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LA PLACE DES LICES A VANNES.

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Lices.  — Des dates, dont l'authenticité est bien établie, fournissent à l'historien des repères qui lui permettent parfois de situer dans le temps certains événements pour lesquels font défaut les indications chronologiques. Nous possédons deux de ces dates repères. Elles vont nous aider à éclairer les origines, restées obscures, des nouvelles murailles construites par le duc Jean IV, et à fixer aussi approximativement que possible, l'époque de la demolition de la cloison ancienne.

Place des Lices à Vannes (Bretagne).

On lit dans les Chroniques d'Alain Bouchart que, le 26 juin 1387, le duc invita un groupe de barons et chevaliers réunis à Vannes pour les Etats, à visiter son nouveau château de l'Hermine qui lors était presque achevé (1).

D'autre part, un document, reproduit déjà dans diverses publications, nous donne encore une date intéressante pour l’histoire de nos murs. C'est un acte du 30 mars 1374 qui relate la fondation, par un sieur Talevaz, d'une rente en faveur du chapitre. Cette rente était hypothéquée sur un manoir et hébergement, par lequel hébergement, récite l'acte, « est maintenant la closture de la ville, par quoy les courtilz du dit herbregement sont demorez dehors lad closture et les manoirs et places demorez par dedans ». Cet hébergement Talevaz était situé à l'entrée de la Basse-cour (jardin de notre confrère M. Léon Lallement), entre un autre hébergement détenu par Eon, l'orfèvre (derrière de la maison Faucheux) et le petit manoir d'Olivier de Cleize, où, un peu plus tard, devaient être installées, d'abord la Monnaie, puis la Chambre des Comptes.

Il semble bien résulter de ces faits que, dès avant 1374, une partie — sinon la totalité — de l'ancienne cloison avait été abattue, et qu'une courtine neuve reliait déja, en 1387, le nouveau château de l'Hermine à la tour Poudrière.

Si nous ne craignions d'allonger cette digression outre mesure, nous pourrions mentionner d'autres actes qui montrent qu'à cette date de 1387 l'enceinte nouvelle, entreprise par Jean IV, avait été parachevée jusqu’à la porte Saint-Salomon. Il s’en était suivi la démolition de l'ancienne cloison qui, partant de cette porte, et passant par le jardin de Château-Gaillard et la porte Mariolle, allait aboutir à la porte Saint-Patern. Citons seulement une supplique adressée en 1400 à la duchesse Jeanne, mère et tutrice du jeune duc Jean V, par les Cordeliers établis depuis 1260 extra muros dans les douves de cette ancienne cloison. Cette supplique expose que « par les guerres et ostilitez, qui longuement ont duré en ce pais de Bretagne, furent mis et emploiez en douves grant partie et quantité de la place et héritage où soulloient estre leurs jardrins, et une porte par où l’on alloit à leur église, en la parteix devers les anciens murs et cloison ancienne de la dite ville que l’on appelle murs sarrazins, et entre ceulx murs et leur dite église, maisons et habitations du dit couvent et depuix que Mgr Le Duc, dont Dieux ait l’âme, fist aclore en fortiffication  de la dite ville leurs d. église et habitacions, et que les d. douves qui avoint esté foites près les d. murs anciens des terres ou souloint estre leurs jardrins furent comblées, en quoy ils ont foit grandes mises, et à faire le délivrage des terres qui estoient en cette place, en entencion d'y renouveller et édiffier nouveaux jardrins ... ».

On contestait aux Cordeliers le don qui leur avait été fait des anciennes douves, don que rappelle la note suivante consignée sur leur registre : « Conventus Sancti Francisci Venetensis, anno 1385, fuit amplificatus a generosissimo principe Johanne IV ».

Si l'on veut serrer de plus près la question que nous avons soulevée, on trouvera facilement l'explication de l'allusion faite par les Frères mineurs aux « guerres et ostilitez, qui longuement ont duré en ce pais de Bretagne ». Dès 1342, la ville de Vannes avait été prise et reprise plusieurs fois par les partisans de Blois et de Montfort. La guerre de succession, qui devait faire rage jusqu'en 1364, obligea à augmenter les défenses de la ville et à construire de nouvelles murailles. Ajoutons que Jean IV dut se réfugier en Angleterre en 1373, et ne revint en Bretagne qu'en 1379. C'est donc avant cette date de 1373 qu’il convient de placer l'achèvement de la nouvelle enceinte. La construction ayant exigé peut-être une vingtaine d'années, il ne semble pas téméraire de fixer vers l'annéb 1350 le commencement de ce long travail qui fut sans doute exécuté par sections successives.

Mais nous nous sommes écarté de notre sujet. Revenons-y. C'est de la création et du développement de la place des Lices que nous avons à vous entretenir présentement.

Figurons-nous d'abord l'aspect que présentait cette place après l’achèvement de l'Hermine. L'orientation de ce château était la même que celle de l'école d'artillerie bâtie sur ses fondements à la fin du XVIIIème siècle. De ses fenêtres, que ne masquaient pas comme aujourd'hui les maisons construites plus tard devant sa façade, la vue s'étendait sur un vaste champ dont voici les limites :

Au levant de la place, c'était le mur de ville au long duquel le duc allait installer les dépendances et bâtiments de servitude dont l'ensemble était dénommé la basse-cour du château. Au couchant, il n'y avait que des jardins, quelques-uns clos de murs, appartenant aux maisons de la rue Saint-François, et entre lesquels existaient diverses ruelles ou issues. La vieille ville, celle qui avait été enclose dans la cloison démolie, projetait ses dernières maisons à l'extrémité de la rue des Halles (appelée alors rue de la Pâticerie), ou, au haut des Lices près de la Chambre des Comptes.

C'est dans ce grand espace encore désert, sans doute raboteux et raviné, qu'évoluaient les foules qui se pressaient en 1418 autour de l'échafaud où saint Vincent Ferrier disait la messe et prêchait. C'est cette immense place que traversaient chaque jour les officiers ou les cortèges qui se rendaient au château. C'est aussi là que se réunissaient les corps de troupes ou de milice ; que se déroulaient les processions religieuses ou civiles qui, comme les feux de joie que l'on y allumait en certaines occasions, attiraient un grand concours de population.. C'était le lieu des exécutions capitales : en 1694 on y élevait encore une potence. Plus tard, feux de joie et exécutions se firent sur la place du grand marché, (aujourd'hui place de l'Hôtel-de-Ville).

Place des Lices à Vannes (Bretagne).

Ce fut donc dès l’origine une veritable place publique, mais sur laquelle le duc s'était réservé le droit exclusif de bâtir pour son usage personnel. Il y fit construire tout d'abord, le long du mur de ville, divers bâtiments de service dont le rentier de 1455 nous fait connaître la destination dans les termes suivantes : « Les mesons estantes ou poprins (pourpris) de la basse-court ; une grant meson neuffve où sont a present les estables du duc ou de bas ou de hault les fains (foins) et antres garnisons et l'a faicte ediffier de nouvel. Et y a plusieurs autres mesons et estables en lad. Basse-Court quelles sont a mond. seigneur, et sont ocupez par les officiers de mond. seigneur quand mond. seigneur est à Vannes, sans rien en poier ».

Plus tard, une date que nous ne saurions préciser, le duc transporta dans ce pourpris de la Basse-Court, sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la grande maison où notre Société a eu longtemps son siège, le jeu de Paume qui se trouvait antérieurement à l'intérieur de l'ancienne enceinte, dans la rue dite aujourd'hui de la Bienfaisance. Ce transfert était déjà effectué en 1455, comme le prouve ce passage du rentier : « Item ensuyvent les mesons et places dempuis le portal de Saint-Pater, du costé devers la Garaine et continuant et poursuivant le long des murs de la ville jusques au comprins des salles et emplacement de la basse-court du costé devers l'enseigne de la Rose ou est le jeu de Paume ».

Au nord de ce nouveau jeu de Paume, sur l’emplacement occupé en 1918 par la maison Credey (n° 10. de la place actuelle), environ le même temps, il fit bâtir un nouveau four destiné à remplacer celui qu'il possédait près de la cathédrale dans la rue appelée aujourd'hui rue Saint-Guenhaël.

Enfin, à l'angle sud-ouest de la place, le duc Jean V construisit en 1427, sous le vocable de Notre-Dame de Chartres, une chapelle qui a subsisté jusqu'à la fin de la Révolution, et dont on peut voir encore actuellement quelques restes encastrés dans le pignon d'une maison moderne. « Construi faciamus, dit une charte de fondation, in conspectu castri nostri de Hermini in civitate nostri Venetensis et in parocchia Sancti Petri Venetensis ad laudem et gloriam Sanctæ Trinitæ sub nomine et titulo Beatæ Mariæ de Chartres... ».

Pendant plus de deux siècles, la place des Lices resta dans l'étât que nous venons de décrire. Durant toute cette période, seules quelques habitations isolées furent bâties dans les jardins ou courtils avoisinant la Chambre des Comptes ou la rue Saint-François. Ce n'est qu'au milieu du XVIIème siècle que furent faits les premiers afféagements de terrains, à la suite desquels nous allons voir s'élever les constructions qui ont donné à cette place la forme qu'elle présente aujourd'hui.

Le plus ancien de ces afféagements est celui fait au mois d'octobre 1637 en faveur de Sébastien de Rosmadec, sieur du Plessis, à qui des lettres de roi, données à Saint-Maur-des-Fossés, concédèrent « un viel logement et emplacement servant autrefois d'escuries du château de l'Hermine ».

Puis, en septembre 1641, un emplacement en forme de triangle au bas des Lices, donnant d'un côté sur l'étier du moulin, fut adjugé à titre de cens à maître Guillaume Kerviche, procureur, qui le céda en 1643 à messire Claude de Francheville. C'est sur cet emplacement que furent élevées plus tard les grandes maisons occupées vers 1918 par la librairie Lafolye et par le magasin de la Providence.

En 1659, M. de Francheville échangeait ce terrain avec MM. Le Boudoul de Baudory et Le Sénéchal de Treduday contre un autre emplacement situé en face, au coin de la place du Poids-Public. Et c'est sur ce dernier emplacement que M. de Francheville fit bâtir en 1666 le bel hôtel que nous y voyons aujourd'hui et que distingue à l'un des angles une tourelle en échauguette.

Des documents authentiques assez nombreux vont nous permettre désormais de faire l'historique de la plupart des constructions qui furent édifiées depuis cette époque, et qui, sauf certaines réfections ou additions, ont conservé jusqu'à nos jours leurs façades primitives. Il convient d'observer toutefois que, par suite des divers arrêtés d'alignement qui ont donné à la place sa configuration actuelle, ces constructions ont été généralement érigées très en avant d'autres plus anciennes, qu'elles masquent, et qui se voient, encore aujourd'hui au fond de leurs cours.

Nous commencerons notre revue par l'hôtel du marquis du Plessis de Rosmadec, mentionné tout à l'heure, et qui a été démoli pour faire place à un marché couvert. Cet hôtel important, construit au milieu du XVIIème siècle, possédait un grand jardin qui s'étendait jusqu'à la rue du Rempart. Ses écuries étaient dans une cour dont les bâtiments vétustes, aujourd'hui (1918) la propriété de M. Tassin, datent vraisemblablement du temps des ducs. La façade de Rosmadec était ornée d'un énorme perron dont vous devez avoir conservé le souvenir. Ces perrons étaient fort à la mode au XVIIème siècle. On en décorait de très modestes habitations. Plus tard la mode changea, et le péristyle, avec fronton supporté par deux colonnes, fut adopté par tout bourgeois soucieux de donner à sa demeure une entrée imposante.

Cet engouement pour les perrons n'avait pas cependant l'approbation de tous les architectes. L'un d'eux, Olivier Delourme, qui jouissait alors d'une grande réputation dans notre région, où il a construit nombre d'édifices d'un gout sobre mais froid, écrivait le 10 janvier 1708 la lettre suivante à M. de Coëtlogon, qui faisait bâtir alors le château de Loyat. Celui-ci désirait un vaste perron devant son chàteau, et Delourme lui répondait :

« Je vous dirai que je ne suis pas du sentiment de mettre des perrons à la façade des bâtiments. Il n'y a rien à mon goût de si désagréable et qui soit moins dans les règles de l'architecture, surtout quand ces appendices atteignent la hauteur que vous me proposez. Je vous en citerai un exemple sur le plus bel ouvrage de la province : le Palais de Rennes. Un second : la maison épiscopale de Vannes. Ces monuments seraient fort beaux si les perrons ne les aveuglaient pas. Quant au perron de la maison de ville à Vannes, c'est moi qui l'ai fait exécuter : il est en fer à cheval, mais non tel que le marque votre figure ».

Remontant la place des Lices du même côté, on trouvait, immédiatement après l'hôtel Rosmadec, le Jeu de Paume, déjà mentionné tout à l'heure. Il s'étendait en profondeur jusqu'à la rue du Rempart, et avait sur les Lices un front à peu près égal à celui qu'occupe aujourd'hui (en 1918) la maison Lorvol (n° 8). Nous reviendrons par ailleurs sur cet établissement et nous n'y insisterons pas en ce moment.

A l’angle nord du Jeu de Paume était le four du duc. A l'un des pignons de ce four il y avait une tour dont il subsiste quelques traces, et au sujet de laquelle les anciens historiographes vannetais ont beaucoup disserté. Nous supposons que cette tourelle (peut-être un colombier ?) était la marque d'un bâtiment ducal plus important que celui requis pour le logement d'un simple fournier. Notre rentier appelle ce logis « l’ostel où est le four de la Vacquerie du duc ». Or, ce même rentier nous révèle qu'une maison joignante à la maison où autrefois fut le four de la ville (rue Saint-Guenhaël) avait été « convertiz par le feu duc derrenier en ung espervier ou chien (chenil ?) à oyseau ». En transférant ce four place des Lices, le duc n'y aurait-il pas transporté également la fauconnerie où il logeait ses équipages de chasse ? Et ne l'aurait-il pas établie dans les conditions où se trouvait l'ancienne c'est-à-dire dans le bâtiment construit pour son nouveau four ou dans un bâtiment contigu ? C'est très probable [Note : Autre hypothèse : la tourelle pouvait marquer un angle du mur qui entourait la basse-cour ducale].

Plus haut était un jardin dont la plus grande partie a subsisté, et dont une porte se voit en face de la tour du Connétable. Ce jardin avait été baillé en 1399, moyennant 3 sols de rente, à Thomas Drulin qui fut l'hôte de saint-Vincent Ferrier en 1419. Son fils Pierre y fit édifier deux maisons. Il existait encore, il y a quelques années, au côté sud du jardin, un long et très vieux bâtiment, à simple rez-de-chaussée, démoli depuis par M. Crédey qui l'a remplacé par une grande remise. On voit aussi dans la cour de la maison N° 14 de la place des Lices un autre bâtiment plus important, dont la facade principale, donnant sur le jardin, fait face à la tour du Connétable. Toute cette propriété, que on appelait alors la Ville verte, appartenait vers 1666 au sieur Gobé, procureur. Un long procès qu'il soutint en 1669 contre sa voisine, une demoiselle Basseline, dame du Foussé, nous renseigne copieusement sur les tenants et aboutissants de sa maison dont les pignons étaient mitoyens : au sud, avec la muraille d'une tourelle du four des Lices ; au nord, avec l'immeuble de la susd. demoiselle Basselinne, et un emplacement appelé la Monnairie. Cette Monnairie était incontestablement l'ancienne Monnaie établie à l'extrémité de la maison de ville, et dont les restes se reconnaissent encore vers 1918 dans quelques charpentes et un pan de toit qui surplombent une petite cour de la maison Jaquolot.

Le 1er mars 1689, le sieur Gobé fit marché avec Olivier Delourme pour la construction, en avant de sa demeure, de la maison qui porte en 1918 le N° 14 de la place des Lices. Ce bel immeuble, dont le rez-de-chaussée a été défiguré par l'adjonction d'un avant-corps où l'on a installé deux magasins, offre bien les caractéristiques du style de cet architecte à qui nous devons plusieurs autres constructions importantes de la même époque. L'œuvre fut exécutée en trois années, ainsi qu'il appert de la quittance générale de Delourme donnée le 28 avril 1692.

Les quelques maisons à l'extrémité de ce côté des Lices sont toutes modernes, à l’exception de celle occupée en 1918 par le café Gilet, qui pourrait bien dater du XVème siècle.

Franchissant la voie étroite qui menait au carrefour des rues de la Monnaie et des Vierges (ce n'était qu'une venelle entre deux rangs de maisons s'affrontant presque), nous allons redescendre les Lices du côté opposé à celui que nous venons de parcourir.

On y voit aujourd'hui, jusqu'au débouché de la rue des Halles (autrefois rue de la Pâticerie-ès-Lices), plusieurs constructions (dont les façades, tout au moins, sont assez récentes) édifiées en avant de cours ou jardins qui dépendaient jadis des maisons situées dans la rue des Orfèvres. Au-delà de cette rue de la Pâticerie-ès-Lices s'étendaient, jusqu'à la chapelle des Lices, d'autres jardins déjà mentionnés qui appartenaient aux maisons de la rue Saint-Francois. En 1747, la fabrique de la paroisse Saint-Pierre acheta quelques-uns de ces jardins afin d'y établir, pour la sépulture de ses paroissiens, un cimetière destiné à remplacer celui de Saint- Michel qui était situé sur la place actuelle du Champ-de-Foire.

La situation exacte de la chapelle des Lices nous est connue par les anciens plans de la ville. Un historique en a été fait par l'abbé Luco dans son Pouillé. Aux renseignements donnés dans cette notice, nous ajouterons que la chapelle devint sous la Révolution le siège d'un club qui s'appela d'abord : Les amis de la Liberté et de l'Égalité, et prit en 1794 le nom de « Société populaire » Chapelle et cimetière furent vendus nationalement, en 1794, pour un prix de 2.185 francs. L'acquéreur, un sieur Pinsard, fit démolir plus tard la chapelle, et après avoir obtenu, en 1807, un arrêté d'alignement [Note : Cet arrêté, signé du préfet Julien, est aux archives départementales], il fit édifier, sur les emplacements de cette chapelle et du cimétière, les deux maisons Boudin et Menais que l'on y voit en 1918 (Nos 17, et 19).

Derrière la chapelle, dont le chevet avançait sur la place des Lices très en avant de l'alignement actuel de ces maisons, il y avait un passage étroit formant cul-de-sac, qui existe encore en 1918. Dans ce recoin on remarque deux maisons bâties sur le vieux mur de la ville. L’un de ces bâtiments (n° 11), le plus ancien, possède une tourelle. Ne serait-ce pas là encore la marque d'une maison ducale que aurait pu être affectée au logement d'un officier de la cour du duc, ou à celui du chapelain, de Notre-Dame de Chartre s? Vendue nationalement, elle fut adjugée pour 5.200 francs au sieur Pinsart, déjà acquéreur de la chapelle et du cimetière. La maison (n° 9) qui est appuyée contre cette tourelle se distingue, par un perron, au-dessous duquel il y a une voûte servant d'entrée à un vaste sous-sol. Elle fut édifiée en 1667 par un sieur Julien Minier. Le marché passé par lui, le 4 avril avec François Gardissol, terrassier, comprenait, avec le bâtiment neuf de trois étages, la construction d'un petit logis situé Poids du Roy, lequel communiquait par le sous-sol susmentionné avec la maison de la place des Lices. Ce petit logis est en 1918 le café Lucien (n° 17 de la place du Poids-Public).

Les maisons qui suivent sont modernes. Celle formant le coin de ce côté des Lices (magasin de chaussures en 1918) a été plaquée contre une aile de l’hôtel Francheville qu'elle a masquée. Cette aile, en tout semblable à l'aile donnant sur la place du Poids-Public, avait comme celle-di à chaque étage trais fenêtres ayant vue sur les Lices. L'angle nord de la facade a été légèrement écorné, et devait être orné, comme l'angle de la place du Poids-Public, d'une petite tourelle ou échauguette que l'on a abattue pour ériger une laide et plate construction.

Cet hôtel de Francheville, devenu au XVIIIème siècle la propriété de M. du Mézerac, fut affermé par lui en 1744 à M. du Nédo moyennant un loyer de 600 livres. Acquis ensuite par M. Le Mintier de Lehélec, il a porté longtemps le nom de ce dernier.

En face, à l'autre angle de la place, est l'hôtel bâti au XVIIème siècle par M. de Tréduday, dans la famille duquel il est resté assez longtemps. Il fut achété vers 1760 par la marquise de Marbeuf, la femme du gouverneur de la Corse qui protégea si efficacement le jeune Bonaparte.

Ouvrons une parenthèse :

Mme de Marbeuf avait acquis précédemtment (le 30 juin 1758) de Mlle de Francheville, le château Gaillard. Mais la famille de Francheville ayant exercé son droit de retrait lignager, elle en fut dépossédée peu après, et ce fut alors qu'elle fit l'acquisition de l'hôtel Treduday de Chuilly.

Nous continuons :

Mme de Marbeuf conserva, jusqu'à sa mort en 1783, cet hôtel, qui a gardé longtemps son nom. Au moment de la Révolution il était la propriété de M. Le Valois de Séréac, l'un de ses héritiers, et, vendu nationàlement le 7 frimaire an II comme bien d'émigré, il fut adjugé alors pour 23.100 francs au citoyen Laurent Bizette, imprimeur [Note : La porte d'entrée principale de l'hôtel était alors dans le pignon ouest qui fait face à la place du Poids-Public].

Plus bas se trouve le grand immeuble occupé en 1918 par le magasin de la Providence. Il formait autrefois deux maisons s'entrejoignant, dont l'une était louée en 1750 au comte de, Moncam, et l'autre était habitée par le propriétaire, M. Le Boudoul de Baudory, qui l'avait héritée de son père.

Nous voici revenus à notre point de départ, en face de ce bizarre monument que l'on appelle le marché couvert. Nous ne pouvons réprimer un sourire en contemplant ce pastiche assez maladroit d'un pseudo-art arabe ou mauresque. Et ce sourire se change en un franc rire au souvenir d'un incident qui nous fut rapporté naguère.

Contons cette anecdote.

L'un de nos compatriotes fit représenter il y a quelques années, sur une scène de notre ville, une revue que l'on nous a dit être très spirituelle et qui eut un immense succès. Dans cette revue (ou dans une autre pièce), l'auteur faisait promener dans nos rues une troupe d'Arabes. Arrivés place des Lices, ces pieux fils de l'Islam s'arrêtaient soudain, saisis d'admiration et de respect. Puis ils se prosternaient à terre, frappant le pavé de leurs fronts ; et après des ablutions rituelles, faites sans doute dans le ruisseau, on les voyait, ôtant leurs babouches, se préparer à pénétrer devotement dans notre marché aux légumes, qu'ils avaient pris pour une mosquée.

(Étienne MARTIN).

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