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NOTRE-DAME D'ESPÉRANCE

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L'abbé Prud'homme.

Louis Veuillot recevait un jour la visite de l’abbé Richard, le premier narrateur de l’incomparable apparition du 17 janvier 1871. Au moment de l’introduire au salon où étaient réunies plusieurs personnes, le célèbre publiciste, ouvrant la porte, s’écria : « Je vous annonce Notre-Dame de Pontmain ».

Que de fois les amis et les confrères de l’abbé Prud'homme se sont dit en l’apercevant : « Voici Notre-Dame d'Espérance ! ». Le prêtre vénéré dont la biographie fera l’objet de ce chapitre s’était en effet identifié avec l’Œuvre dont la Providence lui avait inspiré la fondation, à tel point qu’il est encore impossible de prononcer le nom de Notre-Dame d'Espérance sans évoquer son souvenir.

Saint-Brieuc : l'abbé Prud'homme

I. — L’enfance.

Paul-Marie-Matthieu Prud'homme naquit à Saint-Brieuc, le 27 mars 1812, jour du vendredi saint. Cette date était-elle un présage ? Toujours est-il que dans le cours de sa longue carrière il dut bien souvent boire au calice d’amertume.

Dieu plaça son berceau dans une de ces familles qui ont un long passé de loyauté et de foi. Son père était à la tête d’une importante imprimerie dont le titre le plus glorieux depuis deux siècles était de servir la religion. Sa mère, Marie Couëssurel-Villenizant, était une femme de grande intelligence et d’une haute vertu. Au foyer paternel, l’enfant trouva aussi un vénérable aïeul, qui, en 1793, avait failli payer de sa vie son inviolable fidélité aux traditions de ses ancêtres. Ce vieillard n’était autre que M. Jean-Louis Prud'homme celui-là même qui avait acheté en 1796 la chapelle de l'Immaculée-Conception.

Ce fut à l’école de ces mâles et fortes vertus que Paul acquit cette fermeté de caractère qui fut la note dominante de sa vie et à laquelle une voix éloquente devait plus tard rendre hommage [Note : Oraison funèbre du chanoine Prud'homme par Mgr David (1882)]. Il puisa les éléments des sciences profanes chez les Frères des Écoles chrétiennes que son grand-père, alors maire de Saint-Brieuc, venait de rappeler, de concert avec M. Jean-Marie de la Mennais, vicaire capitulaire.

A l’âge de neuf ans, il entra au collège qui était annexé au Séminaire et que dirigeait le clergé diocésain. Il y rencontra plusieurs condisciples auxquels il voua une inaltérable amitié. Il en était un surtout qu’il chérissait plus que les autres à cause de sa piété et de sa bonté ; c’était Paul Limon, qui devint dans la suite Secrétaire Général de l'Évêché de Saint-Brieuc et qui fut toujours l’un des plus fermes soutiens de l’Œuvre de Notre-Dame d'Espérance.

Grand, fort, plein de vie, Paul n’était pas précisément un élève studieux. Sa nature active et entreprenante le portait plus vers le jeu que du côté de l’étude. Pour vaincre ce mauvais penchant, ses parents résolurent de le confier aux Pères Jésuites qui dirigeaient le Petit Séminaire de Sainte-Anne d'Auray. Déjà, l’aîné de ses frères, Ludovic, suivait les cours de cet établissement.

On sait de quelle vénération les Bretons entourent la sainte aïeule de Jésus. Paul qui, malgré son espièglerie, se faisait déjà remarquer par sa piété, fut au comble de la joie quand il apprit qu’il lui serait donné de visiter le célèbre sanctuaire. Toutefois, la séparation fut pénible ; mais, oubliant son chagrin, il se mit en route en compagnie de son frère. Par dévotion, les deux enfants voulurent franchir à pied la distance qui sépare Locminé de Sainte-Anne, c’est-à-dire sept lieues.

A cette époque, le Petit Séminaire de Sainte-Anne d'Auray était plutôt un collège qu’une pépinière d’aspirants au sacerdoce. Renommé dans toute la Bretagne, il recevait des enfants des principales familles de la région. Paul avait onze ans quand il entra dans cette maison. Ses qualités d’esprit et de coeur lui conquirent bientôt l’affection et l’estime de ses condisciples. Trente ans plus tard, l’un d’eux, devenu évêque de Périgueux, lui parlait encore avec émotion de ces années passées au Petit Séminaire. « Je conserve un bien doux souvenir de Sainte-Anne et de ses anciens maîtres qui ont toujours souffert persécution pour la justice. Quel malheur pour la France d’avoir fermé leurs écoles et d’avoir répudié ces instituteurs si capables, si dévoués et si saints ! Daigne le Seigneur avoir pitié de nous ! ».

L’expulsion dont parle Mgr George-Massonnais fut la conséquence des trop fameuses ordonnances de Feutrier, ministre de Charles X. Paul achevait alors sa seconde sous la direction de son compatriote, le P. Bazin, quand parut le décret qui chassait les jésuites de tous leurs collèges.

Sur ces entrefaites, la duchesse de Berry vint en pèlerinage à Sainte-Anne d'Auray. Les jésuites la reçurent avec tous les égards dus à son rang. De la part des élèves, ce fut une véritable ovation. Croyant arrêter par leurs démonstrations le coup qui atteignait leurs maîtres, ils criaient à l’envi : « Vive le roi quand même ! Vive le roi toujours ! ». Hélas ! Ils en furent pour leurs frais. Aux vacances de 1828, les Pères abandonnèrent la direction du Petit Séminaire.

Avant leur départ, Paul sollicita son admission dans la Congrégation de la très sainte Vierge. Sa demande fut agréée, et, le 20 mai 1828, il prononça son acte de consécration à Marie dans cette antique église de Sainte-Anne où quatre ans auparavant il avait fait sa première communion et pour laquelle il conserva jusqu’à la mort une affection toute spéciale.

II. — Le Séminaire.

Dès que les Pères de la Compagnie de Jésus eurent quitté Sainte-Anne d'Auray, Paul Prud'homme abandonna le Petit Séminaire et vint terminer ses études au collège royal de Saint-Brieuc, dirigé alors par un vénérable ecclésiastique, M. Botrel. Arrivé à cet âge où le jeune homme doit fixer son avenir et se choisir une carrière, Paul hésita : serait-il prêtre, comme il y avait souvent pensé, ou bien resterait-il dans le monde ? Il résolut de s’éprouver et pendant six mois il aida son père dans la direction de son imprimerie. Enfin, le 19 octobre 1830, surmontant toute crainte, il frappa à la porte du Séminaire diocésain. Il n’avait pas encore dix-neuf ans.

A partir de ce jour, son plus grand soin fut de préparer son âme à la sublime dignité du sacerdoce. Plusieurs fois, les perplexités qui avaient précédé son entrée au séminaire reparurent ; mais sa grande docilité à suivre les impulsions de la grâce et les conseils de son directeur en triomphèrent aisément. « O Dieu, qui sondez les coeurs, écrivait-il sur son cahier de notes intimes à la date du 25 octobre 1831, vous à qui rien n’est caché, daignez me faire connaître ma vocation ; mon unique volonté est d’accomplir la vôtre ».

Dès cette époque, il se faisait remarquer par sa tendre dévotion pour la très sainte Vierge Marie. Ses supérieurs l’avaient chargé de la sacristie, de concert avec un autre ordinand, M. Renault, qui, dans la suite, devint chanoine titulaire de la cathédrale. A l’approche du mois de mai 1832, les deux sacristains, auxquels s’était adjoint Paul Limon, sollicitèrent du Directeur l’autorisation de célébrer les pieux exercices du mois de Marie dont la dévotion commençait à se répandre. La permission fut accordée et les trois ordinands dressèrent un trône à la très sainte Vierge. Oh ! elles étaient bien simples, ces premières réunions. Après la prière du soir, élèves et professeurs se groupaient autour de la statue de Marie et chantaient un cantique en son honneur.

Il aimait aussi à réciter une prière qu’il avait lui-même composée : « O Marie, que je trouve de douceur, de consolation et de bonheur à venir à vos pieds, à vous prier, à vous nommer ma Mère, à vous confier mes peines, à verser dans votre coeur tous les secrets du mien ! Je me sens entraîné vers vous, ô aimable Mère, par le charme puissant d’une confiance sans bornes... Je me réfugie près de votre coeur et j’y colle le mien ».

Cette piété n’excluait cependant pas tout défaut. Lui-même se reprochait sa négligence pour l’étude. Doué d’un tempérament très actif, il lui en coûtait d’appliquer son esprit aux longues réflexions et à cette discipline que réclament les problèmes ardus de la philosophie et de la théologie. La grâce aidant, il arriva bientôt à surmonter cette répugnance et l’on conserve encore, parmi ses manuscrits, un véritable ouvrage admirablement composé et écrit sous le titre d'Histoire du peuple de Dieu. Plusieurs de ses cahiers de théologie sont aussi des modèles du genre et montrent qu’il sut bien vite se plier aux exigences de l’étude.

Quelquefois, il se reprochait aussi d’être trop enjoué. Il était en effet très vif, parfois même caustique.

Comme la plupart de ses confrères, l’abbé Prud'homme portait un surplis dont les plis ressemblaient assez à ceux d’un accordéon. Un jour, un séminariste très soigneux va trouver la personne de service et lui recommande de repasser son rochet plus fin que celui de l’abbé Prud'homme. L’abbé Le Breton, devenu dans la suite évêque du Puy, entendant la recommandation, répliqua sur-le-champ : « Plus fin que Prud'homme l’est trop ». Le mot fit fortune et resta longtemps légendaire.

Cependant le jeune ordinand avançait dans la voie sainte où l’avait engagé son amour pour Dieu. Le 13 juin 1835, il reçut le sous-diaconat, et le 27 février 1836, le diaconat.

A mesure qu’il approche du sacerdoce que naguère il redoutait, il s’encourage lui-même par de fortes résolutions à devenir le digne ministre de Dieu. A la suite de la retraite d’octobre 1836, il écrit : « Je me suis bien convaincu que la sainteté d’un prêtre doit être toute autre que celle d’un simple fidèle, qu’il est tenu à une perfection bien plus éminente. N’ayant plus que quelques mois pour me préparer au redoutable fardeau du sacerdoce, j’ai pris la ferme résolution, aux pieds de Jésus et de Marie, de faire tous mes efforts pour parvenir à cette vie nouvelle en Jésus-Christ ; pour cela, je veux : 1° bien employer tout mon temps ; 2° me conserver toujours dans le recueillement, marchant en la présence de Dieu et faisant chacune de mes actions en union avec Jésus et Marie ; 3° être exact observateur de la règle, surtout par rapport au silence ; 4° me préparer d’une manière toute particulière à la confession et à la communion, dirigeant toutes mes prières en vue de l'ordination ; 5° vivre dans un continuel esprit de sacrifice et d’oraison ; devant bientôt offrir à Dieu la victime pure, sainte et sans tache, je m’offrirai par avance et avec les mêmes dispositions ».

Cinq mois plus tard, le 18 février 1837, il fut ordonné prêtre par Mgr Le Groing de la Romagère, évêque de Saint-Brieuc. « Sois bien persuadé, lui écrivait, à cette occasion, l’un de ses amis, autrefois confident de ses appréhensions, M. l’abbé Onfroy-Kermoalquin, sois bien persuadé qu’un enfant de Marie ne fut jamais un mauvais prêtre ». La vie sacerdotale de l’abbé Prud'homme en sera une nouvelle démonstration.

III. — Débuts dans le saint ministère.

L’évêque qui occupait, en 1837, le siège de Saint-Brieuc était un vénérable octogénaire, Mgr. Le Groing la Romagère, qui, aux jours de la Révolution, avait confessé la foi et porté les chaînes sur les pontons de Rochefort. Il administrait le diocèse depuis 17 ans ; bien souvent, le pieux prélat avait pu admirer le désintéressement et le zèle de la famille Prud'homme. A deux reprises différentes, le grand-père du jeune prêtre était venu lui offrir la chapelle de l'Immaculée Conception. Comme son prédécesseur, Mgr. Le Groing la Romagère jugea bon de ne pas accepter ces offres, et voulut que M. Jean-Louis Prud'homme en restât dépositaire. Il était dans les desseins de la Providence que ce sanctuaire fût à la fois l’honneur et le labeur de cette chrétienne famille.

Voulant reconnaître le dévouement du grand-père, et de plus ayant à coeur de garder dans sa ville épiscopale un jeune prêtre qui donnait à l'Église de si grandes espérances, l’évêque nomma l’abbé Prud’homme Directeur de la Congrégation de l'Immaculée-Conception. En même temps, il lui confia, en qualité de custode et de trésorier, l’administration et l’entretien de sa cathédrale. Rien ne pouvait mieux convenir au jeune abbé. Doué d’un goût exquis et d’un talent remarquable, il n’avait pas de plus grand bonheur que celui d’orner la maison de Dieu. D’autre part, son ministère de Directeur de la Congrégation ne le vouait-il pas à ce culte si aimé, si fécond et si consolant de la très sainte Vierge ?

Au contact de son ardente jeunesse, la chapelle de l'Immaculée-Conception reprit une nouvelle vie. Il s’appliqua tout d’abord à rétablir sur des bases solides la Congrégation des hommes ; il en fit imprimer les statuts, rédigea lui-même un historique de l’association et de la chapelle, institua au sein de la Congrégation une caisse de secours mutuels, et suscita de nombreuses adhésions. Là ne pouvait se borner son zèle. Son rêve avait toujours été d’assurer le salut des âmes par la dévotion à la sainte Mère de Dieu : il se fit l’apôtre et le missionnaire de Marie.

Dès l’année 1838, il établit à la chapelle de l'Immaculée-Conception les exercices du mois de Marie qui ne se célébraient publiquement dans aucune église de la ville. Cette dévotion, devint aussitôt populaire. Dès le premier jour et jusqu’à la fin du mois, la foule envahit le saint lieu deux fois par jour, le matin à cinq heures et demie, pour assister à la messe, et le soir à huit heures, pour entendre une lecture ou une pieuse instruction. L’abbé Prud'homme était grandement consolé à la vue de cet enthousiasme ; aussi ne crut-il pas devoir s’en tenir à ces pieuses réunions.

L’année suivante (1839) avec l’autorisation de l’évêque, il inaugura cette splendide procession aux flambeaux qui, depuis, se fait chaque année, le dernier jour du mois de mai. Malgré son grand âge et ses infirmités, le vénéré prélat voulut lui-même présider cette cérémonie, entouré de son clergé et d’une affluence considérable de fidèles.

Cependant, Mgr Le Groing la Romagère rendait son âme à Dieu le 19 février 1841. Un de ses anciens vicaires généraux, M. Le Mée, était appelé à lui succéder. Le nouvel élu choisit l’abbé Prud'homme pour l’accompagner à Paris. A la cour de Louis-Philippe, on fut frappé de l’intelligence et de la rare distinction du jeune prêtre.

Le Directeur de la Congrégation ne voulut pas quitter la capitale sans aller s’agenouiller sur la tombe à peine fermée de Mgr de Quélen, archevêque de Paris.

Loin de se prévaloir de la faveur dont il jouissait auprès du nouvel évêque, l’abbé Prud'homme ne chercha qu’à en faire bénéficier les oeuvres dont il était chargé. En même temps qu’il entreprenait la restauration de la cathédrale, particulièrement du choeur, il transformait les offices qui avaient lieu à la chapelle de l'Immaculée-Conception. De cette époque date l’éclat qu’ont encore aujourd’hui les exercices du mois de Marie. Un prédicateur spécial appartenant souvent à un Ordre religieux, prêche chaque soir ; un choeur de demoiselles, habilement conduit, donne au chant des hymnes et des cantiques une sérieuse valeur artistique ; enfin la bénédiction du très Saint-Sacrement couronne chacune des pieuses réunions.

Avec quel zèle et quel entrain il prépare et organise la procession de clôture, désormais traditionnelle ! Le nouveau Pasteur du diocèse ne craint pas d’interrompre une longue tournée pastorale pour venir présider, comme son prédécesseur, cette splendide manifestation de la foi de son peuple.

Un journal contemporain exprime en termes attachants les vives impressions causées par ce spectacle incomparable : « On conçoit plus facilement qu’on ne décrit l’impression produite par l’éclat varié de toutes ces lumières, par les arabesques étranges et éblouissantes qu’elles dessinaient le long de nos places et de nos rues, par le chant si simple et si gracieux des litanies de la sainte Vierge, que la procession et les fidèles qui se pressaient derrière répétaient à l’envi. Un moment surtout fut beau, c’est celui où la foule entassée et bruyante, sur la grande place, se tut tout à coup devant les premières files de congréganistes qui passaient silencieuses ; puis, bientôt entraînée par ces invocations caressantes et naïves, comme celles du petit enfant à sa mère, elle répondit avec la procession et presque sans s’en apercevoir : Ora pro nobis. Toutes les maisons, spontanément illuminées sur le passage du cortège, témoignaient assez de la sympathie que trouve dans nos murs la Protectrice de la France et de nos marins » (Le Français de l'Ouest, juin 1842).

Ces soins extérieurs ne détournaient pas l’abbé Prud'homme des saintes pratiques qui entretiennent et développent la vie de l’âme. Au jour de son sacerdoce, il s’était tracé un règlement de religieux ; malgré les distractions imprévues, inhérentes à la vie de famille — car il habitait alors chez ses parents — il était fidèle à suivre toutes les prescriptions de ce règlement. « Je ne ferai pas de l’accessoire le principal, écrivait-il en 1840. Le principal, c’est de me sanctifier par la prière et l’étude ; c’est de prendre les moyens de rendre mon minis­ère fructueux ; c’est de faire des oeuvres dignes de ma grande et sublime vocation ». Cet esprit de foi le guidait en toute circonstance.

En 1842, une de ses petites nièces tomba dangereusement malade. Les parents de l’enfant étaient au désespoir. Touché de leur douleur, l’abbé Prud'homme la voue à sainte Anne et promet, si elle guérit, de contribuer dans la mesure de ses forces à la restauration de la petite chapelle de Sainte-Anne du Houlin, lieu de pèlerinage très fréquenté par les briochins. Au bout de quelques jours, le danger disparaît et l’enfant ne tarde pas à se rétablir complètement. Fidèle à ses engagements, l’abbé Prud'homme sollicita et obtint de Mgr Le Mée l’autorisation de restaurer le saint édifice. Ce fut une oeuvre de générosité et de talent.

C’est aussi l’amour des âmes qui le porta, dès les premières années de son ministère, à ne jamais refuser son concours pour la prédication. En 1839, il prêche l’avent à Quintin ; en 1840, il se charge de la station de carême à Pordic ; l’année suivante, il réserve ses soins à la communauté de Montbareil. Chaque année on fait appel à son dévouement ; la maladie seule l’empêche quelquefois d’y répondre. C’est déjà le vrai prêtre, disposé à entreprendre toutes les oeuvres que le bon Dieu lui demande : ad omne opus bonum paratus.

IV. — L’homme d’action.

La chapelle de l'Immaculée-Conception, dont M. l’abbé Prud'homme recevait la charge, était dans un dénuement presque complet. A l’extérieur, un bouquet d’arbres appelé vulgairement le fraîche Saint-Pierre, encadrait l’édifice ; des bancs de bois disposés en étage tout le long de la chapelle et se faisant face constituaient tout le mobilier à l’intérieur. La sacristie était si pauvre que la Fabrique de la cathédrale devait fournir le vin nécessaire à la célébration du saint sacrifice.

L’abbé Prud'homme résolut de remédier à cette pénurie et d’intéresser à l’entretien et à l’embellissement du petit sanctuaire non seulement les congréganistes, mais les habitants de la ville qui aimaient à venir y prier la très sainte Vierge. Dès le 3 mars 1839, il y établit les stations du chemin de la Croix ; quelques mois plus tard, il fit placer une chaire, enfin il acquit une nouvelle cloche qui fut bénite le 24 février 1840 par l’évêque.

Le 10 août 1842, la foudre tomba sur la chapelle. Du sommet de la flèche, le tonnerre pénétra dans le clocher par une lucarne, mit le feu à deux chevrons, brisa le mouton d’une cloche, souda les anneaux de sa chaîne, détacha une partie du lambris intérieur et sortit enfin par une fenêtre du bas côté de la chapelle.

Ebranlé une première fois par la foudre en 1793, le clocher menaçait ruine au point de rendre impossible toute réparation. La croix qui le surmontait s’inclinait d’une façon inquiétante. Force était de le reconstruire. Or, la caisse de la Congrégation était loin d’être riche. Ses recettes annuelles qui, dans les temps les plus prospères ne dépassaient guère 600 francs, étaient absorbées par l’entretien de l’édifice et les secours aux congréganistes malades. Néanmoins, les pieux confrères et leur vaillant Directeur ne perdirent pas courage et s’engagèrent chacun selon ses moyens, à réparer le désastre. Le 8 décembre, jour de leur fête patronale, après avoir entendu la Messe, les congréganistes se divisèrent en escouades, les uns pour abattre l’ancien clocher, les autres pour transplanter les arbres du placis, d’autres enfin pour extraire et charroyer les matériaux nécessaires. Comme leurs aînés de 1717, ces braves chrétiens, pendant tout l’hiver, se mirent spontanément et gratuitement au service de leur auguste Reine, heureux de contribuer par leur labeur à la construction de la maison de Dieu. L’abbé Prud'homme les encourageait de parole et d’exemple. Il était l’âme de tous ces travaux. Lui-même avait dressé le plan de la nouvelle tour et du porche ; lui-même surveillait l’exécution du travail. De ses propres deniers, il acquit dans la vallée du Gouët une carrière qu’il fit exploiter par ses congréganistes. Il obtint aussi de son oncle, propriétaire du terrain avoisinant la chapelle, une parcelle où il comptait trouver du sable et du granit. En même temps il tendit la main aux fidèles de la ville et organisa deux loteries. Non content d’applaudir à tant de zèle en venant lui-même bénir la première pierre de la nouvelle construction, le 2 février 1843, le jeune évêque de Saint-Brieuc, Mgr Le Mée, fit une généreuse offrande et mit les salons de son palais à la disposition de M. Prud'homme pour l’exposition des lots et le tirage des billets. Toutefois, les ressources recueillies ne tar­dèrent pas à s’épuiser et force fut d’arrêter les travaux à la naissance de la flèche. Ils ne devaient être repris qu’en 1853, lors de la construction de la basilique actuelle.

Cette tour est de style ogival. Elle est percée à sa base d’un porche à faisceau de colonnettes cylindriques, pour lesquelles on a très heureusement employé ce rare schiste vert, dont les architectes de Beauport avaient si brillamment inauguré l’usage aux XIIème et XIIIème siècles, tant à Beauport qu’au prieuré de Fontaines près de Châtelaudren. Si ses dimensions paraissent aujourd’hui un peu étroites à côté du grand vaisseau qui y a été juxtaposé beaucoup plus tard, il est facile de comprendre que l’architecte de 1843 ne pouvait pas compter sur un pareil développement de son oeuvre.

« C’est dans ce porche que l’on voit une série de statues en pierres de Caen que je mets sans hésitation au premier rang parmi les ouvrages de M. Ogé. C’est là, si je ne me trompe, qu’il a montré pour la première fois ce côté, à la fois naïf et élégant, de son talent, qui le rattache directement aux meilleurs imagiers de la première moitié du XVIème siècle.

Ces figures, qui mesurent un mètre cinquante environ, sont vraiment excellentes, particulièrement celle de saint Yves, celle de saint Guillaume et celle de saint Étienne. Les grandes statues de saint Pierre et de saint Paul, qui flanquent la tour à l’extérieur, sont également d'Ogé » [Note : Monographie de Notre-Dame d'Espérance, par deux associés de l'Archiconfrérie (1865), page 19].

V. — L’homme de zèle.

L’activité du jeune Directeur de la Congrégation ne se bornait pas à l’entretien et à la réparation du temple matériel. Pénétré des sentiments surnaturels qui animent les âmes vraiment sacerdotales, l’abbé Prud'homme ne perdait aucune occasion de travailler à la sanctification et au salut du prochain.

Au mois de janvier 1844, la Conférence de Saint-Vincent de Paul, qui ne comptait à Saint-Brieuc que deux années d’existence, avait fondé un patronage pour les enfants des familles secourues et pour les jeunes apprentis de la ville. Les enfants se réunirent d’abord à l’école des Frères ; mais leur nombre venant à augmenter, on dut chercher un local plus spacieux et spécialement affecté à l'Œuvre. Au mois de septembre 1845, Mgr. Le Mée qui appréciait le bien produit par le Patronage, offrit une maison située au haut de la côte Saint-Pierre et qui dépendait de l’évêché. En même temps, il demanda à M. Prud'homme, qu’il avait nommé aumônier du Patronage dès sa fondation, d’accueillir tous les dimanches soirs, dans la chapelle de l'Immaculée-Conception, les petits patronnés et les membres de la conférence de Saint-Vincent de Paul qui les dirigeaient. L’abbé Prud'homme se rendit avec empressement au désir de son évêque, et dès lors, chaque semaine, il distribuait à son jeune auditoire, sous forme de catéchisme de persévérance et de conférence, les vérités religieuses et les bons conseils. Le dévouement qu’il témoignait aux jeunes apprentis ne lui faisait pas oublier sa chère Congrégation, composée en majeure partie d’ouvriers. Bien souvent, il avait remarqué l’état de gêne, pour ne pas dire de misère, dans lequel tombaient leurs familles dès que le chef était atteint par la maladie. Il résolut d’y remédier en instituant, au sein de la Congrégation, une caisse de Secours mutuels. Il en rédigea lui-même les statuts qui furent adoptés en séance générale le dimanche 7 décembre 1845. Chaque souscripteur devait verser 25 centimes par mois pour alimenter la caisse et pouvait recevoir, en cas de maladie entraînant l’incapacité de travailler, un secours quotidien de 50 centimes. Bien modeste était cette rétribution ; elle suffit cependant en se répétant, à mettre plus d’une famille à l’abri du besoin. En même temps, il fit élire parmi les meilleurs congréganistes douze délégués de quartiers, avec mission de porter aux confrères de leur section, le secours fixé, et surtout les bonnes paroles et les consolations que recherchent tant les pauvres malades.

C’est ainsi qu’à une époque où l’on s’occupait encore assez peu d'oeuvres sociales, l’abbé Prud'homme inaugurait à Saint-Brieuc les deux institutions les plus utiles à la classe ouvrière : Patronage et Mutualité.

Il travaillait aussi à développer autour de lui l’esprit de piété et l’amour des cérémonies religieuses. A sa demande, l’évêque de Saint-Brieuc autorisa l’exposition du Saint-Sacrement, pendant toute la journée du 8 décembre de chaque année, jour de la fête patronale de la Congrégation, à la chapelle de l'Immaculée-Conception.

Lors de la construction de la nouvelle tour, les congréganistes avaient exploité, à proximité du sanctuaire, une carrière de sable et de pierre au bord même de la route ; l’abbé Prud'homme eut l'heureuse pensée d’utiliser ces fouilles pour y aménager une chapelle souterraine. Son intention était de consacrer cette crypte à la mémoire des souffrances et de la mort de notre divin Sauveur et de la compassion de la très sainte Vierge Marie. Mgr. Le Mée approuva fort cette idée, et le 2 avril 1846, il rendit une Ordonnance autorisant l’ouverture de la chapelle souterraine et permettant d’y célébrer la messe toue les jours. Le lendemain, Sa Grandeur, entourée du clergé de la ville, procéda à la bénédiction du nouveau sanctuaire, qui se trouva merveilleusement adapté aux exercices de dévotion en usage dans la Congrégation pendant la Semaine sainte et qui, depuis plusieurs années, abrite la précieuse relique du Voile de la sainte Vierge, le jour du grand pardon. Cette crypte a son entrée principale au sommet de la rue Saint-Pierre, dans le flanc même du monticule qui supporte la basilique. Un portail ancien, de forme gothique, provenant de l’ancienne chapelle de la Madeleine, y donne accès. Un escalier intérieur permet aussi de communiquer avec l’église supérieure. L’aspect de ce souterrain évoque le souvenir des catacombes ; l'obscurité n’y est contrariée que par une prise de jour qui rappelle beaucoup les lucernaires de la campagne romaine.

Rien de plus gracieux que l'ornementation de ce petit sanctuaire au jour du grand pèlerinage. Ses murs noircis par le temps et l’humidité disparaissent sous les guirlandes, les touffes de verdure et les corbeilles de fleurs. Deux autels y sont dressés : celui du fond supporte l’image bénie de Notre-Dame au pied de laquelle est posé le reliquaire ; l’autre, en pierre, et placé en côté, est surmonté d’une croix entourée d’un suaire, en mémoire de la Passion de Notre-Seigneur.

La chapelle de l'Immaculée-Conception qui, en 1717, avait remplacé l’oratoire séculaire de Saint-Pierre, ne possédait aucune relique du Prince des Apôtres. L’abbé Prud'homme cherchait depuis longtemps à se procurer un aussi précieux trésor. Au mois de mai 1845, se présenta l’occasion favorable. Son ami, l’abbé Limon, secrétaire de l’évêché, accompagnait à Rome un des vicaires généraux que Mgr. Le Mée avait délégué pour sa visite ad limina. Secondant les désirs du zélé Directeur, il sollicita et fut assez heureux pour obtenir quelques parcelles des ossements des saints Apôtres Pierre et Paul. L’abbé Prud'homme, au comble de la joie, s’entendit avec l’évêque pour les recevoir avec le plus grand apparat. La translation en fut fixée au dimanche 5 juillet 1846, jour où l'Église célébrait la solennité du Prince des Apôtres. Ce fut l’occasion d’une cérémonie impressionnante.

Dès la veille, aux vêpres, les précieux ossements furent exposés dans le choeur de la cathédrale ; au prône de la grand'messe, on lut une ordonnance de Mgr. Le Mée convoquant pour la procession de l’après-midi le clergé et les fidèles de la ville. Après les vêpres, le cortège se mit en marche à travers les rues de la Clouterie, de Saint-Gilles, des Pavés-Neufs, des Bouchers, de Brest et de la place Saint-Pierre. Les sapeurs-pompiers ouvrent la marche ; après eux les associés de la Confrérie paroissiale du Sacré-Cœur, la Congrégation des demoiselles, la Congrégation des hommes, tous les élèves du Grand Séminaire et le clergé. Dans les rangs des ordinands, on remarque une croix à trois branches, insigne du pouvoir pontifical dont saint Pierre fut le premier investi, et une oriflamme avec ces paroles qui rappellent la mission divine du Prince des Apôtres : Quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in cælis. Quodcumque solveris super terram erit solutum et in cælis. A quelque distance, quatre autres séminaristes portent sur un brancard une tiare avec les trois couronnes posées sur deux clefs. Aux côtés de ce brancard deux congréganistes arborent de grands drapeaux où se détachent les textes : Tu es Petrus... portæ inferi non prœvalebunt, et : Tibi dabo claves regni cælorum. Derrière la croix du clergé, les tambours de la compagnie des pompiers alternent avec le chant de l’hymne : O vos Unanimes. Quatre thuriféraires revêtus d’aubes et de ceintures de soie cramoisie précèdent les reliques que portent alternativement huit diacres revêtus de dalmatiques de drap d’or ou de soie rouge. Le reliquaire et le couronnement en bois doré qui sert chaque année à pareille fête furent inaugurés ce jour. Quatre anciens préfets de la Congrégation portaient les cordons du brancard ; c’étaient : MM. Jacques Le Mée, Ludovic Prud'homme, Alain Le Gal et Jean-Marie Rault. Tous les chanoines étaient parés de chapes comme pour les processions de la Fête-Dieu. En l’absence de l’évêque, en cours de visites pastorales, son vicaire général, M. le Borgne, présidait et fermait la marche, suivi d’une foule immense de fidèles.

A leur entrée dans le sanctuaire qui devait les posséder, les saintes reliques reçurent les honneurs de l’encensement ; puis le curé de la cathédrale, M. Épivent [Note : qui devint par la suite évêque d'Aire], dans un éloquent sermon, célébra les gloires de la Papauté, rendit un éclatant hommage à la mémoire de Grégoire XVI qui avait concédé les précieuses reliques à la chapelle et dont la mort venait d’endeuiller l'Église ; enfin il saluait dans la toute récente élection de Pie IX la miséricorde infinie de Dieu qui sèche les larmes de son Épouse dès que le deuil est venu la frapper. Après la bénédiction du T. S.-Sacrement et le chant du Te Deum, le clergé et les fidèles furent admis à vénérer les restes vénérables des SS. Apôtres.

Le pieux évêque de Saint-Brieuc qui n’avait pu présider cette solennelle translation, voulut cependant satisfaire sa dévotion. Le dimanche suivant, il se rendit à la chapelle de l'Immaculée-Conception, y célébra la sainte messe, adressa une touchante allocution à l'assemblée des congréganistes et rappela aux fidèles qu’il avait accordé 40 jours d’indulgence à tous ceux qui prieraient devant les reliques exposées. Bien plus, il sollicita et obtint du Souverain Pontife la concession à perpétuité d’une indulgence plénière pour chacune des principales fêtes en l’honneur des saints apôtres Pierre et Paul, et ordonna que l’exposition des précieuses reliques eût lieu à ces quatre fêtes et pendant leurs octaves. Le décret qui accorde ces faveurs spirituelles est du 15 janvier 1847.

C’est ainsi que, grâce au zèle de l’abbé Prud'homme, la petite chapelle de la Reine du Ciel devenait un centre d’ardente piété : les fidèles y trouvaient un attrait inconnu jusqu’alors.

Mgr. Le Mée n’avait pas attendu cette époque pour encourager et récompenser l’initiateur de ce consolant mouvement. Dès 1841, il avait songé à le nommer chanoine honoraire ; mais le jeune prêtre avait trouvé de si bonnes raisons que le prélat avait dû battre en retraite. Aussi, quand il voulut lui conférer cette dignité, il eut soin de l’en investir pour ainsi dire de force : « Mon bon M. Paul, lui écrivait-il le 14 mai 1845, je n’ai pas perdu de vue ce que j’avais voulu faire, il y a quatre ans. Vous me priâtes alors de le différer. Le délai a été assez long et je viens vous dire aujourd’hui que je vous ai nommé chanoine honoraire de ma cathédrale. Je vous envoie ci-jointes les lettres de votre nomination. J’ai voulu vous témoigner par là combien j’avais été touché de l’attachement si vrai et si rempli de dévouement que vous me prouvâtes à l’époque de mon élévation à l’épiscopat et que vous n’avez cessé de me prouver depuis. Vous saurez que vous n’aurez pas aimé un ingrat. Puis, mon bon Paul, j’apprécie les soins si intelligents que vous donnez à notre cathédrale et la manière si remarquable avec laquelle vous en conduisez la restauration. Je ne puis me dispenser non plus de reconnaître votre zèle dans la direction de la Congrégation des hommes de cette ville et celle des jeunes apprentis et par la suite, je l’espère, celle des jeunes gens qui s’adjoindront aux jeunes apprentis pour profiter de vos bonnes instructions. Tels sont les motifs qui m’ont déterminé à vous distinguer entre bien d’autres, du reste très recommandables aussi ».

L’abbé Prud'homme avait alors trente-trois ans ; l’heure approchait où son activité et son zèle allaient se déployer sur un champ plus vaste (J. Cadiou).

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