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JEAN PÉRON et le Collège de Léon

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Rétablissement du Collège de Saint-Pol-de-Léon en 1806.

L'Evêque nommé à la suite du Concordat à la tête du diocèse désormais unique de Quimper fut Mgr André. Pour les nominations aux postes importants de curés, il dut entrer en composition avec le préfet. Ce dernier essaya de favoriser les constitutionnels  et, malgré la résistance de l'Evêque, réussit à faire donner des cures importantes à plusieurs d'entre eux. C'est ainsi que M. Guino, ancien vicaire épiscopal d'Expilly, fut nommé curé de Saint-Sauveur à Brest. Il réussit également à écarter du Léon plusieurs des prêtres de cet ancien diocèse qui s'y étaient distingués par leur zèle pendant la période révolutionnaire. C'est ainsi que M. Henry fut nommé curé de Quimperlé. Quant à M. Péron, Mgr André, se souvenant qu'il avait été prêtre de Saint-Sulpice, aurait voulu le mettre à la tête de son Grand Séminaire. Il l'avait nommé chanoine honoraire dès 1803. Mais M. Péron déclina l'offre de l'Evêque. Cette offre se répétera souvent de la part du successeur de Mgr André et toujours M. Péron opposera le même refus. Il sera tout de même obligé d'accepter un jour sa nomination à ce poste important, puis celle de chanoine titulaire, et même de Doyen du Chapitre ; M. Péron, cependant ne viendra jamais résider à Quimper. M. Pondaven, dans sa plaquette sur le recrutement ecclésiastique après la Révolution, reproche à M. Péron un certain chauvinisme local : il a tort, nous le verrons. Si M. Péron s'est retiré à Saint-Pol-de-Léon, s'il y a vécu en ces années difficiles, près de la cathédrale où, dit une lettre du curé, M. Corre, « il nous aide pour le culte et les confessions », ce n'est pas par bouderie de chauvin. Jadis, nous l'avons vu entrer dans la Compagnie de Saint-Sulpice, pour faire « un bien qui dure » pour former des générations d'apôtres. Il n'en est sorti que lorsque Mgr de La Marche lui a offert l'oeuvre qui convenait à sa vocation. Certes, pendant la tourmente, il a accepté le ministère d'apôtre et il l'a même rempli avec un dévouement magnifique. La Révolution passée, il se rappelle sa vocation, il voit près de lui un bâtiment encore neuf, où il pourrait reprendre l'oeuvre rêvée jadis et à peine ébauchée. Mgr de La Marche lui-même n'a pas oublié le collège qui lui avait tant coûté de soins et d'argent ; animé de la même ambition que jadis, il rêve d'y voir former des prêtres pour ce diocèse de Léon qui lui reste toujours cher. Il en a longuement écrit à M. Péron, lui promettant même une aide pécuniaire si l'oeuvre reprenait vie et les ressources dont disposera plus tard M. Péron ne seront qu'un héritage du prélat, donné en vue du recrutement sacerdotal. M. Péron attend donc à Saint-Pol qu'il lui soit donné de restaurer le collège et d'y former des générations d'apôtres. Pendant ce temps toutefois, il n'est pas oisif ; il s'occupe de récupérer ou de ranimer les vocations ecclésiastiques, que la Révolution a dispersées ou arrêtées. Les Lazaristes qui tenaient le Séminaire de Léon n'ayant pas reparu, il n'y avait que M. Péron, ancien principal, qui connût vraiment les sujets auxquels on pouvait songer pour combler les vides affreux que la Révolution avait faits dans le clergé : « la disette de prêtres est effrayante », écrit le vicaire général M. Troërin en 1804, « 50 paroisses sont sans prêtres, déclarera Mgr Dombideau en 1806 ». M. Péron va voir et ceux qui, après avoir été ses élèves, étaient entrés avant la Révolution dans l'ancien Séminaire de Léon, et ceux mêmes qui, encore au collège alors, manifestaient une vocation ecclésiastique. En 1804, il présentait ainsi à Mgr André une liste de dix-neuf ordinands, dont plusieurs marchaient sur la quarantaine. Il alla les chercher dans les champs, dans les bureaux des municipalités, à la tête des petites écoles. Il les amena chez lui, leur donna pendant quelques semaines une légère instruction, puis les adressa à l'Evêque. M. de Troërin lui-même, établi à Landerneau, comme vicaire général pour faire la soudure entre les deux diocèses, suppliait l'Evêque de laisser M. Péron à Saint-Pol.

« Je pense, écrivait-il le 1er avril 1804, que ce soit mal de retirer Péron de Léon : cette perte pour ce pays-là va le jeter dans la consternation : il y ira bien pour faire des recrues, mais quelle, différence de l'y voir de temps en temps ou de l'y voir à poste fixe. Dans peu d'années on l'aurait perdu de vue et ses connaissances n'auront pas le même zèle... ».

L'ancien collège de Léon (Bretagne)

Or à cette époque, dès février 1804, la municipalité, sous l'inspiration de M. Péron, rédigeait un mémoire au Gouvernement pour lui demander de rétablir le collège. Le sénateur Cornudet, qui résidait à Saint-Pol, chef-lieu de sa sénatorerie, se chargea de présenter lui-même le mémoire et l'appuya de toute son influence. Le 13 novembre 1805, le Gouvernement autorisait la ville de Saint-Pol à réouvrir son collège comme école secondaire d'après l'acte suivant : « Au quartier général de Polten, le 22 brumaire an XIV, Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, sur le rapport du ministre de l'Intérieur, décrète ce qui suit : ... Article 3. — La ville de Saint-Pol-de-Léon, département du Finistère, est autorisée à établir une école secondaire communale dans le bâtiment de son ancien collège qui lui est concédé à cet effet. Art. 4. — Le ministre de l'Intérieur est chargé de l'exécution du présent. Signé : NAPOLÉON »

Dès la réception du décret, le maire de Saint-Pol chargeait M. Péron de préparer un plan d'enseignement et de recruter « un personnel capable » pour inaugurer dignement le rétablissement du collège. M. Péron s'en fut alors à Quimper, où Mgr Dombideau avait succédé à Mgr André. Il y passa trois jours pour arrêter de concert avec l'Evêque les grandes lignes du projet de réorganisation. Il profita de l'occasion pour se faire installer comme chanoine honoraire, ainsi qu'on le constate par les archives de l'Evêché : « Nous certifions et rapportons que le mois, jour et an sous-datés, en présence des chanoines et chapitre de notre église cathédrale, à dix heures du matin, nous avons fait installer par M. l'abbé Larchantel notre vicaire général M. Jean Péron, prêtre, en qualité de chanoine honoraire, nommé par Mgr André, ancien Evêque de Quimper, et approuvé par le Gouvernement en 1803. Donné à Quimper sous notre sceau et notre seing, le 6 décembre 1805. — Par mandement de l'Evêque. LE CLANCHE, prêtre, pour le Secrétariat ».

Mais l'impression directe que fit sur Mgr Dombideau l'ancien vicaire général de Léon fut telle que, reprenant l'idée de son prédécesseur, l'Evêque veut le nommer Supérieur de son Grand Séminaire ; il en écrit à M. Emery qui l'approuve avec force. Il prie donc M. Péron de venir à Quimper : il lui donnera comme remplaçant pour le collège M. Henry « qui se mor­fond là-bas loin de son Léon  ». « C'est mon meilleur ami, répond M. Péron, mais s'il réussit admirablement dans le ministère paroissial, il ne réussirait pas à la tête d'un collège. De plus, il y a dix-sept ans que le respectable M. Emery ne m'a vu, je ne suis plus l'homme qu'il employait. Tout s'use avec le temps, ma tête et ma mémoire ont souffert, elles sont à peu près nulles, il ne me reste que de la bonne volonté ». Mgr Dombideau insiste et le 9 janvier 1806, M. Péron lui répond : « Monseigneur, vous paraissez tenir à votre premier plan et vouloir me placer incessamment à la tête de votre Séminaire. Je sens l'honneur que vous me faites ; mais permettez que je vous observe : l'érection d'un Séminaire de plein exercice, fourni de tout ce qui le composait dans des temps plus heureux, me paraît ni devoir ni pouvoir être le premier objet de votre sollicitude pastorale ; ce n'est pas le plus pressant. Il faut fonder avant de bâtir ; les collèges doivent nécessairement précéder les Séminaires : sans le secours de bons collèges, votre clergé va retomber dans l'ignorance et la barbarie... les ordinands ne comprendront ni le latin ni le français... ». Mgr Dombideau revint à la charge et M. Péron lui écrivit le 21 mars : « Vous revenez toujours à votre première idée. Puisque vous avez bien voulu me permettre de vous contredire avec franchise, je ne puis m'empêcher de vous observer qu'elle me paraît entièrement opposée au bien que vous voulez faire. — D'abord les collèges !... ».

Enfin, le 17 mai 1806, M. Péron dut se rendre, au moins pour la forme, aux instances de son Evêque : « Quoique ma nomination ne soit point de mon goût, lui écrivait-il à cette date, quoiqu'elle me paraisse prématurée et par là susceptible de contrarier le bien dont vous m'avez chargé et que je regarde comme le plus important dans les circonstances, je ne puis que vous en savoir gré... ». Cette nomination était ainsi appréciée par M. Duclaux, directeur de Saint-Sulpice, qui écrivait à l'Evêque le 17 septembre : « Je crois que vous avez fait un bon choix en nommant M. Péron, je le connais depuis 33 ans ; nous avons été ensemble à la petite communauté, et nous avons ensuite travaillé, dans le même temps, au Séminaire de Nantes. C'est un bon esprit, très solide, très judicieux et rempli de l'esprit de son état... ».

M. Péron est donc nommé Supérieur du Grand Séminaire et chanoine titulaire. Il est seulement autorisé à demeurer momentanément à Saint-Pol pour restaurer le collège. « Tant que le Séminaire ne sera pas plus nombreux, lui écrit l'Evêque, je vous laisserai à Saint-Pol, mais tâchez de vous préparer un successeur... ».

Pendant tous ces pourparlers au sujet du Séminaire, M. Péron s'occupait de restaurer le collège. L'administration préfectorale accorda à la ville le modeste secours de 4.000 francs. Le sous-préfet de Morlaix, de son côté, faisait don au collège des lits et des matelas de l'hôpital logé dans l'établissement jusqu'alors. Lui et son collègue de Brest adressaient une circulaire aux maires et aux curés de leurs arrondissements pour les prier de faire une quête dans leurs communes en faveur du collège. « Les offrandes seront reçues soit en argent, soit en denrées et autres objets de quelque nature qu'ils pussent être. Ces objets seront vendus au pied de la Croix et le produit remis à M. Péron pour être employé par lui aux réparations du collège... ». M. Péron faisait venir de Quimperlé son cher ami M. Henry et tous deux, comme jadis sous la Révolution, se partagèrent le Léon. M. Péron, qui avait une peur invincible du cheval, depuis une chute terrible qu'il avait faite quelques années auparavant, faisait sa quête à pied, mais armé d'un parapluie qui devint légendaire. M. de Troérin, dans sa correspondance avec l'Evêque, parle souvent de « ce parapluie qui fait merveille ». « M. Péron a déjà 4.000 fr., écrit-il. C'est M. du Chef du Bois qui l'aide dans sa cueillette, il espère doubler le tour de main de M. Henry ». Rien que dans la ville de Saint-Pol, abstraction faite des campagnes de la commune, M. Péron récolte la somme de 5.000 fr. Afin d'obtenir quelque chose du gouvernement, il prie l'Evêque de lui demander que le collège se nomme le Collège de Napoléon le Grand. « Je pousse sans relâche les réparations du collège, lui écrit-il le 21 juillet 1806, et j'ouvrirai le plus tôt possible. La quête faite à Saint-Pol est prodigieuse dans les circonstances, elle passera 5.000 francs, sans compter ce que donnera la partie rurale qui paraît également bien disposée. Les autres parties des deux sous-préfectures font des efforts approchants, mes affaires vont passablement. L'église des Minimes, qui menace ruine et qu'il faudra démolir pour réparer les autres et nommément celle de Notre-Dame du Creisker, avait trois petites chapelles latérales entièrement découvertes dont la charpente se pourrissait. M. le maire a cru entrer dans vos vues en faisant enlever les débris de cette charpente pour aider à la construction des cloisons du collège dont l'église du Creisker a été et sera encore la chapelle... ».

De son côté, la ville avait dû, pour obéir à la loi, former un bureau d'administration. Dès le 3 juillet, celui-ci avait fait une liste de propositions, car on devait pour chaque poste proposer deux sujets. C'est ainsi que pour le poste de directeur les deux proposés furent M. Péron, ancien principal, et M. Poncin. Ce dernier était encore proposé pour la classe de quatrième avec un nommé Leven, de Plouguerneau. Le 4 septembre, arrivait à Saint-Pol l'arrêté du Ministre de l'Intérieur, qui nommait M. Péron directeur de l'école secondaire communale de la ville de Saint-Pol de Léon et quatre autres professeurs et laissait à la charge de M. Péron le traitement des autres maîtres s'il en avait besoin.

Le 3 novembre 1806, la Municipalité vint assister comme jadis à la messe du Saint-Esprit ; 140 élèves étaient là, entourés de leurs maîtres, MM. Poncin, Liscoat, Le Gall, Cloarec, Leven, Louis Péron et Cozanet, tous, sinon prêtres, au moins engagés dans la cléricature. M. Péron chanta cette messe et le lendemain 4 novembre, les classes reprenaient après une interruption de 13 ans. M. Péron était tout à la joie de se consacrer à la grande oeuvre de la formation des futurs clercs, à l'oeuvre dont le « fruit demeure ».

 

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Le Collège, de 1806 à la Restauration.

Mgr de la Marche mourait le 24 novembre 1806 ; mais il avait eu la consolation d'apprendre, du fond de son exil, que le bel établissement élevé par lui pour le recrutement des prêtres avait repris son ancienne destination et que le collège était de nouveau aux mains de M. Péron ; c'était la certitude du succès. Dès 1805, le prélat avait promis à M. Péron une rente annuelle de 1.200 francs. Sentant approcher sa fin, il lui avait fait passer le capital destiné à assurer cette rente. La nouvelle de la mort de celui qui fut évêque et comte de Léon et qui fut aussi le vrai fondateur du collège, parvint seulement à M. Péron au milieu de décembre 1806. Celui-ci fit aussitôt célébrer à la cathédrale un service funèbre, auquel la Municipalité toute entière vint assister.

Les quelques années qui suivirent furent pour M. Péron parmi les meilleures de son existence ; il était tout à la joie, non pas d'être assuré maintenant de rester à Saint-Pol, malgré sa nomination de Supérieur du Séminaire, mais de se retrouver dans la voie où l'appelait sa vocation. C'est à cette époque qu'il écrivit à l'évêque de Quimper la lettre où il révèle le secret de son âme et la raison de toute sa conduite : « Monseigneur, je remercie tous les jours la divine Bonté d'avoir daigné se servir de moi pour cette oeuvre que je mets de beaucoup au-dessus de l'apostolat. Car l'apôtre ne saurait durer longtemps. Avec lui finit son ministère. Mais peut-être Dieu me fera-t-il la grâce d'établir une succession d'apôtres qui ne finira qu'avec le monde. Cette idée, Monseigneur, me fit solliciter une place dans la Compagnie de Saint-Sulpice. Elle m'a fait entreprendre de rétablir ce collège et me soutient dans les peines et les dégoûts inséparables de ma place. Car, quand on connaît la jeunesse de la Révolution, on n'en devient, à mon âge, l'instituteur ni par goût ni par inclination... ».

Le 21 février 1807, M. Péron écrivait encore à Mgr Dombideau pour lui annoncer la mort d'un de ses professeurs : « L'école, ajoutait-il, possède maintenant 170 élèves, dont les quatre cinquièmes se destinent à l'état ecclésiastique ». Le préfet du Finistère lui-même lui avait confié un de ses fils.

Beaucoup de ces élèves étaient d'un âge qu'on ne voit plus guère sur les bancs des collèges. En quatrième, un élève, nommé Névez, a 32 ans. Dans une liste d'élèves pour lesquels M. Péron demande dispense de la conscription, comme se destinant à l'état ecclésiastique, on en trouve plusieurs ayant au moins 20 ans : Claude Colin, de Porspoder, élève de 4ème. Etienne Gouez, de Plabennec, élève de 5ème. Laurent-Louis Le Roux, de Plouvorn, élève de 5ème. Guillaume Le Coat, de Loc-Maria-Plouzané, élève de 5ème. Yves Le Corre, de Plounévez-Lochrist, élève de 6ème. Jean-Marie Quéméneur, de Landivisiau, élève de 7ème. André Toullec, de Léon, élève de 7ème.

A la fin de cette première année scolaire, onze élèves entraient au Grand Séminaire de Quimper.

Le 10 mai 1807, le Préfet, M. Miollis, qui avait épousé la fille du maire de Saint-Pol, M. de Kerhorre, vint en cette ville. « Tous les étudiants en corps, écrit M. Péron, ont été le complimenter. Le compliment était bien fait et fut accueilli avec bonté. Tout le monde était attendri de la nouveauté du spectacle. M. le Préfet demanda un jour de congé, promit des prix et invita à dîner le jeune homme M. Le Borgne de la Tour, qui l'avait harangué, M. de Kerhorre, maire de Saint-Pol, invita un autre élève et tous deux eurent l'honneur de dîner avec le Préfet qui en fut très content ».

La distribution des prix, le 13 août, fut très brillante. Le préfet et le maire y assistaient. Vrai jour de triomphe pour M. Péron, lequel écrivait quelques jours plus tard : « Les progrès des élèves sont étonnants. Toute la ville est dans l'admiration. Leur travail a été si bien soutenu que ceux que des affaires de famille ont rappelés chez eux pendant trois semaines ou un mois n'ont pu reprendre leur rang à leur retour ».

La rentrée de la seconde année scolaire se fit le 1er octobre 1807 avec 250 élèves. C'est cette année-là seulement que l'église du Creisker devint la chapelle ordinaire du collège. L'Evêque, en effet, avait obtenu la démolition de l'église des Minimes, dont les matériaux servirent aux réparations de l'église et du clocher du Creisker. Le Directeur des Domaines avait appuyé la demande de l'Evêque d'un argument vraiment irrécusable : « La tour du Creisker est importante pour la marine ; placée en vue de l'entrée de la Manche, elle est un point remarquable de reconnaissance pour les vaisseaux et son écroulement serait considéré comme un événement funeste à la navigation ». Mgr Dombideau donnait ses pouvoirs à M. Chef du Bois, juge de paix à Saint-Pol. « Il est très capable, écrivait l'Evêque, de diriger l'affaire des Minimes ; lié très intimement avec M. Péron et ayant les mêmes vues, ils s'accorderont parfaitement pour procurer la plus grande utilité à l'église du Creisker ». En mai 1808, après que le Principal se fût réservé le pavé et les portes pour le Creisker, les débris de l'église des Minimes furent vendus par M. Chef du Bois pour 925 francs. C'est probablement alors, dit M. Pondaven, que fut transporté au Creisker l'autel sculpté qu'on y voit dans le côté sud. « Les tourelles du Creisker sont redressées et chiquées ; la flèche aussi et la charpente est réparée ; il ne reste plus à couvrir que le quart de la toiture et le chiquage de la base du clocher est à achever. Le Génie des Ponts et Chaussées a donné 5.000 francs (lettre de M. Péron) ». Avant la distribution des prix, le Principal, muni des pouvoirs nécessaires, fit au Creisker la cérémonie de la réconciliation de l'église et c'est à partir de ce moment que cette église devint la chapelle du collège.

En 1808, la distribution des prix, qui eut lieu le 12 août, fut précédée d'exercices littéraires. Ceux-ci commencèrent le 1er août pour les élèves de la plus haute classe, la seconde, et se continuèrent les jours suivants pour les autres classes. A cet effet, M. Péron fit imprimer une feuille pour chaque classe ; on y trouvait le programme de l'exercice et les noms des élèves. En seconde, il y avait dix élèves dont Joseph-Marie Graveran, de Crozon, le futur évêque de Quimper ; c'est lui qui remporta le prix. Le programme comportait : Tite-Live-Oratio pro lege manilia de Cicéron. Livres 4 et 5 de l'Enéide-Odes d'Horace avec la traduction en vers français par Daru. — AlgèbreProsodieTropes et apologuesGéographie de Nicole de la Croix — Histoire de France par Domairon — Evangile de Saint Mathieu et Actes des Apôtres.

En troisième, 22 élèves concouraient ; le programme portait : Instructions religieuses de Toul ; Ame élevée à Dieu ; Introduction à la vie dévoteQuinte-Curce (98 chapitres des 3ème et 4ème Livres). — Histoire de la Grèce, extraits par Justin de Troque Pompée (du 19ème au 44ème livre). — De amicitia de Cicéron — Géographie de la France — Prosodie — 1er, 2ème et 3ème livres de l'EnéideAbrégé de la Grammaire de Vailly — Géométrie.

En quatrième, 33 élèves et comme programme : Selectœ a Profanis, d'après Rollin — Prosodie de Chevalier — Bucoliques de Virgile et de Delille — Géographie générale — Arithmétique.

En cinquième, 48 élèves, le programme était : Catéchisme de l'Empire et Catéchisme de Fleury — Appendix de Diis et Heroibus poeticisDe viris illustribus par Lhomond — Fables de Phèdre et de La Fontaine — Epitomae historiae Graecae — les deux grammaires de Lhomond — Histoire de l'Ancien et Nouveau Testament par Royaumond.

En sixième, 86 élèves, dont Henri Roudaut, le futur fondateur du collège de Lesneven ; programme : Les deux catéchismes précités — Grammaires latine et française de Lhomond — Epitome historiae sacraeAppendix de Diis de Jouvency — Selecta colloquia pueriliaEpitome historiae graecae de Siret — Fables de La Fontaine.

Enfin en Elémentaire, il y avait 50 élèves et le programme comportait : Catéchisme de l'Empire — Grammaire de Lhomond — Epitome historiae sacrae.

Comme M. Péron travaillait surtout en vue du recrutement sacerdotal, il imagina de se procurer un petit Clergé pour les cérémonies au Creisker. Pour cela il écrivit à l'Evêque en septembre 1808 : « Pourrai-je Monseigneur, envoyer à la tonsure quelques sujets bien disposés ? Cela nous donnerait un petit clergé pour les dimanches et fêtes et nous les exercerions aux fonctions des ordres mineurs ? ». Mgr Dombideau acquiesça et M. Péron envoya onze élèves de quatrième. Hélas ! ils ne revinrent plus au collège ; l'Evêque, tiraillé par le besoin de prêtres, les trouva assez forts pour entrer au Grand Séminaire et les garda. D'où émoi de M. Péron. « On m'accusera, dit-il en substance, d'envoyer des ânes au Grand Séminaire ». — « ...Quant au ridicule, rassurez-vous, répond l'Evêque, je l'endosserai moi-même. Mais des nécessités impérieuses m'obligent à rendre ma conduite indépendante de toute les écoles secondaires, même dirigées par les ecclésiastiques » ; M. Péron se le tint pour dit, et se garda, désormais de l'ambition, exagérée pour l'époque, de ne présenter à son évêque que des candidats de culture raffinée.

Le nombre des élèves augmentant d'ailleurs chaque année, une nouvelle classe supérieure devait être créée (en 1809 c'était la rhétorique) M. Péron demandait à l'Evêque un ou deux professeurs de plus. Ce prélat trouvait le Principal bien exigeant ; mais M. Péron écrivait : « Monseigneur, Votre Grandeur n'a pas à craindre qu'on veuille employer dans cet établissement une surabondance de professeurs ; on conçoit facilement que cette espèce de luxe n'est point de saison quand le plus urgent nécessaire doit suffire. Mais, indépendamment de cette circonstance, il existe une raison bien propre à vous rassurer sur la réserve et l'économie qu'on mettra nécessairement dans l'emploi des maîtres ; c'est qu'il faut les payer et même les bien payer si l'on veut qu'ils soient tout ce qu'ils peuvent être. L'inquiétude sur son existence est pour l'homme de lettres une vraie paralysie sur ses talents... D'ailleurs cette école, en vous demandant des sacrifices, vous rendra avec usure... ».

M. Péron réussissait en 1809 à créer une classe de rhétorique, il ne pouvait encore songer à aller plus loin. Il lui eût fallu des sujets spécialement préparés pour la Philosophie et les Sciences.

Sur sa proposition, Mgr Dombideau décida d'envoyer à cette fin quelques bons élèves achever leurs études à Paris, à l'école de l'abbé Lieutard (devenue depuis 1822 le collège Stanislas). Joseph Graveran justement venait de finir sa rhétorique et il n'avait que 16 ans ; il fut envoyé à Paris. Il fit honneur à ses maîtres, car au bout de deux ans, il remportait au Concours général le premier prix de mathématiques. Son examen fut si brillant que l'Empereur fit appeler le jeune Breton et lui proposa un brevet d'officier d'artillerie en le dispensant de passer par l'Ecole polytechnique. L'offre était séduisante : « La tentation était forte, écrivait le jeune homme à un ami, je voyais luire à mes yeux de dix-huit ans un brillant uniforme... Mais non, me rappelant que, dans mon coeur, je m'étais donné à Dieu et que mes succès, je les devais à mon Evêque, je rougis à la pensée que je pouvais trahir Dieu et mon Evêque... ». Il refusa poliment l'offre impériale. Napoléon, touché de sa modestie, mit à sa disposition pour une journée une voiture de la Cour afin de lui faire visiter les monuments de Paris.

Sur le désir de l'Evêque, Joseph Graveran resta encore une année à Paris et suivit les cours de Mathématiques supérieures. A la rentrée de 1812, il était nommé professeur de Mathématiques au collège de Saint-Pol. Il y enseigna trois ans et fut envoyé de nouveau à Paris étudier à Saint-Sulpice les Sciences ecclésiastiques et recevoir le sacerdoce. Pendant son professorat à Saint-Pol, un cours d'hydrographie fut créé pour préparer des candidats à l'Ecole Navale et ce cours subsista jusqu'en 1868.

Pendant tout ce temps le collège prospérait. En 1810, le nombre des élèves dépassait 300. Quelques élèves, une vingtaine, étaient pensionnaires au collège même, mais la plupart prenaient pension en ville et c'est le spectacle que décrit M. de Courcy écrivant dans ses « Esquisses » : « Ce qui donne vie et mouvement à Saint-Pol, c'est le collège et ses nombreux externes, jeunes paysans de 15 à 25 ans, qui, se destinant à l'état ecclésiastique, ont laissé couper leurs longs cheveux. Ils se réunissent huit à dix dans la même chambre, vaste grenier sans cheminée, qui n'a d'autre meuble qu'une table de chêne entourée de bancs. Ils passent dans ce galetas presque tous les intervalles des classes ; ils y travaillent, fument ou jouent ; ils y prennent leur maigre pitance ; ils s'y couchent souvent sans draps, étendus tout habillés sur un matelas. Ils puisent au même encrier, se passent le Gradus et le Rudiment, se disputent en hiver la clarté avare d'une mince chandelle fixée dans le goulot d'une bouteille ou les émanations d'une terrine de cendre chaude qu'ils ont louée, en se cotisant, chez le fournier. Le mardi leurs familles leur apportent les provisions de la semaine, du beurre, du lard, un grossier pain d'orge, quelquefois des crêpes. Il y en a qui sont nourris par la charité publique et qui viennent, à tour de rôle, dîner dans une des maisons nobles. Quelques-uns sont mutins et tapageurs comme de vrais bazochiens du moyen âge : d'autres aiment passionnément l'étude et s'y livrent avec une espèce de frénésie. Ils se privent de nourriture, ils échangent une partie de leurs provisions contre quelques bouts de lumière qui leur permettent de travailler plus avant dans la nuit. On en a vus transcrire en entier, à force d'abnégation et de patience, les livres classiques qu'ils n'avaient pas les moyens d'acheter et jusqu'à des dictionnaires ».

L'époque, en effet, était dure, le blocus continental avait supprimé tout commerce. On lit dans le cahier des Délibérations du Conseil municipal de Landerneau, à la date du 20 novembre 1809 : « Le commerce est à peu près nul depuis le blocus du port de Brest et la cessation des armements, l'agriculture est négligée, ses produits sont sans valeur, les propriétaires sans moyens, les ouvriers sans travail ; sur une population de 4.000 âmes l'indigence est telle qu'il s'est présenté 800 aux distributions de pain des fêtes publiques, leur liste est conservée à la mairie ». De même M. Péron écrivait à cette époque : « Les avantages du pensionnat au collège font désirer d'en être. Mais le pays est trop pauvre pour en profiter. Toutes les conditions souffrent. Les paysans ne peuvent payer leurs fermes. Les marchands et les propriétaires même sont dans la détresse. Or les cinq sixièmes de nos écoliers sont enfants de cultivateurs et d'artisans ». Alors comment expliquer qu'avec cette misère économique il y eut quand même des élèves de familles pauvres au collège ? « Un grand nombre des élèves de la campagne, écrit encore M. Péron, faisait pendant les vacances une quête qui leur assurait du pain durant le reste de l'année. Ils allaient encore à Noël chercher leurs étrennes et se procuraient par là de quoi payer les mois d'instruction ; la charité des fidèles subvenait à tout ou à peu près pour cette intelligente jeunesse ». D'autre part, les prêtres des paroisses cultivaient à leur tour les vocations sacerdotales et payaient une partie de la pension des élèves qu'ils envoyaient au collège ? Mais à l'époque où nous sommes, la misère est si générale que le clergé, voyant ses ressources diminuer, ne peut plus rien réserver à ce sujet sur son revenu. C'est ainsi que M. Labous, premier vicaire à Saint-Louis, entretenait depuis deux ans au collège de Saint-Pol un élève indigent. Il dut, faute de ressources, cesser cette rétribution fin 1809. Le jeune élève, désireux de poursuivre ses études, adressa la supplique suivante à l'Evêque : « Monseigneur, les personnes charitables qui m'entretiennent au collège depuis deux ans, ne pouvant continuer leurs officieux services, j'ose, Monseigneur, me reposer sur votre âme généreuse et espérer pouvoir vous dire un jour avec Virgile : " Ante leves pascentur in ethere cervi, etc..". c'est-à-dire, (traduisant pour le lecteur) : " Les cerfs brouteront dans l'air, les mers abandonneront leurs poissons à sec sur le rivage, le Parthe et le Germain, échangeront leurs frontières, s'abreuveront l'un aux eaux de la Saône, l'autre à celles du Tigre avant que les traits de ce jeune Dieu s'effacent de mon cœur " ».

L'Evêque dut se laisser toucher par une requête si poétiquement exprimée, car l'auteur parvint au sacerdoce, devint aumônier de marine de 1ère classe et mourut chanoine honoraire en 1872 ; c'est M. Jean-Marie Buccaille, originaire de Granville.

Mais M. Péron, en rétablissant le collège, avait en vue surtout le recrutement du clergé. S'il avait accepté de quitter la Compagnie de Saint-Sulpice et de répondre à l'appel de Mgr de La Marche, c'était pour être surtout Supérieur du Petit Séminaire ; dans une lettre à l'Evêque, M. Péron, en 1806, lui disait : « Il vous faudrait deux bons collèges : l'un rapproché de vous et, avec le temps, dans votre ville épiscopale ; l'autre dans cette partie-ci qui est, sans contredit, la plus féconde en ecclésiastiques... Regardez votre Séminaire et rappelez-vous les sujets que vous avez ordonnés, d'où sont-ils (sinon du Léon) ? ». Or un décret du 9 avril 1809 donnait la liberté aux Evêques d'instituer un ou plusieurs petits séminaires. M. Péron aurait voulu que son établissement devînt ce qu'on appelait alors une école spéciale ecclésiastique. Il avait obtenu l'assentiment de la Municipalité. L'Evêque, à son tour, écrivait au préfet : « Nul ne connaît mieux que moi les excellentes dispositions des chefs de l'Université. Mais ils sont mortels. Je dois prévoir l'avenir. Je suis décidé à profiter de la liberté que me laisse l'article IV du décret du 9 avril 1909... de pouvoir établir le collège de Saint-Pol en école spéciale, ce que d'ailleurs il est déjà en fait, vu que tous les professeurs sont ecclésiastiques. Ce serait du reste rendre à sa première destination ce collège fondé par le dernier Evêque du Léon et par les dons de son clergé pour être son Petit Séminaire. De plus, cette ville est de tout le diocèse celle où les moeurs sont les plus pures, où la piété règne dans toutes les classes des citoyens ».

La Municipalité consentit ; le sénateur Cornudet mit son influence au service du projet et gagna même à la cause le Grand Maître de l'Université, M. Fontanès ; le nouveau préfet, M. du Molard, y était favorable ; mais l'ancien préfet, M. Miollis, fit tout échouer en 1810 parce qu'il voulait sauver le collège de Quimper. Il donnait cet argument: « Le collège doit rester communal, parce que ses bâtiments ont été donnés à la ville et non à l'Eglise ». Cette iniquité légale consacrée, la vie continua au collège qui resta ainsi ouvert aux catégories les plus diverses d'élèves. Nonobstant cette situation, il continua à fournir son contingent habituel de séminaristes. De 300 en 1810, le nombre d'élèves atteignait 330 en 1811 ; la progression était constante. Les études ne laissaient plus à désirer ; les écoliers venus d'ailleurs étaient obligés de descendre d'une, de deux et quelquefois trois classes. Un élève de seconde, venu en 1807 à Saint-Pol, n'entrait qu'avec peine en quatrième. En 1810, M. Péron lui-même en convenait : « s'il était possible de conserver nos élèves pour finir tous leurs cours, le collège serait plus nombreux et plus fort qu'avant la Révolution ».

Elèves du collège de Léon en 1901 (Bretagne).

 

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De 1815 à 1827, mort de M. Péron.

A la rentrée de 1815, la situation était changée, les Bourbons étaient définitivement remontés sur le trône de France. Le premier bienfait que M. Péron obtint du nouveau régime fut la création de la classe de Philosophie. Le collège avait désormais tous les degrés de l'enseignement secondaire et, en plus, le cours d'Hydrographie. 

Mais à peine Louis XVIII fut-il remonté sur le trône, que se posèrent quantité de problèmes épineux qui agitèrent les esprits. Dans le Finistère, toute une partie de la population et du clergé désirait voir rétablir l'Evêché de Léon. Le marquis de Montmorency, pair de France et maréchal de camp, vint à Brest en 1815. « Fallût-il faire vingt lieues, déclara-t-il, je veux voir le bon peuple de Léon ». Il ne fut pas déçu. Il reçut à Saint-Pol un brillant accueil. « Dès que le général, préalablement complimenté par l'administration municipale, au bout du cimetière, a été dans la rue, écrit M. Péron, la cloche du collège s'est fait entendre. Les maîtres et les écoliers ont formé la haie des deux côtés de la rue. Tous criaient à pleine tête : " Vive le roi ! ". Le général m'a dit au collège qu'il en avait connu le vénérable fondateur à Londres. Il est parti très satisfait et, à vrai dire, le compliment était bon ». Un service solennel fut chanté à la cathédrale pour le repos de l'âme de S. A. royale le duc d'Angoulême. A la sacristie, on remit au général une supplique pour le rétablissement du siège de Léon. Toute à l'espérance, la petite ville remit à neuf le palais épiscopal. « Madame de Quengo, dit une lettre datée du 15 novembre 1815, a vu deux Evêques chargés du travail relatif au culte et dans le tableau des sièges rétablis, celui de Léon est en tête ». Les grands artisans de cette restauration étaient M. Péron et M. de Poulpiquet ; l'abbé Le Gris-Duval seul eût pu faire aboutir le projet, s'il avait voulu accepter l'épiscopat. Il refusa, et Mgr Dombideau, par sa résistance, fit échouer la restauration. Par crainte que la meilleure partie de son troupeau ne lui échappât, il plaça les meilleurs sujets de son clergé dans la Cornouaille, de sorte que si le décret de restauration paraissait, Quimper serait pourvu à l'avance. On essaya de briser la résistance de Mgr Dombideau en lui proposant plusieurs sièges éminents, comme celui de Rouen. Mgr Dombideau déclara que rien ne le séparerait de cette église de Quimper qu'il avait eu tant de mal à restaurer : « Seule la mort me fera partir », avait-il déclaré.

A partir de ce moment, il faut noter une grande froideur dans les relations entre l'Evêque et M. Péron. Mgr Dombideau enlève même au Principal son titre de Supérieur du Séminaire qu'il lui avait conservé jusque là, malgré son séjour à Saint-Pol. Ce fut une grande souffrance pour M. Péron. Cependant la froideur n'empêcha pas l'Evêque de lui continuer sa confiance. M. Corre, le curé de Saint-Pol, était mort le 2 avril 1815. Quelques semaines après, sur les conseils de M. Péron, l'Evêque nommait à ce poste, avec l'agrément du Gouvernement, le premier vicaire de la paroisse, M. Le Goff, et c'est aussi M. Péron qui fut chargé par l'Evêque de l'installer. « Ce 26 décembre 1815, nous soussigné Jean Péron, prêtre, chanoine de Quimper et principal du collège, certifions avoir ce jour installé François Le Goff, ci-devant vicaire de Saint-Pol, comme curé de la paroisse ».

Il est encore chargé, concurremment avec le curé de Saint-Pol, de convoquer tous les ans les jeunes Vicaires du canton pour les examiner sur les Traités désignés pour l'année, et, on trouve à l'Evêché de multiples procès-verbaux de ces examens. Mais l'heure de l'épreuve, était venue. Le collège de Léon était cependant plus prospère que jamais. Dans la seule classe de huitième on comptait à cette époque jusqu'à 7 petits écoliers d'outre-Manche. Le préfet vint visiter l'établissement en 1816. « Il a paru très satisfait, écrit M. Péron, il a dit à un ami : " Notre collège de Quimper reçoit 4.000 francs par an pour demeurer toujours en guenilles. Celui-ci ne reçoit rien, et voyez comme il est entretenu ! il n'y manque pas un demi-carreau de vitres !" ». Et cependant M. Péron souffre : « La place n'est pas tenable, écrit-il en 1819. Le courage m'abandonne. Je suis comme anéanti. Bien que Dieu bénisse cet établissement entrepris pour sa gloire, il n'y a que les vues et les motifs de la foi qui puissent y soutenir ».

C'est que, depuis la Restauration, le Principal est accablé par les soucis financiers. L'Evêque a obtenu, le 22 février 1816, l'ancien couvent du Calvaire pour y installer son Grand Séminaire. Il ordonne des quêtes dans tout le diocèse et restreint les crédits annuels qu'il accordait à M. Péron, car il vient aussi d'établir son Petit Séminaire à Pont-Croix. M. Péron écrit à son ami M. de Poulpiquet, devenu vicaire général : « Si j'avais la moitié de ce que vous dépensez inutilement, j'en ferais un usage très précieux. Si nous sommes du diocèse, pourquoi n'en partage-t-on pas les fonds avec nous ? Et pourquoi ordonner des quêtes et chercher de l'argent jusque parmi nous ? Votre petit séminaire ne se borne pas à prendre les indigents ; il reçoit et gratis nos écoliers fortunés. Ce n'est pas, difficile avec une récolte comme la vôtre ; les fonds ne vous manquent pas. Nous, nous n'avons pas de quoi, bientôt, payer nos domestiques. Il nous faudrait toucher annuellement 15.000 francs. Or nous n'avons pour payer le traitement des maîtres et pour faire les réparations que le revenu (36 francs par élève) du droit d'enregistrement ». De plus, Mgr Dombideau lui enleva pour son Petit Séminaire quelques-uns de ses meilleurs professeurs.

L'Evêque, on le comprend, voulait assurer le succès de son Petit Séminaire, Mais M. Péron souffrit du procédé et il sentit que Monseigneur se désintéressait de plus en plus de son oeuvre.

D'autre part, on sait que les premières années de la Restauration amenèrent par réaction une recrudescence extraordinaire de l'esprit antireligieux. Ce fut l'époque du Carbonarisme, de la lutte contre la Congrégation et les Jésuites. Quand la loi du 5 mai 1819 accorda la liberté de la presse, toute une littérature voltairienne inonda le pays de ses pamphlets et de ses libelles. On connaît les pamphlets de Paul-Louis Courrier et les chansons de Béranger. De plus n'était-ce pas l'époque où la génération, élevée pendant la Révolution, arrivait à l'âge mûr ? Notre région ne fut pas mieux préservée que le reste du pays. Les carbonaristes réussirent à empêcher les Missions de Brest en 1819 ; sept ans plus tard, ils essayèrent d'empêcher un second essai ; la fermeté de Mgr de Poulpiquet triompha de leur sectarisme, mais ce ne fut pas sans peine. Or ces carbonaristes brestois étaient tous des jeunes gens. Le contre-coup ne pouvait pas ne pas se faire sentir dans la jeunesse des écoles. « La corruption, écrivait déjà M. Péron en 1819, règne parmi les jeunes gens et même chez les enfants qui agissent avec une dépudeur dont, de mon temps, on ne paraissait avoir aucune connaissance... On a multiplié les plus détestables ouvrages ; un zèle infernal les colporte ; une jeunesse inconsidérée les lit avec avidité. Beaucoup de parents sont les premiers à en mettre entre les mains de leurs enfants. Dans cette malheureuse petite ville, il y en a trois magasins ! ».

En 1819, à une procession, à Saint-Pol, deux collégiens, originaires de Brest, causèrent un véritable scandale d'impiété et M. Péron dut les chasser du collège. De plus, la plupart des élèves étaient logés en ville ; outre les mauvais livres, un autre danger était à craindre : le jeu. C'était le billard qui était alors à la mode. Beaucoup de jeunes gens fréquentaient, le soir, surtout en hiver, les salles de billard et l'on y buvait. M. Péron, cela va sans dire, en avait interdit à ses élèves la fréquentation, mais il avait beau surveiller, plusieurs d'entre eux s'y rendaient en cachette. En vain réclamait-il de la Municipalité la fermeture de ces salles pour les jeunes gens : à cette époque de libéralisme, elle n'osait prendre une telle décision : « il y a trois billards, écrit M. Péron ; je ne réussis pas à les faire fermer à nos élèves ; ceux que je découvre n'y retournent pas, mais la cupidité les cache avec soin pour jouer, boire, etc... ». Aussi à cette époque forma-t-il deux desseins : celui de prendre des pensionnaires au collège et celui de séparer des autres élèves ceux qui se destinaient à l'état ecclésiastique, afin de ne pas exposer les vocations à se perdre. Pour exécuter le premier dessein, il mettra du temps et il n'aura le bonheur d'y réussir que l'année de sa mort.

Pour ce qui est du projet de séparer les futurs étudiants ecclésiastiques, il le réalisa plus tôt. Dès 1822, il achète de Madame Ruguel la maison dite de Keroulas et l'offre aussitôt à l'Evêque par la lettre suivante : « Monseigneur, J'ai l'honneur de vous communiquer l'intention où je suis de faire au profit du Séminaire de Quimper une donation de dix mille francs à la charge qu'il acquerra en cette ville de Saint-Pol la propriété de Madame Ruguel, située rue Corre, pour être employée à y réunir les écoliers que l'Evêque diocésain jugera à propos d'y admettre et qui fréquenteront le collège, à condition, qu'en cas de suppression de ce pensionnat, le produit de cette propriété sera affecté toujours au bénéfice des élèves indigents du collège de Léon. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir bien solliciter à cet effet l'autorisation de Sa Majesté. J'ai l'honneur d'être... PÉR0N ».

Au moment où M. Péron écrivait sa lettre, Mgr Dombideau de Crouseilhes venait de mourir. Il fut remplacé sur le siège de Quimper par Mgr de Poulpiquet, le grand ami de M. Péron. Cette nomination fut une grande joie pour le Principal, et la réponse à sa lettre fut naturellement une acceptation enthousiaste. Dès la rentrée de 1824, d'ailleurs, la Maison de Keroulas avait 46 pensionnaires et 24 chambriers ; la pension était de 183 francs ; le chambrier versait 37 francs par an.

A toutes les misères qui accablaient ainsi les dernières années de M. Péron, s'était ajoutée une mauvaise santé qui explique son pessimisme accablant. Dès 1819, il avait senti les premières attaques de la goutte, et cette maladie lui rendit l'usage des membres très difficile. En 1819, son écriture devenait presque illisible. « Ma main est d'ordinaire d'une si grande gaieté, écrit-il, qu'il suffit qu'on veuille l'appliquer à écrire pour qu'elle se mette à danser ». A partir de 1821, il s'adjoint un secrétaire, l'abbé Monfort, de Plouvorn, et ne fait plus que signer ses lettres.

En 1821, le Chapitre de Quimper l'avait élu pour son doyen ; c'était l'hommage de ses frères qui le consola un peu des amertumes et des soucis du moment.

Il avait mené à bien l'année scolaire 1826-1827 ; pendant les vacances d'août, il faisait établir des cellules pour recevoir les derniers pensionnaires. C'est alors qu'il reçut la visite de M. Le Coz, fondateur du Petit Séminaire de Pont-Croix. Celui-ci écrivait à Mgr de Poulpiquet, le 4 septembre 1827, une lettre (que nous a communiquée M. l'abbé Bosson, professeur au Petit Séminaire de Pont-Croix). « ... A Saint-Pol, j'ai reçu l'hospitalité au collège. J'ai vu les cellules préparées pour les élèves. On n'a pu avoir une idée plus utile que de les rassembler au collège pour les retirer des dangers du siècle et les soumettre enfin à l'ordre. Le collège est beau, mais je préfère la maison de Pont-Croix. Je suis allé au pensionnat de M. Charruel. Il est difficile de trouver un local plus dangereux pour la santé et pour les moeurs. A l'entrée du premier dortoir, M. Pouliquin et moi, nous avons reculé tant on y respirait un air infect. On avait cependant commencé à laver les planchers ; la maison est trop petite pour le nombre d'élèves qu'on y reçoit. Les lits sont disposés de manière que trois élèves sont forcés de se déshabiller, de se lever, de se coucher, de changer de linge trop près les uns des autres pour qu'il soit possible de les surveiller. Quel danger pour les moeurs des élèves ! La cathédrale serait belle si les piliers n'étaient pas d'une saleté dégoûtante. J'ai trouvé magnifique la maison que votre charité destine aux prêtres âgés et infirmes... J'ai monté dans la tour du Creisquer, la merveille du pays. On n'est pas breton, dit M. Péron, lorsqu'étant à Saint-Pol, on ne monte pas dans cette tour... ».

Au moment où il écrivait cette lettre, M. Le Coz ne savait pas que le 1er septembre, une crise de goutte avait emporté subitement M. Péron ; le Principal avait tout juste eu le temps de recevoir l'absolution et l'Extrême-Onction ; le matin, il avait dit la messe comme d'habitude, le soir il mourait à 10 heures. Il avait 77 ans. Un de ses frères utérins signa à la mairie la déclaration du décès. Par testament olographe, daté du 31 juillet 1824, M. Péron léguait au collège : 1° Une somme de 8.000 francs, destinée à être employée en achat de rentes ou de biens-fonds qui seront laissés à ses successeurs dans la direction de l'établissement, à la charge de faire chanter deux services par an et à perpétuité pour le repos de son âme et celui de feu Mgr de La Marche. 2° Une somme de 44.355 francs pour des bourses à accorder à des élèves au choix de M. le principal. Il y avait à ce moment au collège plus de 100 élèves à titre gratuit et l'évêché donnait, en 1827, en faveur des élèves qui se destinaient à l'état ecclésiastique, la somme de 300 francs.

 

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De 1827 à 1841. — Translation des restes de M. Péron dans l'église du Creisker.

L'abbé Blanchard, recteur de l'Académie de Rennes, écrivait à l'Evêque de Quimper le 13 septembre 1827 : « Monseigneur, Dès avant la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 7 de ce mois, j'avais reçu l'affligeante nouvelle de la mort du vénérable M. Péron, restaurateur et principal de l'excellent collège de Saint-Pol-de-Léon. M. l'abbé Monfort avait pris le soin d'en instruire Mgr l'Evêque d'Hermopolis. J'ai désigné au choix de son Excellence M. l'abbé Monfort, comme le sujet le plus digne que je connaisse de remplacer celui qu'il regardait lui-même comme un second père et dont il était le coadjuteur depuis plusieurs années. Je savais d'avance, Monseigneur, qu'en faisant cette désignation qui, vu les temps, ne pouvait subir de retard, j'entrais parfaitement dans les vues et les desseins de Votre Grandeur... Recevez ….,  le Recteur d'Académie : Abbé BLANCHARD ».

M. Monfort fut nommé Principal le 22 septembre et installé le 23 octobre. Il était né à Plouvorn et avait fait ses études au collège de Saint-Pol. Entré dans l'enseignement en 1814, il avait été successivement professeur de sixième et de quatrième. M. Péron l'avait pris comme coadjuteur depuis 1819 et lui avait fait donner le titre de Sous-Principal. M. Monfort n'avait qu'à continuer l'oeuvre de son prédécesseur. Tout allait bien d'ailleurs, quand, en 1830, la politique faillit de nouveau renverser l'oeuvre restaurée avec tant de peine. Après les « Journées de Juillet », Louis-Philippe, parvenu au pouvoir, exigea de tous les fonctionnaires le serment suivant : « Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume ». M. Monfort et les professeurs du collège refusèrent tous de prêter ce serment. Ils durent quitter l'établissement, et un laïque, M. Hallier, professeur au collège de Saint-Brieuc, fut nommé Principal. La rétribution scolaire fut élevée à 400 francs ; le collège fut déserté et l'Evêché fit de Kéroulas une maison de repos pour les vieux prêtres. En 1833, M. Hallier donna sa démission et fut remplacé par M. Le Taro, sous-principal du collège de Lorient ; celui-ci opéra une réduction du personnel, en réunissant deux classes en une. M. Le Taro mourut en 1835. Sur les instances de la Municipalité, qui demandait à remettre à des ecclésiastiques la direction de l'établissement, M. Monfort fut de nouveau nommé Principal le 26 juin 1835. A la rentrée de cette année, 250 élèves étaient inscrits et, à la rentrée de 1836, il y en avait plus de 300. En 1837, le Principal réussit à rétablir le pensionnat de Kéroulas. M. Monfort avait donc restauré l'oeuvre de M. Péron, comme ce dernier avait restauré l'oeuvre de Mgr de La Marche.

C'est alors que, de concert avec le maire, M. Miorcec ; avec le curé, M. Le Goff ; avec M. Bohic, supérieur de la maison de retraite des prêtres âgés, M. Monfort adressa à tous les anciens élèves, au nombre de plus de deux mille, la circulaire suivante : « Il y a peu de prêtres qui aient fourni une carrière plus belle, plus estimable, plus remplie de bonnes oeuvres que M. l'abbé Péron, ancien principal du collège de Saint-Pol-de-Léon. Après des études solides et brillantes, il prit les grades dans l'Université et entra dans la savante et pieuse Congrégation de Saint-Sulpice. Chargé pendant plusieurs années d'enseigner la théologie dans les séminaires de Nantes et d'Autun, il se fit remarquer par l'étendue de ses connaissances comme par la profondeur et la justesse de son esprit et mérita la confiance non seulement des Evêques de ces deux diocèses, mais de plusieurs autres qui le consultaient sur les questions les plus délicates. Il n'eût tenu qu'à lui d'accepter des offres aussi avantageuses qu'honorables qui lui ont été faites ; mais, fidèle à sa vocation d'instruire la jeunesse, il ne voulut pas consentir à la modifier. M. de La Marche venait de doter la ville de Saint-Pol de son beau collège et méditait d'y donner aux études une direction forte et une extension utile. M. Péron lui parut propre à seconder ses vues ; il l'appela, et, juste appréciateur du mérite, il ne tarda pas à l'admettre dans son intimité, tellement que, forcé de s'expatrier, il lui confia l'administration de son diocèse. Nous ne parlerons pas de la prudence, de la généreuse fermeté et de toute la capacité dont M. Péron fit preuve dans des circonstances aussi difficiles. Nous nous hâtons d'arriver au service signalé qu'il rendit au pays en rétablissant le collège de Saint-Pol à une époque où il y avait si peu de moyens d'instruction et où le besoin s'en faisait sentir si vivement. C'est cet établissement qui a repeuplé le sanctuaire ravagé par la Révolution ; c'est de là que sont sortis un grand nombre de jeunes gens qui aujourd'hui occupent des places importantes ; c'est là qu'on a vu ce respectable vieillard se dévouer pendant vingt-deux ans consécutifs à l'éducation de la jeunesse avec un zèle que l'âge et les infirmités n'ont pu affaiblir et auquel la mort seule pouvait mettre un terme. Elle n'en a pas mis à ses bienfaits. Une rente annuelle, établie au profit des élèves peu fortunés, le fait bénir chaque jour par sa famille adoptive et sera un monument éternel de sa prévoyante charité, monument le plus beau sans contredit qui puisse lui être érigé. Cependant celui qui serait élevé sur ses cendres par la main de la reconnaissance honorerait à la fois celui qui n'est plus et ceux qui se souviennent qu'il fut leur instituteur et leur ami. Dans cette pensée, à laquelle Mgr l'évêque de Quimper a bien voulu s'associer, d'anciens élèves de M. Péron prenant l'initiative, comme témoins plus assidus du bien qu'il a opéré, viennent s'adresser aux souvenirs de leurs nombreux condisciples et leur proposer une souscription dont le produit serait consacré à la translation des restes de notre vénérable Principal dans l'église du Collège et à l'érection d'un monument destiné à l'y recevoir. Quoique nous n'ignorions pas que de semblables mesures obtiennent rarement une approbation universelle, nous ne pouvons douter que nous ne trouvions généralement sympathie et coopération. L'administration locale favorisera cet acte de haute convenance avec d'autant plus d'empressement que le nom de M. de La Marche et celui de M. Péron sont inséparables toutes les fois qu'il s'agit de services rendus dans un collège que l'un a fondé et dont l'autre a été le premier Principal et comme le second fondateur ».

La souscription fut rapidement couverte et la translation des restes de M. Péron dans l'église du Creisker eut lieu le 21 juillet 1841. Nous empruntons le récit de la cérémonie à un journal de l'époque, « l'Armoricain » de Brest, et nous le reproduisons in extenso.

INAUGURATION DU MONUMENT DE M. PERON. La translation des restes mortels de l'ancien Principal du collège et l'inauguration du monument érigé en son honneur ont eu lieu, mercredi 21 juillet, en présence de toutes les autorités de Saint-Pol-de-Léon, de tous les maîtres et élèves de l'établissement et de nombreux voyageurs accourus de toutes parts pour rendre un dernier hommage à la mémoire du vénéré abbé Péron. Rien n'a manqué à l'éclat de cette pieuse et touchante cérémonie. Un magnifique catafalque avait été dressé dans l'église du Creisker par les soins de l'habile décorateur de Saint-Louis. Il occupait tout le bas-choeur entre les piliers de la tour et dominait une chapelle ardente dans laquelle était placé le sarcophage. A neuf heures précises, le maire à la tête de ses adjoints et de son Conseil municipal, la Commission du collège et un grand nombre d'anciens élèves, venus à Saint-Pol pour assister à la cérémonie, se sont rendus à la chapelle sous l'escorte de la douane et de la gendarmerie. Là, plus de cent prêtres étaient réunis sous la présidence de Mgr Graveran, évêque de Quimper. Le cortège s'est aussitôt mis en marche pour le cimetière ; les élèves, rangés sur deux files, étaient en avant, la croix en tête ; les prêtres venaient ensuite, puis Mgr l'Evêque et, derrière lui, les autorités de la ville, le Principal et les Professeurs, décorés de leurs insignes académiques, puis les anciens élèves, puis la foule que les hommes armés avaient peine à contenir. Les restes de M. Péron étaient déjà déposés dans la chapelle du cimetière, une châsse de plomb les avait réunis. Cette châsse a été placée dans le sarcophage et les chants funèbres ont alors commencé à se faire entendre. Le cercueil était porté à bras par des prêtres. Les coins du poële étaient tenus par MM. Cottain, chanoine honoraire, curé de Ploudalmézeau ; Miorcec, maire de Saint-Pol ; Keramanac'h, chanoine honoraire, curé de Morlaix ; et Laurency, de Brest, membre du Conseil général, tous quatre, anciens élèves de M. Péron. La musique du collège précédait le cercueil et jouait avec précision des airs appropriés à la circonstance. Le cortège est rentré au Creisker dans le même ordre et les porteurs du sarcophage l'ont déposé avec la châsse sous le catafalque.

La grand'messe a été chantée par le curé de Saint-Pol, assisté du curé de Quimperlé, d'un diacre et d'un sous-diacre. A la fin de la messe, l'évêque est monté en chaire et a prononcé l'allocution suivante : « Messieurs et chers élèves, Vous êtes trop jeunes pour avoir connu le vénérable directeur dont nous honorons aujourd'hui la mémoire et c'est à peine si les plus âgés d'entre vous ont pu voir l'abbé Péron et conserver dans leurs premiers souvenirs quelques-uns des traits de son visage. Ce serait à la génération qui vous précéda dans la vie et vous devança dans cet établissement de vous parler de ses travaux et de ses succès ; ce serait à Nous, rangé d'abord parmi ses élèves, compté plus tard au nombre de ses collaborateurs, de vous retracer cette vie si pleine, cette carrière de dévouement et de zèle, signalée par les plus heureux résultats et qui ne sera pas sans gloire. Cette tâche excéderait les bornes d'une simple allocution. Nous vous redirons du moins, en peu de paroles, la modeste mais intéressante histoire du digne prêtre dont ce monument conservera la dépouille précieuse ; ce qu'il a été, ce qu'il a tenté pour la prospérité de ce collège, les succès qu'il a obtenus, le bien qu'il a consolidé... Ici l'orateur raconte comment, avant les troubles funestes qui désolèrent notre patrie, le vertueux Principal fut appelé par Mgr de La Marche à la direction de l'établissement que le dernier évêque de Léon avait fondé et doté magnifiquement dans son zèle pour les bonnes études et le recrutement de son clergé. Il fallait, dit-il, pour répondre aux grandes vues du sage fondateur un homme habile, ferme, prudent, et Mgr de La Marche le rencontra dans M. Péron. Mais bientôt la voix des novateurs troubla jusqu'à la paix des collèges. Alors de tristes préoccupations vinrent se mêler aux tranquilles labeurs de l'étude et aux persévérantes investigations de la science. La jeunesse se précipita loin de l'enceinte des écoles et la plus triste solitude remplaça le mouvement et la douce agitation de la vie scolastique ».

L'orateur décrit alors cette « époque où les dominateurs maniaient le poignard de Brutus, mais dédaignaient le style d'Homère et de Xénophon ; où ils parlaient beaucoup des Grecs et des Romains en méprisant la littérature et les chefs-d'oeuvre, où ils prenaient les noms des héros, etc... Le culte de la raison déifiée, en exilant le culte du vrai Dieu, ne faisait même pas grâce à celui que l'amour de l'étude avait nommé le culte des Muses... Ils repoussaient aussi l'aristocratie du savoir, du génie... leur niveau s'étendait sur tout... Cette époque déclara n'avoir aucun besoin d'orateurs, de poètes ou de savants... ».

L'Evêque en arrive au moment où des hommes d'avenir et de foi s'occupèrent de la restauration des études : « Alors, dit-il, l'abbé Péron vint frapper à la porte de cet établissement qui pour un temps avait perdu sa destination primitive, mais dont les murs, solidement implantés dans le sol, pouvaient abriter encore des générations nouvelles. Nous avons ouï dire qu'une voix imposante était venue, à travers les flots, lui recommander l'oeuvre du collège de Léon ; cette même voix, aux accents de laquelle les pierres s'étaient dressées pour offrir un noble asile aux lettres et à la science, elle l'encourageait à rentrer dans le domaine autrefois cultivé de sa main. Le voilà donc en présence de sa tâche nouvelle, avec son zèle, ses souvenirs et son expérience. Nouveau Néhémias, il a promis de relever l'enceinte où jadis il présidait aux luttes animées de l'école, et, après en avoir reconnu le délabrement, sans effroi comme sans illusion, il s'est placé sur le seuil désert, appelant d'une voix ferme et engageante les enfants pour les former aux lettres et à la vertu, et les prêtres habiles et dévoués pour l'aider dans son oeuvre de régénération. Nous avons vu de nos yeux, et vous, chers enfants, vous avez appris les fruits heureux de sa confiance. Son dévouement a fait naître le dévouement, sa fermeté a triomphé des obstacles quand sa prudence n'a pu les écarter ; son désintéressement personnel a réveillé la sympathie des âmes généreuses ; sa réputation bien établie lui a donné pour auxiliaires ces hommes d'élite dont les noms sont associés pour toujours à son nom vénéré. L'habileté de son administration a multiplié rapidement le nombre des élèves et les progrès des élèves ont consolidé l'édifice tracé par son amour et promptement élevé par sa sagesse ».

L'orateur énumère en ce moment les services que le Principal a rendus à la société, les sujets qu'il a formés dans toutes les carrières, les prêtres nombreux qu'il a donnés à l'Eglise : « Longtemps sa maison fut, dit-il la pépinière de notre sacerdoce ». Il rappelle aussi la réputation de savoir et de bonne discipline qu'il a méritée à son collège, son caractère qui fut « bon, sensible, généreux, sous des apparences rudes, sévères, regardantes ». Puis il termine ainsi cette éloquente allocution : « Si je voulais parler davantage du caractère de l'abbé Péron, je dirais que la gravité de sa contenance et la fermeté de son langage commandaient le respect et l'obéissance, en même temps que la bonté de son coeur et sa sensibilité faisaient naître la confiance et l'attachement. Je justifierais mes paroles par le concours empressé de ses anciens élèves autour de sa dépouille mortelle et je les confirmerais au besoin par le récit de choses qu'il a faites pour l'avenir de ce collège. Il l'a gracieusement doté de ses prévoyantes économies. Grâce à sa bienveillante sollicitude, une jeunesse, pauvre des biens de la fortune mais amie de l'étude, ne sera pas déshéritée de la science littéraire. Chers enfants, l'esprit du vénérable Principal dirige encore cette institution si prospère. Il vit dans son digne successeur, héritier de son zèle, de son expérience et de son attachement pour vous. Il anime ses maîtres, à la fois si bons et si habiles, qui lui viennent en aide pour former vos cœurs et vos esprits. Il conduit cette loyale administration, gardienne attentive de vos intérêts. Puissiez-vous en subir l'influence, puisse-t-elle se faire reconnaître tous les jours dans vos efforts et dans vos succès ! ».

Ce discours a produit une vive impression sur tout l'auditoire et a été suivi d'un morne silence.

M. l'abbé Monfort, Principal actuel, avait aussi un tribut à payer à la mémoire de son digne prédécesseur et il a prononcé quelques phrases chaleureuses avec une sensibilité profonde qu'il a communiquée à tous les assistants. « Ce n'est pas ici, s'est-il écrié, une fête patriotique propre à frapper les sens. C'est une réunion de famille belle et touchante parce que les sentiments qui l'animent sont nobles et généreux ; ce sont, permettez-moi de le dire, de nombreux enfants qui, disséminés dans les nombreuses classes de la société, s'assemblent pour pleurer sur des ossements, pour environner de leur amour et de leur respect les précieux restes de celui qui leur servit de père. Ah ! qu'il était à la fois grave et attendrissant ce spectacle dont parle l'histoire du peuple d'Israël réuni pendant trente jours dans le désert de Moab pour faire le deuil de son législateur. Il y a aussi, Messieurs, quelque chose qui émeut et saisit l'âme dans ce concours de citoyens de tous les rangs et de tous les états, unis au premier Pasteur du diocèse, tous disciples du même maître, munis du suffrage de leurs deux mille condisciples absents, se donnant rendez-vous dans un cimetière et réclamant à une tombe, fermée depuis quatorze ans, le dépôt qui lui fut confié, pour le transporter dans ce temple, au pied de ces autels qui désormais couvriront de leur ombre protectrice celui dont le zèle et la foi les relevèrent de leurs ruines. S'il était encore au milieu de nous, ce bien-aimé Principal, pour recevoir en ce moment le tribut de notre vénération et de notre affection filiale, combien il serait ému ! Quelle consolation, quel bonheur pour lui, non de voir le marbre transmettre son nom à la postérité, mais de trouver la preuve qu'il n'a point cultivé un sol ingrat et que les fruits de sa sagesse seront abondants et durables ! Combien il serait heureux de voir accomplis dans le Pontife qui préside à cette pieuse cérémonie les desseins du Ciel qu'il avait devinés dans l'élève ! Qu'il serait heureux de serrer dans ses bras l'un de ses premiers disciples qu'il avait coutume d'appeler le modèle des pasteurs (M. Le. Goff, curé de Saint-Pol) ; d'exprimer sa reconnaissance à ces dignes magistrats qui soutiennent avec tant de dévouement l'oeuvre qui fit l'occupation de toute sa vie, de vous témoigner à tous, mes honorables condisciples, sa vive satisfaction pour des, vertus, des talents et des services qui, en faisant votre gloire et le bonheur de la société, honorent et font bénir la mémoire de celui qui n'est plus ! ».

L'Evêque alors a commencé l'absoute, revêtu de ses habits pontificaux, ayant la crosse en main et la mitre à la tête. Puis il a conduit la châsse jusqu'au tombeau destiné à la recevoir et il a prononcé les dernières prières. Un si grand honneur ne pouvait être réservé qu'à un homme du mérite de M. Péron.

La statue qui forme le tombeau de M. Péron n'a été placée qu'après la cérémonie. Elle était couverte d'un voile noir et suspendue à un appareil. On n'a pu la voir et juger de l'ensemble du monument que dans l'après-midi. Ce monument est dû au sculpteur Pennors, de Morlaix ; il représente M. Péron, revêtu du costume de chanoine et agenouillé sur un coussin ; ses mains sont jointes et sa tête est tournée vers le sanctuaire. Sur le socle qui surmonte le sarcophage, on a gravé l'épitaphe suivante : DOMINO JOANNI PERON, IN COLLEGIO LEONENSI STUDIORUM MODERATORI, OB PROCELLAS PUBLICAS INTERRUPTORUM RESTAURATORI, PIO, OPTIMO, REVERENDO, ALUMNI MEMORES. « Multos erudivit et fructus sensûs illius fideles sunt et nomen ejus erit vivens in aeternum » (Eccl. 37). Obiit die XXIX aug. Anno MDCCCXXVII. Ossa huc translata. Anno MDCCCXLI (abbés Saluden et Kerbiriou).

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