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JEAN PÉRON et le Collège de Léon

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Mgr de La Marche construit un nouveau collège et appelle M. Jean Péron pour le diriger.

En 1780, Mgr de La Marche avait adressé à Sa Majesté Louis XVI le Mémoire suivant, dont la copie se trouve aux archives de l'évêché de Quimper :

« Le nombre des ecclésiastiques diminue dans le diocèse de Léon avec une rapidité d'autant plus alarmante que l'évêque ne peut trouver de secours dans les diocèses étrangers, où la langue bretonne, la seule qui se parle dans les campagnes du diocèse de Léon, est totalement inconnue. Des états peu anciens portaient le nombre des prêtres à environ seize cents ; il est aujourd'hui réduit à environ quatre cents et ne se trouve plus en proportion avec le service qu'exige l'exercice de la religion qui par cette raison éprouve un grand dépérissement. Il est certain que la guerre maritime qui occasionne de fréquentes épidémies dans ce diocèse, où se trouve situé le port de Brest, est une des causes de la diminution du nombre des ecclésiastiques ; en 1757, il en mourut 59 dont 42 au service des malades dans la ville et dans les hôpitaux de Brest. En 1779, le diocèse en perdit encore un nombre extraordinaire. Mais à ces causes de la diminution du clergé, il s'en est joint une autre, d'autant plus efficace qu'elle est permanente et habituelle : c'est le peu de facultés des parents dont les enfants se destinent à l'état ecclésiastique, disposition qu'on ne trouve ordinairement que dans la classe la plus indigente. Cette considération, qui a occupé le Clergé de France dans sa Délibération de 1775, avait déjà fixé l'attention des prédécesseurs de l'évêque actuel de Léon. Il a trouvé un principal de 10.000 livres produisant 340 livres de rente, destinée au secours des pauvres étudiants du diocèse. Depuis il  porté ce principal à 87.555 livres produisant un revenu casuel d'environ cent pistoles (1.000 livres). Dès lors il croit avoir des fonds suffisants pour jeter les fondements d'un établissement d'éducation gratuite en faveur des pauvres étudiants. Or un terrain est adjacent au collège et les deux établissements pourront se prêter un mutuel concours. Ce terrain coûtera 6.000 livres. Mais l'édit de 1749, ne permettant aucune acquisition de fond aux gens de main-morte, à moins qu'elle ne soit autorisée par lettres patentes. M. l'Evêque demande à Sa Majesté cette autorisation au nom des pauvres ecclésiastiques et étudiants du diocèse de Léon, pour y établir un Petit Séminaire et y construire les édifices nécessaires à cet effet. Cet établissement sera reconnu appartenir au clergé général du diocèse de Léon et uniquement destiné à l'éducation gratuite des pauvres étudiants et sera gouverné quant au temporel par le Bureau du dit clergé, présidé par l'Evêque, auquel seul appartiendra le droit de faire les règlements qui concerneront le spirituel et la discipline de cette maison ».

Les lettres-patentes autorisant le Petit Séminaire furent délivrées le 13 septembre 1782. Aussitôt l'Evêque achète le terrain proche du collège et ordonne de creuser les fondations du Petit Séminaire.

« Mais, dit un autre mémoire de Mgr de La Marche, M. l'Evêque de Léon avait commencé à faire creuser les fondements de cet édifice lorsque Messieurs les maire et échevins de la Communauté de la ville de Léon députèrent vers lui et lui, représentèrent que le collège actuel était dans le plus mauvais état, qu'il ne contenait que quatre classes, ce qui l'empêchait d'être fréquenté autant qu'il pourrait l'être, ... que les cuisines par la disposition du bâtiment étaient placées au-dessus des classes, ce qui était incommode et dangereux ; que les octrois de la ville étaient grevés par les frais d'entretien et de réparations ainsi que par une somme de cent livres qui se payait sur les octrois au précepteur dit scholastique ; qu'il faudrait une somme de trois mille livres pour mettre le collège en bon état et que la ville, dont les charges excédaient les revenus, était de plus obérée de dettes ; que, le Petit Séminaire une fois construit, tout moyen de s'étendre était enlevé au collège et qu'ils le verraient avec chagrin condamné à rester toujours dans l'état informe et incomplet où il était actuellement ; que le Petit Séminaire n'étant composé que de jeunes gens qui fréquentent le collège, il serait naturel et utile de former un ensemble de ces deux établissements analogues et qu'il serait moins dispendieux de les réunir dans le même plan de bâtiment et dans la même enceinte que de leur donner une existence séparée... ».

L'Evêque, séduit par le projet, arrêta les travaux de terrassement commencés et demanda ses conditions à la ville. Elle offrit de céder à l'Evêque la propriété du terrain et des bâtiments actuels du collège, mais demanda, en retour, à être déchargée de la pension de cent livres à payer chaque année au scholastique et des frais d'entretien ou de réparation du collège. L'Evêque accepta et fit le mémoire dont nous venons de donner un extrait. Le 13 juin 1786, le roi délivrait à Versailles des lettres-patentes donnant à l'Evêque et à la Communauté de ville toutes les autorisations nécessaires. Aussitôt, Mgr de La Marche faisait démolir les bâtiments délabrés de l'ancien collège et, sur le vaste terrain formé par ce collège et l'espace qu'il avait primitivement acheté pour le Petit Séminaire, il faisait élever le bel établissement dans lequel, depuis, tant de générations d'élèves ont fait leurs études. L'architecte en fut M. Robinet. Les travaux furent rapidement menés, car le 31 mai 1787, avait lieu « l'apposement de la première pierre ».

« Ce jour 31 mai 1787, lit-on dans les Cahiers de la ville, la Communauté a arrêté de se rendre sur les onze heures du matin au palais épiscopal où doivent se trouver le Chapitre et la Noblesse pour accompagner Sa Grandeur et a chargé M. Hervé de Chef du Bois, maire, de faire au nom du dit corps municipal l'acte d'apposement de la pierre fondamentale des dits édifices ».

Dans cette première pierre on déposa un parchemin contenant le procès-verbal qui suit :

« Le 31 mai 1787, du Pontificat de Pie VI la treizième année, du règne de Louis XVI la quatorzième année, la première pierre du Petit Séminaire et du collège de Léon a été posée par Jean-François de La Marche, évêque et comte de Léon, la quinzième année de son épiscopat. Ont concouru à la position de cette première pierre Mathurin-Hyacinthe Authueil, recteur de Guiclan, syndic du clergé de Léon ; Honoré Le Dall de Tromelin, chanoine, vicaire général, porteur de procuration au nom de Jean-Baptiste Gilles baron du Coëtlosquet, maître de camp, commandant le régiment de Bretagne-infanterie, chevalier des ordres de Saint Louis et de Saint Lazare, gentilhomme d'honneur de Mgr comte d'Artois, frère du Roi, héritier de feu Gilles du Coëtlosquet, ancien évêque de Limoges et précepteur des Enfants de France, bienfaiteur du Collège ; Jean-Corentin de Troërin, grand chantre, premier dignitaire et vicaire général, au nom du Chapitre de la cathédrale ; Michel Hervé de Chef du Bois, sénéchal et Maire, au nom de la Communauté de la ville et plusieurs gentilshommes et notables de la dite ville ».

Pendant que les murs s'élevaient, Mgr de La Marche cherchait à qui confier la direction de son nouvel établissement. Il écrivit à M. Emery, supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice et lui demanda de lui céder M. Péron. Nous n'avons trouvé aucun document de cette correspondance, mais M. Péron arrivait à Saint-Pol dès cette année 1787 ; un état du clergé de la ville épiscopale le signale et dans les catalogues des membres de Saint-Sulpice de la même année, on lit en face de son nom la mention laconique : sorti.

Mgr de La Marche nomma cette année-là même M. Péron supérieur du Petit Séminaire et élabora avec lui le règlement du nouvel établissement, dont voici quelques extraits :

« Les professeurs défendront expressément aux écoliers de faire usage du tabac en poudre et en fumée ; et pour leur en faire connaître les fâcheux effets, ils leur donneront tous les ans en thème les Extraits de Tissot sur le tabac... Les pauvres écoliers, qui auront été placés ordinairement six mois dans le premier quart de leur classe, recevront trois livres par mois ; ceux qui auront été placés dans la première moitié deux livres dix sols ; ceux qui auront été placés au centre, deux livres ; ceux qui auront été placés au-dessus du dernier quart, une livre dix sols. Une rente de 1.000 livres est destinée à indemniser les parents qui consentiraient à enlever leurs enfants aux travaux des champs pour leur faire faire des études... On donnera dans le cours de l'année des prix à ceux qui auront fait des progrès visibles, qui de très faibles deviendront médiocres, ou de médiocres bons sujets, ou de bons sujets, seront les premiers de leur classe... Les professeurs doivent être attentifs à rendre les enfants de laboureurs le plus promptement possible lorsqu'ils ne donnent aucune espérance afin de ne pas épuiser inutilement leurs familles et ne pas leur laisser le temps de perdre l'habitude des travaux de la campagne... ». La rétribution scolaire de ceux qui pouvaient payer était de sept livres dix sols par an.

De plus, sur un terrain avoisinant le Creisker et appartenant au Séminaire, l'Evêque faisait bâtir une maison pour servir de pensionnat puis il ouvrait une ancienne porte de l'église et, ordonnant de desservir au Creisker la Confrérie des Trépassés, il faisait de cette église la chapelle du collège, en même temps que celle du Séminaire.

Mgr de La Marche entendait bien que M. Péron, supérieur du Petit Séminaire, fût le seul chef au collège, où toutes les classes allaient maintenant fonctionner. Pour cela, en 1787, il avait nommé le scholastique M. Richou au rectorat de Guimiliau. Il avait agi ainsi en maître, sans même consulter la ville, qui, toute heureuse de la bonne affaire si bien réglée, approuvait en tout le prélat ; d'ailleurs les lettres-patentes de 1782 ne l'autorisaient-elles pas à établir un Petit Séminaire ? Mais il avait compté sans le Chapitre de la cathédrale, qui, à cette époque, n'était pas réduit à chanter l'office et à écouter les décisions de l'Evêque. Le Chapitre avait un droit antique à la nomination du principal régent ou scholastique du collège), sans doute à cause de la prébende de la Confrérie des Trépassés. Or si le Chapitre n'élevait pas d'objection contre la nomination de M. Péron, il réservait ses droits pour l'avenir : d'ailleurs tout chanoine, entrant en fonctions, ne jurait-il pas de maintenir tous les droits capitulaires ? De là entre l'Evêque et le Chapitre un échange de lettres aigres-douces. Devant cet obstacle imprévu, l'Evêque prit la décision suivante : « Je nomme M. Péron supérieur du Petit Séminaire ; le Chapitre, la ville et moi, nous nommerons le scholastique ; ce sera comme jusqu'à présent le professeur de philosophie, c'est lui aussi qui sera chargé de desservir la prébende des Trépassés ; mais le seul chef au collège sera M. Péron ».

Ainsi fut-il fait. M. Péron fut supérieur du Petit Séminaire, comme l'Evêque l'avait décidé ; le Chapitre, la ville et l'Evêque élurent M. Costiou comme scholastique, Mais le maître, le chef, le « Principal » du collège fut M. Jean Péron à la rentrée solennelle qui se fit le 1er octobre 1788.

La Communauté se rendit en corps au collège ce jour-là pour assister à la messe du Saint-Esprit « chantée en présence du seigneur Evêque » et à l'ouverture des classes « suivant les anciens usages, droits et possessions ».

Le collège avait désormais toutes les classes ; il y manquait pourtant cette année, nous ne savons pourquoi, la classe de Sixième.

 

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Les quatre premières années du nouveau collège.

La première année scolaire était à peine commencée que déjà se faisaient entendre les premiers grondements de la Révolution. La séance du Conseil municipal de Saint-Pol du 16 novembre 1788 avait été orageuse ; le Tiers-Etat « qui n'était rien et voulait être tout », demandait que le nombre de ses représentants aux Etats de Bretagne comme aux Etats généraux fût augmenté. Le 1er mai 1789, eut lieu la réunion des Etats généraux qui, le 27 juin, se transformèrent en Assemblée Constituante ; le 14 juillet, tombait la Bastille, symbole de la Monarchie absolue.

Ce fut d'abord dans tout le pays un enthousiasme indescriptible. Avec le consentement de l'Evêque, un Te Deum était chanté dans la cathédrale de Saint-Pol le 25 juillet ; un feu de joie était allumé sur la grande place et de la foule qui faisait cercle et au premier rang de laquelle étaient les élèves du collège, un cri unanime s'éleva : « Vive le Roi ! Vive la nation ! ». La première distribution des prix, le 10 août, dut se ressentir de l'enthousiasme universel. Le 13 août, les jeunes gens de Saint-Pol obtenaient de former une compagnie spéciale dans la milice ; on leur donnait même un drapeau « monté en taffetas de trois couleurs blanc, bleu et rose », et pour la banderolle, c'est un rhétoricien sans doute qui proposa la devise « Fervet amor patriae » que l'on y broda. La municipalité vint en corps assister à la messe du Saint-Esprit lors de la rentrée du 1er octobre 1789. Au début de 1790 eut lieu l'élection des corps municipaux suivant les décrets votés par l'Assemblée en décembre 1789. Il y eut beaucoup de messes du Saint-Esprit, des Te Deum non moins nombreux. Puis ce mouvement enthousiaste de généreuse fraternités sur lequel avaient été appelées, plus que sur tout autre, les bénédictions du ciel, se mit bientôt « sous le soleil de Satan ».

En février 1790, on votait la spoliation des biens ecclésiastiques et en juillet la funeste Constitution civile du clergé, qui, au dire des Jaurès et des Debidour eux-mêmes, fut l'erreur capitale de la Révolution. L'enthousiasme tomba et fit place à la plus cruelle des guerres, la guerre civile. Malgré la défense de l'Evêque, la municipalité faisait célébrer une messe le 14 juillet 1790 et, à l'issue de cette messe, prononçait le serment fédératif. Principal et professeurs s'abstinrent, mais un groupe important d'élèves entourait l'autel de la patrie ; l'un d'eux même « prononça un discours flatteur relatif à la Constitution et à la cérémonie » puis avec ses camarades émit solennellement le serment. Les divisions qui régnaient entre les habitants de la ville avaient donc trouvé un écho parmi les élèves du collège et la distribution des prix, le 10 août, dut se faire dans une atmosphère moins sereine que celle de l'année précédente. Néanmoins la rentrée se fit comme de coutume et la présence du corps municipal, avec la manie de discours qui sévissait à l'époque dans les corps élus, dut être plutôt une gène qu'un plaisir pour le Principal, Le 30 septembre, était mort Mgr Conen de Saint-Luc, évêque de Quimper ; d'après la Constitution civile du clergé, votée en juillet, l'élection d'un évêque constitutionnel s'imposait pour l'unique diocèse que le Département du Finistère devait faire des deux diocèses de Léon et de Quimper. Mgr de La Marche protesta, au nom des droits de l'Eglise, et au bas de sa protestation, datée du 20 octobre, on trouve la signature de M. Péron et de ses six collaborateurs. S'ils ne l'avaient pas connue plus tôt, les élèves apprenaient ainsi l'opinion de leurs maîtres touchant la Constitution nouvelle. Mais voici qu'en décembre, l'Assemblée constituante vote l'obligation pour les prêtres en fonctions de prêter serment à cette Constitution civile, et quand, en janvier, le serment est requis, l'Evêque le refuse et sur 400 prêtres du diocèse 24 seulement embrassent le schisme ; M. Péron et les professeurs du collège refusent également le serment. Le Grand Séminaire est fermé et les Lazaristes qui le tenaient s'en vont. Mgr de La Marche, à son tour, doit fuir, mais, avant de partir, il donne à M. Péron les pouvoirs de vicaire général ; il ne publie pas cette nomination pour ne pas nuire au collège. Mais pourquoi M. Péron et les professeurs du collège sont-ils maintenus à leur poste malgré le refus de serment, exigé une seconde fois par le décret du 22 mars 1791, qui étend ce serment à tout instituteur ou professeur ? Parce que la Ville veut sauver du naufrage de toutes ses institutions le dernier établissement qui lui reste, le collège. « Le départ de M. Péron, écrit-elle au Département qui la morigène là-dessus, entraînerait celui des élèves ». Mais la situation y devient des plus critiques. Expilly, l'évêque intrus du Finistère, fait sa tournée pastorale : il veut éviter Saint-Pol, mais il vient à Morlaix. La municipalité nomme une députation pour aller à Morlaix saluer et complimenter M. Expilly. Six élèves du collège demandent à la Ville et obtiennent de s'adjoindre à la délégation ; trois élèves de troisième, Le Vot, de Saint-Pol, Bazil, de Landunvez, et Derrien, de Landivisiau ; deux élèves de seconde, Provost, du Conquet, et Le Gall, de Saint-Pol ; un élève de rhétorique, Joslic, de Lesneven. Provost fit le compliment à l'intrus et nos « potaches », plus riches en patriotisme qu'en argent, ne durent... de dîner qu'à la générosité des Municipaux. A leur retour au collège, ornés de leurs cocardes, ils furent l'objet des railleries de leurs camarades. « Au collège, dit un rapport de la Municipalité, il n'y a qu'une cinquantaine d'élèves à montrer du patriotisme. Les autres sont endoctrinés par l'aristocratie noire de leurs régents ; plus forts par le nombre, ils vexent les autres, surtout depuis qu'ils ont été à Morlaix voir et complimenter M. l'Evêque ; ils ont arraché le ruban tricolore ou la cocarde nationale que les patriotes portaient ».

Les Municipaux se sont portés en corps au collège, ils ont parlé avec énergie au principal, aux régents et aux écoliers dans la cour et dans les classes, et tout est rentré dans l'ordre. Au reçu de ce rapport, le Département demande à la ville d'expulser ces inconstitutionnels ; mais la Municipalité rechigne à cette exécution qui serait fatale pour le collège : « c'est un édifice si beau, qui a coûté tant d'argent, qu'il serait malheureux qu'il devint le nid aux chats-huants ! ». Devant cette obstination de la ville, le Département commence par préparer la spoliation des bâtiments du collège. Il demande à M. Péron de rendre les comptes de son administration. « Je connais mon administration et vous en présente le compte, écrit M. Péron ; pour ce qui est des titres et des droits des établissements auxquels je suis préposé, il n'y a que M. l'Evêque (Mgr de La Marche) qui puisse en avoir une connaissance parfaite. Comme il a tout créé, établi ici, une dépense d'environ 500.000 livres semble lui assurer le droit de s'expliquer sur bien des articles. Son absence et les difficultés de communiquer avec lui m'empêchent de connaître ses intentions. C'est le motif de la réserve que j'ai été obligé de faire à la fin de mon compte ». La Municipalité ne voit pas le jeu du Département, elle ne voit qu'un bâtiment dont la propriété lui rendrait plus assuré le maintien du collège. Elle déclare que lors de la démolition de l'ancien collège, il y avait des effets et des meubles qui lui appartenaient et, comme aucun inventaire n'avait alors été dressé, un moyen de tout résoudre serait de lui donner la propriété totale du collège. Le Département répond le 14 mai 1791 en déclarant l'établissement bien national. La ville perdait la propriété du collège ; elle allait se voir enlever bientôt le personnel lui-même.

Voici qu'en effet, arrive à Saint-Pol comme curé constitutionnel un nommé Dumay, ci-devant vicaire à Goudelin (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor) et étranger au pays ; les intérêts de la ville le touchent peu ; ce qu'il veut c'est la suppression de « l'antre de fanatisme » qu'est le collège. Qu'on en juge ! Un jour il fait un enterrement, et, pendant qu'il lit les dernières prières sur la fosse, près de lui, un collégien le nargue, le chapeau sur la tête. Lors de la procession des Rogations, quand le cortège a passé près du Créisker, la cloche du collège s'est tue, et l'enquête, faite sur sa plainte, a révélé que la corde de la cloche avait été coupée. Quand le 10 août, les élèves ont été envoyés en vacances, la Municipalité, sur la demande de Dumay, a fait fermer au public l'église du Creisker ; et voici que, le dimanche suivant, la foule s'assemble dans le portique de l'église et même dans les rues avoisinantes à l'heure où M. Péron et les professeurs disent la messe ; la troupe ayant voulu disperser le rassemblement, la foule s'est portée devant la maison du maire, M. Le Hir. « Ouvrez les portes du Creisker pour que nous puissions avoir la messe », clame-t-elle. « Mais à la cathédrale il y a des messes », répond le maire. « La cathédrale n'est plus une église », dit la foule. La troupe dut charger là encore, et, au Conseil municipal, on décida d'interdire le Creisker à M. Péron et à ses régents. Dumay vint même en surplis et en étole prendre la Sainte Réserve. Néanmoins la rentrée eut lieu au collège le 1er octobre 1791, en présence de la Municipalité. Toutes ces avanies ont aigri l'âme du curé intrus et fait germer en elle une haine implacable contre le collège. Au renouvellement partiel de la Municipalité, en novembre, Dumay est élu procureur. Il lui appartient désormais de requérir l'application des lois. Dès la première réunion qui suit l'élection, il requiert la fermeture du collège. Voici son discours tel qu'il l'a transcrit lui-même sur le registre des Délibérations :

« Comme procureur de la Commune, je vous représente qu'un germe inconstitutionnel règne parmi nous, dans le centre de la ville, germe d'autant plus pernicieux qu'il empoisonne les heureuses espérances de notre Révolution. Il n'y a que des personnes dévouées aux ci-devant privilégiés et qui baisent encore les fers brisés par une Constitution vraiment Salomone qui puissent s'opposer à ma juste réclamation pour la suppression du collège de Saint-Pol de Léon, berceau d'aristocratie. Les professeurs de ce collège qui sont inconstitutionnels ne sèment que leurs doctrines. Vous le savez, Messieurs, quelle doctrine ?... Je vais balancer les avantages et les désavantages de ce collège, afin que les personnes mal intentionnées, récalcitrantes, et qui ne se décideront jamais pour la Constitution, n'aient rien à répliquer. Posons un principe : le serment de maintenir la Constitution est ce principe et doit être notre étoile polaire. Les professeurs de ce collège sort inconstitutionnels en ce qu'ils n'ont point prêté le serment civique, par conséquent plus que suspects de tramer contre la Constitution. Doit-on étouffer ou mitonner des ennemis dans son giron ? Leur agence est despotique... Les professeurs du collège ont retiré de chez les citoyens patriotes les écoliers qui y étaient en pension pour les placer chez les ennemis de la Révolution, dont cette ville abonde, ou les loger et pensionner chez eux... Vous ignorez que vous avez un despote inquisiteur dans ce collège. Interrogez et on vous dira que le principal de ce collège oblige les écoliers d'aller à lui à confesse... Vous objecterez que le collège fait vivre des particuliers dans la ville, d'accord ; mais quels particuliers ? Je vous l'ai dit ci-dessus. Combien ne coûtent pas à la Nation, à nous-mêmes, Messieurs, ces professeurs inconstitutionnels, cette maison de collège ?... Que faire de ce bâtiment ?... Il peut servir d'atelier pour nourrir tous les habitants indistinctement. Ce considéré, j'ai l'honneur de vous servir mes conclusions en vous disant que si on a refusé le miel de la Constitution, il faut s'en tenir au proverbe qui dit que si on se fait agneau le loup nous mange. 1° Que le collège inconstitutionnel de Saint-Pol soit supprimé. 2° Qu'on lui donne huit jours pour délibérer, s'il veut sortir de cette inconstitution. 3° S'il se rend et repousse son erreur, la municipalité procurera des places aux professeurs... ».

Mais le Conseil rejeta la demande de l'intrus. Craignant même l'intervention de Dumay, il écrivit au Département en le priant de maintenir le collège. Le Département accepta le maintien mais il exigea du principal et des professeurs le serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, c'est-à-dire le serment à la Constitution civile du clergé. Et la municipalité d'écrire à M. Péron pour l'inviter, lui et ses professeurs, à prêter ce serment. M. Péron répondit par la lettre suivante :

« Messieurs, Vous nous avez notifié, le 30 décembre, l'arrêté du Département du 1er décembre qui exige du principal et des professeurs le serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, sous peine contre les dits professeurs et principal être destitués sur le champ, en cas de refus. Permettez-nous, Messieurs, de vous faire observer que l'Assemblée nationale constituante, peu avant de se séparer, avait décrété, les 25 et 27 septembre dernier : 1° qu'elle renvoyait à la prochaine législature l'organisation de l'éducation nationale ; 2° que, néanmoins, tous les établissements enseignants subsisteraient provisoirement avec les mêmes règles par lesquelles ils ont été régis jusqu'à ce jour. D'après ces droits, Messieurs, nous aurions cru que l'ouverture de nos classes s'étant faite de concert avec vous, en votre présence et sans doute du consentement du Département, les mêmes motifs qui avaient déterminé à nous laisser continuer nos fonctions pendant les sept premiers mois de 1791 et les reprendre au mois d'octobre dernier, nous assuraient le même régime au moins jusqu'à la fin de cette année scholastique. Quel a dû être notre étonnement lorsque trois mois après notre entrée publique et dûment autorisée, vous nous avez notifié de prêter serment sous peine d'être destitués. Oh ! Messieurs, vous êtes témoins comme nous des maux incalculables que ce serment fatal attire sur notre patrie. Vous gémissez comme nous et vous savez ce qu'en pensent ceux-là mêmes qui en furent dans le principe les moteurs et les panégyristes les plus ardents. Nous vous déclarons unanimement, Messieurs, que le serment qu'on exige de nous répugne et répugnera toujours à notre conscience. Nous sommes chrétiens, nous sommes prêtres, nous sommes instituteurs publics ; les voeux que nous avons faits sur les fonts baptismaux, les engagements que nous avons solennellement pris aux pieds des autels, l'obligation particulière que nous impose la confiance dont le public nous honore, sont pour nous des titres sacrés dont nous nous glorifierons toujours ; nous ne les profanerons pas, nous ne souillerons pas nos lèvres par un serment que notre religion désavoue et repousse avec horreur. Tels sont, Messieurs, en abrégé, les motifs de notre refus. Nous croyons avoir rempli notre devoir auprès de vous, Messieurs ; quelle que soit la dernière décision, nous ne cesserons d'adresser au Ciel les voeux les plus ardents pour la paix de l'Eglise et la prospérité de l'Etat. Léon, le 6 janvier 1792. Signé : Péron, principal du collège et Supérieur du Petit Séminaire. Costiou, scholastique de Léon et professeur de Logique. Fercoq, professeur de Physique. Abgrall, professeur de Rhétorique. Le Roux, professeur de Seconde. Le Men, professeur de Troisième. Le Gall, professeur de Quatrième. Liscoat, professeur de Cinquième. P.-S. — Nous vous prions de vouloir bien nous dire ce que nous devons entendre par ces termes : " Sous peine d'être destitués sur le champ ", et si nous devons dès ce moment cesser nos leçons ».

La Municipalité transmit aussitôt cette réponse au District de Morlaix, qui ordonna, le 10 janvier, de saisir immédiatement les titres et les registres de l'établissement.

Cependant les cours continuèrent pendant un mois encore. Le 4 février, la Municipalité arrêtait une liste de nouveaux professeurs tous laïques : Principal : Goëz, de Rostrenen, Physique : Trobert, de Châteauneuf, Logique : Pondaven, de Porspoder, Rhétorique : Perrin, de Rostrenen, Seconde : Coustou, de Rostrenen, Troisième : Bourzon, Quatrième : Bourguays, du Calvados, Cinquième : Balande, de Locronan.

De plus, pour donner un certain lustre à ces nouveaux maîtres, elle arrêta de les revêtir d'un costume aussi solennel que patriotique : « Habit noir avec épaulette tricolore sur l'épaule gauche et chapeau aux couleurs nationales ». Le 15 février, le procureur du District signifiait à M. Péron et à ses collaborateurs de quitter le collège, et, le soir même, il installait le nouveau personnel.

Le 29 février, M. Goëz écrivait au District « Enfin notre solitude n'est pas absolue, nous avons une vingtaine d'écoliers ». Mais à la rentrée d'octobre, il n'y en eut plus que dix, et pour se distraire, les professeurs se mirent à faire de la politique ; plusieurs furent élus notables en novembre. En 1793, le 22 décembre, Le Bourguays et Trobert escaladaient la chaire de la cathédrale pour célébrer la fête de la Raison, puis on n'entend plus parler du collège ni de ses professeurs. En 1794, des soldats remplaçaient les élèves dans le bel établissement fondé par Mgr de La Marche, et en 1800, le collège servait d'hôpital.

 

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Le diocèse de Léon pendant la Révolution.

M. Péron n'était donc plus principal du collège depuis le 15 février 1792 ; mais il lui restait une charge autrement lourde que lui avait confiée son évêque en partant pour l'exil, celle de gouverner, avec M. Henry, le diocèse de Léon. M. Henry était chargé du Bas-Léon ; le Haut-Léon était échu à M. Péron. La nomination de M. Péron ne devait pas être connue des constitutionnels, car aucun acte de police ne mentionne son titre de vicaire général. Cela aida-t-il ou non à sa mission ? Nous ne le savons, mais ce qui ne fait aucun doute, c'est la difficulté de remplir une telle fonction à une pareille époque.

La Législative vient de décréter le bannissement de tous les prêtres insermentés. Il est vrai, qu'à Paris, Louis XVI oppose noblement son veto à ce décret, mais le Département du Finistère fait sien le décret proscripteur et, dès le 29 juin 1792, ordonne l'arrestation de tous les insermentés, qui devront, suivant l'âge, être déportés ou enfermés dans les prisons. Les prêtres doivent donc se cacher. Pour les dépister, le Département promet une prime de 72 livres à quiconque dénoncera la cachette d'un prêtre réfractaire. Les édits royaux donnaient jadis 50 livres par tête de loup ; nos Girondins, plus généreux, octroient 22 livres de plus par tête de prêtre ! Le 6 janvier 1793, la prime sera portée à 100 livres en espèces ! La Convention ne tardera pas à décréter que tout prêtre insermenté, qui ne se sera pas constitué prisonnier, sera passible de la peine de mort. Or dans le diocèse de Léon, il y avait 400 prêtres en 1789 ; 24 seulement ont prêté serment, 250 sont déportés ou enfermés dans les prisons ; mais 118 restent cachés dans le pays malgré la rigueur des lois et, il faut le dire à la louange du peuple catholique, trois seulement de ces prêtres furent dénoncés en vue de la prime ! Une lettre de M. Henry à son Evêque, en 1817, nous donne des détails sur la Révolution.

Le prêtre des paroisses a des difficultés extraordinaires à remplir son ministère ; la capture pour lui, c'est la mort. Pour le fidèle qui le cache, c'est la déportation et la confiscation des biens en vertu du décret du 30 vendémiaire an II (20 novembre 1793), et, à partir du 22 germinal (11 avril 1794), c'est la mort et la confiscation des biens. Aussi M. Henry fait-il les éloges de l'un et de l'autre : « s'élevant au-desssus de toute considération, du péril même de perdre la vie et la fortune des enfants, on les (prêtres) recherchait, on les conduisait, on les hébergeait, on les faisait jouir des bienfaits de la plus généreuse charité. Même les détenus, dans les maisons d'arrêt, étaient agréablement forcés de reconnaître qu'eux-mêmes n'avaient rien à regretter de leur état ancien pour la nourriture que la liberté ». Qu'y a-t-il, en effet, de plus éloquent à ce sujet que l'inventaire publié par M. Peyron dans le tome II des Documents pour servir ?. Quatre-vingt prêtres viennent d'être enfermés aux Capucins de Landerneau, et la population accourt, se disputant l'honneur de donner du linge et des meubles à ces confesseurs de la foi. Certes, les prêtres qui sont restés au pays ont un ministère pénible, mais combien adouci par le dévouement des populations catholiques. Sur 118 prêtres, la Terreur ne put en saisir que huit ! Bien plus, ces prêtres, « ces cachés, comme dit M. Henry, donnaient les plus beaux exemples de constance, de sainte intrépidité, de zèle, de pénitence, de concorde, d'habileté dans l'espèce de guerre qu'ils faisaient, d'amour pour l'unité des principes, d'exactitude à se plier aux agenda qu'ils recevaient ».

Mais qu'est-ce qui pouvait nourrir cet ensemble de vertus sacerdotales ? « J'en trouve la cause, écrit toujours M. Henry, dans la correspondance suivie qui put s'entretenir entre le grand et vertueux évêque de Saint-Pol, réfugié en Angleterre, et ses deux agents principaux dans le diocèse et dans l'exactitude de ceux-ci à la communiquer à leurs frères. De la part des grands vicaires, elle consistait en demandes en forme de consultation, et en exacte reddition de compte de tout ce qui se passait et, de la part de Monseigneur, en envois de documents, de décisions doctrinales, de touchants témoignages de compassion, d'avis de prudence, de remontrances paternelles, d'encourageantes exhortations ».

Le principal intermédiaire entre l'Evêque et le diocèse était M. Péron qui se cachait près des côtes et se servait de « l'adroite activité de quelques jeunes gens chassés révolutionnairement du Séminaire, dit M. Henry, que nous avions pour courriers, agents intermédiaires, porteurs de dépêches et de communications intéressantes ». Veut-on une preuve de l'adresse de ces courriers ? « Un même dimanche, tous les maires, tous les recteurs assermentés et les intrus des campagnes reçurent une expédition authentique des Brefs du Souverain Pontife Pie VI, et ceux des villes le reçurent le lendemain par la voie de la poste, à Brest on les reçut avec le timbre de Morlaix, et à Morlaix avec le timbre de Brest ».

Si les travaux de M. Péron sont moins connus, cela tient à son rôle spécial, tout de discrétion et de mystère, d'agent de liaison, et aussi à son caractère plus grave, austère même. Quant au bon M. Henry qui circulait partout, il était servi par une nature d'une jovialité extraordinaire. Cette jovialité étonnerait de la part d'un vicaire général de temps de paix ; elle fit merveille en temps de Révolution. La Biographie bretonne de Levot nous laisse entrevoir quelques détails que des traditions et des lettres particulières nous permettent de préciser. M. Henry avait établi son quartier général à Guipavas, dans sa paroisse natale. « C'est de là, écrit Levot, que, comme un nouvel Athanase, M. Henry gouverna la portion du diocèse confiée à ses soins ». Il avait changé de nom et pris le surnom de « Gilles ». Où est M. Henry ? il est en Angleterre ; telle était la leçon que l'on répétait surtout aux enfants dont l'indiscrétion était à redouter. Un jour, à la Porte de Landerneau, à Brest, la garde voit passer un paysan portant un sac sur le dos ; elle entr'ouvre le sac, soupèse quelques poignées de farine ; mais l'air un peu hébété du paysan la rassure et elle le laisse passer. Ce paysan entre dans une maison de la Grand'Rue, ouvre son sac et, plongeant la main presqu'au fond, en retire un papier ; c'est une dispense de mariage que le vicaire général, car le paysan c'est lui, est venu apporter, si on peut dire, à domicile. Faut-il montrer sa présence d'esprit ? Un jour, dans une salle de l'hôpital de la Marine, où les Soeurs avaient été maintenues, M. Henry confessait une religieuse. Tout à coup, un bruit de pas se fait entendre. Rapidement il se glisse dans un lit voisin, ramène les draps jusqu'au menton pendant que la religieuse lui met sur la tête le bonnet que les Soeurs portent la nuit. Le soldat entre sans frapper et quand il voit une religieuse assise au chevet d'une autre religieuse malade, il s'en va un quart d'heure après, un sans-culotte à l'air débraillé, la pipe en bouche, les manches retroussées, sortait de l'hôpital assis près du cocher dans la charrette du bourreau ; c'était M. Henry qui avait terminé son ministère. « A toutes les heures du jour et de la nuit, écrit Levot, on voyait un personnage mystérieux tantôt dans un village, tantôt dans un autre. Au costume près, c'était toujours le pauvre Gilles. Un jour, il se présentait à la porte d'une chaumière avec l'attitude d'un mendiant dont la faim semblait aiguillonner la timidité. Le lendemain, le même individu, porteur de l'habit et des outils d'un bûcheron, entrait brusquement dans une autre maison et demandait, dans l'idiome du pays et avec le ton grotesque qui caractérise les gens de cette profession, s'il y avait de l'ouvrage à lui donner ». Sa bonne cachette à Guipavas était le puits de Kernizan, dans la paroi duquel une cavité lui servait de refuge et d'où il pouvait se rire du regard investigateur des gendarmes, qui l'avaient vu entrer dans ce puits et qui, penchés sur la margelle, n'apercevaient plus que la surface limpide de l'eau. Une fois pourtant, il faillit être pris. C'était au bourg même de Guipavas, une faible planche devint, pendant deux fouilles consécutives, le seul obstacle qu'il opposa au fer des soldats.

Cependant la tourmente eut des accalmies ; c'est ainsi que, le 9 mars 1795, Brue, le Représentant du Peuple près des côtes de l'Ouest, lance une proclamation permettant le libre exercice du culte moyennant la déclaration de domicile. Aussitôt les vicaires généraux se montrent au grand jour ; le 18 mai, M. Péron fait sa déclaration devant le District de Morlaix ; le lendemain, M. Henry faisait la sienne à Saint-Pol, où M. Péron le rejoignait le 23 mai et recevait l'hospitalité chez les demoiselles Salaün de Kertanguy. A ce moment, M. Thiberge, vicaire général de Quimper, défendait aux prêtres de ce diocèse cette déclaration qui impliquait, à ses yeux, adhésion à la nouvelle forme de gouvernement et il se réclamait pour cela de l'Evêque de Léon. Cette défense créa alors une seconde classe de jureurs ; mais, pour lui montrer que tel n'était pas l'avis de Mgr de La Marche, MM. Henry, Péron et Elie Corre, recteur du Minihy, venaient à la mairie de Saint-Pol, le 27 juin, et y faisaient la déclaration suivante :

« Déclaration des ministres catholiques romains résidant à Pol-Léon. Les ennemis des ministres du culte catholique romain, ci-devant détenus ou cachés à raison de refus de serment, ne cessent de leur imputer d'être réfractaires à la loi et d'insinuer qu'ils sont en révolte contre le gouvernement. Les dits ministres ne sont point et n'ont point été réfractaires à la loi. Une loi a prescrit aux fonctionnaires publics de jurer la ci-devant Constitution civile du clergé ou d'abandonner leurs bénéfices ; ils n'ont point fait le serment, mais ils ont abandonné leurs bénéfices ; ils ont donc obéi et ne sont point réfractaires ; ils ne sont point, et ils n'ont point été et jamais ils ne seront en révolte contre le gouvernement. Disciples d'un maitre qui leur a dit que son royaume n'est pas de ce monde, ils sont par principe et par état soumis au gouvernement civil de tous les pays qu'ils habitent. Lorsque Jésus-Christ a envoyé ses apôtres prêcher l'Evangile dans tout l'Univers, il les envoya dans les républiques comme dans les monarchies, et telle est l'excellence de cette religion toute divine, qu'elle s'adapte à toutes les formes de gouvernement. Dire que le culte catholique romain ne peut s'exercer dans les républiques comme dans les monarchies, c'est calomnier ce culte et ses ministres, Tels sont, tels ont toujours été nos sentiments. A Saint-Pol-de-Léon, le 27 juin 1795 (vieux style). Ont signé, requérant acte et copie de leur déclaration : Elie Corre, Péron, Henry, etc..., prêtres catholiques romains ».

La copie de cet acte, communiquée à M. Thiberge, décida ce dernier à se relâcher de sa rigueur et dans les deux diocèses une même ligne de conduite fut adoptée qui ramena la paix et la renaissance du culte. Mais la malheureuse affaire de Quiberon vint dans notre pays, plus tôt qu'ailleurs, rallumer la persécution. Dès novembre, les prêtres durent fuir ou se cacher ; de nouveau, les arrestations recommencèrent. Après le coup d'Etat de Fructidor, la persécution devint même plus violente que sous la Terreur. Un rapport de la Municipalité de Saint-Pol, de janvier 1799, déclare ce qui suit : « Aucun culte n'existe dans la commune, toutes les églises sont fermées, les lois contre les prêtres réfractaires sont exécutées ; les prêtres insermentés trouvent dans les campagnes des asiles où ils exercent leurs fonctions d'autant plus paisiblement que, chaque cultivateur étant pour eux une sentinelle, ces êtres sont avertis de la recherche qui les menace avant que ceux qui les poursuivent puissent seulement apercevoir le lieu qui les recèle ». Dans la liste des émigrés, on porte les noms de Péron et de Henry avec la mention : « Fugitifs depuis l'an V ».

Mais enfin le Directoire est balayé par le coup d'Etat du 18 Brumaire et un Consulat, présidé par Bonaparte, lui succède. Le nouveau gouvernement, soucieux de la paix et averti par la guerre de Vendée que l'élément essentiel de cette paix est la liberté religieuse, entre en pourparlers avec Rome pour la conclusion d'un Concordat. Les prêtres reparaissent aussitôt en public. Le 3 mai 1800, M. Péron se présente au bureau municipal de Saint-Pol et déclare fixer son domicile dans cette ville en la maison de la citoyenne Salaün (de Kertanguy) ; il reçoit une carte de sûreté qui lui permet « d'exercer dans les villes et dans les campagnes le culte de la religion catholique ». Le 2 juillet, M. Péron célèbre la messe à la cathédrale, et, dit un rapport : « Le peuple témoigne la plus vive satisfaction du retour de ses ministres, et, quoique son affluence ait été immense, tout s'est passé dans le plus grand ordre ». En même temps, M. Péron réorganisait le culte et nous avons sous les yeux une feuille signée Péron, vicaire général, datée du 23 octobre 1800 ; l'espace nous manque pour la reproduire en entier ; il y traite des Pouvoirs des Prêtres, des Registres, du Baptême, de la Communion pascale, du Mariage ; nous donnons seulement l'extrait suivant intitulé : Principes de la conduite à tenir à l'égard des errants.

« On exhortera les fidèles à observer dans la société civile les lois de la charité chrétienne à l'égard des prêtres schismatiques et de leurs adhérents. On ne saurait trop leur répéter que la haine du péché ne doit jamais s'étendre au pécheur. Plaignons nos frères errants ; gémissons sur leur sort et tâchons d'obtenir leur retour à l'Eglise par la ferveur de nos prières et de nos supplications, n'oublions jamais qu'ils sont nos frères, aimons-les tendrement en Jésus-Christ et soyons toujours prompts à leur rendre service. Montrons par notre conduite, qu'enfants de la véritable Eglise, nous sommes animés de son esprit de charité. On ne peut pas communiquer dans l'exercice de leurs fonctions avec les intrus et les schismatiques sans se rendre coupable de leur usurpation et de leur schisme. Les prêtres schismatiques de ce diocèse ou n'ont jamais eu de pouvoirs ou n'en ont eus que de délégués et il est évident que l'Eglise ne conserve pas les pouvoirs à ceux qui se sont arrachés de son sein. Ainsi 1° on refusera l'absolution aux individus qui suivent les intrus et les schismatiques jusqu'à ce qu'ils renoncent à toute espèce de communication avec eux dans les actes de religion. 2° On obligera les personnes qui se seraient confessées aux prêtres schismatiques à renouveler ces confessions évidemment nulles. 3° Si des personnes, qui auraient de mauvaise foi fait bénir leur mariage par des schismatiques, rentrent dans le sein de l'Eglise, on leur donnera une nouvelle bénédiction, la première étant nulle ; on les exhortera à la recevoir quand même elles auraient agi de bonne foi et se seraient trouvées dans l'impossibilité absolue ou relative de recourir à un prêtre suffisamment délégué, tant la grâce du sacrement leur est précieuse. 4° On ne fera pas l'office des morts et on ne dira pas la messe pour les personnes qui auraient reçu les derniers sacrements des prêtres schismatique, à moins qu'on ne soit bien sûr de leur catholicité et qu'elles n'aient appelé un prêtre schismatique que parce qu'il était impossible de trouver un ministre catholique. Dans une pareille extrémité on peut, sans doute, se servir du ministère d'un prêtre schismatique, pourvu que l'on déclare publiquement qu'on n'a recours à lui que par nécessité, qu'on est bien éloigné de penser comme lui et qu'on déteste son schisme. Léon, le 23 octobre 1800. PÉRON, vicaire général ».

Jusqu'en 1802, M. Péron signe ainsi des papiers du titre de vicaire général. Mais le 10 avril de cette année, le Concordat est publié, en même temps que paraît un décret érigeant en un seul diocèse le territoire compris dans le département du Finistère. Le Pape avait demandé leur démission à tous les Evêques de France. Mgr de La Marche refusa la sienne. Cette nouvelle jeta la consternation dans le diocèse, comme le montre la lettre suivante de M. de Troërin à M. Boissière, datée du 2 juillet 1804 : 

« Des maux incalculables seront la suite de cette non démission.., je dis dès lors, malheur à nous ! Je suis sûr qu'à Londres on le (Mgr de La Marche) berne lui et ses adhérents avec le même ridicule que de notre temps... Je lui ai écrit que s'il retourne dans ce pays, tout sera en feu, on tournera le dos à ceux qui ne pensent pas comme lui, le clergé va être horriblement partagé et ne saura quel parti prendre. J. P. a parlé tomme moi... ». J. P. c'est Jean Péron. M. Péron écrivit donc à Mgr de La Marche. Nous ne savons pas la teneur de cette lettre, mais l'ancien Evêque de Léon demeura à Londres et délégua ses pouvoirs, ceux du moins qu'il croyait avoir, à Mgr André ; les maux incalculables redoutés par l'ancien grand chantre de Léon, nous dirions le Doyen du Chapitre, M. de Troërin, furent ainsi épargnés au pays. A qui le doit-on, sinon à MM. Henry et Péron, vicaires généraux de Mgr de La Marche, se ralliant au Concordat ? Comme l'écrit M. Garrec à Mgr Dombideau le 13 mars 1805, « M. Péron est trop bien pensant pour être attaché à M. de La Marche autrement qu'il ne convient de l'être, par le respect et la reconnaissance » (abbés Saluden et Kerbiriou).

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