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LE PETIT SÉMINAIRE DE SAINTE-ANNE D'AURAY (1815-1828)

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Nouvel orage contre la Compagnie de Jésus. — L'opposition et la question des petits séminaires (1828). — Les ordonnances du 16 juin. — Protestations de l'épiscopat. — Visite de la duchesse de Berry à Sainte-Anne. — les Pères abandonnent le petit séminaire.

L'abolition de la Compagnie de Jésus, en 1774, avait été l'une des victoires les plus signalées des sociétés secrètes ; son rétablissement, en 1814, fut considéré par elles comme un affront et un défi. La Restauration, en ouvrant aux Jésuites les portes de l'enseignement, mettait le comble à l'irritation des libéraux : fallait-il perdre d'un seul coup tout le terrain conquis par la révolution sur le catholicisme ?...

Aussi jura-t-on d'obtenir une revanche.

Le plan de campagne fut dressé avec une suprême habileté. On se garda bien d'attaquer ouvertement la royauté, encore environnée de l'affection populaire, ou la religion, qu'on savait protégée par le pouvoir ; mais on organisa contre elles une guerre d'embuscades ; on s'efforça de les compromettre l'une par l'autre, de les discréditer et de les ruiner dans l'opinion publique par le ridicule et le mensonge. Par-dessus tout, on s'attacha à faire pénétrer dans les masses l'idée que la France était menacée d'une affreuse réaction, dont les principaux instruments étaient les Jésuites. Revenus en France malgré le droit public, ce ne pouvait être que pour y travailler subrepticement à étouffer la liberté de conscience, ramener la société à la théocratie, au moyen âge, à l'inquisition...

Impudente inconséquence ! On accusait de ténébreuses menées des hommes qui, tout en suivant pour leur régime intérieur la règle de saint Ignace, prêchaient, enseignaient ouvertement sous la surveillance et l'autorité des évêques ; et qui les accusait ? Ces libéraux, ces carbonari, dont la vie n'était qu'une conspiration perpétuelle [Note : « C'est, avouait, depuis, un des membres de l'Union, par les soins de notre société, créée dans le même temps (que la société " Aide-toi, le ciel t'aidera "), que toutes les brochures contre la Restauration étaient publiées et distribuées, dans l'intérieur de la France et à l'étranger, aux associations secrètes avec lesquelles on correspondait ; qu'on créait et qu'on soutenait partout les journaux opposants ; que les souscriptions étaient organisées eu faveur des condamnés politiques... qu'on donnait le mot d'ordre qui fut longtemps de se plaindre des Jésuites, des soldats étrangers, et de crier dans les émeutes : Vive la charte ! On devait profiter de toutes les occasions pour déconsidérer le pouvoir, pour lui susciter des embarras, pour accroître ceux que le hasard pouvait faire naître ». Cité par Deschamps et Claudio Jaunet, les Sociétés secrètes, etc., t. II, p. 247].

L'obscurité volontaire où se tenaient les Jésuites leur était même imputée à charge. Si, moins soucieux d'éviter des difficultés au pouvoir, ils avaient réclamé la reconnaissance légale, nul doute qu'on n'eût crié à l'envahissement : ils s'effaçaient, donc ils tramaient quelque noir mystère ; on ne les voyait nulle part, donc ils étaient partout !

Tout absurde que fût la supposition, elle trouvait dans l'opinion un écho malheureusement trop docile. Il y avait surtout un fait dont on tirait parti. Les Jésuites avaient rétabli parmi les hommes du monde ces anciennes congrégations de la sainte Vierge, si propres à développer la piété, à protéger les moeurs et la foi des jeunes gens et assurer au dehors et au dedans de la famille l'observation de la loi de Dieu. Les personnalités les plus illustres se faisaient gloire d'en être membres, et ces pieuses associations avaient rayonné en une foule d'oeuvres de bien sur le terrain pratique de l'étude et la charité [Note : C'est à cette époque notamment que se fondèrent la « Société des bonnes oeuvres », pour l'apostolat des hôpitaux et des prisons, la « Société des bonnes études », celle de « Saint-François-Régis », pour la légitimation des mariages irréguliers. Cf. la Congrégation (1801-1830), par Geoffroy de Grandmaison, Paris, Plon, 1889].

C'était plus qu'il n'en fallait pour exciter l'animosité des ennemis de la religion. Dès lors, « la Congrégation », comme on disait, devint le point de mire de toutes les attaques. On affecta de lui attribuer une sorte de pouvoir mystérieux disposant souverainement de la France. Il n'est pas de fable grossière qu'on n'inventât et qu'on ne fit, hélas ! accepter par la crédulité publique sur les agissements du « parti prêtre » et la complicité du gouvernement.

C'est à cette époque que, pour donner satisfaction aux jalousies de l'Université et décrier l'enseignement des Jésuites, fut lancée cette ridicule calomnie qui, en dépit de vingt réfutations, pèse encore sur la mémoire d'un saint et savant religieux : nous voulons parler de la prétendue histoire de France où le P. Loriquet, entre autres preuves de fanatisme, aurait désigné Napoléon Ier comme « le marquis de Buonaparte, lieutenant général des armées du roi ». Combien d'honnêtes Français ne sont pas encore détrompés de cette sottise ! [Note : Cette ineptie ayant été, en 1844, rééditée à la Chambre des pairs par M. Passy, Montalembert porta plusieurs fois inutilement le défi public de montrer une seule édition de l'histoire du P. Loriquet contenant le passage incriminé. — Martial de la Roche-Arnaud, l'ancien calomniateur des Jésuites, revenu à la vérité et à la bonne foi, fit justice de ce mensonge dans une lettre à M. Passy : « Cette étrange stupidité, disait-il, n'est pas plus des Jésuites que tant d'autres indignités qu'on leur attribue. Je vous apprends, Monsieur, que ce passage du marquis de Buonaparte, que vous avez tant fait valoir à la Chambre des pairs, a été fabriqué il y a vingt ans, à Paris, rue Montmartre, dans les bureaux d'un journal (le Constitutionnel) où vous ne pouvez pas ignorer que s'élaboraient alors ces basses et ténébreuses erreurs dont la glorieuse et immortelle révolution de juillet a été la suite ». Voir les Erreurs et mensonges historiques, par C. Barthélémy , 1876, Paris, Blériot ; septième série, p. 260].

Ce travail d'idées, cette « comédie », comme l'avouaient plus tard cyniquement les libéraux [Note : « Lorsque nous avons juré fidélité à Charles X et obéissance à la charte... tout cela n'était qu'une feinte... Détrompez-vous : pairs, députés, magistrats, simples citoyens, nous avons tous joué une comédie de quinze ans ». Le Globe, du 24 octobre 1830], dura pendant toute la Restauration. En 1826, parurent de violents pamphlets, destinés à précipiter le dénouement : le fameux « Mémoire à consulter, » par le comte de Montlosier [Note : Le titre complet était « Mémoire à consulter sur les congrégations et les Jésuites, sur la déclaration du clergé de 1682, et sur les dangers que font courir au pays et à la royauté les envahissements des communautés religieuses »] ; puis « les Jésuites modernes, pour faire suite au Mémoire à consulter, » par Martial Marcet de la Roche-Arnaud, tissu de calomnies atroces et invraisemblables que l'auteur devait plus tard déplorer et renier avec autant de sincérité que de chagrin.

Bientôt le mémoire devient une dénonciation adressée à la cour royale de Paris. Celle-ci se réunit à huis clos, et, sans débats, formule un arrêt ou plutôt une déclaration où il était dit que « l'état de la législation s'opposait formellement au rétablissement de la Compagnie de Jésus ». Sans effet légal, cet étrange arrêt attisait du moins les passions antireligieuses. Dans la presse, à la Chambre des députés, la question des Jésuites revenait à toute occasion et toujours avec plus d'aigreur. Cette polémique et la menace des mesures réclamées contre les congrégations soulevait parmi les catholiques une vive émotion : une association se fondait pour la défense, de la religion ; les évêques commençaient à manifester publiquement leurs alarmes.

On arriva ainsi en 1828. Ces difficultés, habilement grossies par l'opposition, effrayaient le ministère, qui crut qu'en faisant quelques concessions, surtout en sacrifiant les Jésuites, il ramènerait à lui ses adversaires. M. de Martignac « s'engagea donc à vaincre les répugnances de Charles X, en lui exagérant les périls de la situation » [Note :  Crétineau-Joly, Histoire de la Compagnie de Jésus, t. VI, p. 180, — Voir également : L. de Viel-Castel, Histoire de la Restauration, 1876, Calman-Lévy, t. XVIII ; Ernest Daudet, le Ministère de M. de Martignac, 1875, Paris, Dentu, p. 137 et suiv. ; Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, Paris, Lecoffre, t. VII, liv. XVIII. Ces différents écrivains établissent, en la jugeant d'ailleurs très différemment, cette alliance du ministère Martignac avec les chefs du libéralisme sur cette question des petits séminaires].

La tactique de l'opposition consistait à soutenir qu'en appelant à la tête de leurs petits séminaires des membres d'une congrégation sans existence légale, les évêques violaient manifestement la charte et que le gouvernement se devait à lui-même de faire cesser cette usurpation. On alléguait bien encore d'autres griefs contre le régime des petits séminaires, mais il était facile de voir que l'enjeu de la lutte était la présence des Jésuites.

Le 20 janvier 1828, le gouvernement nomma une commission pour faire une enquête sur les « écoles ecclésiastiques ». Le 28 mai suivant, elle déposait son rapport, qui, sur la grosse question engagée, concluait en faveur des évêques et de la liberté. Les évêques seuls, y disait-on avec raison, sont juges des qualités que doivent remplir les prêtres auxquels ils confient leurs séminaires.

Les Jésuites étaient condamnés d'avance. Malgré cet avis favorable, le ministère présenta, le 15 juin, à la signature du roi deux ordonnances dont la première excluait des « écoles secondaires ecclésiastiques » tout « membre d'une congrégation religieuse non légalement établie en France, » et faisait rentrer, à partir du 1er octobre, sous le régime de l'Université, les huit petits séminaires jusque-là dirigés par les Jésuites. La seconde ordonnance interdisait aux petits séminaires de recevoir aucun externe, limitait à vingt mille le nombre de leurs élèves et obligeait ces derniers au port du costume ecclésiastique.

M Fraissinous, grand maître de l'Université, avait noblement donné sa démission pour n'avoir pas à contresigner de semblables ordonnances. Ce fut Mgr Feutrier, évêque de Beauvais, qui eut le triste honneur d'y apposer son nom.

Charles X avait longtemps hésité. On lui disait que l'intérêt du royaume était en jeu, mais sa conscience protestait. Le 15 juin, à la table même du conseil, se livrait dans son âme un cruel combat. Retenant la plume suspendue au-dessus du fatal papier « Mon cher évêque, dit-il à Mgr Feutrier, je ne vous dissimule pas que cette signature est ce qui m'a le plus coûté dans ma vie... Vous croyez donc que je ne fais aucun mal ? — Oh ! non, Sire, vous sauvez la religion d'une grande ruine » [Note : Ernest Baudet, le Ministère de M. de Martignac, p. 200]. Le roi signa.

Louis XV avait sacrifié les Jésuites par insouciance ; la politique arrachait à son petit-fils la même injustice. Charles X croyait sauver sa couronne ; il avait simplement fait le jeu de ses ennemis deux ans après, lui et sa dynastie, fuyant devant la révolution, reprenaient, cette fois pour toujours, le funèbre chemin de l'exil.

Les catholiques avaient espéré que le roi ne se prêterait jamais à des mesures de proscription. A la nouvelle des ordonnances, leur étonnement et leur douleur furent aussi vifs que la joie des libéraux. Un très grand nombre de conseils généraux protestèrent. Pas plus que leurs devanciers de 1762, les évêques ne faillirent à leur devoir. On avait dénaturé le débat en faisant croire qu'il s'agissait d'empêcher que « personne ne se mit au-dessus de la loi sous prétexte de religion ». La véritable question était celle-ci : le gouvernement pouvait-il attenter au droit sacré des évêques, fondé sur les canons et reconnu par l'ordonnance de 1814, de diriger en toute liberté l'enseignement de leurs clercs ? L'épiscopat, à la presque unanimité, se leva, et, par la voix de son doyen, le cardinal de Clermont-Tonnerre, adressa au roi un memorandum qui se terminait par les célèbres paroles : Les évêques « ne résistent point, ils ne profèrent pas tumultueusement des paroles hardies, ils n'expriment pas d'impérieuses volontés ; ils se contentent de dire avec respect, comme les apôtres : non possumus, nous ne pouvons pas ! ».

Pendant plusieurs mois, l'agitation des esprits fut vive et le gouvernement très embarrassé. Le détail de toutes ces péripéties serait trop long. Il ne fallut rien moins que l'arbitrage du Saint-Siège pour amener, non pas une transaction, car les ordonnances furent entièrement exécutées, mais une soumission forcée, dont le souvenir fit longtemps saigner le cœur de l'Église de France.

Une seconde fois depuis un siècle, en pleine prospérité, les Jésuites étaient arrachés à leur oeuvre d'enseignement. Ils ne s'étonnèrent pas et acceptèrent religieusement l'épreuve. Non seulement ils s'interdirent toute protestation, mais leur loyalisme ne manqua pas une occasion de s'affirmer après comme avant les ordonnances.

Le 24 juin, S. A. R. la duchesse de Berry vint à Sainte-Anne, où l'accueillirent de grands honneurs. Elle tint à visiter le petit séminaire dans tous ses détails. Un arc de triomphe s'élevait à l'entrée, portant ces mots expressifs : « Vive le roi, quand même ! ».

Dans un médaillon encadré de verdure se lisait, en italien, cette délicate allusion à la nationalité de la princesse : « 0 Italie, que tes roses sont belles au milieu des lis de le France ! ». Les fleurs de lis avaient été semées avec une profusion qui étonna l'auguste visiteuse. « On ne voit donc ici que des lis ! s'écria-t-elle. — Madame, répondit le P. Valantin qui l'accompagnait, ils naissent sous vos pas ».

Nul n'aurait pu se douter que, huit jours auparavant, le funeste décret qui fermait aux Pères les portes de leur cher collège avait été signé à Paris.

Du moins ils ne purent éviter les témoignages de regrets et d'affection dont leurs élèves désolés les entourèrent jusqu'au dernier moment. La distribution des prix à Sainte-Anne fut émouvante. On se pressait autour des Pères, on leur disait adieu en pleurant...

Mais, dans ce moment même, la Providence veillait sur eux et leur préparait, en Bretagne, un vrai asile (Fernand Butel, 1890).

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