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CHAPELLE ET PÈLERINAGE DE SAINTE-ANNE-LA-PALUE ou SAINTE-ANNE-LA-PALUD.

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I. — Sainte Anne.
Anne, dont le nom hébreu Hannah signifie grâce, naquit à Bethléem. Elle était de la race de David. Vers l'âge de vingt ans, elle épousa Joachim qui descendait également de la famille du roi-prophête, et s'en alla avec lui habiter la bourgade de Nazareth. Joachim était berger, et, de tout ce qu'il recueillait de son troupeau, soit laine, soit agneaux, il faisait trois parts, donnant la première aux veuves, aux orphelins, aux voyageurs et aux pauvres, la seconde au temple, et réservant la troisième pour lui, ses serviteurs et l'entretien de sa maison. Cette conduite avait attiré la bénédiction du ciel sur son troupeau, qui se multiplia à tel point qu'il n'avait pas son pareil en Israël.

Néanmoins, Joachim et Anne n'étaient pas heureux. Ils pouvaient croire que Dieu n'avait pas béni leur union, car ils n'avaient pas d’enfant. Ils persévéraient cependant dans leur prière, et chaque jour Anne disait à Dieu : « Seigneur des armées, si vous donnez à votre esclave un enfant, je vous le donnerai moi-même pour tous les jours de sa vie ». Hélas ! il y avait vingt ans qu'elle priait ainsi, et le ciel restait sourd à ses implorations.

Un jour que Joachim montait au temple de Jérusalem avec son épouse, apportant un agneau à l'autel des holocaustes, un prêtre de sa connaissance l'aperçut et lui jeta ces paroles méprisantes : « Il ne t'est pas permis de te mêler à ceux qui offrent leur sacrifice à Dieu, toi que le Seigneur n'a pas béni, puisqu'il ne t'a pas donné d'avoir un rejeton en Israël ». Humilié ainsi devant tout le peuple, Joachim sortit du temple, mais ne rentra point dans sa maison; il alla cacher sa honte dans la montagne où paissait son troupeau, et pendant cinq mois on n'entendit plus parler de lui.

De sen côté, Anne s'était retirée dans sa demeure de Jérusalem, et là, dans sa douleur profonde, elle disait au Seigneur : « Dieu d'Israël, qui ne m'avez pas donné d'enfants, pourquoi m'avez-vous enlevé aussi mon époux ? Voici cinq mois que je ne le vois plus ; je ne sais où il s'en est allé, ni s'il est mort ; au moins je lui aurais élevé un tombeau. il faudra donc que je pleure à la fois mon veuvage et ma stérilité ».

Enfin son inlassable persévérance fut récompensée. Un matin qu'elle priait le Seigneur en disant : « Dieu de mes pères, écoutez-moi et bénissez ma prière comme vous avez béni Sara en lui-donnant un fils », un ange lui apparut et lui dit : « Anne, ne craignez pas : il est dans les desseins de Dieu de vous donner un enfant, et le fruit qui sortira de vous fera l'admiration de toute la terre jusqu'à la fin des temps ».

Au même moment un autre messager céleste se montrait à Joachim dans la montagne et lui donna la même assurance : « De ton sang, lui disait-il, naîtra une fille ; elle habitera le Temple et le Saint-Esprit descendra en elle, et son bonheur sera au-dessus de celui des autres femmes ; son fruit sera béni ; elle-même sera bénie et sera appelée la Mère de l'éternelle bénédiction. C'est pourquoi, descends de la montagne, retourne auprès de ton épouse, et ensemble rendez grâces au Seigneur. ».

Joachim obéit et retourna dans sa maison où Anne l'accueillit avec des transports d'allégresse. Neuf mois après, une fille leur naissait qu'ils appelèrent Marie.

Selon Suarez et la plupart des théologiens, Sainte Anne enfanta sans douleur. Celle avait conçue sans lui transmettre la tache de notre origine. Et, s'il est permis de soupçonner que cette grande âme avait appris par les anges quelque chose des destinées réservées à Marie, où prendre les paroles capables d'exprimer les joies de son cœur maternel quand elle donnait son lait à celle qui devait un jour donner le sien à son Dieu ?

En ce jour béni de la naissance de la Vierge, tous les anges, dit S. Bernardin, descendirent du ciel dans la maison d'Anne pour saluer l'Enfant que l'heureuse mère venait de donner au monde. Contemplant cette œuvre admirable entre toutes les œvres du Créateur, ils se proternèrent avec un infini respect devant leur Souveraine.

En même temps, une voix d'en haut disait : « Bénis sois-tu en ce monde, ô ma bien aimée ! Une compagnie céleste assista à ta naissance ; jamais n'éclata au paradis pareille allégresse. Que l'Esprit divin reposé sur toi ! Le ciel et la terre seront soumis à ta puissance, les anges te serviront comme ta meilleure amie. A toi le monde ! L'humanité sera par toi guérie. ».

Conformément à la promesse qu'ils en avaient faite à Dieu, Anne et Joachim mirent leur fille au temple de Jérusalem dès qu'elle eut atteint l'âge de trois ans, mais on croit qu'ils moururent, Joachim le premier, Anne suivant de près son époux, avant le mariage de celle qui eut l'insigne honneur de devenir la Mère du Fils de Dieu fait homme.

II. — Culte et Reliques de sainte Anne.

D'après la tradition juive, le corps de Sainte Anne fut inhumé, dans la grotte Gethsérnani, au flanc du mont des Oliviers. Sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, venue à Jérusalem en l'an 326, l'y retrouva et le fit transporter à Constantinople, d’où le culte de Sainte Anne ne tarda pas à se répandre, d’abord en Orient, puis en Occident. Suivant l'opinion la plus généralement adoptée, quelques-unes des reliques restèrent dans les églises de Constantinople, mais le corps lui-même, c'est-à-dire une portion très considérable, et, en particulier, le chef, furent vraisemblablement donnés par la pieuse impératrice à l'évêque d'Apt en Provence. Elle était, en effet, en rapports constants avec les évêques de cette région des Gaules, et pouvait avoir des raisons particulières d'honorer de ce royal présent l'église ou le pasteur de cette ville.

Mais l'empire d'occident s'étant écroulé, les rives de la Durance eurent à subir tour à tour les ravages des Visigoths, des Burgondes, des-Ostrogoths, des Francs, des Saxons, des Lombards et des Sarrasins, et, au cours de cette longue tempête, le corps de Sainte Anne disparut, caché par des mains pieuses dans une crypte ignorée de l'église d'Apt. On le retrouva miraculeusement au temps de Charlemagne. Ce pieux monarque fit rédiger un rapport de la découverte et écrivit, à ce sujet, au Souverain Pontife, une lettre que l'on conserve encore. Depuis cette époque, l'église d'Apt est devenue célèbre par le culte que l'on y rend à Sainte Anne. Les rois et les papes l'ont tour à tour visitée, et ces derniers ont enrichi le pèlerinage d'innombrables faveurs.

C'est d'Apt que sont sorties, directement ou indirectement, presque toutes les reliques de Sainte Anne que l'on peut voir et vénérer maintenant ailleurs. On en trouve des portions plus ou moins considérables dans quelques grandes églises de France, ainsi qu'en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Espagne, et jusque dans le Nouveau-Monde. (D'après les Petits Bollandistes et l'abbé Ollivier, Sainte Anne, Nantes, 1907).

La chapelle de Sainte-Anne-la-Palue, dont nous entreprenons l'histoire dans le présent travail, ne possède que deux reliques infimes du corps de la vénérable Aïeule du Sauveur. Elles proviennent toutes deux de Rome. L'une en a été apportée, en 1847, par M. l'abbée Lézéleuc, qui était à cette époque professeur au Grand Séminaire de Quimper, et transférée solennellement, le 30 juillet 1848, de l'église de Plonévez-Porzay à la chapelle de Sainte-Anne ; l'autre a été obtenue, vers le même temps, par M. le Chanoine Boussard, ancien aumônier des Dames Ursulines de Quimperlé.

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CHAPITRE I.

Sainte-Anne-la-Palue.

Nous sommes dans l'antique Pagus Porzoed, le Pays du Porzay, limité au Nord par le Méné-Hom [Note : Méné-Hom : Montagne de Plomodiern. Le plus haut sommet se trouve en Dinéault. Hom semble apparenté au latin summum, sommet. L's initial latin se rend souvent en breton par une aspiration. Ex : Sol, soleil, héol ; salix, saule, haleg ; sal, sel, halen ; satum, semence, had ; saliva, salive, hal, etc... On trouve aussi le nom de la montagne de Plomodiern écrit Méné-Com. — Com, Comb, signifie, en vieux breton, vallon, vallée. Un anglais, venu à Plonévez vers le milieu du siècle dernier, demandait, en montrant la montagne de Plomodiern, comment on appelait le Méné-Hom qu'il avait sous les yeux. Mais, lui répondit-on, vous l'appelez par sen nom ! Il expliqua alors que ce mot était un nom commun usité chez les Cornouaillais insulaires et les Gallois pour désigner la plus élevée de deux montagnes qu'un vallon sépare, et il ajouta qu'aux environs de Holy-Well où il habitait, il y a aussi un Méné-Hom, ou grande Montagne qui a, en outre, un nom propre. — Notre Méné-Hom porte aussi un nom propre : Ar Yet, le guet, nom qui lui vient de ce qu'autrefois il existait à son sommet une tour de guet, et, plus tard, un signal dont on voit encore les ruines] ou montagne de Plomodiern, à l'Est par les hauteurs de Cast, et au Sud par celles de Locronan, qui forment autour de lui comme un fer à cheval ouvert sur la baie de Douarnenez.

Ce canton était autrefois couvert tout entier par la forêt de Névet dont le nom fait penser à un important temple païen qui y aurait existé à l'époque gauloise [Note : Névet, dans nos vieux auteurs nemet. Le gaulois nemeton signifiait temple ; lieu consacré. — Nimidœ, temple au milieu des forets. Cf. l'irlandais nemed, sanctuaire ; Cf. aussi le latin nemus, bois, forêt, et quelquefois bois sacré. V. Loth, Chrestomathie bretonne, p. 9 et 154 ; Dottin, Manuel de l'antiquité celtique, p. 81. Dans la forêt, au bord du ruisseau qui sépare la commune de Plonévez-Porzay de celle de Plogonnec, se voient les restes du château des seigneurs de Névet, famille antique et illustre dans les fastes de notre histoire bretonne]. De cette forêt, il ne reste, comme débris, que le bois du Duc, au-dessus de Locronan, le bois de Kerlaz, et celui de l'ancienne seigneurie de Lescus, en Plomodiern [Note : Tous ces noms ont été christianisés par nos vieux moines. Le Méné-Hom est devenu la montagne de Saint-Côme, dont on trouve la belle et curieuse chapelle tout auprès, en Saint-Nic. La montagne de Cast s'appelle Méné-Sant-Gildas ; celle de Locronan, Méné-Sant-Ronan, et le reste du bois de Névet, qui s'étend sur une partie de Kerlaz, en breton Coat n'Even, porte le nom d'un ermite qui s'y est autrefois sanctifié. Crozon, en breton Craon, rappelle un saint Craon, dont on trouve le nom au cadastre de La Feuillée : Parc et goarem Sant-Craon. Craon=Creven. Crévennus, saint autrefois, honoré dans la Cornouaille anglaise, et fêté avec ses compagnons, le 27 octobre].

C'est tout au fond de la baie de Douarnenez, au pied d'un coteau qui l'abrite contre les vents de mer, que s'élève la chapelle de Sainte-Anne-la-Palue, dans la s paroisse de Plonévez-Porzay [Note : Le nom de Plonévez se trouve, écrit Plonévet dans quelques actes du XVIème siècle, et a été traduit, à la même époque, par Plebs nemorensis, peuple ou paroisse de la forêt (de Névet). Il ne faut voir là qu’une flatterie à l'adresse des seigneurs de Névet qui habitaient Plonévez, de temps immémorial. Longtemps auparavant, au XIème siècle, on trouve Plebs nevez et Plebs nova, paroisse nouvelle. Notre Plonévez, comme les autres paroisses de ce nom, signifie donc nouvelle paroisse, c'est-à-dire, une paroisse créée postérieurement aux autres Plous voisins : Ploaré, Plogonnec, Ploéven, Plomodiern qui ont été, sans doute, les premières paroissses fondées par les émigrants descendus de Grande-Bretagne dans notre canton. Quant au qualificatif Porzay qui suit Plonévez et qui sert à le distinguer des autres plous de même nom, ou le trouve sous les formes Porzoet au XIème siècle, et Porzoez en 1368. M. de la Borderie, dans le premier tome de son Histoire de Bretagne, n'hésite pas à en faire Pors-Coët, la criur du Bois (de Névet, toujours). Nous osons être d'un autre avis. Plonévez, dans ses deux lieues de côtes, a des criques, des anses et des havres qui ont certainement servi de ports dans l'ancien temps. C'est d'ailleurs de ce nom qu'on les designe. Porzay, venu de Porzoet, signifie donc ports. Certains de nos paysans disaient d'ailleurs, il n'y a pas encore bien longtemps : Plonévez-Porzou, Plonévez-les-Ports ; d'autres disent Plonévez-Porzec, ce qui revient au même ; d'autres enfin Plonévez-Porzic, Plonévez-du-petit-port. (Cf. Cartulaire de Quimper, dans le Bulletin diocésain d'Histoire et d'Archéologie, (1901, p. 43 et 136)].

Du haut de la colline on jouit, quand le temps s'y prête, d'un magnifique spectacle : d'un côté la riche plaine du Porzay, de l'autre la légendaire baie de Douarnenez que bordent, à droite les collines de Crozon, et à gauche les terres du Cap-Sizun, terminées par cette sinistre pointe du Raz qn'en appelait du temps des Gallo-Romains le promontoire Gobée ou Cabée [Note : Le promontoire Cabée. Ptolémée dit Gobœum, Strabon, Cabœum promontorium. Les auteurs modernes les plus autorisés identifient ce promontoire avec le Cap-Sizun ou pointe du Raz. (V. La Borderie, Histoire de Bretagne, T. 1. p. 112)], nom qui lui est resté, car toute la région de la pointe se nomme encore aujourd'hui le Cap, en breton ar C'hab.

On pourrait actuellement, après le nom de Sainte-Anne, supprimer le mot « Palue », car le terrain marécageux qu'il désigne, et sur lequel s'élevait autrefois la première chapelle dédiée à notre Sainte, n'existe plus : il a été désagrégé et absorbé par la mer. L'antique appellation seule est restée.

Il y a deux mille ans, la baie de Douarnenez n'était pas la belle nappe d'eau tout d'une pièce que nous admirons aujourd'hui. Nos côtes bretonnes, du moins celles qui s'élèvent maintenant abruptes et presque à pic au-dessus de l'Océan, étaient autrefois prolongées par une ceinture de terres basses qui s'étendaient, dans certains endroits, fort loin dans la mer, et que nos vieux auteurs appellent la Bretagne marécageuse. Sur ces terrains plats s'élevaient de véritables forêts dont on retrouve les restes sur plusieurs points de notre littoral et aussi dans la baie de Douarnenez, particulièrement dans les grèves de Sainte-Anne, de Kervel et du Riz, et aux Sables-Blancs de Tréboul. 0n peut croire qu'au vieux temps la pointe de la Chevre s'allongeait en un sillon ou cordon littoral de cailloux et de sable vers la côte de Beuzec-Cap-Sizun, pour ne laisser à la mer qu'une entrée comparable en largeur à celle du golfe du Morbihan ou de la rade de Brest. Le flux ne pénétrant dans la baie que par une ouverture plutôt étroite, la plaine d'eau actuelle n'existait pas encore ; une lagune entrecoupée de multiples canaux, l'ancienne Palue, en tenait la place, et dura jusqu'au jour où, dans un accès de fureur, l'Océan rompit la faible barrière qui le retenait, et se précipita, noyant tout, et ne s'arrêtant que devant les murs de granit où ses flots viennent maintenant expirer.

Le vallon de séparation entre les hauteurs serait celui qui prend naissance au pied de la chapelle de Sainte-Marie-du-Mené-Hom, et descend jusqu'à l’Aulne.

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CHAPITRE II.

La Ville d’Is.

C'est ce jour là que périt la célèbre Ville d'Is que la tradition la plus constante place dans notre baie de Douarnenez. Son nom breton Keris signifie la ville d'en bas, la ville basse, par contraste avec les villes ou villages fortifiés de l'ancien temps, qui se trouvaient presque toujours sur les hauteurs. L'Anonyme de Ravenne, qui écrivait au VIIème siècle, parle d'une ville qu'il place dans les « palues de Bretagne » et l'appelle Kris.

C'est là, « évidement, une abréviation de Ker-Ys, ville d'Ys ; abréviation qui donnerait à penser que le K barré des Bretons était connu, des Romains, comme il l'est aujourd'hui des Français et des Allemands » [Note : Nous pensons que le manuscrit de l'Anonyme portait réellement Keris. Ce n'est qu'au XVIème ou XVIIème siècle qu"on aura écrit K/ris, le K barré étant universellemet employé à cette époque, dans notre pays, pour désigner le mot Ker, ville ou village]. — de Kerdanet, note dans la Vie des Saints de Bretagne, d'Albert Le Grand, p. 56.

S'il nous fallait chercher l'emplacement de la ville chère au bon vieux roi Grallon, nous le situerions volontiers sur une ligne partant de Sainte-Anne pour aboutir à Douarnenez, et cela, parce que tout le fond de la baie, depuis notre chapelle jusqu'à cette ville, est parsemé de débris de villas gallo-romaines : on en rencontre au moins trois sur les anciennes terres de Sainte-Anne, auprès de Tréguer, de Camézen et sur l'emplacement du village disparu de Keriado. Une quatrième se trouvait à la pointe de Tréfentec, une cinquième au-dessous du village de Kervel, une sixième un peu plus loin, avec un petit camp à côté, dans les champs de Kerléol, à l'endroit appelé Karriguellou (petits sentiers) ; plusieurs enfin au Riz, à Plomarc'h et à Douarnenez.

Ce grand nombre d'établissements gallo-romains, tous assis sur le bord de la grève, et qui auraient été inhabitables si un large rideau d'arbres, placés devant eux dans la baie actuelle, ne les avait protégés contre les vents d'Ouest et de Sud-Ouest qui soufflent presque constamment dans notre région, dénotent, en plus du camp médiocre que l'on vient de mentionner, la présence d'un poste militaire important situé assez près d'eux pour les défendre en cas de danger. A côté des voies anciennes qui reliaient les villas entre elles, d'autres vieux chemins plongent droit dans la mer dans la direction que nous avons indiquée, ce qui confirme, d'accord avec la tradition, qu'une ville, aujourd'hui disparue sous les flots, existait dans la partie de la baie qui s'étend depuis Sainte-Anne jusqu'à Douarnenez.

« Saint Guénolé, nous dit le bon légendaire Albert Le Grand, allait souvent voir le roi Grallon en la superbe Cité d'Is et prêchait fort hautement contre les abominations qui se commettaient en cette grande Ville, toute absorbée en luxes, débauches et vanités, mais demeurant obstinés en leur péchés. Dieu révéla à S. Guénolé la juste punition qu'il en voulait faire. S. Guénolé étant allé voir le roi comme il en avait de coutume, discourant. ensemble, Dieu lui révéla l'heure du châtiment exemplaire des Habitants de cette Ville être venue. Le Saint, retournant comme d'un ravissement et extase, dit au Roi « Ha ! Sire, Sire, sortons au plus tôt de ce lieu ; car l'ire de Dieu le va présentement accabler : Votre Majesté sait les dissolutions de ce peuple ; on a beau le prêcher, la mesure est comble ; faut qu'il soit puni : hâtons-nous de sortir, autrement nous serons accueillis, et enveloppés en ce même malheur ». Le roi fit incontinent trousser bagage ; et, ayant fait mettre hors ce qu'il y avait de plus cher, monte à cheval avec ses officiers et domestiques, et, à pointe d'éperon, se sauve hors la ville.

A peine eut-il sorti les portes, qu'un orage-violent s'éleva avec des vents si impétueux, que la Mer, se jetant hors de ses limites ordinaires, et se précipitant de furie sur cette misérable Cité, la couvrit en moins de rien, noyant plusieurs milliers de personnes, dont on attribue la Cause principale à la princesse Dahut, fille impudique du bon Roi, laquelle périt en cet abîme et cuida (faillit) causer la perte du Roi, en un endroit qui retient le nom de Toul-Dahut [Note : Toul-Dahut. Albert Le Grand fait ici quelque confusion. La fille de Grallon paraît s'être appelée Ahés plutôt que Dahut. Toul-Dahut est pour Poul-Dahut, en breton Pouldéu, aujourd'hui Pouldavid, paroisse, à côté de Douarnenez. — Poul = anse, petit port qui assèche à marée basse : Pouldéü = port de Déü. — Déü, Diéüs, Daï, Deï ou Téï, compagnon de Saint-Guénolé, a vraisemblablement été le patron primitif de Pouldéü (Poul-david), car son culte était autrefois très répandu dans toute la région de Douarnenez et du Cap, où plusieurs chapelles lui sont encore dédiées. — S. Déï, à Poul-david, aura été remplacé plus tard par S. Dewi ou David, lequel, à son tour, a cédé les honneurs à S. Jacques, patron actuel de la paroisse. A. Le Grand fait de Toul-Ahès, Toul-Alc'huez. S'il faut chercher l'endroit où Grallon laissa choir sa fille dans la mer, nous préférons Plomarc'h, autrefois Poulmarc'h, « l'anse du cheval », petite anse tout contre le nouveau port de Douarnenez] ou Toul-Alc'huez, c’est-à-dire le pertuis Dahut ou le pertuis de la Clef, pour ce que l'histoire assure qu'elle avait pris à son Père la Clef qu'il portait pendante au cou, comme symbole de la Royauté » (A. Le Grand, p. 55, 57).

D'après une vieille complainte bretonne recueillie par M. de la Villemarqué, c'est pendant le sommeil du roi que sa fille lui aurait dérobé les clefs de la Ville.

« Or, quiconque eût vu le vieux roi endormi, eût été saisi d'admiration.

D'admiration en le voyant dans son manteau de pourpre, les cheveux blancs comme neige flottant sur ses épaules et sa chaîne d'or autour du cou.

Quiconque eût été aux aguets, eût vu la blanche jeune fille entrer doucement dans la chambre, pieds nus.

Elle s'approcha du roi son père, elle se mit à genoux, et elle enleva chaîne et clef.

Toujours il dort, il dort le roi. Mais un cri s'élève dans la plaine : l'eau est lâchée ! la ville est submergée !

— Seigneur roi, lève-toi ! et à cheval et loin d'ici ! La mer débordée rompt ses digues !

Maudit soit la blanche jeune fille qui ouvrit, après le festin, la porte du puits de la Ville d'Is, cette barrière de la mer !

— Forestier, forestier, dis-moi, le cheval sauvage de Grallon, l'as-tu vu passer dans cette vallée ?

— Je n'ai point vu passer par ici le cheval de Grallon, je l'ai seulement entendu dans la nuit noire : Trip, trep, trip, trep, trip, trep, rapide comme le feu !

— As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer, peignant ses cheveux blonds comme l'or, au soleil de midi, au bord de l'eau ?

— J'ai vu la blanche. jeune fille de la mer, je l'ai même entendue chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots ». (Barzaz-Breiz, p. 40-42).

Grallon, malgré le crime d'Ahès, avait essayé de la sauver. Fuyant à toute bride sa capitale envahie par les flots qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de son cheval, il emportait sa fille en croupe, lorsqu'une voix terrible lui cria par trois fois : « Repousse le démon assis derrière toi ! ». Le malheureux père obéit et soudain les flots s'arrêtèrent.

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CHAPITRE III.

Donation de saint Voarin.

La tradition rapporte que la chapelle primitive de Sainte-Anne se trouvait sur la Palue proprement dite [Note : Le vieux chemin qui descend de Sainte-Anne à la mer est toujours appelé Hent Santez-Anna gollet, « le chemin de la Sainte-Anne disparue »], c'est-à-dire sur la lagune dont on a parlé et dont la partie la plus avancée vers l'océan fut submergée en même temps que la ville d'Is.

A qu'elle époque remontait cette chapelle ?

Une charte du Cartulaire de Landévennec [Note : Chartes XX, Edit. de la Borderie, p.151-152. Elle porte comme titre : De tribu Lan Sent. Lan Sent est aujurd'hui Lanzent, gros village de Plonévez-Porzay, à 2 km. Est de Sainte-Anne. — La charte XIX cite un autre « Lan Sent in Gurureœn », actuellement Lanzent en Gourin (Morbihan). Ces villages, en plus de leur nom, ont de commun que tous deux ont possédé une chapelle dédiée à Saint-Guénolé] nous apprend que c'est du temps du roi Grallon (Vème siècle) que la terre de Sainte-Anne fut donnée à cette abbaye. En ce temps là, dit le document, un homme d’illustre lignée, nommé Gouarhen (en latin Uuarhenus) habitait Lan Sent. Echanson du roi Grallon, il était en même temps son conseiller. Un jour, le roi vint le voir, et, comme S. Corentin et S. Guénolé s’y trouvaient également, Gouarhen profita de leur présence pour faire don de ses domaines à l'abbé de Landévennec. Grallon confirma la donation sur les lieux mêmes [Note : « Auctor atque pincerna regis Gradloni », M. de Kerdanet traduit « auctor » par historien. V. A. Le Grand, Vie des Saints de Bretagne, Edit. Kerdanet, p. 56].

Quels étaient ces domaines que l'intendant de Grallon donnait ainsi à S. Guénolé ? C'étaient les villages qui bordent les terres de Lanzent et qui composent la trêve [Note : Nos grandes paroisses avaient autrefois des subdivisions que l'on désignait sous le nom de Tréves ou fillettes. Les plus considérables, celles qui possédaient une église et un cimetière, sont devenues presque toutes des paroisses indépendantes, mais jusqu'à la Révolution, les prêtres qui les desservaient, n'étaient que les délégués du recteur de la mère-paroisse. Les trèves moins importantes, qui n'avaient qu'une chapelle sans cimetière, et qui en général, n'ont pas été séparés de leur paroisse, portent, en breton, divers noms. Dans le pays de Plonévez-Porzay, on les appelle Carturen, quartier : Carturen Lanzent, le quartier de Lanzent] que l'on appelait et que l'on appelle encore le quartier de Lanzent ou de Sainte-Anne : Kervéo, Tréguer, Bridan, Nergoz, Penfrat, Kerc'hlévern et Camézen. Ces villages sont d'ailleurs restés jusqu'à la Révolution sous la mouvance du fief de Landévennec.

Ne quittons pas ce bon Gouarhen, à qui nous devons la terre de Sainte-Anne, sans chercher à savoir ce qu'il devint après sa généreuse donation. Remarquons auparavant que, puisqu'il habitait Plonévez-Porzay, et qu'il était un des principaux officiers de la cour du roi Grallon, la résidence de celui-ci ne devait pas se trouver bien loin. C'est un argument de plus en faveur de l'existence de la ville d'Is.

Il y a une cinquantaine d'années, on voyait à Lanzent, les ruines de la demeure de Gouarhen. Il était logé en grand seigneur car son Châtel de forme ovale ne mesurait pas moins de 200 mètres dans le sens Nord-Sud et de 150 mètres dans la direction Est-Ouest. A côté, il y avait deux autres enceintes plus petites destinées à abriter les serviteurs et les troupeaux. Nos Bretons appelaient ces ouvrages ar C'hastelligou, les petits châtels.

Les moines, dont l'officier de Grallon avait fait ses héritiers, ont pendant longtemps travaillé le fer à cet endroit, car les champs voisins sont criblés de trous, aujourd'hui bouchés (il y en avait des centaines distants de quelques mètres seulement les uns des autres), qui étaient remplis de minerai et de scories. On a trouvé, autour de ces fours, différents instruments, en particulier une pince, des moulins à bras, des meules à aiguiser, des clous, etc..., et l'on peut voir encore, couchés contre les talus, des gâteaux de fer de près de un mètre de diamètre et pesant des centaines de kilos, mais dont une faible partie seulement porte des traces de fusion, ce qui est une preuve manifeste de l'inexpérience des ouvriers, et par là même de l'antiquité de l'exploitation.

Après s'être dépouillé de ses biens, Gouarhen renonça aussi aux honneurs, suivant le conseil de Notre-Seigneur au jeune homme de l'Evancile : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi. » (Matth. Ch. XIX, V. 21). Il suivit S. Guénolé, passa quelque temps à Landévenmec dans les exercices de la vie monastique et fut ensuite envoyé prêcher. Il dut se diriger vers le pays de Pleyben où deux chapelles rappellent son souvenir : Buzitt Sent Uuarhen [Note : Cartulaire de Landévennec. p. 161. — On trouve, en Pleyben, à 1 km. de la chapelle de la Trinité, un village du nom de Lanvôrien (prononcez o long, i bref). Ce nom se ramène à Lanvoarhen, lann de Voarhen ou Goarhen. — Lan ou lann signifie lieu consacré au culte, monastère, église. Ce mot à la tête d'un nom de lieu breton, est très fréquemment suivi d'un nom de saint, et, presque toujours aussi, on trouve dans ces lieux, soit une chapelle existante ou en ruines, soit une croix, soit une fontaine sainte, ou bien encore une vieille maison noble témoignant de l'antiquité du village. Ex : Lanvézennec, la lan de Saint-Guézennec, frère de Saint-Guénolé (en Pleyben). — Parfois, la lan est devenue une paroisse, comme Lampaul (le monastère de Paul) ; Lannédern, (de S. Edern) ; Lanriec, (de S. Riec), etc......], aujourd'hui la Bouexière avec la chapelle de Gars-Maria en Pleyben, et S. Goarin, ou Voarin, en le Cloître-Pleyben. Il est à croire que de là il gagna Plounévézel, où il est également honoré [Note : Dans la chapelle de Saint Voarin, à 1 km, Nord du bourg de Plounévézel. La carte porte S. Vital ; le saint honoré est S. Diboen ; la statue, est de S. Abibon ; le fabricien quête au nom de S. Abdon. Beaucoup de vieux saints bretons ont été comme S. Voarin, dépossédés, dans nos églises et chapelles, des honneurs qui leur étaient dus] et enfin les possessions que le monastère de Landévennec avait en Gourin, qui semble aussi avoir conservé son nom.

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CHAPITRE IV.

Saint Corentin et saint Guénolé.

Si c'est à S. Voarin que l'on doit la terre de Sainte-Anne, c'est, d'après une tradition immémoriale, à S. Corentin et à S. Guénolé qu'il faut attribuer la fondation de la chapelle, et, à ce titre, une courte biographie de l'un et de l'autre ne sera pas de trop ici.

I. — Saint Corentin.
D'après nos hagiographes, S. Corentin était fils d'un seigneur breton, du nombre de ceux qui avaient passé de la Grande-Bretagne en Armorique. Ses parents, qui étaient fort pieux, l'appliquèrent de bonne heure aux études. Il fit en très peu de temps de grands progrès dans les bonnes lettres et plus encore dans la science des saints.

Devenu prêtre, il fut le premier à prêcher, en langage armoricain, le royaume de Dieu. Mal accueilli par les tribus chez lesquelles il était d'abord allé porter la bonne parole, et qui se montrèrent singulièrement retives à l'action de la grâce, il dut se retirer et les abandonner, pour un temps, à leur obstination.

Il se réfugia dans une solitude de Plomodiern [Note : A l'endroit où est à présent le village de Lescobet, sur le versant Sud du Méné-Hom. Ce village n'est pas au bord de la mer, comme l'a avancé. D. Plaine, et le Passage maritime dont il n'est pas très éloigné, n'est pas non plus le passage sur la grève connu sous le nom de Treiz-Guen, en français « sables blancs » ; le passage en question, appelé Treiz-Guenhel, ou Treis-guenhal dans la vie de Saint Corentin et dans la chronique de Saint-Brieuc, c'est le passage sur l'Aulne entre Dinéault et Rosnoën, passage autrefois appelé Treisguenhael ou Treis-Guinal, du nom de la chapelle de Saint Guinal, chapelle ruinée en Dinéault, tout à côté du passage. — V. note Kerdanet dans A. Le Grand, 799 — Bulletin Diocésain, 1907, p. 182 — D. Plaine, Bulletin Archéologique du Finistère, 1886, p. 123-124], mais il n'y trouva pas tout de suite la paix qu'il cherchait. Un ennemi plus terrible que les hommes, le démon, l'attendait pour lui livrer de furieux assauts, mais, avec la grâce de Dieu, il triompha de son formidable adversaire, et bientôt, aux épreuves succédèrent les consolations.

« Pour sa nourriture et sustentation en cette solitude, nous dit un de ses historiens, Dieu faisait un miracle admirable et continuel : car, encore qu'il se contentât de quelques morceaux de gros pain qu'il mendiait quelques fois ès villages prochains, et quelques herbes et racines sauvages que la terre, produisait d'elle-même, sans travail ni industrie humaine, Dieu lui envoya un petit poisson en sa fontaine, lequel, tous les matins, se présentait au Saint, qui le prenait et en coupait une pièce pour sa pitance, et le rejetait dans l'eau, et, tout à l'instant, il se trouvait tout entier, sans lésion ni blessure, et ne manquait, tous les matins, à se présenter à S. Corentin, qui faisait toutjours de même ».

Mais la Providence lui ménageait une rencontre qui allait changer le cours de ses destinées. Le roi Grallon, s'étant égaré pendant une partie de chasse dans la forêt de Névet, découvrit l'ermitage du saint et lui demanda l'hospitalité. Carentin n'avait à offrir au prince que le morceau du petit poisson dont il se nourrissait chaque jour, mais, à sa prière, « ce morceau se multiplia de telle sorte que le roi et toute sa suite en furent suffisamment rassasiés ». Grallon, étonné et ravi, se prosterna aux pieds du saint ermite et lui donna toute sa forêt et une maison de plaisance qu'il avait en la dite paroisse de Plomodiern, puis, s'étant recommandé à ses prières, il se retira à Quimper-Odetz. S. Corentin convertit cette maison que le roi lui avait donnée en un monastère où, ayant amassé nombre de saints religieux, il vivait en grande sainteté et austérité.

Quelque temps après, le roi, qui songeait à faire de Quimper le siège d'un Evêché, se souvint de l'ermite qui l'avait nourri miraculeusement dans la forêt de Névet, et le décida à accepter le fardeau de l'épiscopat. S. Corentin alla se faire sacrer à Tours et mourut à Quimper, vers l'an 460, après avoir, dans les exercices laborieux de la pénitence et de la charité, tenu le siège de cette ville pendant soixante ans. (D'après A. Le Grand, Vie de S. Corentin, édition Kerdanet, p. 794 et seq., et Dom Lobineau. Vie des Saints de Bretagne, 32-38).

II — Saint Guénolé.

Comme S. Corentin, S. Guénolé était né en Armorique de parents insulaires immigrés, Il se mit de très bonne heure à l'école de S. Budoc, qui avait fondé une monastère à l'île des Lauriers, à l'embouchure du Trieux. (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), et fit sous sa direction des progrès extraordinairement rapides, tant dans les connaissances humaines que dans la science divine. A l'âge de vingt et un ans, il était déjà si avancé en sainteté que son maître n'hésita pas à le mettre à la tête de douze disciples avec lesquels il traversa toute la Dommonée (ancienne contrée s'étendant sur tout le nord de la péninsule armoricaine, depuis les frontières de Normandie jusqu'à la rade de Brest), pour venir s'établir avec eux, à l'extrémité de la paroisse de Hanvec, dans une petite île aride et battue des vents que l'on appelle aujourd'hui Tibidi [Note : L’île de Tibidi, ...... Ti-bidi veut dire maison de prière. Les manuscrits de la vie de S. Guénolé appellent cette île Thopepigia, Thopopegia et Theopegia. M. Jourdan de la Passadière propose pour le mot Thopopegia la signification de lieu des chèvres, du grec topos, lieu, et aix, aigos, chèvre]. Après un séjour de trois ans dans ce lieu inhospitalier, le saint passa sur la rive gauche de l'Aulne, et fonda à l'endroit nommé Landévennec [Note : Landévennec. Petite paroisse à l'embouchure de l'Aulne, au fond de la rade de Brest. On a donné plusieurs explications de ce mot. La plus exacte paraît être Lan ou église de Saint-Vennec. Saint Guénolé aurait donné au monastère qu'il fondait le nom de son frère Vennec, Guennec ou Guethenoc] une abbaye qui devint rapidement célèbre et contribua puissamment aux progrès de la religion chrétienne dans notre évêché de Cornouaille.

La vie de S. Guénolé ne fut qu'une longue pénitence. Depuis qu'il eut quitté la maison de son frère, nous dit D. Lobineau, il ne porta jamais ni toile ni habit de laine ; il n'était vêtu que de peaux de chèvres, qui cachaient un rude cilice qu'il portait continuellement. Il n'avait point d'autre lit que la table ou la cendre, avec une pierre pour chevet. Jour et nuit, hiver et été, il était toujours vêtu de la même manière. Quant à la nourriture, le froment n'était en usage dans son monastère que pour le sacrifice de l'autel, et le pain de la Communauté n'était que d'orge avec le son ; encore le saint abbé faisait-il mêler dans celui qu'on pétrissait pour lui, la moitié de cendres, dont même il augmentait la quantité en Carême ; et pour tous mets, il ne vivait que de quelques herbes ou quelques racines cuites, mêlées avec un peu de farine d'orge, sans y mettre aucun assaisonnement que du fromage bouilli et dissous dans l'eau, ragoût qui n'était que pour les samedis et les dimanches, jours où l'on se relâchait un peu de la rigueur de l'abstinence. Ses disciples pouvaient manger, ces jour-là, des coquillages de mer, mais, pour lui, il refusa toujours cet adoucissement. Jamais, quelque maladie qu'il ait eue, il ne mangea de chair d'animal à quatre pieds, et même il se priva également de celle des oiseaux. Il ne buvait que de l'eau, et dans sa maison le vin n'était connu que pour l'autel ; le cidre même et la bière en étaient tout à fait bannis. Le plus délicieux breuvage de ses disciples n'était que de l'eau dans laquelle on faisait fermenter des fruits sauvages cueillis dans la forêt. Tous travaillaient à la terre ou à quelque métier, et vivaient ainsi, en réalité, à la sueur de leur front et du travail de leurs mains. Telle était la règle que S. Guénolé faisait suivre à Landévennec et qui s'y conserva longtemps, du moins pour les principaux points, car elle fut observée jusqu'à ce que Louis le Débonnaire y fit recevoir, l'an 818, celle de S. Benoît.

Mais Guénolé portait plus loin encore ses austérités et sa mortification pendant le Carême. En ce saint temps, pour honorer plus parfaitement le jeûne de Jésus-Christ dans le désert, il ne mangeait que deux fois la semaine, et passait les jours et les nuits en oraison. Outre l'office commun dont il ne se dispensait jamais, il récitait tous les jours le Psautier, à trois différentes reprises, (disant chaque fois cinquante psaumes), à la fin de chacun desquelles il adorait Dieu par cent génuflexions. Jamais on ne l'a vu s'asseoir dans l'église, quelque âgé ou quelque infirme qu'il fût ; et, debout ou à genoux il marquait toujours par tout son extérieur une vénération profonde.

Cette vie si pénitente et si solitaire, de silence qu'il gardait continuellement, ne diminuait cependant rien de sa douceur et son affabilité à l'égard de tout le monde ; les rigueurs qu'il exerçait contre lui-même ne l'empêchaient pas de paraître toujours gai ; et comme cette joie venait du fond de sa charité, elle ne nuisait en rien à sa retenue et à sa modestie. Obligeant et officieux pour tous ceux qui recouraient à lui, il s'attira l'amour et l'admiration de tout le monde. Le roi Grallon voulut le connaître ; il le vit, l'entretint, et fut si ravi de sa conversation, et si pénétré de ses saintes instructions, que la férocité de son naturel se changea en une douceur évangélique, car le zèle de ce prince pour la justice avait auparavant plus de dureté d'humeur que de charité, et venait autant d'un esprit impérieux et rigide que d'un fonds de droiture.

S. Guénolé, après avoir, avec ses disciples, évangélisé toute la Cornouaille, mourut à Landévennec, à l'âge d'environ quatre-vingt-cinq ans, gardant jùsqu'à ses derniers moments son amour extraordinaire pour la pénitence. Quand il se vit tout à fait à la fin, il ne voulut pas se coucher pour mourir, mais il se fit transporter devant l'autel, et là, debout, soutenu par deux de ses religieux, et environné des autres, qui tous chantaient avec lui des psaumes et des cantiques de louange à Dieu, il expira au milieu de ces cantiques sacrés. Il fut inhumé dans l'église de son abbaye.

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CHAPITRE V.

Les Idoles.

L'Armorique entendit-elle, dès le premier siècle, la voix des prédicateurs de l'Evangile, comme quelques auteurs l’ont soutenu ? Joseph d'Arimathie et son disciple Drennalus, Maximin, disciple de S. Philippe et de S. Luc, etc..., ont-ils prêché la foi dans la Petite-Bretagne, et, pour ce qui concerne en particulier notre Cornouaille, peut-on croire, sur la foi d'Albert Le Grand, que S. Clair de Nantes et son disciple Adéodat y sont venus, et y ont conquis de nombreux adeptes à la doctrine du Christ ?

Ce sont là des questions discutées entre historiens et nous n'avons pas qualité pour prendre part au débat. Ce que nous pouvons dire, c'est que les missionnaires qui débarquèrent des Iles anglaises dans notre péninsule, au Vème et au VIème siècles, ne semblent pas avoir trouvé beaucoup de chrétiens parmi leurs auditeurs armoricains. Depuis le 1er siècle, d'ailleurs, où l'on dit que les premières semences de l'évangile auraient été jetées dans notre pays, jusqu'à l'arrivée des émigrants d'Outre-Manche, que d'événements dont notre Bretagne avait été le théâtre et qui n'avaient été favorables ni à l'exension, ni même au maintien de la foi dans la contrée ! Ce fut d'abord la conquête romaine commencée avant même l'avènement du Christ, conquête suivie d'une occupation qui tint nos Armoricains sous le joug pendant quatre cent cinquante ans ; ce furent ensuite les persécutions qui sévirent sur toute l'étendue de l'empire, partout où il y avait des chrétiens ; enfin, à l'écroulement de la puissance romaine, ce furent les incursions des barbares païens de l'Est qui dévastèrent le pays et exterminèrent la population.

Y avait-il beaucoup de disciples du Christ parmi les troupes romaines d'occupation ?

Dans notre Cornouaille, c'était des soldats Maures [Note : Cf. La Borderie, Histoire de Bretagne, T. 1, chap. IV, § 2. — Dans la région de Plonévez, on prétend que ces soldats maures étaient des hommes de petite taille. Nos paysans les appellent ar C'horriquet, les nains] qui tenaient garnison, et que trouve-t-on dans les ruines des villas occupées par leur officiers, et dans leurs grands camps de Plogastel-St-Germain, de Poullaouen, etc. ? Aucuns débris chrétiens, que nous sachions, mais, en revanche, des quantités d'effigies représentant des divinités païennes. D'autre part, les peuplades asservies étaient-elles plus chrétiennes que les troupes qui les tenaient en respect ? Si elles l'avaient été, comment expliquer que la plupart des missionnaires que nous rencontrons en Armorique, et particulièrement dans notre région, tôt après la chute de l'Empire aient été l'objet de sévices graves de la part des populations auxquelles ils portaient la parole de Dieu, comme, par exemple, S. Corentin, S. Erlé, S. Conogan, S. Ronan, etc..., qui furent maltraités dans nos parages et contraints de s'enfuir vers des cantons plus hospitaliers ?

Ces cantons, c'étaient surtout les régions côtières. Plus peuplées que celles de l'intérieur à l'époque romaine, mais aussi plus découvertes et plus faciles d'accès, elles paraissent avoir été complètement vidées d'habitants par les hordes barbares qui fondirent sur l'Armorique à la fin de la domination de Rome, et c'est ce qui expliquerait pourquoi les premiers émigrés d'Outre-mer ont pu s'installer si facilement sur presque toute la périphérie de nôtre péninsule. Ces nouveaux arrivants étaient déjà chrétiens, et de leur sein sortiront les saints moines dont la parole et les miracles convertiront les débris des vieilles peuplades idolâtres qui habitaient l'Armorique pendant la période gallo-romaine.

Parmi les idoles honorées dans le pays à cette époque, il faut surtout citer la Déesse-Mère, au culte de laquelle nos ancêtres semblent avoir été fortement attachés, du moins si l'on en juge par la quantité de statuettes représentant cette divinité [Note : Une de ces statuettes de déesse-mère a été trouvée récemment au village de Landrein, en Plomodiern, parmi les décombres d'une villa romaine. Elle représente la déesse assise dans un fauteuil d'osier clissé, tenant dans son giron deux petits enfants qu'elle allaite], que l'on a exhumées, un peu partout, de notre sol breton. On en a découvert plusieurs dans les ruines de nos vieux villages des environs de Sainte-Anne, avec des monnaies à l'effigie d'autres déesses ou d'impératrices divinisées.

Nos vieux missionnaires, heureusement, avaient mieux à offrir aux pauvres païens. Rumengol était, dit-on, le centre d'un culte rendu à une déesse impure ; le temple fut purifié, et là où l'on honorait Vénus, la Vierge Marie eut désormais son trône. Le temple de la Palue était dédié à une déesse-mère, peut-être à cette Anna Perenna qu'on représente sous les traits d'une femme d'âge grave, et à qui le peuple romain, en reconnaissance d'un bienfait reçu, avait élevé des temples ; la Palue sera consacrée à Sainte Anne qui est l'auguste et vénérable aïeule du Dieu fait homme, et la véritable Déesse-Mère des Bretons. Nos vieux Celtes rendaient également un culte aux sources et aux grands arbres des forêts. Les sources deviendront nos fontaines saintes, les feunteun venn [Note : Feuteun-Ven, Fontaine blanche. Selon M. J. de la Passardière, ven serait pour Guen, terrain marécageux ; mais dit-il, guen signifie aussi blanc, et par extension, bienheureux, saint. (V. Topologie des paroisses du Léon, dans l'Echo paroissial de Brest, année 1914). Nos feunteun_ven seraient donc les fontaines que les Anglais appellent leurs Holy Well, fontaines saintes] dont on rencontre un si grand nombre disséminées, çà et là, aux flancs de nos collines et dans le creux de nos vallons. Les bosquets qui abritaient les temples des faux-dieux, seront désormais les enceintes sacrées, les lieux de refuge où les pauvres gens attendront en toute sécurité les arrêts de la justice. Quelques-unes de nos églises et chapelles sont bâties sur remplacement ou tout à côté de vieux camps gaulois ou gallo-romains. Elles remplacent, sans doute, d'anciens sanctuaires païens [Note : En fait de chapelles bâties dans de vieilles enceintes, on peut citer N.-D. de Tronoën, en St-Jean-Trolimon ; St-Vidal ou St-Vio, en Combrit ; St-Salomon, en Plouyé. — N.-D. de la Clarté, en Plonévez-Porzay, contre l'emplacement du Vieux-Châtel de Moëllien].

Une autre raison peut expliquer pourquoi les moines de Landévennec donnèrent Sainte Anne pour patronne au pays où nous sommes, et pourquoi aussi ils élevèrent sa chapelle sur la Palue de Plonévez, en un temps où celle-ci était déjà à moitié emportée par la mer, au risque par conséquent de voir leur construction disparaître dans un cataclysme semblable à celui qui avait englouti la ville et cette raison, la voici :

Le mot Palue, en latin palus, marécage, est d'importation romaine. Avant l'arrivée dans notre pays des légions de César, les Gaulois, pour désigner une palue, employaient le mot Ana [Note : Pour le mot gaulois Ana, Cf. J. Loth, Chrestomathie bretonne, p. 18 ; Dottin, Manuel de l'antiquité celtique, p. 80]. Ce mot n'a pas disparu tout d'un coup. On peut regarder comme certain qu'il était encore en usage au temps de l'arrivée de saint Guénolé et de ses disciples dans notre Basse-Cornouaille, c'est-à-dire au Vème siècle. Ana, palue, et Anna, Sainte Anne, étant à une lettre près, le même mot, et ayant, sans doute, la même prononciation, on comprend pourquoi l'Ana ou Palue de Plonévez a porté la première chapelle de Sainte Anne.

Cette palue enfin, ne rappelait-elle pas au roi Graillon le jour le plus tragique de sa vie, et n'était-il pas naturel qu'en souvenir des membres de sa famille [Note : Sa fille Ahès et peut-être son fils Rivelen, qui mourut jeune, et pour l'âme et la sépulture duquel Grallon donna à S. Guénolé, dans les paroisses de Briec, Landrévarzec et Langolen, les villages de Tréflez, Trémarec, Pennesquin, Beuzit, Lanhoaillen, Kercrazec, Sulien, Le Léty, Trégain, Moulhouen, etc... (Cf. Cart. de Landévennec. p. 149-150)] et de ses milliers de sujets sombrés dans la catastrophe, il élevât un monument votif en vue et au plus près des flots qui recouvraient maintenant sa chère cité disparue ?

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CHAPITRE VI.

Sainte-Anne-la-Palue et Sainte-Anne-d'Auray.

Notre sanctuaire cornouaillais, fondé du temps de saint Guénolé, serait donc, en Bretagne, la plus ancienne chapelle dédiée à sainte Anne ?

Pourquoi pas ? N'est-ce d'ailleurs pas pour cette raison qu'on l'appelle depuis des siècles, Santez Anna goz, la vieille Sainte-Anne ?

Mais alors, que penser des paroles que Sainte Anne, apparaissant à Nicolazic dans les champs d'Auray, lui dit, le 25 juillet 1624 : « Dans la pièce de terre appelée le Bocenno,. il y a eu autrefois, même avant qu'il y eût ici un village, une chappelle dédiée en mon nom : c'était la première de tout le pays. Il y a neuf cent vingt-quatre ans et six mois qu'elle a été ruinée...? ».

D'après cette révélation, la vieille chapelle de Sainte-Anne d'Auray fut détruite en l'an 700. Depuis combien de temps existail-elle ? On ne le sait pas. Sainte Anne s'est contentée d'affirmer que la chapelle du Bocenno était la plus ancienne de tout le pays. Il s'agit donc de savoir ce que la sainte a voulu entendre par le mot « pays ». Est-ce seulement toute la région vannetaise ? Ou bien, est-ce la Bretagne entière ? Les deux opinions ont leurs partisans. Mais pur toutes les raisons exposées plus haut, nos préférences vont à la première. Nous croyons que Sainte Anne, en disant que son antique chapelle de Keranna était la première de tout le pays, n'a entendu parler que du Bro-Erec, ou Bro-Vénet, le pays de Vannes.

En tout cas, à supposer que Sainte-Anne d'Auray soit plus ancienne que Saint-Anne la Palue, elle ne doit pas l'être de beaucoup. Et puis, qui sait si ce ne sont pas les compagnons de saint Guénolé qui ont fondé les deux chapelles ? La chose n'est pas aussi invraisemblable qu'elle peut le paraître au premier abord. On suit les traces de saint Guénolé et de quelques-uns de ses disciples jusqu'au cœur même du diocèse de Vannes. Le fondateur de Landévennec a eu des chapelles dédiées en son nom à Inzinzac, Pontscorff, Kervignac, Quistinic, Plourac'h, etc... A Naizin, il y avait une frairie de saint Guénolé.

S. Harnul, un de ses compagnons, ne serait-il pas le fondateur de Plouharnel [Note : On a attribué le premier patronage de Plouharnel à Saint Armel, et cela sans autre raison, pensons-nous, que la ressemblance qu'il y a entre Harnel et Armel. On nous permettra de préférer Harnul, qui est devenu très naturellement Harnel. (Cf. St-Armel, par l'abbé Macé ; p. 20. — Cf. aussi Sainte-Anne d'Auray, par J. Buléon et E. Le Garrec, p. 3 et 4). — S. Harnul se dit, dans la région de Pont-l'Abbé, S. Urnel, S. Ernel, S. Erneul. — S. Erneul beniguet, S. Erneul le béni est une sorte d'adjuration très employée par les Bigoudens. (Abbé Gouzien, vicaire à Cast)], paroisse du voisinage d'Auray ?

Enfin, un autre saint de Landévennec, saint Guénaël, a vécu et est mort au diocèse de Vannes, et il est également honoré dans la région de Sainte-Anne d'Auray, à Carnac, Plouharnel, Pluvigner. Il est donc parfaitement croyable que les deux plus anciens sanctuaires de Bretagne dédiés à Sainte Anne ont eu les mêmes fondateurs : les premiers moines de Landévennec.

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CHAPITRE VII.

Les gardiens de Sainte-Anne.

Dès les premiers temps, Sainte-Anne avait ses gardiens, et ces gardiens c'étaient des moines vivant les uns isolément, les autres en de petites colonies que l'on appelait ar Vouster ou ar Voustré, le moutier ou monastère. Le cadastre de Plonévez a gardé le souvenir d'un certain nombre de ces établissements monastiques, qui formaient comme une couronne autour de la chapelle, à une distance variant entre un et trois kilomètres.

Saint Déi.
Il existait un de ces moutiers au village de Tréguer (1 kilomètre nord de Sainte-Anne), avec une grande et belle chapelle mentionnée dans les archives paroissiales comme dédiée à S. Divi ou Dewi, en latin Davidagius, en 1518. Nous croyons que ce sanctuaire a d'abord été sous le vocable de S. Déi, le disciple de S. Guénolé dont il a été parlé par ailleurs, car, d'une part, la tradition nous apprend qu'avant d'entreprendre l'évangélisation du Cap-Sizun, il alla, accompagné de son maître, vouer son apostolat à Sainte-Anne la Palue, et de plus, il paraît avoir séjourné sur notre territoire puisque nous trouvons sa lann [Note : La lan de S. Tëi se trouvait ait village de Lanzey (les anciens disaient Lanzëi), en Quéménéven, à 2 km. S.-E. de Plonévez-Porzay. On se souvient de l'existence d'une chapelle dans le village. — A côté, ruines d'une chapelle de S. Guénolé] sur les confins de Plonévez, à 5 Km S.-E. de Sainte-Anne. D'autre part, S. Divi ne semble pas avoir été très connu dans cette région de Cornouaille.

Saint Guénolé.
S. Guenolé avait à Lanzent (2 Km Est de Ste-Anne) — à Côté du Châtel de S. Goarin, qui devint l'habitation des moines-forgerons de Plonévez, après le départ de son propriétaire, — une chapelle appelée, dans un acte latin de 1518, « Capella sancti Guengaloei apud fanum sanctorum », la chapelle de S. Guénolé à Lanzent. Le petit pardon du saint y avait lieu le 1er dimanche du carême [Note : Lanzent fêtait S. Guénolé le 1er dimanche de carême, pour éviter la coïncidence avec Sainte-Anne où on le fêtait le dimanche suivant. On sait que S. Guénolé mourut entre le 1er et le 2ème dimanche du carême, le samedi 3 mars], et la grande fête, le 4ème dimanche d'octobre.

Sainte Guen.
Un peu plus loin, 'au village de Tréguébian (3 Km N. N.-E. .de Ste-Anne), on montre l'emplacement d'un autre moutier « Ar Vouster » qui aurait été sous le vocable de Ste-Guen, mère de Guénolé, et, à côté, une fontaine dédiée à son fils.

Saint Mélar.
Toujours en contournant Sainte-Anne, on arrive aux villages de Bélar et de Trévigodou. Entre ces deux villages, s'élevait un autre moutier dont plusieurs pièces de terre ont conservé le nom. Un bouquet d'arbres, surgi d'entre les pierres disjointes d'un vieux mur de soutènement, marque la place des constructions. Nous pensons que ce monastère était sous le vocable de S. Mélar ou Méral [Note : S. Melar, Méral ou Méréal. — Méral est une métathèse pour Mélar. — Locmélar, paroisse de Léon, ancienne trêve de Sizun. — Locmélar, chapelle en Plounéventer, anciennement Louméral en Locméral], martyr, fils de S. Milliau, patron de la paroisse de Plonévez-Porzay. Bélar, après la tradition, est ici pour Mélar [Note : En Plouzélambre, ancienne trêve de Ploumilliau (Côtes-du-Nord). On a aussi Bélar pour Mélar : le manoir de Run-ar-Bélar, à côté d'une chapelle de S. Melar, (Dictionnaire d'Ogée, au mot Plouzélembre)]. La hauteur voisine s'appelle d'ailleurs Méné-Véilar, colline de Mélar. Ce village est cité à côté de celui de Trévigodou « tribus Bigodou », sous le nom de Berhal [Note : Berhal, pour Béral et Bélar, dans le Cartulaire de, Quimperlé, Edition de Maistre et de Berthou, p. 143], dans le cartulaire de Quimperlé.

Ils dépendaient tous deux du prieuré de Locronan qu'Alain Cagnard, comte de Cornouaille, avait donné, en 1031, à l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, après sa victoire de Locronan sur Alain de Redon, duc de Bretagne. Le comte, qui n'avait qu'une poignée d'hommes à opposer à l'armée du duc, s'était caché dans la partie de la forêt de Névet représentée aujourd'hui par le bois de Kerlaz. Remarquant que les troupes de son adversaire s'étaient débandées pour se livrer au pillage, Cagnard profita habilement de cette imprudence, et, tombant tour à tour sur les corps dispersés, il remporta une victoire complète. Confiant en la vertu de la Sainte Croix, en l'honneur de laquelle il avait fondé deux ans auparavant l'abbaye de Quimperlé, il l'avait invoquée avant d'aller au combat, et ne fut pas trompé dans son espérance [Note : Combat de Locronan. — Nous en donnons ici la relation latine : « Interea... idem prenominatus comes (Alanus Cagnart) videns exercitum Alani Redonensis ducis Britannie, qui fines Cornubiae, repente discurrentem invaserat, ipse cum paucis quos coadunaverat militibus, in silva que vocatur Nemet interim se occultans, gloriose et dominice crucis virtutem invocat, sanctique et venerandi pontificis Ronani auxilium obnixe rogitat ; qui signo salutifere crucis premunitus, hostium per diversa loca turmas depredantes persequens devicit, prostravit et viriliter fugavit. Quam victoriam usque hodie Cornubienses Gueth Ronan vocant... Anno ab incarnatione Domini millesimo tricesimo uno ». (Cartulaire Quimperlé, p. 138-139)].

Le choc principal dut avoir lieu entre Locronan et Kerlaz, d'où le nom de cette dernière localité, appelée en 1518, « oppidum Occisionis », le village du massacre. La tradition a gardé le souvenir de cette bataille que le cartulaire de Quimperlé nomme le combat de Gueth Ronan [Note : Gueth Ronan : le combat de S. Ronan ou de Locronan. Gueth est un mot vieux breton qui signifie combat. (Cf. Loth. Chrestomathie bretonne, p. 209)], et voici le récit qu'en a recueilli M. l'abbé Pouchous, ancien recteur de Plonévez.

On prétend que Kerlaz perdit son nom de Tréfriand à cause d'un massacre qu'on dit y avoir été commis vers le XIIème siècle. Voici comment on raconte ce fait : Un jour de dimanche, des agents seigneuriaux, venus en ce lieu pour y lever un subside, y sont massacrés par les habitants. Le curé du lieu, voulant faire éviter à ses paroissiens le châtiment qui leur était réservé, leur livra la bannière de l'église et la croix processionnelle qu'ils criblèrent en signe d'attaque ; on fit alors entendre au Seigneur que pour défendre ces objets religieux, attaqués en pleine procession, les paroissiens. avaient résisté, et que le malheur voulut que les dits assaillants succombent sous les coups d'une immense population en fureur. D'après cet exposé, le seigneur fit grâce, et parce qu'il était impossible de découvrir les vrais coupables et parce que les subsides demandés furent religieusement payés ; mais on exigea que dans la suite ce lieu prit le le nom de Kerlaz ou village du meurtre, en latin capella occisionis, chapelle du massacre.

On reconnaîtra aisément le récit du cartulaire dans ces vieux souvenirs. Les deux documents concordent quant à l'époque de l'événement (XIIème siècle). Ces agents du Seigneur, qui sont-ils, sinon les soldats ou agents du Duc, venus pour lever des subsides, c'est-à-dire, pour piller, comme dit le cartulaire. D'où fureur des habitants qui les massacrent, aidés des soldats de Cagnard. L'épisode de la procession paraît avoir été inventée par les gens de Kerlaz pour se mettre à couvert du ressentiment du Duc. C'était d'ailleurs un dimanche, et les croix et bannières pouvaient réellement être sorties à l'occasion d'un pardon quelconque et s'être trouvées au milieu de la bagarre.

Pour revenir à Trévigodou et à Belar, disons que ces villages payaient, chaque année, des redevances en nature à l'abbaye de Quimperlé. Bélar, particulièrement, était taxé au XIIème siècle, pour un minot de froment, trois sous, un minot d'épeautre et un guastel, tous les deux ans. Ce guastel, aujourd'hui guastel amann, gâteau saturé de beurre fin, est la friandise du Porzay, le complément obligatoire des repas de noces et des dîners de baptêmes qui se donnent dans le pays. On voit qu'il remonte haut.

Saint Mahouarn.
Continuons notre voyage autour de Sainte-Anne et nous arriverons au village de Lesvren, à 2 Km Sud de la Chapelle. Là encore, il y avait un moutier avec une chapelle de Saint Mahouarn. Ce saint, aujourd'hui inconnu, n'est autre que le célèbre S. Hervé, si du moins l'on se fie à une pièce latine des archives paroissiales de Plonévez, datée de 1518, et qui porte « Capella Sancti Hervei, vulgo dicti Sancti Mahouarn, apud Lesvren ». La chapelle de S. Hervé vulgairement appelée S. Mahouarn, à Lesvren.

S. Hervé a passé sa vie dans le Léon, sauf toutefois que ne voulant être trop à charge à son bienfaiteur Innoco, il se résolut à faire une quête par le pays circonvoisin, pour aider à la construction de son monastère ; il se fit conduire — il était aveugle — à travers la montagne d'Aré, au pays de Cornouaille, où incontinent le bruit de son arrivée fut répandu partout. (A. Le Grand, Vie de S. Hervé, p. 318).

On trouve, un peu dans tous les recoins de la Cornouaille, des chapelles consacrées à S. Hervé, Mais nulle part on ne rencontre un ensemble de souvenirs du saint comparable à ceux qui restent dans la région du Porzay. D'abord, notre chapelle de Lesvren. Elle n'existe plus, mais la fontaine du saint, et une Croix du XVIIème siècle dans le village, demeurent pour le rappeler. Là statue du saint aveugle, qui se trouvait dans cette chapelle et le représente accompagné de son jeune guide Guiharan et du loup traditionnel, fut, à un moment donné, transportée à l'église de Kerlaz, et y est restée jusqu'à ces derniers temps. Comme elle est d'une facture quelque peu barbare, elle fut cédée à M. le chanoine Millour, de Plonévez, et est aujourd'hui la propriété de son neveu, le commandant Y. Le Moan.

Une autre paroisse du Porzay, Cast, honorait aussi S. Mahouarn et possédait au village du Loc-Mahouarn une chapelle en son honneur, ruinée depuis 1810.

Enfin, Plomodiern a notre saint pour patron. Il est vrai qu'il y est un tant soit peu oublié, et qu'on ne voit plus sa vieille statue dans le chœur de l'église. Elle n'a cependant pas quitté la paroisse. Ste Marie du Ménéhom l’a maternellement accueillie dans son beau sanctuaire. Il est vrai encore qu'en 1780, le rôle des décimes attribue à S. Magloire le patronage de l'église de Plomodiern, mais il est sans conteste aussi qu'avant le XVIIIème sièdcle, S. Mahouarn était reconnu pour le véritable patron de Plomodiern. Malheureusement on ne connaissait pas sa vie. S. Magloire, par contre, jouissait de l'heureuse fortune d'avoir une belle légende : il n'en fallait pas plus pour amorcer un essai de substitution.

Que S. Mahouarn et S. Hervé soient cependant le même personnage, le doute à ce sujet ne nous semble guère possible. Hervé est une forme moderne. Les anciens disaient Houarn, et la preuve, c'est que le pardon et la principale foire de Plomodiern ont conservé le nom de pardon et de foire de S. Houarn. Le père de S. Hervé s'appelait aussi Houarn, d'où le nom de Mab-Houarn, par contraction Mahouarn, donné à son fils.

Houarn, le père, était un esprit fécond en ressources et avait émerveillé la cour de Childebert par ses inventions poétiques. Aurait-il, une fois devenu habitant de l'Armorique, parcouru le pays de Porzay en chantant ses compositions dans les châteaux et manoirs des seigneurs de l'époque, an serait tenté de le croire, car si les gens de ce canton ne l'avaient pas vu passer parmi eux, il serait difficile d'expliquer la raison de l'appellation familière par laquelle ils désignent son fils. Pour eux, Hervé est le fils de Houarn, Mab-Houarn.

En tout cas, en présence du fait que les principales paroisses du Porzay honorent S. Hervé d'un culte très ancien, on ne peut guère éviter cette conclusion que c'est vers cette partie de la Cornouaille qu'il dirigea ses pas, lorsqu'il vint dans ce comté quêter pour son monastère.

Le Porzay aurait donc eu, dès les premiers siècles, la réputation d'être une région opulente. Il passait du moins pour tel, lorsque le capitaine ligueur Anne de Sanzay de la Magnanne et ses soldats vinrent y accomplir leurs actes de brigandage. En peu d'heures, ils firent une telle curée et pillage, qu'ils ne laissaient après eux que ce qui était « trop chaud et trop pesant », dans ce pays où « il y avait peu de familles où il n'y eût force hanaps d'argent, cela veut dire des tasses grandes et larges dont plusieurs dorées ». Et Sanzay n'emporta pas tout, car, d'après la tradition, un autre brigand plus célèbre, passant peu de temps après lui, put faire dans le même pays un immense butin Cf. La Borderie, Histoire de Bretagne, T. V. Chap. XIX).

Saint Conegan.
En fermant le cercle autour de Sainte-Anne, autant que nous le permet la mer, nous abordons, à quelques centaines de mètres au S. O. de la chapelle, le gros village de Tréfentec, illustré par S. Conogan, appelé aussi Connec et Tégonnec [Note : On a confondu le S. Tégonnec du Léon, compagnon de, S. Pol, avec le S. Tégonnec de Cornouaille, disciple de S. Guénolé. L'ancien bréviaire du Léon les distinguent, en marquant la fête du premier (Theogonoci, confessoris), Tégonnec confesseur, au 8 des ides de septembre, et celle du second (Conognani, episcopi et confessoris) Conognan, évêque et confesseur, au 6 des ides d'octobre (Cf. D. Lobineau, Vie des Saints de Bretagne, édition Tresvaux, 1836, p. XXXI)], Guénégant et Guengat, deuxième évêque de Quimper. Le bon légendaire Albert Le Grand, sans doute influencé par la donation que fit ce saint à S. Guénolé de son manoir de la Palue, près de Landerneau, domaine qu'il possédait « depuis de longues années », dit simplement le Cartulaire de Landévennec, p. 165, le fait naître dans ce manoir. Notre Tréfentec, revendique aussi le même honneur. Nous ne savons qui a raison, mais il faut au moins retenir de cette dernière tradition que le saint a passé du temps à Tréfentec, qu'il y a eu un ermitage dont on montre encore la place, à côté de la fontaine, aujourd'hui comblée, qui portait son nom. Il devint disciple de S. Guénolé, et fut envoyé par lui évangéliser le pays de Cornouaille, vraisemblablement la partie qui s'étend depuis le Porzay jusqu'à Quimper.

Les bonnes gens de Tréfentec prétendent que S. Connec était, dans son jeune âge, employé comme gardien de bestiaux par un cultivateur de l'endroit. Un jour où il y avait grande foire à la Palue ; il avait pour mission de défendre les champs nouvellement ensemencés contre les déprédations des oiseaux de mer et autres qui étaient légions autour de Tréfentec. Le petit garcon aurait pourtant bien voulu aller, ce jour-là, à Palue rendre ses hommages à Sainte Anne et, en même temps, admirer les belles bêtes que les campagnards d'alentour amèneraient au marché. Mais comment s'y prendre pour faire son pèlerinage sans désobéir à son maître ? Il trouva vite un expédient simple. Il appela à sa barre les petits gourmands ailés qui survolaient avec une convoitise manifeste les champs de son patron, et après leur avoir fait un petit sermon de circonstance qu'ils entendirent avec toute l'attention dont ils étaient capables, il les enferma dans la grange de la métairie, à l'ouverture de laquelle il mit, par surcroît de précaution, une de ces barrières à claire-voie que l'on place à l'entrée des champs.

Et le voilà, une fois les oiseaux en cage, de prendre ses jambes à son cou et de courir vers la Palue.

Il n'y était pas depuis le temps de réciter un Credo, qu'il rencontra son maître.

— Méchant valet, lui dit celui-ci, tout courroucé, c'est ainsi que tu exécutes mes volontés ?

— Mais, fit l'adolescent, je ne vous ai pas désobéi. Vous m'avez commandé d'empêcher les oiseaux de commettre des dégâts dans vos cultures. C'est fait : toute la gent ailée du pays est là-bas, bien sage, dans votre grange !

— Dans ma grange, petit étourdi ; mais elle est ouverte à tous les vents, et il y a autant de trous dans le toit que tu y as enfermé de volatiles !

— Eh bien, allez-y voir, répliqua tranquillement le jeune garçon ; je leur ai recommandé de ne point bouger jusqu'à nouvel ordre.

Le propriétaire, déconcerté par cette placidité, rentra chez lui sans oser en demander d'avantage, et trouva comme le lui avait affirmé Connec, sa grange remplie d'oiseaux de toute taille et de toutes couleurs qui attendaient paisiblement leur délivrance. Depuis ce jour-là, dit-on, notre petit thaumaturge put aller, chaque matin, faire ses dévotions à Sainte-Anne et même se rendre aux foires qui s'y tenaient.

Mais un temps vint où, malgré les preuves que donnait Connec de sa sainteté les habitants de Tréfentec cessèrent d'être bienveillants à son égard. Il n'aurait pas mieux demandé que de passer toute son existence en leur compagnie, et dans ce but, il avait projeté de construire, un peu à l'écart du village, un petit oratoire, où il pourrait se retirer, à certaines heures, pour vaquer à l'oraison. Il lui fallait un seau pour quérir l'eau nécessaire à la confection d’un peu de mortier : on lui offrit un crible. Mais Connec était ingénieux : une poignée de terre glaise, étendue sur le fond de l'écumoire, la rendit propre à remplir la fonction qu'on lui demandait, et le saint put se mettre à l'œuvre. Il ne put continuer longtemps, car le travail qu'il faisait dans la journée, ses méchants voisins le lui démolissaient la nuit, si bien qu'il dut vite renoncer au modeste ermitage qu'il avait rêvé.

D'autres disent que les gens de Tréfentec n'eurent d'autres torts envers S. Connec que d'aller trop souvent troubler son repos et le distraire dans ses méditations. Ils en firent ce pendant assez pour le déterminer à les quitter et à s'en aller fixer sa tente à deux lieues plus loin, en Plogonnec, là où est aujourd'hui la chapelle dite de S. Tégonnec.

Mais, d'après un rimailleur populaire, ce ne furent pas de simples agaceries que S. Connec eut à subir de la part de nos villageois, mais de cruelles avanies. Bien que leurs terres furent grasses et d'excellent rapport, ils lui refusaient le morceau de pain qu'il allait quelquefois leur demander, et quand il partit, ils mirent les chiens à ses trousses. Aussi, lui prête-t-on des adieux plutôt sévères à la gent tréfentégoise, qui est pourtant excusable, si, comme nous le croyons, ses principaux représentants étaient encore plongés dans les erreurs du paganisme :

Sant Tégonnec a Blogonnec.
Zo ginnidic a Dréfentec,
A Dréfentec pa gimiadas,
Gant kalon mantret a laras :
Tréfengétis, tudigou ter,
C'hui en em gavo ato ber :
Gant daou pe dri eost ar bloa,
C'hui a vo paour mentez tra.
Kement ki klaon a zeui er vro,
E Tréfentec a ziskenno.

Ce qui peut se traduire :

Saint Tégonnec de Plogonnec
Naquit à Tréfentec.
De Tréfentec quand il partit,
A grand regret il déclara :
Tréfentegois, gens irascibles,
Vous serez toujours à court :
Avec deux ou trois récoltes par an,
Vous serez pauvres quand même.
Tout chien enragé qui viendra au pays,
A Tréfentec, descendra.

Jusqu'à ces derniers temps, les habitants de Tréfentec, en réparation des méfaits, qu'on leur attribue à l'égard de leur saint, et aussi pour détourner d'eux les châtiments que leur prédit le poète, se rendaient en foule au pardon annuel de S. Tégonnec. Leur dévotion s'est quelque peu refroidie depuis qu'un vitrail de l'église de Plogonnec, s'inspirant des vers que l'on vient de citer, les représente accablant le saint, à son départ, de toutes sortes de mauvais traitements. Espérons qu'ils reprendront leur pieux pèlerinage et que S. Tégonnec sera secourable à ceux qui vont, depuis des siècles, à sa chapelle avec l'intention de réparer les torts que leurs ancêtres ont pu avoir envers lui.

De Plogonnec, S. Connes paraît s'être dirigé sur Quimper, en passant, par Guengat [Note : Guengat = Guenegat. — Dans le vieux bréviaire de Léon on trouve : « de sancto Guengado » S. Guengat (Duine, Bréviaires, 228)], qui n'est qu'une forme raccourcie de Guénégat, ou Guénégant, autre nom de Connec ; par Penhars, où l'on rencontre encore une chapelle sous son patronage, et enfin par Plomelin, son souvenir était perpétué par la chapelle de S. Cônec, aujourd'hui disparue. Après avoir évangélisé ce quartier de la Cornouaille, il succéda à S. Corentin sur le siège de Quimper.

Saint Erlé.

Un autre saint qui paraît avoir eu des relations avec S. Connec, et qui n'est pas non plus étranger à Sainte-Anne, c'est S. Erlé, patron de Ploaré. S. Conogan, en s'éloignant de Plonévez, fit-il don à S. Erlé des biens qu'if pouvait y posséder ? La chose n'est pas impossible, mais nous préférons croire que la rente importante que la fabrique de Ploaré possédait jusqu'à ces dernières années sur Tréfentec, provient de la générosité d'un bon chrétien de ce village.

S. Erlé n'est autre, croyons-nous, que le S. Arelet, martyr, dont l'ancien calendrier de l'abbaye de Saint-Méen (XVème siècle) marquait la fête au 15 octobre, le même jour que S. Conogant, donnant dans l'office huit leçons à celui-ci et quatre au premier. Ce saint a donné son nom à Auray, en breton Atré, et à Ploaré [Note : Il est curieux que le nom de S. Alré ou Erlé se retrouve à côté de nos deux grands sanctuaires bretons de Sainte-Anne : à Auray et à Ploaré] : Plué-Alré, en 1468. On trouve ce nom graphie Arlé et Harlé dans un titre de Plonévez du commencement du XVIème siècle, et la même forme se retrouve dans Lezarlé, village en Ploaré.

La tradition de cette paroisse rapporte que Erlé, originaire d'Irlande, était diacre, et qu'à l'établissement du christianisme en Armorique, il y débarqua et se dévoua aux missions. Chassé de Ploaré, il s'enfuit par les grèves de la baie de Douarnenez, s'agenouilla, en passant, aux pieds de Sainte Anne, et alla chercher un refuge à Crozon, probablement dans les rochers de Camaret [Note : Camaret est selon nous, pour Cam ou Cambr Arelet. Les vieux titres donnent les formes suivantes pour Camaret : Camelet, Cameret, Quamereuth-Crauzon, en 1402 (Cf. Bulletin de la Commission diocésaine d'architecture et d'archéologie du diocèse de Quimper, 1904, p. 286, et Toscer, Le Finistère pittoresque, Cornouaille, p. 177). Cam peut désigner la jetée en forme de crosse qui protège le port de Camaret ou encore la courbe qui part de la pointe du Grand-Gouin pour se terminer à la Mort-Anglaise, et au fond de laquelle se trouve le port. Ou bien, Cam est pour cambr, chambre, mot de même racine que le latin camera, pièce voûtée ; ce qui donnerait : Cainaret = chambre ou cellule d"Arelet. Cette dernière étymologie serait plus conforme à ce que nous apprend la tradition, à savoir que S. Arelet se serait réfugié dans la paroisse de Crozon. Une caverne quelconque des bords de la côte, ou une ancienne chambre voûtée de la période gallo-romaine, lui aurait servi de cellule ou de lieu de refuge. Enfin, on peut penser à Cam-Arelet, le boîteux Arelet car il est dit que dans sa fuite vers Crozon, le saint perdit une de ses chaussures, euphémisme, sans doute, pour dire qu'il fit une chute et en demeura boiteux. Plouaret, paroisse des Côtes-du-Nord, doit être aussi la paroisse d'Arelet, et le nom d'une de nos chaines de montagnes, le Ménez-Aré, fait encore penser à l’ancien patren de Plo-Aré] dont le nom paraît encore rappeler le sien. Toujours, d'après la même tradition, le pieux missionnaire subit le martyre « victime de son attachement à la foi ». Quelques-uns croient qu'il fut massacré par les pirates Normands ou Danois qui fréquentaient déjà ces parages (V. Garaby, Vie des Saints, p. 478 et 572).

A Ploaré, où il est représenté en diacre, tenant en main la palme du martyre, on a, pendant un certain temps célébré sa fête le 10 août, jour de S. Laurent, lui aussi diacre et martyr, si bien que plusieurs, ont cru que S. Erlé et S. Laurent étaient considérés à Ploaré comme étant le même personnage. Il n'en est rien. On a essayé ici, comme dans une infinité d'autres paroisses, de remplacer un saint à peu près inconnu par un autre plus connu, et c'est tout. Aujourd'hui, on fait la fête patronale de Ploaré le dimanche de la Sainte-Trinité.

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CHAPITRE VIII.

Les chapelles successives.

Combien de temps dura la chapelle construite sur la Palue ?

Une tradition bien conservée dans le pays veut qu'elle ait été ensevelie sous les sables de la baie quelques années après la mort du « petit saint Corentin ». Ce second Corentin, bien qu'on ne trouve pas son nom sur les listes des évêques de Cornouaille, est donné par l'abbé Gallet, comme ayant été un des successeurs du premier Corentin sur le siège de Quimper. S'appelait-il vraiment Corentin ? Il est permis d'en douter. Pour nous, il n'y a eu qu'un évêque de Quimper à porter ce nom. Mais, pluss tard, un autre prélat, soit par ses vertus, soit par une particularité frappante quelconque, aura rappelé aux populations la grande figure de leur premier évêque et cela aura suffi pour lui faire donner le nom de « petit Corentin ». Quoiqu'il en soit, toujours d'après l'abbé Gallet, ce second Corentin aurait vécu, lui aussi, sous un Comte de Cornouaille nommé Grallon, et, par le fait, dans la liste comtale de Cornouaille (cartul. de Landévennec, Edit. La Borderie, p. 173), on trouve, en plus du roi de la ville d'Is, un Grallon surnommé Flam qui aurait vécu du temps du roi Dagobert, lequel mourut en 638. Si donc on se fie à notre tradition, la première chapelle de Sainte-Anne, fondée du temps de S. Guénolé et de S. Corentin, an Vème siècle, aura été ruinée au cours du VIIème. [Note : La liste des comtes de Cornouaille mentionne un autre Grallon, Grallon de Plounéour, mais celui-ci ne paraît pas avoir vécu avant le commencement du Xème siècle. (Cf. Cart. Landév., p. 173)].

Cette chapelle ayant disparu, une autre la remplaça mais celle-ci fut bâtie, non plus tout près et en vue de la mer, mais sous la colline qui domine la baie de Douarnenez, c'est-à-dire à la place où se trouve notre chapelle d'aujourd'hui. Là, elle était à l'abri des flots et des vents d'Ouest qui soufflent dans nos parages pendant la majeure partie de l'année. Mais cette seconde chapelle, pas plus que la première, ne paraît avoir eu une très longue existence. Nous avons peine à croire qu'elle ait survécu aux incursions des Normands qui dévastèrent les monuments du pays et détruisirent l'abbaye de Landévennec en 914.

Quoiqu'il en soit, la chapelle qui est restée debout jusqu'en 1858, et a été remplacée par le sanctuaire actuel, remontait, dans ses parties non remaniées, au Xème ou au XIème siècle. Tel était le cas de l'abside qui était en forme de four et était percée de petites fenêtres étroites et basses, et dépourvues de meneaux, sortes de meurtrières comme on en voit dans les églises de l'époque que nous indiquons. Le reste, c'est-à-dire, la nef et le clocher avaient été refaits, partie en 1419, selon une inscription qui se lisait sur l'ancienne tour, et partie vers 1630. Enfin, une dernière restauration importante eut encore lieu en 1725, année où on lit dans les comptes de la fabrique de Sainte-Anne « payé pour rebâtir la tour et le corps de la dite chapelle, 624 livres 6 sols », et diverses autres sommes, un peu plus tard.

Cette troisième chapelle, de dimensions médiocres, et tout à fait indigne du grand pèlerinage qui y avait lieu chaque année, fut démolie en 1858, sous le rectorat de M. l'abbé Pouchous, et rebâtie sur les plans et devis de M. Bigot père, architecte diocésain. La construction traîna, car on manquait de ressources. Enfin, on parvint à la terminer, et elle fut bénite, le premier dimanche du mois d'août 1864, par M. le chanoine Alexandre, délégué à cet effet par Mgr Sergent, évêque de Quimper.

Depuis lors, l'église de Sainte-Anne est restée telle quelle, sauf cependant que son flanc gauche a été percé en 1903 pour aménager l'élégant sanctaire [Note : L'oratoire où se trouve maintenant la vieille statue de Sainte Anne la Palue a été édifiée par J.-L. Le Naour maître tailleur de pierres, sur les plans de M. l'abbé J. M. Abgrall, chanoine honoraire, architecte. — L'impressionnant chemin de Croix, en pyrogravure, qui orne la chapelle de Sainte-Anne depuis 1919, est dû au beau talent de M. l'abbé Gaudiche, professeur au Collège de N.-D. de Bon-Secours, à Brest] qui abrite désormais la statue vénérée de la sainte patronne du lieu.

La nouvelle chapelle devait être dotée d’un mobilier neuf, car l'ancien était dans un état de délabrement tel, qu'il fallait à tout prix le remplacer ; malheureusement, à peine était-elle livrée au culte, qu'un grave événement local vint tout arrêter : l'église paroissiale de Plonévez menaçait de s'écrouler. Il fallut l’interdire ; elle resta fermée pendant de longs mois, puis on la démolit et enfin on dut la rebâtir à grands frais (1868). Les dettes provenant de la reconstruction de Sainte-Anne étaient lourdes ; du coup elles furent doublées. Quelques années après (1874), une école libres s’éleva dans la paroisse, et les charges s'accrurent encore. Les recteurs de Plonévez travaillaient de leur mieux à les éteindre, et ils étaient parvenus à un résultat appréciable, quand vint la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui eut des conséquences désastreuses pour la paroisse. On dut quitter la maison presbytérale et la racheter, abandonner l'école des filles et en construire une autre, et l'on fut de nouveau accablés de dettes. C'est ce qui explique que l'on n'ait pas encore réussi, jusqu'à présent (1921), à doter Sainte-Anne d'un mobilier convenable. Elle a dû, en remplacement de ses meubles vermoulus du XVIème siècle, se contenter de ceux presque aussi anciens de la vieille église de Plonévez. Espérons que des temps meilleurs ne tarderont pas à venir, où l'on pourra donner au sanctuaire de la grande Aïeule du Sauveur une ornementation digne de lui.

De son mobilier ancien, la chapelle a pourtant conservé quelques bribes, à savoir, un certain nombre de statues en bois, du XVIème siècle, parmi lesquelles on peut voir, dans le chœur, sainte Anne et saint Joachim ; à gauche et à droite, à la naissance des transepts, saint Corentin avec crosse et mitre, et saint Guénolé en robe noire de bénédictin ; dans les retables des autels latéraux, qui ne datent que de, 1840 et proviennent de l'ancienne église de Plonévez, le groupe du Rosaire à gauche, et à droite les saints diacres Etienne et Laurent, accompagnés de saint Mélar, tous patrons secondaires de la paroisse. Ces groupes sont de 1625. Enfin, dans l'oratoire accolé au côté gauche de la chapelle, la statue vénérée de la sainte patronne de la Palue. Cette statue est en pierre et porte sur son socle la date de 1548. Jadis, aux jours des grandes solennités religieuses, on l'habillait somptueusement avec les plus beaux costumes des femmes du pays, mais cet usage a cessé depuis plusieurs années.

Tout auprès de la chapelle, du côté Sud, se dresse une croix de 1653. Sur son embase, le nom du recteur qui l'a fait ériger : Missire Guillaume Vergos, et du fabricien de l'époque, Lucas Bernard. Au pied de la croix, saint Pierre et sainte Marie-Madeleine. Ces statues sont également du XVIIème siècle et se trouvaient autrefois dans la chapelle.

Au Sud encore, à une centaine de mètres de la chapelle, la fontaine de Sainte-Anne, qui a remplacé, en 1871, un édicule de 1644, sur le fronton duquel on lisait X. Kermaïdic, f.

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CHAPITRE IX.

Les pèlerinages anciens.

Erigée dans les conditions que l'on a dit, la chapelle de Sainte-Anne-la-Palue ne tarda pas à acquérir de la renommée. Un souvenir tragique, — l'engloutissement de la ville d'Ys — s'y rattachait ; elle avait été fondée par de saints personnages dont la mémoire était restée vivante dans les populations, et, d'autre part, les Bretons de ce pays vouèrent de bonne heure une vive affection à leur « bonne grand'-mère » : c'était plus qu'il n'en fallait pour les attirer nombreux à son sanctuaire.

Malheureusement, l'histoire du pèlerinage de la Palue dans les temps anciens, est ensevelie dans les ténèbres. L'abbaye de Landévennec avait certainement des documents concernant Sainte-Anne : la tourmente révolutionnaire les a emportés. Il nous faut donc nous contenter des maigres renseignements que fournissent les archives de Plonévez. Elles nous disent qu'à la fin du VIIème siècle, le pèlerinage de Sainte-Anne était déjà connu ; un inventaire de 1602, aujourd'hui perdu, nous apprend qu'au XIIIème siècle, il était très florissant ; une délibération du général ou corps politique de Plonévez-Porzay, rédigée en latin par vénérable et puissant Messire Harlé de Quélen, recteur de la paroisse, nomme, comme curateur ou fabricien de Sainte-Anne, Jehan Doaré, du village de Penfrat-Vian, et c'est tout. Les XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, jusqu'à la Révolution, ne nous apprennent presque rien. Nous ne connaissons le pèlerinage de Sainte-Anne, pendant ces trois cents ans, que pour le voir décliner, on ne sait trop pour quelle cause, de 1640 à 1760, si bien qu'à cette dernière époque, il n'existait pour ainsi dire plus, et pour le voir remonter de nouveau jusqu'à la veille de la Révolution. Les comptes de Sainte-Anne, qui vont de 1712 à 1787, avec toutefois de nombreuses lacunes, confirment ce que l'on vient de dire au sujet du dépérissement et du relèvement du pèlerinage.

Mais si les pèlerins des paroisses éloignées diminuent autour de Sainte-Anne durant une centaine d'années, les paroissiens de Plonévez la dédommagent pendant le même temps par leurs généreuses offrandes. Leurs testaments mentionnent de nombreux legs à Sainte-Anne ; quelquefois même, ce sont des constitutions de rente qu'ils font pour l'entretien du culte dans la dite chapelle. Nous en donnons ici un relevé :

Compte de 1714.

Rentes sur terre au village de Trévigodou ..... 18 l.
Rentes sur terre au village de Lestraon..... 15 l.
Rentes sur terre au village de Keryar-Iselaf...... 18 l.
Rentes sur terre au village de Penfrat Bian...... 6 l.
Sur Parc-Lagat, aux issues de Penfrat Bras..... 3 l. 15 s.

Compte de 1719.

Sur le lieu de Jean Tanguy, à Lézenven ..... 15 l.
Sur les héritage de Jean Blaise et femme, à Penfrat-Bian ...... 15 l.
Sur les héritages et biens de Yves Le Bot et Marie Millour, sa femme, sur le lieu de Penaprat ...... 6 l.

Compte de 1749.

Rente constituée sur le lieu de Tréguy Bian, due par Corentin Lelgouarch ....... 30 l. 15 s.

Compte de 1775.

Dû par Yves Tanguy, sur le lieu de Leuriou ...... 18 l.
Dû par Françoise Tanguy, veuve de Yves Le Ber sur le lieu de Lanzent ..... 7 l. 3 s. 9 d.
Dû par les héritiers de Thomas Le Bosser, de Lesvren-Iselaff ...... 15 l.

Compte de 1786.

Dû par Nicolas Le Doaré et femme, du Ris-Huelaff ....... 45 l.

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CHAPITRE X.

Fêtes à Sainte-Anne.

Dans l'ancien temps, comme de nos jours, il y avait, plusieurs fois par an, des réunions et des pèlerinages à Sainte-Anne. On y disait la messe tous les dimanches et fêtes de l'année, ainsi que tous les mardis. Le mardi est le jour que la piété chrétienne a consacré à l'auguste aïeule de Notre-Seigneur, parce que, d'après la tradition, elle serait née, serait morte, et aurait conçu la Vierge un mardi (A. Ollivier, sainte Anne, p. 169).

De plus, la chapelle de la Palue reconnaît comme patrons secondaires S. Corentin et S. Guénolé, dont on a vu qu'elle conserve les vieilles effigies. C'est pourquoi, tous les ans, à Sainte-Anne, on fête S. Corentin le 3ème dimanche de l'Avent, qui tombe toujours soit la veille, soit le jour même (12 décembre) de ce saint, ou l'un des jours de son octave. Quant à S. Guénolé, son pardon se fait à Sainte-Anne, le deuxième dimanche du Carême. On sait que ce saint mourut le samedi qui précède ce jour.

Les offices de la paroisse étaient et sont encore transportés à Sainte-Anne le mardi de Pâques, le 26 juillet, le jour de l'Assomption, et les dimanches d'août, à part le second, où l'on fête S. Milliau, patron de Plonévez. Il en est de même du troisième lundi après Pâques, jour de la foire, autrefois très fréquentée, de Sainte-Anne-la-Palue. Ce jour-là, un prêtre de la paroisse se tient sur lieux, pendant toute la journée, en prévision des accidents possibles. Cette foire n'a plus aujourd'hui son importance d'antan.

Quant au grand pardon de Sainte-Anne, il n'avait pas lieu autrefois le dernier dimanche d'août, comme maintenant. Jusqu'aux environs de 1760, il se célébrait, de temps immémorial le dimanche dans l'octave de l'Ascension. En souvenir de l'ancien pardon, on a maintenu ce jour comme fête de la Confrérie de Sainte-Anne, association pieuse, érigée en 1841 et dotée de précieux avantages spirituels.

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CHAPITRE XI.

Sainte-Anne pendant la Révolution.

Lorsqu'éclata la Révolution, les dévots de Sainte-Anne qui, on l'a vu, venaient, chaque année, de plus en plus nombreux, déposer à ses pieds l'hommage de leur fidélité, ne se résignèrent pas facilement à délaisser leur pieux pèlerinage. Pendant quelque temps, les choses n'allèrent pas trop mal. Le recteur de Plonévez ayant prêté serment à la Constitution civile du clergé, fut, de la part des autorités républicaines, l'objet d'une certaine bienveillance, et les fidèles purent continuer à fréquenter Sainte-Anne. Mais, si le recteur était laissé dans une quiétude relative, son vicaire, Jean-Guillaume Le Garrec, spécialement chargé du service de la trève de Kerlaz, ne jouissait pas de la même faveur. Ayant refusé le serment, il dut quitter son église, qui fut d'ailleurs fermée, et se cacher. Mais Sainte-Anne était restée ouverte, et l'abbé Le Garrec, dans le but d'offrir le secours de son ministère aux fidèles de la paroisse et aux pèlerins, s'installa aux abords de la chapelle avec trois autres prêtres du voisinage.

Le jour, ils demeuraient cachés, tantôt dans une ferme, tantôt dans une autre, et le soir, à la tombée de la nuit, ils sortaient de leur retraite. A cette heure aussi, de tous les coins du pays, arrivaient les dévots pèlerins : les prêtres entendaient les confessions, baptisaient les enfants et célébraient la messe, vers minuit. Puis on se séparait, heureux d'avoir prié ensemble, et au point du jour, la Palue était encore absolument déserte.

Cela dura près d'un an ; au bout de ce temps, les gendarmes reçurent l'ordre d'aller de nuit à la chapelle pour disperser les réunions et surtout pour essayer de s'emparer de l'abbé Le Garrec. La première fois qu'ils y arrivèrent, ils ne trouvèrent personne : avertis de leur arrivée, les pèlerins s'étaient dispersés. Les gardes républicains, furieux, se mirent alors à parcourir toutes les fermes du voisinage, et vers midi, le lendemain, ils arrivèrent au village de Keryar. L'abbé Le Garrec y était, depuis la veille, avec ses deux compagnons. Ils n'eurent, au moment de l'arrivée de gendarmes, que le temps de se sauver par une fenêtre de derrière et de gagner une meule de foin creusée exprès pour les recevoir.

Les gendarmes, ayant trouvé, dans la maison, l'autel sur lequel ces dignes prêtres avaient célébré la messe, ce jour même, déclarèrent qu'ils mettraient le feu à la maison, si on ne leur livrait ceux qu'ils cherchaient.

Une femme se 'trouvait dans la maison et préparait le repas des moissonneurs. A cette menace des gendarmes, elle répondit tranquillement : « Vous pouvez le faire, si cela vous agrée, c'est le meilleur moyen d'appeler du secours ». Cette remarque si simple et si héroïque effraya les pourchasseurs de prêtres. Ils se mirent à fouiller de nouveau la maison ; et n'y trouvant personne, ils s'en furent sonder les meules de foin avec leurs piques, et, dans ce cruel exercice, blessèrent même les trois prêtres ; mais le foin, essuyait le sang des piques quand on les retirait, et le silence gardé par leurs victimes ne permit pas aux gendarmes de constater leur présence.

Après avoir ainsi échappé ces dignes confesseurs de la foi continuèrent leur ministère dans les environs, mais ce n'était pas sans-danger.

D'un autre côté, se voyant menacés, les habitants du pays et les pèlerins arrivaient de nuit à Sainte-Anne, bien armés. Un certain Gannat, dit le Noir, (Ar Gannat du), ancien veneur des seigneurs de Moëllien, et habitant la maison qui leur servait de rendez-vous de chasse dans la Palue, organisa la défense. Quand, la nuit, les gendarmes se présentaient, au coup de sifflet donné par Gannat, on voyait les touffes de lande s'agiter. A côté de chacun se dressait un homme, qu'on entendait armer son fusil dans le silence de la nuit.

Cela suffisait pour faire tourner bride aux agresseurs ; mais ceux-ci, ne pouvant pénétrer dans la Palue, se postèrent le long des chemins pour attendre les pèlerins ; quand ils rencontraient un homme seul, ils le rouaient de coups. Ils s'attaquaient même aux femmes qu'ils frappaient et outrageaient ; mais dès qu'ils voyaient les hommes par bandes de trois ou quatre, ils avaient bien soin, de se retirer ou de ne point donner signe de vie à leur passage.

Devant ce nouveau genre d'agression, Gannat organisa une autre défense. Il laissait les gendarmes pénétrer dans la Palue, où, à un signal !donné, ils étaient cernés par une bande d'hommes armés de fusils. On les gardait ainsi à vue jusqu'au matin, et quand les pèlerins étaient déjà loin, on les laissait partir, après leur avoir fait jurer qu'ils n'attaqueraient, séparément, aucun de ceux qui les avaient tenus prisonniers, sous peine d'être eux-mêmes fusillés, sans miséricorde, à la première occasion.

On raconte à ce sujet le fait suivant : la première fois qu'il les garda de la sorte, Gannat, le matin, avant de les laisser partir, voulut donner aux gendarmes une preuve de son adresse. Il abattit successivement au vol quinze oiseaux : au seizième coup de fusil, il manqua ; se tournant alors vers les prisonniers : « Si, dit-il, au lieu d'un oiseau, j'avais eu devant moi un gendarme, je n'aurai pas manqué ». Et là-dessus, il les congédia. Furieur d'avoir été ainsi traités, les gendarmes ne voulurent pas rentrer chez eux sans avoir au moins essayé de s'emparer de l'abbé Le Garrec et de ses compagnons. Aux environs du village de Bélar, ils apprirent d'un petit pâtre que monsieur le vicaire, qui n'était pas citoyen, (on désignait ainsi l'abbé Le Garrec) avait passé par là, se dirigeant vers les bois de Kerarigal. Ils partirent immédiatement à sa recherche, et l'eussent probablement saisi, car la rosée abondante du matin permettait de suivre, sur l'herbe, la trace de ses pas. Ils arrivèrent ainsi jusqu'au milieu des bois ; mais là, ils rencontrèrent une bande de bûcherons et de sabotiers. Dès qu'ils virent les gendarmes, ces braves gens, qui avaient partagé, un instant auparavant, leur morceau de pain avec le prêtre, sautèrent sur leurs haches ; ils entourèrent les gendarmes et leur firent comprendre aisément qu'il était dangereux de chasser les prêtres sur ce terrain. Puis, après les avoir désarmés, ils leur lièrent les mains derrière le dos, leur mirent aux pieds des pilons de hêtre et les hissèrent sur leurs chevaux, qu'ils laissèrent en liberté.

Pendant quelque temps les choses durèrent ainsi. Les gendarmes, tantôt chassant, tantôt chassés, faisaient, comme ils l'appelaient eux-mêmes, leur vilaine besogne. Ils purent cependant se saisir de quelques-uns des compagnons de l'abbé Le Garrec. C'est ainsi qu'un Père Capucin, originaire de Keradeun, en Plonévez, fut rejoint par eux, une nuit, en revenant de voir un malade, et, sur la fin de 1793, fut déporté à Rochefort.
Cette capture causa une grande émotion dans le pays. Ce religieux jouissait, en effet, d'une grande réputation de sainteté. En 1786, prêchant le Carême à Plonévez, il avait annoncé tous les événements de la Révolution, et surtout un fait qui étonna tout le monde : l'extinction de la famille de Moëllien et le déboisement de leur propriété : faits qui se sont réalisés depuis, à la lettre.

On était au plus fort de la Terreur ; les Jacobins du district, voyant l'impuissance des gendarmes, eurent recours à un autre moven.

La route nationale de Quimper à Lanvéoc passe par Plonévez et à peu de distance de Sainte-Anne. Alors, comme aujourd'hui, les détachements de soldats allant de Brest ou de Quélern à Quimper et réciproquement, passaient par Plonévez ; on les mit en réquisition pour empêcher les pèlerinages.

C'était en 1794. Cette année, le jour du grand pardon, on entendit tout à coup, vers midi, des coups de fusil du côté de Tréfentec. Les soldats arrivaient, et pour préluder à l'attaque des pèlerins, ils s'amusaient à briser à coups de fusils la croix dite de Camézen. On les vit bientôt apparaitre tout armés sur les hauteurs qui, de ce côté, dominent la Palue ; mais à l'aspect des milliers de pèlerins, armés en grand nombre, ils eurent peur, et se retirèrent après leur acte de vandalisme.

Cependant les pèlerinages partiels de cinq à six cents personnes devenaient difficiles dans ces conditions. Les soldats républicains étaient souvent plus nombreux et bien armés, de sorte que l'abbé Le Garrec et ses confrères furent obligés d'user de précautions, et les pèlerinages devinrent moins fréquents de 1794 à 1796. On voulait, à tout prix, éviter des collisions qui fussent devenues désastreuses.

On se mit donc en mesure, autant que possible, de savoir d'avance les jours de passage des troupes. Un habitant de Plonévez, que tout le monde connaissait sous le nom de Potr Youen Keriéquel, parcourait chaque semaine le pays, depuis la montagne de Telgruc jusqu'à Quimper, et rentrait avec toutes les nouvelles. Il savait toujours, à coup sûr, le moment du passage des bleus. Quand le pays était libre, le soir on se rendait à Ste-Anne, et, après la messe qui se disait à minuit, chacun se retirait.

Ces pratiques furent bientot connues du comité jacobin, qui résolut d'y mettre un terme. On ordonna donc de nouveau aux soldats de poursuivre rigoureusement les fanatiques, et l'on imagina de nommer, à Plonévez, un maire responsable. Comme toujours, la difficulté fut d'attacher le grelot On ne trouvait personne. Les racoleurs de maires avaient beau se montrer aimables, chacun savait trop bien qu'il serait impossible d'arrêter l'élan de la population vers Sainte-Anne. Un soir, arriva à Plonévez un détachement chargé de trouver un maire. Ils descendirent chez Laurent Guizouarn, et là trouvèrent un nommé Lautrou qui, après plusieurs rasades, s'amusait à chanter, un papier à la main. Pour s'acquitter de sa mission, l'officier commandant se dit qu'il fallait à tout prix en faire le premier magistrat de la commune. Il fut généreux et le régala de nouveaux petits verres. Puis, quand il le crut suffisamment ivre, il le ceignit de l'écharpe municipale. La vue de cette écharpe dont on l'entortillait dégrisa notre homme. Il prétexta un besoin de sortir et disparut.

Ce fut en 1795 qu'eut lieu le premier pardon républicain, qu'on appela « le pardon des citoyens ». Le recteur de Plonévez célébra la solennité avec un fort concours de gendarmes.

Pour être admis à la fête, il fallait avoir son certificat de civisme, et des hommes avaient été placés aux entrées de la Palue avec ordre de ne laisser pénétrer que sur la présentation de ce certificat. Il y eut beaucoup de monde, mais le pardon fut triste, car les bons prêtres n'étaient pas là. Ils étaient plus traqués que jamais. Ils ne pouvaient plus dire la messe que dans les fermes. Souvent même, ils la disaient en bateau sur la baie de Douarnenez. Ils avaient dans le pays un émissaire chargé d'avertir la population de l'endroit où ils se trouveraient. Voici la manière dont se prenait ce brave homme, du nom de Kernéï. Dans la soirée, Kerneï prenait son tambour et parcourait le pays comme une sorte d'inspiré, criant à qui voulait l'entendre, que les Anglais, la nuit suivante, allaient opérer une descente à tel ou tel endroit de la côte. Chacun le prenait pour un fou ; mais les catholiques connaissaient le mot d'ordre. Le soir, tout armés, comme pour s'opposer à un débarquement, ils arrivaient à l'endroit indiqué : un fanal s'allumait sur la mer et faisait le signal convenu ; un autre fanal répondait de la côte et à cet appel les prêtres catholiques venaient accoster, au péril de leur vie, pour voir les malades, baptiser les enfants et bénir les mariages.

On était au commencement de 1796. Partout ailleurs, on avait mutilé les croix, décapité les statues des saints, vendu, les églises ; à Sainte- Anne, rien de cela ne s'était encore fait. La vénération était si grande que personne n'eût osé toucher au sanctuaire. Les biens de Landévennec avaient été confisqués et vendus, mais nul n'avait songé à la Palue. C'était la propriété de Sainte-Anne, la terre des saintes bénédiction de la bonne patronne, et on ne l'avait pas inquiétée jusqu'à ce moment.

Cependant, tout près de Sainte-Anne, vivait un soldat garde-côtes, qui avait son poste au petit fort de la pointe de Tréfentec. Cet homme, un des pires jacobins du pays, ne dormait plus de voir que, sept ans après le commencement de la Révolution, la chapelle de la Palue était encore ouverte. En sa qualité de citoyen conscient, — il y en avait déjà à cette époque — il demanda, en février 1796, que Sainte-Anne et ses dépendances fussent confisquées et vendues au profit de la nation. Ses chefs crurent devoir transmettre sa requête, et l'effet de la dénonciation ne se fit pas attendre. Le tribunal du district qui, jusque-là, ignorait ou faisait semblant d'ignorer la situation de Sainte-Anne, se mit tout à coup en mouvement, et quelques mois après la chacelle et ses terres étaient vendues nationalement.

Au moment de la vente, le mobilier de Sainte-Anne était misérable. Les calices et autres objets précieux servant au culte avaient été confisqués en 1793, et les ornements sacerdotaux brûlés en même temps que ceux des autres chapelles, avec un monceau de titres et d'aveux des seigneuries de Névet et de Moëllien, à l'endroit appelé Coat-Toul-Mengleus. Seule, la croix, en vermeil, de Sainte-Anne, aurait pu être soustraite aux hommes de proie et enterrée dans la Palue, non loin de la fontaine.

La pièce suivante, provenant des papiers de l'honorable famille Jaïn, du village de Kervel, en Plonévez, va nous dire ce qu'étaient Sainte-Anne et son mobilier, en 1796, quelques jours avant la vente :

10 Juillet 1796 N° 1215 Préfecture du Finistère.
Chapelle de Sainte-Anne et la Palue EN DÉPENDANT.
L'an quatre de la République, le vingt deux Messidor, nous Antoine-Joseph Parmentier, demeurant en la commune de Locronan, expert nommé par François Cosmao, par sa soumission d'acquérir le bien national ci-après. désigné, en date du 17 du présent mois (5 juillet 1796), et Jean-Vincent-Guillaume Desno, de Saint-Nic, en la commune de Plomodiern, expert nommé par l'administration du Département du Finistère, suivant la délibération du même jour, de ce mois, à l'effet de procéder à l’estimation, en revenu et en capital, sur le pied de 1790, du Domaine national ci-après désigné, provenant de l'ex-abbaye de Landévennec, consistant en la chapelle de Sainte-Anne, et la Palue, qui l'environne, circonstances, et dépendances, nous sommes transportés en la commune de Locronan, chez le citoyen Jean-Olivier Mancel, commissaire du pouvoir exécutif près l'administration municipale du canton de Locronan, en compagnie de Cosmao, soumissionnaire ; nous nous sommes rendus à la chapelle de Sainte-Anne, où mous avons opéré comme suit :
Savoir :
La chapelle ayant quatre-vingts pieds de long sur vingt de largeur, un caveau séparé de la chapelle et une fontaine en pierres de taille.
Le tout estimé quinze livres d'arrentement en 1790, et en principal de deux cent soixante-dix livres, sur le pied du denier 18... 270 l.
Nous avons procédé à l'estimation des meubles existant dans la sacristie, consistant en ce qui suit :
Une armoire en bois de chêne, à deux battants, estimée vingt-quatre livres…… 24 l.
Une petite idem. (sic), estimée deux livres ..... 2 l.
Un coffre, estimé six livres ........ 6 l.
Une commode, neuf livres ........ 9 l.
Une lampe en cuivre, trois livres ........... 3 l.
Un bénitier de fonte, trois livres ......... 3 l.
Deux confessionnaux et une chaire à prêcher a prêcher ....... 15 l.
Après quoi nous avons procédé à l'examen, emplacement, distribution, clôture et accès des terrains composant la Palue, que nous avons reconnu donner du Levant sur terres de Vergos et Penfrat-Bihan, du Midi sur terres de Camézen et de Kerlévren, du Nord sur terres de Keravéo et Tréguer, et du Couchant sur la grève. Nous avons ensuite procédé au mesurage et arpentage de la dite Palue. Le tard survenu, nous nous sommes retirés en nos demeures.
Signe : DESNO, MANCEL, COSMAO et PARMENTIER.

Ce jour vingt-trois Messidor (11 juillet) nous avons repris le mesurage et arpentage de la dite Palue, qui s'est trouvée contenir trois cents arpents. En conséquence, nous sommes d'avis que les dits trois cents arpents valaient, en 1790, un revenu annuel de soixante-quinze livres, ci ........ 75 l.
Lequel revenu, multiplié vingt-deux fois, conformément à la loi donne en capital la somme de seize cent cinquante livres. 1650 l.
Et sur la déclaration à nous faite par le dit Cosmao, qu'il n'existait aucune ferme en 1790, et qu'il ne nous a été fait aucune observation par le commissaire, ni par le soumissionnaire, nous avons procédé au calcul général de la valeur des dits objets, qui s'est trouvée porter à la somme de dix-neuf cent soixante-seize livres, ci ......... 1976 l.
Nous avons de tout ce que dessus rédigé notre procès-verbal, que nous affirmons sincère et véritable en notre âme et conscience, lequel a été signé après lecture faite par la commission du directoire exécutif, le soumissionnaire, et nous experts.
Signé : MANCEL, commisaire ; COSMAO, soumissionnaire ; PARMENTIER et DESNO, experts.
Enregistrpé à Quimper, le 24, Messidor, an 4, par Brindejonc, qui a reçu dix livres assignats. Pour copie conforme à la minute déposée aux archives de la Préfecture du Département du Finitère.
Vu : GUILLOU. Le Secrétaire général de la Préfecture CONUCHE (?).

Une quinzaine de jours plus tard, le 27 juillet 1796, la chapelle de Sainte-Anne et les palues en dépendant, étaient adjugées au citoyen François Cosmao, qui habitait le village de Linguez [Note : Village en Quéménéven avant 1789 et actuellement], alors en Plonévez-Porzay, acceptant pour lui et ses héritiers ou ayants-cause, moyennant la somme de 1.650 livres. L'acquéreur s'obligeait à transporter à ses frais au chef-lieu de canton, Locronan, le mobilier qui garnissait la chapelle, celle-ci restant sa proprieté.

Ceci se passait donc au lendemain de la fête de Sainte-Anne, et l'époque du grand pardon (dernier dimanche d'août) appriachait. C'était, pour Cosmao, une belle occasion de retirer un premier intérêt de son argent; aussi se hâta-t-il de faire publier qu'il entendait bien s’approprier les recettes du pardon. Cette déclaration fut son malheur. Ce ne fut qu'un cri d'indignation dans la population chrétienne du pays, et, au bout de quelques jours l'effervescence devint telle, que le district, craignant des désordres, signifia à Cosmao qu'il le rendait responsable des actes d'incivisme et de superstition qui pourraient se passer dans sa chapelle, et même, pour plus de sûreté, on lui enjoignit de faire transporter à Locronan, comme il s'y était engagé, le mobilier et les objets ayant servi au ci-devant culte catholique. Cosmao dut s'exécuter, et s'en fut proposer le marché à un menuisier de Locronan, Pierre Le Lann, surnommé dans le pays Al Lannic koz. Mais ce digne homme refusa net : « Jamais, dit-il, je ne chasserai sainte Anne de sa chapelle ; elle y reviendrait, car elle aime trop sa palue ». Les bonnes gens surent vite qu'on se préparait à déménager sainte Anne, et les cornes d'appel, les Corn-boud se firent entendre de tous côtés ; de hardis compagnons s'en furent même sonner le tocsin à Sainte-Anne. Ces démonstrations menaçantes firent reculer le comité, qui n'osa pas toucher à la statue vénérée, mais fit cependant fernier la chapelle.

Or, on était maintenant presque à la veille du grand pardon. Les pèlerins ne pourraient pénétrer dans la chapelle, mais il était certain qu'il y aurait foule quand même. Cosmao espérait bien, d'une façon ou d'une autre, mettre la main sur les offrandes, et, pour convaincre ses compatriotes de la pureté de ses intentions, il fit imprimer et répandre la proclamnation suivante :

François Cosmao à ses concitoyens,
« A une époque où les tristes débris de l'aristocratie désespérée, forcés dans leurs derniers retranchements, font les derniers efforts pour relever le courage de leur parti expirant, à une époque où ils n'ont d'autre ressource que l'arme usée de la calomnie ; à une époque enfin, où il ne leur reste que la criminelle espérance de ressusciter les fureurs du fanatisme qui inonda si longtemps du sang français, le sol infortuné de la Vendée, magistrat né de l'opinion publique, tout citoyen doit l'éclairer ; il doit dissiper les prestiges de l'erreur et de l'illusion qui enveloppèrent, durant tant de siècles, les simples et crédules humains.

Parmi le grand nombre de terres incultes que renferme le département du Finistère, je voyais à regret qu'une plaine, nommée Palue de Sainte-Anne, en la commune de Plonévez, canton de Locronan, était condamnée à la stérilité.

Arrive la loi du 23 Ventôse, an IV ; je me présente au département pour y faire ma déclaration de souscrire pour l'achat de la Palue. 0n refuse de l'accepter, si je n'achète en même temps l'église de Sainte-Anne, qui y est enclavée.

Imbu des préjugés de mon enfance, j'hésite ; enfin la raison et le zèle du bien public l’emportent ; je fais ma soumission pour la chapelle et la Palue. Des experts les estiment et je deviens adjudicataire.

Bientôt des clameurs m'assourdissent de toutes parts : « Voyez-vous, disent les ennemis de la Révolution, voyez-vous jusqu'où les patriotes portent leur insatiable cupidité ? Ils veulent s'enrichir à quelque prix que ce soit. O sacrilège !. Ils achètent des chapelles dévotes pour s'approprier les offrandes qui y tombent ».

Calmez, saintes âmes ; calmez les bouillons de vos transports dévotieux ; modérez le céleste courroux ; daignez m'écouter et causons.

Héritier des mœurs simples de mes aïeux, je ne suis point de ces hommes auxquels, toutes les voies qui conduisent à la fortune paraissent légitimes. Content du toit de chaume qui m'a vu naître, je n'envie pas d'autre bien. A Dieu ne plaise surtout, que je profite d'une Révolution pour fonder une fortune scandaleusement rapide sur la misère publique ; trop de soucis accompagnent les richesses.

Trop de remords poigneront nos nouveaux Crésus, et je veux vivre heureux et satisfait du témoignage de ma conscienee. Mais mettons fin aux réflexions. Vous savez que, suivant l'usage établi dans la primitive Eglise (et vous avouerez sans hésitation que c'est dans cette soirée sacrée que trouve la Religion dans toute sa pureté), vous savez, dis-je, que, les offrandes se divisaient en trois parties. L'une était attribuée aux prêtres, la seconde aux réparations du Temple, et la troisième s'appliquait au soulagement des pauvres (infirmes s'entend ; car pour les autres, la société ne leur doit que le prix de leur travail). Or, croyez-vous que cette destination des offrandes fut exactement remplie ? Il est, sans doute, permis d'en douter, sans encourir les foudres de l'exconimunication. Otez la part des prêtres avec raison, ne s'oubliaient point, on eût cru que le plat où se déposaient les offrandes, était le tonneau des Danaïdes. On ne songeait aux réparations, que lorsqu'il pleuvait sur le célébrant à l'autel. Pour indemnité de leur tiers on accordait aux pauvres la permission d'étaler le spectacle, de leur misère et de leurs souffrances, et de demander l'aumône à la porte du Temple.

Depuis la Révolution, ces deux tiers ont un emploi connu ; les Municipalités s'en font rendre compte, en touchent le reliquat, et boivent à la santé du Saint.

Moi, voici l'emploi que je ferai des offrandes dont les fidèles feront hommage à sainte Anne.

Je retirerai d'abord ma mise, parce que cela et juste ; je diviserai ensuite le produit des Oblations en trois portions. J'en donnerai une aux prêtres, parce qu'il faut qu'ils vivent de l'autel, et que, d'ailleurs, point d'argent, point de prêtres. La seconde sera appliquée aux réparations de l'église, qui, étant fort ancienne et battue de tous les vents, en a un fréquent besoin. La troisième, je la distribuerai aux braves défenseurs de la Patrie, dont les phalanges triomphantes ont abaissé l'orgueil des Rois, brisé les fers des Français, et assuré le règne des lois et de la raison. Vous y aurez aussi votre part, vous, veuves et enfants de ces héros qui, en combattant pour la liberté, ont trouvé une mort glorieuse sur le champ de bataille.

Et vous, acquéreurs des biens nationaux, qui vous gorgiez de richesses, tandis que vos généreux concitoyens bravaient les injures des temps, la faim, les privations de toute espèce, et la mort, pour vous en garantir la paisible et voluptueuse jouissance, sans doute, vous vous empresserez de réaliser pour votre compte le projet philanthropique. Quel plaisir vous goûterez en satisfaisant à ce devoir de la justice et de la reconnaissance ! Ainsi, vous acquitterez la dette sacrée que la Patrie a contractée envers ses défenseurs, et que le mauvais état des finances ne permet point de remplir. Ainsi, vous légitimerez vos fortunes, dont la malignité vondrait empoisonner la source. Ainsi, vous imiterez les Romains que vous vous êtes proposés pour modèles, ce peuple-roi dont le vrai républicanisme avait pour base la justice, la bienfaisance et le désintéressement. Signé : F. COSMAO ».

Malgré cette belle pièce d'éloquence, écrite pour lui par un lettré du district, François Cosmao en fut, cette première fois, pour ses propres frais ; car nous le voyons, quelques jours plus tard, payer Sainte-Anne à l'aide de la vente de quelques produits de sa ferme.

« Il avait six mois pour payer à la Republique le prix de son acquisition. Ayant paisiblement terminé sa récolte, il se rendit au marché de Châteaulin, le 3 Vendémiaire, an V de la République une et indivisible (25 septembre 1796), ayant dans sa charrette deux veaux, trois douzaines d'œufs et un morceau de cire jaune pesant une livre et un quart ; il vendit le tout 1813 livres en assignats, et s'empressa d'aller au district acquitter sa dette, car il avait suffisamment d'argent, je veux dire de papier. Il lui en restait même assez pour payer l'écurie de son cheval, prendre une goutte ou deux et garnir sa blague de tabac. Tout ayant été réglé, le citoyen Cosmao prêta serment de fidélité, à la République ou la mort, et partit, avant la tombée de la nuit, la bourse vide, mais le cœur content. Le pays était alors infesté de Bleus de Blancs et de Chauffeurs. Il avait à craindre la rencontre des Bleus, qui l’accusaient d'avoir acheté la chapelle pour la rendre plus tard aux cléricaux ; les Blancs lui en voulaient parce qu'il avait acheté un bien national appartenant à l'Eglise, et les Chauffeurs, qui sortaient chaque soir de Quimper, ne cherchaient que l'occasion de lui mettre les pieds sur la poële rougie pour le forcer à déclarer où il cachait son argent.. » (M. Guichoux).

Mais, ajoute le brave homme que l’on vient de citer, Cosmao était sans doute protégé par quelque bon génie, car il échappa aux Bleus, aux Blancs et aux Chauffeurs, et rentra paisiblement chez lui.

Tout fut-il bénéfice pour Cosmao dans l'exploitation de la chapelle de Sainte-Anne, durant les sept années qu'il en demeura propriétaire ?

On petit croire qu'il en retira pour le moins le prix qu’il avait payé mais, s'il put se dédommager de ce chef, il n'échappa, pas au mépris des honnêtes gens. Bien que, pour se donner plus de prestige, il se fut fait nommer adjoint de la commune par l'autorité révolutionnaire [Note : A partir du onze Nivose 1796, les actes de l’état civit de Plonévez portent : « Devant moi, François Cosmao provisoirement nommé pour dresser les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès de la commune de Plonévez-Porzay »], les clameurs dont il se plaint dans le factum qu'on a lu plus haut, le poursuivaient plus que jamais ; les fidèles n'ayant qu'une demi-confiance dans la sincérité de sa déclaration au sujet de l'emploi des deniers de Sainte-Anne, ne donnaient qu'avec parcimonie ; les remords de sa conscience n'étaient sans doute pas non plus sans le tourmenter ; et enfin, pour comble de malchance, l'autorité diocésaine fit fermer la chapelle en 1802.

NOTE.
M. l'abbé Horellou, dans son intéressante « monographie de Kerlaz », donne quelques détails sur les tois prêtres qui aidèrent M. Le Garrec dans son ministère Plonévez-Porzay, pendant la Révolution.
L'un deux, le Père Maximin L'Helgoualch, capucin que d'aucuns font naître à Keradeun, en Plonévez-Porzay, et d'autres à Kerdiouzet, en Kerlaz « était un célèbre prédicateur breton. Cet homme fut conduit à Rochefort pendant les mauvais jours de 93 ; je ne sais ni le jour ni le lieu de sa mort ». (Pouchous, manuscrit).
Le second des compagnons de M. Le Garrec s'appelait Alain Le Floc’h, et s'était réfugié au village de Trevigodou, en Plonévez. Le carnet de Mgr de Saint-Luc consacrait à ce digne prêtre la note suivante : « A de la piété, annonce les plus heureuses espérances, santé chancelante, sujet admirable ».
Le troisième compagnon de M. Le Garrec est mieux connu. Il se nommait Charles Le Gac, et était né à Lesvren en Plonévez, en 1758. Ordonné prêtre en 1784, il devint quelque temps après vicaire de Ploaré et y resta jusqu'à 1787. Il fut alors nommé professeur au collège de Quimper, où il fit d'excellents élèves.
La révolution arrivée, il refusa le serment à la Constitution civile du clergé, et se retira à Plonévez, où il se tint caché. Le 6 janvier 1793, il fut pris à Cozmaner, en Kerlaz, conduit à Châteaulin, et enfermé au Château du Taureau, le 20 janvier de la même année. Le 17 avril suivant, il fut embarqué sur la barque bremoise L'Expédition et débarqué à Brême. De là, il se rendit à Munich, où il exerça avec fruit le saint ministère jusqu'en 1814, époque à laquelle, il rentra en France. Deux attestations en bonne forme l’une de François-Xavier Stoll, abbé, doyen et curé de Munich, l'autre de l'évêque diocésain, certifient que M. Le Gac, prêtre du diocèse de Cornouaille, édifia le peuple et le clergé de Munich par la régularité de ses mœurs et sa piété exemplaire, et qu'en outre il exerça avec zèle le ministère de la prédication.

De retour de l'émigration, M. Le Gac se fixa à Quimper, où il se distingua par ses prédications pleines de chaleur et de piété. Son mérite le fit nommer chanoine honoraire, et plus tard, chanoine titulaire de la Cathédrale. Il mourut à Quimper le 2 février 1842, et fut enterré le 4 à Plonévez. Sur sa tombe, on lit ces paroles, qui ont quelque peu intrigué les personnes qui ne connaissent pas l'histoire de Plonévez : « Vidi prœvaricantes et tabescebam » Ps. CXVIII. 158. « J'ai vu des prévaricateurs et j'en ai rougi. ». C'est une allusion aux quelques prêtres du pays qui avaient eu la faiblesse de préter serment à la Constitution civile, et en particulier à Mgr Le Coz, né comme lui à Plonévez, fut son collaborateur au Collège de Quimper, et mourut archevêque de Besançon.

M. Le Gac a laissé plusieurs ouvrages imprimés et des manuscrits. 1° Le triomphe de la Pureté, qu'il traduisit de l'allemand en français pendant son séjour à Munich (Imprimé à Brest) ; 2° Réflexions critiques sur l'Education (Prud'homme, St-Brieuc). Cet ouvrage valut à l'auteur une pension annuelle de 900 francs sur la Cassette du roi Louis XVIII ; 3° L'homme intérieur, (Le Clerc et Cie, Paris). — Les manuscrits ont pour titres ; 1°. Réflexions chrétiennes et morales sur les Psaumes de David 2° EVangiles pour tous les dimanches de l'année (traduit en breton) ; 3° Le Trésor du vrai chrétien ;. 4° Sermons bretons et français sur divers sujets ; 5°. Prônes pour tous les dimanches. Nous ne savons ce que ces manuscrits sont devenus.

M. Le Gac fit don à la chapelle de Sainte-Anne d'un reliquaire en bois doré, renfermant des reliques de saint François de Sales et de sainte Jeanne Frémiot de Chantal, avec quelques autres reliques de saints. Ce reliquaire et son contenu se trouvent aujourd'hui dans l'église paroissiale de Plonévez.

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CHAPITRE XII.

Rachat de Sainte-Anne.

Tous ces déboires déterminèrent le cititoyen Cosmao à se débarrasser de sa compromettante acquisition, et il finit par faire part de son intention au chef de la paroisse.

Malheureusement; à ce moment, les églises ne pouvant pas acheter, parce que les fabriques dépositaires de leurs intérêts n'étaient encore qu'incomplètement réorganisées, il fallait chercher, un autre moyen de rentrer en possession de Sainte-Anne [Note : Les fabriques avaient été rétablies par l'art. 76 de l'acte du 26 messidor an IX, mais les règles pour la nomination de leur personnel ne vinrent que plus tard, et n'avaient pas encore permis à la fabrique de Plonévez de s’organiser].

Les bons Catholiques ne manquaient pas à Plonévez. Deux d'entre eux, Pierre Cornic et Yves Kernaléguen, chargés, l'un des recettes de l'église paroissiale, et l'autre de celles de Notre-Dame de la Clarté, acceptèrent de se rendre. Acquéreurs, de Sainté-Dame de la Clarté, acceptèrent de se rendre acquéreurs de Sainte-Anne.

Nous donnons ici une transcription du contrat qui intervint entre ces braves gens et Cosmao :
« L'an onze de la République Française, une et indivisible, le seize Fructidor après-midi (3 septembre 1803).
Devant nous, Allain-Marie Lozach, notaire public à la résidence de la commune de Quéménéven, assisté de François Louboutin, cultivateur, demeurant au lieu de Landaviou, et de René Lemoguen, aussi cultivateur, demeurant au lieu de Pennahoat, les deux en la commune de Quéménéven, témoins ; ont comparu François Cosmao, cultivateur, demeurant au lieu de Linguez, même commune de Quéménéven, d'une part ; Pierre Cornic, cultivateur, demeurant au lieu de Trévilli, et Yves Kernaléguen, aussi cultivateur, demeurant au lieu de Keravriel, les deux en la commune de Plonévez-Porzay, disant faire tant pour eux que pour tous les autres habitants de la dite commune de Plonévez-Porzay, d'autre part.
Lequel dit François Cosmao a déclaré et déclare subroger et subroge purement et simplement les dits Cornic et Kernaléguen en privé et aux qualités qu'ils agissent, acceptant dans l'effet et teneur du contrat d'acquet par lui fait de l'administration centrale du Finistère, le neuf Thermidor, an quatre (27 juillet 1796), enregistré à Quimper le même jour, de la chapelle, fontaine et palue de Sainte-Anne, en la dite commune de Plonévez-Porzay, dont les dits Cornic et Kernaléguen déclarent avoir ample connaissance sans autres descriptions.
La présente subrogation est faite et accordée entre parties pour et en faveur de la somme de Douze cents francs, payable au dit Cosmao aux termes ci-après : six cents francs, le huit Vendémiaire, an treize, avec la somme de soixante francs d'intérêts jusqu'à la dite époque, et les trois cents francs restant, le huit Vendémiaire, an quatorze, avec trente-francs d'intérêts pour parfait paiement et entière solution du contenu au présent.
Moyennant l'exécution de tout quoi, déclare le dit Cosmao consentir que les acquéreurs, jouissent et disposent, de ce jour, des droits sus-vendus comme de leur propre bien et loyal acquet, déclarent également les dits Cornic et Kernaléguen décharger le dit Cosmao des effets mentionnés au procès-verbal du vingt-deux Messidor, an quatre, enregistré à Quimper, le vingt-quatre, dont expédition a été en l'endroit remise aux dits Cornic et Kernaléguen. A l'exécution de tout quoi les parties s'obligent, chacun en ce que le fait l'intéresse, sous obligation de tous leurs biens en général.
Ainsi voulu, lu aux parties, fait et passé au Kergoat, en Quéménéven, au rapport de nous dit Lozac'h, sous notre seing, ceux des témoins sus-nommés et des parties comparantes, les jour et an que dessus.
Signé à la minute : Cosmao, Louboutin, Moguen, Cornic, Kernaléguen et Lozac'h, notaire public ; enregistré à Châteaulin, le vingt-huit Fructidor, an onze ; reçu cinquante-deux francs quatre-vingts centimes, dixième compris. Signé : LEGOLIAS
».

On s'étonnera, peut-être, de voir la chapelle et ses dépendances rachetées pour 1.200 fr., alors que Cosmao les avait payées 1.650 l., et l'on sera tenté de dire : mais c'était un parfait honnête homme que le citoyen qui consentait un tel rabais ! Nous ferons observer, avec M. de Blois, « que ce rabais sur le montant de la vente nationale n'était qu'apparent, puisque Cosmao commentait, chaque année, la distribution des offrandes par un prélèvement destiné à couvrir sa mise ; c'était une sorte de restitution de ce qu'il avait perçu au préjudice de la fabrique » [Note : Affaire des Palues de Sainte-Anne, mémoire p.7]. Nous remarquerons, de plus, que ces 1.200 fr., payés en bonnes espèces sonnantes et trébuchantes, et non plus en papier-monnaie déprécié, valaient beaucoup plus que les deux veaux, les trois douzaines d'œufs et le morceau de cire avec le prix desquels Cosmao avait soldé son acquisition.

Les nouveaux propriétaires de Sainte-Anne, aussitôt leur achat fait, mirent la fabrique en possession de la chapelle. Elle en percevait les offrandes, faisait les grosses réparations, etc..., et jouit pacifiquement jusque vers 1828.

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CHAPITRE XIII.

PROCÈS.

Premier procès de Sainte-Anne contre des riverains (1834-1843).

« M. Glévarec, qui desservit la paroisse de Plonévez de 1812 à 1832, était, dit M. Guichoux, un homme énergique, quoique un peu usé par l'âge et les misères de la persécution révolutionnaire. Il se contenta d'user de Sainte-Anne, qui n'était. pas la propriété de la paroisse, et mourut, laissant les choses dans l'état où il les avait reçues ».

Cependant, quelque temps avant de mourir, il avait commencé à s'inquiéter de la situation. Cornic et Kernaléguen avaient acheté pour eux-mêmes. Ils avaient fait, il est vrai, ce qu'on nomme dans le langage du droit une tierce stipulation au profit de la fabrique, et avaient payé leur acquisition de deniers de celle-ci, mais n'était-il pas à craindre qu'après leur mort, les termes ambigus de l'acte du 16 Fructidor, an onze, cet acte où ils déclaraient qu'ils achetaient tant pour eux que pour tous les autres habitants de la commune, ne fournissent matière à procès ?

D'autre part, les riverains de Sainte-Anne se prétendaient propriétaires des palues adjacentes. « Si avant la révolution de 1789, disaient-ils, et sous le régime féodal notre possession, pouvait être réputée précaire, nous sommes du moins bien fondés à croire que les lois abolitives de la féodalité, et notamment celle du 28 août 1792, nous en ont rendus propriétaires incommutables ».

Emue du péril que courait Sainte-Anne, la fabrique se mit en mouvement et commença une série de démarches ayant pour objet de faire régulariser l'acquisition faite dans son intérêt par Cornic et Kernaléguen.

Elle s'adressa d'abord aux membres du Conseil municipal de Plonévez, sollicitant d'eux une déclaration dans laquelle ils attesteraient que Cornic et Kernaléguen n'avaient acheté que pour l'église. Le Conseil de la commune acquiesça volontiers à cette demande, et reconnut, dans sa délibération du 14 mai 1829, les droits exclusifs de la fabrique à la propriété de Sainte-Anne.

D'un autre côté, les héritiers Cornic et Kernaléguen déclarèrent, par acte des 5 novembre 1829 et 10 janvier 1830, que l'acquisition de Sainte-Anne par leurs auteurs avait été faite pour la paroisse et payée de ses deniers, et qu'ils ne se reconnaissaient aucun droit, soit à la propriété, soit à la jouissance des palues et autres objets compris dans l'acquisition.

« Mais, dit M. de Blois, la fabrique avait tort de croire que sa demande d'autorisation ne rencontrerait aucun obstacle. Les riverains, qui craignaient, avec raison, qu'elle entreprit de les évincer de la palue, avaient le plus grand intérêt à ce que les choses restassent en suspens durant encore quelque temps, c'est-à-dire jusqu'à ce que trente ans fussent écoulés depuis la promulgation du Code civil. Ils voulaient, en un mot, atteindre le délai de la prescription.

L'affaire, avant d'être portée au Ministère de l'Intérieur, devait passer par la Préfecture. Or, le chef du bureau du contentieux, que les événements de 1830 avaient porté depuis au Conseil de préfecture, appartenait, par sa naissance, à la commune de Plonévez-Porzay ; ce ne fut pas vainement, assure-t-on, qu'ils recoururent à sa protection. On éleva contre les demandes de la fabrique les objections les plus mal fondées, et on lui retourna son dossier, en annonçant que l'affaire ne pouvait être examinée que lorsque ces difficultés auraient été éclaircies par une consultation..... ».

La révolution, qui éclata très peu de mois après la réponse faite par le préfet, n'était pas un temps opportun pour la reprise de cette demande d'autorisation, et, par surcroît de malheur, M. Quévarec vint à mourir avant d'avoir pu recommencer ses démarches.

M. l'abbé Alain Pouchous lui succéda. « Celui-ci, qui était encore au Séminaire dans les premières années de la paix (1815-1816), avait étudié, sous la direction des chanoines Costiou et Louédec, secondés par les Naour, les Jacq, les Guizouarn, etc... Il avait fait un rapide chemin en quelques années, car, en 1832, il était à la tête de la paroisse de Plonévez-Porzay, dont Sainte-Anne est un si beau fleuron. A peine arrivé à Plonévez, il jeta les yeux sur Sainte-Anne et gémit d'avoir dans sa paroisse une chapelle si dévote appartenant à des particuliers » Guichoux.

En 1834, dès qu'il fut bien au courant des affaires de Sainte-Anne, M. Pouchous renouvela les démarches de M. Quévarec, mais il se heurta tout de suite à la même mauvaise volonté, au même parti-pris qui avait paralysé l'action de son prédécesseur. La préfecture se renfermait dans le mutisme et retenait les pièces dans ses bureaux. Et pourtant, il n'y avait plus de temps à perdre, car on touchait au terme de trente années de jouissance, que les riverains étaient si jaloux d'atteindre, et l'avis des jurisconsultes était que cette prescription pouvait être fatale au propriétaire, et, par suite, fatale à la fabrique, qui, lorsqu'elle viendrait prendre possession en vertu de l'autorisation sollicitée, se trouverait déchue de ses droits à la palue.

Dans cette situation critique, M. Pouchous dut, comme il le dit lui-même, changer de tactique. Il réunit les héritiers Cornic et Kernaléguen, et, après les avoir mis au courant des prétentions des riverains sur les terrains de la Palue, il les pria d'introduire contre eux une action en revendication ; mais il eut beau insister, ce fut peine perdue ; à toutes ses raisons ils se bornèrent à répondre qu'ils ne voulaient pas se mêler des affaires de Sainte-Anne, qu'ils ne tenaient pas à s'attirer l'inimitié des riverains, etc... Il leur proposa alors de céder leurs droits à d'autres cultivateurs dignes de leur confiance. Ils refusèrent encore et déclarèrent formellement qu'ils ne s'en dessaisiraient qu'aux mains de M. Pouchous.

Or, c'était une tâche pénible pour celai-ci que de se mettre, comme personne privée, en hostilité avec les riverains de Sainte-Anne, en conflit avec des Hommes vis-à-vis desquels, comme recteur, il tenait à conserver des relations amicales. Mais, placé dans l'alternative de s'exposer à leur haine ou de voir triompher une cause inique, qui tendait à la spolation de son église, il se résigna, fit l'acquisition, pour la somme de 1.200 fr., des droits des héritiers Cornic et Kernaléguen, par acte du 25 mars 1834, passé devant Me Lozac'h, fils, notaire à Quéménéven, et, par exploit du 31 mars de la même année, dernier jour du délai fatal, il intenta la demande en revendication contre les trente-deux propriétaires des villages riverains de Sainte-Anne.

Le procès dura neuf ans (de 1834 à 1843). Au bout de quelques mois, les riverains sentant leur cause mauvaise, et prévoyant une condamnation à brève échéance, contestèrent la validité de la vente faite par la nation à Cosmao, en 1796. Cette vente revêtait le caractère d'un acte d'administration, et, comme la loi du 28 août 1790 défend aux tribunaux de connaître de ces actes, et que celle du 28 Fructidor, an VIII, déclare qu'aux seuls Conseils de préfecture appartient le droit de statuer sur le contentieux des biens nationaux, les riverains concluaient à ce que les parties fussent, à l'effet de faire statuer sur la validité de l'acte de 1796, renvoyées devant l'autorité compétente. Le tribunal de Châteaulin fit droit à leur demande, et, par jugement du 5 août 1835, renvoya les plaideurs devant le Conseil préfectoral.

De ce Conseil faisait partie l'ami et protecteur des riverains, et ceux-ci espéraient bien que la haute influence du personnage ferait aller les choses au gré de leurs désirs. Ils furent déçus.

Dans sa séance du 18 juin 1841, où étaient présents MM. le baron Boullé, préfet, Le Bastard de Kerguiffinec, et Boby de la Chapelle, « M. Le Roux s'étant abstenu de connaître de l'affaire », le Conseil de préfecture, considérant que toutes les formalités voulues par- les lois pour la vente des propriétés nationales avaient été observées, et que la vente du 9 Thermidor, an 4, présentait tous les caractères qui en assurent la validité, déclare que le palus de Sainte-Anne, en la commune de Plonévez-Porzay, tel qu'il est describé dans le procès-verbal d'expertisé des 22 et 23 Messidor, an 4, faisait partie de la vente consentie par la nation au sieur Cosmao, le 9 Thermidor, an 4, que cette vente était valide et régulière, et conforme aux lois sous l'empire desquelles elle avait été passée.

Cet arrêté ne faisait pas l'affaire des riverains ; aussi revinrent-ils à la charge, en demandant cette fois, que la vente à Cosmao fut annulée pour n'avoir pas été passée dans les délais légaux.

Mais le Conseil de préfecture, par un arrêté du 23 juillet suivant, répondit que cette circonstance ne pouvait vicier le contrat vis-à-vis d'un tiers, et considérant, d'ailleurs, que rien ne prouvait que les formalités prescrites, par les lois, sous l'empire desquelles on avait vendu la chapelle et les palus de Sainte-Anne, n'avaient pas été observées, et que cette vente présentait tous les caractères propres à en assurer la validité, il maintenait son arrêté précédent et déclarait, qu'il n'y avait pas lieu de recevoir l'opposition formée par les défendeurs à l'exécution de cet arrêté.

Force fut donc aux demandeurs et défendeurs de retourner devant les juges de Châteaulin.

Ceux-ci délibérèrent avec une sage lenteur, pendant deux ans encore, et rendirent enfin leur jugement, le jour même de la fête de Sainte Anne, 26 juillet 1843.

« Attendu, disaient-ils, que le demandeur (M. Pouchous). justifie par des titres réguliers et probants de ses droits à la propriété de la chapelle de Sainte Anne, de sa fontaine, et des palus en dépendant, situés dans la commune de Plonévez-Porzay ;

Attendu que les défendeurs, pour repousser la demande en ce qui concerne les palus seulement, se bornent à alléguer, sans produire aucun titre, qu'ils ont fait sur les palus tous les actes de possession dont ils étaients susceptibles, et que leur jouissance, y joignant celle de leurs auteurs, remonte à une époque assez reculée pour établir la prescription ;

Attendu, en ce qui concerne la restitution des fruits, que si les défendeurs, par leur indue possession, ont privé le demandeur du produit de ces palus, il convient, pour en apprécier la valeur, de prendre pour base les intérêts du prix d'acquisition, en retranchant préalablement une somme quelconque pour la valeur présumée des revenus de la chapelle, sur laquelle les défendeurs n'ont pas élevé de contestations, etc...

Par ces motifs,
Le tribunal déclare le sieur Pouchous propriétaire exclusif des palus de Sainte-Anne, et ordonne aux défendeurs d'abandonner toute jouissance et détention dans les trois jours, etc., etc... »
.

M. Pouchous, sorti victorieux du débat, ne chercha pas à se prévaloir de son succès. Il n'avait visé qu'un but, sauver les droits de Sainte-Anne, et, ce but atteint, le reste lui importait peu. Il proposa donc aussitôt aux vaincus de leur vendre ou de leur louer, à bas prix, les terrains dont ils avaient été évincés. Il put un instant se flatter d'avoir réussi. Les riverains étaient disposés, sinon à acheter, du moins à louer, mais ici encore leur mauvais génie intervint et leur conseilla de n'en rien faire. D'après lui, il n'y avait qu'à laisser faire le temps, et le recteur serait bien obligé de leur abandonner gratuitement le terrain, car. il ne trouverait personne à qui vendre ou louer.

Les riverains et leur avocat se trompaient. Abandonner le terrain qu'il venait de rendre à Sainte-Anne, au prix de tant de peines, c'était tout remettre en question, c'était ouvrir, dans un avenir plus ou moins éloigné, la porte à de nouveaux procès, et ces procès, le recteur voulait à tout prix les éviter, autant pour ses successeurs que pour lui-même. Il songea donc à une autre solution : faire appel à la concurrence des étrangers. Dans ce but, il en fit publier l'avis par des affiches, au mois de juillet 1845. Les offres vinrent, entre autres, celle de M. Puech, marchand à Quimper, avec qui il traita, moyennant le prix de vingt-quatre mille francs, payables par annuités. Dans cette aliénation ne se trouvaient pas compris la chapelle, ni douze hectares de terrain autour de cet édifice. M. Pouchnus se les reservait pour l'usage des pèlerins qui affluent à la fête patronale, et pour le circuit des possessions.

Ainsi s'évanouissaient les espérances trompeuses dont on avait bercé les propriétaires des villages voisins de la Palue.

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CHAPITRE XIV

Deuxième procès de Sainte-Anne.  Contre la Commune.

I. — En Première Instance.
Les riverains de Sainte-Anne ayant acquiescé au jugement du tribunal de Châteaulin, les choses en seraient sans doute restées là si leur néfaste conseiller, blessé dans son orgueil de haut fonctionnaire, ne fut revenu furieusement à la charge. Une stipulation capitale dans l'acte de vente par Cosmao à Cornic et Kernaléguen, que les malheurs du temps avaient obligé à rédiger en termes équivoques, lui permettait de reprendre l'offensive. L'acte, en effet, portait que Cornic et Kernaléguen, en rachetant Sainte-Anne, déclaraient « faire tant pour eux que pour tous les autres habitants de la commune de Plonévez-Porzay ». Les mots, soulignés on le verra plus loin — désignaient la fabrique, mais comme, au moment où l'on rédigeait l'acte, les fabriques, quoique rétablies, n'étaient pas encore organisées dans leur personnel, le notaire, ainsi qu'il le déclara plus tard, à maintes reprises, n'avait pas cru pouvoir employer dans son acte le mot fabrique. L'avocat des riverains, qui n'était pas novice dans sa profession, avait vu tout de suite le parti à tirer de l'imprécision des termes de l'acte précité, et il persuada facilement à ses clients que cet acte était susceptible d'être interprété dans un sens favorable aux intérêts de la commune ; qu'il fallait donc, à tout prix, amener celle-ci à reprendre le procès, et, que, si elle l'emportait, — ce qui pour lui ne faisait pas de doute — ils recouvreraient de nouveau la jouissance gratuite ou quasi-gratuite des terrains de Sainte-Anne. De plus, autre résultat qui n'était pas non plus à dédaigner, ils auraient leur vengeance.

Le conseil fut goûté et l'on se mit en devoir de faire le siège du corps municipal. Mais la place n'était pas facile à emporter, car le maire, qui était alors l'honorable M. du Fretay, ne craignit pas de déclarer bien haut qu'il ne croyait pas le moindrement au bon droit de la commune, et la majorité de ses collaborateurs se rangèrent à son avis.

Le meneur de l'affaire ne fut pas déconcerté par cet insuccès. Il se mit en quête d'un autre expédient et trouva. Les élections municipales de 1846 approchaient. La moitié des conseillers était à réélire. Si l'on pouvait faire entrer au Conseil deux ou trois hommes déterminés, la majorité, en comptant les anciens membres favorables, serait acquise à l'action de la commune. On mena une campagne ardente ; les riverains y allèrent de tous leurs moyens ; ils étaient nombreux (trente-deux), riches et apparentés à toute la paroisse ; ils réussirent, et adressèrent aussitôt au Sous-Préfet de Châteaulin une lettre dans laquelle ils lui demandaient de vouloir bien faire le nécessaire pour mettre le terrain de Sainte-Anne à la disposition de l’autorité municipale.

Dès la réception de cette lettre, le Sous-Préfet en donna connaissance au maire de Plonévez, en le priant d'examiner l'affaire avec intérêt, et de lui faire connaître son opinion sur les droits que la commune pouvait avoir sur le terrain de la Palue de Sainte-Anne. Le maire lui répondit, comme il l'avait fait à son Conseil, qu'il ne croyait pas au bon droit de la commune.

Entre temps, le Sous-Préfet avait transmis cette correspondance à la Préfecture du Finistère. Tout comme le maire de Plonévez, il émettait, dans sa lettre d'envoi, des doutes sur la légitimité des prétentions élevées contre la fabrique. Mais, le conseiller de Préfecture veillait, et, influencé par lui, son chef répliqua au Sous-Préfet : « Je ne puis partager l'opinion que vous émettez, qu'il ne s'agit que d'une affaire d'église ».

Quelques jours après, une autre lettre du Préfet parvenait au maire de Plonévez. Le haut fonctionnaire y disait : « Je pense que les droits de la commune ne peuvent être abandonnés, et qu'il est du devoir du Conseil municipal de demander que la vente faite au sieur Pouchous soit annulée comme ayant été faite illégalement et sans le concours de la généralité des habitants ». Il terminait en priant le maire de Plonévez de donner lecture de sa lettre au Conseil. Le maire dut s'exécuter, et à la date du 26 novembre 1846, on prit une délibération dans laquelle on se bornait répéter les paroles du Préfet : que les droits de la commune ne pouvaient être abandonnés, etc...

M. Pouchous s'étant quelque peu mépris sur le sens de cette délibération qui n'avait fait que consigner sur le registre de la mairie les termes mêmes de la lettre du Préfet, le maire lui adressa une lettre explicative qui se terminait ainsi :

« Maintenant, mon cher Recteur, que nous respectons tous ici et que nous aimons, je vous demande ce que le Conseil pouvait faire légalement. J'aime à penser que de tout ceci le Préfet rendra justice éclatante, en plein Conseil, au Recteur de Plonévez-Porzay, et que ce dernier jouira toujours, par continuation, du respect et du dévouement de l'immense majorité de ses paroissiens.
Ma lettre est un peu barbouillée, mais elle ne m'amusait pas beaucoup. J'ai voulu exposer l'embarras du maire dans cette circonstance, et peut-être celle du Conseil, dont cependant je ne justifie pas tous les membres.
Croyons que ce que la Providence a permis est pour le mieux, et croyez surtout, Monsieur et cher Recteur, à mon entier dévouement. Du FRÉTAY »
. Plonévez-Porzay, le 3 décembre 1846.

Nous sommes maintenant au commencement de 1847. Le procès a été introduit devant le tribunal de Châteaulin. La commune a signifié au sieur Puech, acquéreur des terres de Sainte-Anne, qu'il eût à déguerpir et à la reconnaître comme seule et unique propriétaire. A son tour, M. Puech appelle M. Pouchous, son vendeur, et demande que celui-ci soit tenu, en cas d'éviction, de lui rembourser tout à-compte sur le prix, ses frais et loyaux coûts, et à lui payer 10.00,0 fr. de dommages-intérêts, et que la commune soit condamnée à lui tenir compte des travaux qu'il a fait exécuter à Sainte-Anne et de la main-d'œuvre qu'il a dû payer. Comme M. Puech, M. Pouchous conclut à ce que la commune soit déclarée non recevable, et quant aux dommages-intérêts, il répond que, même en cas d'éviction, ils doivent être à la charge de la commune, par une juste peine de sa négligence à revendiquer à temps les terres de la Palue, si elle se croyait en droit de le faire...

Le procès se termina à Châteaulin, le 12 janvier 1848. Le jugement, défavorable à M. Pouchous, statuait que les palus, l'église et la fontaine de Sainte-Anne, appartenaient à la généralité des habitants de Plonévez-Porzay, et condamnait le sieur Pouchous à en délaisser à la commune la libre jouissance.

Il le condamnait, en outre, à restituer au sieur Puech tous les frais et loyaux coûts du contrat de 1846, ainsi que tous les acomptes qu'il avait pu recevoir sur le prix de la vente.

Il condamnait la commune de Plonévez-Porzay à payer au sieur Puech la valeur des matériaux et de la main-d'œuvre des constructions et défrichements par lui faits sur la palue de Sainte-Anne, ou une somme égale à la plus-value que ces travaux avaient donnée aux dits terrains, et, avant de déterminer la somme à payer à Puech par la commune, nommait des experts pour procéder à l'estimation de la valeur de tous les travaux effectués par le dit Puech.

Ainsi donc, les magistrats de Châteaulin, ayant à se prononcer sur la valeur des titres de M. Pouchous à la propriété de Sainte-Anne, les déclarent, dans l'action contre les riverains, « réguliers et probant » ; trois ans après, dans le procès contre la commune, M. Pouchous n'est plus, pour eux, qu'un acquéreur de mauvaise foi, et ils le déboutent de sa demande en revendication.

Le Recteur de Plonévez ne pouvait acquiescer à un jugement aussi singulier : il en appela à d'autres juges.

II.— Devant la Cour d'Appel.

Toutes les questions du procès se réduisaient à savoir si c'était la commune ou la fabrique que les parties contractantes avaient en vue dans l'acte du 16 Fructidor, an XI. On n'a pas oublié que dans cet acte, Cornic et Kernaléguen déclaraient qu'ils agissaient tant pour eux que pour tous les autres habitants de la commune de Plonévez-Porzay. Ils achètent d'abord pour eux : ils le déclarent formellement. Ensuite ils stipulent pour un tiers. Qui était ce tiers qu'ils visaient ? la commune ?.

Mais alors, pourquoi usent-ils de périphrase, de circonlocution ; pourquoi, au lieu de dire tout uniment qu'ils agissent pour la commune, disent-ils pour tous les habitants de la commune ? La commune étant organisée et fonctionnant, qu'est-ce qui pouvait l'empêcher d'acquérir pour elle-même ? Et puis, si la commune achetait pour elle, pourquoi autorisait-elle ses délégués à acquérir tant pour eux que pour elle ? A-t-on jamais vu des communes associer des particuliers à leurs propres-achats ? Et si Cornic et Kernaléguen étaient les mandataires de la commune, — ce qui était étrange, puisque à ce moment Plonévez avait un maire ? où était leur mandat ? On ne le vit jamais. Et pourquoi la délibération, sans laquelle ils n'avaient pu agir en qualité de mandataires de la commune, n'était-elle pas annexée au contrat, pourquoi ne la retrouvait-on pas dans les registres de la commune ?

De plus, quel intérêt la commune de Plonévez-Porzay pouvait-elle avoir dans l'acquisition de Ste-Anne ? Aucun. Elle n'avait rien à faire avec la chapelle ; et la palue, située à l'extrémité de son territoire, n'était pas à la portée de sa population ; la généralité ne pouvait guère en profiter, car elle n'est pour ainsi dire accessible qu'aux huit villages qui la bordent.

Et puis, pourquoi la commune avait-elle laissé le Recteur de Plonévez plaider pendant dix ans devant le tribunal de Châteaulin et devant le Conseil de Préfecture sur la propriété de cette palue, s'il s'agissait d'un domaine qui lui appartint. Elle n'ignorait cependant pas ce procès, ni ses circonstances, puisque plusieurs de ses conseillers municipaux y étaient personnellement intéressés comme riverains. Le ministère du Maire avait d'ailleurs été employé dans la période administrative du procès.

Pourquoi encore, lorsqu'en 1829, la fabrique fit des démarches pour être autorisée à posséder ces immeubles, la commune déclara-t-elle qu'elle n'y avait aucun droit ? La délibération qu'elle prit, à cette occasion, était une preuve irréfragable de l'iniquité de son action.

Voici le texte de cet acte :
« Vu la délibération présentée par les membres du Conseil de fabrique, le 26 avril dernier (1829).
Le Conseil municipal déclare qu'il est à la connaissance générale que la chapelle de Sainte-Anne, et sa palue, ont été acquises de François Cosmao, pour les besoins de la fabrique, et payées de ses deniers ;
Que les noms de Cornic et de Kernaléguen n'ont été portés dans l'acte du 16 Fructidor, an XI, que peur parer à la difficulté du moment, et que ni eux, ni les habitants de la commune n'ont rien déboursé pour cette acquisition, et qu'ils n'ont jamais eu l'intention d'acquérir pour eux.
Fait et arrêté en la maison commune de Plonévez-Porzay, les jours et an que devant (4 mai 1829). Signé : Blouet, Daniélou, Tanguy, Louboutin, Cornic, Moreau, maire ; Floch et Ollivier ne signent.
Pour expédition conforme, en mairie à Plonévez-Porzay, le 9 février 1834. Le maire, MOREAU »
.

Cette pièce était tellement accablante pour la commune, qu'on l'avait fait disparaître au début du procès ; lorsqu'on en eut besoin, elle ne se retrouva pas. On remarqua seulement que le registre qui la contenait avait plusieurs feuillets lacérés et que trois années de délibérations manquaient. Heureusement, M. Pouchous avait retiré à temps la copie que l'an vient de lire, copie dont l'authenticité ne pouvait être mise en doute, car elle était en forme, comme on l'a vu, et celui qui l'avait délivrée, vivant encore, ne pouvait renier sa signature. L'organe de la commune, sentant tout le poids que cette malencontreuse délibération jetterait dans les débats, la traitait d'abord de pièce apocryphe ; plus tard, il l'appelle « la déclaration vraie ou supposée du Conseil municipal », mais il fut enfin obligé de reconnaître sa valeur. Il dut alors, faute de pouvoir mieux, se contenter d'injurier celui qui l'avait délivrée.

On opposait enfin à la commune qu'elle n'avait pas demandé à l'administration supérieure l'autorisation d'acquérir (de Cosmao) ; qu'elle n'avait pas soldé les frais du contrat ; qu'elle n'en avait pas retiré la grosse ; qu'on ne trouvait pas de traces, dans ses livres, des sommes qu'elle aurait payées au vendeur. On possède encore une quittance de Cosmao, écrite de sa main, et cette quittance parte : « Je soussigné, François Cosmao, reconnais avoir reçu de Yves Kernaléguen et Pierre Cornic, les deux de la commune de Plonévez-Porzay, la somme de six cents livres à valoir à la vent (sic) de Sainte-Anne, et de la palue du même nom, de laquelle je leur ai déduit vingt-quatre livres pour l'armoire qui se trouve absente [Note : C'est l'armoire mentionnée dans l'inventaire de 1796, où elle est estimée 24 livres, et que Cosmao avait fait transporter à Locronan].
A Locronan, le onze vendémiaire, an douze. Signé F. COSMAO. »
.

Ce furent donc Cornic et Kernaléguen qui désintéressèrent Cosmao, et ils déclarèrent plusieurs fois, avant de mourir, qu'ils l'avaient fait avec les fonds de la fabrique.

Mais, dans l'hypothèse inadmissible que la stipulation contenue dans l'acte de l'an XI eût été faite au profit de la commune, M. Pouchous était-il dépourvu de moyens ?

Non pas. A Supposer que Cornic et Kernaléguen, en disant qu'ils agissaient pour tous les habitants de Plonévez, aient voulu appliquer cette désignation au corps politique ou municipal, celui-ci devait, pour que cette stipulation pût avoir son effet, la ratifier avant qu'elle eût été révoquée. Cette ratification, d'après le Code civil, doit intervenir pendant la vie de celui qui a stipulé, et tout au moins. — limite extrême — dans les trente ans (art. 1101, 1119, 1120, 1121). Il suit de là que le tiers qui est simplement dénommé dans un contrat, mais qui n'y a pas concouru, et qui n'en a pas réclamé le bénéfice, ne peut s'en prévaloir.

Or, la commne n'avait pas agi dans les trente ans, puisqu'il y avait quarante-trois ans entre l'acte de l'an XI et le commencement de son action.

D'autre part, l'acte de vente consentie en 1834 par les héritiers Cornic et Kernaléguen à M. Pouchous était, respectivement à la commune, une révocation évidente de la dite stipulation.

Enfin, on a vu que la commune avait déclaré n'avoir aucun droit au bénéfice du contrat, ce qui était une renonciation manifeste à s'en prévaloir.

M. Pouchous invoquait également la possession décennale, en rappelant qu'il avait acquis en 1834 et que plus de douze ans s'étaient écoulés entre la date de son titre et la demande formée par la commune.

Pour toutes ces raisons, le Recteur de Plonévez concluait que les prétentions de la commune à la possession de Sainte-Anne n'étaient pas fondées, et, qu'en tout cas, par le fait même de la prescription, elle était déchue de ses droits, si tant est qu'elle en avait jamais eu.

A des preuves si décisives et si péremptoires, quels moyens opposait la commune ?

Kernaléguen, disait-elle, était adjoint-maire, au moment du oontrat, et Pierre Cornic, membre du corps municipal. Donc, ils durent stipuler en faveur de la commune.

On leur répondait : Cornic et Kernaléguen faisaient aussi fonctions de trésoriers de la fabrique, l'un pour l'église paroissiale, l'autre pour la chapelle de la Clarté, et c'est avec le produit des quêtes qu'ils faisaient dans ces églises, ainsi que dans celle de Sainte-Anne, qu'ils payèrent leur achat. Donc, c'est pour la fabrique qu'ils avaient stipulé.

De plus, si Cornic, et Kernaléguen étaient les délégués du Conseil municipal, pourquoi n'en avaient-ils pas pris la qualité dans le contrat ? Pourquoi ne firent-ils aucune mention de leurs fonctions dans l'administration communale ? Si les fonctionnaires, lorsqu'ils agissent à titre privé, ne se font pas toujours qualifier dans les actes par leurs fonctions, jamais, du moins, ils ne les omettent quand ils se présentent comme organes de l'autoritlé; c'est à ce signe qu'on reconnaît le caractère auquel ils agissent. Cette prétérition est donc une preuve frappante parmi tant d'autres que les sieurs Cornic et Kernaléguen n'entendaient faire qu'une stipulation tout à fait privée, sauf à la fabrique à réclamer le bénéfice de la convention.

Le prix, disait aussi la commune, a été payé au moyen de quêtes faites dans les chapelles, c'est-à-dire par les habitants : donc, la chose acquise appartient au corps municipal.

Et depuis quand, lui répondait-on, fait-on des quêtes dans les églises pour fournir aux acquisitions des corps municipaux ? Quand il s'agit de secours à recueillir pour les bureaux de charité, l'autorité civile peut faire quêter dans les églises, en vertu de l'arrêté du 5 Prairian XI : c'est le seul cas où il lui fut alors et où il lui soit encore permis de faire quêter les temples. S'agit-il de toutes autres quêtes spéciales ? Elles ne peuvent avoir lieu qu'avec l’agrément de l'évêque. Quant aux quêtes que faisaient Cornic et Kernaléguen dans les églises de Plonévez, elles n'étaient autres que les quêtes traditionnelles que l'on faisait avant eux et qui se font toujours, et tout le monde sait que le produit de ces collectes et offrandes est, d'après la nature des choses, comme d'après la disposition de la loi, un revenu des fabriques.

La commune prétendait encore, dans son écrit de défense, qu'elle jouissait de l'emplacement qui sert aux pardons et foires de Sainte-Anne.

Elle en jouissait si peu que, lorsque, en 1845, elle voulut y percevoir un droit d'étalage, M. Pouchous s'y apposa et la contraignit d'y renoncer. Le fait qu'on tenait des foires à Sainte-Anne n'établissait aucune possession en faveur de la commune. Il est notoire, en effet, observait M. de Blois que plus des trois quarts des champs de foire existant hors des villes et des bourgs, dans la Basse-Bretagne, appartiennent à des particuliers qui les prêtent ou les louent pour ces occasions. Tel est aussi l'état des choses dans un certain nombre de bourgs et même dans les villes. C'est ce qui n'aurait pas dû être ignoré, particulièrement à Châteaulin, où le champ de foire, plac ar foar, a pour assiette des terrains reconnut pour être l'objet d'une propriété privée. L'on n'a jamais imaginé de prétendre que le droit de surveillance que la police est fondée à y exercer, comme sur les bals publics, comme sur toutes les assemblées patronales, comme sur toutes les réunions nombreues, ait le caractère d’une possession communale.

Enfin, comme le jugement de Châteaulin énonçait que la commune possédait la chapelle même de Sainte-Anne, « parce qu'elle est desservie comme les autres églises de la paroisse, et que les habitants de la commune en avaient l'usage », les défenseurs de M. Pouchous répondaient que le tribunal faisait confusion entre chapelles et églises paroissiales. Aucune loi à ce moment ne prononçait sur la propriété de ces dernières. Les tribunaux et les jurisconsultes étaient partagés sur cette question, les uns soutenant que les églises paroissiales appartenaient aux communes, les autres plaçant ces immeubles dans le domaine des fabriques. Mais les chapelles restaient en dehors de ce débat ; personne n'avait encore songé à prétendre que les chapelles, même publiques, pussent être considérées comme une dépendance du patrimoine des communes : à plus forte raison les chapelles à l'égard desquels il existe un titre spécial d'acquisition.

Tels sont les principaux arguments que, de part et d'autres, on présenta aux juges de Rennes.

La Cour, par arrêt du 15 décembre 1848, donna raison au Recteur de Plonévez.

Nous ne reproduirons pas ici les considérants du jugement. Ce serait nous répéter, car la Cour ne fait guère que faire siennes les conclusions de Mes. Chauvel et de Blois, que l'on vient de présenter au lecteur. Donnons seulement un court extrait du jugement.

« La Cour…, après avoir délibéré dit qu’il a été mal jugé par les premiers juges, infirme leur jugement, et faisant ce qu’ils auraient dû faire, déclare la commune de Plonévez-Porzay mal fondée dans ses demandes et conclusions, confirme Pouchous et Puech, chacun en ce qui le concerne, suivant leurs titres d'acquisition, dans la propriété et possession de la chapelle de Sainte-Anne et de ses dépendances, condamne la commune, etc... ».

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CHAPITRE XV.

Donation de M. Pouchous.

M. Pouchous, on l'a vu, avait, tôt après son arrivée à Plonévez, renouvelé les démarches que M. Quévarec avait commencées en 1829, à l'effet d'obtenir que sa fabrique fût autorisée à acquérir les droits des héritiers Cornic et Kernaléguen. Ces démarches, entravées par le triste personnage dont on a déjà parlé si souvent, étant demeurées vaines, le Recteur de Plonévez avait dû renoncer à acheter au nom de la fabrique et avait acquis pour son propre compte. Quinze jours ne s'étaient pas écoulés depuis qu'il était devenu propriétaire de Sainte-Anne, qu'une calomnie des plus atroces avait déjà fait le tour de la paroisse. Le bruit s'était répandu que « l'acquisition faite par M. Pouchous était une spéculation de sa part et qu'il cherchait à s'enrichir ». Très vivement affecté de ces propos, le Recteur de Plonévez se rendit immédiatement chez le notaire, et, par acte du 17 avril 1834, il fit don de tous ses droits à la fabrique, lui laissant le soin des poursuites qu’il avait engagées. Mais pour que cette action pût être continuée au nom de la fabrique, un acte authentique ne suffisait pas, il fallait, de plus, que cet établissement fût autorisé à accepter la donation. Or, le sieur Pouchous s'aperçut bientôt que la fabrique ne serait pas plus heureuse dans cette seconde demande qu'elle ne l'avait été dans la première, et sa disposition entre vifs resta sans effet.

Plusieurs fois dans la suite, M. Pouchous songea à refaire sa donation, mais il en fut dissuadé par ses avocats tant que les procès furent pendants, et, quand ils furent terminés, d'autres raisans graves l'en empêchèrent. Enfin, ses appréhensions cessèrent. Il s’empressa alors de passer en l'étude de Me Créachcadic, notaire à Quimper, et y refit sa donation (12 janvier 1860). Le 25 du même mois, il fit prendre une délibération par laquelle le conseil de fabrique acceptait provisoirement sen legs et suppliait l'évêque d'obtenir l'autorisation nécessaire.

Quelque temps après (18 avril 1861), M. Pouchous, craignant d'être surpris par la mort avant le règlement de cette affaire, rédigea un testament où il disait: « Je donne et lègue à la fabrique de Plonévez-Porzay la chapelle de Sainte-Anne la Palue, la fontaine et les douze hectares de terrain réservés autour de la chapelle dans la vente que j'ai faite à M. Puech le 5 juin 1846... pour la fabrique, disposer des dits objets en toute propriété, à partir de mon décès, sous la condition que la dite chapelle, fontaine et terrains demeurent spécialement affectés au culte catholique ».

Enfin, le 8 mai 1861, un décret impérial accorda l'autorisation sollicitée, et, le 20 du même, mois, la donation de M. Pouchous était acceptée par Pierre Cornic, de Trévily, au nom de la fabrique. [Note : Le décret impérial, autorisant la fabrique de Plonévez à accepter la donation de M. Pouchous, contient l'article suivant : " La chapelle de Sainte-Anne, située sur le territoire de la commune de Plonévez-Porzay, canton et arrondissement de Chateaulin, département du Finistère, est érigée en chapelle de secours. Le culte y sera célébré sous la direction du desservant de la succursale de Plonévez-Porzay et sous l'administration de la fabrique de cette succursale... Fait au palais des Tuileries le huit Mai mil huit cent soixante-et-un. — Signé : Napoléon ".

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CHAPITRE XVI.

Le Bornage.

Le contrat de vente consentie par M. Pouchous à M. Puech, le 5 juin 1846, stipulait que le Recteur de Plonévez se réservait : 1° la chapelle ; 2° autour d'elle un terrain circulaire qui ne pourrait excédé douze hectares, et dont la ligne serait prise à la convenance du vendeur. Ce terrain devait être délimité dans les six mois.

« Le 30 novembre de la même année, les deux contractants se rendirent sur le terrainà partager et procédèrent immédiatement au bornage. Il n'est pas dit qu'ils fussent accompagnés de personne pour les aider ou les conseiller dans cette sérieuse opération. L'un était curé, l'autre marchand de drap ; chacun pouvait exceller dans sa profession, mais le traité qui intervint entre eux est tellement mal libellé qu'il démontre qu'ils n'avaient pas l'aptitude voulue pour un pareil travail ». Guichoux, p. 5.

Par ce traité, qui suppléait à quelques omissions de l'acte du 5 juin précédent, M. Pouchous accordait à M. Puech, à l'exclusion de tous autres, le droit de pâturage pour son bétail sauf toutefois les jours de foire et de réunions religieuses à Sainte-Anne. Par contre, le Recteur de Plonévez spécifiait que M. Puech n'aurait pas le droit de couper des mottes, soit pour engrais, soit pour réparations de clôtures, ni d'y rien déposer. (Il ressort de ces termes de l'acte que Puech n'avait pas non plus le droit d'ouvrir des carrières dans la réserve de la chapelle, ce qui pourtant a été fait). Enfin, M. Pouchous se réservait le droit de planter sur le terrain qu'il gardait, mais s'engageait en même temps à ne pas exiger la réparation des dégâts que le bétail pourrait occasionner à ses plantations faites ou à faire.

Après ces malencontreuses stipulations — le droit de pâturage à perpetuité accordé à M. Puech était, dit M. Guichoux, une concession immense de la part de M. Pouchous, — les parties procédèrent au bornage de leur terrain, et ce bornage fut une opération plus malheureuse encore pour les droits de la chapelle.

On lui devait douze hectares, et M. Doudet, géomètre de 1ère classe, de Châteaulin, ne trouva dans son levé du 30 novembre 1853 que 5 h. 70 à l'intérieur des bornes. (Le cadastre de Plonévez-Porzay porte 5 h. 72 a. 3 c.).

En 1877, quelques bornales ayant disparu on crut nécessaire de refaire le travail de M. Doudet. M. Guichoux, ancien geomètre du cadastre, habitant Douarnenez fut prié de s'en charger ; mais il eut beau promener son décamètre sur la palue, force lui fut de constater que son prédécesseur ne s'était pas trompé : la terre de la fabrique contenait un peu moins de six hectares.

Comment l'erreur s'était-elle produite ? M. Guichoux explique que la bande de terrain bordant le ruisseau qui coule au Midi de la palue et la sépare des terres de Kerc'hlévren, a été faussement attribuée aux propriétaires de Keranna (Keranna est le nom de la métairie élevée par M. Puech sur le terrain qu'il avait acquis) ; — Deuxièmement, le traité dit qu'arrivé aux pieds du grand rocher qui se dressait sur la colline de Sainte-Anne, devant la baie de Douarnenez, la ligne de démarcation devait courir de l'Est à l'Ouest, c'est-à-dire vers la mer, et il s'est produit cette énormité qu'à partir de cet endroit la ligne va, au contraire, de l'Ouest à l'Est, faisant ainsi un angle rentrant dans là réserve, alors que le contrat spécifie que les bornales devaient décrire une ligne circulaire autour de la chapelle.

Gémissons avec le bon M. Guichoux de ces désastreux résultats, et pleurons aussi avec lui la disparition du rocher de Sainte-Anne. Ce rocher que, de son vivant, on appelait le Cléguer, est tombé sous le pic des vandales. « Les pèlerins de Sainte-Anite, de 1877, ont vainement cherché ce beau rocher, qui était l'ornement de la palue. On ne croyait pas avoir fait un bon pardon, si l'on n'avait fait l'ascension de cette roche qui, d'ailleurs, servait à garantir la chapelle des vents de la mer, et à la protéger contre l'invasion des sables.
Sur ce rocher l'on avait chanté la messe et donné l'instruction, le 27 juillet 1874, à l'occasion du pèlerinage des habitants de Douarnenez à Sainte-Anne, pèlerinage solennel fait par terre, et par mer.
Le rocher est mort ; alta fuit rupes, vestigia nulla supersunt (le rocher était d'une belle hauteur, il n'en reste nul vestige). L'endroit actuel le plus élevé, où fut le rocher, est à 23 m. 13 c. au-dessus du niveau de la pleine mer.
Aux pieds de ce beau rocher, que la pioche dévastatrice de tout ce qui est monumental entame en ce moment (1877), le rédacteur de cette page (M. Guichoux) a eu l'honneur et le bonheur d'être baptisé (pendant la Révolution) par le saint et courageux abbé Garrec, ancien curé de Kerlaz, qui est toujours resté caché entre Douarnenez et Sainte-Anne, et qui, plus heureux que bien d'autres, sut ne pas se faire prendre. Aussi gémit-il en regardant les démolisseurs. Que-la terre leur soit lourde ! »
.

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CHAPITRE XVII.

Le Grand Pardon.

En Bretagne, depuis les premiers temps du moyen-âge, on appelle pardons les grandes assemblées religieuses qui se tiennent chaque année, et, assez souvent deux fois l'an, à l'occasion de la fête du Saint Patron, tant dans les églises paroissiales, que dans les chapelles disséminées, çà et là, au fond des campagnes. Parfois, la chapelle aura depuis longtemps disparu que le pardon continuera à se faire, autour d'une fontaine ou d'une vieille croix restée debout à côté des ruines. Le but des chrétiens d'autrefois, en se rendant à ces solennités, — but quelque peu oublié aujourd'hui — était de gagner les indulgences que l'église attachait et attache encore libéralement à la visite des centres de dévotion. D'où le nom de pardons donné à ces fêtes.

Parmi les pardons de notre diocèse, il n'en est pas de plus connu ni de plus considérable que celui de Sainte-Anne-la-Palue, qui a lieu tous les ans, à la fin d'août, et dure trois jours (le dernier dimanche d'août avec le samedi qui le précède et le mardi suivant). Combien de pèlerins viennent, chaque année, pendant ces fêtes, se prosterner aux pieds de la Reine des Bretons ? Il est difficile de le savoir. Par les plus mauvais temps, on a compté jusqu'à dix mille pèlerins, mais quand le soleil veut bien prendre part à la fête, ce chiffre s'enfle extraordinairement. C'est ainsi qu'en 1920, près de cent mille personnes ont défilé sur le terrain de la Palue. Et il faut noter que la chapelle étant éloignée des centres populeux et le pays dépourvu de voies ferrées, beaucoup de pèlerins de Sainte-Anne n’ont d'autre ressource que de s'y rendre à pied.

Un bon nombre, tels que ceux de Plougastel-Daoulas, ne reculeront pas devant la traversée, en pleine nuit, de la rade de Brest sur de frêles barques de pêche, pour faire ensuite pédestrement les vingt kilomètres qui séparent le lieu où ils ont débarqué de la chapelle, qui sera le terme de leur voyage. En passant le long des haies d'Argol, les hommes détachent une baguette de coudrier, dont ils découpent l'écorce en spirale, et cet insigne du pèlerin breton ne les quittera plus jusqu'au retour. Dès que des hauteurs du Méné-Hom ils aperçoivent le clocher de Sainte-Anne, ils se découvrent et s'agenouillent pour adresser un premier salut à la Sainte vénérée. L'endroit où s'accomplit ce rite s'appelle Plas ar Zalud, la place du salut. A partir de ce moment, les voyageurs se considèrent comme sur une terre sacrée, et c'est dans la splendeur des premiers rayons de l'aurore illuminant sous leurs pieds la plaine du Porzay et la baie de Douarnenez qu'ils récitent leur prière du matin, égrènent leur chapelet et entonnent leurs pieux cantiques. A 7 heures, ils sont à la porte de la chapelle, mais avant d'y entrer, ils en font trois fois le tour, quelques-uns pieds nus, certains même à genoux. Cette pratique en l'honneur du Dieu un et trine est une tradition qui remonte aux plus vieux saints qui ont évangélisé notre pays.

C'est le samedi principalement que le pardon revêt le caractère qu'il doit avoir : celui d'une assemblée vraiment pieuse. Ce jour-là, point de promeneurs, mais des pèlerins seulement, sur la Palue. La procession qui se fait dans la soirée, vers 5 h., est sans contredit une des plus impressionnantes qui se puissent voir. Après la croix viennent des centaines de personnes portant les cierges. Ce Sont les pèlerins qui se sont rendus à Sainte-Anne pour s'acquitter d'un vœu. Ils sont suivis d'une théorie de jeunes filles en blanc, groupées autour de la statue de la Vierge ; puis c'est la statue dorée de Sainte-Anne portée par les femmes mariées de la paroisse revêtues de leur plus riche costume, et enfin, les reliques de la Sainte confiées à quatre ecclésiastiques parés de la dalmatique des diacres. Quand ces reliques, au retour, sont arrivées à la hauteur de la chapelle, ceux qui les portent quittent le cortège et se rendent, par le chemin le plus court, jusqu'au pied du clocher et déposent leur fardeau sur deux crampons de fer placés des deux côtés de la porte. Les pèlerins votifs passent alors sous les reliques et pénètrent dans la chapelle pour y déposer leurs cierges et faire une dernière prière. Leur vœu est accompli.

Une autre procession aux flambeaux a lieu à la tombée de la nuit, après quoi les pèlerins se retirent sous les tentes dressées autour de l'enclos de la chapelle, et qui, toute la nuit, devront rester éclairées ; les autres refluent sur les villages voisins pour y chercher un gîte.

Beaucoup de fidèles, toutefois, préféreront passer la nuit dans la chapelle et profiteront de la présence d'un nombreux clergé pour se confesser et s'approcher de la Sainte Table aux messes qui se succéderont d'heure en heure tôt après minuit jusqu'à la grand-messe. A trois-heures du matin, on sonne « l'angelus royal ». Au premier son de la cloche, tous les pèlerins sont debout et récitent la salutation à la Vierge. Tout le monde se rend alors à la chapelle, et celle-ci ne désemplira plus jusqu'aux dernières heures du jour. On prie avec ferveur auprès de la vieille statue de Sainte-Anne ; on en fait le tour pour pouvoir y toucher les objets de piété que l'on a achetés en souvenir du pardon, on récite des prières, on chante des cantiques en l'honneur de la patronne du lieu.

Ce jour-là, les paroisses des environs viennent en procession à Sainte-Anne. Quelques minutes avant le commencement de la grand’-messe, la procession de Plonévez va à leur rencontre, et une touchante cérémonie se passe : les croix et les bannières se donnent l'accolade : c'est Sainte-Anne souhaitant la bienvenue aux saints patrons des localités voisines.

Le mardi suivant, le pardon recommence. Cette fois, ce sont les Douarnenistes qui fournissent la grande masse des pèlerins. Aussi, ce jour-là, ils auront tous les droits à Sainte-Anne. C'est eux qui nourriront le chant, eux qui, au moment de la procession, tiendront à honneur de porter les « enseignes », et feront avec elles le tour traditionnel dans la Palue.

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CHAPITRE XVIII.

Le Couronnement de Sainte-Anne (31 Août 1913).

Depuis de longues années déjà, les fidèles trouvaient à Sainte-Anne toutes les faveurs spirituelles qu'un dévot pèlerin peut désirer. Les papes Grégoires XVI et Pie IX avaient enrichi le pèlerinage de quantité d'indulgences ; une confrérie fondée dans la chapelle avait été dotée de précieux avantages, toutes les messes dites à Sainte-Anne pour les défunts obtenaient la faveur de l'autel privilégié. Une chose cependant manquait encore à la gloire de Sainte-Anne-la-Palue, et les pèlerins qui avaient visité les grands centres bretons de dévotion ne laissaient pas que de s'en étonner : la couronne qui brillait depuis nombre d'années déjà au front de Sainte-Anne d'Auray manquait à notre Sainte-Anne.

Les Recteurs qui s'étaient succédés à Plonévez depuis soixante ans connaissaient bien le désir des fidèles et n'auraient pas mieux demandé que de le voir satisfait, mais ces pasteurs avaient été pris tout entiers par d'autres soucis. L'un, après les quinze ans de tracas causés par les procès dont nous avons parlé, avait édifié une vaste chapelle à la Sainte de la Palue ; un autre avait rebâti l'église-mère et doté la paroisse d'une école chrétienne ; deux autres avaient achevé de meubler et d'embellir ces édifices, et avaient, de plus, amorti la dette inquiétante dont toutes ces constructions avaient grevé la fabrique. Ils étaient donc en droit, en descendant tour à tour dans la tombe, de se rendre le témoignage qu'ils avaient bien travaillé à la gloire de leur chère Sainte-Anne.

L'œuvre à laquelle ces dignes prêtres n'avaient cessé de penser, cette œuvre qu'ils avaient ardemment désirée et préparée, mais qu'ils n'avaient pu réaliser, il était donné à M. l'abbé Soubigou, devenu Recteur de Plonévez-Porzay, en 1906, de la mener à bonne fin.

Il arrivait pourtant à un fort mauvais moment. La loi de séparation venait d'être votée, et elle fut, nous l'avons dit, un désastre pour la paroisse. Mais le nouveau Recteur, grâce à l'aide généreuse de ses paroissiens, sortit vite des difficultés et put donner toutes ses pensées au projet qu'il méditait. Vers la fin de 1911, le moment paraissant favorable, il rédigea une supplique à l'adresse du Pape, et la remit à M. le chanoine Kerjean, curé-archiprêtre de Châteaulin, en le priant de vouloir bien la faire tenir à l'évêque de Quimper. Mgr Duparc, à qui rien de ce qui intéresse la gloire de Sainte-Anne ne saurait être indifférent, ne pouvait faire de difficultés. Il partait pour son voyage ad limina ; il se chargea avec bonheur de la requête de M. Soubigou, et, la faisant sienne, la déposa aux pieds du Saint-Père.

Dans les bureaux de la Chancellerie romaine, on ne se rendit pas bien compte, paraît-il, de l'importance du pèlerinage de Sainte-Anne-la-Palue, et la lettre sollicitant la faveur du couronnement risquait fort de rester oubliée au fond de quelque tiroir, si la paroisse de Plonévez-Porzay n'avait eu l'heureuse fortune d'être représentée à Rome par un de ses plus illustres enfants, le Révérend Père Henri Le Floc'h, supérieur du Séminaire français. Informé du retard que subissaient les démarches, l'éminent religieux s'empressa de faire son enquête, et il est à croire qu'il plaida éloquemment la cause de notre Sainte-Anne, car, quelque temps après, Monseigneur l'Evêque de Quimper recevait de Rome la missive suivante :
« Du Vatican, le 7 février 1913.
Le Saint-Père a appris avec une particulière satisfaction, par le rapport que Votre Grandeur a déposé naguère entre ses augustes mains, les détails édifiants concernant le sanctuaire de Sainte-Anne-la-Palue, situé dans Votre Diocèse, son ancienneté, la dévotion toujours croissante des fidèles et des nombreux pèlerins envers la Mère de la Très Sainte Vierge, et les grâces signalées qu'elle s'est plu à accorder à travers les siècles à ses serviteurs.

Aussi bien, le Souverain Pontife Pie X, suivant l'exemple de ses prédécesseurs, qui ont enrichi d'indulgences le pèlerinage de Sainte-Anne-la-Palue, désire-t-il, pour sa part, contribuer à rehausser le culte en l'honneur de la glorieuse Mère de la Très Sainte Vierge immaculée, et à augmenter dans les âmes la piété et la dévotion envers Elle. A cet effet, Sa Sainteté a daigné prendre en bienveillante considération Votre supplique, interprète des vœux du Recteur du dit sanctuaire et des pieux fidèles, et Vous accorde volontiers l'autorisation de couronner en son auguste Nom, la statue miraculeuse et séculaire de Sainte-Anne, vénérée dans le sanctuaire de la Palue... ».

Quelques jours après la réception de cette lettre, l'évêque de Quimper vint lui-même, accompagné de ses deux vicaires généraux et de l'un de ses secrétaires, annoncer la bonne nouvelle au Recteur de Plonévez et s'entendre avec lui au sujet des dispositions à prendre pour les fêtes du couronnement.

Dans une lettre pastorale, datée du 2 avril suivant, il faisait part de sa joie à ses diocésains, et, après leur avoir exposé les titres de Sainte-Anne-la-Palue aux honneurs de la couronne, titres qu'il avait fait valoir dans sa requête au Saint-Père, il fixait la date de la cérémonie au dimanche 31 août, jour même du grand pardon de Sainte-Anne...

Et nous voici aux inoubliables fêtes du couronnement. Un Triduum a eu lieu, prêché par MM. Kerjean, curé-archiprêtre de Châteaulin et Thomas, aumônier du lycée de Brest. Les préparatifs sont terminés. Des guirlandes tressées par les religieuses du Saint-Esprit, aidées des femmes et des jeunes filles de Plonévez, entrecroisent leurs rubans multicolores sous les voûtes de la chapelle. Les oriflammes, les banderoles et les écussons tapissent les murs. A l'extérieur, — car l'édifice, quelque vaste qu'il soit, ne pourra contenir le cinquantième des pèlerins qui se presseront demain sur la Palue, — une estrade s'élève, pouvant porter quatre cents personnes, avec, au centre, un élégant oratoire édifié par M. Cornec, entrepreneur à Châteaulin, sur les plans de M. le chanoine Abgrall.

Le samedi, dès cinq heures du matin, les premiers pèlerins apparaissent. Ils seront suivis, pendant toute la journée, de quantité d'autres. Ce sont ceux qui désirent accomplir tous les rites du pèlerinage avant que la palue soit trop encombrée. La grand'messe est chantée par M. le chanoine Bars, directeur au Grand Séminaire. A vêpres, M. l'abbé Thomas, dans un magnifique sermon breton, célèbre devant un auditoire de 15.000 personnes, la puissance de Sainte Anne et ses bienfaits en vers la Bretagne... Puis ce fut la nuit, une nuit animée par les chants des pèlerins qui se pressaient sur toutes les routes qui mènent à la Palue, nuit qui dut rappeler à la Grand'Mère du Sauveur celle où les anges chantèrent la venue de son Petit-Fils en ce monde.

Mais les ténèbres furent courtes, et bientôt brilla l'aurore du grand jour. A 9 h. 1/2, un imposant cortège sort de la chapelle et se dirige vers l'estrade. En tête, les croix et les bannières des trente-trois paroisses venues à la fête avec leur « processions ». Suivent plus de deux cents prêtres en surplis, et enfin les chanoines et les prélats. Des ecclésiastiques originaires de Plonévez portent les couronnes de vermeil qui orneront tout à l'heure les fronts de Sainte Anne et de son auguste Fille. Quinze notables de la paroisse portent sur leurs robustes épaules la lourde masse de la vénérable statue de granit.

« Au chœur, prennent place Mgr Duparc ; Mgr Pichon, archiprêtre de Cabasa, coadjuteur de Port-au-Prince, Haïti ; dom Brieuc, abbé mitré de Thymadeuc ; M. le chanoine Le Pennec, vicaire général, délégué de Mgr Morelle, évêque de Saint-Brieuc ; M. le chanoine Ollivier, curé de Sainte-Anne, délégué de Mgr Rouard, évêque de Nantes. Mgr Gouraud, évêque de Vannes, chante la messe, assisté de M. le chanoine Gadon, vicaire général, et ayant Comme diacres d'honneur MM. les chanoines, Cogneau et Abgrall, et, comme diacres d'office, MM, les chanoines Queinnec et Le Roy.

Le diocèse de Quimper est représenté par la plupart de ses archiprêtres et de ses curés. De nombreuses personnalités du clergé vannetais ont tenu à suivre leur évêque aux pieds de la « sœur » de Sainte-Anne d'Auray. Nous remarquons MM. les chanoines Guillevic, supérieur du Grand Séminaire de Vannes ; Thulé, secrétaire de l'Evêché ; Simon, curé de Josselin ; Le Dorz, curé de Saint-Paterne ; Le Diffon, curé de Sainte-Anne d'Arvor de Lorient ; Goarin, supérieur des chapelains de Sainte-Anne ; Charrié, curé d'Auray ; Guéhennec, recteur de Kerentrée, etc... M. le curé de la Madeleine d'Angers, apporte, avec les aumôniers d'Angers et de Trélazé, l'hommage des Bretons émigrés dans les ardoisières de l'Anjou.

Le Parlement est représenté par MM. Daniélou, député de la circonscription ; Villiers, sénateur ; Hugot-Derville et Soubigou, députés du Finistère ; de l'Estourbeillon, député du Morbihan ; et de la Ferronnaye, député de la Loire-Inférieure. M. le comte de Mun, retenu à Plouèscat par une cérémonie patriotique, ne pourra atteindre la Palue que vers midi.

Lorsque la lourde statue de Sainte-Anne a pris place sur le trône qui lui est préparé du côté de l'évangile, l'office liturgique commence. Les cérémonies si belles de la messe pontificale sont parfaitement conduites par M. le chanoine Bars. La schola, sous la direction de M. Henry, curé de Saint-Martin de Brest, entonne le Gaudeamus de l'introït, et bientôt la foule mêle sa voix à celle du chœur, dans les invocations du Kyrie et les louanges du Gloria in excelsis. Après l'Evangile, M. le chanoine Kerjean prononce le sermon d'usage. Sa voix forte, très distincte, célèbre en un breton élégant, sans aucune prétention de purisme, la gloire de sainte Anne et définit les devoirs de l'épouse chrétienne... Après ce discours, ln messe reprend son cours, et les chants liturgiques ne sont interrompus, pendant l'Offertoire, que par le cantique de sainte Anne, accompagné par la musique de Douarnenez.

Bientôt, le moment solennel est arrivé. Mgr Duparc, revêtu de ses ornements pontificaux, se dirige, entouré des évêques présents, vers le trône où repose l'Aïeule. Le spectacle est vraiment inoubliable. Aussi loin que le regard peut s'étendre, jusqu'à la crête qui, vers l'Ouest et le Nord, profile sur l'horizon les dernières rangées des assistants, la foule compacte, innombrable, est debout, immobile, silencieuse, dessinant dans la transparence étonnante de l'atmosphère, toutes les ondulations, toutes les saillies du terrain. Des nuages ouatés et vides de menaces descend, jusqu'à la minute même du Couronnement, une lumière grise et douce qui laisse aux visages toute leur sérénité.

Les prières liturgiques commencent par l'hommage national à sainte Anne, l'antienne : O mater patriae, chantée par les prêtres : O mère de la patrie, Anne très puissante, sois le salut de tes Bretons, et, par ton intercession, garde-leur la foi, préserve leurs mœurs, accorde-leur la paix. Des versets suivent, puis l'oraison. L'Evêque, alors, passe au cou de la Vierge et de sainte Anne les superbes croix toutes ruisselantes de la lumière qui se joue dans les diamants et les pierreries, dons magnifiques de Mme la comtesse de Tromenec et de sa fille, Mme du Hamel. Il couronne d'abord, suivant les prescriptions rituelles, le front de la Vierge. Quand ses bras s'élèvent, portant la couronne destinée à sainte Anne, œuvre élégante et noble due à l'inspiration aimante de M. le chanoine Abgrall, l'émotion de la foule est à son comble. Un frisson court à travers le placître où s'agite, dans un remous prolongé, la mer des coiffures et des têtes découvertes, et c'est comme une puissante rumeur d'océan qui salue la reine des Bretons quand, le geste épiscopal achevé, se découvre le front de la grande Aïeule resplendissant sous l'or de son diadème. Des applaudissements éclatent, des vivats s'élèvent, et le Te Deum, entonné par la charale, unit dans un même élan de reconnaissance et de joie les cœurs des fidèles sujets de sainte Anne. Cette, émouvante cérémonie s'achève par la bénédiction solennelle, chantée par les évêques réunis, après que Monseigneur a bénit la nouvelle et riche bannière de sainte Anne, œuvre des religieuses Carmélites de Morlaix… » (Semaine religieuse du 5 septembre 1913).

Nous regrettons de ne pouvoir mettre sous les yeux de nos lecteurs les toasts éloquents que l'on entendit à la fin du repas qui suivit la cérémonie du couronnement, mais nous ne pouvons omettre de reproduire le magnifique discours que prononça, après les vêpres, Mgr l'Evêque de Quimper.

Mulierem fortem quis inveniet ?
Proverbe de Salomon (Ch. XXXI, vers. 10-31).
Messeigneurs, Mon Révérendissime Père, Mes Frères,

I. — Cette Femme forte, présentée par la Bible dans une splendeur si austère, les Pères de l'Eglise la considèrent comme la figure de la Sainte Vierge et de l'Eglise catholique. Ils ont raison.

Mais je ne crois pas dépasser la mesure des accommodations permises en vous invitant à reconnaître, sous les mêmes traits, notre Patronne sainte Anne, et en attribuant sa couronne à ses mérites de femme forte.

Je n'ai pourtant pas l'intention de vous faire l'exposé doctrinal de ses vertus, ni même d'insister sur la haute dignité de Mère de Marie dont elle a été investie, quoique ces deux ordres de considérations fournissent la raison essentielle de son couronnement. Les pensées qu'elles suggèrent trouveront plus d'une occasion de se mêler à mon allocution. Elles n'en seront pas le thème principal.

Je vais m'arrêter, de préférence, à un considérant historique, et vous montrer, dans cette page fameuse des Proverbes de Salomon, le tableau raccourci des relations de sainte Anne avec la Bretagne. De ce tableau, vous conclurez que l'insigne de la souveraineté lui a été décerné justement, et vous ne manquerez pas de retenir les leçons, toujours pratiques, qui découlent pour nous de cette histoire.

II. — Quand j'ai prononcé le nom de la Femme forte, en venant vous parler de sainte Anne, je suis sûr que je n'ai étonné aucun des chrétiens qui m'entendent.

Alors même que nous ne connaîtrions, de l'histoire de sainte Anne, que l'iminaculée Conception et la naissance de la Sainte Vierge, c'est assez. Nous savons que, par ces deux faits où le surnaturel abonde, sa vie touche presque directement à celle de Dieu. Cela suffit pour nous permettre de voir en elle, avant et après le glorieux événement, tant de majesté silencieuse, tant de patience dans l'épreuve, tant de persévérance dans la prière, tant de calme dans les joies tardives et profondes, qu'aucune créature ne nous semble mieux faite pour personnifier la Femme forte et pour attirer et pour garder la confiance de l'homme.

Je ne sais pas si le peuple breton a fait ce raisonnement, quand il s'est décidé à donner sa confiance à sainte Anne. Notre peuple est sensible à cette vérité, que la force est en Dieu, que la bonté est en Dieu, que plus une vie touche à celle de Dieu, je veux dire à celle du Dieu-Homme, et je parle des liens du sang, plus elle est puissante et féconde. C'est pourquoi il aime et vénère sainte Anne, grand'-mère de Jésus, et son culte pour elle va jusqu'à la tendresse. On peut lui appliquer le mot, de la Bible : Confidit in ea. Il a eu confiance en elle. Mais l'expression n'est pas assez énergique. Du jour où il l'a connue — et il n'a pas eu à la chercher au loin, c'est par Marie que lui est venue la dévotion pour sainte Anne, sous l'inspiration des missionnaires gallo-romains ou à travers le cœur de nos moines de Bretagne, — de ce jour il s'est attaché à elle pour jamais.

Il l'a adoptée jusqu'à vouloir la naturaliser bretonne. Il l'a aimée dans la mauvaise fortune comme dans la bonne. Dans les batailles, dans les naufrages, dans les travaux de la terre et de la mer, chez lui et hors de chez lui, il la sentait vivre au fond de son cœur, il l'associait à ses joies et à ses peines, la chantant, la glorifiant, l'exaltant, son nom toujours sur les lèvres, et, toujours, aussi, son image présente à l'âme jusqu'à l'heure de la mort.

Il a voulu que chez lui elle fut chez elle. Il lui a bâti des demeures humbles et ornées, dans ses villes comme dans ses campagnes, et, après Dieu et la Sainte Vierge, au milieu et au-dessus de ses Saints nationaux, il lui a réservé une place à part et souveraine.

Confidit in eâ. Il a eu confiance en elle, — confiance en sa sainteté, qui, antérieure à l'Evangile, en réalise déjà l'idéal, — et confiance que, par sa fille Marie et son petit-fils Jésus, elle participe dans une mesure royale à la puissance divine. Il a eu confiance.

Sa confiance n'a jamais été trompée. La Sainte aussi s'est attachée à son peuple. Elle l'a aimé, de son côté, comme s'il était seul au monde. Elle a si bien uni sa vie à la nôtre, dans cette longue histoire dont notre âme affaiblie semble incapable d'accroître ou même de soutenir la beauté énergique et simple, que son nom est indissolublement lié au nôtre, et que les étrangers ne peuvent guère parler de sainte Anne, sans évoquer aussitôt le souvenir des Bretons.

III. — Qu'a-t-elle négligé pour nous former une âme virilement chrétienne ? Reddet ei bonum et non malum omnibus diebus vitœ suœ. Tous les jours de notre histoire, elle a été préoccupée de nous mettre dans l'âme le bien et d'en arracher le mal.

On continue à dire que la nature n'a donné aux Bretons ni l'esprit d'initiative, ni l'esprit d'association, ni le génie des affaires, et moins encore le sens de la diplomatie.

Admettons que ce soit là une infirmité de notre race, en ajoutant d'ailleurs que de nombreuses et notables exceptions font brèche à cette règle générale.

Mais la nature Se transforme par la grâce. La grande éducatrice de nos âmes a fait en nous œuvre profonde, quand elle nous a donné la foi en Jésus-Christ, une fidélité prolongée à son service, et, par là même, l'amour du bien et la haine du mal.

Ce serait, sans doute, exagérer que de dire qu'elle a su créer en Bretagne un autre peuple de Dieu. Je connais trop bien nos défauts passés, et je sens trop cruellement les poussées nouvelles de ces défauts invétérés, pour oser ambitionner officiellement un titre qui exigerait de nous de bien autres vertus que nos vertus actuelles. Mais le premier peuple de Dieu a eu aussi ses faiblesses, qui n'ont pas empêché Dieu de l'aimer et de vouloir le sauver.

Ste Anne nous aime malgré nos péchés. Elle nous a inculqué une vertu maîtresse qui fut supérieurement la sienne, et qui, en nous, suffit peut-être à expliquer les louanges excessives qu'on nous accorde parfois, c'est la vertu de prière. Un peuple qui prie a toujours l'estime de Dieu et finira par forcer le respect des hommes. C'est lui qui détourne de la société le châtiment d'en haut. Il prépare le salut. Il est possible qu'il doive l'attendre longtemps. Bien des prières sont imparfaites. Mais il persévèrera ; il mêlera ses instances à ses travaux, à ses inquiétudes, à ses échecs ; et son esprit de foi finira par triompher des pires faiblesses de son époque, et de la colère divine elle-même, si justifiée qu'elle soit.

Voilà la grande force que nous devons à sainte Anne, et c'est par cette force que notre amour du bien et notre haine du mal, et notre héroïsme dans le devoir, ont pu souvent éclater victorieusement dans notre histoire. Reddet ei bonum et non malum.

IV. — A toutes les pages de nos annales surgissent des héros et des saints, et ceux que fournissent les temps les plus proches de nous sont parfois aussi grands que ceux dont l'histoire lointaine voisine avec la légende.

Des héros. Non pas, sans doute, des hommes toujours sans défaut, mais des âmes pourtant où le ressort de la foi et celui du patriotisme furent noblement actifs. Les Lamoricière, les Cadoudal et les Charrette, les Surcouf, les Guébriant et les Duguay-Trouin, et les zouaves pontificaux, et les sauveteurs bretons, et souvent nos soldats et marins d'aujourd'hui valent les Clisson et les Duguesclin, les Beaumanoir, les Alain Barbetorte, les Alain le Grand, les Noménoé et les Lez Breiz. Même sang, même foi, même sacrifice.

Manque-t-il beaucoup de sainteté, et d'action, et de conquêtes, à nos Jean-Marie de La Mennais, à nos Saint-Luc, à nos Le Nobletz, à nos Maunoir, à nos Grignon de Monfort, pour qu'ils se dressent sans trop pâlir, en face des plus illustres et des plus généreux évêques et missionnaires d'autrefois, je veux dire des Patern, des Tugdual, des Brieuc, des Malo, des Guénolé, des Corentin, des Pol de Léon et des Ronan ?

Et même, que faudrait-il de plus aux prêtres, aux religieux, aux fidèles d'aujourl’hui dans l'angoisse des épreuves actuelles, pour que leur vie fût, dans son humilité comparable en mérites apostoliques à celle des moines et des chrétiens les meilleurs de la Bretagne antique ?

Evoquez nos grands hommes et nos saintes femmes de tous les siècles qui nous ont précédés. Mettez à leur tête l'humble et vaillant saint Yves, qui mérite, sous tous les rapports, d'être parmi eux le primus inter pares. Groupez-les tous autour de sainte Anne. Et dite, si beaucoup de races peuvent présenter une pareille élite à l'admiration du monde.

Voilà l'œuvre de sainte Anne. C'est elle qui nous a gardés dans la vérité en même temps que dans la vertu. Si nous avons quelque défaut insuffisamment combattu, nous osons dire que nous présentons au ciel un contrepoids surnaturel de sérieuse valeur. Et sainte Aune a bien pu permettre que des hérétiques, naissent parmi nous depuis les Renan jusqu’aux Abelard. Mais leurs hérésies n'ont pas pénétré dans l'âme populaire. Reddet ei bonum et non malum. Mettre le bien dans notre âme, en arracher le mal, voilà le programme de sainte Anne, au cours de cette histoire de Bretagne, où elle a rempli pour nous un rôle si efficace et si bienfaisant.

V. — C'est toujours un tissu précieux et merveilleusement varié que l'histoire d'un peuple. Les nuances sombres s'y mêlent aux couleurs éclatantes et aux demi-teintes.
Notre Bretagne est fille d'une émigration pacifique. Elle grandit dans la lutte contre les Carolingiens. Ressaisie par l'anarchie, elle se relève dans la vie féodale. Tiraillée longtemps entre la France et l'Angleterre, à défaut d'une indépendance qu'elle ne peut plus conserver, elle se donne à la France, et ne cesse pas, de siècle en siècle, d'enrichir la Patrie commune d'un nouveau patrimoine de gloire, sauvant sa religion au temps de la Ligue, et son honneur sous la monarchie absolue, et son âme en 93, et sa foi aujourd'hui, et sa langue et ses traditions à toutes les époques. Il y a dans ce tissu, des défaites, des victoires. Il y a donc du sang. De honte consentie par le peuple, je n'en connais pas.

Ce tissu fait de mains d'hommes, par les exploits et les souffrances de notre race, la Providence a confié à sainte Anne le soin d'en diriger la fabrication. Sainte Anne n'a pas opéré seule. Elle a réclamé notre concours. Elle n'a pas, pour composer le chef-d'œuvre, acheté des toiles ou des étoffes toutes faites, qu'elle n'aurait eu qu'à agencer. Elle a acheté la laine, elle a acheté le lin : la laine, dit saint Augustin, qui figure le travail humain, et le lin, qui symbolise la grâce divine. Puis, elle a travaillé avec nous, de ses propres mains, attentivement et avec réflexion. Quæsivit lanam et linum, et operata est consilio manuum suarum. L’harmonie des deux efforts, sous la direction de sainte Anne, a produit l'œuvre séculaire, dont nous remercions notre grande Patronne.

Elle est ingénieuse à nous servir. On dirait que tout ce qu'il nous faut, elle veut bien aller le chercher, même très loin, pour nous l'apporter, pareille, dit la Parabole, à un navire de commerce, aux flancs gonflés de marchandises, qui distribue, le long de nos côtes, de port en port, tout ce dont nous avons besoin, et d'abord le pain Facta est quasi navis institoris de longe portans panem suum. Et successivement, par les envoyés de Rome et par les moines d'outremer, nos frères, elle nous amène et nous donne, avec le pain de l'Evangile et de la Vérité, le pain de l'Eucharistie. Pour bâtir des églises à ce Pain vivant et divin, elle nous apporte l’art nouveau de l’architecture. Et si ces églises sont, un jour, menacées par les pirates normands, elle va porter au loin, le long des fleuves et des mers, nos saintes reliques en danger de se perdre ; ou, mieux encore, elle va reprendre en Grande-Bretagne, Alain Barbetorte, qui, à Dol, taille en pièces ces pillards. Elle exporte en Terre Sainte nos croisés et ramène les survivants, glorieux, au sol natal. Elle conduit la duchesse Ermengarde au Saint-Sépulcre, après le duc Alain Fergent. Elle prend part à toutes nos guerres, sur mer comme sur terre, et nous accompagne aux terres neuves occupées par la France. Nos gloires navales sont les siennes, depuis Portzmoguer, jusqu'à du Couëdic et au pilote. Le Mancq. En pleine Terreur, elle trouve encore de pauvres barques disponibles pour arracher aux Jacobins de 93 les prêtres en danger de mort, et les abriter momentanément outre-mer dans l'exil, et les rendre au pays natal, dès que la paix est rétablie, et les porter, pendant tout le XIXème siècle, en légions innombrables, dans toutes les missions catholiques alimentées par le clergé breton. Quasi navis institoris.

Et sans se lasser, partout, toujours, à tous, aux plus humbles comme aux membres les plus intimes de sa famille, tous les genres de grâces utiles, pour toutes les situations, elle nous les donne. Deditque prædam domesticis suis et cibaria ancilis suis.

VI. — Mais, si elle étend ainsi sa bienfaisance sur le pays tout entier, elle a des terres privilégiées. Consideravit agrum et emit eum. Elle veut y distribuer plus amplement ses faveurs, y faire ses miracles, et y convoquer ses fidèles. Elle choisit donc ses domaines. Et elle les achète. Elle les achète aux hommes, oserai-je dire, par les grâces divines qu'elle leur donne ; elle les achète à Dieu, par la dévotion des hommes qu'elle lui offre.

Dans toute la Bretagne, elle possède plusieurs de ces lieux sacrés. Chacun de nos diocèses en compte quelques-uns, anciens ou nouveaux, — dans les villes, comme Sainte-Anne de Nantes, Sainte-Anne d'Arvor, Sainte-Anne de Robien, — aux portes des villes, comme Sainte-Anne du Portzic, — en pleine campagne, comme Sainte-Anne de Fouesnant et Sainte-Anne du Bois, — sur la côte, comme Sainte-Anne du Guilvinec, — et bien d'autres encore.

Le plus connu de ces domaines, acquis et gardés par elle, est le Bocenno, près d'Auray, où, parmi les débris d'une chapelle disparue, elle avait confié à la terre sa statue, 925 ans avant qu'elle fut découverte par Nicolazic, 1625.

Nous sommes, assemblés, en ce moment, sur une autre de ces terres antiques et consacrées, où sainte Anne a voulu être plus intimement maîtresse et bienfaitrice des âmes. Humainement, rien ne pouvait attirer ici les foules. Mais sainte Anne voulait être priée ici, à la Palue. Elle a été obéie.

Aussi loin que remonte la tradition locale, ici sant venus, en foule, les habitants de la Cornouaille et des régions plus lointaines. Ici le clergé de Plonévez-Porzay, aux jours de prière accoutumés, a vu affluer vers Sainte-Anne, par milliers, en pèlerins toujours recueillis, les agriculteurs, les pêcheurs, les soldats, les marins, fidèles, de temps immémorial, aux grands « pardons » comme aux réunions moins solennelles. Ici la pénitence s'est associée à la prière, la foi s'est affermie, les résolutions généreuses se sont formées, et de siècle en siècle, par le travail des mains de sainte Anne, appropriant aux besoins de son peuple la grâce de Dieu, l'arbre dont nous sommes les rameaux et que sainte Anne a planté et cultivé, de fructu manuum suarum, plantavit vineam, à travers des orages incessants, malgré les sécheresses, les inondations, les vents les plus rudes, n'a cessé de grandir et de porter des fleurs et des fruits parce qu'il n'a pas cessé d'arborer à son sommet la Croix.

VII. — Mais nous n'avons pu coopérer à tant de grâces reçues d'elle qu'en pratiquant ses propres vertus, les plus personnelles et les plus caractéristiques. Accunxit fortitudine lumbos suos. Elle nous a mis, comme à elle-même, autour des reins, la ceinture de la vie pauvre et austère, de la vie courgeuse et mortifiée. Bretons, mes frères, dans la mesure où nous perdons cette austérité, où nous tombons dans la débauche ou l'intempérance, dans la même mesure nous nous affaiblissons. Si nous y sommes fidèles, nos forces remontent. Et roboravit brachium suum. Nos humbles bras redeviennent capables d'actions très hautes, et nous supportons des peines, et nous accomplissons des œuvres qui montrent la puissance de Dieu agissant dans notre faiblesse humaine.

Bien souvent, au cours de notre histoire, elle a constaté l'efficacité de son action sur nous. Vidit quia bona est negotiatio ejus.

Même dans les heures qui nous paraissaient les plus ténébreuses et les plus troublées, elle veillait, elle gardait pour nous sa lampe allumée. Non extinguetur in nocte lucerna ejus. Nous avons en certes, des nuits dangereuses : nuit des invasions normandes, nuit des guerres civiles pour la succession de Bretagne, nuit des guerres de religion et de l'ignorance qui suivit, nuit sombre et sanglante de la Terreur, nuit de l'indifférence et du paganisme qui s'étend et nous enveloppe. Non extinguetur. La lampe de sainte Anne n'a cessé d'éclairer notre programme et notre route.

VIII. — Manum suam misit ad fortiœ. Hommes qui m'écoutez, elle vous apprend, donc à être forts. Pourquoi ? Parce que vous, aurez comme elle à mettre la main à des choses difficiles, qui demandent du courage, ad fortia. Qu'est-ce à dire ? Etre de bons soldats et de bons marins ? C'est le moins que puissent faire, l'heure venue, les hommes de Bretagne, pour Dieu et pour la Patrie. Etre de bons travailleurs ? Comment ne le seriez-vous pas, quand Dieu, la famille, le pays, Vous le demandent ? Ad fortia, c'est autre chose, d'un ordre supérieur et plus pressant. Il faut sauver votre foi et celle de vos enfants. A satiété j'ai traité devant vous la question des écoles et celle des manuels scolaires : je n'insiste pas. Ad fortia. Il faut savoir défendre l'Eglise de Notre Seigneur. Un catholique isolé, réduit à ses propres forces, sera accablé sous la masse des ennemis. Mais des Catholiques permet le succès. Qu'ils s'entendent ! Qu'ils s'entendent en vrais croyants, je veux dire dans la pratique de la vertu comme dans la foi. On ne peut rien faire d'efficace, si l'on n'est pas fort par la vertu autant que par la foi. Rien ne demande et rien ne donne plus de force que la vertu.

Et vous, femmes chrétiennes, digiti ejus apprehenderunt fusum. A vous les vertus de la vie intérieure. La mère de famille bretonne devrait être dans le monde une merveille à part pour répondre à l'idéal de Sainte-Anne.

Comme toutes les autres, elle se donne à la maison. Elle procure à tous ceux qui l'entourent la vie calme, la vie sage, la vie réglée, la vie heureuse. Elle ne recule devant aucun travail domestique. Elle met à la place qui lui est due chaque personne et chaque chose. Elle entretient l'harmonie entre tous les cœurs qu'elle gouverne. Elle accueille les pauvres à son foyer, et leur ouvre la main, et leur fait la part large : Manum suam aperuit inopi, et palmas suas extendit ad pauperem. Elle songe à l'hiver qui vient, aux vêtements des maîtres, et des serviteurs, et ne néglige pas sa mise personnelle.

Mais, avec plus d'ardeur que les autres, étant pénétrée des leçons de sainte Anne, elle élève à l'ordre surnaturel tous ses devoirs naturels. C'est dans ce sens qu'elle organise l'emploi de sa vie entière. Elle l'enveloppe de la pensée chrétienne. Avant tout, elle recherche le salut des âmes qui lui sont chères... La pauvreté, elle en a pitié. Mais la pauvreté est pour elle le symbole du dénuement spirituel. Elle se dévoue pour l'enseignement de la vérité religieuse, et pour toutes les œuvres apostoliques. Ce sont surtout les âmes qu'elle veut voir bien vêtues, et d'un double vêtement, celui de la raison et celui de la foi, disent les Pères de l'Eglise, celui des vertus naturelles et celui des vertus surnaturelles ; sans les quelles les autres ne comptent guère. Quand tout le monde est ainsi pourvu, elle n'a pas peur du froid de l'hiver et des assauts de l'incrédulité. Non timebit domui suœ a frigoribus nivis : omnes domestici ejus vestiti sunt duplicibus … .

Le peuple ainsi formé par sainte Anne, c'est vous. J'ai parlé de vous avec une liberté toute personnelle. Je n'ai pas caché vos défauts. Mais vous les vaincrez, et je défie vos détracteurs, eux-mêmes, de ne pas vous rendre honneur en même temps que justice, non seulement parce que vous êtes un peuple indépendant, désintéressé, loyal, dévoué aux causes que votre conscience et votre cœur ont adoptés, mais surtout parce que votre foi ne recule devant aucun sacrifice pour demeurer fidèle à Dieu et à son Église malgré les lois et les hommes qui les attaquent. Brizeux écrivait il y a soixante-dix ans : Bienheureux mon pays, pauvre et content de peu, s'il marche d'un pied sûr dans le sentier de Dieu.

Ce souhait est un hommage. Quand un peuple mérite un pareil hommage, il est noble, au sens chrétien du mot, et il a sa place marquée parmi les races qui comptent dans le sénat du genre humain. Nobilis in portis, quando sederit cum senatoribus terræ.

IX. — Comment nous étonner, après ce tableau, si insuffisant qu'il soit, de l'action de sainte Anne sur son peuple, que ses enfants se soient levés pour chanter, une fois de plus, sa gloire : surrexerunt filii ejus ; et beatissimam prœdicaverunt.

Ses enfants, c'est Jésus qui lui doit sa mère ; et, strictement, c'est lui seul qui la couronne. C'est Marie qui lui doit la vie, et qui, couronnée avant elle, tient à partager avec elle la puissance, l'honneur, la bonté. Mais, ses enfants, ce sont aussi, sans exception, tous nos Saints de Bretagne, qui ont bénéficié de ses grâces et participé à son œuvre au milieu de nous.

Ce sont toutes les générations de fidèles, qui, aujourd'hui, dans le ciel, ont passé, à une heure quelconque des siècles écoulés, sous sa main bénissante, pécheurs convertis, parents où enfants consolés ou guéris, soldats combattant sans blessures, marins sauvés du naufrage, chrétiens de toutes les classes sociales, toute la race, depuis les origines, se rendant mieux compte du bienfait reçu, et saluant la douce patronne du plus aimé des pays, pour lui dire : Tu portes déjà des couronnés : tu en as reçu une, la première, dans ton fief de Keranna, près Auray : une autre dans la ville d'Apt, d'où nous viennent tes reliques : une autre à Sainte-Anne de Beaupré, au bord du grand fleuve Canadien : sois également couronnée à la Palue : les couronnes les plus humbles ne sont pas les moins éloquentes..

Et à ces voix d'en haut, nous avons joint la nôtre, nous, membres de l'église militante, peuple et clergé, ceux qui souffrent, ceux qui luttent, pères et mères de famille rouvrant enfin leurs écoles catholiques, hommes de cœur dévoués à la défense de l'Eglise, ouvriers et chefs d'industrie, séminaristes sauvegardés à la caserne, prêtres secourus dans l'exercice du saint ministère, donnant à notre voix le ton de la détresse autant que du courage et de l'espoir prochain, nous sommes allés vers la plus divine autorité de ce monde ; nous lui avons raconté ce qui se passe à la Palue de Cornouaille, et comment la mère garde et conduit ses fils, et comment ses fils aiment leur mère. Et l'Auguste Pontife, sur qui nous appelons, en ce moment, la protection de celle qu'il a reconnu comme Patronne de la Bretagne, nous a dit : « Mettez-lui la couronne, couronne de la Femme Forte, Forte comme Souveraine, Forte comme Patronne, Forte comme Mère. Voilà pourquoi ses fils l'ont, proclamée Bienheureuse et l'ont couronnée. Surrexerunt filli ejus et beatissimam prœdicaverunt.

Bienheureuse, certes,
Beaucoup de femmes ont été élevées en dignité, élevées aussi en sainteté. Elles ont reçu de grandes grâces. Si elles y ont coopéré, elles ont pu amasser d'immenses richesses spirituelles. Tu les as toutes surpassées, je dis toutes, excepté ta Fille, qui est bénie entre toutes les femmes ; mais le seul fait d'avoir eu une pareille Fille, te met toi-même au dessus de toutes les autres, puisque, par Elle, tu as contribué à préparer l'Incarnation. Multœ filiœ congregaverant divitias : tu supergressa es universas.

Ta grandeur surnaturelle n'a pas empêché ton cœur d'être humble et d'avoir la crainte du Seigneur. Grande leçon aux femmes de tous les siècles. Parce qu'elles ne craignent pas assez leur Dieu, elles sont trop facilement vaines. Sous prétexte de grâce et de beauté, délaissant le costume de leur pays, comme elles en abandonnent parfois la langue, elles adoptent, même dans certaines campagnes, des modes que la pudeur condamne, et qui sont un danger pour les âmes partout où elles s'étalent. Fatiœ gratia, et vana est pulchritudo : mulier timens Deum ipsa laudabitur.

Vous qui vous faites gloire de la vénérer et de l’aimer, pèlerins dont elle sera seule à connaître le nombre pour nous incalculable, vous, Bretons et Bretonnes de Vannes, de Tréguier, de Léon et de notre Cornouaille, elle ne vous a pas ménagé sa vigilance, ses leçons, ses exemples et ses grâces. De ses mains énergiques et aimantes, elle a, depuis quinze ou seize siècles, travaillé à faire notre âme, et par notre âme notre sang. Couronnée par notre reconnaissance, elle continuera, au milieu de nous, son œuvre bienfaisante pour nous, et glorieuse pour elle. Ne rendons pas ses divins efforts inutiles. Donnons-lui le fruit du travail de ses mains. Pratiquons les vertus qu'elle nous a inculquées. Maintenons pour l'honneur de l'Eglise la réputation chrétienne de notre Province, pour que l'action de sainte Anne sur ses Bretons lui vaille, avec l'affection plus ardente de nos cœurs, l'hommage public des foules assemblées pour prendre part à son triomphe : Date ei de fructu manuum suarum : et laudent cam in portis opera ejus.

L'heure de la procession est venue. Déjà, rangés par paroisses autour de leurs croix et de leurs bannières, les groupes de pèlerins, dans leurs plus beaux costumes, ont pris leur place pour l'incomparable défilé autour du placitre. En tête du cortège, les clairons et tambours d'Ergué-Armel ouvrent la marche. Viennent ensuite les groupes de Plogonnec, de Cast, de Quéménéven, de Locronan, d'Argol, de Châteaulin, de Saint-Ségal, de Pouldavid, d'Ouessant, de Douarnenez, d'Esquibien, de Pouldergat, de Ploaré, de Goulven, de Quimper, de Crozon, de Saint-Nic, de Landrévarzec, de Rosnoën, de Ploéven, de Plouhinec, du Juch, de Kerfeunteun, de Dinéault, de Beuzec-Cap-Sizun, de Pont-Croix, de Poullan, de Tréboul, de Meilars, de Plomodiern, de Kerlaz, de Plonévez-Porzay, précédé de cinq tambours, un groupe important de Sœurs du Saint-Esprit, une statue de sainte Anne, puis la statue couronnée portée sur les épaules de 40 notables de la paroisse, qui se relèvent le long du parcours. Il avait été décidé, par mesure de prudence, que la lourde statue ne quitterait pas son trône. Lorsque M. le Recteur fit, à la fin des vêpres, connaître cette décision, ce fut, parmi les hommes de Plonévez, une protestation émouvante : « Non, sainte Anne ne restera pas seule tandis que nous serons en procession. Sainte Anne fera aujourd'hui le tour de sa Palue. Nous le voulons ». Et la masse de pierre, vigoureusement empoignée, prit rang dans le défilé, devant les clairons et la musique de Douarnenez, précédant le cortège des prêtres et des évêques. Et derrière ce déploiement d'or, de soie, de mousseline et de broderies de toute sorte, c'est la masse profonde des pèlerins que canalise, avec peine, l'équipe vaillante des volontaires chargés de l'ordre de la procession. Rien, ni aucune description ne peut donner une idée de la beauté de cette pieuse parade en l'honneur de sainte Anne.

Ce fut, le long de deux haies de spectateurs émerveillés et éblouis, un écoulement de richesses, de force et de grâce qui dura une heure et demie, sous un soleil qui faisait ruisseler les ors des toilettes, rutiler les broderies des lourdes vestes, éclater la blancheur des grands châles et qui, là-haut, par dessus les têtes, mettait des flammes aux boules massives des croix d'or et aux nimbes des saints brodés dans l'étoffe des lourdes bannières. La Bretagne cornouaillaise est apparue, là, dans un spectacle dont la grandeur et la beauté ne furent égalées nulle part. Nulle reine n'eut pour la précéder, la chanter et la bénir, une cour et un cortège plus riches et plus aimants.

Hélas ! toute fête a son terme. Et c'était bientôt la fin de cette journée, lorsque les fronts s'abaissèrent pour recevoir la bénédiction du grand Roi, devant qui s'incline la couronne de sainte Anne elle-même.

Alors, ce fut la dispersion, l'interminable exode dans les sentiers, sur les grèves et sur la route de Plonévez, où la gendarmerie, avec un tact parfait et une ponctualité toute militaire, faisait exécuter le prudent arrêté pris par le dévoué maire de la commune. (Semaine religieuse, loc. cit.).

Combien de milliers de personnes foulèrent, ce jour-là, le sol de la Palue ? Il est difficile de le dire. Les gendarmes, chargés du service d'ordre sur les grands chemins qui mènent à Sainte-Anne, comptèrent, pour leur part, quatre-vingt-trois mille et quelques centaines de voyageurs. Dix-sept cents véhicules de tout genre passèrent devant la gare de Quéménéven, distante de quinze kilomètres. Mais qui a compté les personnes qui débouchèrent sur la Palue par les petits sentiers qui y aboutissent ? Et celles qui vinrent par la voie de mer ? Un vapeur de Brest, et une infinité de petits bateaux venant de Douarnenez, du Cap, de la presqu'île de Crozon avaient débarqué leurs passagers sur la grève de Sainte-Anne. On peut donc affirmer, sans aucune crainte d'erreur, que le chiffre de 100.000 pèlerins fut largement dépassé.

D'où venait tout ce monde ? Tout d'abord, le pays qui entoure Sainte-Anne, sur un rayon de 20 à 25 kil., y fut pour ainsi dire tout entier ; parmi les gens qui venaient de plus loin, on remarquait surtout les forts contingents fournis par les Capistes, les Bigoudens et les Plougastels, et l'on peut dire qu'il n'y a guère de paroisse de Cornouaille qui ne fut représentée. Le Léon et le Tréguier envoyèrent aussi des groupes importants. Les autres diocèses de Bretagne, particulièrement celui de Vannes, fournirent également un nombre appréciable de Pèlerins. On en remarqua d'autres qui étaient partis d'au-delà des frontières bretonnes. Quelques pays étrangers même étaient représentés, notamment la Suisse.

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CHAPITRE XIX.

Les Miracles.

La veille du Grand Pardon a lieu, tous les ans, la procession dite des vœux ou des miracles. C'est une procession d'actions de grâces. Il faut croire que sainte Anne est généreuse envers ceux qui l'invoquent, car on voit, à ce pieux défilé autour de son domaine, jusqu'à un millier de personnes munies de cierges et marchant à la tête du cortège, après la première croix. Cette place qu'elles prennent, ce cierge qu'elles tiennent, indique qu'elles s'acquittent d'un vœu. Elles sont venues une première fois implorer « leur bonne grand'-mère » ; elles ont été exaucées, et les voilà de retour pour remercier.

Cette coutume remonté haut, si l'on en croit la légende du chevalier Lez-Breiz, qui vivait du temps de Louis le Débonnaire.

« Si je retourne au pays, disait le héros breton en allant au combat, mère Sainte Anne, je vous ferai un présent ;
Je vous ferai présent d'un cordon de cire qui fera trois fois le tour de vos murs ;
Et trois fois le tour de votre église ; et trois fois le tour de votre cimetière, et trois fois le tour de votre terre, arrivé chez moi ;
[Note : Les pèlerins d'aujourd'hui n'entourent plus la chapelle de cordons de cire. Elle est maintenant trop vaste. Et puis, cette cire en cordon n'a plus de nos jours l'emploi qu'elle avait autrefois. Le cierge que l'on porte actuellement est un souvenir de cette coutume d'autrefois].
… Et j'irai trois fois, à genoux, puiser de l'eau pour vôtre bénitier... »
.

Il n'eût pas été chrétien dans son cœur celui qui n'eût pas pleuré à Sainte-Anne,
En voyant l'église mouillée des larmes qui tombaient des yeux de Lez-Breiz,
De Lez-Breiz pleurant, à genoux, en remerciant la vraie patronne de la Bretagne (Barzaz-Breiz, p. 88 et 92).

S'est-il produit des faits miraculeux à Sainte-Anne ? On n'en saurait douter. Le grand nombre d'ex-voto que l'on voyait autrefois autour de sa statue, — on en a gardé seulement quelques-uns, — en est une preuve indéniable. Ces miracles, malheureusement, ne semblent pas avoir été officiellement constatés. Les bénéficiaires des faveurs de sainte Anne se sont contentés de déposer leurs béquilles, des images de cire, de petits navires, des plaques de reconnaissance aux pieds de la statue, et se sont retirés sans plus de formalités. Moins que tous autres, le Breton aime à être l'objet de la curiosité publique ; il ne redoute rien tant que les interrogatoires et les enquêtes, et quand il le peut, il s'y dérobe. Seuls les prodiges éclatants, opérés à la vue de la foule, ne pouvaient être cachés. Ceux-là ont été consignés, non dans les registres paroissiaux de Plonévez, mais dans les guers ou complaintes populaires chantées par les mendiants qui affluaient autrefois au pardon de la Palue. De ces guerz, M. l'abbé L'Helgoualc'h en a eu un entre les mains, intitulé : « Guerz de Sainte-Anne-la-Palue en l'évêché de Cornouaille ».

Cette complainte est antérieure à la Révolution. Voici les miracles qui y sont cités :

« Un jeune prêtre de Plougastel, depuis trois mois n'avait pu dire la messe ; on lui conseille de venir à Sainte-Anne, et, en arrivant à la Palue, il se sentit guéri et put célébrer le saint sacrifice.

Une jeune personne des environs de Pont-l'Abbé, minée par la fièvre, vint à la Palue, après une neuvaine faite à Sainte-Anne, et, devant une foule de personnes, fut subitement guérie.

Un navire, traversant le Raz de Sein, fut surpris, entre les deux mers ; par les vents et les courants. Ballotté de tous côtés, il ne lui restait aucun espoir de salut. Alors le capitaine, homme pieux, fit avec ses marins le vœu d'aller à la Palue, et par la protection de Dieu et de sa grand'mère sainte Anne, ils purent rentrer à Brest, malgré le danger, le cœur plein de joie et de reconnaissance. Et, en témoignage du miracle, on les vit au pardon suivant, nu-pieds, en corps de chemise, chacun un cordon de cire à la main, venir remercier leur protectrice.

Un jeune homine de Brest avait perdu la vue des suites de la petite vérole ; lui aussi vint à Sainte-Anne ; une messe fut dite à son intention et, il recouvra la vue.

En l'évêché de Léon, dans la paroisse de Ploudaniel, une jeune fille fut attaquée par un chien enragé, à la porte de sa maison ; à la vue de la bête furieuse, elle se mit à crier : « O Sainte Amie la Palue !... ». Et par une permission de Dieu, le chien sauta sur une pierre qu'il couvrit de sang et d'écume et où il se brisa les dents.

Beaucoup d'autres miracles ont été faits, dit le guerz ; je ne puis les énumérer. Sainte Anne écoute nos prières sur terre et sur mer, et les témoins, pour le dire, ne manquent pas en Cornouaille, ni en Léon. Ils abondent à Douarnenez, au Cap Sizun, à Penmarch, à Pont-l'Abbé, Quimper, Landerneau et Brest et aux quatre coins du pays ».

Parmi les prodiges récents attribués à la puissante intercession de sainte Anne, et qui ne semblent susceptibles d'aucune explication naturelle, nous en connaissons un qui s'est produit en 1908, et dont le récit est contenu dans la lettre suivante adressée à M. l'abbé Joncqueur, qui était à cette époque vicaire à Crozon.
« Le Conquet, 13 septembre 1912. Monsieur l'Abbé,
Il y a deux ans, en effet, je vous ai raconté la faveur dont j'avais eté l'objet à la fontaine Sainte-Anne.
Voici le fait :
J'étais alors chef mécanicien à bord du vapeur Saint-Michel, de la Compagnie des Vapeurs brestois ; je faisais le service entre Brest et Châteaulin ; en 1908, au mois de juin, vers la fin du mois, un dimanche, nous avions profité d'aller passer la journée à Sainte-Anne-la-Palue. Il y avait moi, ma femme et M. et Mme L..., commis de la Compagnie et la représentant ; il y avait aussi son frère, qui est marin à l'Etat. Nous étions partis le matin de bonne heure de Port-Launay, les femmes en voiture, les hommes à bicyclette ; l'on s'était bien amusé et nous avions dîné sur la plage. Il y avait un peu de vent, et je voulus abriter M. L..., pour qu'il puisse allumer la lampe à esprit de bois. Comme il ne pouvait réussir, j'essayai moi-même, et, après avoir mit le feu à un morceau de papier, je me penchai pour allumer la lampe après avoir mis mon paletot par dessus ma tête. Tout à coup, la lampe fit explosion ; tous mes cheveux, mes cils, ma moustache furent brûlés ; la figure tout en feu, je me jetai à terre et enfonçai ma tête dans le sable. Un instant après, je me relevai. La flamme s'était éteinte, mais hélas ! je ne voyais plus clair, et ma figure faisait horreur à voir, d'après ma femme et mes amis. On me prit alors par le bras et on me conduisit dans un petit restaurant qui se trouve au bas de la plage de crois me rappeler que c'est le seul qui existe. On me lava la figure ; je me jetais de l'eau dans les yeux, mais rien n'y fit, j'étais aveugle, et pendant au moins deux heures durant, l'idée du suicide ne me quitte pas. Je ne le disais pas, car ma femme pleurait de trop, mais si j'avais eu un revolver sur moi je n'étais pas maintenant à vous écrire le miracle qui s'opéra par la suite, comme vous allez le voir. Voilà, monsieur l'abbé, ce que j'avais omis de vous dire quand je vous vis sur le Rapide.

La promenade qu'on avait bien commencée était bien triste pour mes amis. Aussi, se faisaient-ils de la bile. Mme L..., qui, je crois, avait fait un vœu, était allée avec sa petite fille faire une prière à la chapelle pour remercier sainte Anne. J'étais toujours aveugle ; je ne voyais rien que la nuit noire. J'étais assis avec ma femme à côté d'une fontaine ; ma femme, me prenant par la main, me dit de me laver, car mes brûlures me faisaient horriblement souffrir ; je me rappelle l'avoir envoyée promener, comme le font les malades : j'étais de mauvaise humeur. Enfin je me décidai, pour la consoler et pour qu'elle me laisse tranquille. Il y avait bien 10 minutes que je me jetais de l'eau sur la figure et dans les yeux, quand, ô joie, je vis une petite statue en face de moi : c'était probablement sainte Anne. Je me demandais si je rêvais ; je me détourne et je vois ma femme en pleurs. Je lui dis que je voyais clair et de ne plus pleurer, et, d'après elle, je me mis à chanter ; je ne me rappelle pas, mais ce que je me rappelle, c'est d'avoir roulé sur l'herbe, comme un gosse (sic), tellement j'étais content, heureux de vivre, de voir clair enfin. Ah ! comme je plains les pauvres malheureux aveugles. Depuis, ma femme va tous les ans faire une prière à la fontaine pour remercier sainte Anne la Palue ». C'est tout ce que j'ai à vous dire, monsieur l'abbé.
M. ALPHONSE, chef-mécanicien du Travailleur, Compagnie brestoise. Mme M..., sa femme »
.

Voici une autre lettre, qui raconte comment des marins de Douarnenez ont été préservés de la mort, après avoir invoqué Sainte-Anne-la-Palue. Pieuse-Paysanne; n° 2.016.
PATRON. EUGÈNE NER,
« Partis du port de Douarnenez le 2 juillet 1918, pour faire la pêche aux maquereaux au large d'Ouessant, et arrivés à 16 milles au nord-ouest de l'île, nous attendîmes la nuit pour jeter les filets à l'eau. A l'aurore du 3, nous allâmes les retirer, mais vu le peu de poisson que nous avions pêché cette nuit, nous nous décidâmes d'attendre la nuit suivante pour refaire une autre pêche.
Sur quatre bateaux que nous étions, deux avaient décidé de rester sur place ; deux autres, jugeant que leur pêche était suffisante, rentrèrent.
A un moment donné, nous nous rapprochâmes du bateau qui était demeuré avec nous, le n° 2.139, patron Nicolas Belbéoc'h. Nous nous trouvions donc assez près l'un de l'autre.
Vers quatre heures de l'après-midi, un obus siffla dans l'air et vint tomber tout près du bâteau de Nicolas. Nul doute que ce ne fut un sous-marin boche qui nous tirait dessus : neuf ou dix obus éclatèrent en un rien de temps, toujours dans la direction de Nicolas.
Alors, moi, patron Eugène Ner, je donnai l'ordre de hisser les voiles; mais à peine l'avions-nous fait qu'il fallut les redescendre, car le tir était maintenant dirigé contre nous, et un obus venait d'éclater tout près du bateau. Voyant que le tir continuait, l'équipage se mit debout sur le pont, levant les bras en l'air pour faire comprendre au commandant du sous-marin que nous voulions nous rendre. Mais rien n'y fit ; les obus tombaient toujours. L'un d'eux enleva une partie du gouvernail ; les mâts, les voiles et la coque étaient déjà criblés d'éclats, et deux hommes de l'autre équipage blessés, le patron et un marin nommé Fléchant. C'est alors que, perdant tout espoir et attendant d'un moment à l'autre l'obus qui nous aurait englouti dans les flots, je criai à mon équipage ces quelques mots, qui furent pour nous tous le salut : " Il ne nous reste plus qu'un seul espoir, c'est de promettre à sainte Anne que nous irons tous à pied, et avec nos familles, à Sainte-Anne-la-Palue, si nous pouvons rejoindre la terre "
.
L'équipage approuva d'une seule voix, et à peine était-ce fait que le sous-marin cessait son tir et se dirigeait sur le bateau de Nicolas pour constater les dégâts. Il accosta la barque ; deux membres de l'équipage avaient été tués ; les autres s'étaient couchés et faisaient les morts. Ne voyant personne remuer, le sous-marin prit le large.
De notre côté, le tir cessé, nous nous mîmes à réparer le plus nécessaire de nos avaries, tout en ayant soin de ne pas perdre le sous-marin de vue. Peu de temps après, l'ennemi ayant disparu, nous hissâmes les voiles, et, nous étant assurés que le bateau de Nicolas Belbéoc'h nous suivait, nous nous dirigeâmes sur le port de Douarnenez. E. NER »
.

ÉPILOGUE.
Quinze cents ans d'existence ! Y a-t-il autre pèlerinage breton qui puisse se vanter d'une aussi longue durée ? Et pourtant, depuis sa naissance, que d'événements hostiles à sa pérennité ! L'écroulement de la Palue dans la mer, les incursions normandes, l'aliénation de la chapelle pendant la Révolution, quinze ans de procès pour revendiquer l'héritage antique, et, récemment, la mise sous séquestre..., et le pèlerinage dure et s'accroît. N'est-ce pas là la plus forte preuve que sainte Anne aime toujours ses Bretons et la meilleure assurance qu'elle ne les abandonnera pas ?

(J. Mével).

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