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LE PETIT SÉMINAIRE DE SAINTE-ANNE D'AURAY (1815-1828)

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Organisation du petit séminaire. — Le P. Cuénet. — Difficultés du début. — Les élèves de Sainte-Anne. — Les maîtres : les PP. Lelen, Valantin, de Brosse, etc. — L'esprit de l'éducation. — Les charges ; — les académies ; — les études ; — le petit séminaire et les évêques de Vannes. — Mgr de la Motte.

Les conditions dans lesquelles s'installaient à Sainte-Anne les PP. Jésuites n'étaient plus et ne pouvaient être les mêmes que par le passé. On les appelait dans une maison où, si favorable que fût l'accueil, ils n'entraient que comme des hôtes, et non plus avec cette qualité de propriétaires qui leur avait permis jadis de réaliser dans les collèges l'idéal pédagogique de leur Institut.

Plus d'instruction gratuite : il fallait vivre, et les anciennes fondations avaient disparu. Plus d'externes un collège établi dans un village perdu au fond de la campagne ne comportait que des pensionnaires. A plusieurs points de vue, c'était une expérience que l'on tentait.

Au reste, si les circonstances imposaient une forme nouvelle aux maisons d'enseignement de la Compagnie, ses règles si fécondes et si larges pouvaient s'y adapter sans difficulté. N'était-ce pas toujours le même esprit, la même affection, qui font des maîtres, d'après leur propre témoignage, « les pères et les mères » de leurs élèves [Note : « Nos élèves... doivent trouver en nous des pères et des mères. C'est en les aimant véritablement et en le leur prouvant continuellement qu'on gagne leur affection et qu'on attire leur confiance ». Lettre de P. Simpson, provincial de France, aux supérieurs des petits séminaires, 25 novembre 1818] ?

On vit donc cette éducation produire ses admirables fruits à Sainte-Anne, comme ailleurs ; mieux qu'ailleurs même, si l'on en croit les souvenirs enthousiastes encore vivants dans le coeur des anciens élèves et que nous avons été plus d'une fois heureux d'évoquer.

Le petit séminaire s'ouvrit, le 14 novembre 1815, sous la direction du P. Cuénet, c'est-à-dire de l'homme le plus apte à faire aimer l'éducation chrétienne. Sa bonté, son affection pour les élèves étaient telles, qu'on l'appelait communément la « mère Cuénet » [Note : Vie du P. Varin, par le P. Guidée, Chap. VI, p. 27. Le P. Pierre Cuénet, entré en 1794 chez les Pères du Sacré-Coeur, fut supérieur de Sainte-Anne de 1815 à 1826]. Mais il savait être énergique lorsqu'il le fallait. Dès 1816, un an à peine après l'ouverture de la maison, le conseil municipal de Vannes entreprit une campagne contre le petit séminaire, sous le prétexte que ce dernier faisait concurrence au collège royal [Note : Registre des délibérations du conseil municipal de Vannes, séance extraordinaire du 13 décembre 1816. Le rapporteur constatait un déficit de 32.027 francs dans le budget du collège royal ; à qui la faute ?...]. La prétention était forte. Le P. Cuénet tailla sa plume, et ses raisons, appuyées par l'évêque, firent taire les jaloux.

La faveur de l'autorité protégeait les Pères contre les cabales ; mais ce qui plaidait surtout pour eux, c'était la supériorité de leur éducation.

On avait ouvert le collège avec soixante élèves, répartis en quatre classes. L'année suivante, ils étaient cent quatre-vingt-onze et, dans la suite, leur nombre dépassa trois cents. On en voyait arriver de toute la Bretagne et de l'ouest de la France.

Parmi les enfants qui peuplaient le collège, il y en avait de toute condition. Beaucoup se destinaient au sacerdoce ; néanmoins, il eut été impossible de limiter le nombre des élèves aux seuls candidats ecclésiastiques, comme on voulait y contraindre les évêques. Du petit séminaire de Sainte-Anne sont sortis, en même temps que des prêtres et des religieux éminents, beaucoup d'hommes qui ont tenu dans le monde la place la plus honorable. Au hasard nous citerons : l'abbé Moigno, le savant si connu ; MM. Hersart de la Villemarqué et de Carné, les futurs membres de l'Institut de France ; le P. Arsène Cahours, dont on connaît les ouvrages de littérature ; le P. Arthur Martin, l'archéologue et l'artiste distingué, à qui l'on doit la Monographie des vitraux de la cathédrale de Bourges ; son frère Félix, Eugène Coué et Jean-Baptiste Hus, également Jésuites et que nous retrouverons tous les trois recteurs du collège Saint-François-Xavier, à Vannes [Note : On comprend que nous ne puissions abuser des noms propres. Contentons-nous de recueillir, sur les catalogues d'élèves de Sainte-Anne avant 1828, quelques noms de famille que nous voyons encore aujourd'hui honorablement portés, en Bretagne ou ailleurs : de Beauregard, de Quéral, Terrien, de Cintré, de Farcy, de Kertanguy, de Perrien, du Boisbaudry, de Keyser, de Kerdrel, de Lorgeril, de Goesbriand, Lallemand, d'Andigné, Bazin, du Halgouët, de la Monneraye, de Virel, Martin, Rio, d'Héliand, de Rochebouët, Luco, de Quatrebarbes, de Trogoff, de la Houssaye, de Livonnière, de Mauduit, Bréart de Boisanger, de Coatgourden, Marquet, le Ray, le Gouvello, de Boisguehenneuc, de la Noüe, Larboulette].

Après la tourmente révolutionnaire et l'ère sanglante de l'Empire, les esprits s'abandonnaient, avec un charme aussi doux que nouveau, à la quiétude et à l'espoir. Dans cette solitude de Sainte-Anne, aux portes de laquelle venaient mourir les bruits du monde, sous les ombrages séculaires de son parc, l'existence coulait vraiment heureuse. La prière, l'étude, les saines récréations en plein air, l'ardeur, généreuse qui emportait cette jeunesse vers la science et la vertu, formaient un enchaînement paisible et régulier ; ces belles années de Sainte-Anne apparaissent comme un oasis au sein de l'agitation contemporaine.

Mais aussi quel milieu favorable ! Sur la terre classique de la fidélité, ces enfants, appartenant presque tous à des familles ardemment chrétiennes et royalistes, n'avaient qu'à laisser leur cœur s'ouvrir à l'amour des grandes causes pour lesquelles, autour d'eux, le sang avait si souvent coulé. Le 20 septembre 1823, la duchesse d'Angoulême, allant poser, à la Chartreuse d'Auray, la première pierre du monument élevé à la mémoire des victimes de Quiberon, s'arrêta au petit séminaire. Le P. Mac-Carthy, qui avait précité le carême à la cour, la harangua dans l'église ; et la fille de Louis XVI fut touchée des démonstrations de dévouement dont elle était l'objet.

Le pèlerinage attirait à Sainte-Anne de nombreux visiteurs. Les Pères desservaient la chapelle, comme avaient fait autrefois les Carmes, et ils n'épargnaient rien pour en accroître l'éclat extérieur. On y prêchait souvent, au milieu d'une grande affluence. C'est là que le P. Leleu, le P. Chaignon et d'autres commencèrent leur apostolat [Note : Voir la Vie du P. Chaignon, par le R. P. X.-Aug. Séjourné, de la Compagnie de Jésus, 1888, Retaux-Bray].

Pour assurer dans un grand collège le bon ordre et la discipline, pour en bannir l'ennui et la mollesse, il ne suffit pas du bon esprit, ni même de la piété ; il faut des institutions qui intéressent l'enfant à la vie de son collège, l'occupent, le distraient, développent son initiative et l'empêchent de se croire en prison ou à la caserne. C'est le but des charges : les charges, c'est-à-dire des fonctions secondaires confiées à des élèves recommandables et qui les associent, sinon au gouvernement de la maison, du moins à la mise en train des divers services.

Le caractère de ces charges est très exactement défini par le règlement de Sainte-Anne.

« Ceux qui sont choisis pour les occuper, disait-il, doivent les regarder comme une marque d'honneur et de confiance et s'acquitter avec fidélité des fonctions qui y sont attachées ». Quant aux autres élèves, « ils se garderont bien d'abuser de leurs condisciples dans les honorables services qu'ils en reçoivent ».

Il n'y avait pas moins de seize charges différentes : boutiquiers, questeurs inspecteur et servants du réfectoire, bibliothécaires, réglementaire, chefs de table, maîtres de chant, conservateurs des jeux, etc.

La plupart existent encore dans les collèges de Jésuites ; nous en renvoyons donc à plus tard la description. Un mot seulement de l'une d'entre elles qui n'est plus en usage et dont l'énoncé a pu surprendre le lecteur : les inspecteur et servants du réfectoire.

A tour de rôle, les élèves des hautes classes servaient, à table, leurs condisciples. Le règlement leur recommandait de remplir cet office « avec toute la dextérité, l'honnêteté et la diligence dont ils sont capables ». L'un d'eux portait le titre d'inspecteur. A lui de « présider au service du réfectoire, de s'assurer que tout est préparé, de veiller à l'ordre et à la propreté et à ce que rien ne manque », en un mot de s'acquitter du rôle d'un intelligent maître d'hôtel.

Qu'on ne se hâte pas de sourire : de pareilles fonctions n'avaient, en réalité, rien d'humiliant, puisque tous y étaient astreints, sans distinction de naissance ou de fortune. A cette école de prévenances mutuelles, plus d'un dut sans doute d'apprendre à être serviable envers ses égaux et bienveillant envers ses inférieurs. C'était à la fois une leçon de politesse et de charité, et il me semble que nos amateurs d'égalité n'ont pas encore trouvé mieux.

Au reste, toutes les institutions du collège marquaient le même souci d'inspirer aux jeunes gens le respect du bon ton et des convenances.

Ne voulant et ne pouvant tout décrire, nous nous arrêterons aux académies, dont l'importance était grande à Sainte-Anne.

Contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, les quatre classes supérieures, deuxième année de sciences, philosophie, rhétorique et seconde, formaient une seule académie. Tous les huit jours, l'académie se réunissait ; chacun de ses membres devait fournir un travail au moins une fois par trimestre ; le projet soumis à l'assemblée devait être approuvé par elle et traité en règle pour une autre séance. A ces lectures se joignaient des exercices de déclamation et des discussions critiques.

Le bureau, renouvelé tous les trois mois par l'élection, comprenait un président, un vice-président, un conseiller électeur, un secrétaire et un maître des cérémonies. Tout candidat devait présenter, comme épreuve, une composition originale dont l'académie était juge ; et c'était en séance publique, avec discours de réception, tout comme sous la coupole de l'institut, que s'installaient les nouveaux membres.

Sous la direction de maîtres habiles, comme les PP. Maillard, Bellefroid, de Placère, l'académie était un puissant instrument d'émulation. On comptait avec elle et on la considérait comme le grand foyer littéraire du collège. Quand on avait besoin d'un compliment, d'un remerciement, l'académie était là pour le faire. Vers la fin de 1822, c'est elle qu'on chargea de rédiger un journal des événements remarquables de la maison. Lorsque Mgr de la Motte de Broons et Vauvert fut nommé évêque de Vannes, en 1827, il vint à Sainte-Anne à l'improviste : l'académie était si bien préparée que, dès le lendemain, elle put lui offrir une séance intéressante. L'évêque eut, à cette occasion, un mot charmant, présageant les bontés qu'au cours de son long épiscopat, il ne devait cesser d'avoir pour la Compagnie de Jésus. A la fin de la séance, il demanda les divers morceaux dont il venait d'entendre la lecture ; et, comme on s'excusait de n'avoir que des brouillons : « N'importe, dit-il, mon coeur saura les lire et ne les oubliera jamais ! ».

Ces grandes séances étaient un événement, et d'éminents personnages regardaient comme une bonne fortune d'y assister. Le préfet du Morbihan, M. de Chazelles, était parmi les plus assidus. Comme il n'y avait pas de salle d'exercices, on se tenait dans l'étude de la première division ou même dans le parc, sous la voûte des grands arbres. Les programmes étaient variés, et quelque imprévu venait toujours en relever l'intérêt.

Voici qui peut en donner une idée. Le 16 janvier 1827, la visite de Mgr Garnier, prédécesseur immédiat de Mgr de la Motte sur le siège de Vannes, fut l'occasion d'une solennité académique. On discuta devant lui cette question : « Dans quel état peut-on servir le plus utilement sa patrie ? ». L'un tenait pour le commerce, l'autre pour l'armée, un autre pour la magistrature, un autre pour les lettres, un cinquième pour l'état ecclésiastique. Chacun plaida chaleureusement. Le défenseur de l'état ecclésiastique parla le dernier et, tout naturellement, il amena dans son discours l'éloge de Mgr Garnier : « A quoi bon insister sur ma démonstration, conclut-il, puisque nous avons ici un exemple vivant de l'excellence du sacerdoce ? ». Et, ce disant, il écarta vivement un rideau, derrière lequel apparut un beau portrait de l'évêque. A cette vue, les acclamations éclatèrent et Mgr Garnier, fort touché, répondit avec beaucoup d'à-propos.

En dehors de ces séances académiques, l'année scolaire se clôturait sur une série d'exercices publics très importants auxquels prenait part le collège entier : épreuve certainement plus redoutable et plus concluante que les examens actuels. Pendant les cinq jours qui précédaient la distribution les prix, toutes les classes, depuis la huitième jusqu'aux cours de sciences, comparaissaient devant une nombreuse assistance où les personnes du dehors étaient invitées ; et les élèves avaient à répondre à toutes les questions qui pouvaient leur être posées par les spectateurs sur les matières de leur enseignement, détaillées à cet effet dans un programme imprimé de vingt-cinq ou trente pages. Il suffit de parcourir ces vieux programmes pour constater que l'on demandait aux enfants beaucoup moins un triomphant mais fugitif effort de mémoire qu'une application intelligente et logique de leur faculté de raisonnement à un sujet donné.

C'est ainsi, par exemple, que l'énumération des auteurs expliqués en troisième est suivie de cette recommandation : « MM. les élèves essaieront de faire ressortir les beautés du style, la propriété des termes, la suite et la liaison des pensées. Ils feront aussi, quand l'occasion s'en présentera, des remarques sur les moeurs et coutumes des anciens et donneront les détails géographiques et historiques nécessaires pour l'intelligence de l'auteur ».

Bien qu'à cette époque le baccalauréat existât, ce n'était pas, comme aujourd'hui, l'indispensable et précoce conclusion des études. On faisait des classes complètes, sérieuses, et l'enseignement choisissait à son aise son heure et ses moyens. Les facultés de l'enfant se développaient d'après leur progression naturelle. Le bon grain de la science était considéré non pas comme une marchandise qu'on entasse à la hâte dans un entrepôt, mais comme une semence précieuse qui doit améliorer le sol où elle germe et lui rendre au centuple ce qu'elle lui aura coûté. C'est un fait d'expérience que l'on retrouve chez les hommes de cette génération une rectitude de pensée, une étendue et une variété de connaissances dont on ne peut faire exclusivement honneur à leur âge, et qui dénotent la solidité de leur première formation classique.

Ainsi, pendant treize ans, vécut le petit séminaire de Sainte-Anne, dont la bienfaisante influence s'étendait de plus en plus. Du fond de son nouveau diocèse, son fondateur, le cardinal de Bausset en témoignait toute sa joie au P. Cuénet : « Bien peu d'années, disait-il, ont suffi aux respectables directeurs du petit séminaire de Sainte-Anne pour opérer de grands biens... Je jouis plus que personne des bénédictions que la Providence a daigné accorder à vos travaux et au voeu le plus cher de votre respectable évêque  » (lettre du 28 juillet 1819).

Au P. Cuénet avait succédé, dans la supériorité, le P. de Brosse. En 1828, le P. Louis Valantin était recteur, son frère Daniel préfet des études, quand l'oeuvre des Jésuites à Sainte-Anne fut brusquement interrompue par des événements qu'il est temps de résumer [Note : Il y avait, à cette époque, quatre frères Valantin dans la Compagnie de Jésus ; le P. Louis était l'aîné, le P. Daniel le plus jeune] (Fernand Butel, 1890).

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