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LA TRAITE DES NÈGRES A VANNES au XVIIIème siècle.

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L'idée nous est venue de rechercher si Vannes n'avait pas aussi fait trafic de nègres (ou trafic négrière). Malheureusement les documents à consulter sur le sujet sont plutôt rares ici alors qu'ils abondent à Nantes.

A défaut d'archives de chambres de commerce notamment, il faut se contenter du seul fonds de l'amirauté de Vannes, et encore incomplet, puisque les registres du greffe de cette juridiction manquent en partie et que sont absents les journaux de bord et les déclarations des capitaines à leur retour, toutes pièces essentielles.

Nos longues et patientes recherches ont pourtant abouti à quelques découvertes qui méritent d'être relatées.

Trafic de nègres (ou négrière) à Vannes (Bretagne).

***

Avant le XIXème siècle, la population de Vannes ne dépassa à aucun moment le chiffre de 10.000 habitants. C'était en somme une petite ville. Si elle avait connu une certaine ère de prospérité pendant le séjour du Parlement de Bretagne exilé dans ses murs l'espace de quatorze ans, entre 1675 et 1689, au retour du Parlement à Rennes son activité, son éclat momentanés se trouvèrent singulièrement amoindris. Par bonheur, ses relations commerciales avec les villes du littoral ne subirent pas de ce fait un préjudice trop sensible. Notre port continua à recevoir toutes les denrées dont le pays de Vannes avait besoin : épiceries de différentes sortes, vins, eaux-de-vie etc, et aussi à exporter ce qu'il avait en trop : grains de toute espèce, sels, fer, (Voir le Dict. d'Ogée, aux mots Vannes et Lanouée) toiles etc. et ce commerce qui, au début du XVIIIème siècle, ne se pratiquait guère que le long des côtes, prit avec le temps une plus grande extension. Les négociants se font plus nombreux, les affaires se multiplient et, bien avant le milieu du XVIIIème siècle, les navires construits à Vannes ou ayant Vannes comme port d'attache et appartenant à des négociants vannetais s'en vont jusqu'au Portugal, en Espagne, pénètrent dans la Méditerranée, trafiquent avec l'Irlande, la Hollande et traversent même l'Atlantique pour aller aux îles de l'Amérique.

Et pourtant, il faut le reconnaître, ce que Vannes était mal partagée quant aux facilités d'accès et de sortie de son port ! Ces facilités, si importantes au point de vue commercial maritime, lui manquaient, pour ainsi dire, totalement.

Si les navires d'un certain tonnage à destination de Vannes pouvaient, en suivant la route actuelle depuis Port-Navalo, remonter sans trop de peine jusqu'à Roguédas et même un peu en deçà de l'ile de Conleau, à partir de Conleau jusqu'au port la navigation, du fait du peu de profondeur des eaux, même à marée haute, était presque impraticable pour les navires chargés de marchandises.

La partie extrême du golfe, entre Conleau et Vannes, ne se présentait pas alors, en effet, telle qu'on la voit aujourd'hui. Depuis Conleau, pour accéder au port, deux baies ayant plutôt l'aspect — excepté quand la mer était tout à fait haute — de plaines vaseuses, restaient à franchir. La première assez vaste, dite de Larmor [Note : Longtemps appelée aussi des Trois Sapins à cause de trois arbres de cette essence qui existaient à la pointe de Kerbourbon], s'étendait depuis Kerbourbon jusqu'à la Saline et venait, dans sa partie nord-ouest, toucher à la route actuelle, sous Cliscouët, qui conduit à Conleau. Cette baie passée, s'en présentait une seconde dite de Trussac, bien plus petite, mais encore plus encombrée de vase — elle est actuellement sous jardins avec quelques maisons. — Son entrée se trouvait au lieu qu'on nomme maintenant Le Pont-Vert ; sa sortie, pour enfin atteindre le port, la butte ou presqu'île de Kerino, face à Trussac, une fois contournée, était à l'endroit qui sépare de nos jours les deux Rabines, l'ancienne et la nouvelle, c'est-à-dire approximativement entre la fonderie et la partie de l'enclos de l'usine à gaz, face à la fonderie.

Cet état de choses, trop préjudiciable au trafic, ne pouvait pas durer. Vers 1760, on commença des travaux pour couper la butte de Kerino afin d'éviter aux navires entrant au port ou en sortant le difficile circuit par Trussac. Mais, dès l'année suivante, les travaux furent arrêtés, faute de ressources.

Ils ne furent repris que plus de soixante ans après, en 1824. La butte de Kerino enfin coupée, par une profonde tranchée, à même le roc, donna alors un accès direct et facile dans le port, à partir du Pont-Vert [Note : La partie de la butte de Kerino restée du côté ouest ne fut complètement rasée qu'en 1884 pour faire place, plus tard, à la seconde Rabine].

Quant au chemin de halage partant de la pointe de la presqu'île du Grand-Conleau, appelée à tort pointe des Emigrés, pour atteindre le Pont-Vert et qui a séparé l'anse de la Saline de la baie de Larmor, son achèvement ne remonte qu'à 1869-1870.

Mais alors, dira-t-on, antérieurement, au XVIIIème siècle par exemple, comment les navires d'un assez fort tonnage pouvaient-ils, à leur arrivée, décharger leurs marchandises ou prendre leur cargaison avant de partir ?

Une vieille gravure d'Ozanne [Note : Ozanne Nicolas-Marie, né à Brest en 1728, mort a Paris en 1811. Graveur et dessinateur de la Marine, il a laissé un grand nombre de vues de ports] représentant le port, vu de La Santière — ancien manoir remplacé par la fonderie de Kerino — à mer haute et dont une épreuve existe à la Société polymathique et une autre à l'Hôtel-de-Ville, dans le cabinet du maire, répond à la question. Au premier plan se voit une chaloupe chargée qui, entrant avec le flot dans le port, est suivie d'un train de bois qu'elle remorque et sur lequel sont encore placées diverses marchandises que surveille un chien en sentinelle sur une barrique.

En un mot, même au XVIIIème siècle, il fallait avoir recours à des allèges pour décharger ou charger, loin du port, tout navire d'une jauge supérieure à 25 ou 35 tonnes.

C'est si vrai qu'au fonds de l'amirauté se trouve un règlement-tarif, daté du 24 décembre 1768 (Série B — liasse 1768-1769), élevant des prix de transport des marchandises par chaloupes-allèges aux diffé rents points de débarquement ou d'embarquement dans le golfe. Ainsi pour décharger ou charger, par allèges, un navire sous Conleau on payait 8 sols par tonneau ; sous Boëdic, c'était 9 sols et sous Roguédas et l'île d'Arz 10 sols etc..

Cet exposé de l'état du port de Vannes au XVIIIème siècle a paru nécessaire pour faire ressortir les grandes difficultés qu'avaient à surmonter les négociants de notre ville, difficultés que ne connaissaient pas les négociants nantais.

***

Parmi les négociants vannetais s'occupant, vers la moitié du XVIIIème siècle, de commerce maritime, voici quelques noms relevés dans le registre de réception des maîtres et capitaines qui va du 30 avril 1754 au 20 mars 1759 [Note : Ils y figurent pour appuyer la demande de deux capitaines de navires, domiciliés à l'Ile-aux-moines, les sieurs Joseph Le Thiec et Joseph Luco, aspirant, l'un et l'autre, à exercer les fonctions de pilotes lamaneurs sur les navires à leur entrée dans le golfe, de Port-Navalo à Vannes, ou à leur sortie, de Vannes à Port-Navalo. Arch. dép. Morbihan. Série B. Registre 55, de la page 31 verso à la page 34 recto. Actes du 27 septembre 1755] : du Bodan, N. Daviers, Billy, des Ruisseaux, B. Colas, veuve La Rive et fils, Le Petit, B. Fresneau, de Grangan, G. Danet, Doré, Houssey, Aubry, du Gué.

Entre ces noms ceux de du Bodan et de des Ruisseaux attirent plus particulièrement l'attention à cause des nombreuses affaires auxquelles ils ont été mêlés.

Deux familles Guillo du Bodan, issues de la même souche, exerçaient ici le négoce depuis le début du siècle. L'une d'elles donna même à la ville deux maires : écuyer Joseph Ange du Bodan, maire de Vannes de 1747 à 1755, et son fils Jean Vincent, qui lui succéda immédiatement, de 1755 à 1761. A la première réunion de la communauté qui suivit le décès de Joseph Ange, survenu le 16 mars [Note : Registre des sépultures, paroisse Saint Patern, 17 mars 1755. Inhumation de Ecuyer Joseph Ange Guillo sieur du Bodan, décédé la veille, en son vivant maire de Vannes, âgé d'environ 52 ans, décédé en sa maison près de Calmont], de Kerardène-Gillot, membre de cette communauté et avocat au Parlement de Bretagne, s'exprima ainsi : — que sa prose un peu boursoufflée n'étonne pas outre mesure. Elle allait devenir très à la mode, quelques années plus tard, au sein des assemblées délibérantes.

« Vous avez tous été infiniment pénétrés, Messieurs, de la perte de feu Joseph Ange du Bodan, votre dernier maire. Il n'y a eu aucun bon citoyen qui n'ait répété mille fois : quomodo cecidit potens qui salvum faciebat populum Israël ?

Cette perte était sensible, cette perte semblait irréparable ; mais, comme d'un autre phénix, il sort de ses cendres un digne rejeton dont le bon naturel, l'amour de la patrie, la noblesse des sentiments, l'esprit vif et pénétrant, l'esprit juste et prudent vous assurent d'un dédommagement complet. Ne tardez donc pas, Messieurs, à faire enregistrer ses provisions et sa réception au parlement ! ».

A l'autre famille du Bodan appartenait François Barnabé, capitaine de navires dont il sera bientôt parlé au cours de cette étude. Il était neveu de Joseph Ange et cousin germain de Jean Vincent. Ces deux familles fort considérées, tenues à juste titre en très haute estime par leurs concitoyens, demeuraient, comme la plupart des négociants se livrant au trafic maritime, sur le port.

Ignace Advisse des Ruisseaux naquit aussi à Vannes, à Calmont-bas, le 12 juin 1703. Juge-consul, fabrique de la paroisse de Saint-Patern, administrateur de l'hôpital de Saint-Nicolas, il fit également, en raison de ces diverses fonctions, assez importante figure dans la cité.

Par ailleurs d'une activité débordante, on le trouve s'occupant d'un tas de choses. En même temps que négociant il est armateur, expert, arbitre, mandataire, banquier à l'occasion. C'est un brasseur d'affaires, intéressé dans une foule d'entreprises et, pour gagner davantage, il risquait gros. A la suite d'une opération qui devint désastreuse, du fait de la déconfiture d'associés, il se vit un jour, le 14 mai 1777, dans la nécessité de déposer son bilan [Note : Il mourut au Palais, Belle-Ile-en-mer, le 5 août 1782].

Au XVIIIème siècle, comme cela se pratique encore quelquefois de nos jours, quand il s'agissait de construire et d'armer un navire, les négociants, dans le but de répartir les risques, formaient entre eux et avec des personnes parentes, amies ou seulement avantageusement connues d'eux, une association. La plupart du temps les parts des associés n'étaient pas égales. Les uns souscrivaient par exemple pour un sixième, d'autres pour un dixième etc. En général le futur capitaine était intéressé dans l'affaire pour une part quelconque. Il était aussi entendu qu'à toute époque, les parts — sortes d'obligations — pouvaient être cédées, vendues. L'association constituée, on faisait alors choix d'un maître-constructeur de navires.

Au nombre des associés figurant sur les registres des actes de propriété de la Série B (Registres nos 3451, 3452, 3453, 3454, 3455, 3456, 3457, 3458 allant de l'année 1714 à l'année 1791) il n'est pas rare de rencontrer des noms de la haute bourgeoisie et aussi de la noblesse. On sait que sous peine de déroger, de perdre son titre, tout noble devait vivre noblement, c'est-à-dire sans faire quoique ce soit pouvant lui procurer un profit. A cette règle il y avait toutefois deux exceptions. Ne faisaient pas déroger l'industrie de la verrerie et le commerce de mer. Inutile d'ajouter que les noms des du Bodan et d'Ignace Advisse des Ruisseaux figurent dans un très grand nombre d'actes.

Il y avait, comme maintenant aussi, deux sortes de capitaines de la marine marchande ; les capitaines au petit cabotage et ceux au grand cabotage ou long-cours. Pour l'une et l'autre catégories, il fallait, afin d'obtenir la lettre de maîtrise, produire d'abord un état de services à la mer — pour le long-cours, notamment, justifier avoir fait deux campagnes sur les vaisseaux du roi et cinq années de navigation sur les navires marchands — ou une exemption de service accordée par le roi ; puis subir au siège de l'amirauté un examen devant le conseiller lieutenant général et le procureur du roi assistés de deux capitaines, ordinairement du grade à obtenir, qui posaient des questions sur les matières ayant trait à la navigation et aux diverses ordonnances relatives à la marine.

Voici, à titre de curiosité, l'acte de réception en qualité de capitaine au grand cabotage ou long-cours de François Barnabe du Bodan :

Du 27 Avril 1739.
Devant nous, Noël Bourgeois Ecuyer, sieur de Limur, conseiller du Roi, lieutenant général civil et criminel du siège de l'Amirauté de l'Evêché de Vannes,

Présent le procureur du Roi,

A comparu le sieur François Barnané Guillo du Bodan natif de Vannes, fils de n. h. Jean Baptiste Guillo, sieur du Bodan et de Dlle Jeanne Magdeleine Montelier ses père et mère ; de la religion catholique, apostolique et romaine, âgé d'environ 28 ans, suivant son extrait baptistaire en date du 19 8bre 1711, signé-Guilloux, curé de Saint-Patern, lequel extrait baptistaire il nous a apparu et déposé aux mains de notre greffier ; le dit François Barnabé du Bodan nous a aussi apparu des dispenses à lui accordées par sa Majesté, en date du 21 de ce mois, afin d'être exempt des deux campagnes qu'il doit faire sur les vaisseaux de sa Majesté, prescrites par l'ordonnance de 1689 et par le règlement du 15 août 1725 pour être reçu capitaine, maître ou patron et pilote, les dites dispenses aussi déposées aux mains de notre greffier ; le dit François Barnabé du Bodan nous ayant représenté qu'il a fait en qualité de pilotin, d'enseigne, de lieutenant et second capitaine les cinq années de navigation sur les bâtiments marchands auxquelles il est obligé par l'ordonnance de 1684, savoir :

En qualité de pilotin novice, sans solde, sur le navire Le Saint-Pierre, commandé par le Sr François Cellié, destiné pour les côtes de Bretagne et les îles de l'Amérique, pendant 14 mois 5 jours à compter du 13 février 1729 au 19 avril 1730.

En qualité d'enseigne sur le navire Le Solide, commandé par le Sr Jean Bousault, destiné pour La Martinique, pendant 7 mois 24 jours à compter du 20 janvier 1731 au 14 7bre de la même année.

En la même qualité d'enseigne sur le navire La Concorde de Vannes, commandé par les Srs Jean Abram et Humphry pour La Martinique, l'île de prince et Juda (dans le golfe de Bénin), pendant 19 mois 20 jours à compter du 13 décembre 1731 au 3 août 1733.

En qualité de lieutenant sur le même navire La Concorde, commandé par le Sr Humphry pour Cadix et La Martinique, pendant 11 mois 16 jours à compter du 17 décembre 1733 au 9 décembre 1734.

En la même qualité de lieutenant sur le même navire La Concorde, commandé par le Sr Alexandre Corbun pour Carthagène, Marseille et La Martinique pendant 15 mois 3 jours à compter du 24 avril 1735 au 27 juillet 1736.

En qualité de second capitaine sur le même navire La Concorde, commandé par le dit Sr Corbun pour Nantes, Alicante, Marseille et l'Amérique, pendant 22 mois 13 jours à compter du 29 octobre 1736 au 17 7bre 1738.

Ce qu'il a justifié par un état de ses services certifié par le Sr de Chauvry, commissaire principal des classes de la marine à Vannes, en date du 12 janvier dernier, lequel état de services il a aussi déposé aux mains de notre dit greffier.

Sa Majesté désirant traiter favorablement le dit François Barnabé du Bodan, elle l'a exempté et l'exempte des deux campagnes qu'il doit faire sur ses vaisseaux et veut qu'il puisse être reçu capitaine maître ou patron et pilote quoiqu'il n'ait pas fait les dites deux campagnes et ce, sans tirer à conséquence en remplissant par lui les autres formalités prescrites par les ordonnances de 1684 et 1689 et notamment par le règlement du 15 août de l'année 1725. Fait à Versailles le 21 avril 1739, signé Louis et plus bas Phelippeaux et scellé ; pourquoi le dit François Barnabé du Bodan requiert qu'il nous plaise le recevoir capitaine maître ou patron et pilote ; offre qu'il fait de subir l'examen et de prêter serment en tel cas requis et a signé : F. DU BODAN.

Sur lequel réquisitoire faisant droit et, le consentant le procureur du Roi, avons nommé d'office pour parvenir à l'examen du dit François Barnabé du Bodan, Jean Benoist maître de barque demeurant en l'isle et paroisse d'Arz, âgé d'environ 50 ans, et Luc Moizeau demeurant à l'Isle-Dieu aussi âgé d'environ 50 ans, desquels le serment pris séparément, ils ont promis et juré, la main levée, de se bien et fidèlement comporter à l'examen du dit François Barnabé du Bodan, auquel procédant ils lui ont fait plusieurs questions et demandes sur le fait de la navigation et le cours des marées auxquelles il a parfaitement répondu et ont les dits Jean Benoist et Luc Moizeau, maîtres de barque, unanimement déclaré qu'il est capable de monter un navire et de le commander et ont signé : JEAN BENOIST, Luc MOIZEAU.

Et après avoir interrogé le dit François Barnabé du Bodan notamment sur le règlement de sa Majesté du mois de mars 1713, il nous a paru en savoir les dispositions. En conséquence de tout quoi, et, le consentant le procureur du Roi, avons reçu le dit François Barnabé Guillo du Bodan capitaine maître ou patron et pilote à la charge de s'y bien et fidèlement comporter ce qu'il a promis et juré faire la main levée et a signé. F. DU BODAN, DE LESPINEY.
BOURGEOIS
.

Les actes de réception des capitaines au grand cabotage ou long-cours ainsi que ceux des capitaines au petit cabotage sont complets aux archives départementales du Morbihan pour la période qui s'étend du 30 Octobre 1716 au 25 Novembre 1791 et c'est seulement grâce aux états détaillés des services à la mer délivrés par l'administration maritime et produits à l'amirauté par les candidats, qu'il nous a été possible de connaître non seulement les noms des quelques navires négriers armés par des négociants vannetais et les noms des capitaines ou officiers de la marine marchande qui les ont commandés, mais aussi le nombre et la durée des voyages faits par ces navires à la côte de Guinée pour la traite, puis aux Antilles.

Les navires négriers avaient, en général, un équipage nombreux, atteignant jusqu'à 25 hommes, même s'ils ne dépassaient pas 100 tonneaux de jauge. Tous possédaient diverses armes, canons, pierriers, mousquets. Leur état-major se composait de quatre officiers : un capitaine commandant, un capitaine en second, un premier et un second lieutenant. Souvent un chirurgien était adjoint à l'état-major. Seul le capitaine commandant devait être pourvu d'une lettre de maîtrise.

Pour les négriers vannetais, les équipages se recrutaient plus particulièrement parmi les marins des paroisses voisines : Séné, l'Ile-d'Arz, Arradon, l'Ile-aux-Moines, [Note : L'Ile-aux-Moines était alors une simple trêve dépendant d'Arradon] la presqu'île de Rhuys. Les officiers, au contraire, provenaient le plus souvent de la haute bourgeoisie vannetaise.

***

Avant d'entrer dans le récit des voyages entrepris par les rares navires négriers ayant eu Vannes comme port d'attache, il semble utile de rappeler quelques considérations d'ordre général.

La traite, ce trafic de chair humaine renouvelé de l'antique esclavage, fit son apparition peu de temps après la découverte de l'Amérique. En présence de l'impossibilité presque absolue pour les blancs de se livrer à un travail pénible sous un soleil tropical dans les colonies, on dut songer à la race noire habituée aux chaleurs torrides et qui seule pouvait, en ces lieux, fournir une main-d'œuvre acclimatée et beaucoup plus résistante.

On y eut recours en effet et sans aucun ménagement et quoique la traite fut un commerce inhumain, on vit, pendant plusieurs siècles, des nations chrétiennes s'y livrer sans scrupule, car c'était alors admis, universellement accepté. Personne n'y trouvait à redire.

En d'autres termes, le trafic en question ne portait nulle atteinte à l'honorabilité des personnes qui le pratiquaient de près ou de loin.

Aujourd'hui, et depuis longtemps déjà, on n'apprécie plus les choses de la même façon et la traite des noirs est universellement réprouvée. Qu'est-ce à dire ? Autre temps, autre façon de juger les hommes et leurs actes et il en a toujours été ainsi à travers les siècles depuis la vie de l'humanité.

Cela exposé, à quelles difficultés, à quels dangers s'exposaient les équipages des navires employés à ce trafic ! Sur de méchants bateaux qui souvent ne jaugeaient pas cent tonnes, ils devaient d'abord faire route vers les côtes d'Afrique, aller d’un lieu de traite à un autre, puis, après de longues transactions, leur cargaison de captifs à fond de cale, traverser l'Atlantique pour atteindre les Antilles. La vente des nègres terminée, il leur fallait embarquer un fret de retour consistant surtout en denrées coloniales et traverser une seconde fois l'Atlantique pour regagner l'Europe bravant, au cours de ce long périple, qui durait quelquefois plus d'un an et demi, les tempêtes, le calme de grande durée souvent aussi néfaste, les maladies, quelquefois les révoltes des nègres et les attaques des corsaires barbaresques ou, en cas de guerre, des vaisseaux ennemis.

Mais, il faut aussi en convenir, en dédommagement des difficultés à surmonter et des dangers à courir, les équipages rêvaient de gains inattendus à réaliser, tandis qu'en compensation des risques de l'entreprise, négociants et armateurs escomptaient de gros bénéfices.

Le premier navire négrier ayant eu notre ville comme port d'attache fut La Concorde de Vannes d'une jauge de 98 tonneaux ; il fut construit en 1730 à Redon par le maître-charpentier Priou. Etaient intéressés dans l'armement : Alexandre Corbun de Redon ; Jean-Baptiste Lucas, sénéchal de Largouët à Vannes ; Billy ; La Croix ; François Billy ; la veuve Brunet et le sieur du Bodan, chacun pour une part égale. [Note : Arch. Dép. Morbihan, Série B. Actes de propriété du 16 Juin 1730. Registre 3452, p. 47 verso].

Il fit son premier voyage en Guinée et la Martinique du 13 décemhre 1731 au 3 août 1733 sous le commandement d'abord de Jean Ahram, puis de Jean Amaury Humphry, sans doute à la suite du décès en cours de voyage de Jean Abram.

Le second eut lieu pour les mêmes destinations, sous le commandement également d'Humphry, entre le 17 décembre 1733 et le 3 décembre 1734.

Le troisième se fit pour Carthagène, Marseille, La Guinée et l'Amérique sous le commandement d'Alexandre Corbun, du 24 avril 1735 au 27 juillet 1736.

Entre ce voyage et celui qui suit, le navire se rendit en Irlande et en revint au bout de quatre mois.

Le quatrième voyage pour la Guinée et l'Amérique eut lieu encore sous le commandement d'Alexandre Corbun entre le 16 avril 1737 et le 12 septembre 1738.

Le cinquième se fit pour les mêmes endroits, sous le commandement de François Barnabé du Bodan, qui venait d'être reçu capitaine au long-cours, du 19 mai 1739 au 18 mars 1740.

Entre ce voyage et le dernier, le navire était parti le 7 octobre 1740 sous le commandement de du Bodan pour une destination inconnue. Cette date a été relevée à l'occasion du décès de Jean Daniel Davier survenue sur le navire le 17 juin 1741 (Série B - Liasse 1741).

Enfin le sixième et dernier voyage de La Concorde de Vannes à destination des Antilles, encore sous le commandement de du Bodan, commença le 18 août 1742 pour se terminer le 25 mai 1744, date à laquelle le bâtiment fut capturé par les Anglais.

La guerre avait été en effet déclarée par la France à l'Angleterre en mars 1744, deux ou trois mois auparavant.

François du Bodan et son équipage, faits prisonniers, restèrent sans doute aux mains de l'ennemi jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle qui fut signée le 18 octobre 1748.

Sitôt le retour en France de François Barnabé, Joseph Ange et Jean Vincent du Bodan se préoccupèrent de recommencer la traite. Au cours de l'année 1749, ils firent construire à Bayonne par le sieur Dominique Gassis, maître-constructeur, au chantier dit des Ursulines, un navire destiné à remplacer La Concorde et d'un tonnage bien supérieur.

Etaient intéressés dans ce navire auquel on donna le nom de Le Duc de Rohan et qui jaugeait 220 tonneaux, les sieurs Alba père et fils, de Pontivy, [Note : Jean Louis Alba fut maire de Pontivy de 1747 à 1758 - Bio-Bibliog. de Kerviler] pour 5 dixièmes et demi ; le sieur de Labat, de Marseille, et amis pour 1 dixième et demi ; les sieurs du Bodan père et fils pour les 3 dixièmes restants [Note : Arch. dép. Morbihan. Série B. Acte de propriété du 4 novembre 1749, Registre n° 3.453, page 46 V°].

Nous savons au sujet de ce navire que, chargé par allèges sous l'île de Boëdic, il partit, commandé par François du Bodan, pour la côte de Guinée et l'Amérique le 4 mai 1750, pour revenir désarmer au même lieu le 21 décembre 1751.

Les recherches effectuées aux archives départementales n'ont pas permis de découvrir autre chose sur les voyages du Duc de Rohan. Il est probble en tout cas qu'au cours de la guerre de sept ans, de 1756 à 1763, date du traité de Paris, il ne sortit pas du golfe afin d'éviter un sort semblable à celui de La Concorde.

La guerre de sept ans terminée, ses armateurs se décidèrent, le 31 août 1763, à le vendre à un sieur Rateau, négociant à La Rochelle. Son nom fut changé à partir de ce moment en celui de Le Diamant de La Rochelle.

En même temps que les du Bodan s'occupaient de la construction et de l'armement du Duc de Rohan, ils achetaient en Hollande un autre navire destiné également à la traite.

Voici l'acte de propriété le concernant (Arch. Dép. Morbihan, Série B. Actes de propriété. Registre n° 3.453, p. 52 V°).

« Du 20 mars 1750.
Devant nous, etc....

Ont comparu les sieurs du Bodan père et fils, négociants en cette ville, lesquels ont déclaré avoir acheté en Hollande une corvette nommée La Sirène, du port de 95 tonneaux ou environ, la dite corvette actuellement mouillée sous Bouëdic, en cette rivière, et chargée de marchandises destinées pour la côte de Guinée et qui sera commandée par le sieur Jean Baptiste Boutin, de Nantes, et dans laquelle ainsi que dans sa cargaison sont intéressés :

Les sieurs Alba père et fils, de Pontivy, pour 5 dixièmes et demi ; le sieur de Labat, de Marseille, et amis pour 1 dixième et demi ; et les dits sieurs du Bodan père et fils, de cette ville, pour les 3 dixièmes restants.
C'est la déclaration etc.... du Bodan père et fils »
.

Enfin, on trouve le capitaine François Barnabé du Bodan en qualité de commandant du navire Le Prince de Condé qui a fait un voyage en Guinée et aux Antilles entre le 26 janvier 1755 et le 18 mai 1756, date à laquelle ce navire a été désarmé aux Cayes-Saint-Louis (Saint-Domingue), sans doute en raison des hostilités qui venaient de recommencer avec l'Angleterre (guerre de sept ans).

A dater de cette époque il n'est plus question du capitaine François Barnabé du Bodan ni dans la série B (Amirauté), ni dans la série E supplément (actes de l'état-civil).

Il dut mourir en pays étranger, à Saint-Domingue peut6être. Il est seulement certain qu'il décéda avant le 22 août 1763, puisqu'à cette date Catherine Angélique Guillo du Bodan est ainsi qualifiée : fille de feu noble homme François Barnabé Guillo du Bodan.

***

En même temps que les du Bodan allaient, la paix d'Aixla-Chapelle signée, continuer la traite au moyen de leurs nouveaux navires Le Duc de Rohan et La Sirène, Ignace Advisse des Ruisseaux, de son côté, devenait armateur de La Marguerite, un senault, sorte de brigantin, de 90 tonnes, récemment construit à Redon par le maître-charpentier Jean Danet.

Les mésaventures dramatiques de ce navire valent d'être mises en relief et contées tout au long. Elles ne manqueront pas d'intéresser car elles permettent de suivre, du commencement à la fin, les difficultés et les dangers auxquels s'exposait tout navire se livrant à la traite.

En septembre 1749 La Marguerite est à l'ancre sous Conleau procédant à l'embarquement par allèges de ses vivres et de ses marchandises de traite [Note : On n'achetait pas les nègres argent comptant. On les obtenait soit directement des roitelets du pays, soit d'intermédiaires, par échange, c'est-à-dire contre un paquet de marchandises variant suivant le sexe et la qualité du captif] pour la côte de Guinée. Elle comptait 24 hommes d'équipage y compris l'état-major composé de : Nicolas Gervaizeau [Note : Nicolas Gervaizeau était un oncle à la mode de Bretagne de M. Léon Lallement], capitaine commandant ; Jean Peignon, de Nantes, second capitaine ; Julien Guyard, également de Nantes, premier lieutenant ; Jean-Vincent Brunet, de Vannes, second lieutenant et Chemin, de La Roche-Bernard, chirurgien.

Elle était armée de 4 canons et de 2 pierriers et avait aussi à bord des mousquets.

D'après l'acte de propriété du 27 septembre 1749 (Arch. Dép. Morbihan. Série B. Actes de propriété - Registre 3.453, p. 45 V°) ; en outre de des Ruisseaux l'armateur, étaient intéressés : Mlle de Marzant pour 1 seizième ; le Sr du Plessix-Thomas, alloué de La Roche-Bernard, pour 1 huitième ; le Sr Jean Lévesque pour 1 huitième ; les Srs Jaffre frères, également de La Roche-Bernard, pour 1 huitième ; les Srs Colas et Groizier, négociants à Vannes, pour chacun 1 sixième ; le Sr des Ruisseaux, armateur du dit navire, aussi pour 1 sixième et le capitaine Gervaizeau pour le seizième restant.

Nicolas Gervaizeau naquit à Vieille-Roche, en Arzal, le 5 décembre 1718. Avant sa réception comme capitaine par l'amirauté de Vannes, le 3 avril 1749, il avait navigué au commerce, notamment en qualité de second lieutenant sur le navire La Reine de France pour la côte de Guinée et Saint-Domingue ; en qualité de premier lieutenant sur La Finette pour la côte de Guinée encore et l'Amérique ; enfin en la même qualité de premier lieutenant pendant près de 3 ans sur le vaisseau L'Anglesea appartenant au roi et armé en course pour l'Inde.

Il était donc au courant de la traite des nègres et habitué aux longues navigations.

Le senault La Marguerite, parti de Conleau, sous son commandement, le 14 octobre 1749, se trouvait, dès le 21 du même mois, par 40 degrés 40 minutes de latitude nord et 3 degrés 40 minutes de longitude, au large des côtes marocaines, lorsqu'il fut aperçu par un chebec algérien qui lui donna la chasse et le canonna sitôt à portée. Pour affirmer sa nationalité, le capitaine Gervaizeau fait hisser le pavillon français en l'assurant de deux coups de canon. Le chebec n'en continue pas moins sa poursuite et son attaque. L'équipage du senault se défend de son mieux. Quand les deux navires furent bord à bord, un combat de mousqueterie s'engage au cours duquel six hommes de La Marguerite dont le capitaine commandant, le second capitaine et le premier lieutenant furent grièvement atteints. Finalement La Marguerite dut se rendre. Les barbaresques, au nombre de 130, envahissent immédiatement le navire, poignardent le tonnelier et le jettent à la mer, mettent à nu le reste de l'équipage, détruisent les papiers du bord, pillent la cargaison et commettent toutes sortes de dégâts.

Cela fait, ils réintègrent leur chebec non sans avoir laissé des hommes armés sur La Marguerite et emmené comme otages, à leur bord, le second lieutenant Jean Brunet et le novice volontaire Vincent Advisse des Ruisseaux, fils de l'armateur ; puis les deux navires font route ensemble, l'un sous la surveillance de l'autre, vers la rade d'Alger où ils arrivent le 9 novembre. Sitôt à terre, le capitaine Gervaizeau porte plainte devant le consul de France. L'attaque du chebec constituait une grave atteinte au droit des gens ; la France n'était pas en guerre avec le dey d'Alger. A la suite de ses véhémentes protestations et après de nombreuses démarches, Gervaizeau finit par obtenir une indemnité de 300 sequins pour les dommages causés, ainsi que la liberté de sortir du port pour son navire et l'équipage.

Le 3 décembre il met à la voile pour Marseille, car il ne pouvait songer, en l'état, à poursuivre son voyage vers La Guinée ; il fallait auparavant faire réparer le navire endommagé et compléter sa cargaison, partie des vivres et des marchandises ayant été pillée.

Une seconde malchance l'attendait. Le 23, à environ 15 lieues du cap de Creus (à l'extrémité N-E. de l'Espagne), il est assailli par une violente tempête qui met son navire en péril et l'oblige, l'équipage consulté, à jeter à la mer tout ce qu'il y avait sur le pont, jusqu'à la cuisine pour nègres qui s'y trouvait démontée, et, c'est le 12 janvier 1750 seulement, après une navigation des plus tourmentées et périlleuses, qu'il arrive aux jetées de Marseille.

Là, il subit une quarantaine. Le 29 janvier enfin, Gervaizeau peut se rendre à l'amirauté et y déposer son rapport de mer sur les malheureux évènements à lui survenus depuis son départ de Conleau.

Avant de procéder à la réparation de La Marguerite et de compléter son stock en vivres et en marchandises, le capitaine, pour se mettre en règle vis-à-vis de ses co-associés, demanda à l'amirauté la nomination de deux experts en vue de l'évaluation du navire, de ses apparaux et provisions et généralement de tout ce qui se trouvait encore à bord à la suite des différents et tristes incidents dont il avait été victime [Note : Le navire seul, avec ses agrès et apparaux, fut estimé 9.832 livres. Procès-verbal d'expertise du 2 mars 1750].

L'expertise, la réparation du navire et son réapprovisionnement prirent un certain temps. Le 23 juin 1750, tout de même, il peut appareiller pour la côte de Guinée dont il découvre la terre le 24 août et mouille à Manne [Note : Les noms de lieux sont reproduits tels qu'ils se trouvent écrits dans les déclarations du capitaine Gervaizeau] le 26. Il n'y trouve pas à traiter, non plus qu'au cap de Monte où il arrive le 28. Il en part le lendemain et fait route sur les îles Bananes (en face de Sierra-Leone) avec l'espoir d'être plus heureux. Il y mouille le 5 septembre. Là, le nombre des navires négriers est si considérable qu'il ne peut, à cause de la concurrence, acheter que quatre noirs. Dépité, il met à nouveau à la voile le 12 pour gagner les îles du Plantin où il réussit à traiter six négrillons. Il quitte les îles du Plantin le 17 pour la rivière de Cerbera. Il y arrive le 19 et avec du temps et de la patience il parvient à se procurer 60 noirs. Heureux du résultat, il revient aux îles Bananes pour terminer sa cargaison de captifs et s'approvisionner en bois et eau en vue de la traversée de l'Atlantique.

Alors qu'il s'y trouvait à l'ancre, arrive dans la rade, le 1er janvier 1751, un navire négrier anglais de fort tonnage et puissamment armé qui, à peine au mouillage, tire sur le senault vannetais un coup de canon dont le projectile passe entre les mâts. Gervaizeau étonné demande la raison de cet acte d'hostilité. Pour vous obliger à partir, lui est-il répondu, et si dans 24 heures vous n'avez pas disparu vous serez coulé bas.

L'état de guerre n'existait cependant pas alors entre l'Angleterre et la France mais, en tous lieux et en toutes circonstances, quand l'intérêt est en jeu, le fabuliste l'a dit : la raison du plus fort est toujours la meilleure. Gervaizeau ne pouvait songer à résister. Ayant besoin d'eau et de bois, il obtint seulement du capitaine anglais, à force de sollicitations, un délai de trois jours mais défense expresse lui est faite d'aller traiter dans certains parages qu'on lui désigne en ajoutant qu'il serait coulé sans rémission s'il ne se conformait pas à cet ordre.

Après avoir tenu conseil avec ses officiers, Gervaizeau, le délai de trois jours expiré, repart pour Cerbera faisant route de façon à passer entre la terre et les îles Bananes. L'anglais le canonne à nouveau. Gervaizeau de plus en plus surpris fait demander des explications par son second lieutenant envoyé à bord de l'anglais. Il lui est enjoint de passer au large des îles Bananes pour descendre la côte. Il fait semblant de se soumettre mais, la nuit venue, il change de direction et va mouiller devant un certain village dit de la Jamaïque, où son adversaire, à cause de son grand tirant d'eau, ne pouvait l'atteindre et où il séjourne jusqu'au 13 mars 1751.

Il y a lieu de signaler ici un fait douloureux et d'importance. Depuis son départ de Marseille jusqu'à cette dernière date, le senault La Marguerite avait perdu sept membres de son équipage, dont le chirurgien Chemin et le novice des Ruisseaux, tous décédés à bord de maladie.

C'était déjà le tiers de l'effectif, si on compte le tonnelier poignardé et jeté à la mer par les barbaresques.

Cependant, avec 90 captifs à fond de cale, ses provisions en eau et bois faites, Gervaizeau se dispose à partir pour les Antilles. Il n'a plus que quelques comptes à règler avec un mulâtre de la région. A cet effet, il s'embarque sur un canot de La Marguerite avec le second lieutenant et quatre bons rameurs, puis remonte la rivière et, après avoir atterri, se rend à la case du mulâtre.

Décidément un mauvais sort ne cessait de planer sur La Marguerite et son équipage depuis le départ de Conleau.

Pendant l'absence de Gervaizeau, l'embarcation qui l'avait amené est capturée par de nombreux noirs, malgré la plus vive résistance du second lieutenant et de ses quatre hommes restés pour la garder. Faits prisonniers, ils sont débarqués, dépouillés de leurs vêtements et enchaînés, puis, le lendemain matin, conduits dans les terres et, avec eux, le capitaine Gervaizeau lui-même.

Tandis que cela se passait dans la rivière, tous les noirs du pays sont rassemblés dans le but de s'emparer aussi du navire toujours au mouillage sous la côte. Les voilà nombreux sur le rivage ; vingt-quatre d'entre eux, leurs coutelas cachés, s'embarquent sur des pirogues et se dirigent vers La Marguerite sous prétexte de vendre quelques captifs qu'ils avaient en effet avec eux. Le capitaine en second, sans méfiance, les laisse approcher et même monter à bord pour discuter des prix. A peine sur le pont, les noirs poignardent les hommes de l'équipage, les jettent à la mer, délivrent les 90 captifs et, avant de se retirer, mettent le feu au navire qui est entièrement consumé par l'incendie. Echappèrent seuls à la mort, quoique blessés, quatre hommes et le capitaine en second.

Ces lamentables évènements se passaient le 18 mars. Le tout avait été sûrement combiné par des concurrents étrangers en station dans le pays et exécuté par les noirs à leur instigation.

Quand ce fut fini, Gervaizeau et les cinq hommes du canot, qui n'étaient plus à redouter, furent relâchés ; ils réussirent à regagner sans trop de difficultés la côte où ils retrouvèrent leurs camarades échappés au massacre et La Marguerite à l'état d'épave.

Il fallait songer à quitter au plus tôt le pays et à se faire rapatrier d'une façon ou d'une autre.

Heureusement se trouvait dans les parages, sur le point de partir pour les Antilles, un négrier nantais, le brigantin La Bréhinnière, dont le capitaine, le Sr de Kernenny, consentit à prendre à son bord Gervaizeau avec les débris de son équipage — 10 hommes sur 24 — et 7 de ses captifs qu'il était parvenu à récupérer ; puis le brigantin mit à la voile pour La Martinique.

Dès son arrivée au fort Saint-Pierre, le 26 mai 1751, Gervaizeau fit à l'amirauté du lieu le récit de ses malheurs et c'est du procès-verbal de ses déclarations très longues et un peu confuses qu'a été extrait le récit qui précède. Il obtint du lieutenant général du même siège l'autorisation de vendre ses captifs aux enchères publiques par ministère d'huissier.

Cette vente donna les résultats suivants :
Un grand nègre… 1170 livres.
Une négresse… 815 id.
Une autre... 1003 id.
Un négrillon… 850 id.
Un autre… 895 id.
Un petit négrillon... 155 id.
Un autre négrillon…. 455 id.
Soit au total une somme de 5343 livres [Note : L'argent des Iles valait un tiers de moins que l'argent de France — Gaston-Martin — Nantes au XVIIIème siècle. L'ère des négriers — p. 128], qui dut être tout d'abord employée au paiement des frais de transport aux Antilles et de retour en France des survivants de l'équipage de La Marguerite partie de Conleau pour la Guinée, avec les plus belles espérances, le 14 octobre 1749.

Aucune indication n'a été retrouvée au sujet de ce retour, d'où l'on peut conclure qu'il eut lieu sans incident notable.

Ainsi qu'il a été dit, le métier de négrier, s'il procurait des bénéfices, ne se pratiquait pas sans risques. Les nègres, soit à terre, soit à bord, prenaient parfois leur revanche.

Chose surprenante, les vicissitudes de son voyage, la mort de plus de la moitié de son équipage, la destruction de son navire, le complet échec enfin de l'entreprise qu'il dirigeait ne découragèrent pas le capitaine Gervaizeau. Il avait l'âme bien trempée, le caractère audacieux et obstiné du marin breton. Il voulait sans doute aussi réparer au plus vite l'insuccès de son expédition et raffermir sa réputation compromise.

Moins d'un an après, le 26 mai 1752, on le retrouve déclarant à l'amirauté de Vannes « avoir acheté à Nantes des sieurs Grant et Michel un navire nommé Le Wouaren, et à présent La Ressource, du port de 140 tonneaux ou environ, le dit navire actuellement en armement à Conleau pour la côte de Guinée et avoir pour associés dans le dit navire, armement et mise hors : les sieurs du Bodan père et fils pour 3 dixièmes ; le sieur Barthélémy Colas de Vannes pour 1 sixième ; le sieur Jean Lévêque, négociant à La Roche-Bernard, pour 1 sixième ; le sieur Nicolas Viel, receveur général du tabac à Vannes, pour 1 trentième ; les sieurs François Le Croizier de Vannes armateurs et le déclarant capitaine du dit navire, aussi pour chacun 1 sixième ». (Arch. Dép. Morbihan. Série B. Actes de propriété — Registre 3.453, p. 83 R°).

Un premier voyage se fait du 19 Juin 1752 au 10 Août 1753 pour la côte de Guinée et les Antilles ; un second voyage du 27 juin 1754 au 17 février 1756, pour les mêmes lieux.

La guerre éclate à nouveau entre la France et l'Angleterre — guerre de sept ans.

« Les Anglais la commencèrent sans la déclarer ; ils saisirent tous les navires français qui se trouvaient dans leurs ports et tous ceux que l'amiral Boscawen, avec la flotte de guerre, rencontra en haute mer » (Albert Malet, professeur agrégé d'histoire, dans Les temps modernes, p. 470).

Voilà donc La Ressource obligée de rester à l'ancre, inactive, sous Conleau, jusqu'au traité de Paris, signé le 10 janvier 1763, qui mit fin à la guerre.

Tout danger d'être capturée par l'ennemi étant disparu, La Ressource part, le 6 août 1763, pour la Guinée. La traite terminée le navire faisait voile pour les Antilles quand, dans la nuit du 19 au 20 avril 1764, Gervaizeau meurt à bord [Note : Il laissait à La Roche-Bernard une veuve et 9 enfants, le premier né le 18 octobre 1749 et le dernier né le 9 mars 1763 — Registres état civil de La Roche-Bernard]. Le commandement du navire est à partir de ce moment assuré par le second capitaine Jean Vincent Brunet, l'ancien second lieutenant de La Marguerite, jusqu'aux Antilles, puis des Antilles à Conleau où il arrive le 7 novembre 1764, pour désarmer.

***

Les renseignements recueillis au fonds de l'amirauté révèlent bien que des navires armés plus tard à Vannes ont eu l'Amérique comme destination, mais les actes qui les concernent ne disent pas qu'ils devaient, en s'y rendant, s'arrêter à la côte occidentale d'Afrique.

La mort de François Barnabé du Bodan et celle de Nicolas Gervaizeau semblent donc avoir marqué la fin de la traite pour les navires vannetais.

Il n'est pas douteux cependant que de nombreux marins des côtes morbihannaises et des officiers de la marine marchande, nés à Vannes ou dans la région, ont encore servi à bord de navires négriers attachés à d'autres ports.

Il est à présumer aussi que des familles du pays, autres que les négociants, s'intéressèrent à des armements effectués ailleurs.

Voir aussi   Ville de Vannes (Bretagne) "Vannes et son commerce avec les îles d'Amérique"

(Etienne RAUT et Léon LALLEMENT).

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