoines qui l'occupaient depuis l'origine, mais dont les désordres, l'indiscipline, la négligence pour l'entretien du culte divin forcèrent l'évêque de Rennes d'aviser : de concert avec André de Vitré, il donna Notre-Dame aux moines de Saint-Melaine de Rennes, qui parvinrent à s'y maintenir malgré la résistance des anciens chanoines, et en firent un prieuré florissant. Lorsqu'ils y entrèrent, en 1116, l'église de Saint-Martin de Vitré, bâtie à près d'un kilomètre du château, vers l'est, subsistait déjà. Ce n'était d'abord qu'une chapelle de secours pour les habitants répandus sur ce côté du territoire vitréen ; depuis, elle est devenue une paroisse. Dès le XIIème siècle, un groupe de maisons s'éleva auprès d'elle, qui forma bientôt une rue se dirigeant vers l'ouest, à la rencontre des habitations agglomérées autour du château et de l'église de Notre-Dame ; on appelait dès lors cette rue le bourg Saint-Martin.

Robert II, fils d'André, eut une carrière singulièrement agitée, dont il serait aisé, sans grande imagination, de faire un curieux roman.

Du vivant de son père, il épousa la belle Emma de la Guerche, fille de Gautier Hay, sire de la Guerche, et veuve, quoique fort jeune encore, de Juhel, baron de Châteaubriant ; mais il avait oublié, on ne sait pourquoi, de prendre le consentement de son père. Les noces finies, il vint à Vitré pour réparer cet oubli, bien sûr que la douce figure d'Emma lui obtiendrait sans peine son pardon. Mais le vieux baron ne voulut même pas la voir ; il ordonna à son fils de sortir immédiatement de sa ville et de sa terre, et comme Robert ne se pressait pas de partir, il s'en vint tout en colère lui planter un grand coup d'épée dans le corps. Heureusement, le sire de Cornillé survint, qui les sépara, emmena le fils dans son hôtel, l'y garda et l'y guérit de sa blessure, puis le fit filer en toute hâte jusqu'en Anjou. L'année suivante, Emma de la Guerche eut un fils, qu'on nomma André, comme son aïeul : sur quoi le vieux père André sentit fondre sa colère, rappela son fils et sa bru et les pressa sur son cœur, ainsi que le petit enfant qui avait été entre eux le messager de paix.

Mais Robert n'était encore qu'au début de ses épreuves. Très peu de temps après la mort d'André Ier, le duc de Bretagne, Conan le Gros, profitant d'une absence du baron de Vitré, s'empara de sa ville par trahison et le chassa de sa baronnie.

Robert, comme son bisaïeul Tristan, se réfugia chez le baron de Fougères, et se mit de là à guerroyer le duc de Bretagne ; mais celui-ci gagna le Fougerais à force de présents, et le Fougerais chassa Robert. Le proscrit passa alors chez Juhel, sire de Mayenne, qui lui prêta asile pendant quelque temps ; mais Conan le Gros donna au fils de Juhel la main de sa propre fille avec la terre de Vitré pour dot, et Juhel chassa Robert. — De Mayenne, il s'en alla chez le sire de Laval, Gui IV, son propre cousin germain par les femmes. En dépit du cousinage, Gui se laissa prendre comme les autres ; Conan n'eut qu'à lui offrir un lambeau de la dépouille de Robert — un fief dans la ville de Rennes et un quartier de forêt, — il lâcha aussitôt son pauvre cousin et le pria d'aller chercher fortune ailleurs.

Robert donc vint à la Guerche, dont le seigneur, appelé Guillaume, était son beau-fils, né de l'alliance d'Emma de la Guerche avec Juhel de Châteaubriant. Là enfin, il trouva un abri sûr et un vaillant auxiliaire. Un de ses chevaliers, Téhel, seigneur de Moutiers, le reçut dans sa terre ; il monta de là jusqu'à Argentré, s'empara des deux châteaux du Pinel et de la Rouvraie, où il s'établit et d'où il vint journellement insulter ses ennemis jusqu'aux portes de Vitré, situation fort incommode pour le duc Conan.

Impossible de corrompre Guillaume de la Guerche ; restait d'agir contre lui par la force. Pour finir d'un coup, Conan pria le comte d'Anjou, son cousin germain, d'entrer dans la baronnie de la Guerche du côté de l'Est, tandis qu'il y entrerait de l'autre côté, de manière à se joindre ensemble devant le chef-lieu de cette seigneurie et à l'emporter vivement, de haute lutte, par la supériorité de leurs forces réunies. Ce plan faillit réussir. Le comte d'Anjou, avec une grosse armée, était déjà entre les bourgs de la Celle et de Moutiers ; Conan, campé derrière la rivière de Seiche, occupait le pont de Visseiche, prêt à déboucher par là au premier signal pour rejoindre l'Angevin. Trois petites lieues à peine les séparaient. De l'ennemi point de nouvelles.

Pourtant, Robert de Vitré et Guillaume de la Guerche n'étaient point demeurés inactifs. Eux aussi avaient appelé à leur aide des seigneurs angevins, leurs parents ou alliés, entre autres, les sires de Candé et de Mathefélon. En face des deux grosses armées de Bretagne et d'Anjou, tout cela ne faisait encore qu'une poignée ; la seule chance de salut pour les barons, c'était de se jeter entre les deux princes, pour empêcher leur jonction, d'en surprendre et d'en battre l'un d'abord, afin de se retourner ensuite contre l'autre. Cachés avec leurs troupes dans la forêt de la Guerche — beaucoup plus vaste alors qu'aujourd'hui — ils dérobaient avec soin le secret de leur marche et épiaient assidûment celle de leurs ennemis, prêts à tomber sur celui qui leur prêterait le flanc. Un beau matin, en effet, ils s'élancèrent tout à coup de leur forêt, surprirent et égorgèrent à petit bruit l'avant-garde de Conan, chargée de défendre le pont de Visseiche, puis forçant ce pont, tombèrent comme la foudre au milieu de l'armée bretonne encore dans ses tentes, et qui ne s'attendait à rien : massacre, déroute et sauve-qui-peut général, et de plus butin immense, tout le camp restant aux mains des vainqueurs, y compris la tente ducale, celle des barons de Retz et de Malestroit, avec nombre de prisonniers de marque, entre autres l'évêque de Rennes qui suivait le duc. Ce dernier s'enfuit d'une traite à Châteaugiron, et le comte d'Anjou, qui sut le jour même ce désastre, repassa aussitôt la frontière. — Robert alla assiéger Vitré, où il rentra bientôt (en décembre 1144) par le moyen d'un des habitants qui avait, neuf ans plus tôt, contribué à mettre la ville aux mains du duc de Bretagne, et que le souvenir de cette trahison bourrelait de remords.

Robert n'était pourtant pas encore au bout de ses peines. L'année suivante (1145), il guerroya contre le sire de Mayenne, et eut la douleur de perdre son fils aîné, André, le fidèle et intrépide compagnon de toutes ses traverses. Puis, après dix ans de repos, il vit tout à coup se lever contre lui son second fils Robert, devenu son héritier présomptif, à qui il avait déjà donné en apanage tout le Vendelais. Mais ce méchant, poussé par d'autres, trouva que son père vivait trop et le somma de lui céder la place. En effet, dit Pierre Le Baud, « il assembla ses forces, vint à Vitré et entra au Bourg-aux-Moines, où il saisit l'église de Sainte-Croix et la fit enfermer avec le circuit à l'entour, ainsi que les fossez du vieil château se contenaient (les fossés du château de Riwallon). Et alors estoit son père en sa salle (c'est-à-dire dans le nouveau château, bâti par Robert Ier) ; mais adonc Robert le Jeune cueillit tout son pouvoir, et assaillit le chastelet (le nouveau château) et assiégea son père. Quand le père aperçut cette chose, il ne la put longuement endurer, mais issit de sa maison, laissa son château et toute sa terre.... et s'en alla au duc Eudon (Eudon de Porhoët) qui en celui temps tenait Bretagne (en 1155) ». Le duc ménagea un traité de paix entre le père et le fils ; mais le vieux Robert avait été frappé au cœur ; aussi Le Baud ajoute-t-il que « après cette paix faite ne voulut plus le père tenir sa terre, ains s'en alla à Tours et se rendit à Dieu et à saint Martin de Mairemontier. Si prit habit monachal en cette abbaye, et sous cet habit finit ses jours et trespassa en Jésus-Christ en ladite abbaye, où il eut honorable sépulture » (Chroniques de Vitré, p. 26 et 27).

N'est-ce pas une curieuse figure ce baron du XIIème siècle, si rudement martelé, d'un bout de sa vie à l'autre, par tant d'infortunes, vainqueur d'un duc de Bretagne, vaincu par l'ingratitude d'un fils rebelle, et qui se jette enfin au cloître comme dans un port ?

Ce méchant fils (Robert III de Vitré ) eut une aubaine qu'il ne méritait guère. En combattant pour soutenir Eudon de Porhoët et le parti breton contre le parti anglais de Conan IV, il fut fait prisonnier et remis à la garde de Rolland, sire de Dinan. Rolland avait une sœur, Emme, qui s'éprit du prisonnier et s'y prit si bien qu'elle l'épousa. Bien plus, Rolland étant mort sans laisser d'enfants, c'est Alain, deuxième fils d'Emme et de Robert, qui fui appelé à lui succéder ; et ainsi la vicomté de Dinan devint le patrimoine d'un cadet de Vitré.

Robert III mourut en l'an 1173. André II, son fils aîné, qui lui succéda dans la baronnie de Vitré, fut un des plus intrépides et des plus dévoués champions de l'indépendance bretonne contre la domination anglo-normande, que Richard Cœur-de-Lion et Jean Sans-Terre s'efforçaient d'imposer à notre pays par le fer et le feu. Dire tout ce qu'il fit pour sauver des griffes anglaises la duchesse Constance, son fils le jeune duc Arthur, et avec eux la Bretagne, nous mènerait beaucoup trop loin. André II alla aussi jusqu'à deux fois combattre les infidèles en Palestine : la première en 1184, pour satisfaire à un vœu fait par son père, dont la mort avait empêché l'accomplissement, — la seconde, en 1190, lors de la troisième Croisade, dirigée par les deux rois Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion. Sur la fin de sa vie, en 1210, il reprit la croix une troisième fois, et s'en fut combattre les hérétiques de l'Albigeois ; revenu de cette expédition un an après, exténué de fatigue, il tomba malade et ne tarda pas à mourir en 1211, — et non pas en 1221, comme l'ont dit certains auteurs, abusés par une faute d'impression des Chroniques de Vitré. — André II avait fondé dans sa ville deux établissements fort importants, l'hôpital Saint-Nicolas et la collégiale de la Magdeleine : le premier vers 1190, avant de passer en Palestine à la suite du roi Philippe-Auguste, le second en décembre 1209, à la veille de son départ contre les Albigeois. La Magdeleine fut construite par André II dans l'avant-cour même de son château, dont elle était la chapelle. Mais l'hôpital n'eut point originairement la place qu'il a de nos jours ; il était situé quelque part, au sud-est du château, sur la ligne qu'occupent maintenant les remparts de la ville.

André III de Vitré, fils aîné et successeur d'André II, fut très mêlé aux guerres du duc Pierre Mauclerc contre les barons de Bretagne et contre le roi saint Louis. D'abord, André tint le parti du duc, notamment en 1222, à la bataille de Châteaubriant, au gain de laquelle il contribua fort. Plus tard, ayant reconnu la fourbe de ce prince, il l'abandonna, et quand, en l'an 1230, saint Louis entra en Bretagne pour châtier la perfidie de Mauclerc, André III fut des premiers à se rendre auprès du roi et à recevoir les troupes royales dans ses châteaux. — Du reste, il eut comme son père le goût des pèlerinages et des croisades. En 1226, il fut visiter Saint-Jacques de Compostelle. En 1239, il fit en Terre-Sainte une première expédition, à la suite de Pierre Mauclerc, que la majorité de son fils (le duc Jean le Roux) avait — à la satisfaction générale — déchargé du gouvernement de la Bretagne. En 1248, il partit de nouveau pour prendre part, sous les ordres de saint Louis, à la septième Croisade ; l'année suivante, il était avec ce grand roi au siége et à la prise de Damiette ; il fut tué, le 8 février 1250, dans la célèbre bataille de la Massoure.

C'est lui qui entoura le premier sa ville d'une ceinture de remparts, dont le périmètre est encore marqué très-fidèlement par ce qui reste des vieux murs de Vitré. Pour établir cette enceinte, construite de 1220 à 1240 environ, il fallut nécessairement détruire beaucoup de maisons, entre autres l'église et les bâtiments de l'hôpital Saint-Nicolas. C'est alors que cet hôpital fut transféré au pont du Rachat sur la Vilaine (juxta pontem de Raschat), situation qu'il occupe encore maintenant. André III donna pour l'y rétablir — en l'an 1222 — un vaste terrain s'étendant de chaque côté de l'eau, son parc et son verger seigneurial attenant à ce terrain, avec faculté de bâtir sur la rivière, avantage fort estimé alors, à raison des facilités qui en résultaient pour le service de l'établissement. — Autour de cet hôpital et de sa chapelle on vit aussitôt se grouper de nouvelles habitations qui, de proche en proche, en s'étendant le long de la route de Vitré à Fougères, ne tardèrent pas à former un nouveau quartier, le faubourg du Rachat.

Ainsi, dès le milieu du XIIIème siècle, Vitré existait déjà avec tous ses principaux développements et tout ce qu'on peut appeler ses membres essentiels. La ville proprement dite était bâtie et close de remparts, flanquée à l'Est du bourg Saint-Martin, au Nord du Rachat, au Sud-Ouest du bourg Sainte-Croix ou Bourg-aux-Moines. Enfin, sous le château s'étendait aussi un petit quartier, appelé le Fort-Neuf (aujourd'hui la rue de Rallon et rues avoisinantes), reliant ensemble la ville close, le Bourg-aux-Moines et le Rachat, et, quant à son origine, contemporain de la forteresse élevée par Robert Ier sur cette haute pointe de rochers qui domine la Vilaine. Les trois églises paroissiales, l'hôpital, la collégiale, les deux prieurés bénédictins, étaient fondés et en voie de prospérité. — On peut donc dire que la création de la ville de Vitré a été l'œuvre de la première dynastie de ses seigneurs, de la race énergique de Riwallon ; aussi cette œuvre terminée, cette vieille race ne tarda point à disparaître.

André III, quand il périt à la Massoure, le 8 février 1250, laissait un fils, André IV, âgé de deux ans à peine, et qui mourut dès le 15 mars 1251. Par cette mort, la baronnie de Vitré échut à la sœur aillée d'André IV, appelée Philippe (Philippa), mariée depuis 1239 à Gui VII, sire de Laval. La terre de Vitré resta dans la maison de Laval pendant plus d'un siècle et demi ; mais en 1412, Gui XII de Laval mourut sans autre héritier qu'une fille, Anne, maniée à Jean de Montfort, seigneur de Montfort-la-Cane, laquelle porta dans la maison de son mari tous les domaines de celle de Laval, y compris Vitré. Pour payer ce vaste héritage, Jean de Montfort consentit à prendre le nom et les armes de sa femme, et même à échanger son prénom contre celui de Gui, héréditaire chez les seigneurs de Laval ; il fut le treizième du nom. La maison de Laval-Montfort garda la terre de Vitré pendant cent trente-cinq ans ; en 1547, Gui XVII étant mort sans enfants, il fallut retourner aux collatéraux et aux hoirs par les femmes ; Vitré, avec tous les biens de Laval, passa ainsi successivement dans la maison de Rieux (de 1547 à 1567), puis dans celle de Coligny (un fils et un petit-fils de d'Andelot furent barons de Vitré de 1567 à 1605), pour se fixer enfin dans l'illustre famille de la Trémouille (ou Trémoille), qui conserva cet immense héritage jusqu'à la Révolution.

Nous n'entrerons pas dans le détail de ces diverses dynasties seigneuriales ; leur existence est loin d'être aussi intimement liée à celle de notre ville que la race primitive de Riwallon, la seule qui ait porté le nom de maison de Vitré. D'ailleurs, leur histoire est plus connue, les Bénédictins ayant, pris soin de la donner dans leur Art de vérifier les dates. Mais nous croyons devoir ajouter ici quelques notions — qu'on chercherait vainement ailleurs — sur l'étendue de l'antique baronnie de Vitré.

C'était une des plus grandes seigneuries de notre province, la plus étendue assurément de toute la Haute-Bretagne. Au Nord, elle montait jusqu'au Couesnon, à une lieue environ de la ville de Fougères ; au Sud, elle descendait jusques et y compris la paroisse de Villepôt, à quatre lieues de Châteaubriant, soit une quinzaine de lieues de longueur. Sa plus grande largeur, de l'Est à l'Ouest, était de la frontière bretonne, auprès du Pertre, à la paroisse d'Acigné, soit neuf à dix lieues ; mais ailleurs son territoire était moins large et s'étrécissait surtout beaucoup vers le Sud, pressé entre la baronnie de la Guerche, d'une part, et d'autre les seigneuries de Brie, du Teil et de Piré. Malgré cela, elle s'étendait dans plus de quatre-vingts paroisses, et dans ce nombre il y en avait au moins soixante-dix relevant du baron de Vitré, en proche ou en arrière-fief, pour la totalité ou la très-grande généralité de leur territoire.

De toute antiquité, cette grande baronnie était divisée en quatre châtellenies ou sièges de juridiction, savoir : Vitré, Chevré, Châtillon-en-Vendelais et Marcillé. Car je ne veux parler ici ni du fief possédé par le seigneur de Vitré dans la ville de Rennes, ni de la châtellenie d'Aubigné, qui fut pendant plus de quatre siècles (du XIIIème au XVIIème) regardée comme un des membres de la baronnie de Vitré. La châtellenie de Châtillon comprenait le Nord de cette baronnie, soit seize paroisses, faisant toute la partie du pays de Vendelais (pagus Vendellensis) située au sud du Couesnon. La châtellenie de Vitré occupait le centre et formait le principal membre de la seigneurie, fort de quarante et quelques paroisses. La châtellenie de Marcillé, unie avec la vicomté de Bais, en renfermait une quinzaine et formait la régions méridionale de la baronnie. Quant à la châtellenie de Chevré [Note : Chevré est aujourd'hui en la commune de la Bouëxière, canton de Liffré, arrondissement de Rennes], elle se distinguait des autres par un trait assez caractéristique : elle représentait le territoire originairement couvert par l'ancienne forêt de Chevré, l'un des quartiers de cette immense forêt rennaise, célèbre dans notre histoire, et dont le duc de Bretagne, en créant la baronnie de Vitré, avait détaché une part pour décorer le nouveau fief. De là la composition de cette châtellenie, formée de pièces répandues assez irrégulièrement dans une douzaine de paroisses, qui par le reste de leur territoire relevaient de la châtellenie de Vitré.

Au XVIIIème siècle, en pleine décadence du régime féodal, on comptait encore, parmi les fiefs nobles relevant de la baronnie de Vitré, jusqu'à une centaine de terres à juridiction, dont soixante environ à haute-justice. Parmi ces dernières, on peut noter comme les principales : Acigné, Tizé en Torigné, Serigné en la Bouëxière, le Bordage en Ercé-sous-Liffré, Mézières, Saint-Jean-sur-Couesnon, le Bois-Lehou en Luitré, Mué en Parcé, Taillie, le Châtelet en Balazé, les Nétumières en Erbrée, Epinay en Champeaux, Saudecourt et Fouesnel en Louvigné-de-Bais, le Pinel en Argentré, la Roberie en Saint-Germain du Pinel , la Motte de Gennes (en Gennes ), la Motte de Moutiers (en Moutiers), la Rigaudière en le Teil, la vicomté de Fercé et celle de Tourie, et les deux antiques châtellenies de Retiers et de Martigné-Ferchaud, etc.

(Arthur de la Borderie).

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