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TOUR de CESSON et FORT de SAINT-BRIEUC

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La commune de Saint-Brieuc (bzh.gif (80 octets) Sant-Brieg) est chef lieu de canton. Saint-Brieuc dépend de l'arrondissement de Saint-Brieuc, du département des Côtes d'Armor (Bretagne). 

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Plusieurs auteurs ont écrit sur la Tour de Cesson. Habasque en a parlé longuement et de visu dans les Notions historiques sur le littoral des Côtes-du-Nord, t. II, p. 289-308, 1834. — Depuis, dans l'Annuaire des Côtes-du-Nord de 1845, le même auteur a publié divers documents et quelques renseignements sur Cesson. 

Un peu après lui, le chevalier de Fréminville visitait la Tour : il la décrivait fort exactement ; mais ne disait que quelques mots de son histoire (Antiquités des Côtes-du-Nord, p. 203 à 207. 1837). M. de Fréminville n'avait décrit que la Tour sans se préoccuper de l'ensemble des fortifications qui l'enveloppaient. 

M. Gaultier du Mottay a donné la description de ces fortifications dans un article inséré dans l'Annuaire des Côtes-du-Nord en 1875 et publié de nouveau au 1er volume de la Société archéologique des Côtes-du-Nord en 1883-85, p. 156. Mais le savant auteur ne révèle dans cette notice aucun fait particulier de l'histoire de la Tour. 

Nous trouvons une partie de cette histoire par fragments dans les Anciens évêchés de Bretagne de MM. Geslin de Bourgogne et de Barthélemy, 1855-56 (V. notamment t. I, Introduction, p. LXXIII ; t. II, La Ligue, p. 9 à 77 ; Cour Royale, p. 122 à 141 et Châtellenie de Cesson, p. 323 à 332). Après ces auteurs, M. Lamarre, dans son Histoire de Saint-Brieuc (1884) a « résumé » l'histoire de la Tour (XVIème siècle, p. 66 à 84). 

Ajoutons à ces documents quelques lignes de l'abbé Ruffelet (1771) sous les dates 1591 et 1696 ; — une notice en une page et demie intitulée La Tour de Cesson publiée par M. de Kerdanet dans le Lycée armoricain de 1824 (tome V, 24ème livraison) ; — deux courtes notices publiées dans l'Annuaire des Côtes-du-Nord, en 1846 et 1848 par l'abbé de Garaby ; — une notice très instructive : Plérin pendant la guerre de la Ligue (1591-1602), publiée par M. du Mottay dans l'Annuaire de 1878, p. 1-92 ; — enfin l'Etude sur Compadre, miseur de Saint-Brieuc, publiée par le regretté du Bois de la Villerabel dans la Revue de Bretagne et de Vendée (Xème année, 1866, février et mars), et quelques renseignements épars dans la promenade A travers le Vieux Saint-Brieuc du même auteur. Nous avons, je crois, donné la liste des ouvrages à lire sur la Tour de Cesson (Note : Je ne cite pas la description que M. de Courcy a donnée dans son Itinéraire de Rennes à Brest, p. 116-117, cette description étant empruntée aux Anciens Evêchés). 

M. Jolivet (Les Côtes-du-Nord, t. I, p.24), n'a dit de Cesson que quelques mots où l'on peut relever plus d'une inexactitude. Quant à Ogée, il ne prend l'histoire de Cesson qu'en 1592 ; il nous apprend que cette année Mercœur s'en empara ; que « de Saint-Laurent, à qui le roi Henri IV l'avait confiée, fut fait prisonnier de guerre et détenu dans la forteresse dont il était ci-devant gouverneur ». (T. I. p. 159-160). Ainsi la Tour a été prise par Mercœur sur Saint-Laurent ! — En d'autres endroits (notamment v° Dinan p. 224), quelques pages plus loin, l'auteur, et il a raison, nous montre en Saint-Laurent le principal lieutenant de Mercœur. 

On a peine à comprendre que de telles contradictions aient pu échapper au rédacteur du Dictionnaire de Bretagne (Note : On sait que la rédaction du dictionnaire n'est pas d'Ogée, mais de « M. Grelier, jeune homme de vingt-cinq ans, maître ès arts en l'Université de Nantes ». Note d'Ogée, in fine, p. 986 du 2e volume), et le nouvel éditeur en les réimprimant sans les avoir aperçues nous a condamné à les signaler. 

La tâche que nous nous imposons aujourd'hui est bien modeste : c'est presque celle d'un copiste. Nous allons réunir, en les mettant en ordre et les résumant, les indications données par les auteurs que nous venons de citer. Cependant à ces renseignements nous ajouterons quelques indications puisées aux sources, je veux dire empruntées principalement aux histoires et aux preuves des doms Lobineau et Morice. De plus, une source nouvelle vient de s'ouvrir pour nous : ce sont les Actes de Jean V

Toutefois notre histoire de la Tour de Cesson présentera bien des lacunes ; mais un autre viendra après nous, qui trouvera ce que nous n'avons pas su découvrir. 

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I- DESCRIPTION DE LA FORTERESSE DE CESSON 

La Tour de Cesson faisait partie d'un ensemble de fortifications dont le plan cadastral dressé en 1817 a pu reproduire la figure (Voir ce plan aux Archives de la Mairie de Saint-Brieuc). Plusieurs étaient parfaitement apparentes, à la milieu du XIXème siècle. Il n'en reste plus qu'un débris qui commande le respect : c'est la moitié du « donjon géant » qui domine la baie de Saint-Brieuc. 

La Tour est située à trois cents mètres environ de la pointe du promontoire. Entre la Tour et la pointe, la falaise abrupte et haute de soixante mètres semblait, vers le nord et l'est, défier l'escalade ; (Note : Le promontoire de Cesson est dirigé vers le nord-est : pour plus de simplicité, je le suppose tourné vers l'est plein. Cette hypothèse admise, le Légué est au nord, la grève d'Hillion au sud, le bourg de Cesson à l'ouest de la Tour. — Toutes les indications qui vont suivre se rapportent à cette orientation) vers le sud au contraire le terrain s'incline par une pente assez douce à la grève d'Hillion. 

C'est de ce côté que montait vers la Tour, le chemin que de vieux titres nomment « chemin d'Yffiniac à la Tour de Cesson » (Titre du commencement du XVIème siècle, Archives des Côtes-du-Nord ou Côtes-d'Armor). Il y avait donc nécessité de protéger l'accès du plateau vers le sud. Il sembla utile de continuer ces défenses vers l'ouest, et le plateau devint « une enceinte fortifiée dont le parapet supérieur offrant la figure d'un trapèze irrégulier n'avait pas moins de 420 mètres de développement et était renforcée sur certains points par un second retranchement » (M. du Mottay, Annuaire, 1875). 

Cette enceinte communiquait avec la Tour par un sentier ou escalier en colimaçon (Anciens évêchés, II, p. 324, note 3. — Habasque, p. 296, dit que cet escalier fut reconnu en 1834). 

Cette enceinte mérite une étude particulière. 

Comme dans les fortifications de ce genre, des édifices séparés servaient de magasins, d'écuries, de logements pour la garnison. Habasque a compté quatre de ces logettes casemetées en larges dalles appuyées contre le mur d'enceinte vers le sud (Note : Habasque, p. 296. Ces casemates dataient sans doute seulement du XVème ou XVIème siècle). Chacune avait quatre mètres en long et en large. 

A l'opposite, non loin du mur nord, une autre logette était encore en 1834 occupée par les douaniers : elle porte au plan cadastral l'indication : Corps de garde (n° 5). 

Dans la même enceinte s'élevaient deux bastions et une triple ligne de fortifications se commandant l'une-l'autre et que battait le canon de la Tour (Habasque, p. 296-297-298). — Il y avait au même lieu plusieurs voûtes (Habasque, p. 296-297-298). Habasque signale enfin trois potences (Habasque, p. 296-297-298) ; il veut dire selon toute apparence trois poteaux d'un gibet. Il est permis d'affirmer que ce gibet réduit à trois poteaux était incomplet : en effet, le nombre de trois est souvent attribué à des seigneuries même non titrées ; mais en Bretagne les justices des barons avaient six poteaux ; et le Roi, seigneur de Cesson, en avait un nombre illimité. Vers le même point on a vu les débris d'un four (Habasque, p. 296-297-298). Il n'est apparu, dit M. Habasque, aucun vestige de puits ; mais on a trouvé des canaux de terre cuite destinés peut-être à conduire les eaux à une citerne (Habasque, p. 296-297-298). Aucun doute sur l'existence d'une vaste citerne ; des renseignements qui semblent certains le placent dans la douve au pied de la Tour vers le nord-ouest. Enfin contre le rempart sud, on a vu l'emplacement d'une forge (Annuaire, 1846, p. 85). 

A l'est de la Tour, vers le milieu de l'enceinte, le plan cadastral figure une chapelle inscrite sous le nom de Saint-Maurice, et mentionnée comme masure (n° 6). 

M. de Fréminville, M. Habasque, M. du Mottay ne signalent pas la chapelle Saint-Maurice, qui pourtant existait au temps où ils ont décrit la forteresse. De ce silence on peut, ce semble, conclure que cette chapelle n'avait aucun intérêt archéologique. Mais dans l'ancienne enceinte, vers l'est, M. du Mottay et M. Habasque signalent une autre chapelle : M. du Mottay nous montre là des « substructions assez étendues sur lesquelles avait été bâtie probablement au XIVème siècle, une chapelle destinée au service de la garnison » (Annuaire, 1875). 

Habasque ajoute que cette chapelle était dédiée à Notre-Dame (N.-D. de Délivrance, d'après l'abbé de Garaby. Annuaire, 1846, p. 84). Il nous apprend aussi que « sous les pierres angulaires servant de fondement à cette chapelle » on venait de trouver, en 1834, deux écussons d'évêques ayant appartenu à un édifice plus ancien (Habasque, p. 279, note). 

Ces renseignements, rapprochés les uns des autres, permettraient de dire que la chapelle édifiée au XIVème siècle avait succédé à un autre édifice (sans doute une chapelle), construit lui-même sur un édifice romain [Note : Cette succession a été remarquée ailleurs. « La chapelle de la Mère de Dieu (Kerfeuntun) près de Quimper, a été construite au XVIème siècle, sur l'emplacement d'une autre chapelle qui avait remplacé un baptistère chrétien, bâti sur les ruines d'un temple de Mars ». Je tiens ce renseignement de M. l'abbé Jégou, autrefois vicaire général à Quimper. Ce vénérable ecclésiastique l'avait pris dans un vieux parchemin à la mairie de Kerfeuntun et que je n'ai pu retrouver]. 

La chapelle Notre-Dame était desservie à la fin du XVIème siècle pendant que la Tour avait une garnison (M. Gautier du Mottay, Plérin, Annuaire de 1878). Elle servait au culte au milieu du XVIIème siècle (Note : « Le 29e jour de novembre 1635, il fut trouvé dans la chapelle Notre-Dame une fille qui y avait été portée sans savoir par qui ny à qui est ». — Baptêmes de Cesson. Archives du tribunal de Saint-Brieuc). A la fin du siècle suivant, elle existait encore, au moins à l'état de ruines, puisque le 8 floréal an VI (17 mai 1798) elle fut vendue nationalement (Archives des Côtes-d'Armor) ; mais, au temps du cadastre de 1817, les ruines mêmes avaient péri, puisque le plan n'en garde pas trace. 

Auprès de la chapelle, Habasque a vu « un nombre infini d'ossements et de crânes », et il suppose, avec toute vraisemblance, que ces débris sont ceux des morts d'un siège (Note : P. 300. — La supposition de M. Habasque devient une certitude, puisque les registres de Cesson ne constatent pas une seule inhumation aux abords de la chapelle). Au même endroit, on a trouvé la base de la croix qui avait protégé ces restes [Annuaire de 1846, p. 84 (abbé de Garaby)]. 

D'après la tradition, une statue de Notre-Dame aujourd'hui vénérée dans l'église de Cesson proviendrait de l'ancienne chapelle ; elle a été retrouvée sur la grève où les iconoclastes de la fin du XVIIIème siècle l'avaient précipitée. A l'extrémité du promontoire, M. Habasque signale les Pas de Notre-Dame. « C'est un étroit escalier pratiqué dans la montagne, que l'herbe ne recouvre jamais », et qui descendait vers la grève d'Hillion. 

Les Pas de Notre-Dame sont nommés dans des actes de 1852 ; ils étaient près de la chapelle et la chapelle devait être à l'est d'une parcelle en long délimitée par deux talus formant autrefois un double retranchement (n° 15 du cadastre de 1817). 

En avant de la Tour le plan cadastral figure un vaste bastion de trente mètres de longueur, large de dix mètres vers l'ouest et se terminant en pointe vers le sud. Il protégeait le fossé qui cernait la Tour et défendait l'accès du chemin d'Yffiniac. La pointe de ce bastion subsiste intacte vers le sud ; nous retrouverons cet ouvrage tout à l'heure. 

II. 

Revenons maintenant à la Tour. Elle était située à la gorge de l'enceinte que nous avons décrite, et entourée d'un fossé sec taillé dans le roc à pic ou revêtu en fond de cuve (c'est-à-dire à parois verticales). Vers l'ouest et le sud plus exposés à l'attaque, le bastion dont j'ai parlé formait un second fossé. Du dehors, on ne pénétrait dans le fossé au pied de la Tour, que par un seul point, à l'entrée du chemin d'Yffiniac, en face de la porte de la Tour : la pointe du bastion que l'on peut voir encore défendait cette entrée en masquant la porte. 

La Tour repose sur le rocher à 75 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle avait quatre étages et environ 20 mètres de hauteur. Le cadastre donne au sol qu'elle occupait une mesure de 2 ares 15 centiares (215 mètres). La moitié environ reste seule encore debout. La mine a coupé la Tour de bas en haut dans toute sa hauteur, et la moitié ouest s'est écroulée comblant une partie de la douve. Il faut remarquer cependant que la partie restée debout haute de 16m 40, près de 50 pieds, est privée de son sommet qui était sans doute terminé par une plate-forme avec machicoulis [Note : C'est l'opinion générale. La Tour n'aurait-elle pas été revêtue originairement d'un hourd, parapet couvert en bois établi en saillie au sommet du mur et qui permettait à la garnison de jeter des projectiles sur les assaillants entre les poutres formant encorbellement ? — M. de Caumont constate que les donjons des XIIIème et XIVème siècles étaient ainsi construits. — Le donjon de Laval (du XIIème siècle) est encore couronné de son hourd, surmonté d'un toit conique]. 

Nous verrons plus tard que la plate-forme était couverte en plomb. 

La maçonnerie est en pierres disposées par assises régulières mais non taillées, sauf celles qui forment les parois des ouvertures. Ces pierres sont unies par un mortier formé de coquillages pulvérisés, de petits cailloux et de sable provenant des grèves voisines. Le temps a donné à ce mortier une consistance extrême. 

La Tour cylindrique en dehors était hexagone en dedans. Les murs ont à l'étage inférieur 3m20 d'épaisseur ; l'épaisseur diminue progressivement à chaque étage. A l'étage inférieur le diamètre intérieur était de 5m50 ; il augmentait à chaque étage à mesure que diminuait l'épaisseur des murs. 

Les murs de la partie qui subsiste comprennent dans leur épaisseur un escalier en hélice donnant accès à tous les étages et à la plate-forme, « plus des couloirs et des tuyaux acoustiques, pour porter rapidement les ordres dans toutes les parties de la forteresse, et mettre en communication les défenseurs de ses quatre étages » [Note : Anciens évêchés (II, p. 326). M. de Courcy a accepté et répété cette description. Ces tuyaux ne se voient plus depuis certaines réfections dont nous parlerons plus loin ; mais des personnes qui les ont vus m'assurent que ces tuyaux communiquaient en haut avec des ouvertures en forme de cercle, suivaient un plan très incliné et s'ouvraient vers le fossé. Ces personnes voyaient là des tuyaux destinés à un usage nécessaire mais infiniment moins noble que celui qui leur est attribué par les auteurs cités ci-dessus]. 

Chaque étage était éclairé par des fenêtres dont quelques-unes carrées, la plupart cintrées, formant par leurs profondes embrasures un petit appartement garni de bancs de pierre. On voit aussi quelques barbacanes et des meurtrières où placer du canon. Des portes en ogives faisaient communiquer d'une pièce à l'autre. 

La porte percée, comme souvent, au premier étage est en plein cintre et a l'apparence d'une grande fenêtre. Elle est ouverte à l'est. On y avait accès par un pont-levis se manoeuvrant à l'aide d'une armature courbe en fer engagée à l'extrémité d'une poutre ; deux chaînes accrochées aux bouts de cet arc portaient le tablier qui s'abattait sur la crête de la contre-escarpe. — Une fouille pratiquée, il y a quelques années, à ce point de la contre-escarpe a mis au jour une poutre carbonisée ; peut-être est-ce sur cette poutre que s'abattait le pont levis ?

 C'est vers ce point que se voit encore l'ancien bastion dont j'ai parlé. 

C'est au-dessus de la porte que l'abbé Ruffelet, écrivant en 1771 (sur l'année 1595, p. 42), a vu la pierre portant les armes de Jean IV et de Jeanne de Navarre. Cette pierre, que Habasque a vue en 1814 « gisant devant le seuil » (p. 302), a disparu. 

Au-dessous du point d'appui du pont levis sur la contre-escarpe, les auteurs des Evêchés ont reconnu « l'entrée d'un souterrain dont l'autre extrémité a été, dit-on, reconnue vers le nord dans la falaise » (Anciens évêchés, II, p. 324, note). D'autre part, Habasque dit que la Tour « avait une issue souterraine aboutissant au bourg de Cesson. « Des vieillards, ajoute l'auteur, en ont vu l'entrée dans leur enfance ; et un témoin m'a dit tenir de sa grand'mère qu'elle y était descendue » (Note : P. 303. L'abbé de Garaby mentionne aussi deux souterrains aboutissant, « l'un dans un champ au sud-ouest, à moins d'un kilomètre, l'autre dans une écurie du bourg » Annuaire 1846, p. 83). 

 

III. 

Maintenant revenons en quelques mots sur le cadastre de 1817, que n'a consulté aucun de ceux qui ont écrit sur la Tour de Cesson, et jetons un coup d'oeil sur quelques actes authentiques de nos jours. Ces documents nous révéleront des noms de lieux dignes d'attention. 

J'ai déjà dit que le grand bastion formait une seconde douve. Vers ce point, le plan cadastral dessine une parcelle inscrite sous le n° 14 et dénommée Sous la grande douve. L'espace compris entre cette parcelle et le bastion était la grande douve, distincte de la douve circulaire enserrant la Tour et qui était la petite douve

Vers la chapelle Notre-Dame, un acte de 1852 (Vente à M. Glais-Bizoin, 20 octobre 1852) mentionne les Pas de Notre-Dame, l'étroit escalier que signale M. Habasque, en rappelant la légende : « C'est par ce sentier que la Mère de Notre-Seigneur gravissait un jour la côte accompagnée de saint Syphorien. Rendue de fatigue et s'arrêtant au lieu où depuis fut bâtie la chapelle, elle dit à saint Syphorien : « Nous avons assez monté ; cessons. » De là le nom de la paroisse » (P. 313). 

Voilà la légende. Deux autres noms mentionnés au cadastre nous fournissent des indications historiques. Le premier est le nom de Les Belles ou Sur les Belles donné au terrain à l'est de la Tour. Ecrit ainsi, ce mot se comprend mal ; mais si, comme il semble permis de le faire, on en corrige l'orthographe, on y retrouve le mot baile qui, au XIIIème et XIVème siècles, désignait « une des parties de tout château fort, l'avant-cour, première enceinte protégeant l'entrée de la place ». Nul doute que le nom recueilli par les géomètres du cadastre, non compris et mal orthographié par eux (ce qui est très pardonnable), ne rappelle le vieux souvenir du baile de la forteresse. 

L'autre nom est celui de marché donné au terrain à l'ouest de la Tour. Ce nom ne rappellerait-il pas le souvenir des foires de la seigneurie ? Cette hypothèse semble assez plausible [Note : Il est possible aussi que ce nom donné au terrain en avant de la Tour marque la place où les gens du pays venaient vendre leurs denrées aux soldats de la garnison. C'était un usage que le chanoine Moreau atteste, (Guerres de la Ligue en Bretagne, p. 158)]. M. Habasque a écrit (p. 303) : « Avant la Révolution les mêmes lieux se nommaient La Terre au Duc » ; et il ajoute que le duc de Penthièvre était propriétaire de la Tour. La méprise est certaine. Le duc de Penthièvre a pu être afféagiste du domaine royal à Cesson, comme de beaucoup d'autres domaines royaux en Bretagne ; mais ce n'est pas à cette possession précaire que le nom de Terre au Duc peut se rapporter. Ce nom doit garder le souvenir de la propriété des ducs de Bretagne. Ainsi, de nos jours encore, une place de Quimper garde le nom de Terre au Duc, qui fut pendant plusieurs siècles le nom du faubourg de Quimper compris au domaine ducal.

 

IV.

Voilà résumé aussi exactement qu'il nous a été possible ce que nous avons pu voir des fortifications de Cesson, non par nos yeux, mais par ceux de M. Habasque, du chevalier de Fréminville et des savants de Geslin, de Barthélemy et Gaultier du Mottay. 

De sa laborieuse retraite de Plérin, M. du Mottay voyait la Tour de Cesson. Que de fois, de son cabinet même, ses regards curieux n'ont-ils pas creusé le sol que domine la Tour pour lui dérober ses secrets ! Mais heureusement pour nous, il a vu de plus près la vieille forteresse ; c'est lui qui nous rend compte des fouilles faites au pied de la Tour, notamment en 1832, puis en 1847, après la description donnée par M. Habasque. « Dans toutes ces substructions de l'enceinte on a trouvé, dit M. du Mottay, un grand nombre de tuiles à rebords, de fragments d'armes, de ciment et autres débris dont l'origine (romaine) n'est pas douteuse ; on y a recueilli à diverses reprises des pièces de monnaie, notamment en 1832, des pièces de Tétricus, Claude II et Gallien.... et, en 1847, des petits bronzes de Posthume, Salonine et Valérien » (Annuaire des Côtes-du-Nord, 1875). 

M. Habasque constate la découverte de quelques-uns de ces objets près de morceaux de fer et de cuivre à demi-fondus (p. 298). 

Enfin l'Annuaire de 1846 donne une longue liste d'objets divers trouvés dans la Tour ou à ses abords, entr'autres : « deux chausse-trappes, un croc, trente-trois boulets en potain, une masse de métal fondu, grand nombre d'épées rompues, une multitude de faucilles en fer battu, trois charretées de pièces de cuivre tombant en poussière, une multitude de clés, une hache, un joli portrait sur ivoire de la longueur de la main.. .. » (Note : Annuaire p. 83-85, article de l'abbé de Garaby. Ce dernier objet méritait une attention particulière. Qu'est-il devenu ? M. de Garaby signale une pierre marquée d'une croix entre un C et un D, et au-dessous 1596 mars. « Le C et le D, dit l'auteur, sont les initiales de Charles, duc ». Quel duc ? Pas du moins le duc de Mercoeur, maître de la Tour à cette époque, mais qui se nommait Philippe-Emmanuel. Ces lettres ne sont-elles pas tout simplement les initiales de quelque soldat de la garnison). 

M. du Mottay estime que l'enceinte fortifiée dont nous avons donné la description a été tracée à l'époque romaine, et que les substructions qui servent de base à la Tour ont la même origine. « La Tour, dit-il, a été remaniée à diverses reprises ; mais ses premières assises en appareil régulier remontent, selon toute apparence, au XIème siècle ». Cependant le savant auteur se fait à lui-même cette objection : « Au XIème siècle, la forme carrée était donnée aux donjons ». Et M. de Caumont enseigne en effet que c'est seulement au XIIème siècle que la forme cylindrique ou polygonale fut adoptée de préférence dans l'Ile de France et d'autres provinces voisines (Archéologie des Ecoles primaires, p. 342). 

Les auteurs des Anciens évêchés de Bretagne reconnaissent que les parties principales de la Tour peuvent se rapporter aux XIIème et XIIIème siècles » (T. II, p. 325, 326). 

Il n'est pas douteux, d'ailleurs, que d'importantes réfections n'aient eu lieu au temps de Jean IV. On en a la preuve dans les armoiries jointes à celles de Jeanne de Navarre que Jean IV épousa en 1386. 

« La vérité, disent ces auteurs, c'est que chaque âge a laissé son empreinte à Cesson. Les Romains se sont installés sur ce promontoire ; et l'étendue du terrain jonché de tuiles et de substructions dit assez que ce castrum était considérable ; les Normands établis à l'embouchure du Gouet ne pouvaient avoir que là leur principal fort ; le moyen-âge y a posé son donjon, et les temps plus voisins de nous y ont construit une enceinte bastionnée et un corps de garde à l'abri de la bombe » (Note : Anciens évêchés, II, p. 324. — La vérité c'est encore, ainsi que nous le verrons, que Jean IV, marié à Jeanne de Navarre en 1386, n'a pu poser son écusson sur la Tour avant la fin de 1395). On ne saurait mieux dire. 

Ce qui précède démontre combien il est inexact de fixer la fondation de la Tour à la fin du XIVème siècle, sinon à la date précise 1395, mise en avant par Delaporte et adoptée sur sa parole et sans information (Recherches sur la Bretagne, I, 230). 

Un acte récemment publié va démontrer authentiquement l'âge de la Tour. Nous verrons que c'est seulement aux premières années du XVème siècle qu'elle apparut dans sa beauté sévère et un peu rébarbative, bien digne d'être le chef-lieu d'une seigneurie plus importante que celle de Cesson. 

 

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II- SEIGNEURIE DE CESSON. 

Quelle a été l'origine de la seigneurie de Cesson et quelle en était la consistance ? 

L'origine de la seigneurie est extrêmement ancienne : la châtellenie de Cesson existait avant 1034. En effet, cette année même, le duc Alain III abandonna en apanage à son frère Eudon le comté de Tréguier, le pays de Goëllo et le comté de Penthièvre ; or, le Penthièvre comprenait les quatre châtellenies de Jugon, Lamballe, Moncontour et Cesson [M. de La Borderie, Géographie féodale (p. 50 et suivantes)]. 

C'est donc en qualité de comte de Penthièvre qu'Eudon était seigneur de Cesson ; et il tenait cette seigneurie, comme le reste de son comté, du don de son frère (Note : Anciens évêchés, I, p. LXXIV. — Les auteurs expliquent autrement la possession de Cesson par Eudon. Il semble que Eudon résidait à Cesson, quand, en 1079, il fut inhumé dans l'église de Saint-Brieuc. — Voir aussi Géographie féodale, p. 52, note 2). « Territorialement la seigneurie de Cesson était fort peu de chose ; elle consistait uniquement dans la partie de la paroisse de Cesson non comprise sous le regaire de Saint-Brieuc », c'est-à-dire l'étroit promontoire enserré entre le ruisseau de Gouédic, la mer, et le chemin qui de Cesson vient au sommet de la montée de Gouédic. « Mais la formidable Tour qui commandait la ville de Saint-Brieuc et toute la baie ouverte entre le cap Fréhel et l'île de Bréhat, et la suzeraineté exercée sur le regaire de Saint-Brieuc eussent suffi pour donner de l'importance à la châtellenie de Cesson » (M. de La Borderie, Géographie féodale, p. 160 et suivantes). 

Nous allons voir que la seigneurie avait d'autres droits. 

Il n'y avait pas de seigneurie importante sans justice. Dès 1144, Cesson avait un juge « prœtor » personnage distingué puisqu'il est qualifié « chevalier et de l'ordre des chevaliers » [Note : ... Miles de equestri ordine. Les auteurs des Anciens évêchés (II, p. 324) et M. Lamare, p. 24, ont traduit prœtor par gouverneur ou capitaine du fort de Cesson ; mais il faut avec Lobineau et Morice prendre ce mot au sens de prévôt, juge ou chef de la justice. Gaulterius est nommé au pied d'un acte juridique : la cession de l'église de Saint-Aaron donnée à Marmoutiers par un propriétaire laïc (Morice, Pr. I, col. 591). — Les mots miles de equestri ordine auront sans doute causé la méprise des traducteurs contemporains ; du reste il se peut que ce chevalier ait été en même temps chef de justice et capitaine de la Tour]. 

La justice de Cesson ne pouvait s'exercer que dans la seigneurie, c'est-à-dire très près de la Tour, sinon dans la Tour ; et elle y siégea comme nous le verrons jusqu'en 1565. C'est là aussi qu'étaient les fourches patibulaires du seigneur qui portaient au loin « le signe de son droit de glaive »

C'est là que nous avons retrouvé le souvenir de ses foires et marchés. 

Enfin quelques actes nous donnent la preuve que le receveur de Cesson percevait des droits sur le Légué [Note : Le Légué. — 10 octobre 1420. — Mandement aux receveurs de Cesson et du port du Légué d'une franchise pour les blés des gens de l'église de Saint-Brieuc embarqués au Légué (Actes de Jean V, n° 1466)], dans la ville de Saint-Brieuc [Note : Ville de Saint-Brieuc. — En février 1406, les habitants outragent un sergent du duc : il porte une amende de 1200 livres dont l'évêque obtient la réduction à 200 livres (n° 241). En novembre de la même année, le duc porte pour le même fait une amende de 80 livres (n° 391). A ce moment l'évêque, Jean de Châteaugiron (ou de Malétroit) (1405-1419) était « général gouverneur des finances du duc »], sur le Goëllo (Note : Goëllo — Mandement à Jehan Regnard, receveur de Cesson, de faire la levée, à cause du rachapt de la terre de Pordic (en Goello) (n° 431), et éventuellement du moins sur le regaire de Tréguier et sur l'évêché de Saint-Brieuc [Note : Tréguier. — Le duc avait le 30 juillet 1406 saisi le temporel de l'évêché de Tréguier (n° 324). Jehan Regnard fut nommé receveur du regaire (n° 331-37-85). Evêché de Saint-Brieuc. —  Regnard chargé de la recette des fouages de l'évêché de Saint-Brieuc. Jehan Regnard avait eu pour prédécesseur Fouquet Regnard (février à décembre 1400). (Archives Loire-Inférieure, B. 2646, Inventaire des Comptes). — Il eut pour successeur Olivier Le Voyer 1416, 7 septembre à 1421 (n. s..) 1er février. (Ibid., B. 2646). — A Olivier Le Voyer succéda Yvon Le Morgant, 1421, 21 juillet à 1435 (n. s.) janvier. (Ibid., B. 2646). Nous verrons plus loin comment Regnard remplissait ses fonctions. C'est Fouquet Renart que la duchesse chargea de détruire le château de Lamballe, 19 avril 1420 (Morice, Pr. II, 1031-1032)]. 

Or le château fort, la justice avec ses droits accessoires de poids et mesures, foires et marchés, etc., la perception des rentes et autres droits, c'est toute la seigneurie. 

Le Penthièvre trop étendu et trop puissant excita bientôt les craintes jalouses des ducs ; moins de cent ans après la création de l'apanage d'Eudon, Pierre de Dreux, punissant le comte Henri II d'avoir pris parti contre lui dans sa guerre contre les barons, lui enleva Tréguier et Penthièvre pour les réunir au domaine ducal (1122) et ne lui laissa que le Goëllo. 

Au siècle suivant, Jean III à son tour créait un apanage pour son frère Guy. Il lui donna « les terres de Penthièvre (moins le comté de Goëllo qui restait à l'ancienne maison de Penthièvre cachée sous le nom d'Avaugour) ; mais il retint en Tréguier Châteaulin sur Trieux, en Penthièvre Jugon, et en Tournegouët le château de Cesson » (Note : C'est l'affirmation de Jean IV. Instructions données aux ambassadeurs envoyées par le duc au Roi. Lobineau, Pr., col. 690. Tournegouet, pays entre Urne et Gouet). 

Cent ans après, ce retranchement tenait encore au coeur de la seconde maison de Penthièvre, comme nous le verrons plus loin. 

 

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III- FORTERESSE DE CESSON ET FORT DE SAINT-BRIEUC. 

I

Des constatations que nous avons résumées il résulte que la Tour dont nous voyons les restes a succédé à une série de forteresses remontant à l'occupation romaine. Nul doute que cette forteresse n'ait été le lieu ou du moins le témoin de de la victoire, d'Alain Barbe Torte sur les Normands. Vainqueur à Dol, Alain s'embarqua, dit la chronique (Chronique de Nantes, Morice, Pr. I, col. 145 : «... Apud Briocum... navigavit illuc. ») et, entrant dans le Gouet, vint surprendre et tailler en pièces les Normands établis près de Saint-Brieuc. C'est là que commença cette série de victoires qui allaient enfin rendre la Bretagne à elle-même (937).

Cent cinquante ans plus  tard (1079) Eudon, comte de Penthièvre, fut inhumé dans la cathédrale de Saint-Brieuc, et de ce fait on a pu conclure que le comte résidait dans sa forteresse de Cesson (Note : Anciens évêchés, I, p. LXXIV. — L'inhumation d'Eudon à St-Brieuc n'est pas seulement de tradition. Le Baud affirme qu'il a lu le fait « en escripts de l'abbaye de Saint-Jacut ». Géographie féodale, p. 52, note 2 ). 

Mais après, et pendant plusieurs siècles, nous ne voyons aucun fait historique à rattacher à Cesson ; et la mention faite en 1144, d'un préteur de Cesson n'implique pas, selon nous, l'existence de la forteresse. Il y a plus : Cesson n'est pas nommé par les historiens à propos des guerres de la succession de Bretagne. 

Mais, de ce silence nous nous garderons de conclure que le fort de Cesson n'existait pas au milieu du XIVème siècle. 

Ce serait une erreur dont voici la preuve : Peu après le commencement des hostilités, en 1350, nous trouvons un capitaine de Cesson nommé Adam Hoult ; un peu plus tard, 1365, un autre capitaine est nommé Gigayn de Kermalkein. Ces deux capitaines semblent bien porter des noms anglais et être des Anglais du parti de Montfort (Note : « Adam Hoult, anglais, capitaine de Cesson, maître d'hôtel de Jean IV, 1372 ». M. de Couffon de Kerdellech. Recherches sur la Chevalerie Bretonne, I. p. 410). Gygain de Kermalkeyn est nommé comme capitaine de Dylion (Morice, Pr. I, col. 1500). Morice écrit ce mot Hilion à sa table (col. 1686). M. de Kerdanet a rendu le mot par Cesson ; et il ne peut y avoir de doute sur cette interprétation. L'acte rapporté par D. Morice est le mandement donné par le roi Edouard à Bernard du Chastel de remettre au duc de Lancastre toutes les places qu'il avait en mains. Suit la liste des capitaines auxquels cet ordre est signifié. Gygain de Kermalkein est du nombre avec Roger David, Thomas de Holland, Thomas de Liston, Robert Knolles, etc., tous Anglais). 

Pendant ces guerres, Saint-Brieuc tient le parti de Charles de Blois ; et pourtant nous ne voyons pas ses bourgeois nommés parmi les députés des villes voisines qui sollicitaient la mise en liberté de Charles en 1352 (Note : Notamment La Roche-Derrien, Guingamp, Châtelaudren, Lamballe, Moncontour et Jugon. Lobineau, Histoire, p. 346, Pr., col. 492 et 493). N'est-il pas permis de conjecturer qu'ils étaient retenus par le voisinage de Cesson alors aux mains de Montfort ? 

Au lendemain de la mort de Jean III, Montfort fit main basse sur le trésor du duc à Limoges, leva une petite armée, et dans une chevauchée rapide, se fit reconnaître dans les places du domaine ducal, « fondant ainsi son parti qui n'existait pas la veille » (M. de La Borderie, Guerre de Blois et de Montfort, Revue de Bretagne, 1887). 

Cesson, on n'en saurait douter, fut une de ces places. Il est vrai que Froissart ne nomme pas Cesson, mais il nomme Saint-Brieuc ; et « ce nom en cet endroit au moins implique avec Saint-Brieuc la forteresse de Cesson » [Note : C'est ce que m'écrit M. de La Borderie. C'est en ce sens que citant Froissard (Voir les variantes au t. II de l'édition de M. Luce) il nomme Saint-Brieuc (La Bretagne aux grands siècles du moyen-âge, p. 149)]. En effet la ville épiscopale et ouverte n'avait sans Cesson qu'un minime intérêt pour le prétendant au duché. 

Enfin, après la bataille d'Auray, Cesson est à Montfort ; la preuve c'est qu'il n'a pas besoin d'en faire le siége ou d'en recevoir la soumission, comme il dut faire à Auray, Jugon, Dinan, Quimper. 

Le silence gardé à cette époque sur Cesson peut avoir une explication bien simple : c'est que Cesson n'aura été le théâtre d'aucun fait de guerre. 

Quel intérêt l'armée de Charles de Blois aurait-elle eu à venir se heurter contre une place inabordable, qui ne commandait aucune route et dans laquelle il aurait fallu immobiliser une garnison ? 

II 

Une autre forteresse toute voisine de Cesson n'est pas non plus nommée à la même époque, et pourtant existait et très anciennement. Je veux parler du « Fort de Saint-Brieuc »

La ville épiscopale n'était pas close de murs. Elle était seulement munie de barrières fermant l'entrée des routes, et même certaines des voies urbaines. Il y avait notamment une barrière à l'entrée de la place du Pilori aux abords de la cathédrale [Note : Plusieurs portes sont marquées au plan du XVIIème siècle : une seule mérite ce nom, c'est la porte Saint-Guillaume percée dans le mur de ville qui existait alors (entre la promenade Du Guesclin et la Grande-Promenade). Les autres portes marquent des barrières, savoir : la porte de Gouet à la jonction de la rue (vieille) de Gouet et du chemin conduisant à N.-D. de la Fontaine (route de Lanvollon et Binic). — Porte Morlaise au-dessus de la rue Fardel (route de Guingamp et Morlaix). — Porte Thomasse (près de la chapelle de la Providence aujourd'hui) (route de Quintin et Lorient). Nous trouverons encore une autre barrière dite de Saint-Pierre, à l'entrée de la rue de Quintin d'aujourd'hui]. 

La cathédrale avec ses tours massives qui gardent encore leurs machicoulis avait été très anciennement fortifiée [Note : Chronicon briocense : « Tunc temporis (1394) et diu ante fortificatam ecclesiam » Morice, Pr. col, 71. Nous verrons plus loin que la tour sud avec ses machicoulis a été reconstruite au commencement du XVème siècle]. Avec le manoir épiscopal, elle occupait l'antique domaine du Rouvre que défendait au temps de Rigwal le retranchement de Kardenoual et que Rigwal donna à saint Brieuc. 

M. de la Villerabel a pensé que cet espace, autour duquel s'est bâtie la ville était « le château et forteresse », ou plus simplement « le fort de Saint-Brieuc ». Il ajoute que, au moyen-âge, ce fort était défendu sur ses trois côtés par les tours de la cathédrale, les épaisses murailles de l'Hôtel de Rohan et le donjon de Kardenoual [Note : Voir sur ce point : A Travers le Vieux Saint-Brieuc, par le regretté Du Bois de la Villerabel. Le Vieux manoir épiscopal, p. 117 et suivantes. Le Bourg-Vazé, p. 82). Une église fortifiée n'est pas une singularité. En 1394, quand Jean IV eut ruiné le château de La Roche-Derrien, Jean de Penthièvre s'empressa de faire fortifier l'église ; il fortifia en même temps celle de Brélévenez, près de Lannion (Lobineau, Pr., 777)]. 

C'est nous dire que le vaste espace délimité par l'auteur était fermé de murailles. Mais cette déduction sera-t-elle admise lorsque l'auteur lui-même, qui connaissait bien son Vieux Saint-Brieuc, ne signale aucun vestige des anciens murs ni aucun titre en faisant mention ? Cette enceinte mesurant trois hectares environ aurait mérité à Saint-Brieuc le titre de ville close (Note : D'autres places n'étaient pas de plus grande dimension. Exemple Redon dont l'enceinte était à peine de deux hectares et demi). 

Pour ces divers motifs, nous ne pouvons admettre cette extension du « Fort de Saint-Brieuc » ; mais nous ne doutons pas de l'existence d'un fort à Saint-Brieuc même, distinct de la Tour de Cesson. 

En preuve, sans parler des historiens, voici des faits. Nous allons voir les évêques nommer des capitaines du « fort de Saint-Brieuc, — de la tour et manoir de Saint-Brieuc ». Il ne peut assurément être question dans ces actes de la Tour de Cesson, qui n'a jamais été en la possession des évêques. — Plus tard, nous verrons les ducs, nommer en même temps un capitaine de Saint-Brieuc et un capitaine de Cesson. 

Et, remarquez-le, le capitaine du fort de Saint-Brieuc a pu être nommé d'abord par l'évêque, puis par le duc. En effet, c'est seulement en 1386 que le parlement général de Vannes repoussant les prétentions de l'évêque de Quimper et de l'abbé de Redon proclama le droit ancien et exclusif du duc à « la garde et fortification » (Lobineau, Pr., col. 658). 

Nous croyons donc aussi fermement que M. de la Villerabel au « Fort de Saint-Brieuc » distinct du fort de Cesson. Seulement, nous en rétrécissons le périmètre. Qu'est-ce donc que « la tour et le manoir de Saint-Brieuc » dont l'évêque donnait la garde dès le milieu du XIVème siècle ? 

C'est la cathédrale et le manoir épiscopal dont une tour portait au dernier siècle le nom de donjon, comme par un souvenir de l'ancienne destination de l'édifice auquel le manoir neuf avait succédé. 

Le chroniqueur écrivait à la fin du XVème siècle que « la cathédrale avait été anciennement fortifiée » ; de même peut-être le manoir épiscopal, non le manoir rebâti au dernier siècle par Mgr de Bellescize, mais l'ancien manoir que celui-ci a remplacé. La cathédrale et le manoir pouvaient être contigus. En tout cas, ils n'étaient séparés que par une ruelle étroite qui pouvait être close [Note : Ces deux édifices n'étaient séparés, même au dernier siècle, que par une rue ou ruelle étroite dite Entre les portes. Olivier du Chastel, évêque de 1506 à 1525, avait fermé cette venelle par deux portes. — Olivier du Chastel a-t-il innové en fermant la ruelle, ou n'a-t-il fait que reconstruire d'anciennes clôtures ? (Evêchés de Bretagne, II, p. 215)]. Ajoutez des barrières fermant lés ruelles donnant accès vers le manoir épiscopal et la cathédrale. Voilà, selon nous, « le fort de Saint-Brieuc »

Originairement, le manoir épiscopal et la cathédrale avaient sans doute été ouverts aux habitants comme lieux de refuge en cas d'alarme ; avec le temps ces édifices étaient devenus une forteresse, capable, comme nous le verrons, de soutenir des sièges en règle, dont un commandé par un connétable de France. 

C'est cette forteresse que, selon le P. du Paz, l'évêque Guy de Montfort donnait en garde à Jean de Plédran, quand il le faisait capitaine « de la Tour et du manoir de Saint-Brieuc » (1353) (Note : M. Lamare, p. 40, cite des notes recueillies par l'abbé Ruffelet, faisant partie des Archives de M. du Bois de la Villerabel). 

C'est cette forteresse que sous la menace des Anglais, en 1364, l'évêque donnait en garde à Pierre de Boisboissel (Note : M. Dubois de La Villerabel, p. 120 et 121, Testament de Pierre du Boisboissel) sous le nom de « Fort de Saint-Brieuc »

Enfin l'existence de la forteresse de Saint-Brieuc est constatée authentiquement dans un acte de la cour épiscopale de 1369. Cet acte mentionne une maison donnant d'un côté « sur les caves de la forteresse de saint Brieuc, et de l'autre sur le manoir de Rohan » [Note : Revue des Archives historiques des Côtes-du-Nord, par M. Tempier, archiviste (1885-VIII). L'existence de l'Hôtel de Rohan est ainsi démontrée au XIVème siècle]. 

Pendant les guerres de la succession, les évêques Guy de Montfort (1335-1358) et Hugues de Montrelais, son successeur, tenaient le parti de Charles de Blois, et leur ville avec eux. Le roi d'Angleterre, qui dirigeait la guerre pour Montfort, savait bien que le Penthièvre entourant Saint-Brieuc était comme la citadelle des de Blois [Note : « Le nord (de la péninsule bretonne) grâce au loyalisme à toute épreuve des fidèles vassaux de Penthièvre, resta jusqu'au bout inattaquable ». M. de La Borderie, Géographie féodale, p. 62]. La ville ouverte n'avait pas l'importance d'une ville close. Il suffisait d'être maître de Cesson pour dominer sur la ville ; c'est pourquoi Saint-Brieuc ne fut l'objet d'aucun fait de guerre, et c'est pourquoi aussi les historiens de ce temps n'en font pas mention. 

Mais après la paix tardive de 1364 laissons passer quelques années ; la ville de Saint-Brieuc avec son fort aura, et très malheureusement pour elle, son histoire militaire. 

C'est cette histoire que nous allons essayer de dire en même temps que l'histoire de la Tour de Cesson. 

 

IV- 1364-1381.

Un peu après le traité de Guérande (1364) nos historiens mentionnent le fort de Cesson. C'est en 1375. Clisson, Laval, Rohan, les plus grands seigneurs Bretons, s'indignent contre Jean IV, qui, ne sachant pas être duc de Bretagne, confie ses forteresses à des capitaines anglais. Ils protestent, puis n'obtenant rien du duc ni par prières ni par menaces, ils se soulèvent ensemble ; et Jean IV se condamnant lui-même à l'exil, s'embarque, le 28 avril 1373, à Concarneau, pour l'Angleterre. 

Sans perdre un moment, Clisson, Laval et Rohan s'empressent de pourvoir les villes de capitaines bretons. La guerre était finie, les places étaient négligemment gardées, peut-être même dégarnies ; les villes et les garnisons craignaient d'être données en garde, c'est-à-dire livrées en proie à des Anglais. Ainsi s'explique l'entrée simultanée en nombre de places de capitaines choisis par Rohan, Laval et Clisson ; en même temps que Laval entre à Rennes, Rohan surprend Vannes, et Guillaume de Ploufragan se saisit de Cesson [Note : D'Argentré (p. 555). Ce dernier fait peut surprendre, puisque, comme nous le verrons, le duc lui-même avait mis Cesson aux mains de Clisson. Ce qu'il importe c'est d'établir qu'en 1375 Clisson était maître de Cesson]. En 1385, il ne restera plus au duc ou plutôt aux Anglais, que Brest, Auray et Derval. 

Maître de Cesson, Clisson dominait à Saint Brieuc ; les anciennes fortifications de la cathédrale lui parurent insuffisantes ; et, selon d'Argentré, il bâtit un fort autour de l'église et y mit une bonne garnison (Note : « Il y avait un fort naguère basty autour de l'église par Olivier de Clisson ». D'Argentré, liv. VIII, chap. XX, p. 568, édit. de 1618. Les maisons pressées contre la cathédrale empêchaient de bâtir un fort autour. L'historien veut dire sans doute que Clisson augmenta les fortifications aux approches de la cathédrale). 

C'est seulement en 1375 que Jean IV tenta de reconquérir le duché. Au carême il débarqua à Brest avec une armée anglaise, prit Saint-Mathieu qu'il fit brûler, Saint-Pol qui fut pillé (singulière façon de rentrer en grâce auprès de ses sujets), puis marcha sur Saint-Brieuc, dont il poussa vigoureusement le siège (Lobineau, p. 452). 

Une diversion de Clisson, Beaumanoir et Rohan vers Quimperlé contraignit le duc à abandonner Saint-Brieuc ; il courut à Quimperlé où tous les trois étaient renfermés avec une troupe peu nombreuse. Une trève convenue entre les Rois de France et d'Angleterre (Trève de Bruges, 27 juin 1375) les sauva ; mais l'occasion de prendre Saint-Brieuc était perdue, et Jean IV retourna en Angleterre. 

Pendant qu'ils étaient amis, le duc Jean IV avait donné à Clisson, Le Gavre, Jugon, Cesson « à lui demeurer par héritage et à ses hoirs » (Note : Le don de Cesson est constaté par cette phrase du traité de 1387 : « Le sire de Clisson cède de présent à Mgr le duc Jugon, Le Gavre, Cesson et toutes les donations de héritages qu'il a de M. le duc à luy demeurer par héritage et à ses hoirs ». — Lobineau, Pr., col. 678). 

Quelle imprudence ! les ducs de Bretagne n'étaient pas « de petits compagnons » ; mais, quelque puissants qu'ils fussent, un sujet qui possédait presque un cinquième du duché (Note : En 1392, quand il s'agit de lever un fouage pour payer les 100,000 fr. d'or extorqués par le duc à Clisson et qu'il devait lui rendre, il fut constaté qu'il y avait en Bretagne « 79.748 feux sans compter ceux tenus en fiefs et arrière-fiefs par Clisson, 18,699 ». Lobineau, p. 485. « Le franc d'or était le même que la livre tournois, 20 sous ». Lobineau, Pr. col. 1796), qui avait des garnisons dans des places fortes, s'il était habile, ambitieux et sans scrupule, était fait pour inspirer de l'ombrage. Qu'était-ce si cet homme puissant était ennemi juré du duc, lieutenant général de Penthièvre [Note : Après la mort de Jeanne de Penthièvre, 10 septembre 1384, Jean de Blois, prisonnier en Angleterre avait nommé Clisson son lieutenant-général (6 janvier 1385). M. de La Borderie], à ce titre, investi du droit de nommer les capitaines des places de ce comté, et enfin connétable de France ! Or Clisson était tout cela. 

Et quelles alliances ! Clisson est beau-frère du comte de Laval, beau-frère du vicomte de Rohan, beau-père du fils de celui-ci (Note : Clisson avait épousé en secondes noces Marguerite de Rohan, veuve de Jean de Beaumanoir, et avait marié sa fille aînée de son premier mariage, Béatrix, à Alain VIII, qui devint vicomte de Rohan en 1396) : qu'il marie sa fille cadette, Marguerite, au comte de Penthièvre, l'ancien Penthièvre avec Jugon et Cesson va se retrouver aux mains des héritiers du vaincu d'Auray ! Le duc n'avait pas prévu cette éventualité quand il donnait Jugon et Cesson à Clisson. 

Mais ce n'est pas tout : Aux termes du traité de Guérande, Jean de Blois est l'héritier éventuel du duché, puisque à ce moment Jean IV n'a pas de fils. L'époux de Marguerite de Clisson, maître du Penthièvre avec Jugon et Cesson, aidé, ce n'est pas assez dire, porté par son beau-père, saurait-il attendre patiemment la succession ducale ? 

Or, au commencement de 1387, Clisson offrit à Jean de Blois le paiement de sa rançon et la main de sa fille Marguerite. Les négociations, quelque secrètes qu'elles fussent, furent révélées au duc, et celui-ci résolut de parer au danger. 

Mais il s'y prit mal ; il recourut à son moyen ordinaire : la perfidie et une maladroite perfidie. Il arrêta le connétable, qui était son hôte à Vannes, le jeta en prison et ordonna sa mort. Puis supplié par Laval, désobéi par Basvalan, il lui rendit la liberté ; mais à quel prix ! Clisson dut payer cent mille francs d'or, environ quatre millions de notre monnaie en 1893 (M. de La Borderie, Cours d'histoire de Bretagne), rendre les places qu'il tenait du duc, notamment Jugon et Cesson, remettre au duc ses propres terres, Clisson, Blain, Josselin avec le Porhoet, bien plus livrer au duc les places du Penthièvre dont il avait la garde. Enfin il dut promettre de ne pas procurer la liberté de Jean de Blois et de ne pas le prendre pour gendre (27 juin 1387). 

Clisson promit tout. Les cent mille francs destinés à la rançon de Jean de Blois furent sa propre rançon ; quelques places notamment de Penthièvre furent rendues ; et Clisson libre enfin, et plus ennemi du duc que jamais, galopa vers le Roi. 

Mais il avait laissé ses instructions à ses capitaines. Ceux-ci rentrèrent dans les places qu'ils venaient de rendre, Guingamp, La Roche-Derrien, Châtelaudren, Erquy, Cesson. Bien plus ! ils entrèrent à Saint-Malo, qui était alors le plus grand port de Bretagne et qui venait de se donner au pape pour être par lui cédé au Roi. Les Malouins ayant peur du duc qui venait de bâtir contre eux la tour Solidor (1382) imaginèrent « de se faire donner au Roi par le pape, Clément VII, qui donnait tout ce qu'on lui demandait sans considérer s'il avait le droit de donner » (Lobineau, p. 464). La prise de possession est du 20 février 1394 (Morice, Pr. II, col. 629). Le duc ne recouvra Saint-Malo qu'en 1415. Avant la prise de possession, le Roi prenait chaudement les intérêts des Malouins. Le 3 janvier 1394, au nombre des griefs articulés par le duc de Bourgogne contre le duc on lit : « V. La ville de Saint-Malo est notoirement sous la garde du Roi » ; (col. 630) et plus loin (col. 632), les vexations exercées contre les Malouins et notamment ce qui suit : « Ont esté pris aucuns de Saint-Malo qui allaient en pèlerinage à Notre-Dame-de-la-Fontaine et qui sont encore en prison au pain et à l'eau ». Les auteurs des Evêchés, I, p. 284 et M. Lamare, p. 44, attribuent cette réclamation à Clisson. Clisson ne s'inquiétait plus des Malouins puisqu'ils s'étaient donnés au Roi. — Voir Morice, Pr. Il, col. 632. Les auteurs des Evêchés renvoient à la même colonne à propos du fait suivant : La duchesse venant du même pèlerinage aurait été arrêtée par Clisson sans l'intervention de l'évêque. Ce grief contre Clisson ne pouvait trouver place dans cette pièce ; et le renvoi est erroné. 

Le 3 octobre, Jean de Blois était à Paris, et, le 30 janvier, il épousait Marguerite de Clisson. Ce mariage se faisait sous d'heureux auspices : Jeanne de Navarre venait de donner au duc une fille au lieu d'un fils héritier du duché. 

Le Roi préoccupé des intérêts de son connétable et de ceux de la justice qui, pour cette fois étaient d'accord intervint pour amener un accommodement. Il entendit les deux adversaires, se fit arbitre entre eux, et, corrigeant les injustices des conditions extorquées à Vannes, ordonna, le 20 juillet 1388, que les cent mille francs d'or payés par Clisson lui seraient rendus ; que Josselin, Blain, Broons, Le Gavre lui seraient aussi rendus (Note : Seraient rendus, c'est-à-dire resteraient légitimement à Clisson, qui aux termes du traité de Vannes devait les remettre au duc) ; que Jugon lui serait remis ; mais que « héritage de la duché » cette seigneurie ne serait qu'un gage entre ses mains jusqu'au remboursement des cent mille francs. Châteaulin sur Trieux et le Plessix-Bertrand devaient être rendus au duc ; La Roche-Derrien, qui était aux Penthièvre, devait être remise au Roi qui tenait déjà Guingamp, Lamballe et Châtelaudren et qui remettrait ces places à qui de droit, c'est-à-dire aux Penthièvre. 

Le traité ne mentionne pas Cesson qui « héritage du duché » devait sans doute suivre le sort de Jugon et être rendu au duc. De ce silence, faut-il conclure que Cesson avait été rendu et était aux mains du duc avant la sentence du Roi ? On peut en douter. Du moins, deux mois plus tard, Clisson était maître dans Cesson. En effet, sommé le 4 septembre suivant, dans son château de Josselin, d'exécuter le traité en rendant les places, Clisson répond par un refus formel de rendre Châteaulin-sur-Trieux, Jugon, Erquy et Cesson ; et les capitaines du connétable sommés à leur tour répondent insolemment qu'ils n'étaient pas hommes du duc, qu'ils n'étaient pas engagés envers lui par un serment, et qu'ils ne rendraient leurs places que sur l'ordre écrit de Clisson (Lobineau, Hist., p. 469). C'était une nouvelle déclaration de guerre. 

 

V - 1381-1388.

Du reste si Clisson était maître de Cesson, il n'avait pas le fort de Saint-Brieuc. Nous en avons la preuve dans les deux faits suivants. 

Nous avons vu Clisson assiégé en 1375 dans le fort de Saint-Brieuc ; mais cette occupation ne fut que momentanée. En effet, le duc revenu d'Angleterre en 1381, et remonté sur le trône reçoit le serment des villes et de leurs capitaines. Le 29 avril de cette année, Hélie du Rouvre, chevalier sieur de Boisboissel, prend devant lui le titre de « capitaine de Saint-Brieuc-des-Vaulx » [Note : Morice, Pr. II, col. 277. — Il faut remarquer d'ailleurs que les bourgeois de Saint-Brieuc ratifiaient le traité le même jour (même colonne) et l'évêque Guillaume aussi (col. 276)]. Hélie du Rouvre, comme seigneur de Boisboissel, était prévôt de l'évêque ; devait-il sa nomination de capitaine du fort à l'évêque ou au duc ? Il importe peu : le titre de capitaine pris dans un acte qui passera sous les yeux du duc prouve qu'il ne tenait pas ce titre de Clisson. 

Quelques années plus tard, le duc donnait la garde de Saint-Brieuc à deux vaillants hommes dont le serment nous a été conservé. 

Le 26 février 1388, Simon de Montbourcher, chevalier, et Alain de Montbourcher prêtèrent serment comme capitaines « du chastel et forteresse de Saint-Brieuc ». Ils prennent l'obligation de « ne remettre la place à personne sinon du commandement de vive voix ou par écrit du duc », — et de la lui rendre à sa première réquisition, « sans chercher à la retenir pour défaut de paiement de gages ou autres motifs ». Par leur serment, « ils engagent eux, leurs corps, leurs biens, meubles et héritages présents et futurs, et leurs hoirs » ; et rien ne pourra les dégager de leur serment ; ils renoncent d'avance à « toute ayde et remède de pape et de roi ». Et quelle est la sanction de ces engagements solennels ? Elle est terrible pour des preux comme les Montbourcher : c'est l'infamie. 

S'ils sont infidèles à leur serment, ils consentent à être « tenus et prouvés pour faulx personnes et desloyaux à toujours ; et comme tels leurs armes seront mises et assises à l'envers... » [Morice, II, col. 557-558. La formule du serment des Montbourcher était sans doute la formule ordinaire. Nous la trouvons résumée, dans sa partie essentielle, la sanction, à propos d'autres serments de capitaines. Le serment parut insuffisant, et l'usage s'établit que les capitaines de places donneraient des pièges, c'est-à-dire des cautions. Un auteur s'étonne de ce luxe de précautions et surtout des cautions. « Que les juges, dit-il, exigeassent le serment, on le conçoit ; il pouvait retenir des hommes d'honneur ; mais une caution en pareille matière, que signifiait-elle ? Quelles sommes pouvait consigner un gouverneur que l'ennemi ne lui eût rendues au centuple comme prix de sa trahison ? » (Habasque, p. 283). La réponse est bien simple. Les pièges sont moins des cautions que des garants. Ils ne s'obligeaient pas à payer une somme à défaut d'un obligé principal. Il n'est pas ici question d'argent. Les pièges engageaient bien plus que leur responsabilité pécuniaire : ils engageaient leur honneur en garantissant l'honneur du capitaine ; et, comme on le verra tout à l'heure, par un fait emprunté à l'histoire de Cesson, cette précaution surajoutée au serment pouvait n'être pas vaine]. 

Les auteurs des Anciens évêchés par les mots « chastel et forteresse de Saint-Brieuc » entendent le fort de Cesson ; en faisant remarquer toutefois que « le nom de Cesson n'est pas prononcé ». — « Ceci explique, disent-ils en note, que dans la guerre de 1394, tous les historiens bretons copiant la chronique de Saint-Brieuc, parlent de cette ville comme si elle était fortifiée ; c'est qu'il s'agit toujours de sa forteresse », c'est-à-dire de Cesson. 

Et les mêmes auteurs ajoutent : « Malgré le luxe de précautions prises pour assurer la fidélité des deux frères (Montbourcher) la Tour ne fut pas longtemps aux mains du duc ; en effet, le 4 septembre, Clisson était sommé de remettre Cesson au duc » (T. II, p. 326-327). C'est vrai ! mais que s'est-il passé ? Est-ce que Cesson aurait été enlevé de vive force dans l'été de 1389 ? Nous en trouverions quelque trace dans la Chronique de Saint-Brieuc. Est-ce que Clisson l'aurait surpris ou obtenu des Montbourcher ? Non ! n'accusons pas le défaut de vigilance ou la déloyauté de ces preux. Ils ont su garder leur serment ; et Jean V nous est garant de leur fidélité : un jour il récompensera Simon de Montbourcher en l'attachant à sa personne [Note : En 1404, Simon de Montbourcher est nommé écuyer d'écuries à servir par quartier ; il a bouche en cour et deux chevaux à livrée et reçoit 6 livres 10 sols par mois (Lobineau, Pr. 552-567). — Simon avait en 1392 épousé Tiphaine Raguenel ; et ses descendants, quand ils produisirent à la Réformation de 1668, lui attribuèrent le titre de grand écuyer. — Voir mes Grands écuyers héréditaires de Bretagne] ; seulement les Montbourcher ont gardé au duc ce qu'il leur a confié « le chastel et forteresse de Saint-Brieuc », et non « le chastel de Cesson » dont ils ne furent jamais capitaines. 

Au XIVème siècle, on ne confondait pas ces deux forteresses. Nous allons voir que nos historiens de la guerre de 1394, dont un, le premier, écrivait à Saint-Brieuc même, quand ils parlent du fort de Saint-Brieuc, n'entendent pas parler du fort de Cesson. 

 

VI- 1389-1394.

Le traité de 1388 n'avait pas reçu d'exécution. Le duc ne remboursant pas les cent mille francs, Clisson ne rendait pas les places. Le 18 mars 1391, un nouvel arrangement fut ménagé par le Roi. Clisson consentit à céder la terre du Gavre et quelques autres pour obtenir les cent mille francs. Le paiement ne se fit pas. Enfin, la lassitude venant aux deux adversaires, par un nouveau traité du 26 janvier 1392, ils finirent par s'accorder. Le paiement des cent mille francs fut assuré à bref délai (Lobineau, Pr., col. 761), et Clisson n'eut plus de raison de refuser la remise des places. 

Mais le coup de poignard de Pierre de Craon, dont Clisson accusa le duc, dispensa le connétable de tenir sa parole (juin 1392). 

L'assassin s'enfuit en Bretagne ; le Roi marcha avec une armée pour venger son connétable. On sait comment un premier accès de démence arrêta Charles VI à la frontière bretonne. 

Clisson disgracié par le duc de Bourgogne, régent du royaume, fut condamné par contumace au banissement, au paiement de cent mille marcs d'or pour prétendues extorsions, et destitué de la charge de connétable. A peine rentrait-il en Bretagne que le duc croyant l'occasion favorable vint l'assiéger dans Josselin ; mais Clisson en était sorti la veille et s'était enfermé dans Moncontour, qui appartenait à sa femme, Marguerite de Rohan [Note : Moncontour avait été donné par Charles de Blois à Jean de Beaumanoir et Marguerite de Rohan, sa femme. Celle-ci épousa en secondes noces Clisson et lui porta Moncontour. — Lobineau, Hist., p. 416-419. C'était une place « très enviée » et à ce titre souvent assiégée, parce qu'elle « commandait plus de douze lieues de pays et que c'était un passage pour entrer en Basse-Bretagne ». Lobineau, Hist., p. 770]. 

Toutefois il rendit Josselin pour sauver sa femme qui y était enfermée ; et, sous les auspices du Roi, il demanda la paix. Pendant qu'on en discutait les conditions, le duc attaqua Moncontour, pilla les faubourgs de Lamballe, emporta La Roche-Derrien qui devait être remise au Roi ; et en présence des ambassadeurs du Roi et malgré leurs protestations, il rasa la place. 

Puis jugeant la campagne finie, il licencia tout son monde et se rendit à Morlaix pour chasser. 

Clisson saisit l'occasion. Le 13 juin 1394, il arrive devant Saint-Brieuc ; ses machines battent la cathédrale dont le duc venait d'augmenter les défenses ; et, après quinze jours, il est maître « du fort de Saint-Brieuc ». De là, il court au château du Perrier (paroisse de Kermoroch) dont le duc vient d'autoriser la construction [Note : Le duc avait autorisé la construction en 1383 (Lobineau, p. 446) en faveur d'Alain du Perrier, qui devint maréchal de Bretagne en 1393], et qui appartient à son favori Alain du Perrier ; il s'en empare après une semaine ; et, en représailles de la destruction de La Roche-Derrien, il le ruine de fond en comble ; puis satisfait de sa vengeance, il s'enferme dans Saint-Brieuc. 

Les auteurs des Anciens évêchés ont cru que Clisson s'était enfermé dans Cesson ; mais la chronique de Saint-Brieuc ne laisse, selon nous, aucune place au doute. 

Le chroniqueur écrit, en 1394, il est contemporain et vraisemblablement témoin des faits qu'il raconte. Or, que dit-il ?... Je traduis exactement les passages suivants (Lobineau, Pr., 863-864. —  Morice, Pr. I, col. 71, 72) : « Après la démolition du château du Perrier, Clisson ramena son armée dans la ville de Saint-Brieuc, il y séjourna, et s'y fortifia redoutant la venue du duc, n'osant aller plus loin de peur d'une rencontre avec le duc qui avait appelé à lui tous ses chevaliers et hommes d'armes »

A ces nouvelles, le duc laisse là la poursuite du cerf et du sanglier ; il court à Vannes, rassemble « une armée de cinq mille cinq cent cinquante-six hommes ; deux mille cinq cents chevaliers et hommes d'armes portant leurs armoiries peintes sur leurs surtouts (tuniculis), trois mille cinquante-six arbalétriers, archers ou serviteurs bien armés ». Il les partage en trois corps, leur adresse une harangue à la Tite-Live qu'interrompent leurs clameurs guerrières, « et leur donne rendez-vous dans la ville de Saint-Brieuc où Clisson se tient avec nombre de français, afin de le combattre et le contraindre à sortir du fort. Quand le duc fut arrivé avec son armée devant la ville, il requit Clisson et les Français de sortir de la ville et de venir combattre en rase campagne, il leur offrit même le choix du champ de bataille, et longtemps, pendant cinq ou six jours, en prince audacieux et belliqueux, il les attendit sur la grève d'Hillion, les sommant nombre de fois de venir combattre, mais ils ne l'osèrent pas... ». « Clisson se garda bien de quitter une retraite sûre et fortifiée : il n'osait pas combattre son seigneur lige ; il savait que s'il était pris combattant, il ne sortirait pas vivant des mains du duc ». Il savait que le duc avait dit : « J'aurais plus de plaisir à le rencontrer et à voir couler son sang, qu'à trouver une fontaine d'eau vive après avoir enduré la soif pendant trois jours ». Clisson avait pourtant en sa compagnie, outre des nobles bretons « des français, normands, manceaux, angevins, gascons, au nombre de deux mille enfermés avec lui dans le lieu (le fort) de Saint-Brieuc »

Est-ce clair ? Et comment ne pas s'en tenir avec tous les historiens bretons, au texte même du chroniqueur ? Il habite la ville de Saint-Brieuc. Comment ne serait-il pas bien informé ? Il est sur les lieux, il compte jusqu'au dernier les hommes de l'armée du duc ; il a vu défiler cette armée ; il a vu les armoiries peintes sur les écussons des deux mille cinq cents chevaliers ou hommes d'armes du duc. 

Ce briochin ne confond pas la ville de Saint-Brieuc avec le fort de Cesson. Quand il dit « Ville de Saint-Brieuc » il ne veut pas dire « Fort de Cesson »

On ajoute : « Pour peu qu'on ait étudié les lieux et l'histoire locale il est évident que ce fut dans le château de Cesson que le connétable s'enferma et qu'il fut assiégé par le duc ; autrement comment ce dernier lui aurait-il offert la bataille dans la grève d'Hillion, au pied de la Tour ? »

L'histoire locale du temps nous est dite par le Chronicon briocense et nous venons de la lire ; quant à l'évidence résultant de l'étude des lieux elle ne nous apparaît pas. Pour faire battre deux armées, l'une de 5,556, l'autre de 2,000 hommes, il fallait une vaste plaine : pas un champ dans tout le pays comparable à la grève d'Hillion ! De là peut-être le choix du duc ? 

S'étonnera-t-on que Clisson ait mieux aimé s'enfermer dans le fort de Saint-Brieuc que dans le fort de Cesson ? C'est le contraire qui pourrait surprendre. En effet Clisson avait ses raisons décisives. 

Nous allons voir la forteresse de Cesson reconstruite dans les années suivantes ; elle n'a pas subi de siège aux derniers mois de 1394 et au cours de l'année 1395. Nous pouvons conclure de là que, au moment où le duc menaçait Clisson à la tête de 5,500 hommes, Cesson était hors d'état de résister à une puissante armée. 

Au contraire, le fort de Saint-Brieuc avait vu augmenter ses anciennes défenses par Clisson en 1375, puis par le duc lui-même tout récemment. Clisson venait d'y ajouter de nouvelles défenses. Le fort de Saint-Brieuc faisait bonne figure ; et ce qui le prouve, c'est qu'il n'est pas sûr que le duc qui s'était heurté inutilement contre lui en 1375 ait essayé d'en faire le siège en 1394. 

D'Argentré raconte, il est vrai, que le duc « fit asseoir son camp au devant de la ville, et lever tout autour de ce camp de grands fossés et tranchées pour n'estre pas chargé par dehors, et se tint au siège ainsi quelque temps » [Note : P. 689. — Il y a dans ces pages quelques fautes d'impression dans les dates. Ainsi après avoir dit que Clisson mit le siège devant « la ville de Saint-Brieuc » le 19 juin 1394 (p. 685), il est écrit (p. 686) qu'il alla assiéger le château du Perrier, le 1er jour de juin 1393]. Mais l'auteur de la Chronique ne mentionne pas ces préparatifs, qui du reste sont des travaux plutôt de défense que d'attaque. Selon lui, le duc se borna à sommer Clisson de sortir pour venir combattre en rase campagne. Mais le connétable était trop avisé pour se commettre à une rencontre avec son seigneur lige, quand il ne pouvait opposer que deux mille étrangers à une troupe de 5,500 hommes dont les nobles bretons, chevaliers ou écuyers, formaient presque la moitié. Le duc, quand il alla attendre le connétable sur la grève d'Hillion, savait bien qu'il ne viendrait pas au rendez-vous. 

Si cette démonstration n'avait pas convaincu, voici des actes authentiques qui établissent la réalité des sièges soutenus par l'église et le fort de Saint-Brieuc. 

La nécessité de la guerre pouvait contraindre les uns à transformer l'église en forteresse, les autres à la battre de machines ; mais les uns et les autres ne se portaient pas à ces extrémités sans scrupule et sans remords. L'église gardait les tombeaux glorieux de saint Brieuc et de saint Guillaume ; ses dalles s'étaient usées sous les genoux des pèlerins des Sept-Saints : c'était plus qu'il n'en fallait pour rendre l'église sacrée entre toutes. 

Nous trouvons la trace de ces scrupules religieux dans le testament de Clisson ; et nous en voyons l'expression encore plus nette dans le testament de sa femme Marguerite de Rohan. 

Le 5 février 1406, Clisson ordonne qu'un service solennel soit célébré dans l'église au jour anniversaire de son décès, et donne une somme de cent écus pour être convertie en rentes ; puis il ajoute : « Item, je donne et laisse à l'église de Saint-Brieuc pour la réparation d'icelle CCC livres » [Morice, Pr. II, col. 780. —  M. de la Villerabel (A Travers le Vieux Saint-Brieuc, p. 120, note) a donné la première disposition de Clisson ; mais il a omis la seconde]. 

De son côté, en janvier 1406, Marguerite de Rohan donne « es fabriques de l'église cathédrale et du manoir épiscopal de Saint-Brieuc, pour ce qu'elles ont été endommagées par les guerres, à chacune desdites fabriques, cinq cents livres » (Morice, Pr. II, col. 777). 

Le duc Jean V entra dans la même pensée. Se rappelant que son père a combattu contre l'église de Saint-Brieuc, témoin de l'état de dégradation et presque de ruine où la guerre l'a mise, il donne au chapitre, en 1431, la somme de quatre cents livres, pour l'aider à réédifier la cathédrale [Note : Anciens évêchés, t. I, p. 215. Les auteurs citent un manuscrit de la Bibliothèque nationale (supp. fr., n° 242) ; et rapportent à cette époque la reconstruction des voûtes du transept, de la fenêtre midi du transept midi, et de la tour midi, qui fut garnie de machicoulis] ; quelques années plus tard, il fait bien plus : il crée dans la cathédrale une dévotion, un pèlerinage, qui dans sa pensée, doit enrichir l'église et lui permettre de panser ses blessures. 

Le duc a obtenu du Saint-Père « que tous ceux qui visiteront dévotement et en bon état cette église, et qui y donneront de leurs biens aux festes de Saint-Brieuc, du Saint-Sacrement et de la dédicace de Saint-Michel, gaigneront celles indulgences et rémissions de péchés que gaignent ceulx qui visitent l'église de Tréguer au prochain dimanche après la feste de la Trinité » [Note : Annuaire des Côtes-du-Nord, 1859, p. 11-14. — Il s'agit sans doute des indulgences accordées par la bulle de canonisation de saint Yves, du 19 mai 1347. Albert Le Grand, Vie de Saint-Yves, p. 275. Les bonnes intentions de Jean V furent méconnues et la bulle du pape amèrement critiquée. « Aucuns envieux, dit le duc, publiaient que le temps de telles indulgences était passé » et suppliaient le Saint-Siège de les abolir. C'est pourquoi le duc adresse à « ses justiciers, sergents et autres officiers, mandement de défendre, de dire, faire ou proposer au contraire des indulgences... sous peine d'encourir son indignation perpétuelle ». Soyons plus indulgents que Jean V et pardonnons à ceux qui s'opposaient à la concession des indulgences. C'est à leur opposition que nous devons ce mandement du duc]. 

Dans un mandement du 23 avril 1436, daté de la Tour de Cesson, le duc explique que ses dons à l'église de Saint-Brieuc et la faveur qu'il vient de lui obtenir ont une double cause : « Sa singulière dévotion aux saints et glorieux confesseurs saint Brieuc et saint Guillaume, patrons et fondateurs de l'église » ; et aussi sa volonté de réparer « les grandes oppressions et dommaiges que l'église avec la cité a soufferts par les hostilitez et guerres des ennemis de nous et nos prédécesseurs... icelle église devenant en ruyne et destruction si n'y eussions pourvu ». Mais reprenons notre récit.

 

VII- 1395.

La paix allait enfin se faire entre les deux amis d'enfance devenus ennemis mortels. Le duc avait désormais des fils pour héritiers du duché (Note : Pierre, nommé depuis Jean, et qui fut Jean V, était né le 24 décembre 1389, et Arthur de Richemont, le 25 avril 1393). Clisson devait renoncer à voir ses descendants ceindre la couronne ducale. Jean IV se sentait vieillir, il pensa qu'il valait mieux pour ses enfants mineurs avoir Clisson pour ami que pour ennemi. Il eut un bon mouvement : il fit à Clisson des propositions de paix, et, en preuve de sincérité, lui envoya comme otage son fils aîné âgé de six ans. Le rude connétable fut touché, et ramenant l'enfant à son père, se mit lui-même entre les mains de Jean IV. Tels furent les préliminaires du traité d'Aucfer (19 octobre 1395). Une des conditions du traité était la remise de Cesson aux mains du duc [Note : Cesson était certainement compris dans les « terres prises et saisies. pour occasion des débats » qui devaient être « mises à délivre de part et d'autre » (Morice, Pr. II, col. 656)]. 

C'est donc à la fin de 1395 que Jean IV rentra en possession de Cesson. C'est à cette époque au plus tôt qu'il a pu commencer la réparation ou la reconstruction de la forteresse, et poser au-dessus de la porte ses armoiries et celles de Jeanne de Navarre. C'est sans aucun doute de la date du traité d'Aucfer que Delaporte s'est autorisé pour fixer à la date précise de 1395 la reconstruction de Cesson [Note : Delaporte, (Recherches sur la Bretagne, I, p. 230) écrit : « Dans la même année (1395) fut bâtie la Tour de Cesson ». Et à la page précédente il donne la date, 10 octobre 1395, du traité d'Aucfer. Mais le traité fait entre Clisson et les mandataires du duc ne fut juré et scellé par le duc que le 26 octobre à Guingamp. Il est clair que Cesson n'a été rendu au duc qu'après l'échange des sceaux ; est-il croyable que celui-ci ait commencé la construction de Cesson dans les deux derniers mois de l'année ?]. 

Tout ce que l'on peut dire, semble-t-il, c'est que cette réfection et la pose des armoiries ont eu lieu entre 1395 et 1399, date de la mort de Jean IV. 

Mais Jean IV ne vit pas la Tour achevée. En effet, au printemps de 1407, il semble qu'elle n'était pas encore couverte. Nous trouvons, daté du 16 avril 1407, un mandement de Jean V ainsi conçu : « Seurté (sûreté c'est-à-dire sauvegarde) à Jehan Cantel, anglois, et à un autre anglois en sa compaignie ou autres ses fateurs (facteurs) savoir est : Jehan Quetier, Olivier du Boais-Bily (Boisbilly), Thomas Predriel et Geffroy Le Perdu, jusques à un an pour mener les blez de Mgr en Engleterre et apporter du plon pour couvrir la Tour de Cesson » (Actes de Jean V, n° 558). 

De ce qui précède il résulterait que la Tour de Cesson a été reconstruite entre 1395 et 1407. Mais, de ce que la Tour n'était pas encore couverte en plomb à cette dernière date, il ne faudrait pas conclure que plusieurs années auparavant elle ne fût déjà occupée par une garnison. Voici la preuve de ce fait : 

En 1389, Jean IV avait nommé Louis de Robien capitaine de Cesson (M. de Courcy, III, p. 45). Dix ans plus tard, Jeanne de Navarre, tutrice de son fils, remplaça Robien par Etienne Gouéon (Gouyon), chevalier, amiral de Bretagne, qui, en 1392, avait été capitaine de Rennes. Louis de Robien s'obstina à garder Cesson, et les sommations de la duchesse restèrent sans résultat. — Enfin, le 19 janvier 1400, après plus de deux mois, la duchesse lui fit faire « au nom d'elle et de son fils » une dernière sommation de sortir de Cesson sous peine d'être déclaré traître et déloyal (Note : Morice, pr. II, 703. — Etienne devint maréchal de Bretagne. Il a été la tige des Gouyon de Beaufort). Le porteur de ces menaces était Bertrand de Goyon, sire de Matignon, frère du nouveau capitaine, qui avait suivi du Guesclin dans toutes ses expéditions et porté sa bannière à Cocherel. Cet appel à l'honneur de Louis de Robien porté par un tel messager fut entendu, et Etienne de Gouyon entra en possession ; mais il n'eut pas longtemps la capitainerie. 

En effet pendant la minorité de Jean V (1399-1405) nous voyons se succéder plusieurs capitaines. 

C'est d'abord Alain de la Houssaye, qui prête serment le 28 novembre 1402 (Original, Archives Loire-Inférieure, E. 135 et 140). Il est encore en possession du poste le 13 janvier 1404 (D. Morice, II, 739).

Après lui vient Eon ou Yvon Marquier (1404) (D. Morice, II, 731) (Note : Ailleurs on trouve Eon Marquier, en 1403, ancien capitaine de Cesson). 

D'Argentré nomme en outre plusieurs capitaines « de la forteresse de Cesson » dont le duc de Bourgogne reçut le serment pendant la minorité du duc, c'est-à-dire avant le 14 janvier 1405. Ces capitaines sont « Messire Jean du Juch et Jean de Lannion chevalier », puis Jean Le Fesle, écuyer, sieur de la Villegourez (p. 709). 

Au même endroit d'Argentré mentionne Jean Raguenel, vicomte de Dinan, et Guillaume Brossay, admis au serment pour « la garde de la ville de Saint-Brieuc » (p. 710). 

C'est avec raison, selon-nous, que la mention simultanée de capitaines de Cesson et de Saint-Brieuc a été relevée comme une preuve de la coexistence de deux forteresses distinctes [Note : M. de la Villerabel (Le Vieux Saint-Brieuc, p. 119 et 120). — L'auteur dit en citant les Actes de Bretagne « ville et château de Saint-Brieuc ». Le mot château ne se trouve pas au texte de d'Argentré]. Nous retrouverons le même fait un peu plus loin. 

 

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VIII- GUERRE MARITIME. 1386-1407.

Le soin qui présida aux travaux entrepris à Cesson témoigne assez de l'intérêt que Jean IV attachait au poste dont il était enfin maître ; et ce qui suit explique l'importance de ce poste. 

Les chroniqueurs nous donnent, sans y prendre garde, une idée incomplète des guerres de cette époque. Ils se sont attachés à mettre en pleine lumière les faits d'armes accomplis sur le continent ; mais les exploits accomplis sur mer ont été laissés dans l'ombre. Or à cette époque, la Manche fut le théâtre d'une lutte presque continuelle. 

Lorsque Napoléon préparait l'expédition de Boulogne, songeait-il que quatre siècles avant lui, un Roi de France, Charles V, avait conçu le même projet : aller chercher et vaincre les anglais chez eux ? Après la mort du Roi (1380) les régents du royaume poursuivirent son plan ; et, en 1386, près de treize cents bâtiments étaient réunis dans le port de l'Ecluse n'attendant que le signal du départ ... qui malheureusement ne vint pas. L'année suivante, Clisson faisait construire à Tréguier une ville de bois démontable, que soixante-douze navires devaient porter (Lobineau, p. 454) ; et dans laquelle il comptait bien, vainqueur au débarquement, camper sur la terre anglaise. 

Mais si le connétable revient en Bretagne après avoir vaincu les Anglais chez eux, quelle sera sa puissance ! Jean IV s'en effraie d'avance : d'ailleurs il veut regagner les bonnes grâces du roi d'Angleterre .... que faire ? Il fait arrêter le connétable à Vannes. 

Jamais peut-être le duc Jean IV n'a plus utilement servi l'Anglais et mieux justifié le jugement et les conseils de Charles V mourant : « Le duc de Bretagne est un homme cauteleux et divers ; et il a toujours été plus Anglais que Français. Tenez en amour les bonnes villes et les nobles de Bretagne, et ainsi vous lui brisez ses intentions (M. Guizot, Histoire de France, II, p. 205) »

Mais quelques années plus tard (1399) la situation change : Jean IV meurt, et le jeune duc Jean V est sous la tutelle du duc de Bourgogne. Celui-ci l'emmène à Paris, quand sa mère devenant reine d'Angleterre se dispose à quitter la Bretagne (1er Janvier 1403). 

Les Bretons libres de leurs mouvements vont courir sus à l'Anglais. Sur le conseil de Clisson, ils arment une flotte, et pour leur début capturent ou détruisent une flotte anglaise. 

Mais ce premier succès déchaîne sur nos côtes les corsaires anglais. Pour ne rappeler que deux faits, la ruine de Penmarch et le sac de Saint-Mathieu (1403) épouvantèrent toute la Bretagne (Note : Lobineau, p. 593. — On lit dans l'histoire de Dom Taillander, I, p. 433, Saint-Malo au lieu de Saint-Mahé. C'est assurément une faute d'impression. Ce que l'auteur ajoute ne peut se rapporter à Saint-Malo. L'erreur est du reste démontrée par un mandement de Jean V, Actes, t. II, n° 740). 

S'étonnera-t-on de cette activité des bretons dans la guerre maritime ? 

Elle s'explique quand on sait que le commerce de mer était en Bretagne, et dès le milieu du XIIIème siècle, bien plus important que l'on ne s'imagine aujourd'hui. Dès 1240, des bourgeois de Morlaix, Lannion et Guingamp, enrichis par le commerce, prêtaient de grosses sommes au vicomte de Léon, Hervé Le Prodigue (Lobineau, Hist., p. 274). Un peu plus tard le duc Jean Le Roux, un des grands capitalistes du temps et qui ne risquait pas ses écus, prenait pour associé d'une entreprise commerciale Guillaume Rémon, bourgeois de Lamballe (1271) (Morice, Pr. II, col. 1037). 

Un peu plus tard, en 1297, le roi Philippe Le Bel apprend que beaucoup de marchands (nous dirions aujourd'hui d'armateurs) bretons sont en relations avec l'Angleterre ; il suspecte ces relations et il obtient du duc Jean II l'autorisation de faire une enquête sur ce point. L'enquête a lieu en dix-sept localités de notre côte nord, savoir : Cancale, Dol, Le Vivier, Saint-Malo, Dinan, Jugon, Lamballe, Saint-Brieuc, Châtelaudren, Guingamp, Tréguier, Lannion, Morlaix, Saint-Pol-de-Léon, Landerneau, Brest, Saint-Mathieu... « preuve préremptoire, conclut M. de la Borderie, de l'extension du commerce breton à la fin du XIIIème siècle (Cours d'histoire de Bretagne, II, p. 138) »

Un siècle plus tard, il en va de même. Seulement la guerre, comme toujours, paralyse le trafic. Les navires bretons vont-ils donc tristement pourrir au port, et les matelots vieilliront-ils « attachés au rivage ? » Non : le roi de France saura leur trouver un utile emploi : Il leur montre les navires anglais à capturer sur la Manche, et, au-delà de l'étroit canal, des villes opulentes dont les richesses seront à ceux qui les iront prendre. L'honneur de la victoire viendra par surcroît ; mais, confessons-le, ce qui stimule surtout la courageuse ardeur des bretons c'est l'appât du gain. C'est à qui obtiendra des lettres de marque. 

Les matelots savent carguer la voile et manier dextrement la lourde rame ; mais pourraient-ils soutenir le choc d'hommes de guerre ? Non ; mais des hommes d'armes et même des chevaliers seront de la partie. Ils vont former la garnison des navires bourgeois armés en guerre. 

Chaque printemps nos ports saluent le départ de hardis corsaires ; et ceux-ci descendent sous l'horizon plein d'espérance, invoquant les saints fondateurs de la Bretagne, Pol, Tugdual, Brieuc, Samson, Malo : ces saints furent chassés autrefois de l'île de Bretagne par le même ennemi que les Bretons vont chercher, comment ne protégeraient-ils pas les corsaires bretons ? 

Après quelques mois, quelques semaines, ceux-ci vont revenir chargés de butin anglais ; et quand la foule accourue au devant d'eux sur le rivage leur demande d'où ils viennent, ils répondent avec une joyeuse fierté : «De Falmouth et de Dalmouth, que nous avons mis à sac (1404), de l'île de Portland et de Southampton que nous avons brûlés, de Jersey que nous avons pris (1405), de chez nos frères de Galles que nous avons arrachés au joug anglais » (1405) (Révolte du pays de Galles sous Glendor ou Glendower, 1405). Ces succès sont, cela va sans dire, entremêlés de revers ; mais les revers provoqueront de nouveaux efforts et seront vengés [Note : Le plus cruel revers fut celui de l'expédition commandée par Guillaume du Châstel, de la Jaille et le seigneur de Châteaubriant (en 1404). — Du Chastel fut tué et les hommes d'armes et chevaliers qui survivaient en petit nombre faits prisonniers. — Il est dit partout que l'année suivante Tanneguy du Chastel vint à la rescousse et vengea son frère ; mais le fait est très douteux. Il semble au contraire que Tanneguy faisait partie de l'expédition de 1404 et fut fait prisonnier. — Voir La Lutte sur mer au XIVème siècle]. 

Ces expéditions maritimes ne furent suspendues qu'après 1407. 

Le duc Jean V prétendit garder la neutralité entre la France et l'Angleterre afin de maintenir la Bretagne en paix. Il faisait avec l'Angleterre « des traités et entrecourses de commerce » ayant pour but de soustraire aux corsaires les navires de commerce. Mais en même temps, favorable à la France, s'il ne lui envoyait pas des secours directs, il favorisait sous main le recrutement de compagnies qui allaient joindre les armées françaises. 

Une seule fois la paix fut rompue par le duc ; c'est en 1415, lorsque prenant résolument parti il envoya à l'armée française un renfort de dix mille hommes qui aurait peut-être changé le sort des armes à Azincourt, si les princes français avaient eu la sagesse d'attendre les Bretons pendant un jour. — Mais ils prétendaient vaincre sans eux ! [Note : Le Roi rendit Saint-Malo à Jean V (en 1415) en récompense des dix mille hommes qu'il avait armés pour la campagne]. 

Quand la paix est si précaire, il est sage de se tenir sur ses gardes. Le duc savait bien que les victoires, les pillages, les violences des coureurs d'aventures bretons appelaient des représailles : de là pour lui la nécessité d'assurer la défense des côtes et d'établir de proche en proche des postes fortifiés. Ces postes avaient une double destination : défendre l'entrée des ports et des havres et éclairer au loin l'approche de l'ennemi. 

Aucun n'était mieux placé que la Tour de Cesson. Elle protégeait le Légué et la baie d'Hillion ; et le guetteur juché dans la guérite à près de trois cent cinquante pieds au-dessus de la grève pouvait explorer la mer depuis l'entrée du Trieux jusque vers l'entrée de la Rance. 

 

IX- 1405-1420.

Le 14 janvier 1405, Jean V était devenu majeur ; il rentra en Bretagne. En décembre il donna à Cesson un capitaine d'un nom illustre, Robert de Beaumanoir (Actes de Jean V, n° 153), qui, le 17 octobre 1406, fut remplacé par Alain de Gourmelen (Actes de Jean V, n° 350). 

Ce capitaine arriva sans doute porteur d'instructions sévères contre Saint-Brieuc. Jean V avait eu, l'année précédente, à se plaindre des habitants de la ville qui avaient maltraité ses officiers, et il avait, disent les historiens, « envoyé contre eux son frère de Richemont avec des gens de guerre » [Note : Le Baud, P. 440. — Lobineau semble renchérir sur Le Baud quand il présente ce fait « comme le premier exploit » du futur connétable (p. 510). Mais Arthur de Richemont né le 29 août 1393 avait alors à peine treize ans. Son frère ne l'envoya sans doute à Saint-Brieuc que pour le montrer. Comment cet enfant aurait-il décidé du sort des rebelles ?]. 

Alain Gourmelen remplit ses fonctions à la satisfaction du duc : en mai 1407, nous voyons celui-ci faire présent au capitaine de Cesson d'un « tonneau de vin d'Aunis » [Note : Actes de Jean V,  n° 693. Un présent de ce genre était alors assez habituel : vers le même temps le duc Jean V donnait au sire de Châteaugiron, maréchal de Bretagne, un tonneau de vin de Lieppe (sic), (n° 404) un peu après à Jehenne de Boismorand « un tonneau de bon vin », (n° 411) et à Robert de Craffort, capitaine de Vannes « deux pipes de bon vin d'Aunix », (n° 669). Il paraît même qu'un tonneau de vin servait d'enjeu. En septembre 1407 le duc perdit un tonneau de vin d'Aunis en jouant à la paume contre Pierre de Rostrenen (n° 939). Les cadeaux en nature étaient très à la mode, depuis les coupes d'or, jusqu'à du drap à six sous l'aulne. Pierre de Rostrenen dont il vient d'être question, est Pierre VII ou son illustre fils Pierre VIII, qui devint lieutenant du connétable de Richemont et capitaine de Paris reconquis sur les Anglais. Il y mourut en 1440. L'aînée de ses filles, Marguerite, épousa Jean, seigneur de Pont. De là l'union des deux seigneuries qui a duré plus de deux siècles]. 

A cette époque, outre la garde de la forteresse, les capitaines de Cesson avaient la charge non seulement de prisonniers d'Etat, comme nous le verrons tout à l'heure, mais de prisonniers poursuivis pour des délits communs. C'est ce que nous révèle un mandement de Jean V, du 23 mars 1407. Il donne l'ordre à Alain Gourmelen de « mettre Jehan Debrun à délivre de l'arrest où il est au lieu de Cesson, et de li enjoindre de se rendre ès prochains plez de Nantes, s'il voit l'avoir affaire, parce que le sieur de la Jaille s'est obligé à peine de C livres qu'il fournira droit » (Actes de Jean V, n° 465). 

Nous avons vu le duc Jean V envoyant en 1407 chercher du plomb en Angleterre pour la Tour de Cesson. 

La reconstruction de la Tour s'acheva-t-elle en cette campagne ? On serait tenté de le croire ; et peut-être le duc voulut-il se rendre compte par lui-même des travaux accomplis. Le 17 octobre 1407, nous le trouvons à Moncontour ; le 24, il est à Saint-Brieuc. 

Pendant son séjour le duc reçut les comptes de son receveur de Cesson, Jean Regnard. Celui-ci avait poussé le zèle jusqu'à la rapacité. Le 30 juillet 1406, le duc avait saisi le temporel de l'évêché de Tréguier « pour certaines et justes causes », et le receveur de Cesson avait été nommé receveur du regaire de Tréguier pendant la « main-mise » du duc. Regnard imagine de saisir les dîmes consacrées au culte. Par un mandement du 24 octobre, Jean V déclare « ne vouloir se mêler des choses spirituelles » et ordonne la restitution (Actes de Jean V, n° 324 et 956). 

Mais cette leçon est perdue. Le zèle de Regnard ne se refroidit pas. Chargé peu après de la « cueillette » des fouages de l'évêché de Saint-Brieuc, il y commet de grosses extorsions dans l'intérêt du duc ; mais celui-ci « ne voulant ceux maléfices estre ne demeurer impugnis », et ne pouvant apparemment connaître les personnes auxquelles les deniers ont été extorqués, en fait don à son trésorier général, Guillaume Preczart, que les gens de la comtesse de Penthièvre venaient de ruiner (Note : Actes de Jean V n° 1081. — Ce don prouve l'importance des extorsions. L'acte daté du 27 août 1409 renvoie aux premières rébellions de Marguerite de Clisson, en 1408. V. Lobineau p. 515 et suivantes. — Preczart fut attaqué et dépouillé entre « le manoir des Châtelets et la ville de Quintin »). 

Le duc resta quelques jours à Saint-Brieuc, puisque le 10 novembre seulement, nous le trouvons à Moncontour, retournant à Rennes ; c'était alors la route habituellement suivie.

Ce n'est pas Jean V qui eût mérité le surnom de fainéant ! Il voyageait presque chaque mois. Sans parler de ses voyages de France, un, quelquefois deux par an, presque chacune des années de son long règne on trouve le duc « aux quatre coins du duché ». L'hiver même ne lui est pas un obstacle. Saint-Brieuc est une des villes de Bretagne qui a le moins souvent reçu la visite de Jean V, et pourtant nous le trouvons en cette ville au moins sept fois (Note : Les actes signés par Jean V au cours de ses voyages fournissent des indications certaines. Voir dans l'introduction de M. Blanchard l'Itinéraire de Jean V, I, p. CXVII à CXXIV). 

Nous l'y avons vu en 1407 ; il y revint en février 1418. Mais ce ne fut pas Alain de Gourmelen qui reçut le duc à Cesson ; il avait été remplacé par Jean de Lannion, qui avait prêté serment le 21 juillet 1414. (Archives Loire-Inférieure, E. 140).

Pendant ses séjours en chaque ville le duc recevait les réclamations et y faisait droit : c'est ainsi que de Saint-Brieuc le duc statue sur la plainte du sr. de Saint-Denoual, mineur, à propos d'une succession obérée [Note : M. de la Villerabel (A travers le Vieux Saint-Brieuc, p. 95) place ce voyage du duc Jean V, en 1419. C'est sans doute une faute d'impression. Le voyage est de 1417 (vieux style) ou 1418 (nouveau style). — Le même auteur mentionne un mandement signé par le duc en faveur des mineurs. Ce mandement n'a pas le caractère de règlement général. D. Morice (pr. II, 957-958) donne ce mandement avec la date (v. s). du 2 février 1417]. 

L'année suivante (1419) le duc atteint de la rougeole à Rennes promit de faire le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne. Après sa guérison, il partit avec le sire de Porhoët, pour faire à pied le voyage dit Tro-Breiz ou tour de la Bretagne [Note : Lobineau p. 538. On a souvent hésité (et Lobineau lui-même) sur les noms des Sept Saints de Bretagne. Lobineau, p. 538 nomme parmi eux saint Méen et saint Judicaël. Mais dans sa préface il établit ainsi la liste qu'il a prise à l'autel des Sept Saints dans la cathédrale de Quimper : Corentin, Pol, Tugdual, Brieuc, Samson, Malo et Patern. Il dit au même endroit et on a souvent répété qu'il y avait une route pavée exprès pour les pèlerins : c'est-à-dire que les pèlerins suivaient le plus qu'ils pouvaient les anciennes voies romaines. Ils en trouvaient une de Vannes à Quimper, une autre de Quimper à Morlaix ; et après avoir visité Saint-Pol ils revenaient par les voies les plus voisines de la côte nord. Il existe encore en ces parages des chapelles ou fontaines dédiées aux Sept Saints. — Du reste la liste ancienne des Sept Saints fut quelquefois modifiée : ainsi en 1518 on voit saint Guillaume canonisé en 1247 substitué à saint Corentin. (Testament de Nicolas Coetanlem cité par M. Le Men. La Cathédrale de Quimper, p. 192 et 193)]. Le 29 octobre, nous trouvons le duc à Jugon ; il revient sans doute de prier saint Malo et saint Samson ; il sera, le 15 novembre, à Saint-Pol, et, dans l'intervalle, il a passé à Saint-Brieuc. 

Même en l'année 1420, qui fut si tristement marquée par l'emprisonnement de Jean V, le duc fit de nombreux voyages. Il est vrai que les treize étapes marquées du 13 février au commencement de juillet il les a faites comme prisonnier des Penthièvre. 

Enfin ceux-ci le ramènent à Champtoceaux : l'attitude des seigneurs bretons leur a fait comprendre qu'ils ne peuvent plus longtemps retenir le duc ; du moins vont-ils lui faire payer sa liberté le plus cher possible. Une des conditions du traité c'est la réunion au comté de Penthièvre de Moncontour, Jugon et Cesson (Lobineau p. 550). Le duc promit, se promettant bien une fois libre de se faire dégager de ses promesses ; en sorte que, depuis 1122, au moins en droit, la seigneurie de Cesson a été du domaine ducal. 

Aucun fait mieux que l'attentat des Penthièvre n'a montré l'unité de la Bretagne, et son attachement au souverain. Ce ne sont pas seulement les nobles liés par leurs serments individuels au duc qui combattent pour lui ; de simples bourgeois, et même du comté de Penthièvre, se mettent de la partie, notamment un de Saint-Brieuc, un autre de Plestan ; et des populations rurales même du Penthièvre, par exemple celle de Bréhat, ne se montrent pas favorables à l'entreprise de Marguerite de Clisson et de ses fils. Ces dévouements et cette fidélité nous sont appris par les mandements de Jean V qui les récompensa. 

Saint-Brieuc a perdu la mémoire de Guillemot Quinyo. C'était un bourgeois de notre ville. Sans être tenu au service de guerre, il avait été « en bon et suffisant appareil d'armes à ses grands frais et coustages », et il se « gouverna notablement ainsi que les nobles », aux sièges de Châtelaudren et de Chantoceaux. Le 20 septembre 1420, le duc lui accorda l'exemption de fouages « à la condition qu'il continuât à servir en armes », et Quinyo accomplissant cette condition se comportait vaillamment en 1426, au siège de Saint-James de Beuvron (Actes de Jean V, n° 1442 et 1496). 

Le duc fut plus généreux envers Eon Mocher, de la paroisse de Plestan. « En considération des bons et agréables services qu'il avait rendus aux guerres », il lui accorda la noblesse, « car il est habile et suffisant » ; « à la condition de servir en armes comme les autres nobles » (Actes de Jean V, n° 1778). Cet anoblissement est signé de Saint-Brieuc, le 4 novembre 1427. 

Enfin le château de Bréhat avait été compris parmi les places des Penthièvre que le duc avait fait ruiner. L'île était ainsi exposée sans défense aux ravages des corsaires anglais ; les habitants payaient pour la faute des Penthièvre bien qu'ils n'en eussent pas été complices. Jean V, qui venait de donner Bréhat au comte de Richemont, accorda aux bréhatins le renouvellement de leurs anciennes franchises et l'exemption de toutes taxes et amendes. Il récompensait ainsi leur fidélité et leur tenait compte d'avance des ravages auxquels les exposait la destruction du château. Ce mandement fut signé à Saint-Brieuc, le 12 décembre 1423 (Actes de Jean V, n° 1575).

 

X- 1420-1436.

Le duc séjourna de nouveau à Saint-Brieuc, à Cesson ou au manoir de Langarzeau, (paroisse de Pludual) du 12 décembre 1423 au 10 janvier 1424. 

A Langarzeau, Jean V était l'hôte d'Olivier de la Feillée, ce preux chevalier qui fut le compagnon de captivité d'Arthur de Richemont, lorsque le soir d'Azincourt (25 octobre 1415), le futur connétable fut retiré de sous les morts tellement défiguré que les armoiries peintes sur sa cotte d'armes le firent seules reconnaître [Note : Lobineau, p. 528. Olivier était écuyer de Richemont. Un Olivier de La Feillée est mort le 27 août 1450. M. de Couffon de Kerdellec, I. p. 530 et II, p. 398. On lit au Dictionnaire d'Ogée (II, p. 354), Langarzeau était, en 1500, à Pierre de La Feuillée. Jollivet (I, 367), écrivant La Fouillée copie cette indication très insuffisante. Les réformations de 1423, 1428, 1441, 1469, 1513 et 1535 mentionnent le sire de la Feuillée à Pludual. — Une géographie récente des Côtes-du-Nord dit : « l'antique et célèbre forteresse de Languerzeau ». Célèbre par quoi ? Le nom de Languerzeau ne figure pas dans nos histoires de Bretagne. Voici un titre à la célébrité : le séjour de Jean V en 1423 et 1424]. 

Pendant ce séjour, outre le mandement relatif à Bréhat, le duc signa d'autres actes. Le 19 décembre, de Langarzeau, il approuve la prise de possession par le chapitre de Tréguier des paroisses de Plouguiel et Plougrescant, à raison de la fondation qu'il avait faite en 1420 en l'honneur de la Trinité, de saint Tugdual et saint Yves (Actes de Jean V, n° 1576). 

C'est de Saint-Brieuc que, le 9 janvier 1424, le duc abandonnait les dîmes de Plounéour-Trez en faveur de la fondation du collège de Notre-Dame-du-Folgoët, faite par lui en 1422 (Actes de Jean V, n° 1577). 

Enfin c'est, de Langarzeau que le lendemain, 10 janvier, il ordonnait au receveur de la Roche-Derrien de laisser les habitants de Tréguier jouir de leurs anciennes franchises (Actes de Jean V, n° 1578). 

Le capitaine de Cesson dut être un peu troublé de la visite du duc. Voici pourquoi : En 1422, la Tour avait reçu un prisonnier de marque, Morice Plusquellec, fils d'un chambellan du duc. Morice avait figuré sur la liste des cent quarante cinq gentilshommes ligués contre les Penthièvre pour la délivrance du duc ; mais peut-être n'avait-il fait que le métier d'espion ? Du moins donna-t-il prise au soupçon quand, revenu brusquement aux Penthièvre, il alla les joindre à la Rochelle, arma des navires et vint ravager les côtes de Bretagne. 

Le procureur général du duc parvint à se saisir de Plusquellec, et le déposa à la Tour de Cesson sous l'accusation de trahison. La Tour ne retint pas longtemps le prisonnier ; et, le 30 octobre 1423, le duc lui-même nous apprend que Morice a rompu sa prison et que à la « non sçavance de ses capitaine, portier et autres gardes du lieu, il s'en est extrait et mis hors sans que depuis on l'ait pu trouver ni recouvrer ». On a quelque peine à croire que Morice n'ait pas trouvé quelque complice dans les gardiens que le duc semble ainsi innocenter. 

Toujours est-il que le duc ne pouvant frapper le traître en sa personne le frappa dans ses biens dont la confiscation fut prononcée. Mais plus tard les loyaux services de ses ancêtres, la fidélité de son père, les instantes prières d'Arthur de Richemont lui obtinrent le pardon et Morice de Plusquellec rentra en faveur (27 mai 1425) (Actes de Jean V, n° 1627 — Lobineau, II, 994, Morice, Pr., II, 1172. Voir Le prisonnier de Cesson, par l'abbé de Garaby. Annuaire des Côtes-du-Nord, 1848). 

En 1425, Arthur de Richemont devenu connétable recrutait en Bretagne pour la guerre de Cent ans à laquelle il allait mettre fin. Le pays se dégarnissait ainsi d'hommes de guerre au moment où les côtes étaient exposées aux attaques des Anglais. Pour parer au danger Jean V, « arma les communes » ; c'est-à-dire qu'il ordonna que quelques roturiers des plus forts et robustes seraient levés en chaque paroisse et équipés par elle. Ces milices nommées depuis les « bons corps » devaient être prêtes au premier signal ; et il fallait que le signal parvint en même temps au plus grand nombre de paroisses possible. 

Le duc recourut au signal par le feu. Il ordonna que « guets et fallots (fanaux) seraient faits sur les costières du pays ainsi que par l'advisement de ceux du pays serait regardé à faire » [Note : Lobineau , Pr. 1000. — On peut voir au sommet de Coetfao (commune de Pluguffan près de Quimper) un peu au-dessus du donjon de Coetfao (XIIème ou XIIIème siècle) une éminence artificielle ayant l'apparence d'un tumulus. Les paysans du voisinage la nomment encore le feu ou le phare. Nul doute qu'un fallot n'ait été allumé sur ce point au XVème siècle. — De là on aperçoit d'un côté Penmarc'h et de l'autre Concarneau. — Les signaux par le feu usités en Grèce (Eschyle dans Agamemnon) étaient aussi d'usage en Gaule. César les adopta]. 

C'est-à-dire qu'il laissait aux gens de chaque canton le soin de choisir le lieu où un feu allumé pouvait être aperçu du plus grand nombre de paroisses. Nul doute qu'un de ces feux n'ait été allumé au pied de la tour de Cesson. Aucune place ne pouvait être mieux choisie. En ces temps malheureux combien de fois la ville de Saint-Brieuc a-t-elle été réveillée par cette nouvelle : « Voilà le feu de Cesson ! » c'est-à-dire « Voilà les Anglais ! »

Nous avons vu le duc faire en 1419, le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne. En octobre 1427, le duc entreprit un autre voyage de dévotion. Mais ce voyage ne se fit pas à pied comme celui de 1419. La preuve c'est que le duc signe un mandement à Rennes, le 30 octobre, et que, le 4 novembre, il signe à Saint-Brieuc l'anoblissement d'Eon Mocher. Il ne manqua pas de visiter Notre-Dame-de-la-Fontaine. Le 9, il priait devant le tombeau de Saint-Yves à Tréguier, auprès duquel il viendrait reposer un jour ; de là, il passa à Notre-Dame-du-Folgoët. 

Nous retrouvons le duc à Saint-Brieuc le 21 novembre 1434. En 1435, il visite la côte nord du duché. Le 20 novembre, il est à Saint-Malo, le 23 à Dinan ; le 27 décembre, il sera Saint-Brieuc où il va séjourner. Mais dans l'intervalle, le 9 décembre, il a fondé la collégiale de Lamballe. Ne peut-on pas supposer que cette signature a été donnée à Lamballe même (Dom Lobineau, Pr., col. 1040-1043 ; D. Morice, Pr. II, 1283-1287, ont donné in extenso cette pièce avec la date du jour ; mais, comme il arrive souvent, ils ne donnent pas le nom du lieu) ? 

Quoiqu'il en soit, le duc est à Saint-Brieuc le 27 décembre. Ce jour l'évêque lui porta les doléances de « sujets de l'Eglise aux fiefs de Bréhand, Moncontour et Eyffiniac », que les receveurs du duc prétendaient contraindre au paiement des fouages bien que de temps immémorial ils fussent exempts de toutes taxes. Le duc fit droit à la réclamation (Annuaire des Côtes-du-Nord, 1859, p. 7). 

Le séjour de Jean V se prolongea ; le 11 Janvier 1436, il signait une mise hors de procès pour Philippe de Coetgoureden (Archives des Côtes-d'Armor, E. 952). Le 16 février suivant, Jean V était à Rennes ; mais dès le premier mars il était de retour à Dinan ; à la fin d'avril il séjourne à Saint-Brieuc ; le 7 mai, il passe à Jugon pour retourner à Dinan, où il sera encore le 31 mai. 

C'est pendant son séjour à Saint-Brieuc, que, le 24 avril, de son « chastel de Cesson » il date un mandement relatif aux reliques des saints Brieuc et Guillaume, et aux indulgences qu'il a obtenues pour leur église. Cette pièce, dont j'ai cité quelques phrases plus haut, nous donne la date du dernier voyage de Jean V a Saint-Brieuc. Depuis, en avril 1440, il vint de Dinan à Jugon ; mais de Jugon, il partit pour Vannes.  

................................................. (pages manquantes).

Quelle audacieuse présomption ! Le jeune duc de Montpensier ose faire tenir ce langage à la Reine quand il lui faut reconnaître qu'il n'a plus d'armée ; et, coïncidence piquante ! au moment même où il rappelait le succès de Sourdéac devant la tour de Cesson, Mercœur en personne s'emparait de la Tour ! 

Après la déroute de Craon (23 mai 1592), Mercœur avait eu la partie belle. Bien que perfidement abandonné par les Espagnols, il revint en hâte sur la Bretagne avec ses troupes victorieuses, s'empara de quelques places, notamment de Malestroit, et menaça Cesson et Saint-Brieuc. Dès le mois d'août il s'apprêtait à venger l'échec de Saint-Laurent ; il semble que Nicolas Langelier ait arrêté sa marche sur Saint-Brieuc ; mais, en novembre, Mercœur se présenta en personne devant la Tour de Cesson. 

Plus heureux que son lieutenant, il s'en rendit maître. « Le duc, dit un historien, prit la Tour de Cesson par capitulation, au mois de novembre 1592, après qu'elle eut souffert quatre cents volées de canon » (Rosnyvinen de Piré, I, p. 358. D. Taillandier n'en dit rien) Ainsi la brèche ne fut pas ouverte, mais plus d'une pierre garde la trace des blessures reçues en cette occasion. C'est le seul renseignement que nous ayons pu trouver sur ce siège. La date ci-dessus est confirmée par le syndic Compadre (Note : « Au mois de novembre 1592, que l'armée de M. de Mercoeur assiégea la Tour de Cesson ». Cité dans Anciens Evêchés, I, p. 253), et mieux encore par des lettres de Mercœur datées « du camp de Saint-Brieuc, le 12 novembre 1592 » (Note : M. Lamare, p. 76, « Ayant naguères pris et réduit ... la Tour de Cesson ...»). M. Habasque dit que « la Tour dut être canonnée de la butte des Châtelets à un demi kilomètre ». « C'est le seul point, ajoute-t-il, d'où elle pouvait être battue avec avantage ; et l'on y voit (aux Châtelets) encore la plate-forme où devaient être placés les canons. On y remarque aussi la tranchée pratiquée pour mettre les canonniers à l'abri des coups de la forteresse » (P. 304 et 305). Ce, que le président a vu nous ne pouvons plus le voir ; la batterie et la tranchée de la butte des Châtelets sont aujourd'hui nivelées. 

La ville de Saint-Brieuc suivit le sort de Cesson ; et le jour même, 12 novembre 1592, Mercœur y entrant sans coup férir reçut les bourgeois à pardon. 

 

XIII- 1593-1594.

Les habitants qui avaient crié Vive la Ligue ! en 1590, Vive le Roi ! en 1591, crièrent plus fort Vive la Ligue ! en 1592 ; ils protestèrent qu'ils avaient été contraints et forcés de se faire royaux et qu'ils voulaient jurer l'Union ; et Mercœur faisant semblant de croire à un sincère retour leur accorda la main-levée des saisies mises sur les biens de beaucoup d'entr'eux par ses juges de Penthièvre (M. Lamare, p. 76). 

Mais les bourgeois durent bientôt reconnaître qu'ils n'avaient rien gagné au changement de maître. Au lieu des réquisitions du Roi, ils auront à subir les réquisitions de Mercœur ; au lieu des exactions des Anglais, les exactions des troupes espagnoles. 

A peine maître de la Tour, Mercœur reprit les travaux ordonnés par lui en 1590 ; la ville de Saint-Brieuc et les paroisses voisines furent contraintes d'envoyer travailler un nombre d'habitants « pionniers et charretiers » — Plérin en fournissait soixante — (Annuaire 1878. Plérin pendant les guerres de la Ligue) sous peine de contributions ou amendes pour retard que fixait le capitaine de la Tour, et qu'il fallait payer sous peine de voir les paroisses « courues » et mises à sac ; et parfois les syndics emprisonnés (Annuaire 1878. Plérin pendant les guerres de la Ligue). 

C'est ainsi que, le 22 juin 1593, les habitants de Saint-Brieuc furent frappés d'une contribution de cinq cents écus pour « les défauts par eux commis à la fortification » (M. Lamare, p. 77 ; M. Habasque dit (p. 63-64) pour cause de fortification). De même le 13 juin 1593 et le 14 novembre, les paroissiens de Plérin étaient frappés pour la même cause de contributions de seize et quatre-vingts écus (Plérin, etc., p. 10). 

Ces travaux, nous allons le voir, durèrent longtemps. La chapelle Notre-Dame était alors desservie par un prêtre nommé Pierre Nynot, qui était en même temps secrétaire du gouverneur. Ce titre lui donnait une influence qu'il employait volontiers au profit des habitants (Note : Plérin, p. 25. — Les actes d'obligeance de dom Pierre Nynot n'étaient pas absolument désintéressés : il acceptait sans répugnance quelques écus en prix de ses services. — Il avait une autre manière de faire la charité sans rien débourser. Pour un écu payé, il donne un reçu de douze écus que les paroissiens de Plérin paieront. Il donne même des reçus de sommes dont rien n'avait été versé. Plérin, p. 87). « Il soulageait les pionniers et charretiers qui travaillaient aux fortifications de Cesson ; il obtenait la réduction de soixante à cinquante des réquisitionnés de Plérin ». C'était le 9 janvier 1594. 

Cette date nous révèle que les travaux commencés avant le 13 juin 1593 n'étaient pas terminés sept mois plus tard. Mercœur avait nommé gouverneur de Cesson Christophe de Sesmaisons, sieur de la Sauzinière, oncle à la mode de Bretagne du fameux La Fontenelle [Note : Il était fils de Jacques de Sesmaisons et de Anne Eder ; mariés en 1512 ; et La Fontenelle était fils de René sr. de Beaumanoir propre neveu de Anne Eder. — Renseignement de M. de Keranflec'h-Kernezne, allié aux Sesmaisons. Le nom de ce gouverneur est écrit souvent Des Maisons (Anciens Evéchés) ; d'autrefois Septmaisons (archives de Plérin) ; un acte de baptême de Saint-Michel (3 octobre 1594) le nomme de Sanzmaisnil]. Sesmaisons fut fait prisonnier selon toute apparence en 1594 [Note : Les auteurs des Anciens Evêchés ont cru que Sesmaisons, gouverneur en 1590, avait été fait prisonnier lors de la surprise de Cesson, au mois de mars 1591, II, p. 22 note. — Avait-il été réintégré par Mercœur après le 12 novembre 1592 ? Le compte du miseur Laurent Bagot (de 1594) mentionne quatre vingt jutes de froment fournies à Budes de Guébriant, capitaine de la Tour. Cité Anciens Evêchés II, p. 63] ). Du moins à cette date les paroissiens de Plérin sont ils réquisitionnés par un capitaine La Barre, Le Bert ou Bert qui semble exercer le gouvernement par intérim (Note : Il semble bien que les trois noms désignent le même capitaine. Plérin pendant la Ligue, p. 11 et suivante). 

La prise de Sesmaisons fut fatale au pays. Les capitaines intérimaires n'ont pas l'autorité du titulaire et pourraient difficilement obtenir de leurs hommes une discipline rigoureuse. Mais, du reste, ils ne s'en mettent pas en peine. Ils s'empressent de profiter de l'occasion qui peut leur échapper le lendemain ; en même temps qu'ils requièrent pour leurs hommes des fournitures en biscuit, vin, fourrages, ils n'oublient pas de requérir pour eux-mêmes des sommes d'argent ou des objets mobiliers ; et plus d'une fois « ils lanceront leurs soldats pour faire à Saint-Brieuc des visites domiciliaires dont ils s'attribueront le profit, au moins pour partie » (M. Lamare, p. 79). Et pendant ce temps un certain capitaine Masc, tient « durant quatre mois un poste dans la grande église », et rançonne la ville de Saint-Brieuc (Anciens Evêchés, II, p. 65). 

Il va sans dire que l'exemple donné par les chefs ne sera pas perdu ; et un bas officier, qui porte le titre de garde de Mercœur, Jean de la Motte, venu de la Lorraine sans sou ni maille, sera riche de douze mille écus après trois ans de séjour à la Tour de Cesson. Les paroisses sont mises en coupe réglée par ce terrible homme, qui, à la moindre velléité de résistance, menace de pillage et d'incendie. Qui oserait lui résister ? (Note : Ce pillard est doublé d'un usurier. Quand les habitants de Plérin sont pressés d'une réquisition, il leur prête cent quarante écus en exigeant un reçu de cent cinquante. En janvier 1597, il leur prête deux cents écus et exige une obligation de deux cents jutes de froment à payer en mars. La jute de froment vaut plus de quatre écus, en sorte que, au lieu de recevoir deux cents écus, il recevra une valeur de plus de huit cents écus. — Plérin, p. 64).

 

XIV- 1594-1598.

Le capitaine de Cesson avait eu plus d'une alerte. De sa plate-forme il avait vu plus d'une fois l'armée royale en marche sur la route de Lamballe à Saint-Brieuc. C'est ainsi qu'au mois d'août 1594, il vit venir l'armée du maréchal d'Aumont. Mais le maréchal ne se détourna pas de sa route ; il avait mieux à faire : il allait conquérir la Basse-Bretagne et détruire le fort espagnol de Crozon. 

Mais en s'éloignant de Saint-Brieuc, le maréchal se promit de revenir à Cesson. — Après la prise de Crozon (17 novembre) le maréchal avait reposé à Quimper ses troupes ravagées par la maladie ; puis il était venu recevoir la soumission de Corlay, aux premiers jours de février 1595 ; et aussitôt il se mit en route : le 20 février, il écrivait du camp de Bourbriac (Note : Long « mandement au sujet de l'entretien des troupes royales en Bretagne ». Documents sur la Ligue, p. 198-202. — Le Roi a fixé la somme à égailler cette année à 321,500 écus, et, avec les frais de recette, 373,000 écus ou 1,119,000 livres de la monnaie du temps). Où allait-il ? A Cesson. 

C'est le Roi Henri IV qui nous fournit ce renseignement dont pas un historien n'a parlé. Le 24 février, le Roi écrit à son ambassadeur en Angleterre une longue lettre qui sera communiquée à la Reine, et qui finit ainsi : « Mon cousin le mareschal d'Aumont a pris Corlay et est allé assiéger un chasteau nommé Soissonne qui est une tour fortifiée près Saint-Brieux » (Lettres missives de Henri IV, t. IV, p. 308-312. — La lettre est datée, par une faute d'impression évidente, 1594). C'est donc que le Roi a reçu une lettre du maréchal annonçant son départ pour Cesson. 

Mais Cesson n'était pas une place à demi-ruinée comme Corlay ; et pour en venir à bout, il eût fallu au maréchal une artillerie qu'il n'avait pas ; et d'autres forces que celles dont il pouvait désormais disposer. 

En ce moment même, le général anglais Norris, mécontent de n'obtenir pas pour lui la remise de Morlaix, et pour ses troupes la liberté du pillage, annonçait qu'il était rappelé par la Reine. C'est à grand peine qu'il consent à attendre pendant un mois des ordres définitifs ; mais, pendant ce temps, il ne combattra plus ; et il se retire à Paimpol condamnant d'Aumont à l'inaction. 

Celui-ci, sans se montrer à Saint-Brieuc, se tient à portée de l'armée anglaise et de Cesson. C'est ainsi que nous pouvons le suivre de Bourbriac à Quintin et de Quintin à Guingamp, d'où il écrit le 27 et le 28 avril (D. Morice, Pr. III, 1636). 

Il semble qu'il attende un contre-ordre de la reine d'Angleterre. Mais aux premiers jours de mai, Norris reçut l'ordre définitif de départ, il embarqua ses troupes ; et d'Aumont ne pouvant plus rien tenter sur Cesson alla fortifier Quimper. 

Nous ne voyons pas que depuis Mercœur ait été inquiété dans Cesson : du moins, quoique l'on ait dit, en garda-t-il la possession jusqu'à la signature de la paix. Les faits et les dates qui suivent font la preuve de ce fait. 

Le 15 février 1595, le maréchal d'Aumont réglait à Quimper l'état des garnisons du Roi en Bretagne : il n'en omettait aucune, pas même la minuscule garnison de Vendelet [Note : « 30 hommes de pied ordonnez pour tenir garnison aud. chasteau sous la charge du capitaine de La Varenne. Capitaine, lieutenant, sergent, caporaulx, 25 soldats … 170 écus » (Documents, p. 195)] ; or son état ne comprend pas la garnison de Cesson. 

Quelques mois plus tard, des réquisitions sont faites à Saint-Brieuc pour Cesson [Note : Compte de Laurent Bagot du 1er octobre 1595 au 30 septembre 1596. - 20 juxtes de froment pour faire 20 pipes de biscuit fournies au gouverneur de la Tour. Des habitants sont enlevés « faute de lui avoir envoyé le biscuit aussitôt qu'il voulait » (M. Lamare, p. 57)]. La même année, Mercœur affermait les biens saisis sur les royaux par devant l'alloué de Saint-Brieuc commis pour procéder à ces actes (Baux à ferme pour 1595 pour le ressort de Goëllo et Saint-Brieuc). 

Une trève publiée à Rennes, le 23 décembre 1595 et à Saint-Brieuc le 23 janvier 1596 allait se prolonger toute l'année ; et cette année même « cinq cent quatorze écus étaient fournis par la ville de Saint-Brieuc à l'armée espagnole et des vivres à la Tour de Cesson dont Budes de Guébriant était capitaine » (Compte de Laurent Bagot, cité dans Anciens Evêchés, II, p. 63). 

Enfin l'année suivante, en septembre, La Fontenelle cherchait à s'emparer de Quimper de vive force : « Il manda secrètement à lui, dit Moreau, toutes les garnisons des places de son parti, comme Hennebont, Vannes, Pontivy, Comper, la Tour de Cesson près Saint-Brieuc, lesquelles arrivèrent à Douarnenez à jour certain » (Note : Moreau, 308-309. — Ce qui veut dire sans doute que ces garnisons envoyèrent quelques hommes. Quel capitaine eût pris sur lui de dégarnir sa place pour favoriser une entreprise hasardeuse que Mercœur n'avait pas autorisée, et dont le but principal proclamé d'avance était le pillage au profit du seul La Fontenelle ?). 

A la fin de 1597, une série d'échecs, l'inaction sinon la trahison des espagnols finirent par faire comprendre à Mercoeur que la guerre ne pouvait continuer. La reddition de Dinan (13 février 1598) fut le dernier coup. Le maréchal de Brissac, successeur du maréchal d'Aumont, après être entré à Dinan, s'empressa de venir à Cesson. 

Il aurait semblé que Brissac n'eût eu qu'à se montrer pour recevoir la soumission de la Tour. Toutefois « la place était bonne » et le gouverneur contraignit le maréchal à commencer un siège qui allait se prolonger [Note : C'est ce que nous apprend Montmartin. Il vient de dire que le château de Dinan se rendit après dix jours, et il ajoute : (Le maréchal de Brissac) « passe à la Tour de Cesson où le siège fut plus long car la place était bonne ». D. Morice, II, p. CCCXIV]. Il est même permis de penser que le gouverneur ne se rendit qu'à la nouvelle de l'édit de paix signé par le Roi à Angers le 20 mars, et enregistré au parlement le 26 (Note : Le 3 avril, Brissac signe des sauf-conduits datés du camp de Cesson). 

Maître enfin de la Tour, Brissac lui donna pour gouverneur François Conen, sieur de Précréant, le même qui au combat de Saint-Brieuc, en août 1592, avait si vivement commandé l'infanterie royale. 

 

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XV- DESTRUCTION DE LA TOUR. 1598.

Après avoir rendu compte au Roi de cet heureux succès, aux premiers jours d'avril, Brissac partit pour Morlaix. 

C'est de cette ville que, le 17 avril, il donnait de la part du Roi l'ordre au sieur de Précréant de « démolir et ruiner les fortifications de Cesson, de sorte que personne ne pût désormais s'y loger ». Le Roi recommandait la plus grande diligence, voulait que le travail commençât par les fortifications nouvelles, et ordonnait d'y employer les paroisses voisines de la Tour, auxquelles il était prescrit de fournir par chaque jour le nombre d'hommes que fixerait le sénéchal de Saint-Brieuc ou l'officier le suppléant. 

Le lendemain, complétant ces instructions, le maréchal ordonnait que l'artillerie et les munitions de guerre, poudres, balles (boulets), mêches, qui se trouveraient dans la Tour fussent remis aux commissaires de l'artillerie et canonniers, « à cause du droit leur acquis pour avoir fait la batterie d'icelle (Tour) » (D. Morice III, col. 1686). « Le 3 mai, le Roi étant à Nantes et voulant reconnaître les fidèles services de Précréant » lui fit don « de tous les matériaux, pierres, poutres [Note : Dom Morice écrit poudres (col. 1686). La pièce des Archives publiée par M. Tempier dit pouldres ; c'est le même mot. Nul doute que ce mot rapproché du mot merrains, ne doive être lu poutres. Les poudres et autres munitions de guerre abandonnées aux canonniers, dès le 18 avril, ne pouvaient, le 3 mai, être données à Précréant. D'ailleurs l'énumération dans laquelle ce mot figure comprend tous les matériaux en pierres, bois et plomb qui proviendront du « bris de la Tour »], merrains, ardoises, plomberies et autres » qui devaient provenir de la destruction de la forteresse toute entière. 

C'était encourager le zèle du capitaine à démolir au plus vite pour devenir maître des fragments de la Tour. Précréant se mit à l'oeuvre ; mais il prétendait démolir la Tour avec quelque précaution pour tirer profit des matériaux ; c'est ainsi sans doute qu'il enleva les plombs de la plate-forme, le couronnement et les machicoulis formés de pierres de taille dont la moitié de la Tour restée debout ne garde plus trace. 

Mais le travail ainsi exécuté aurait demandé plus de temps que Saint-Brieuc ne comptait en accorder à Précréant. Comme le Roi, la ville craignait que la vieille forteresse augmentée de ses fortifications nouvelles ne servît de retraite à quelque pillard. La guerre était finie ; mais l'ordre n'était pas rentré dans l'esprit de tous. Les du Liscouet, les la Magnane, les La Fontenelle avaient fait école [Note : Exemple : En 1594, le « sieur de la Croix, mestre de camp, fort brave et courageux et qui a toujours bien servi le roi, s'était logé dans un lieu voisin de Guingamp, d'où il rançonnait le pays ». D'Aumont alla l'assiéger, le prit et l'envoya combattre et se faire tuer bravement sous les drapeaux du Roi (Montmartin dans Morice, hist., II. p. CCCI)] ; et plusieurs, à leur exemple, auraient été disposés à continuer, même après la paix, « les pilleries et roberies » et « les réquisitions d'argent, de denrées et de fournitures »

Voilà le danger que redoutaient les Etats, et c'est pourquoi ils demandèrent avec tant d'insistance la démolition de places qu'ils considéraient comme inutiles au service du Roi [Note : Dès le mois de mai les Etats assemblés à Nantes suppliaient le Roi d'ordonner la démolition de toutes les fortifications élevées pendant les troubles ; ils obtinrent en partie leur demande. En 1614, ils signalaient encore à démolir Douarnenez (c'est-à-dire le fort de l'île Tristan), Blavet, le Port-Louis, Saint-Mars-La-Jaille et Ranrouet.— En 1616, ils signalent en plus Châteauneuf (près de Saint-Malo). Le fort de l'île Tristan fut démoli entre le 18 août et le 17 octobre 1600 ; puis un fort fut reconstruit sur l'ordre de Louis XIII. Ainsi, quand les Etats en demandent la destruction en 1614 et 1616, ils demandent au Roi la rétractation de ses ordres]. Saint-Brieuc qui venait de tant souffrir du voisinage de la Tour s'indignait chaque matin, quand il voyait le vieux donjon debout comme une menace, et repoussait les raisons que pouvait avoir Précréant de se hâter lentement. La ville ne voulait pas comprendre, que quelque fût le zèle apporté par Précréant à l'exécution des ordres du Roi, il fallait du temps et beaucoup ! pour disjoindre des moellons unis par un mastic devenu aussi dur que la pierre elle-même. 

Le sénéchal et les officiers royaux s'imaginèrent faire plus vite et prétendirent substituer leurs efforts à ceux de Précréant. Mais celui-ci maintint son droit de diriger les démolitions de la Tour désormais sienne. La ville porta ses doléances aux Etats assemblés à Nantes, comptant bien avoir favorable audience. Le sieur Précréant donna ses explications ; « il se plaignit des officiers royaux qui, au mépris des ordres du Roi, ne mettaient pas de suffisantes corvées à sa disposition, et il s'engagea à finir la démolition dans six semaines »

Les Etats firent semblant de prendre au sérieux cette imprudente promesse ; ils accordèrent six semaines « pour la destruction de la Tour et forteresse de Cesson » : ils ordonnèrent que Précréant y travaillerait chaque jour « avec l'aide de la commune ordonnée par les juges royaux, et des juges des regaires en l'absence des premiers » ; et, au refus de Précréant ou le délai passé, permirent aux juges de faire la démolition. En ce cas, la propriété de Précréant sur les débris était pleinement réservée. 

Le délai fatal expirait au milieu de juillet ; et Saint-Brieuc voyait encore la Tour se dresser presque entière. Ce n'était pas la faute de Précréant. La ville le comprit et patienta. Trois mois passèrent ; et c'est seulement le 11 octobre que les juges royaux se substituèrent à Précréant. 

Ce jour « Salomon Ruffelet, sieur de la Villebaut et sénéchal de Saint-Brieuc (c'est-à-dire de Cesson et Goëllo) en compagnie de Me Vincent Le Coniac, substitut du Procureur du Roi, assisté d'écuyer François James, sieur de la Ville-Carre (Note : Sur ce personnage, M. Lamare, p. 87-88), grand prévôt en Bretagne sous NN. SS. les maréchaux de France, honorable homme Jean Leclerc, procureur syndic des nobles bourgeois et habitans dudit Saint-Brieuc, grand nombre d'iceux tant « ecclésiastiques que de la noblesse et plus signalez de la ville » étaient réunis devant la Tour de Cesson »

Le cérémonial qui suit était sans doute convenu d'avance avec le sieur de Précréant. Le sénéchal produisit la commission du Roi et demanda la remise de la Tour. Le capitaine exhiba les lettres du Roi lui donnant les débris des fortifications, et demanda que « ces lettres fussent entérinées et que défense fût faite d'enlever ni toucher aucuns matériaux »

Le capitaine remit la Tour au sénéchal : celui-ci y « relaissa le sieur Le Clerc, représentant le général de Saint-Brieuc pour d'icelle faire bonne et seuregarde durant la continuation du razement, sur peine de la vie ». Le sénéchal statuant sur les demandes du sieur de Précréant fit « deffence à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles puissent estre de n'emporter ny toucher à aucuns matériaux sans le consentement du sieur de Précréhant sur peine de punition corporelle et de restitution du quadruple »

Le sieur Le Clerc reçut incontinent l'ordre de faire travailler promptement au moyen des corvées dont les réquisitions lui furent remises séance tenante. 

Un homme effrayé de la responsabilité qui lui était ainsi imposée, c'était le syndic : en signant ce procès-verbal, où il acceptait la garde de la Tour sous peine de la vie, ne crut-il pas signer sa condamnation ? Que pendant une nuit, comme il va arriver au château de Corlay (Note : Le 14 novembre 1598, Thomas Davolon, sr. de la Rivière, avec quelques soldats et laboureurs surprit le château de Corlay, qui avait pour gouverneur Abel Gouyquet. Le 9 janvier 1616, le château fut surpris de nouveau par quinze hommes armés. Les deux fois, il fallut réunir une petite troupe pour obtenir la remise du château), une troupe armée s'empare de la Tour, qu'adviendra-t-il du syndic ? 

Pour dégager sa responsabilité, le sieur Le Clerc demande que huit ou dix habitants lui soient adjoints. Le sénéchal juge que six suffisent, et permet au syndic « de s'assister » de « six gens de bien dont il demeurera responsable ». Comment le syndic responsable du fait même de ses « assistants » serait-il sauvé de ses terreurs ?. 

Voilà donc le général de Saint-Brieuc chargé en la personne de son syndic de la destruction de la Tour ; et la responsabilité même qui pèse sur le syndic doit rendre celui-ci impatient d'en finir. 

Toutefois, suivant, semble-t-il, la méthode de Précréant, le syndic continua la démolition pour parvenir au « razement » ordonné par le Roi. La preuve, c'est que le 7 novembre, vingt-sept jours après la remise de la Tour au syndic, le sénéchal Ruffelet ordonnait encore aux paroissiens de Plérin d'envoyer à la Tour quarante-six hommes, le jeudi de chaque semaine « jusques à l'entière destruction de la ditte Tour » et cela sous peine d'amende, « attendu que c'est pour le repos et bien du pays » (M. Gaultier du Mottay a donné cet ordre. Plérin, p. 74-75). On ne peut douter que des réquisitions analogues ne fussent adressées aux habitants des paroisses voisines qui — aux termes des lettres du 17 avril — travaillaient chacune un jour de la semaine. 

Mais la sanction même que le sénéchal mettait à ses ordres prouve que les paroissiens apportaient peu de zèle à l'exécution de cette corvée. Il fallait en finir, et le syndic prit un moyen héroïque. Il fit introduire dans les murs, probablement de chaque côté vers le nord et le sud, des mines chargées d'une énorme quantité de poudre. Mais ces mines elles-mêmes n'eurent pas le succès qu'on en attendait : au lieu de disjoindre les pierres et de produire l'éboulement, l'explosion fendit la Tour en deux de bas en haut. La moitié vers l'est soutint vaillamment le choc et resta debout ; l'autre moitié tressauta en reculant (Note : C'est la remarque de M. de Geslin. Aujourd'hui après quelques réparations faites à la Tour les traces de ce mouvement de recul ne sont plus apparentes), puis perdant son aplomb tomba, non en s'émiettant pierre à pierre, mais en se brisant par quartiers dont quelques-uns formaient d'énormes blocs (Note : Un de ces blocs subsistant encore intact, il y a quelques années, comprenait la carrée entière d'une fenêtre. La coupe de la Tour montre dans la partie sud-est l'escalier pratiqué dans l'épaisseur du mur. Cette partie de la muraille était ainsi la moins forte). Peut-être l'explosion détermina-t-elle un incendie ? (Note : Dans une exploration faite en 1846, on trouva « à l'intérieur de la Tour, à la surface, une épaisse couche de terre, puis une masse d'ardoises incendiées... » Annuaire, 1846, p. 83). 

A la rigueur, la volonté du Roi avait reçu son exécution : la Tour en l'état où le syndic l'avait mise ne pouvait plus loger personne. Il se retira, sauvé de ses craintes, heureux et fier de son œuvre ; et, en rentrant en ville, il fut sans doute acclamé comme général victorieux. 

Il laissait au sieur de Précréant les débris qu'il avait faits, et le soin, s'il lui plaisait, d'en faire d'autres en abattant la moitié de la Tour restée debout. 

Précréant pardonna aux habitants de Saint-Brieuc les ennuis que ceux-ci lui avaient causés ; il entretint avec eux les meilleures relations et leur rendit un signalé service

Nous avons vu que Sesmaisons, gouverneur de la Tour en 1592 et 1593 avait été fait prisonnier : il avait eu à payer une grosse rançon ; et Mercoeur avait exigé de Saint-Brieuc une somme de deux mille écus pour cet objet. Après la paix, la ville se porta opposante au conseil du Roi de la décision de Mercoeur ; en même temps elle s'adressa à Précréant qui s'entremit ; il obtint de Sesmaisons le remboursement de neuf cents écus, et la contribution de la ville, acceptée paraît-il par elle, fut en définitive de onze cents écus (1600). 

Du reste Précréant ne se mit pas en peine de profiter du don de la Tour. La pension de douze cents livres que le Roi Louis XIII lui accorda, le 1er juin 1614, avec le collier de Saint-Michel lui valait mieux que l'exploitation de sa vieille forteresse. 

Quelques années plus tard, la démolition de ce qui restait de la Tour fut demandée aux Etats. Précréant ou ses héritiers auraient pu s'y opposer. Ce fut la ville qui prit la défense de la Tour ; elle n'en avait plus peur et elle représenta que ce grand débris servait d'amers aux navires entrant au Légué (Délibération du 25 octobre 1625). 

Les héritiers de Précréant ne paraissent pas avoir songé que dans la seigneurie royale de Cesson ils fussent propriétaires des restes des fortifications. En 1792, la nation n'y songea pas non plus ; et elle saisit les ruines avec le reste de la seigneurie, comme domaine privé du Roi. 

 

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XVI- LES REMPARTS DE SAINT-BRIEUC. 1598-1789.

Il ne semble pas qu'une seule voix ait protesté en faveur des fortifications de Cesson, et que personne ait songé qu'elles pouvaient être utiles à la défense du Légué. A peine la fumée des mines du syndic Leclerc était-elle dissipée, que Saint-Brieuc se ravisant, s'aperçut que ces défenses étaient indispensables ! Mais construire un fort à Cesson, c'eût été reconnaître qu'on avait eu tort de détruire les anciens ouvrages. Il ne faut pas demander aux villes de ces rétractations. Saint-Brieuc prétendit faire autrement et mieux. 

La communauté fut prise de visées extraordinaires. Au moment où la plupart des villes allaient par économie laisser tomber leurs vieilles murailles, qui ne les protégeraient plus que contre les collecteurs des fouages, Saint-Brieuc eut l'ambition de devenir ville close

En 1621 ou 1622, des navires Rochelois ayant surpris le fort La Latte, les bourgeois de Saint-Brieuc crurent Le Légué menacé (M. Lamare, p. 105). Cette alerte les détermina. 

Pour assurer la défense du port situé à deux kilomètres, la ville imagina de se clore. Comment comprendre qu'un mur de défense élevé par exemple sur la côte Saint-Pierre peut protéger l'entrée du Légué ? ... Mais ce que nous ne pouvons réussir à voir, la communauté le vit, les Etats le virent après elle, puis le Roi ; et en juin 1623, des lettres patentes autorisèrent Saint-Brieuc à s'entourer d'une fortification qui devait embrasser Le Légué. La communauté se rappelait apparemment les deux murs bâtis par Périclès et Thémistocle qui joignaient le Pirée à Athènes ! 

Et pour mener à fin cette entreprise gigantesque, quelles sont les ressources ? L'octroi d'un sou par pot de vin ! Il est vrai que, le 1er octobre 1624, la ville obtient des Etats pour neuf années, la levée sur tous les habitants exempts et non exempts d'un sou par pot de vin et de trois deniers par pot de cidre et autres breuvages, vendus en détail dans la ville et faubourgs de Saint-Brieuc et Légué, et vingt sous par pipe de vin consommé. La ville imagine d'étendre cette dernière imposition aux gentilhommes à une lieue à la ronde ; mais cette prétention sera vivement combattue et avec succès (Archives des Côtes-d'Armor, série C, 3. — Plaintes contre les habitants qui, sous le prétexte de clore leur ville, imposent aux gentilshommes, etc.). 

Le gouverneur de Bretagne, l'illustre maréchal de Thémines, et l'intendant de Bretagne venus à Saint-Brieuc firent enfin reconnaître que le projet était vraiment déraisonnable ; la ville se résigna à s'enclore sans enclore le Légué. Mais l'exécution de ce projet réduit est encore au-dessus de ses ressources, d'autant plus qu'elle n'a pas choisi le mode de construction le plus économique. Au lieu de bastions et d'ouvrages en terre, elle va bâtir un beau mur de granit de vingt ? quatre pieds de hauteur, avec parapet et machicoulis, en avant duquel sera creusé un fossé de vingt pieds de large et de neuf de profondeur, avec contre-escarpe ; on dirait que la ville a pris pour modèle les murs bâtis au XVème siècle, à Vannes par Jean V et à Quimper par Pierre II. 

Après six années de préparatifs, la première pierre va enfin être posée en grande solennité, le 29 juillet 1628, « jour de la fête de Saint-Guillaume, patron de la cité ». Tout à coup un conflit de préséance s'élève entre le sénéchal Le Clerc (Etait-ce le syndic de même nom qui avait ruiné la Tour de Cesson en 1598 ?) et le syndic, sieur des Alleux : et la cérémonie est contremandée. Funeste présage ! 

Les travaux n'avancent pas vite. La ville s'obstine : pour avoir ses murs elle est prête à tous les sacrifices. S'il le faut, elle abandonnera son collège alors très florissant. Enfin, dans l'espace d'une trentaine d'années, la ville vint à bout de construire un mur de moins de quatre cents mètres de longueur, allant du haut de la promenade Du Guesclin actuelle le long de la grande promenade jusque vers la rue Saint-Benoît ; mais ce fut tout ! L'enthousiasme effervescent des premiers jours était tombé ; par une sorte d'abus de confiance, dont l'histoire financière des anciennes communautés nous fournit plus d'un exemple, la ville détournait sur d'autres objets les octrois qu'elle avait obtenus uniquement pour se clore. Enfin, en 1686, soixante-trois ans après l'autorisation donnée, le Roi faisait à Saint-Brieuc sommation de finir ses murs (M. Lamare, p. 105, note). La ville répondit que, après réflexion, elle renonçait pour jamais au titre de ville close (M. Lamare, p. 187). 

Les murs avec leurs douves subsistaient encore intacts un siècle plus tard, en 1774. Pendant un temps la douve avait été le champ de tir du papegaut ; après la suppression du papegaut en 1770, la ville afferma les douves par fractions apparemment comme pâtures [Note : 1774, f° 32, v°, 30 mai 1774. — La ville afferme « le pavillon au-dessus de la porte de la ville et la partie de la douve joignante laquelle servait ci-devant au tirage du joyau » (Archives de la Mairie)]. 

Vers le même temps l'édifice renfermant l'auditoire et la prison menaçait ruine : le 17 novembre 1773, il « s'était entr'ouvert » [Séance du 14 décembre 1773, f° 14, r°. - Lettre du contrôleur général, 20 décembre 1773. Registre de 1773-1774 (Archives de la Mairie)]. Le contrôleur général aussitôt informé signalait à la communauté l'urgence d'une reconstruction. La communauté ne se hâta pas d'obéir aux instructions du contrôleur général et se borna à quelques réparations. 

Mais quelque vingt-cinq ans plus tard, la ville entreprit de combler les douves creusées à grands frais cent cinquante ans auparavant (Archives des Côtes-d'Armor, série C. 3. Délibération du 30 avril 1790, approuvée par l'Intendant) ; et les douves nivelées devinrent la promenade Du Guesclin et la principale allée de la Grande promenade (Note : Voir plan de Saint-Brieuc au XVIIème siècle (Anciens Evêchés) réduit dans le plan publié dans A travers le Vieux Saint-Brieuc). 

Quant aux remparts, la ville les transforma en carrière, je veux dire qu'elle se mit à en vendre et employer les pierres. 

Etes vous tentés de voir les restes des murs de Saint-Brieuc ? Votre curiosité pourra être vite satisfaite. Entrez dans l'ancienne prison. Elle mérite une visite. Pénétrez dans la cour intérieure : en face de vous est un autel indiquant que pour le service divin la cour se transformait en chapelle ; des trois autres côtés s'élève un bâtiment construit en pierres de taille. A une vingtaine de pieds au-dessus du sol des machicoulis très longs soutiennent un balcon qui forme un promenoir au premier étage. Supprimez par la pensée les portes et fenêtres de cet édifice, et vous aurez, ou je me trompe, la vue des murs inachevés de Saint-Brieuc (Note : L'hypothèse que je hasarde me semble fondée. La ville avait une prison à bâtir ; quoi de plus simple et de plus raisonnable que d'employer à ce travail les pierres des murs auxquels la ville renonce enfin, et qu'elle trouve à quelques pas des fondations de la prison ? On indique comme un reste des remparts de Saint-Brieuc un vieux pan de mur faisant saillie sur la rue vis-à-vis le chevet de la chapelle Saint-Guillaume. C'est une erreur : la direction des murs était autre, comme le montre le plan). 

 

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XVII- GOUVERNEURS DE SAINT-BRIEUC ET CESSON. 

Puisque Saint-Brieuc allait devenir ville close et forteresse il lui fallait un gouverneur. Trouver un gouverneur lui était plus facile que construire une ceinture murale. Mais le titre de gouverneur de Saint-Brieuc ne parut pas suffisant ; et, par un vieux souvenir qui semblait une sorte de dérision, le gouverneur reçut le titre de « gouverneur des ville et château de Saint-Brieuc, Tour et forteresse de Cesson »

N'aura-t-on pas quelque peine à croire qu'il soit difficile sinon impossible de donner les dates de nominations des gouverneurs depuis leur création ? L'abbé Ruffelet en a donné une première liste qui s'arrête au temps où il écrivait, 1770. M. Lamare a complété cette liste (Histoire de Saint-Brieuc, p. 116 et 172). Nous allons en donner une troisième. Nous retrancherons un nom admis par M. Lamare, et nous corrigerons deux dates empruntées par lui à l'abbé Ruffelet et qui sont inexactes. 

Ces divergences s'expliquent. Les registres de la communauté de ville devaient nécessairement mentionner les lettres de nomination des gouverneurs. Or la série des registres ne commence qu'à 1692, et elle s'interrompt juste aux dates indiquées pour deux des nominations. Les dates de l'entrée en charge pour chacun de ces gouverneurs ne résultent pour nous que du premier acte où apparaît sa signature : les dates que nous donnerons ne seront donc qu'approximatives (Note : M. Lamare signale dans les registres une lacune de 1629 à 1692. La série commençant à 1692 offre cinq lacunes : de 1699 à 1708 ; de 1726 à 1729 ; de 1751 à 1758 ; de 1762 à 1764 ; de 1776 à 1778. Pour comble de malheur les recherches faites avec le plus grand soin à la Cour des comptes n'ont fourni qu'une seule lettre de nomination, au lieu de cinq que j'espérais y trouver). 

Le premier gouverneur de Saint-Brieuc fut Jean de Rollée, sr. du Boislouet, enseigne des gardes du corps. Il était en fonctions en 1636, mais il était gouverneur de Fougères dès 1640 (Renseignements authentiques transmis par M. Saulnier. M. Lamare ne donne pas de date. Ruffelet écrit du Louet et 1664). 

Il eut pour successeur Claude d'Acigné, chevalier, seigneur de Carnavalet (ou mieux Kernevenoy), conseiller aux conseils d'Etat et privé, qui se démit en 1666 ou 1667 [Note : Lettre de nomination de son successeur. — Ruffelet ni M. Lamare ne donne la date de la nomination que je ne n'ai pu trouver. Kernevenoy en Quemper-Guézennec. — François de Kernevenoy (en France on le nomma Carnavalet) fut gouverneur du duc d'Anjou, depuis Henri III. — La seigneurie de Kervenenoy fut portée dans la maison d'Acigné par mariage en 1522]. 

Le Roi remplaça Claude d'Acigné par lettres datées de Saint-Germain-en-Laye, le 21 avril de cette année (Note : Archives de la Loire-Inférieure, B, 1246, 32ème livre des mandements f°s 234-235. — Enregistrement du 23 juin 1670). 

On lit dans ces lettres : « La charge de capitaine de nostre ville de Saint-Brieuc et Tour de Cesson étant vacante … il est nécessaire pour le bien de nostre service et la seureté des dites ville et tour de la remplir.... » Le Roi déclare ne pouvoir « faire un meilleur choix que de Yves Olivier de la Rivière, chevalier, baron du Plessix, et capitaine de l'une des compagnies de cavalerie establies pour la garde de la côte de Bretagne … Et, ajoute le Roi, pour le favoriser davantage et l'engager de plus en plus à nostre service, avons voulu en même temps accorder la survivance à Charles de la Rivière, son fils … Pour ces causes aux dits Yves-Olivier de la Rivière du Plessix et Charles-Yves du Plessix son fils conjointement et à la survivance l'un de l'autre donnons ladite charge …» (Note : On remarquera que les lettres du Roi ne donnent à M. de la Rivière d'autre titre que celui de baron du Plessix. M. de la Rivière ayant acquis la seigneurie de Ploeuc, en obtint l'érection en comté, le 14 avril 1696. Il s'autorisa de cet acte pour signer comte de la Rivière. Ogée (II, p. 71) résume ces lettres en copiant tout entier un article de Ruffelet (année 1667, p. 54 ; mais dans la nouvelle édition, l'omission d'une ligne rend la phrase incompréhensible. Entre les mots de la Rivière et son fils aîné, il faut intercaler ceux-ci : chevalier, baron du Plessix, et la survivance pour Charles-Yves de la Rivière..). 

Ce gouverneur prit son titre au sérieux ; mais il n'était pas d'humeur facile. Les ordres mêmes du gouverneur de Bretagne sur les étapes, les règlements de police étaient, dit-on, pour lui lettres mortes. Les logements militaires lui devinrent un moyen de vexation. Il en accablait les gens qu'il n'aimait pas. Il eut surtout de graves démêlés avec Jean du Gouray, marquis de la Coste, nommé en 1666 lieutenant du Roi dans les quatre évêchés de Tréguier, Saint-Pol, Cornouaille et Vannes. Le gouverneur avait à la porte de son hôtel les armes du Roi et du gouverneur de la province comme signe des autorités qu'il représentait. L'usage s'était établi de porter ces armoiries devant l'hôtel du lieutenant du Roi, quand il était en ville. Le gouverneur de Saint-Brieuc protesta et il obtint gain de cause (Anciens Evêchés, II, p. 85. M. Lamare, p. 117). 

Il résulte de ce qui précède que le comte de la Rivière résidait à Saint-Brieuc. Les registres de la communauté le montrent en effet présidant l'assemblée de ville ; et ils gardent sa magistrale signature qui tient une ligne au pied des délibérations (Notamment le 18 juin 1692.— Registre de 1692-1695, f°1, r°). 

Nous trouvons Charles-Yves-Jacques son fils, survivancier, en fonctions le 20 septembre 1708 (Délibération du 20 septembre 1708. — Registre de 1708-1711, f° 6, r°. — Le registre ne commence qu'au 4 mai et les précédents manquent depuis le 26 juillet 1699. — Ruffelet et M. Lamare donnent la date 1709). Nous ne le voyons pas présider l'assemblée de ville ; il se contente de signer certains mandements relatés aux registres. 

Charles-Yves-Jacques eut pour successeur en 1729, sinon auparavant, son fils Charles-Yves Thibaud. Celui-ci signa un mandement le 19 décembre 1729 [Note : Mandement du 19 décembre 1729. Délibération de la communauté Registre. de 1729 à 1732, f° 16, v°. Les registres manquent du 23 juin 1726 au 18 juillet 1729. — Ruffelet et M. Lamare donnent la date de 1730. Voici les titres de seigneuries pris par le gouverneur au pied de ce mandement : « Comte de la Rivière, Mur, Ploeuc, marquis de Paulmy, de Saint-Quihouet et autres lieux, baron de Boisay, Vicomte de la Roche de Gennes, châtelain du Pont-Blanc, seigneur du Plessix, de la Rivière, de l'Ile du Val, du Vau-Couronné, de Kermartin, Kerganic, Keronouan ... »]. 

Dès cette époque, il prenait les titres de mestre de camp de cavalerie, premier enseigne de la seconde compagnie des mousquetaires du Roi ; en 1745, il allait devenir lieutenant général. 

Il est inutile de dire que ce gouverneur ne résidait pas : non seulement l'assemblée de ville n'est pas présidée par lui ; mais je ne retrouve pas, après 1730, de mandements portant sa signature. Toutefois il était connu de Saint-Brieuc et le syndic va témoigner « qu'il était aimé de tout le public »

Le comte de la Rivière n'eut, paraît-il, qu'une fille, Julie-Louise, qui fut mariée à son parent Joseph-Yves Thibault de la Rivière de Saint-Quihouet. 

De ce mariage naquirent entr'autres enfants un fils nommé Joseph-Jules-Hyacinthe, et une fille, l'aînée, Marie-Louise, qui devint dame du Vieux-Marché et de Saint-Quihouet. Mariée en 1754, elle eut en 1757 un fils qui fut le célèbre général La Fayette. 

Par une déclaration du 4 mai 1766, le Roi « avait ordonné qu'il ne serait plus pourvu aux offices de gouverneurs que pour la vie ». Un mois ne s'était pas écoulé qu'un arrêt du conseil décida que « la survivance pourrait encore être accordée (1er juin) ; mais à la condition d'être payée selon un tarif qui fut réglé par arrêt (1er juillet suivant) »

Charles-Yves Thibault s'empressa de demander la survivance pour son petit fils Joseph-Jules-Hyacinthe ; et il l'obtint sur la fin de l'année 1766. La nouvelle parvint à Saint-Brieuc, le 29 décembre, et « la communauté de ville entière eut l'honneur aussitôt de rendre visite à M. de la Rivière » (Note : Délibération du 2 janvier 1767, ordonnant qu'il « sera tenu registre de la visite … » Registre de 1765-1767, f° 31, r°). 

Le survivancier était un enfant de dix ans. Sans doute il suspendit gracieusement ses jeux pour recevoir les voeux solennels de la communauté ; mais ces voeux ne devaient pas s'accomplir ; l'abbé Ruffelet nous apprend que Joseph-Jules mourut âgé de quatorze ans, en 1770 [Note : M. Lamare (p. 172) indique comme gouverneur en 1774 Joseph-Yves Thibault, père de Joseph-Jules, le jeune survivancier. Il n'a pas eu ce titre puisqu'il est mort à Paris le 12 avril 1770. M. de Courcy (III, p. 41), compte cinq gouverneurs du nom de la Rivière (c'est deux de trop) ; mais il ajoute : « Le dernier, lieutenant général en 1745, mort en 1781 ». C'est Charles Thibault]. 

Peu après, la survivance était demandée par Charles-Eugène-Louis de Boisgelin, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint Louis. Elle fut accordée par lettres du 25 avril 1773. M. de Boisgelin s'était signalé pendant la guerre de Sept ans (Note : Les lettres sont copiées au registre de 1778-1783, f° 44, v°. — Sur la maison de Boisgelin, voir l'intéressante étude publiée par M. Lamare, Société d'Emulation 1865, p. 103. — Sur Charles-Eugène, p. 175 à 179, M. Lamare lui donne le titre de capitaine de frégate). Il allait longtemps attendre la possession effective du gouvernement. 

Le comte de la Rivière mourut à quatre-vingt-dix ans, le 21 avril 1781. Le 4 mai de cette année, à la nouvelle de sa mort, le syndic noble homme Pierre du Bois, sieur de Boisjouan, proposa à la communauté de marquer « son deuil de la mort d'un gouverneur aimé de tout le public », et « sa joie de l'avènement du gouverneur actuel ». En conséquence un service solennel fut célébré à Saint-Michel en l'honneur du comte de la Rivière ; et une députation alla saluer M. de Boisgelin. Le fils du syndic fut chargé d'aller complimenter Madame (Délibération du 4 mai 1781. Registre de 1778-1783, f°44, v°). 

Le nouveau gouverneur, que les fatigues de la guerre avaient condamné à la retraite dès 1765, était en ce moment malade ; il s'excusa de ne pouvoir prendre aussitôt possession, et chargea un de ses parents de présenter ses lettres. La communauté en ordonna la transcription à ses registres (Note : Registre de 1778-1783, 20 novembre 1781, f° 63, r°. — M. de Boisgelin nommé le 25 avril 1773 avait prêté serment aux mains du Garde des sceaux le 17 novembre 1774. Ses lettres furent enregistrées à la Chambre des comptes le 17 janvier 1775 « sans approbation de la qualité de comte, insérée auxdites lettres, non justifiée à la chambre »). 

M. de Boisgelin ne résidait pas : ses lettres de nomination l'en dispensaient. Il fut le dernier gouverneur de Saint-Brieuc. Le décret des 20-25 février 1791, déclara supprimés, à partir du 1er janvier précédent, les gouvernements de places qui n'obligeaient pas à résidence, et étaient ainsi des titres purement honorifiques (Duvergier, Lois. . . II, p. 241). Tel était le gouvernement « de la ville de Saint-Brieuc et de la Tour de Cesson »

XVIII.

Le titre de gouverneur de la Tour de Cesson avait survécu à la forteresse ; les ruines de la Tour survécurent au titre de gouverneur. La seigneurie de Cesson était au Roi. Elle fut saisie par la nation, dépecée et vendue. Le 28 mars 1791, le « terrain comprenant la Tour » fut adjugé au prix de 4125 francs au sieur Jouan (Note : « Vers cette époque on y avait établi un poste militaire qui découvrait au loin les côtes de la baie de Saint-Brieuc. » M. Habasque, p. 308.). 

La propriété acquise en 1791 par le sieur Jouan passa en héritage à sa fille, femme de M. Le Meur. 

Par une vente du 8 floréal an VI, celui-ci avait acquis l'ancienne chapelle Notre-Dame. L'emplacement de la chapelle passa avec l'objet de la vente de 1791 aux mains de M. Louis Le Meur, fils des précédents, et vice-président du tribunal de Saint-Brieuc. 

Après la mort de M. Le Meur, le 18 novembre 1851, tous ces biens furent, par acte du 14 mai 1852, compris au partage de ses héritiers sous cette désignation générale : « Les terres situées autour de la Tour de Cesson » (Note : 8 h. 62 a. 48 c. Nos 949-950. La Pallée, le Marché, la Terre de la Tour, les Belles, la Côte-Haie, le Pas de Notre-Dame, la Côte de la Tour. — La Pallée n'est pas comprise dans la vente dont nous allons parler). Et cette propriété toute entière, moins une parcelle, dite La Pallée, fut acquise, le 20 octobre 1852, par M. Glais-Bizoin, ancien député. Postérieurement M. Glais-Bizoin réunit d'autres parcelles contigues notamment vers le sud. 

Il est de tradition que, le sieur de Précréant et après lui le domaine du Roi n'ayant tiré aucun parti des débris qui jonchaient le sol, les habitants du voisinage les exploitèrent longtemps et librement comme carrière. Plus tard le propriétaire du terrain comprenant la Tour empêcha (c'était son droit) les voisins d'entrer chez lui, et se mit à vendre les pierres des ruines. Toutefois, il en restait encore une grande quantité lors de l'acquisition de M. Glais-Bizoin. 

En 1887, il fut question de classer la Tour au nombre des monuments historiques. M. Ollitraut-Dureste, héritier de M. Glais-Bizoin, mit opposition au classement ; et il a rendu à la Tour un réel service [Note : L'Etat n'avait fait aucune réparation à la Tour. C'était assez pour que l'opposition fût justifiée (art. 3 et 7 de la loi du 30 mars 1887). Mais le propriétaire prouvait que son auteur et lui-même avaient faits d'importants travaux confortatifs. L'opposition formulée le 25 décembre 1887 fut admise par décision du 21 juin 1888]. Il a pu en effet, sans contrôle étranger, employer les débris de la Tour à réparer ses soubassements qui menaçaient ruine vers le nord-ouest. 

Le danger est désormais conjuré ; et selon toute apparence, des maisons s'élèvent joyeusement aujourd'hui auxquelles survivront les ruines de la vieille Tour. 

La Tour juchée sur son promontoire garde encore son air sombre d'autrefois. L'art l'a pourtant, si je puis dire, modernisée. Sa masse énorme surgit d'un bouquet de verdure. Si même la vieille Tour pouvait parler, peut-être se plaindrait-elle qu'on ait trop enjolivé ses entours. N'aurait-on pas pu en effet conserver au moins en partie les retranchements d'origine romaine formant l'enceinte fortifiée dont la Tour occupait autrefois la gorge ? 

Quoiqu'il en soit de cette critique, la Tour fait aujourd'hui l'ornement d'un beau parc ; et sans elle, l'admirable panorama dont Saint-Brieuc est justement fier aurait un charme de moins. 

Autrefois notre ville a eu peur de la Tour, elle l'a poursuivie de sa haine, elle a essayé de la jeter bas : aujourd'hui elle maudirait la main malavisée qui achèverait l'oeuvre que son syndic a laissée incomplète, il y a bientôt trois siècles. 

Que la vieille Tour reste donc debout ! et que les arrières-neveux des marins d'aujourd'hui, hardis marins comme leurs pères, puissent au retour d'un lointain voyage, entendre la vigie saluer le port du Légué de ce cri joyeux : « La Tour de Cesson ! ».

 

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APPENDICE.

Quel fut le champ de bataille du 8 août 1592 ? — Sur ce point plusieurs opinions : Delaporte ayant sous les yeux les Mémoires de Montmartin a osé écrire (I, p. 230) : « Cesson fut assiégé par Saint-Laurent. Les assiégés sortirent sous la conduite de Rieux Sourdéac, gouverneur de la Tour. Les deux partis se rencontrèrent et se livrèrent une bataille » [Note : Rosnyvinen de Piré dit que Saint-Laurent avait formé deux sièges en même temps, celui de la cathédrale et celui de la Tour de Cesson (Desfontaines, t. III, p. 352)]. — En sortant les assiégés n'ont pu rencontrer les assiégeants qu'aux abords de la forteresse : allégation démentie par Montmartin. M. Habasque « serait porté à croire » que le combat fut livré comme en un champ clos sur la grève Saint-Laurent, et il pense que le nom de la grève lui vient du capitaine ligueur. — (P. 305, note 1). Pures imaginations ! 

Les auteurs des Anciens Evêchés ont pensé que, Sourdéac arrivant de Guingamp et Saint-Laurent marchant au-devant de lui, la rencontre avait eu lieu avant l'entrée de Sourdéac en ville, vers le faubourg de la Corderie. 

Dans sa curieuse étude sur Compadre, M. du Bois de la Villerabel a émis l'opinion que le combat avait été livré près de Saint-Michel. 

C'est entre ces deux dernières opinions qu'il faut choisir. 

M. de la Villerabel avait cru trouver une indication certaine dans la phrase de Compadre que nous avons citée : « Les pionniers furent envoyés près de Saint-Michel pour abattre les murs et fossés, pour y estre un champ de bataille ». Il ajoute en effet : « Ce dernier article nous dit positivement où eut lieu le combat » (Compadre, p. 187). 

Pour nous, nous ne pouvons donner ce sens à la phrase. 

En effet, une bataille n'est pas un tournoi ; si on peut préparer une lice où les deux champions se rencontreront, on ne prépare pas un champ de bataille ; et, pour une bonne raison : c'est que l'adversaire n'acceptera pas le champ de bataille préparé contre lui. 

Il faut d'abord s'entendre sur un point que M. de la Villerabel nous indique (A Travers le Vieux Saint-Brieuc, p. 165). C'est que l'église Saint-Michel dont il parle, bâtie au XIVème siècle et aujourd'hui démolie, n'occupait pas l'emplacement de l'église actuelle. Elle était vers le bas de la place, et, à droite en montant, était un cimetière. 

Saint-Laurent n'a donc pu établir son champ de bataille et M. de la Villerabel ne peut placer le lieu du combat qu'au delà de l'église et du cimetière anciens, entre l'église et le cimetière actuels. 

Ce point établi examinons … 

Quelle était la situation de Saint-Laurent ? Il ne peut se flatter d'emporter Cesson d'un coup de main, et il entreprend un siège régulier qui peut durer longtemps. Va-t-il établir son armée entière, comme le suppose Delaporte, sur l'étroit promontoire de Cesson, que balaie le canon de la Tour ? Assurément non ! Il doit s'attendre que Sourdéac et les royaux essaieront de faire lever le siège ; et, au cas d'attaque heureuse, établi et combattant à Cesson, il serait jeté à la mer. Que fait-il ? Il envoie un détachement à Cesson, sauf à y transporter le reste de ses troupes quand viendra le jour de l'assaut ; et il s'établit en ville, principalement « au manoir épiscopal et dans la grande église » (Compadre, p. 188, note 2). Ses magasins, ses bagages sont réunis auprès de Saint-Michel dans cet espace que les pionniers ont nivelé ou qu'ils vont niveler, puis fortifier, que le syndic Compadre nomme champ de bataille et qu'aujourd'hui nous appellerions place d'armes. Emplacement très bien choisi comme place d'armes et aussi mal que possible comme champ de bataille ! (Note : « Place d'armes dans un siège est un lieu spacieux et retranché ou couvert pour y tenir des soldats ». (Trévoux). Aujourd'hui encore le mot Champ de bataille s'emploie au sens de Champ de Mars).

Etablie là la place d'armes touche à la ville et elle a Cesson en vue. Auprès du cimetière Saint-Michel débouche dans la rue dite encore aujourd'hui des Hillionnais, le chemin dit de Toupin, qui traversant la vallée de Gouédic au moulin de Toupin, conduit directement à Cesson (Note : Le chemin de Toupin n'était pas alors ce qu'il est aujourd'hui. Longeant la Croix de Santé, il entrait en ville par la voie dite aujourd'hui des Hillionnais. Aujourd'hui ce chemin coupé par les enclos de deux habitations entre en ville, et bien plus commodément, en longeant le mur sud-ouest du cimetière. Au temps où le chemin de Toupin était le chemin de Cesson et d'Hillion, peut-être était-il un peu plus praticable qu'aujourd'hui. M. de la Villerabel conte qu'un évêque avait fait son entrée par cette voie, p. 27). Des signaux seront sans doute établis entre Cesson et Saint-Michel ; et, au premier appel parti de Cesson, l'armée filant par Toupin sera au pied de la Tour en moins d'une heure. 

Mais comme champ de bataille combien la position prise à Saint-Michel était dangereuse ! 

M. de la Villerabel écrit : « Averti à temps, Saint-Laurent quitte sa position devant Cesson et revient attendre les royaux dans la plaine Saint-Michel » (p. 189). C'est nous dire que Saint-Laurent, abandonnant ses quartiers en ville et notamment la cathédrale, laissa les royaux entrer, sans coup férir et s'établir à Saint-Brieuc. 

Cela ne s'accorde pas avec le récit de Montmartin : celui-ci nous représente Sourdéac marchant en hâte sur Saint-Brieuc ; et Saint-Laurent venant avec toutes ses forces au-devant de lui ; et, quand celui-ci est battu et pris et que ses soldats reculent, ils trouvent devant eux comme refuge la cathédrale. Ce n'est pas nous dire que Saint-Laurent avait attendu le choc de Sourdéac derrière la ville. 

Attendre l'ennemi, ce n'est pas la tactique de Saint-Laurent. Voyez le plutôt l'année précédente. Il est venu assiéger Moncontour ; il est maître de la ville, il presse le siège du château. Il apprend que son beau-père, le marquis de Coëtquen, vient au secours avec son fils le comte de Combourg, Rosmadec-Molac et Guémadeuc ; aussitôt il lève le siège, laissant seulement quelques arquebusiers devant la place. Il a quelques jours d'avance. Va-t-il battre prudemment en retraite et éviter une rencontre ? Va-t-il s'établir dans une position choisie par lui et attendre l'ennemi ? Non ! il ne laissera pas Coëtquen recevoir des renforts, il court au devant de lui jusqu'à Loudéac, et il engage ce furieux combat où le comte de Combourg est tué et Guémadeuc blessé mortellement. 

Saint-Laurent est battu ; mais vainqueur il fût revenu sur Moncontour. 

De même fera-t-il à Saint-Brieuc : il sait que sa troupe est plus nombreuse que celle que Sourdéac vient de rassembler : il court au devant de lui ; s'il est vainqueur, et il y compte bien, il reviendra à Cesson. Voilà ce que nous trouvons dans le récit de Montmartin. 

Mais continuons. Cherchant les causes de la défaite de Saint-Laurent avec des forces supérieures à celles de Sourdéac, M. de la Villerabel écrit : « Quand on se représentera la situation de l'armée (de Saint-Laurent) entre la garnison de Cesson et les forces de Sourdéac, on jugera que, malgré l'énergie et la tactique d'un maître de l'art, il était difficile de se maintenir entre deux feux » (p. 189). 

On ne saurait mieux dire, mais un maître de l'art ne se met pas volontairement entre deux feux. Or c'est la faute que Saint-Laurent aurait commise s'il avait choisi son champ de bataille au delà de Saint-Michel ; et Sourdéac qui avait visité les lieux, le mois précédent, aurait avec empressement accepté ce champ de bataille en remerciant son adversaire de lui faire la partie si belle. 

Comment croire que, pour attendre Sourdéac, Saint-Laurent, avec des forces supérieures, se soit posté le dos au ravin abrupt et profond de cinquante mètres au fond duquel coule le ruisseau de Gouédic. Que ses troupes fléchissent, qu'elles aient à reculer pour reformer leurs lignes, comment ce mouvement se fera-t-il au bord du ravin ? Qu'elles plient, qu'elles battent en retraite, elles tomberont dans le gouffre ; et comment en sortiront-elles ? La rive droite n'est pas moins élevée et moins escarpée que la rive gauche ; et, Saint-Laurent ne peut en douter, la garnison de la Tour tout entière sera rangée en armes au sommet de l'escarpement, tirant de haut en bas sur les fuyards. 

Cette raison tirée de la situation des lieux suffirait seule à empêcher de placer le théâtre de la lutte près de Saint-Michel. 

Mais en voici deux autres que nous fournit le texte de Montmartin, seul témoin que nous ayons du combat. La première, c'est que, le combat étant livré à Saint-Michel, la garnison de Cesson devenue libre n'aurait pas manqué, comme le dit M. de la Villerabel, de prendre part à l'action, en venant assaillir Saint-Laurent sur ses derrières. Or Montmartin dans son récit circonstancié du combat ne parle pas de la garnison de la Tour. Seconde raison et décisive. — D'après Montmartin, les soldats de Saint-Laurent tournant le dos à l'ennemi, ont trouvé un refuge dans la cathédrale. C'est donc qu'ils combattaient le dos à la ville. Or combattant à Saint-Michel ils auraient eu la ville devant eux, et entre eux et la ville l'armée de Sourdéac ; ce n'est qu'en passant sur cette armée qu'ils pouvaient arriver à la cathédrale. 

Ainsi l'hypothèse des auteurs des Anciens Evêchés de Bretagne, conforme aux données fournies par les lieux et au récit de Montmartin, est, selon nous, absolument justifiée. 

Un dernier mot : C'est en 1866 que M. de la Villerabel avait exprimé l'opinion, que je ne puis admettre. Après vingt-cinq ans d'études il publiait en 1891 ce charmant livre où sa science pleine de grâces et de sourires promène le lecteur A travers le Vieux Saint-Brieuc. Or parlant longuement de Saint-Michel, il ne rappelait pas le souvenir du combat de 1592. N'est-il pas permis de croire qu'il avait changé d'avis sur le champ de bataille ? 

En finissant, l'auteur s'adressait plaisamment à la Tour de Cesson : « Cette vieille Tour... ne lui demandons pas de nous conter quelque nouvelle histoire : elle en a tant vu... ».  Ce qu'elle n'a pas vu, c'est Sourdéac et Saint-Laurent combattant à ses pieds ou même à Saint-Michel. 

En lisant ces pages où l'érudit et aimable auteur a su instruire les savants, et, si j'ose ajouter, par moments amuser tout le monde, qui n'éprouverait un serrement de coeur ? Il a fini sur cette ligne : « Adieu, lecteur bienveillant, ou plutôt au revoir ». Il était plein d'espérance... et il ne devait pas voir son livre imprimé !... 

 

ADDITION SUR LE SIEGE DE CESSON, PAR LE MARECHAL DE BRISSAC (Mars 1598).

Nous avons dit précédemment que le maréchal de Brissac fut contraint de faire le siège de Cesson, qu'il fallut faire une batterie, et que la place ne se rendit par capitulation qu'après plus de dix jours. 

Comme les historiens ne parlent pas de ce siège, il importe de recueillir tous les renseignements trouvés ailleurs. 

Voici des renseignements authentiques. extraits d'une enquête édifiée à Saint-Brieuc, en février 1617, par le sénéchal Ruffelet, à propos des services militaires d'Abel Gouicquet, sr. de Vaupatry et de Trédaniel. Gouicquet (ou Gouyquet) était alors sénéchal et capitaine de Corlay ; et le Roi, à la suite de cette enquête, allait le faire chevalier de Saint-Michel. 

Deux témoins notamment parlent du siège de Cesson. Etienne de Mazure, sr. de la Languinaye, d'Angers, dépose (f° 18 r° et v°) : Il était avec le sieur Gouicquet de la compagnie de cavaliers du sieur de la Mouche, capitaine de Corlay, et « il assista avec le sieur de Trédaniel à plusieurs exploits de guerre avec la compagnie du sieur de la Mouche, et entre autres à une escarmouche que faisait donner le seigneur maréchal de Brissac à la Tour et château de Cesson près cette ville de Saint-Brieuc, pour reconnaître ladite Tour ». Plus loin le témoin dit que Gouicquet assistait « à la prise et réduction du château de Cesson »

Ainsi le témoin distingue deux affaires de Cesson : une reconnaissance armée et un siège en règle. 

Un second témoin, Pierre de K. .., sieur de Kerbelanger, capitaine de Coetmen, demeurant au manoir de Born, paroisse de Lannebert près de Lanvollon, dépose (fo 45 v°) « Il a vu le sieur de Vaupatry au siège, prise et réduction en l'obéissance du Roi des château et Tour de Cesson, au mois de mars 1598 »

Le nom du gouverneur qui défendit si vaillamment la Tour de Cesson ? Est-ce Christophe de Sesmaisons ? Sesmaisons était tout dévoué à Mercœur qui l'avait donné pour parrain à l'un de ses enfants ; mais il avait été fait prisonnier avant ce dernier siège, et au temps où Mercœur dominait à Saint-Brieuc : La preuve c'est que le duc avait exigé deux mille écus de la ville pour la rançon de Sesmaisons. Il se peut cependant que, sa rançon payée, il eût été réintégré. Il est vrai que le miseur Laurent Bagot, mentionne, en 1594, une fourniture faite au capitaine Budes, gouverneur de Cesson ; mais c'est au mois de mars ; et, le 3 octobre suivant, Sesmaisons parrain à Saint-Michel a le titre de gouverneur de Cesson.

J. Trévédy

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