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LA PAROISSE DE TRÉGOUREZ EN 1672

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Dans la haute vallée de l’Odet, sur le versant sud des Montagnes noires, pointe au-dessus des arbres le fin clocher de Trégourez. C’est une paroisse variée d’aspect, étalant la luxuriance de ses bocages et de ses paisibles verdures tout à la lisière des garennes désertiques et vraiment noires de la « montagne ». Aujourd’hui comprise dans le canton de Châteauneuf-du-Faou et l’arrondissement de Châteaulin, elle relevait, avant la Révolution, de la sénéchaussée de Quimper, et n’a pas cessé de se rattacher, par les usages et par les costumes, au pays « glazic ». L’histoire n’y rapporte aucun événement notable. Son église paroissiale des XVIème et XVIIème siècles et une gracieuse mais humble chapelle, placée sous le vocable de Notre-Dame de Pontouar, la recommanderaient seules à l’attention, si elle n’avait été administrée sous Louis XIV par un recteur zélé, soucieux de ses archives et qui avait reçu quelque teinture des belles-lettres. Messire Maurice Guéguen — ainsi se nommait-il — dressa, en 1657, une table des anciens registres de baptêmes, mariages et sépultures et, en annexe au registre en cours, qu’il tenait lui-même, il rédigea à deux reprises, en 1668 et en 1672, en l’agrémentant de réflexions personnelles, un recensement à la fois numérique et moral de ses ouailles. Dès lors les vieux papiers de l’église étaient, comme il nous l’apprend, à moitié « pourris et déchirés ». Les plus vieux, depuis, sont allés en poussière et ceux qui se trouvaient neufs au temps de « messire Guéguen » sont devenus à leur tour de pitoyables loques. Par bonheur l’humidité a épargné pour une assez large part les feuillets des recensements, sans qu’il soit possible cependant de distinguer toujours ceux de 1668 et ceux de 1672. Grâce à eux, il nous est loisible de faire plus intime connaissance avec les bonnes gens de Trégourez qu’avec ceux d’aucune autre paroisse de la région et peut-être bien de toute la Bretagne [Note : Les titres anciens de Trégourez se trouvent maintenant en dépôt à Quimper aux Archives départementales. Les indications qu’ils nous fournissent sont complétées par le petit fond 279 G de ces dernières archives et par les registres paroissiaux de Rosporden].

Ville de Trégourez (Bretagne).

En 1661, quelques particuliers jugeant « chétif » le « porte sacre » de cuivre qui servait à l’église, une souscription avait été ouverte en vue de l’acquisition d’un « soleil » (c’est-à-dire d’un ostensoir) d’argent. Des oboles, allant de 3 livres — montant de la souscription du recteur — à 10 sous, furent versées par 37 personnes. Une pauvre femme tint en outre à donner 6 deniers, la moitié d’un sou. La caisse de la fabrique fournit le reste de la somme nécessaire. En tête des donateurs figurent les notabilités, d’abord Maurice Guéguen, puis Pierre Le Bourhis, « curé » (autrement dit vicaire), Jean Le Bourhis et Maurice Jac [Note : Ce dernier fut blessé mortellement, le 22 mai 1662, au bourg, d’un coup de fusil tiré par Yves Bouguennec, du bourg de Laz ; il mourut le 25 après avoir été pansé par deux chirurgiens], tous deux prêtres, M. du Leuzré-Tourons,. M. de Penfrat-Kerguen, Me Grégoire Le Guillou, sieur de La Motte, et Mme de Chasteaunoir. Les autres noms sont des Mahé, Jac, Le Bourhis, Le Kernevez, Taxin, Jaouen, Kerroch, Le Sieller, Pesron, Le Coroller, Le Goff, Le Pérennec, Le Pouliquen, Gaonach, Le Bocher, Le Guillou, Lozéach, Le Hilliou, Le Goffic, Goulias. Plusieurs de ces noms se retrouvent sur les feuillets qui subsistent du recensement.

Au total, en 1672, Trégourez comptait 872 habitants [Note : Le chiffre officiel du recensement de 1936 est de 1313. La population des campagnes s’est, en général, moins accrue que celle des villes]. Au bourg, chez maître Jean Boullé, sieur de La Motte, notaire et procureur de la juridiction de Laz, vivaient, outre lui-même, sa femme « damoiselle » Gilette de La Saudraye, leurs fils Grégoire et Laurent, leur fille Françoise, une servante et un valet. Yves Le Goff, boulanger, époux de Marie Le Meur, n’avait pas d’enfants, mais abritait sous son toit son frère Jacques et sa sœur Marie — sans doute, un foyer de jeunes. Yves Le Pouliquen, qualifié de « ménager », et sa femme Catherine Le Hilliou, avaient trois fils et deux filles, plus un valet et trois servantes. Marie Daniel, veuve de Me Michel Jac, tenait une hôtellerie avec l’aide de ses deux fils et de ses trois filles. Aucun enfant n’est indiqué chez François Dolo, notaire et sergent, époux de Marie Jac. Au bourg aussi probablement habitaient le mercier Eustache Allain, normand d’origine, sa femme Louise Le Goff, leur fils Corentin et leur fille Isabelle, — Jean Le Bosec « porteur et marchand de cendre » [Note : La cendre était employée à la fois comme engrais pour le blé noir et comme ingrédient pour la lessive], marié à Françoise Grall, — Yves Le Douirin, sergent, « demoiselle » Laurence de Kerguélen, sa femme, et leurs trois filles, — Jean Le Moal, « couturier », — Julien Rondel, charpentier, et sa femme Fleurie. Le recteur, qui ne mentionne pas d’enfants chez ces derniers, se complaît à faire l’éloge de Pierre Pouliquen, maréchal-ferrant, récemment décédé, « maréchal vraiment maître en son art, in omni opere ferri, le meilleur de tout le pays, habile en sa forge, bon mari, bon père, bon chrétien, bon ami, bon parent, homo sine querela, verus Dei cultor, qui aura le plus de latin dans ce papier d’état, regretté de toute la paroisse ».

A Kermadec, nous trouvons Yves Daniel et sa femme Marie Moal, leurs fils Maurice et Yves, leur fille Marie, la grand ‘mère Marie Jaouen, un valet et une servante, — Nicolas Le Gars, « ménager », sa femme Ysabeau Le Caugant, leur fils René et une servante, — Henri Mahé, « pillotier » [Note : Sans doute marchand de chiffons (de « pillots »)] , sa femme, un fils et une fille, — Jean Coadic, savetier, seul, — Yves Le Sieller, « ménager », sa femme Catherine Jaouen et son valet Jean Olu, — Henri Le Foennec, journalier, et sa femme ; — Nicolas Kerroc’h, « vieux fainéant » et « vieux boucquin », — Jean Jac, « ménager bien morigéné ».

Le manoir de Kergu est aux mains de Me Louis Guertin, « fermier », époux de « demoiselle » Constance de Faix. Ils ont un seul fils, Vincent, mais deux valets et deux servantes et donnent l’hospitalité à Guillaume de Faix, frère de Constance. Le manoir de Kerguividic est occupé par écuyer François-Alain de Suasse, sieur de Saint-Quijo, ses frères Gilles et Jean, leur sœur Françoise-Brigitte, un valet et deux servantes.

Au village de Kerscao habitent Gilles Péron, « laboureur », sa femme Marie Le Goff, leurs trois fils et leurs quatre filles, un valet et une servante ; — au moulin du Folleou, Jean Le Lijour, meunier, sa femme Adelice Le Treuster, ses fils Jacques et Hervé ; — à Keroret, Louis Philippe, menuisier, sa femme et deux enfants ; — à Kergrec’h, Julien Civret, « marchand porteur de blé et cendre », normand peut-être comme le mercier Eustache Alain, sa femme et quatre enfants ; — Jean Le Plousennec, « fessier » (tisserand), sa femme, deux enfants et un valet ; — à Guerranstang, Jean Sigouin, « porteur de blé et cendre », qui a tout l’air de n’être pas du pays, sa femme, une fille et deux fils.

Barthélemy Pennanec’h, marié et père de deux enfants, est « couturier ». Le recteur nous le présente comme un « homme malin, turbulent litigieux, calomniateur, haï et abhorré d’un chacun ». Une déchirure du papier nous laisse ignorer le nom de son village. Bien différent était, au manoir du Follezou, le nommé Yves Taxin, « vieil de cent ans, bon soldat en sa jeunesse sur mer, bon cordonnier jusque dans la dernière vieillesse, bon serviteur à la noblesse et aux prêtres » ; il avait encore sa femme, Catherine Le Dû. Le principal occupant de ce manoir était Yves Le Gars, « laboureur », sa femme et ses deux fils, dont l’un avec sa femme, un fils et deux filles, mais pas de domestiques.

Notons encore : au manoir de la Villeneuve, demoiselle Jeanne Ély, dame du Plessis, veuve de feu écuyer Vincent sieur de la Villeneuve, et mariée en secondes noces à Jacques Huon ; auprès d’eux Joseph et René Huon semblent être les fils d’un premier mariage de Jacques ; deux valets et une servante sont attachés à cette maison ; — à Kerhalec, Pierre Jaouen, ménager, Marie Scordia sa femme, leurs fils Jean, Michel et Pierre, ce dernier marié ; — à Kerven, Prigent Taxin, « laboureur », Catherine Le Bourhis sa femme, Pierre Taxin son frère, un fils, quatre filles, un valet et une servante ; — à Quilbignon, Alain Le Moal « pauvre d’esprit et de biens », sa femme, quatre filles et un fils.

Impossible de déterminer le village du charpentier Jean Le Meur, qui est marié et a deux fils, — du maçon Jean Le Corre, marié, sans enfants, — du menuisier Michel Doucedroit, qui a chez lui, outre sa femme et deux fils, une belle-sœur, — de Marie Barré et de son fils Nicolas Barré, ménager, marié à Jeanne Le Sieller et père de quatre enfants, — d’Yves Dalayon, couturier, habitant avec sa femme, trois enfants et un valet, — d’Hervé Férellec, tailleur couturier, marié et pourvu de deux valets, — de Bernard Le Grand, « laboureur, fainéant », marié, qui n’a qu’un fils, mais a un valet et une servante, — d’Yves Le Beau « bien nommé, locataire », dont la famille comprend sa mère, sa femme et un fils, — de Michel Becherel, « papetier normand », marié dans le pays à Jeanne Colorec, de laquelle il a un fils et une fille, — d’Yves Le Caougant « fermier », époux d’Ysabelle Phelippe et père de cinq enfants, — d’Yves Jaouen le vieil et de Jean de Kernevez. Sur le compte de ces derniers le recteur consigne quelques observations peu flatteuses : « Yves Jaouen le vieil, de pauvre devenu riche, de valet maître et, s’étant méconnu par orgueil, rendu aussi pauvre comme il avait été de son commencement et sur le point d’être réduit à l’hôpital, étant malade à Quimper, où sa seconde femme demeure ». Le cas de Jean Le Kernevez est plus grave : « vieil usurier, homme indévot, abdomini natus, pecuniis inhians, ecclesiae inutilis, rarus in templo, in caupona frequens, sed alienis impensis » [Note : « Né pour son ventre, bouche bée devant l’argent, inutile à l’église, rare dans le temple de Dieu, assidu à l’auberge, mais aux frais d’autrui »]. Si le maréchal-ferrant Pierre Pouliquen était le plus édifiant des paroissiens, ce Kernevez en était le moins exemplaire. Lorsque mourut son fils Pierre, « folâtre » personnage, qui habitait sous le même toit que lui avec sa famille, la belle-fille veuve s’empressa d’aller s’installer ailleurs avec ses deux enfants.

Le clergé comprenait, en 1672, sous la houlette de pasteur de Maurice Guéguen, deux « curés » (vicaires) qu’il mentionne en ces termes : « Vénérables missires Jean et Pierre Le Bourhis, prêtres et curés, célébrant depuis longues années au profit et satisfaction de tout le peuple ». Leur domicile était au village de Penanpont. Lui-même, le recteur, résidait non pas au bourg, mais dans une maison qu’il avait fait bâtir à Kerdu, sur un terrain qu’il tenait de sa mère. Il était en effet né à Trégourez, le 14 juin 1625, de Jean Guéguen et de Jeanne Poupon, de Kergarric. Zélé pour l’étude et craignant les importuns, il avait choisi Kerdu et le chérissait — c’est encore lui qui nous le dit — « comme son Tusculum et lieu solitaire pour y lire et étudier et composer, écarté des passants qui lui déroberaient son temps étant au bourg ». Après avoir vécu sept ans à Rosporden comme « curé » [Note : La « ville de Rospreden » était une trêve d’Elliant ; son desservant ne portait donc que le titre de « curé »], il avait été fait recteur de sa paroisse natale le 29 octobre 1656 en remplacement de messire Thébault Bocher. Le 12 mars 1657, il avait, suivant son expression, consignée par lui sur les registres de Rosporden, déposé les armes en ce lieu pour prendre définitivement son service à Trégourez. En 1672, il hébergeait chez lui, le préparant peut-être au sacerdoce, — car le séminaire n’existait pas encore, — un sien neveu, Maurice Le Coroller, son filleul, né en novembre 1651, fils de sa sœur Louise, cette même Louise à l’enterrement de laquelle il venait de procéder le 19 avril 1671, en présence de presque tous les paroissiens. Ce dernier détail, que nous tenons aussi de sa plume, semble indiquer qu’il jouissait de l’attachement et de l’estime de tous. Sans doute l'appréciait-on comme un prêtre régulier, actif et indulgent ; mais il devait avoir aussi une certaine réputation de prédicateur, car il se vit appeler, en 1665, pour prêcher la station de carême à Gourin ; en 1666 il prêcha, également pendant le carême, à Scaër, Guiscriff et Lanvénégen.

Un événement vint, le 17 juillet 1673, animer la paisible monotonie de sa vie d’apôtre bucolique. La petite paroisse de Trégourez, qui, depuis plus d’un siècle, n’avait reçu la visite d’aucun évêque, vit se présenter le chef du diocèse, François de Coëtlogon [Note : Voir H. Waquet, Un prélat amateur des jardins..., dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. XLVIII, 1921, p. 49-82]. Ce prélat, plein de faconde et de mansuétude, ami des fleurs, y compris celles de la rhétorique, la visita pontificalement et y administra la confirmation à plus de 600 fidèles [Note : L’évêque de Saint-Malo, lors d’une visite à Guilliers, en 1642, avait confirmé près de 2.000 personnes. {Inventaire sommaire des Archives du Morbihan, E supplément, Introduction par Rosenzweig, p. LXXXIX)]. Quoique la pluie tombât à verse, le concours de peuple était immense et beaucoup, qui n’avaient pas pu entrer dans l’église, éprouvèrent la déception de ne pas recevoir le sacrement. En ce grand jour, Maurice Guéguen mit en œuvre toutes les ressources de son éloquence. Il prononça une harangue en latin, émaillée de citations de Virgile, et ne manqua pas de faire allusion à l’imposante prestance de son évêque ; emporté par le feu de l’inspiration, il va jusqu’à le comparer au berger Daphnis de la 5e églogue : Formosi pecoris custos formosior ipse.

Le bon prélat ouït, paraît-il, « ce petit discours avec beaucoup de douceur et de bienveillance ». Il goûta fort aussi l’état de l’église, — dont la sacristie venait d’être rebâtie — et de ses ornements, sans dédaigner la succulence du festin qui lui avait été offert. En témoignage de sa satisfaction, il décida de confier à Maurice Guéguen la station de carême de l’année suivante à Coray. A l’approche du soir il partit pour Le Faouët, où le peuple qui, là non plus, n’avait pas vu d’évêque depuis très longtemps, le reçut avec autant de joie qu’on lui en avait témoigné à Trégourez [Note : Il y a une pieuse mais bien forte exagération de la part de l’abbé Tresvaux à écrire (L’Église de Bretagne, p. 129) — sans indiquer sa source — que « M. du Louët, très exact à faire sa visite dans les paroisses, s’acquittait avec beaucoup de zèle de ce devoir important ». « M. du Louet » est le prédécesseur de François de Coëtlogon].

D’après une table des registres faite au XVIIIème siècle, le recteur Guéguen mourut à la fin de 1679, âgé de cinquante-quatre ans seulement, après avoir gouverné vingt-trois ans la paroisse. Son nom se lit gravé sur les murs de la grande sacristie, d’un style fort décoratif, qu’il avait fait construire. C’est le nom d’un prêtre modeste, mais c’est aussi — on en conviendra — celui d’un homme intelligent, lettré, sympathique, bon exemplaire de ce qu’il y eut alors de meilleur dans le clergé rural de la Cornouaille.

(Henri Waquet).

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