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L'EGLISE CAROLINGIENNE DE

SAINT-PHILBERT-DE-GRANDLIEU

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I - EN FACE DU MONUMENT.
Le visiteur qui arrive pour la première fois devant la vieille église de Saint-Philbert peut se trouver légèrement désappointé par l'aspect très simple de son abord. Pas de clocher, pas de tour, pas de vestiges non plus de décoration véritablement antique : un simple pignon percé de trois humbles fenêtres en plein cintre et modernes, une porte ogivale d'une époque mal définie, parée d'un bourrelet sans grand art telle se présente la façade principale [Note : Lors des travaux de restauration, plusieurs archéologues avaient exprimé le souhait qu'on ravalât cette façade ouest du monument, dans l'espoir d'y découvrir l'appareil des ouvertures primitives. Il ne fut pas donné de suite à ce projet]. Le côté Sud, seul accessible — le flanc Nord étant entouré des bâtiments et des jardins de l'ancien Prieuré — n'a pas plus de caractère : une seule fenêtre trapue ajoure les murs pareillement gris et monotones, et sa porte basse réplique en plus primitif encore, la porte du pignon central. Par dessus le tout, de longs et larges toits uniformes de plan : la vieille église, dessous, semble lasse et affaissée, sous le poids des ans, peut-être aussi de ses gloires et de ses malheurs. A vrai dire, les unes et les autres ne lui ont point manqué.

En 1870, la masse du monument avait conservé plus d'allure. Son toit principal reposait sur une muraille de trois mètres plus haute, au-dessus de l'appentis des basses nefs, et la façade s'agrémentait d'un clocher de charpente, massif, il est vrai, mais qui néanmoins donnait à l'église plus de silhouette. Des fenêtres découpaient les hauts murs, et l'abside s'égayait d'une baie très ample aux graciles meneaux flammés, souvenir de la dernière époque gothique.

Mais vers cette date de pénible mémoire où la France subissait l'injure de l'invasion prussienne, la vénérable église que, dans les âges passés, avaient incendiée les Normands, saccagée les Anglais, mutilée les Huguenots et profanée les Révolutionnaires, subissait aussi d'une manière toute pacifique, mais non moins terrible, le dernier assaut destructeur (espérons-le du moins) tenté contre ses vieux murs. Désaffectée alors et remplacée pour le service paroissial par une église nouvelle, elle fut amputée de son clocher auquel succéda ce pignon aux trois petites fenêtres pseudo-romanes et découronnée de toute la partie haute de ses murailles : on prétexta que celles-ci présentaient d'inquiétantes lézardes, qu'il eût été pourtant plus facile et plus économique de consolider. Et dans le nouveau toit désormais allégé et privé de ses lambris, on ouvrit de larges carrés de vitrage, pour remplacer les hautes fenêtres mutilées des deux tiers et par surcroît aveuglées. Depuis lors jusqu'à nos jours, l'extérieur du monument est resté dans le même état.

 

II - VISITE DU MONUMENT.
Si le premier contact avec l'abord de l'église, est un peu déconcertant, dès la massive porte franchie l'intérieur ménage au visiteur la plus agréable surprise. Sous la lumière un peu crue des hauts vitrages, une vaste nef s'ordonne entre, les hauts piliers aux claveaux blancs sertis de briques rouges : le style est encore barbare, mais l'ensemble est chaud et réjouissant pour l'oeil. Au fond s'ébrasent des chapelles et s'ouvrent sombres sous le pavé du chœur, les baies profondes de la crypte. De plus, malgré les mutilations des murs, le toit règne encore haut : c'est que ce que l'église a perdu en élévation par ses combles, elle l'a retrouvé en partie dans le nivellement de son sol. Cette ligne de chaux blanche indique la profondeur du déchaussement [Noe : Il fut de 0 m. 80 dans la nef et l'avant-chœur, et de près de 3 m. dans le côté Sud du déambulatoire où était la sacristie] qu'il fallut opérer au cours des fouilles pour retrouver le niveau primitif, niveau désormais fixé sous les pas des visiteurs, par cette aire de ciment vieux-rose imité d'un fragment ancien trouvé là même et qui s’étend désormais sur toute la superficie du temple.

Descendons à pas lents, cette spacieuse nef en en savourant l'âpre beauté antique et arrêtons-nous au centre de la croix que forme son plan : la lumière fuse plus abondante encore sous les lucernaires multipliés et commue nous sommes ici pour expliquer les origines et l'évolution de cette église, le cœur de la question est là.

C'était vers l'an 815 : Charlemagne venait de descendre en son mausolée d'Aix-la-Chapelle ; Louis Ier, son fils, lui avait succédé. S'il était aussi pieux que son illustre père, Louis le Débonnaire ne possédait pas comme lui cette force redoutable qui faisait trembler les peuples rivaux. Les. Normands le devinèrent sans doute, car ils ne tardèrent pas à commencer sur les côtes franques leurs terribles déprédations.

Or, en ce temps-là, vivaient en l'île de Noirmoutier de pieux moines qui travaillaient et priaient auprès du tombeau de leur saint fondateur Filibert endormi dans le Seigneur environ un siècle et demi plus tôt.

Noirmoutier n'était pas leur seul domaine. En 677, un évêque de Poitiers leur avait donné sur le continent voisin, et toujours dans son diocèse — car le Poitou s'étendait alors jusqu’à la Loire — trois autres stations agricoles, parmi lesquelles la terre de Saint Philbert de Grandlieu, qui s'appelait alors Déas.

Devant le danger incessant des pirates, les moines prirent le parti de séjourner, durant la belle saison, époque redoutable des pillages, en ce domaine de Déas plus à l'abri des surprises, et, en l'an 819, on trouve le monastère bâti, comme en fait foi un document du temps (diplôme impérial du 16 mars 819).

Premier état de l'église (vers 819).

Premier état de l'église carolingienne de Saint-Philbert-de-Grandlieu (vers 819).

De cette époque date la fondation de l'église. Elle était en forme de croix latine ; elle avait une nef à bas-côtés (A) de six travées qui en dessinait la base, la partie longue ; elle avait un carré central et deux croisillons saillants (BBB) qui en formaient le centre et les bras ; elle avait une tête, un sommet constitué par un chœur (C) et ce sommet devait avoir une forme circulaire, comme les deux petites absidioles (DD) formant chapelles qui s'ouvraient de chaque côté dans le mur supérieur (Est par conséquent) de chaque bras du transept.

De cette première église caroligienne, reste-t-il quelque chose ?... Nous sommes ici dans son transept. Comme on le voit, il se compose en son centre, de quatre grands arcs de plus de six mètres d'ouverture. L'appareil de ces arcs est curieux et sa caractéristique extrêmement importante, car elle sert à fixer les parties carolingiennes de l'église : une pierre alternant avec deux briques. Partout où on la rencontrera, non seulement dans les cintres, mais dans toutes les angulations des montants ou piédroits de l'édifice, elle sera un guide sûr d'authenticité.

Ces quatre grands arcs du transept retombaient sur des colonnes. La chose est certaine pour l'arc ouvrant sur le chœur (1) et celui ouvrant sur le bras droit de la croix (2), car on a trouvé à certaines de leurs bases des vestiges de socles, même des fragments de fûts (on peut les voir avec d'autres objets le long du pignon Sud du transept). On n'a rien trouvé aux bases de l'arc du bras Nord (3) : pour lui, on a reconstitué de confiance, par similitude avec les deux autres arcs. Car toutes les colonnes, on le voit, sont neuves : les chapiteaux qui les couronnent ont été laissés à l'état brut, les chapiteaux originels n'ayant pas été retrouvés ou identifiés.

On se demandera, sans doute, en voyant ces colonnes neuves, sur quoi précédemment, dans le dernier passé, reposait la tombée des arcs, ? Celui qui ouvre sur le chœur s'étayait plus ou moins sur de légers montants de maçonnerie, de travail postérieur. Quant aux deux qui ouvrent sur les deux bras de la croix, voici ce qu'il en était. En nous retournant alternativement à droite et à gauche vers les deux ailes du transept, nous apercevons, soigneusement rangés contre le pignon de chacune des deux murailles, deux grands arcs isolés encadrés, encore d'arrachements de maçonnerie. Celui du bras nord est en plein-cintre ; il retombe sur deux colonnes de provenance antique [Note : Les campagnes du pays d'Herbauges qui avoisinaient Déas ne manquaient pas de ruines romaines ou gallo-romaines depuis le passage des Barbares : les ruines en tout temps, et trop souvent il faut le dire hélas, furent des carrières à matériaux. Les moines, par la Boulogne surtout, pouvaient s'en procurer facilement. Ils s'en servirent pour bâtir ou orner leur église, et sous le pilier droit de l'arc d'entrée du chœur, à travers une petite grille, on voit en fondation, un beau bloc de pilastre cannelé qui a aussi cette provenance. En bloc semblable, tiré des fouilles, a été, pour montre également, placé au-dessus sur le dallage moderne] dont l'une est couronnée d'un beau chapiteau de marbre blanc pouvant être du IVème siècle, et l'autre d'un chapiteau grossier orné de chevrons et de dents de scie semblant appartenir au XIème siècle. L'arc du bras sud n'est qu'un cintre brisé, très simple, datant sans doute du XIIIème siècle. Ces deux arcs dont la présence à cet endroit ne n'explique guère ont été en effet, depuis les fouilles, reculés le long des murs. Car depuis une époque indéterminée et très postérieure à la construction de l'église, ils se trouvaient précisément sous les deux grands arcs susdits, et leurs maçonneries adjacentes venaient en combler entièrement l'ouverture, et par suite soutenir les arceaux privés de leurs colonnes.

Nous arrivons enfin au dernier des quatre grands arcs, celui qui ouvre à l'Ouest, du côté de la nef (A). Pour lui on a remplacé, lors des restaurations récentes, les colonnes par pilastres. Pourquoi ? Parce que n'ayant point trouvé trace de celles-là, on a, par contre, à la hauteur d'imposte, c'est-à dire à la naissance du cintre, découvert dans les arrachements de maçonnerie hétéroclites qui empâtaient et soutenaient la retombée de l'arceau, un petit morceau de moulure ancienne qui fit croire à l'existence primitive de pilastres au lieu de colonnes. On a restauré ainsi, à raison ou.... à tort, et la moulure moderne d'imposte a été inspirée dudit petit fragment ancien, toujours visible d'ailleurs, au haut de la pile nord et laissé là comme pièce à conviction.

De l'église de 819, il nous reste donc le carré du transept. Il nous reste aussi, en bonne partie, les deux bras, qui ont toujours été très vraisemblablement de même longueur qu'aujourd'hui. Nous trouvons bien en effet, dans leurs acs et dans leurs montants non mutilés, l'alternance de la pierre et des deux briques.

Examinons tout d'abord le bras nord. Le cintre, remanié d'ailleurs, qui donne accès à la basse nef, conserve la trace de son origine première. De plus, à la droite de ce cintre, s'ouvre une ogive postérieurement aveuglée (c'était la porte donnant sur le cloître) ; mais au dessus de cette ogive se profile un arceau, première origine sans doute de la baie et d'un travail bien carolingien. Retournons-nous vers le mur Est : nous pourrons distinguer, dans la partie haute, une portion de fenêtre à demi masquée par une ferme de charpente [Note : Depuis que le toit du transept autrefois à deux pentes a été, ainsi que la muraille, ravalé en biseau au niveau du toit des petites nefs] : elle a ses claveaux blancs alternés de deux briques. Les deux autres fenêtres sont du bas moyen-âge, comme sans doute la partie du mur qu'elles ajourent.

Il n'y a qu'à laisser courir le regard sur ce même mur Est pour remarquer autour de la baie de passage qui s'y découpe, le même significatif décor. Cet arc s'ouvrait sur une des deux chapelles rondes (DD) faisant pendant, comme nous l'avons dit, au chœur. Penchons-nous dans l'embrasure de cet arc, du haut de la marche qui donne accès au plan intérieur. Que voyons-nous sur le ciment rose clair ? Une bande circulaire tintée en couleur sombre. Elle recouvre exactement et rappelle les fondations de la chapelle disparue, et la même disposition existe dans l'autre bras du transept. Nous allons nous y transporter maintenant et en arrivant nous pouvons constater le fait.

Ce bras droit date lui aussi, en bonne partie du moins, de l'église primitive. A défaut du cintre de passage dans la petite nef qui a été refait, ce qui reste de l'arc primitif donnant sur l'absidiole (D) (au-dessus d'une restauration du XIIème siècle sans doute), est bien de pure manière carolingienne : deux briques, une pierre. Quant à la fenêtre du pignon, quoique carolingienne aussi, elle l'est d'une date postérieure. L'alternance de son appareil, visible surtout au sommet, ne porte plus que sur une seule brique au lieu de deux, caractéristique que nous trouverons ailleurs et qui indique une réfection opérée très probablement vers 850 après l'incendie de l'abbaye par les Normands.

Voilà la traverse de la croix, le transept de l'église, identifié. La base de cette croix, la partie longue, c'était la nef, c’étaient les nefs, car l'église primitive en avait trois. Voyons ce qui en subsiste. D'abord un mur de fondation de 0m90 d'épaisseur, qui sous les deux rangées des piliers actuels, va du transept jusqu'à la grande porte. Ce mur est aujourd'hui sous le dallage, mais si nous ne le pouvons voir, la bande sombre qui se remarque entre chaque pilier, dans la coloration rose du ciment, nous en indique la place.

Il reste plus, encore de cette nef antique. Sortons du transept, avançons-nous de quelques pas dans la nef principale, et retournons-nous vers le chœur. A notre gauche, nous avons le dernier pilier de la nef contigu au carré du transept. Entre les deux, une portion de mur existe, et dans ce mur on a, intentionnellement, laissé une déchirure béante. C'est pour nous montrer un vestige important du mur de la nef primitive et qui correspond par son épaisseur à celle des deux murs longitudinaux sous-jacents. Avec une attention soutenue on verra qu'il décèle un commencement de cintre.

Toujours sur notre gauche, passons maintenant sous la première arcade contigüe à ce mur entaillé et arrêtons-nous devant la muraille de clôture de la basse nef. Qu'y remarquons-nous en partant du transept ? Trois fenêtres comblées (EEE) dont une à demi détruite. Quel motif d'appareil les entoure ? Le claveau de pierre alterné de deux briques. Ces fenêtres ne correspondent pas aux travées actuelles de la nef, dont les lourds piliers se trouvent placés juste dans leur champ de lumière ; mais également distancées entre elles, elles s'encadraient dans les arcs de l'ancienne nef. Et comme nous savons, par les fouilles, la longueur de cette nef, nous pouvons conclure par ce seul fragment mural d'ensemble et d'ailleurs unique, qui demeure, que ces fenêtres étaient au nombre de six et qu'elles éclairaient six travées.

Rentrons au centre du transept. La croix avait un sommet, une tête, avons-nous dit, l'église avait un chœur (C). Il devait être cintré, nous le savons, comme l'étaient les petites absidioles (DD) dont de chaque côté du transept nous avons retrouvé les bases. Mais de ce chœur il ne reste rien, on n'en n'a rien trouvé, ni en élévation, ni en fondation ; au-delà du grand arc central qui ouvre sur ce chœur disparu, tout a été radicalement détruit.

Deuxième état de l'église (836).

Deuxième état de l'église carolingienne de Saint-Philbert-de-Grandlieu (vers 836).

Pourquoi ce chœur fut-il détruit ? En voici les raisons. L'abbé Arnoul qui avait bâti l'église, ne pensait pas, en l'édifiant qu'un jour elle aurait à recevoir le corps, d'un saint, un tombeau miraculeux. C'est pourtant ce qui arriva en l'année 836. Les Normands devenaient de plus en plus audacieux, et surtout de plus en plus tenaces dans leurs entreprises malfaisantes ; le corps de saint Filibert dut quitter Noirmoutier. Dans son lourd cercueil de marbre, après avoir passé la mer en barque, porté ensuite sur les épaules de ses moines, et semant sur son chemin les miracles, il entrait le 11 juin dans l'église de Déas. Le sarcophage fut placé dans un des bras du transept ; le brancard qui avait servi à le porter fut suspendu dans l'autre.

Mais ce ne pouvait être que du provisoire : l'évènement devait entraîner pour l'église d'importants remaniements. En effet., pour abriter le corps saint, il était convenable, suivant l'usage d'alors, que l'on construisît une crypte sous le chœur, et qu'à cette crypte, sans troubler l'office monastique, les pèlerins, les fidèles, eussent la facilité d'accéder.

Le chœur, sans doute ne se prêtait pas aux modifications nécessaires. Toujours est-il — le moine historien contemporain Ermentaire l'atteste — qu'il fut totalement rasé. Sur son emplacement on en construisit un autre plus profond et plus vaste : c'est celui que nous avons sous les yeux. Nous voyons bien, en effet, tout au haut des grands murs, deux au Nord et deux au Sud, quatre fenêtres — hélas, comme toutes celles placées à cette hauteur mutilées — dont les cintres montraient, et dont les montants demeurés conservent encore l'alternance des deux briques et de la pierre blanche. Cette alternance se retrouve aussi dans les vestiges d'une grande fenêtre qui éclairait le fond de l'abside et dont le cintre commençait là où s'arrête le mur actuel [Note : Dans le champ approximatif de cette fenêtre, mutilée sans doute vers 1580, quand le chœur fut saccagé par les Huguenots, on en avait ouvert une nouvelle à meneaux Renaissance. Celle-ci disparut en entier voilà une trentaine d'années et on ménagea alors la petite fenêtre actuelle]. Elle se retrouve enfin dans les saillies des murs, tant à leur rencontre avec le chœur qu'à la naissance du rond-point, et avec un peu d'attention, dans tous ces cas, elle est encore très visible.

Dans ce nouveau chœur l'abbé Hilbod qui gouvernait alors le monastère, établit donc une crypte, et elle fut certainement l'objet de toute sa sollicitude.

La face antérieure de cette crypte se présente à nous aujourd'hui avec deux baies séparées l'une de l'autre par un bloc épais de maçonnerie que termine une surface de ciment tintée de rose, et sur laquelle s'ouvre, tel un œil de soupirail, un cintre, semblable à celui des deux baies voisines, et sur le même plan qu'elles. Cette façade est ainsi depuis les restaurations archéologiques modernes. Auparavant, quand le niveau intérieur de l'église était encore surélevé d'environ un mètre au-dessus du niveau actuel, six grandes marches de granit occupant toute la largeur du chœur montaient au palier du sanctuaire présentement inaccessible, et ainsi depuis plusieurs siècles. Lorsqu'on enleva ces marches pour déblayer l'avant de la crypte, on trouva, dessous, un mur de maçonnerie de la largeur du bloc restant, mais plus élevé, c'est-à-dire affleurant le niveau de l'abside et s'étendant entièrement devant les trois baies. Dans le sens de l'épaisseur, ce mur n'était pas partout de même nature : à 1m90 du sol vierge, là où se termine le palier bloc central, une aire de ciment rose recouvrant toute cette partie inférieure indiquait une séparation dans le travail qui reprenait ensuite jusqu'au niveau du sanctuaire. On enleva la maçonnerie supérieure et l’on découvrit les cintres des trois baies. Puis voulant voir à tout prix une entrée dans cette face avant de la crypte, on entailla la masse de l'épais mur, en regard des deux cintres latéraux, et l'on ouvrit des entrées de portes jugées depuis infiniment regrettables, l'entrée de la crypte ne devant pas être là.

Il semble établi, en effet, que ce bloc de mur couronné d'une plate-forme rose, fut construit en même temps que la crypte qu'il aurait eu pour but éventuel de protéger. D'autre part, il n'est pas moins certain que, des trois regards qui éclairaient et aéraient la crypte. l'un au moins devait être aveuglé par les degrés des escaliers montant au sanctuaire. Au fond personne ne sait comment, en son état primitif, cette façade était exactement constituée. Ce qui paraît certain, c'est que les fidèles ne devaient pas venir à la crypte, de la nef et du transept, en traversant directement le bas-chœur.

Comment y venaient-ils alors ? Nous allons tâcher de l'expliquer. Ouvrant sur ce bas-chœur dans lequel nous sommes, nous remarquons à droite et à gauche, deux grands arcs à la décoration toujours carolingienne (aa). Ces deux arcs qui furent établis postérieurement, comme nous le dirons, en ont remplacé deux plus petits dont la trace à la hauteur de leur ancienne retombée de cintre n'a pas tout à fait disparu. Passons sous l'un de ces arcs à gauche du chœur de préférence ; que voyons-nous à nos pieds : une ligne droite tracée sur le ciment, mordant un peu sur la ligne cintré de l'absidiole disparue (D) et enfermant un espace d'environ 1m20 de large (bb). Cette bande figure le mur extérieur d'un couloir étroit. Du côté du transept où il prenait naissance, il aboutit à une petite porte (c) toujours existante (de ce côté gauche seulement d'ailleurs), et d'autre bout, vers l'ouest, il s'infléchit en biseau sur le mur du chœur, à la hauteur de la crypte.

C'est à elle, en effet, qu'il conduisait les pèlerins, en leur faisant descendre évidemment quelques marches. Comment au juste ? Nous ne le savons pas. On suppose seulement que ce couloir était voûté en quart de cercle, et il en reste un indice au point de départ du couloir semblable, de l'autre côté de l'église. Suivons la trace figurée de ce, couloir Nord dans lequel nous sommes ; dépassons-la de quelques pas et descendons la marche. Nous arrivons devant la seule porte actuelle de la crypte, puisque nous ne pouvons plus accéder par le couloir détruit dont nous venons de quitter le contour et qu'il nous faut bien pourtant visiter cette crypte, contemporaine du couloir.

Nous sommes ici en un lieu infiniment vénérable ; des milliers de pèlerins s'y sont agenouillés, et au dire du précieux rapport du moine Ermentaire, bon nombre y furent guéris de leurs infirmités diverses ; et même encore dans cette église désaffectée, le courant de piété et de confiance n'est pas de nos jours interrompu. Le sarcophage antique est là devant nos yeux, qui renferma, en ce lieu, durant vingt années, les ossements du saint Abbé Filibert. Il est très simple comme il convient à un moine mais de très belle matière, comme il convenait à un saint. Il est en marbre gris-bleuté, provenant des Pyrénées, peut-être des carrières de Saint-Béat. Sa longueur est de 2m04 et il a 0m70 de hauteur. Aucun ornement ne le décore, sauf deux croix gravées à chaque extrémité du couvercle : ce couvercle, en forme de faîtage, est simplement posé, sans aucune attache.

Très simple aussi est la crypte qui entoure et recouvre le sarcophage. Les voûtes, voûtes d'arêtes et voûtes en berceau, ne sont agrémentées d'aucun ressaut ; les murs sont unis et plats ; aucune mouluration ne vient en atténuer la sécheresse. Placée sous l'avant du sanctuaire, cette crypte, couloir étroit, est loin d'en occuper tout l'hémicycle. Aussi on est d'avis que primitivement elle eut une profondeur plus accentuée. Un couloir parallèle à celui dans lequel nous sommes, recoupé de trois, petites travées perpendiculaires — dont les trois niches profondes que nous avons à notre gauche en regardant le tombeau seraient le souvenir — en auraient prolongé l'étendue jusqu’aux parois intérieures du mur circulaire enveloppant la crypte où, à leur aboutissement ancien, on a retrouvé, lors des fouilles, un enduit parementé et destiné à être vu. Les voûtes — c'est une opinion autorisée — auraient très bien pu alors reposer sur des colonnes (d).

Après nous être inclinés devant le vénérable sarcophage qui garda pieusement le corps du thaumaturge, retournons au déambulatoine, et remontons, quelques pas en arrière, la marche que nous avons descendue pour venir au tombeau : nous nous retrouvons dans cette chapelle qui figure sur son dallage le plan d'un des deux couloirs de la crypte maintenant disparus.

Troisième état de l'église (avant 847).

Troisième état de l'église carolingienne de Saint-Philbert-de-Grandlieu (vers 847).

Dans quelles circonstances ces couloirs primitifs disparurent-ils ? Voici : l'élan des pèlerins vers l'hypogée miraculeux, au lieu de se ralentir avec le temps, s'accrut, ce à quoi sans doute n'avait pas songé pratiquement l'Abbé Hilbod. Les couloirs engorgés et étroits se prêtaient mal aux exigences des foules envahissantes. On résolut de remanier encore et de construire cette fois avec des vues plus larges.

Cette décision amena des modifications multiples. Les couloirs supprimés, deux vastes chapelles leur succédèrent (1,1). Elles amenèrent chacune la suppression des absidioles (2,2) qui eussent sailli disgracieusement dans leur aire, lesquelles d'ailleurs furent reportées en fait, au fond des chapelles nouvelles. A leur place un grand arc resta ouvert sur le transept, accosté d'un arc plus petit (3) représentant l'entrée des anciens couloirs (conservée du côté Nord comme nous pouvons voir). Et c'est alors que fut ouvert dans le mur du bas-chœur, à la place de la petite baie donnant jadis accès dans le couloir primitif, le grand arc, de communication actuel, à l'échelle des nouvelles chapelles (4,4).

Ces nouvelles chapelles se terminaient en demi-cintre. De côté Nord de l'église, où nous sommes, il reste la base de l'une d'elles, avançant devant un mur droit. Du côté Sud., comme nous le verrons en nous en retournant elle est entière mais sans plus de saillie à l'extérieur.

Ces deux premières chapelles furent prolongées par deux autres, terminées elles aussi par deux absides cintrées (5,5) dont nous voyons ici les restes de l'une ; et nous atteignons ainsi l'extrémité latérale du chevet de l'église. Il nous faudra maintenant tourner à notre droite et traverser la milieu de ce chevet, pour atteindre l'autre chapelle terminale semblable à celle dans laquelle nous sommes.

Pour accéder à ce chevet central, nous franchissons le seuil de deux arcs toujours carolingiens (6,6), reliés entre eux (postérieurement et à une époque indéterminée) par un plan de maçonnerie biaise ; masquant un réduit sans issue qui fut peut-être une cage d'escalier montant à un étage disparu et d'existence d'ailleurs hypothétique. Et nous voici dans une curieuse petite chapelle que coupe en deux le passage élargi. A l'Ouest, le mur de clôture a été refait et dénaturé à l'époque ogivale, comme on le voit par le style de la baie de vitrail et de la crédence qui subsistent, à un niveau bien plus élevé d'ailleurs que le palier primitif [Note : Là était la chapelle Sainte Anne]. Mais à l’Est, nous sommes bien devant la chapelle antique percée à la base du mur du chœur (7), et c'est là le point précis où vint dériver et se concentrer la dévotion canalisée des pèlerins et des fidèles, après que l'on eut fermé ou détruit les anciens lieux d'accès au tombeau. Au fond de l'arche sombre un petit réduit s'élargit quelque peu, et au fond de ce réduit se découpe une ouverture quadrangulaire. Si nous nous y penchons, que voyons-nous ? Tout proche, le tombeau ; de la main, on peut le toucher.

Pourquoi cette disposition des lieux assez inattendue ? Pourquoi, de la part des moines, avoir détruit ces couloirs primitifs étroits et modestes, mais qui donnaient accès au tombeau sans entraves, si ces spacieuses chapelles qui les remplacèrent devaient, sous prétexte de mieux se prêter aux exigences des foules, conduire seulement à ce mur restrictif à peine percé de cette ouverture carrée, l'antique fenestella archéologique ? C'est que les religieux, en retouchant la partie supérieure de leur église, ne songèrent pas seulement à faciliter l'abord des pèlerins au tombeau ; ils songèrent aussi à préserver ce tombeau de l'approche toujours plus obsédante des Normands. Maintenant, les deux couloirs primitifs étant détruits, et leurs traces effacées ; du côté du chœur, le mur épais étant monté (en supposant qu'il ne l'eût pas été tout d'abord) à la hauteur des cintres, une seule ouverture existait, ce carré obscur de la petite chapelle du chevet. Cette chapelle plus savamment bâtie et décorée dans sa voûte et dans ses moulures que le reste de la crypte, plus élevée aussi de niveau, ce qui indique bien un travail un peu postérieur, n'avait d'ailleurs pu être établie qu'en empâtant partiellement la crypte primitive d'épaisses maçonneries qui en diminuaient ainsi l'étendue et la faisaient encore plus menue devant le danger. Viennent les pirates ; on n'aura qu'à exhausser jusqu'au palier du sanctuaire, le mur de protection du chœur, masquant ainsi les arcades révélatrices ; on n'aura qu'à murer la, petite fenêtre au chevet. En 847, les Normands vinrent en effet ; ils saccagèrent l'église et la ruinèrent en partie : ils ne découvrirent pas le tombeau. Quant dix années plus tard, les moines vinrent chercher les reliques, profitant d'un moment de sécurité mais redoutant toujours l'avenir, ils déminèrent cette petite porte par laquelle on entre aujourd'hui dans la crypte et préparée préventivement, et la remurèrent derrière eux. Puis, nous avons remarqué en visitant la crypte ces quatre ouvertures — deux sont circulaires et deux quadrangulaires — percées préventivement aussi dans la voûte ; par leurs orifices, on combla de terre l'étroit vaisseau souterrain, après quoi on replaça les dalles hermétiquement jointes ; et le tombeau, jusqu'en 1865, demeura là enclos ; sur lui s'était étendu l'oubli complet des siècles.

Avant de quitter cette curieuse chapelle, nous remarquerons près du montant gauche de son arc d'entrée, et protégée par un petit châssis, une pierre gravée. On y lit : IDVS IVN DEDICACIO DI SAL. VATOR +S, le jour des ides de juin, dédicace de Notre Sauveur. Cette inscription a fait dire à L. Maître que l'église aurait été dédiée au Saint Sauveur. Quoi qul'il en soit, l'abbaye elle-même était sous le vocable des saints Pierre et Paul.

Continuons maintenant notre visite. Une fois les deux arcs semblables aux précédents franchis, nous voici dans l'autre chapelle latérale du chevet. Là aussi, de l'absidiole, il ne reste que la base circulaire. Au-dessus de cette base, a été greffé un mur d'une certaine hauteur, faisant partie d'une vaste salle quadrangulaire haut percée de larges fenêtres. C'est que cette chapelle, alors que sa correspondante se trouvait depuis longtemps à l'état de ruine, avait été à la fin du XVIIème siècle remaniée en sacristie, destination qu'elle conserva jusqu'à la cessation du culte dans l'édifice (l’ouverture de cette sacristie dont le palier, par suite du déblaiement, a été considérablement abaissé, se voit encore à droite dans le sanctuaire). Passons maintenant dans la chapelle suivante, en franchissant une arcade et une marche. La disposition est la même que dans la chapelle Nord, mais ici l'absidiole est parfaitement conservée. Une petite fenêtre l'éclaire, dont l'arc est bien carolingien (et il en est de même du grand cintre qui décore l'entrée de l'édicule. Là pourtant, comme pour la fenêtre toute voisine du transept, dont nous avons déjà parlé, il y a une nuance très caractéristique : alternant avec le claveau de pierre, il n'y a plus qu'une brique au lieu de deux. Il y eut donc une reprise toujours d'ailleurs carolingienne, et elle dut être faite, là aussi, après l'incendie allumé en 847 par les Normands [Note : Le champ de cette absidiole renferme une particularité : à travers le fond brisé d'un tombeau mérovingien trouvé aux abords de l'église et depuis peu maladroitement détérioré, on aperçoit une section de conduit parementé, passage d'un aqueduc qui par divers branchements se poursuit à travers le sous-sol de l'église. Une autre particularité encore, d'un ordre plus artistique cette absidiole porte les restes d'une peinture au trait. En effet, à droite de la fenêtre, avec un peu d'attention et quand le jour n'est pas trop défavorable, on reconnait parfaitement selon nous, tout le bas d'une scène d'Annonciation : le corps de l'Ange vêtu de jaune, est infléchi devant la Vierge Marie drapée de bleu tenant un livre en main et qui se soutient sur un siège à la découpure ogivale. A certains détails de dessins et de coloris, cette peinture nous paparaît bien porter la marque de la fin du XVème siècle].

Avant de quitter la chapelle, nous remarquerons encore les deux fenêtres à appareil carolingien avec, au-dessous, le vaste cintre plus récent d'une porte qui ouvrait jadis sur un antique cimetière.

Nous voici revenus dans le transept. Avant d'en sortir définitivement, il nous semble à propos de dire un mot des curieux objets que l'on a déposé contre chacune de ses extrémités. Au croisillon Sud où nous nous trouvons, sont surtout des débris architecturaux : des bases de colonnes provenant du carré central (l'une encore surmontée d'une partie de son fût) ; deux chapiteaux de marbre blanc de l'époque gallo-romaine, dont l'un très détérioré (ayant dû servir de broyeur), et l'autre d'une remarquable conservation. Un peu plus loin, une statuette de bois jadis doré, œuvre de la basse Renaissance, et dont la tête a disparu.

Passons à l'autre aile du transept. Là l'aspect est plus prometteur : les objets y sont plus nombreux et plus variés. Voici, tout d'abord un très beau baptistère de granit, probablement du XVème siècle, de même que le vaste bénitier rangé, non loin, contre le mur. A la suite, la statue d'un saint évêque ; une autre sans tête au personnage vêtu d'une tunique ; la base d'une troisième ; des corbeilles de fleurs délicatement fouillées ; un monstre accroupi et dévorant une prie ; une large croix de Malte inscrite dans un orbe : tous ces objets sont de pierre et la plupart, d'entre eux portent des traces de polychromie. Puis une statue de bois beaucoup plus récente représentant la Foi. Mais la pièce la plus curieuse, celle sur laquelle tout de suite se porte l'attention, est sans contredit la magnifique pierre tombale d'un ancien curé de Saint-Philbert aul XVème siècle. C'est une dalle de pierre blanche au grain serré gravée, en creux, et dans laquelle jadis on avait coulé du plomb dont il subsiste des vestiges. Encadrée dans la baie d'une ogive flammée et richement fleuronnée, se dessine la silhouette d'un pieux personnage d'apparence monastique, les mains jointes sur l'opulent fermail d'une chape aux somptueuses broderies. Les quatre symboles évangéliques, aux quatre coins, assistent le gisant et, courant tout autour, une inscription latine l'identifie. Malheureusement, à mi-hauteur, à gauche, la pierre a été fâcheusement entaillée, peut-être pour recevoir une pierre sacrée.

En repassant devant le sanctuaire, nous pourrons, si nous sommes amateurs d'épigraphie ancienne, avancer jusqu'à l'entrée de la baie droite de la crypte. A hauteur, nous lirons sur le mur, encadrée d'un chassis, une intéressante inscription tumulaire que divise une curieuse croix mérovingienne, et qui relate que le moine Guntaire dont elle était l'épitaphe, s'endormit dans le Seigneur le cinquième jour des ides de juin. Cette pierre, l'inscription dédicatoire vue dans la chapelle Sainte-Anne et la pierre tombale de Guillaume, Chupin, ont été classées comme objets historiques le 18 février 1922.

Remaniement de la nef (après 848).
Nous avons assisté au cours de notre visite aux deux remaniements qui affectèrent le chœur de l'église et ses abords et le firent passer ainsi par trois états successifs. Pendant ce temps, la nef restait inchangée ; c'était toujours la nef de 819 avec ses six travées auxquelles correspondaient autant de fenêtres et dont, nous l'avons dit, le mur de liaison entre les piliers anciens existe, entre. les piliers actuels, et au-dessous. C'est que jusqu'alors tout l'effort s'était porté sur l'aménagement à donner au tombeau ; point n'était besoin, dans cet ordre d'idées, de toucher à la nef. Mais en 847 vinrent les Normands qui saccagèrent le monastère et qui cette fois donnèrent lieu aux moines de penser douloureusement à remanier celle-ci. La nef, en effet, fut complètement dévastée tandis que le reste de l'édifice semble avoir assez peu souffert. Il fallut donc après le départ des pirates la rebâtir entièrement. Les moines, revenus une fois, le danger passé, près des reliques de leur saint Abbé, avec l'espoir d'y vivre et peut-être d'y réorganiser leur pèlerinage jadis si florissant, se mirent à l'œuvre. Ils commencèrent à dresser les piliers robustes que nous voyons, bien différents des précédents, plus capables le cas échéant, de subir les assauts d'un nouvel incendie. Ces piles, au nombre de dix, remplaçant les quatorze disparues, montèrent d'abord droites et massives, avec toujours leur belle parure caroligienne, vers les arcades qu'elles auraient à supporter. Mais on s'aperçut un jour que ces géantes piles cruciformes absorbaient une quantité considérable de matériaux ; qu'elles appelleraient des cintres d'une épaisseur non moindre, et, au-dessus de ces arcades, des hauts murs non moins dispendieux. Et les moines n'étaient plus riches ; les pèlerins se faisaient rares en ces temps incertains. Aussi se décidèrent-ils, au moment de songer à établir les impostes, qui recevraient la retombée des arcs, à ménager immédiatement au-dessous, des plans obliques, des glacis qui réduiraient, en épaisseur toute la partie du travail futur. Ceci fait, et, les tailloirs posés, s'il y en eût jamais dès ce temps [Note : Il est à croire qu'il n'y eut jamais de tailloirs sur la face antérieure des piliers : il y en eut sur la face interne des arcs, car il en reste des fragments d'ailleurs diversement moulurés et d'époques apparemment non moins diverses ; les blancs tailloirs neufs actuels seraient donc dignes de toute critique], ils fermèrent leurs arcades. Mais à ce moment, le danger des pirates reparut à nouveau, plus pressant que jamais : en hâte on enleva les reliques, on remblaya le tombeau et on s'enfuit, cette fois sans espoir apparent de retour. C'était en l'année 858.

A quelle époque furent ensuite repris les travaux ? - Seulement sans doute dans le cours du Xème siècle, et on dut commencer par remettre en état le transept et le chœur. Là il y avait moins à faire et c'est de ce temps que doivent dater les trois restaurations qui furent entreprises dans le croisillon Sud et la chapelle attenante, que nous avons signalées,. et où ces reprises (avec une brique et une pierre alternées) portent la marque d'une époque où la vraie tradition carolingienne était perdue.

Ces réfections de détail, avec moins d'argent que jamais, sans désormais l'espoir des dons des pèlerins et alors qu'il fallait en même temps que restaurer l'église remettre en état le monastère, durent repousser la continuation des travaux de la nef jusqu'au seuil du onzième siècle et peut-être au-delà. Quoi qu'il en soit, si désormais l'ouvrage au-dessus des arcades fut l'œuvre de la période romane — soit dans le parement des murs (diminués d'ailleurs bientôt, et toujours par économie, un peu au-dessous des fenêtres), soit dans ces petits contreforts à ressauts amoindris qui montaient jadis alléger les fermes de la charpente — par son chœur, son arrière-chœur, son transept, par sa nef en majeure partie, donc en sa presque totalité, l'église est bien authentiquement carolingienne.

Quelques remaniements postérieurs (époques diverses).
Nous allons quitter bientôt l'église, par la porte qui nous y a donné entrée. Il existe, percée dans le mur de la petite nef Sud, une autre porte d'un âge non rigoureusemgent défini, pas plus que celui du mur lui-même et de son unique fenêtre. D'autre part, si nous pénétrons dans cette même petite nef, nous pourrons remarquer au-dessus du déchaussement des deuxième, quatrième et cinquième piliers, et de ce côté seulement, des socles de granit chanfreinés servant de base à des contreforts de même pierre adossés aux piles carolingiennes et liaisonnées avec elles (nous avons pu remarquer des socles semblables à la base des arcades unissant les deux chapelles latérales du déambulatoire). De plus, au pignon Nord du transept, et tout à l'extrémité du chevet, nous avons vu des baies et une crédence modelées en arc brisé. Enfin, à la partie haute des murs de la grande nef aujourd'hui disparus, régnaient jadis des ouvertures de forme, médiévale. Toutes ces parties de l'antique monument, sont des modifications apportées au cours de la période ogivale, sans qu'il soit possible pourtant de déterminer exactement le siècle. Il faut en dire autant apparemment du mur de façade bâti sur les fondations du mur frontal carolingien, mais un peu en retrait et doublé d’ailleurs d'une maçonnerie de contrefort, de même que son portail à l'archivolte fruste et sans personnalité. Est-ce là l'œuvre des XIIIème siècle, XIVème siècle, XVème siècle ou XVIème siècles ? Il y a probablement des uns et des autres. Ce que les archéologues n'ont pas dit, mais ce que nous savons par l'Histoire, c'est que pendant la guerre de Cent Ans, l'église fut fort maltraitée par les bandes anglaises, et que, d'autre part, les Huguenots, vers 1580, saccagèrent le chœur et le clocher ; de ces deux époques datent certainement une partie des reprises et des modifications.

Et maintenant, aimables visiteurs, notre étude se termine. Peut-être le sujet vous est-il apparu en plusieurs points quelque peu ingrat ; il s'agit ici d'un monument qui remonte si loin dans les vieux âges, dans un temps où l'art en sa noble sévérité incarnait encore plus la force que la grâce. Et puis, cette église qui n'est plus une église en attendant — patience et confiance — qu'elle redevienne bientôt le sanctuaire vénéré de jadis, a nécessairement quelque chose de distant pour l'esprit et de froid pour le cœur....

(Abbé G. Brunelière).

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