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LE MANOIR DE LA FIOLAYE A SAINT-SENOUX EN BRETAGNE |
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Sur un des plus riants coteaux qui bordent la Vilaine, au milieu des bois de la Molière, vis-à-vis le château du Boschet, s'élève une maison d'ordinaire apparence, construite de 1825 à 1830. Elle est entourée de larges terrasses et de charmilles qui remontent à une époque beaucoup plus éloignée. A sa place, en effet, vers le milieu du XVIIème siècle, avait été construit un manoir, composé (si l'on s'en rapporte à ceux qui l'ont vu avant sa démolition) d'une cuisine et d'une grande salle au rez-de-chaussée, chambres au-dessus. La salle a été conservée avec son panneau et cheminée de bois sculpté, style Louis XIV. Mais ce qui donnait du cachet à ce manoir, c'est qu'il était flanqué à gauche d'un porche s'ouvrant sur le grand escalier de la terrasse ; une porte à droite donnait accès dans le manoir, et dans la toiture, à la forme contournée, se trouvait une mansarde à fronton de pierre, surmonté d'un campanile à jour, terminé par la girouetté féodale, selon la coutume du temps.
Cette maison avait été bâtie par Jean de Lescouët (ou Lescoët), sieur de la Guerrande, dont la famille possédait par alliance le Boschet.
Son frère, Auffray de Lescouët, conseiller au Parlement, premier président aux Comptes en 1596, avait épousé en 1585 Suzanne Challot, dame du Boschet.
Il appartenait à une famille d'ancienne extraction ; onze générations reconnues à la Réformation de 1669 : seigneur de Lescoët, paroisse de Landehan ; sieur de la Guerrande, paroisse d'Hénan-Bihen ; sieur de la Chalouzaie, paroisse de Bourg-des-Comptes.
La terre du Boschet, même paroisse, avait été érigée en sa faveur en vicomté, en 1608, par lettres du mois de juillet, enregistrées à Rennes et à Nantes le 17 février et le 27 mars 1609.
La petite propriété de la Fiolaye, au contraire, était un bien essentiellement roturier, et cette étude a pour but d'en montrer l'origine, en racontant ce que le sieur de Lescouët avait entrepris pour la relever et en faire une terre noble.
En 1556, dom Jean Gaultier, chantre et chanoine de l'église Notre-Dame de Nantes, possédait au hameau de la Fiolaye, paroisse de Saint-Senoux, dont il était originaire, une maison et jardin valant alors 40 livres de rente. Par son testament, du 5 avril 1556, il les laissa à l'Eglise, Pour faire prier Dieu à son intention, à cette condition que le plus proche de ses parents, prêtre ou étudiant pour l'être, serait titulaire de la chapellenie qu'il fondait, ce qui fut exécuté jusque vers l'an 1630 environ. La présentation était à la famille.
Il ordonna de construire une chapelle contiguë à l'église de Saint-Senoux, du côté sénestre du chœur, pour y dire les messes de la Société qu'il voulait fonder. C'est la chapelle actuelle de la Sainte Vierge, aujourd'hui démolie, pour la reconstruction de l'église.
Par ce testament, il confirmait le legs fait par dom Pierre (quelques pièces disent Michel) Gaultier, son oncle, de la métairie de Mauny à l'église de Saint-Senoux : cette métairie fut plus tard échangée avec celle de la Pronaye, même paroisse, en 1673, avec permission de l'évêque de Saint-Malo, du diocèse duquel elle faisait partie.
Dom Jean Gaultier avait un frère aîné, aussi nommé Jean, qui était recteur de Saint-Senoux, ainsi que le prouve une procuration du 31 mai 1541, donnée par lui à ce frère et faite à Nantes. Il mentionne également, dans son testament, plusieurs de ses neveux, prêtres comme lui : Messire Guillaume Gaultier, recteur de Guémené-Penfao ; dom Julien Gaultier, son frère, recteur de Saint-Malo-de-Phily, et messire Pierre Gaultier, recteur de Goven.
Dom Jean Gaultier fondait encore une messe de Requiem solennelle, annuelle à perpétuité, dans l'église Notre-Dame de Nantes, le jour de la fête des saints Abdon et Sennen, et il demanda à être inhumé dans la chapelle Saint-Claude de cette église. Son testament fut déposé aux Archives de Saint-Malo-de-Beignon et du Chapitre de Saint-Pierre de Rennes. Une copie en existe, texte latin et français, dans les Archives du château de la Molière. Le fondateur, pour tout cela, confiait audit Chapitre une somme de 2,100 livres, dont la rente était remise à la société de sept chapelains chargés de célébrer, à son intention, sept messes, à haute voix, chaque semaine.
Voici les noms des prêtres de la société établie par lui, ainsi que s'en trouve la liste dans le Journal manuscrit de messire Jean Robinaut, seigneur de la Molière : dom Macé Dubois ; dom Macé Lelièvre, lequel afferma, le 5 novembre 1583, la cure de Saint-Senoux du recteur Léonard Durand, moyennant 200 liv. tournois chaque année (il résidait au presbytère, à la place du recteur) ; dom Jean Théaudin, dom Jean Bretin, dom Robert Bazille, dom Michel Lecompte. Ces noms sont encore aujourd'hui ceux de plusieurs familles de cultivateurs habitant la commune de Saint-Senoux.
Serait-ce un reste de cette société de prêtres qui existait en 1702, date à laquelle nous trouvons la note suivante dans le journal mentionné, plus haut ? « Dom Julien Jan, âgé de soixante-dix-sept ans, mourut le 13 mai 1702 : il vécut dans l'innocence, au milieu de la corruption, dans la compagnie de dom P. Bretin, dom Macé Maréchal et dom Philippe Bretin, tous grands scélérats et grands débauchés ». Il y a lieu de le croire.
Vers l'an 1630, le dernier possesseur de cette chapellenie ou prestimonie était messire Robert Le Vieil, recteur de Saint-Senoux de 1616 à 1629, et il ne restait plus personne de la famille Gaultier capable d'en être titulaire suivant la volonté du testateur. Ce fut alors que Jean de Lescouët se la fit adjuger, quoique laïc et sans aucun lien de parenté avec le donateur. Ce transfert ne se fit pas toutefois sans réclamation, car le 4 janvier 1645 il fut obligé de transiger avec dom Philippe Richard, prêtre, d'autres disent recteur de Laillé, lequel consentit à ce que le sieur de Lescouët, marié ou non, jouit du légat de la Fiolaye, moyennant une rente annuelle de 50 liv., le 4 janvier 1645.
Cependant, comme il s'était marié à l'âge de soixante ans, vers 1658 ou 1659, Jean de Lescouët crut devoir donner sa démission de cette chapelenie, et dom Philippe Bertin, sieur de Larjumais, demeurant à la Pavoisinière, en Guignen, parent du fondateur et prêtre de la paroisse de Guignen, fut désigné par la Maire partie (comme il est dit dans le testament) des descendants Gaultier. Ce dom Bertin n'en profita guère, car, poursuivi en justice pour des faits graves, après enquête faite en la juridiction de la Molière, il fut condamné à être pendu en 1669.
Tout en renonçant à la chapellenie, Jean de Lescouët voulut conserver la Fiolaye, ou il avait fait faire beaucoup de réparations, comme il est constant par un procès-verbal de Jean Bouguets, avocat à la Cour, et seul juge de la juridiction de Bagatz (la Fiolaye relevait de cette seigneurie). La maison d'habitation ou prestimonie avait été brûlée pendant les guerres de la Ligue [Note : Sans doute quand le sieur de Montbarot, huguenot zélé qui tenait pour le roi, avait envoyé ses compagnies tenir garnison au Chastellier, à la Réauté (en Bourg-des-Comptes) et plusieurs autres places fortes].
« Le 4 juillet 1654, écrivait l'avocat dans son procès-verbal, à notre logis, en la ville de Guichen, a comparu messire Jean de Lescouët, lequel nous a remontré que, en 1629, il avait été pourvu du légat et prestimonie de la Fiolaye, à condition de rétablir les choses tombées par le désordre des guerres civiles, etc. ». Il demandait une visite des lieux, pour constater les réparations et augmentations qu'il avait faites, lesquelles montaient à plus de 1,700 liv.
Le manoir se composait alors d'une salle basse, pavée de carreaux, avec une allée vers la cuisine, escalier, petite chambre et tonnelle (privé). Au-dessus, cabinet sur la cuisine, chambre et privé. Le sieur de Lescouët, en considération de cette restauration complète, entendait bien ne pas être dépossédé. Aussi, avec l'approbation de l'évêque de Saint-Malo, en 1662, il échangea contre la Fiolaye la métairie de la Picardière, en Saint-Senoux, qu'il avait achetée peu auparavant du même dom Philippe Bertin, cité plus haut.
C'est ainsi que les métairies de la Fiolaye et de Mauny, données par les Gaultier à l'Eglise, furent échangées pour celles de la Picardière et de la Pronais.
Jean de Lescouët, qui songeait à donner le plus d'importance possible à la petite terre dont il était maintenant l'incontesté propriétaire, bâtit une chapelle dans la cour de son manoir, selon la coutume générale en ce temps-là. Nous n'avons pas la date certaine de cette construction, mais elle existait en 1670, car il fit, le 13 juin de cette année, une fondation de la somme de 26 liv. pour y dire une messe chaque dimanche de l'année. Cette rente perpétuelle est demeurée, jusqu'à ces derniers temps, attaché à la maison et terre de la Fiolaye. En 1671 Jean Vallays en était chapelain.
Cette chapelle vient d'être restaurée avec soin, et l'archevêque de Rennes, au mois de septembre 1894, a permis d'y célébrer la messe tous les jours, excepté le dimanche. Comme construction, rien ne la distingue des édifices de cette époque : des murs droits, un chevet à trois pans et deux fenêtres, une armoire dans le mur pour sacristie, un autel plein, en bois, avec des moulures de l'époque, une fresque au-dessus, manteau royal de pourpre et d'hermines, surmonté d'une couronne ; et, chose singulière, au-dessous de cette couronne un bâton fleurdelisé autour duquel est enroulée une écharpe blanche.
La porte est cintrée, au bas une légère moulure, et le pignon est surmonté d'un campanile sans aucun cachet.
Le jardin n'avait point été négligé ; des terrasses avaient été élevées, des charmilles plantées, selon la mode du temps, et, dans la direction de la grande allée, un mail bordé de chênes, dont quelques-uns sont encore debout, conduisait à l'extrémité du coteau, vis-à-vis même le Boschet, où habitait le frère du sieur de la Guerrande.
Tous ces embellissements donnaient à la propriété un air seigneurial : Jean de Lescouët voulait des droits. Il aurait réussi peut-être, s'il n'avait eu un voisin, seigneur de la paroisse de Saint-Senoux, aussi fort décidé à défendre les siens. Jean Robinaut, essuyer, sieur de la Molière, était le petit-fils de Jean Robinaut, sieur de la Haye de Mordelles, lequel, en 1635, avait échangé cette terre d'avec Nicolas de Morays contre la maison de la Reynardière, appartenant à Perronnelle du Bouexic, son épouse [Note : Ce Jean Robinaut, sieur de la Budorais, paroisse de Saint-Médard-sur-Ille, de la Fontaine, du Plessis, du Bois-Basset, paroisse de Saint-Ouen-la-Chapelle, de Mainteniac, paroisse de Pléchâtel, fut reconnu de famille noble à la Réformation de 1668, par sept générations. En 1478, Perrin Robinaut était l'époux de Jeanne de Plouer, dont il eut : 1° Guillaume, sieur de la Budorais, marié à Perrine de l'Estourbeillon ; 2° Jean, marié à Jeanne de Porcon].
La Molière était un fief relevant directement du roi, avec haute, moyenne et basse justice ; vingt minutes de marche seulement séparent le château du manoir de la Fiolaye.
Une lande commune, appelée les « Puiseaux, » à cause peut-être des sources qui l'arrosent, fournit bientôt au sieur de la Molière l'occasion de brider l'ambition de J. de Lescouët, qui voulait jouer au châtelain. C'était assez d'un dans la paroisse.
Au milieu de cette lande existe une fontaine où, de tout temps, les habitants du village allaient puiser de l'eau : il la fit maçonner, paver au fond, etc. Les paysans, selon leur coutume, le laissaient faire, heureux de la commodité qu'ils devaient en retirer.
Jean de Lescouët ayant acheté, pour s'arrondir, plusieurs morceaux de terre d'avec les habitants du village, s'imaginait par là avoir recueilli à son bénéfice exclusif le droit qu'avait chacun d'eux sur la fontaine. Il s'apprêtait donc à la couvrir, quand il laissa voir l'intention d'en confisquer l'usage à son profit, en l'interdisant à tout autre. Comme conséquence, le droit de pacage et d'abreuver les bestiaux devait être également interdit. Grand émoi dans le village, lequel dépendait de la juridiction de Bagatz, paroisse de Guichen. Appel est fait par les habitants. Jean Robinaut, qui était aux aguets, s'empresse de saisir l'occasion d'humilier son voisin. Mme la marquise de la Vallière, seigneur de Bagatz, étant alors absente, par son consentement, il fait évoquer l'affaire par devant la juridiction de la Molière, comme ayant haute justice, appelle à comparaître le sieur de la Guerrande, et se donne le plaisir de le condamner sans appel [Note : Les sieurs de Bagatz, dont Raoul, connétable de Rennes en 1451, s'étaient fondus dans les Villeblanche, dont Claude, panetier de la reine Claude, en 1552, fondus eux-mêmes dans les d'Espinay. Guy d'Espinay vendit ses biens en 1550, et vers cette époque Bagatz passa à la famille du Pan, dont l'héritière, Perronnelle du Pan, dame du Pan et de Bagatz, épousa Bertrand Glé, sieur de la Costardaye. En 1663, Gabrielle, dame du palais de la reine Marie-Thérèse, épousa Jean-François Le Blanc de la Baume, frère de la duchesse de la Vallière. (M. le chanoine Guillotin de Corson). C'était sans doute la femme de ce dernier qui, veuve et marquise de la Vallière, donna procuration au seigneur de la Molière dans l'affaire des Puceaux (Puiseaux)].
La construction du réservoir de la fontaine en est demeurée inachevée, et les gens du village, confirmés dans leur jouissance séculaire, continuent d'y venir puiser l'eau.
Ils se plaignaient aussi que le sieur de la Guerrande agrandit sa cour à leurs dépens ; mais de ces plaintes, consignées pourtant dans les papiers de la Molière, il n'est rien résulté. J. Robinaut ne considérait, peut-être pas la chose comme grave ; peut-être aussi la possession des habitants du village n'était-elle pas certaine. Etait-ce des communs ? On peut le supposer. On peut penser aussi que les agrandissements n'étaient pas de grande conséquence ; pourtant, d'après l'examen des lieux, ils ont dû faire détourner des chemins.
Mais le plus grave fut la quasi entreprise d'introduire un banc dans l'église de Saint-Senoux. On sait quels avantages donnait ce droit, réservé aux seigneurs et patrons seulement.
J. Robinaut, n'y tenant plus, usa de grands moyens : il était seigneur unique et prétendait bien le demeurer.
Pour donner une juste idée de ces querelles, des mœurs et des préjugés du temps, je ne puis mieux faire que de transcrire ici le long plaidoyer qu'il adressa, vers 1672 :
« A M. du Plessis-Ravenel, Rennes [Note : Dans son Journal ou Livre de raison, J. Robinaut, fait cette mention : « M. du Plessis-Ravenel, conseiller au Parlement, d'heureuse mémoire, le père des pauvres, le refuge des affligés, est décédé, au grand regret de tout le monde, le 14 octobre 1673, environ onze heures du matin, et enterré aux Carmes le lendemain ». Les Ravenel, sieurs du Plessis, étaient originaires de Picardie. Cette famille a fourni trois conseillers au Présidial de Rennes depuis 1622, un maître de comptes en 1676].
Monsieur, il y a quelque temps que j'eus l’honneur de vous parler du dessein que j'ai fait de faire oster le banc qui est dans la chapelle de l'église de Saint-Senou, et dont M. de la Guerrande a pris possession il y a environ huit ans ; mais comme c'est une affaire de longue discussion, je crois qu'il est nécessaire de vous en remettre l'espèce et de vous informer plus amplement de l'origine et la fondation de la Fiolaye.
Vous sçaurés doncque Jean Gaultier, prestre, recteur de ma paroisse et originaire d'icelle, chantre et chanoine de Notre-Dame de Nantes, né de pauvres parents tous roturiers, fonda, l'an 1556, sa petite maisonnette de la Fiolaye, située dans le village du même nom, valant peut-être 40 livres de rente et toute roturière, dépendant de quatre ou cinq seigneurs, et la laissa à l'Eglise par son testament pour faire prier Dieu pour lui, à condition que le plus proche de ses parents, prestre ou estudiant pour l'estre, nommé par les plus proches de sa famille, posséderait sa chapellenie, ce qui s'est toujours exécuté jusqu'à l'an 1630 ou environ.
Il y a mesme un article du testament qui porte : « Je veux et ordonne qu’il soit construit une chapelle contiguë à l'église de Saint-Senou, du côté senestre du cœur (sic) de ladite église, et en ladite chapelle se diront les messes de la société fondée par moi en ladite église ». Ce qui s'est aussi exécuté.
Il arriva qu'environ l'an 1630, ne se trouvant point de prestre de la famille capable de posséder ladite chapellenie, qui n'est qu'une simple prestimonie ne dépendant ny du Pape ny de l'évesque, mais seulement de la présentation des parents, M. de la Guerrande n'ayant point de retraite assurée que chez son frère, brigua le suffrage desdits parents, qui sont tous la plupart de pauvres paisants de ma paroisse et mes sujets, et obtint permission de posséder ce petit taudis [Note : A remarquer les diminutifs employés à dessein par le plaignant], à condition de faire dire les messes et accomplir les autres choses portées par le testament, nonobstant l'opposition de messire Richard, recteur de Laillé, et feu Villeneufve-Valais, procureur au Parlement, et la posséda jusqu'à l'an 1658 ou 59, qu'il s'avisa de se marier.
Mais comme il ne lui était plus permis de posséder une femme et un bénéfice, voiant qu'il estait sur le point d'estre chassé de sa chère maison, où il avait employé plus de 15,000 livres à faire des allées et à aplanir des montagnes, et regrettant de perdre les augmentations et améliorations qu'il avait faictes, il eut recours aux moiens les plus seurs qu'il lui fut possible d'imaginer : l'occasion luy en fournit un bien favorable, car, l'an 1661, dom Philippe Bertin, prestre, le plus proche parent de la famille des Gaultier et présenté comme tel par les parents, l'homme le plus abominable qui ait paru depuis quelques années, faussaire, larron, incestueux, etc., se voiant poussé à bout par un homicide qu'il avait commis, et n'ayant point d'argent pour s'en justifier, s'adressa à M. de la Guerrande, qui lui presta 12 ou 1,500 liv., pour le paiement de laquelle somme il lui vendit une métairie nommée la Picardière [Note : Village au Sud-Ouest du bourg de Saint-Senoux], le lieu de sa résidence ordinaire. Le sieur de la Guerrande ayant fait cet acquêt dudit Bretin, passa un contrat d'eschange avec lui de la métaierie de la Picardière, nouvellement acquise dudit Bretin, avec la maison et chaplenie de la Fiolaye, dont ledit Philippe Bretin était titulaire, le tout du consentement des plus proches parents de la famille desdits Gaultier, fondateurs. Ainsi, sans beaucoup de peine, il demeura maistre et seigneur de sa chère Fiolaye.
L'eschange est faicte du consentement de Mgr de la Villemontée, évesque de Saint-Malo, au pied du procès-verbal de Mess. de l'officialité de Beignon, en présence de priseurs et arpenteurs nobles, suivant la requeste présentée par ledit Bretin, titulaire, et M. de la Guerrande.
Mais comme l'ambition n'a point de bornes, ledit seigneur de la Guerrande, n'estant pas content de ses allées et de ses promenades, voiant que sa maison estoit située dans le milieu d'un village, dont il a fallu chasser quatorze païsans pour avoir sa cour libre, qui n'est pourtant pas encore régulière, il jugea à propos de l'orner de quelques prééminences d'église : il en fit souvent importuner ma grand'mère [Note : Jeanne de Quéjant, dame de la Molière, veuve de Jean Robinaut] par ledit Bretin, la suppliant avec toutes les instances imaginables de luy accorder cette faveur ; mais comme elle n'y voulut jamais entendre, il creut qu'il estoit de la bienséance de les usurper à tout hazard.
C'est pourquoi, après l'homologation de son contrat, qui fut le 20 septembre 1661, M. du Chesnai-Thébaut estant commis pour mettre les parties en possession, ledit seigneur de la Guerrande prit possession de ladite chapelle fondée par dom Jean Gaultier, et même d'un petit banc à queue, avec une chaise y attachée, estant dans ladite chapelle.
La possession est du 10 décembre 1663 : ma grand'mère avait donné ordre à M. Furmier, son procureur, de s'opposer à l'appropriment, mais il n'en fist rien, bien qu'il le lui eust promis, gagné peut-être par M. de la Guerrande. S'il y eut de la fraude en la possession, il n'y en eut pas moins dans les bannies ; car le sergent qui avait charge de les faire ne s'en voulut pas donner la peine et ne laissa pas de les vérifier.
Environ deux ans apprès, nous allâmes en conseil, M. du Bouëxic [Note : Les du Bouëxic, sieurs de Pinieux, paroisse de Limerzel, reçurent le titre de vicomtes de la Driennais, paroisse de Saint-Malo-de-Phily, en 1657 ; également sieurs de la Grézillonnaye et de Guichen, paroisse de ce nom], M. de la Cloutaie et moi, chez M. de la Maisonneufve-Lemoine [Note : Le Moyne, sieur de la Courbe et de la Maison-Neuve, était procureur syndic à Rennes de 1668 à 1670. Un autre, Jean, mort en 1723, fut greffier aux requêtes du Parlement en 1673] pour trouver des moïens d'empêcher la possession ; enfin, le tout examiné, on dit qu'il ne fallait pas trop laisser vieillir l'affaire, que M. de la Guerrande était vieux, etc., que je le ferais oster après sa mort et qu'ainsi j'éviterais l'orage dont il me menaçait à tous moments : en traitant cette prétendue et imaginaire possession de sottise, disant que des païsants n'estoient point capables de donner des prééminences, ces choses estant de telle nature qu'elles devaient toujours estre attachées à quelque maison noble ou seigneurie, et mesme que, tandis que mes armes, lisière ou ceinture subsisteraient dans la chappelle et dehors, cela estait capable d'empescher la prescription et de m'en conserver la possession. Per signum enim retinetur signatum, signa affixa retinent possessionem rei signatæ, ut pater in tumbis ecclesiarum, insignibus, etc., comme dit d'Argentré au livre des Appropriements ».
Après ce long exposé, après la décision ci-dessus, prise en conseil chez M. de la Maisonneuve, on pourrait penser que le seigneur de la Molière aurait arrêté là ses revendications ; mais ayant été jusque-là le seul maître dans la paroisse de Saint-Senoux, il lui semblait intolérable que quelque autre eût seulement l'air d'empiéter sur ses droits. Il a beau rabaisser le petit domaine de la Fiolaye, insister sur son origine roturière, cela ne lui suffit pas ; il continue, sans ménager les termes, comme si vraiment Jean de Lescoët était un malhonnête homme :
« Aujourd'huy, M. de la Guerrande est allé rendre compte de ses usurpations [Note : Il était mort aux Etats de Vitré vers le 8 septembre 1671, deux jours après la fin des Etats, et fut enterré aux Bénédictines de Vitré]. Il a pris son temps, pendant ma minorité, abusant de la faiblesse de ma grand'mère. Je veux aussi prendre le même, à mon tour, non pour moi, mais pour conserver ce qui m'appartient.
Il est à remarquer que ce banc prétendu n'a pas toujours été dans le même lieu ou il est présentement, car M. le Recteur, qui est encore plein de vie, l'avait fait faire et mettre dans le balustre, pendant l'absence des seigneurs, au même lieu où est le mien présentement. Mais comme mon grand-père eust traité de la terre de la Molière, il l’osta du balustre là où il estoit, et le recteur le fist transporter dans ladite chapelle, où les prestres chantent le service divin, et sert encore à present et a toujours servi à ramasser les ornements des prestres, y ayant un coffre soubs la chaise, dont plusieurs prestres ont eu la clef à leur tour, et à présent dom Jean Michel, retiré à Saint-Malo (de Phily) depuis dix-huit mois, en est encore dépositaire.
J'espérais de jour en jour avoir le bonheur de vous posséder icy ; mais comme vous nous avez privés de ce bonheur, remettant vostre voyage jusqu'après Pasques, j'ai peur qu'il arrive quelque changement dans les affaires, et que ce long délai ne me donne un jour occasion de me repentir.
Il est bon de terminer cette affaire pendant qu'il y a encore plusieurs thémoins irréprochables de ce transport : M. le recteur, qui a soixante-sept ans, et M. de la Rougerais, l'un de nos prestres, et plusieurs personnes anciennes l'ont veu ; tous ces gens-là peuvent mourir. Je crois qu'auparavant de l’oster, il seroit bon d'avoir une déclaration signée de luy et des autres prestres et anciens de la paroisse, rapportée par devant notaire, par laquelle ils reconnoistront qu'il n'y a encore que trente-cinq ans que le banc prétendu estoit dans la place où est le mien présentement, car ce fut en ce temps-là que mon grand-père achepta la Molière.
Je ne crois pas que Mme de la Guerrande ose rien dire. Si elle veut montrer les dents, je trouverai bien moïen de la faire taire : on lui donnera tant d'affaires qu'elle ne sçaura de quel côté se tourner. M. de la Trémelière-Valays, présentement titulaire de la chaplenie, a de furieuses démangeaisons à propos de cette eschange, qu'il prétend n'estre pas bien faicte et injuste. Il a dessein d'appeler les parents qui ont donné leurs suffrages et signé l’eschange, pour articuler leur filiation et justifier leur parentelle. Tous ces misérables parents dépendent de moi pour la pluspart. Nous trouverions assez d'expédients pour l’embarrasser ; d'ailleurs, ma cause est si juste qu'elle parle d'elle-mesme.
Quand nous fusmes chez M. de la Maisonneufve-Lemoine, on ne me conseilla point de faire appeller les usurpateurs, pour voir dire que le banc serait osté ; on me dist qu'en telle matière il valoit bien mieux estre deffandeur que demandeur, ce dernier estant obligé de faire toutes les avances, et que le plus souvent les procès de cette nature estoient évocqués et laissés pendus au croc, dans la conjoncture d'autres affaires plus importantes.
Je suis seur qu’elle (Mme de la Guerrande) n'oserait jamais demander la réintégrande. Si l'affaire estait jamais plaidée, on se mocquerait d'elle et de sa manie de prétendre qu'un vilage ait des prééminences et des bancs dans une église, au préjudice d'un seigneur fondateur. Vous n'avez pas lieu d'appréhender aucune voie de fait de sa part, car le fils et son gendre sont à Paris.
Si je prenais possession d'une terre considérable, je n'en serais pas pour cela approprié, car il me le fust dit au conseil. Ils n'ont aucune marque de possession, ny armes, ny écussons, ny pierre tombale, mais seulement un meschant titre. Mais comme il est vitieux, melius est titulum non producere quam vitiosum producere, comme dit fort bien d'Argentré.
De plus, les prestres ont toujours été enterrés dans la chapelle, et j'ay même envie d'y faire enterrer quelque païsan, pour voir ce qu'ils diront.
Je vous envoie la possession et le contrat d'eschange, l’omologation. J'ay aussi le testament de dom Jean Gaultier, fondateur.
Je vous supplie d'avoir la bonté de consulter l'affaire à deux ou trois advocats, et d’y appeller M. de la Cloutaie ; il a veu le banc et la chapelle.
Obligés-moi de me mander votre sentiment, et si vous jugés à propos que j'aille à Rennes pour consulter l'affaire et en parler à Mr du Bouëxic. Si ma présence n'y est pas nécessaire, vous pouvés lui montrer ma lettre, pour en savoir son advis. Je crois avoir escrit la chose assez claire.
Je vous envoie deux escus pour la consultation de l'affaire.
Je suis, en tout respect, votre très humble et très obéissant serviteur.
Ma femme et moi vous remercions très humblement de vos tableaux : ils sont les plus jolis du monde et ont été apportés sains et saufs. Depuis ma lettre escrite, j'ay appris que Mr du Bouëxic est à la Chapelle (Bouëxic) : je luy parlerai fort amplement de l'affaire que vous savez ».
Cette longue requête eut un plein effet. Quelque temps après, le sieur de la Molière obtint pleine satisfaction, comme on le voit par l'acte suivant :
« Entre Jean Robinaut, escuyer, seigneur de la Mollière, demandeur, en requête présentée par lui en ce siège, le 18e jour de septembre dernier 1672, et en assignation estant en pied d'icelle signifiée à la partie défenderesse ci-après nommée, par Jean Claudant, sergent de la juridiction de la Fonchaye, suivant permission de ce faicte, establi au bourg de Saint-Senou, le 19e jour du mois de septembre dernier, ledit demandeur représenté par maître Jean Bédant, son procureur, plaidant par maître René Couet, advocat, d'une part, et missire Jean Le Vieil, recteur de la paroisse de Saint-Senou, d'autre part, a esté dit et remontré que ledit deffendeur et ses prédécesseurs, ayant innové dans l'église et paroisse de Saint-Senou un petit banc accoudouër et à queue, pour y dire les prières et s'y agenouiller, quoique non armoyé et sans aucune marque prohibitive, il y avait lieu de craindre que les héritiers dudit deffendeur ou ses successeurs ne voulussent prétendre, attendu le long temps que le banc a été innové, qu'il leur fust prohibitif, et qu'ils eussent, au moyen d'iceluy, droit de prétendre des prééminences en ladite église, ce que ledit demandeur ayant droit d'opposer et empescher, comme estant seigneur, patron et fondateur d'icelle, il a, pour ce sujet, fait appeller ledit deffendeur pour déclarer s'il prétend que ledit banc dont il se sert en qualité de recteur, lui soit prohibitif et à ceux de sa famille, et qu'en vertu d'iceluy ils n'aient aucun droit de prééminence en ladite église, pour, en cas qu'il le déclare, prendre tel appointement qu'il sera veu appartenir, et en cas qu'il déclare n'y prétendre aucun droit de prééminence pour luy et sa famille, estre condamné de l’oster ou le faire oster, de jour à autre : à faute de quoy faire, il sera permis audit demandeur de le faire faire à ses frais, et par les formes de justice, à quoy il conclud et à despens.
Dudit deffandeur, parlant par sesdits advocats et procureurs, a esté dit par ses deffenses : qu'estant venu à la possession de la cure de Saint-Senou, il trouva, dans l'enclave du chanceau du grand autel de ladite église, un petit banc avec un accoudouër à queue, non armoyé ny marqué, attaché à un petit coffre pour mettre des ornements d'église et à une chaire pour s'asseoir, lequel petit banc ainsi attaché audit coffre et chaire son prédécesseur, nommé missire Jean Lebrun, avait fait mettre dans l'enclave dudit chanceau ; apprès le décès duquel missire Robert Le Vieil, son oncle et successeur se servit dudit banc et coffre pour mettre ses ornements d'église et entendre les confessions dans la chaire, comme il peut estre attesté par tous les anciens de ladite paroisse ; lequel dit banc avec accoudouër à queue et coffre et chaire auquel il est attaché, qui est le même dont est à présent question, ledit deffandeur fut obligé de faire oster de l'enclave dudit balustre du chanceau, quand l’ayeul dudit seigneur demandeur vint à la possession de la terre et seigneurie de la Mollière, comme ayant voulu faire mettre, en qualité de seigneur patron et fondateur de ladite église, un banc armoyé de ses armes, au lieu et place de celuy dont est question, lequel l'ayant osté dudit lieu, il le fit mettre et placer, avec le coffre et la chaire auxquels il était attaché, dans le milieu de la chapelle de ladite église, joignant la muraille d'icelle, ainsi qu'il s'y voit présentement, ayant donné la clef du coffre aux prestres de ladite église, pour y mettre leurs ornements : premièrement à missire Macé Maréchal, et apprès à dom Jean Michel, qui est encore à présent dépositaire ; contestant ledit sieur deffandeur avoir fait l'innovation dudit banc, ny fait mettre dans ladite église, mais que ç'a esté missire Jean Lebrun, l'un de ses prédécesseurs, ainsi qu'il l'a cy-dessus déclaré.
Déclarant pour luy et ceux de sa famille ne prétendre que ledit banc leur soit prohibitif, et consent, pour leur intérêt et le sien, soit osté de jour à autre.
Condamné le deffandeur à oster le siège et aux despens ».
Comme on le voit, la lettre de Jean Robinaut à M. de Ravenel lui avait donné satisfaction contre le propriétaire de la Fiolaye. L'affaire, toutefois, ne s'arrêta pas là ; car, le 13 décembre 1672, une nouvelle sentence fut rendue contre la dame de la Guerrande. Accompagnée du sieur du Boschet, avec d'autres personnes et des valets, munis de fusils et autres armes, elle était venue, paraît-il, rétablir par force le banc que le sire de la Molière avait fait ôter de l'église de Saint-Senoux en exécution de l'arrêt du Présidial de Rennes.
En vain la dame déclara-t-elle ne rien prétendre au banc en question, — elle demeurait alors à Rennes, rue de la Vieille-Fillanderie [Note : La rue de la Vieille-Filanderie, allant du Sud au Nord, se trouvait entre le Champ-Jacquet et la rue aux Foulons, aujourd'hui Le Bastard, parallèle à la rue du Puy-du-Mesnil et à celle de la Fanerie. Aboutissant, au Nord, au Pont-aux-Foulons, par la rue des Presses, elle faisait suite à la rue Neuve. Toutes ces rues, excepte le Champ-Jacquet et le Pont-aux-Foulons, ont disparu dans l'incendie de 1720], paroisse Saint-Germain, — elle n'en dut pas moins faire enlever le banc à ses frais.
Depuis cet incident, qui nous semblerait futile aujourd'hui, mais qui avait alors une grande importance, les deux maisons de la Fiolaye et de la Molière vécurent relativement en paix, chacune suivant ses destinées.
Tout ressentiment n'était pourtant point mis de côté : on en peut voir la preuve dans l'affaire que rapporte Jean Robinaut dans son Journal, à l'année 1691 :
« Sapins couppés. — Sur la fin de l'année dernière, dit-il, le jour des Innocents ou la nuict précédente, les jeunes MMrs du Bochet, accompagnés de Mr du. Plessix-Bardoul, chez lequel ils étaient allés coucher le soir précédent, vinrent quatre à cheval, avec un homme à pied, sur la terrasse, et couppèrent trente sapins, avec le sabre de l'Ecotay de Pléchâtel, qui s'en est vanté lui-même. Cette action abominable, détestée de tous les honnêtes gens, crie vengeance. Mihi vindicta, ego retribuum, dicit dnus. (Rom., 12).
Nota qu'il y a plus de quinze ans (probablement l'affaire des Puceaux avec J. de Lescouët, leur oncle) qu'on n'a eu la moindre chose à demesler ensemble, sans leur avoir donné jamais aucun sujet d’en venir à cette extrémité. Je ne connois pas même les jeunes gens. Les envieux mourront, mais non jamais l'envie ».
Mais, tout en remettant à Dieu la vengeance, Jean Robinaut trouve moyen, dans son livre, de la goûter par anticipation :
« 1703. — Mr du Bochet (sieur de Lescouët) mourut à Rennes le 10 avril, et enterré à Bourdecon (sic) le 12e. Mr le Recteur de Guichen fist son panégyrique et s'étendit beaucoup sur sa grande capacité dans les affaires et sur les beaux talents qu'il possédoit, sur les obligations que la province luy avoit, la manière douce dont il traittoit ses sujets, et cent autres choses qui firent rougir l'assemblée nombreuse de personnes de distinction qui assistoient au convoy, et qui connoissoient très parfaitement le personnage, qui fut un des cinq traistres qui vendit la province, aux Estats de Vitré, 1671.
Il était grand Voyeur ou coureur de grands chemins, ce qui lui valloit mille escus de rente, outre 400 liv. qu'il avoit comme ancien gentilhomme, et 400 liv. de pension. Il mourut comme il avoit vescu, sans sacrements et sans confession. C'était un glorieux insupportable, et resquiescat in pace. Il ne m'a donné aucune satisfaction pour mon affaire de la terrasse, qui me coûte près de mille escus, outre la mort de ma femme, qui en mourut de déplaisir.
Par la Règle : non dimittitur peccatum, nisi restituatur ablatum, son salut est bien hasardé. Dieu sur tout ».
Jean-Baptiste de Lescouët, probablement fils de la dame de Guerrande, veuve de Jean, eut un fils, Francois, sieur de Menimur, qui mourut à Vannes le 19 février 1761 et fut inhumé paroisse Saint-Pierre ; il avait épousé Marie-Josèphe de Quifistre de Bavalan, dont il eut trois enfants : François-Joseph, etc., officier au régiment du roi-infanterie en 1767 ; Gillonne-Marie-Josèphe, mariée à François-Marie de Forges ; Méance-Marie-Josèphe, qui demeura à la Fiolaye et y traversa les mauvais jours de la Révolution.
Comme elle était mineure à la mort de son père, par le ministère de Me Gougeon, notaire à Vannes, elle eut un conseil de tutelle qu'il est intéressant de faire connaître ici ; on verra de quelle bonne maison étaient les Lescouët, par les belles alliances qu'ils avaient contractées.
« François-Marie de Gouvello, sieur de Keraval, chevalier de l'Ordre royal de Saint-Louis ; Jean-Félix de la Haye ; Claude-Charles de Perrien, prêtre licencié en théologie de la Faculté de Paris, chanoine, vicaire général de Tréguier ; Claude-Luc du Bouëxic, chevalier, seigneur de Guichen, de la Grésillonaye, etc. ; Joseph-Marie du Fresne, chevalier de Virel, sieur de la Luardière, paroisse de Renac ; Louis Charette, chevalier, sieur de la Gascherie, conseiller au Parlement, mari et proureur de droit de Anne-Elizabeth de Châteautro ; Jacques-Louis Le Prestre de Châteaugiron, président à mortier au Parlement, époux et procureur de droit de Sylvie Descartes ; Jean de Couesplan, sieur de la Villemorain ; Louis de la Forest, chevalier, sieur de la Ville-au-Séneschal ; René-Armand de la Landelle, sieur de Roscanvec ».
Méance de Lescouët passa à la Fiolaye les années troublées de la fin du siècle ou à peu près, car elle fut incarcérée pendant quelque temps à l'hospice Saint-Méen, devenu lieu de détention. On le voit par un bail qu'elle consentit en ce lieu, commune de Rennes, aux frères Sorel, de la ferme de la Fiolaye le 16 frimaire an VI. Probablement à la même époque fut enfermé un prêtre de Saint-Senoux, Julien Fresnel, qui, caché dans son village du Verger, exerçait le saint ministère au péril de sa vie. Il avait dû sans cloute venir dire la messe à la Fiolaye, comme il continua d'ailleurs de le faire quand, après une assez longue détention au Mont Saint-Michel, où il avait été transféré, il fut mis en liberté.
C'est la seule cause apparente de cette arrestation tardive de Méance de Lescouët.
Plus de cinquante ans après la mort de son père, le 6 juin 1823, elle fit son testament. Elle léguait la terre de la Fiolaye en usufruit à sa sœur, Gillonne-Marie-Joseph de Lescouët, mariée à François-Marie de Forges ; le fonds, avec une rente de 300 fr., à son neveu et filleul, Charles-Marie de Forges, demeurant à la Bousselaye, commune de Rieux.
Peu après elle mourait, et ses héritiers vendirent la Fiolaye, le 16 novembre 1824, à Henry-Guy Onffroy et à clame Jeanne-Marie Marcel Le Mercier du Quesnay, son épouse.
Après la mort de M. Onffroy, sa veuve revendait cette terre à Mme veuve Huchet de Quénetain, propriétaire du château de la Molière.
Ainsi, le 3 juin 1834, se trouvaient enfin réunis deux domaines dont le voisinage avait donné lieu aux difficultés que nous venons de raconter.
TESTAMENT DE MESSIRE JEAN GAULTIER.
ln nomine Sanctæ et individuæ Trinitatis, Patres et Filli et Spiritus Sancti, amen. Ego Joannes Gautier, presbyter cantor et canonicus Ecclesiæ Collegiatæ Beatæ Mariæ Nannetensis, scriptor apostolicus, ex loco de la Fiollaye, parochia de Sti Sennen, Macloviensis diœcesis oriundus, adhuc Dei gratia sanamente et corpore, considerans esse mortalem, et horam atque diem mortis nostræ ignorans, nolens instatus decedere, imo de bonis terrenis sive temporalibus mundanis mihi a Deo collatis ad pias causas et alios usus verti, et prout melius et tutius credo pro salute animæ meæ et parentum meorum defunctorum disponere et ordinare, sicque diem peregrinationis meæ ultimum prævenire potius quam præveniri ; volens omnibus melioribus modo viis jure causa et forma quibus melius possum et valeo hoc præsens meum Testamentum seu ultimam voluntatem nisi forte ante obitum meum revocando, aut illam in toto vel in parte mutando, condo, facio et ordino in hunc qui sequitur modum.
Inprimis et ante omnia animam meam omnipotenti Deo Creatori et Redemptori nostro et Beatæ Mariæ æc gloriosæ semperque Virgini, Beatis Petro et Paulo æc cæteris Apostolis et Evangelistis, Beato Michaeli archangelo cæterisque Angelis et Archangelis, Beato Joanni Baptistæ, Beatæ Mariæ Magdalenæ totique Curiæ cœlesti humiliter commendo, ut illam, cum a corpore meo egressa fuerit, ab omni diabolicæ potestatis et maligni spiritus incursu et raptu defendant, diripiant et protegant, atque ad æterna perpetua quietis gaudia paradisi conducant et perducant. Amen.
Item, adveniente obitu meo, si contingat, me decedere in partibus istis, et extra civitatem Nannetensem, eligo sepulturam meam in choro seu cancello Ecclesiæ parochialis de Sancto Sennen prædicto, in quo majores mei saltem ecclesiastici sepulti fuerunt ; et si contingat me decedere in civitate Nannetensi, vel prope illam eligans sepulturam meam in ala dextra chori dictæ ecclesiæ Beatæ Mariæ Nannetensi, vel inter novam capellam Sti Claudii et altare Sti Eustachii loci ubi Dno Capicerio et Capitulo bene visum fuerit ; in qua quidem ecclesia duo anniversaria solemnia et manualia annui reditus duodecim librarum et decem solidarum moneta Britannia pro quolibet jam fondavi.
Item, lego de bonis prædictis meis mobilibus centum libras Turonenses dictæ. Ecclesiæ parochiali de Sto Sennen, pro illius chori et tecti reparatione, etiam si sepultus non fuero in eadem, sub conditione quod Rector seu Curatus ejusdem Ecclesiæ, in precibus ordinariis et singulis dominicis diebus, in prono majoris missæ fieri solitis, memoriam specialem de me faciat in perpetuum ; attento etiam quod allia bona plura et ornementa ecclesiastica eidem ecclesiæ dedi, feci et contuli, et adhuc facere spero, si diutius supervixero ; et si paroissiani et rector vel curatus ipsius Ecclesiæ hujusmodi legatum cum tali onere acceptare voluerint vel recusaverint, aut forsan in usus... convertere cessaverint vel distulerint, centum libræ hujusmodi inter decem pauperes puellas de linea mea, quibus nihil dedi, in subsidium matrimonii earumdem dividantur, et fideliter eis custodiantur, usque ad ætatem nubilem.
Item, lego et dono hospitali Nannetensi decem libras Turonenses pro allimentis pauperum, et totidem hospitali Sancti Yvonis Rhedonensis, ad similes usus.
Item, lego allias decem libras Societati Corporis Christi Nannetensi, de qua sum et participans in eorum orationibus et missis.
Item, volo dari et largiri intuitu eleemosynæ pauperibus sororibus Sanctæ Claræ Nannetensis decem libras Turonenses ut Deum pro salute animæ mea orent.
Item, si contingat me decedere in prædicta civitate Nannetensi, volo tradi corpus meum sepulturæ in dicta Ecclesia Beatæ Mariæ, ut supra dictum est, et fiant mea funeralia cum honore competente de suis, magna pompa, cum processione dictæ Ecclesiæ, ut moris est, et absque processione Sancti Petri dictæ civitatis Nannetensis ; et in die octava servitium meum solummodo per Capicerium et canonicos et scriptas (?) dictæ Ecclesiæ volo fieri cum pulsu omnium campanarum ejusdem Ecclesiæ, durantibus vigiliis, et missa cum Libera majori in fine.
Item, pauperibus presbyteris qui missas pro salute animæ meæ dixerint in eadem Ecclesia volo dari viginti libras Turonenses ; cæteris vero pauperibus mendicantibus, usque ad decem libras Turonenses, in Liardis et Duplis, ad discretionem executorum meorum ; et si contingat me decedere, ut dictum est, in luis partibus, et sepeliri in dicta Ecclesia de Sancto Sennen, volo dari presbyteris et capellanis dictæ Ecclesiæ, qui corpus meum ad sepulturam conduxerint vel associaverint, quinquagenta sollidos Turonenses, inter eos æqualiter dividendos, ultra servitium et funeralia et missas eorum.
Item, per triginta dies, per eosdem presbyteros et capellanos, in dicta Ecclesia, unam missam de Requiem, cum diacono et subdiacono, necnon Vigilias deffunctorum, cum tribus lectionibus et Laudibus, alta voce, cum Libera et de Profundis in fine celebrari et decantari volo, etiamsi sepultus non fuero in eadem.
Item, Trecentas sexaginta missas, submissa voce, pro salute animæ meæ et parentum meorum et benefactorum, in eadem Ecclesia de St° Sennen, celebrari et dici entra annum a die obttus mei, per presbyteros dictæ Ecclesiæ et Dominum Guillelmum Davy, pauperem presbyterum de parochia de Bruz ; et pro qualibet missa presbytero, qui illam dixerit, duos sollidos Turonenses tradi et solvi volo.
Ensuist ce que j'ay augmenté en ce présent Testament.
« Je veux et ordonne qu'il soit fondé une messe de Requiem, perpétuelle, solennelle et annuelle, en ladite église de Notre-Dame, laquelle se célèbrera le jour Sts Senouz et Abdon, après la messe du Duc [Note : En l'année 1453, Pierre II, qui, avant de monter sur le trône, avait fait bâtir le chœur et la chapelle de l'église collégiale de Nantes, fit aussi commencer le clocher. Cette église, voisine du côté Sud de la cathédrale, fut, dédiée à Notre-Dame, le 20 janvier 1455, et le prince y fonda une messe chantée, longtemps appelée « la messe du Duc. » (Ogée) — La Révolution a détruit cette collégiale, mais il restait encore une chapelle, ornée de dorures et de sculptures, dont la porte était décorée d'arabesques du meilleur goût. Elle a disparu, à son tour, quand on a fait la place et les nouveaux percés autour de la cathédrale], et après la Ste Messe célébrée, in navi majore dictæ Ecclesiæ, ante Crucifixum, cum distributione panis Capitularis, ex fondatione, volo dari et solvi, Capitulo dictæ Ecclesiæ summam centum Librarum moneta Britanniæ, etc. , » avec cette clause particulière et restrictive « que ces messes seraient dites par ses confrères du Chapitre, » et « durant lesdites messes, ceux qui sortiront du chæur seront privés du gain ». Etait-ce donc à craindre de la part des chanoines ?
Pour trois cents messes, messire Jean Gaultier léguait la somme de six cents sous.
« Item, je veux et ordonne qu'il soit faict et construit une chapelle contiguë a l'église de Saint-Senouz, du côté senestre du cœur de ladite église, si auparavant mon déceix ne l'a faict faire et bastir ; et en ladite chapelle se diront les messes de la société par moy fondée en ladite église, etc. ».
Puis, à ses frères, dom Gaultier lègue, moyennant encore une messe par semaine, des futaies et des taillis.
Voici comment il constitue le légat de la Fiolaye :
« Et apprès mon déceix, lesdites métayeries de Mauny et Logis de la Fiollays, et autres pièces de terre et autres héritaiges, seront à un prestre légataire dudit Légat, qui sera de ma ligne la plus proche et la plus antique, et y sera présenté par la plus grande et maire partye de mes parents ; et s'il n'y avoit aucun prestre de ma ligne, soit présenté un clerc qui se fera promovoir aux saints ordres, quand il aura aage ; et s'il n'y avait prestre ny clerc en made Lignée pour iceluy Légat « obtenir, les proches de ma Lignée conserveront et garderont lesdites maisons et heritaiges jusques à ce qu'il y en ait en ma Lignée qui puissent obtenir led. Legat ; et, en attendant, feront tousjours dire lesd. messes, anniversaires et services, et feront lesdits légataires l'acquit des rentes dues aux seigneurs temporels à cause desdits héritaiges, etc. ».
Dom Gaultier termine par des legs assez copieux à ses nièces, à leur défaut « aux hospitaux de Saint-Yves de Rennes et de Nantes ; » que « ma chambrière qui est à Nantes, qui a délayssé ses parents pour me servir, soit satisfaite de la somme de sept livres par an, et pareillement celle de céans, etc. ; » le don de sa « hacquenée, avecque tout son harnoys et accoutrement, » à son neveu Guillaume, à Nantes ; à dom Julien « mon cheval qui est céans, » etc.
« Faict à la Fiollays, en ladicte paroisse de Saint-Senouz, diocèse de Saint-Malo, le cinquième jour d’apuril, mil cinq cent cinquante et six ; et si est post nos eligans allios executores hujus mei Testamenti, volo quod sint illius executores Œgidius Jumel, sacræ Theologiæ doctor et dictæ Ecclesiæ Beatæ Mariæ Nannetensis Major Capellanus, dictus Guillelmus Gaultier, ad præsens mecum commorans, pronepos meus, Rector de Guemené... dummodo dictus Guillelmus pronepos sit semper principalis executor ; et rogo dictos executores ut omnia hujusmodi acceptare velint, mediante salario competenti.
Faict au dict lieu de la Fiollays, les dicts jour et an que dessus ».
La lecture de ce Testament montre suffisamment que messire Jean Gaultier était riche, puisqu'il faisait tant de legs [Note : La somme totale de ces legs s'élève à 4,424 livres tournois, plus 32 livres monnaie de Bretagne ; enfin, 200 escus d'or à son neveu Guillaume, pour étudier], tout en laissant son Logis et sa terre de la Fiolaye pour l'entretien de la société de prêtres qu'il fondait.
Le terme de logis, qu'il emploie pour désigner sa demeure, témoigne qu'il l'estimait au-dessus de celles des habitants du village. Il vivait alternativement à la campagne et à Nantes, avec équipage et domestiques dans les deux endroits, puisqu'un codicille renferme cette clause : « Je veux aussi qu'il soit baillé à Pierre Chérel, qui m'a longuement servy, la somme de dix escus sols, pour ses peines ».
La propriété était donc digne de tenter Jean de Lescouët, malgré tout ce qu'en écrivait Jean Robinaut pour en rabaisser la valeur.
(A. Guillot).
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