Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

SAINT-MALO AU TEMPS DE LA LIGUE (1592-1594)

  Retour page d'accueil       Retour page "Ville de Saint-Malo"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

L'histoire de Saint-Malo au temps de la Ligue, de la république malouine comme on l'a appelée, est certainement une des parties les plus curieuses des annales de cette ville intéressante à tant de titres.

On a pu étudier dans le plus grand détail la vie de la cité malouine pendant les trois premières années de la Ligue. Elle a eu le bonheur d'avoir son historien, Frotet de la Landelle, esprit plan de sagacité et de clairvoyance, suffisamment impartial pour faire respecter ses jugements, et de plus singulièrement épris de textes et de documents originaux. Nous avons donné ses mémoires (Paris, Picard ; Rennes, Plihon et Hervé, 1886, 1 vol. in-8°, XXXIX-512) en les complétant par des extraits du registre, si précieux, des délibérations de la Communauté de Saint-Malo pour la période qui s'étend de septembre 1590 à octobre 1591 (Archives de Saint-Malo, BB 8, ancien BB 87. Délibérations, 5 septembre 1590 au 7 octobre 1591). Nous avons publié aussi le Discours apologétique des causes de la prise du château du prédicateur Marcellin Cornet [Note : Discours apologétique des causes qui ont contrainct les habitans de Saint-Malo de s'emparer du chasteau de leur ville avec une brefve histoire de la prise d'iceluy advenùë le 12 mars 1590. (Rennes, Le Roy, 1883, in 8°, 107-VII)]. Mais cela ne suffit pas. L'œuvre de Frotet s'arrête au 6 avril 1592 et les registres qu'il avait empruntés pour continuer son travail semblent à jamais perdus. Il faut donc poursuivre cette histoire, la reconstituer en recherchant dans les pièces, heureusement abondantes, le complément nécessaire et d'un intérêt aussi capital, qui nous a été plusieurs fois réclamé.

 

I. Saint-Malo en 1592.

Si nous étudions la situation de la ville en 1592, nous la voyons gouvernée par ce même groupe que dès 1585, lors de son élection, on appelait les douze conservateurs. Peu à peu, par la force des choses et la nécessité d'une direction, s'est organisée une véritable oligarchie, un pouvoir d'action exercé par quelques-uns. C'est le Conseil. L'élite des bourgeois qui en fait partie est une association indissoluble de gens calmes, prévoyants, hommes d'affaires, pleins d'intelligence et de décision. Ils conserveront leur suprématie jusqu'à la fin des troubles et même au-delà ; car pour la longue et difficile liquidation de la période d'illégalité, il faudra toujours avoir recours à ces hommes éprouvés et rompus aux négociations de toutes sortes. Le Conseil, dont les plus importantes délibérations restent secrètes, a un rôle prépondérant. Tandis que les assemblées générales ont lieu au cabaret de la Grand'Porte ou dans la salle de la Confrérie Saint-Jean, il se fait bientôt clore dans cette dernière salle un petit retrait où l'on opine sérieusement. Le Conseil choisit des procureurs syndics qui représentent entièrement ses idées. Il craint cependant d'être annihilé par eux. Aussi dès décembre 1590 a-t-il jugé bon de réduire à deux ans la fonction qui était jusque-là de trois années.

Les dirigeants sont donc toujours les mêmes en 1592, mais leur esprit a singulièrement évolué depuis le début de la Ligue. Les ardents révoltés et confédérés des premières heures se sont assagis. Leur zèle pour le parti de l'Union diminue visiblement. Ils subordonnent tout maintenant aux intérêts immédiats de leur ville.

Les trois procureurs syndics qui se succèdent depuis 1588 : Jean Picot Gicquelaie, Guillaume Jonchée Fougeray, Bertran Le Fer Limonnay, le capitaine général qui prit le château, Jean Pepin Belinaie, et le Conseil qui les patronne, marchent la main dans la main vers un but désormais compris de tous : se soustraire à toute domination, ne relever jusqu'à la fin de la guerre civile d'aucun prince ou seigneur que ce soit, vivre dans l'indépendance de fait. Ils se sentent assez forts pour continuer leur politique de temporisation et de ménagements. Ils peuvent déjà s'applaudir des résultats qu'ils en ont obtenu. Quant à faire une république, ils n'y songent pas plus que pendant les années précédentes. Ils ne cessent de répéter dans leurs actes la formule : « en attendant un roi reconnu catholique ». Ils s'empresseront de se soumettre à lui, le moment venu, et abandonneront sans regret un régime qu'ils savent transitoire. Il n'y a donc rien de fondé dans les accusations portées contre eux par le fameux Jacques Le Bossu, par Marcellin Cornet, au nom de Mercœur, qui comptait sur ce mot de république pour aliéner d'eux le roi d'Espagne [Note : De Carné, Correspondance des Ligueurs bretons, I, p. 162, n° 171 ; p. 119, n° 136].

En 1592, l'indépendance des Malouins n'est plus guère menacée. Ils ont un protecteur avoué, déclaré, mais fort éloigné : le duc de Mayenne. Ils ont su se réclamer à temps de son autorité, et la faveur du Duc leur a valu des avantages réels. Le chef nominal de la Ligue, jusque-là peu reconnu en Bretagne, a cru politique de couvrir de sa sanction les méfaits du corps de ville ; celui-ci a reçu de lui un aveu en règle de la prise du château et de ses suites criminelles, aveu corroboré par des Lettres d'ampliation. Le Conseil entretient près du prince une mission presque permanente. Elle obtient de lui la confirmation de l'établissement d'un Consulat [Note : 31 juillet 1592 ; Arrêt favorable du Conseil d'Etat de la Ligue à Paris. Envoi au Parlement de la Ligue à Nantes et vérification du 7 septembre 1592. (Résultats du Conseil, Bib. Nat., Fonds français, 4005 p. 55)], tribunal commercial que les Malouins se sont hâtés de créer pendant les troubles au préjudice de la juridiction du Chapitre, et qui leur tient à cœur. Puis ce sont des Lettres du duc au roi d'Espagne pour essayer de rétablir un négoce d'immense intérêt pour leur ville.

Mercœur n'espère plus faire prévaloir son omnipotence à Saint-Malo, encore moins y entrer jamais. Le voisinage de ses troupes pillardes n'est plus à craindre ; car il a successivement abandonné aux Malouins : Solidor, Le Plessis-Bertrand, Châteauneuf, les sept paroisses du Clos-Poulet. Les habitants qui l'ont rejoint au siège manqué de Pontorson ont pu constater la faiblesse étonnante de son armée. Dans ses tentatives pour les capter, il a multiplié les maladresses ordinaires de sa politique tortueuse. Il a toujours, comme nous le dirons, des partisans à Saint-Malo, et c'est un des soucis du Conseil de les tenir en échec. Mercœur hait les dirigeants avec toute la rancœur des déceptions qu'ils lui ont causées. Mais comme chef d'un parti disetteux, il se résigne à tirer d'une ville de ressources ce qu'il peut en argent ou munitions. Le Conseil a été très heureux d'assurer pour un temps sa tranquillité de ce côté-là par un sacrifice pécuniaire considérable (11.000 écu), accepté avec un empressement un peu humiliant pour le Duc.

En dehors de la ville, depuis ces concessions, les Malouins peuvent protéger leurs propriétés rurales à l'aide de la compagnie qu'ils défrayent. Elle arrête des voleurs de grands chemins qu'on envoie juger à Dinan et que l'on ramène pendre à l'Islet [Note : En 1590, 1591, exécutions du Gregu, de Pierre Gouais, de Thomas Hest, de Georges Trouenson. (Reg. d'office)]. Le Conseil s'efforce d'activer la destruction du Plessis-Bertrand. Les Malouins vont acheter Châteanneuf à son capitaine et obtiendront cette année même, 1592, toutes les lettres et pièces en autorisant la démolition. Naguère encore les partisans sortis de ces petites places venaient journellement à quelques pas des murs, se faisaient un jeu de poser des pétards au pied des navires ancrés au port du Fief, de donner du pistolet dans la Grand'Porte, butinaient sur le quai ou le sillon et y faisaient des prisonniers. On avait vu enlever entre Saint-Malo et Saint-Servan le fils même du procureur Gicquelaie. Il était prudent d'aller à Dol par mer ; si l'on y envoyait une compagnie de gens de pied, toutes les forces de cavalerie que Saint-Malo pouvait posséder devaient l'escorter (Mémoires, p. 383 ; Délib., 14 nov. 1590, 21 janvier, 23 juillet 1591). Sur ce dernier point, l'amélioration était peu sensible en 1592, et le danger des communications avec la ville confédérée persistait. Il augmenta même quand Saint-Malo se fut rendu au roi. Car cette petite ville presque ouverte de Dol fut une des dernières à se soumettre. La défaite toute récente du Vivier avait inspiré au Conseil une juste défiance de ses forces sur terre. Il abandonnait la campagne hors du voisinage immédiat aux cavaliers de Montgommery toujours prêts à accourir de Pontorson, sauf à se revancher par la course, le blocus de Pontorson et du Pas-au-bœuf. Les Mémoires de Frotet de la Landelle atténuent visiblement cette affaire du Vivier. L'auteur qui y commandait lui-même se montra un assez médiocre capitaine. La « desconfiture du jour du Sacre » fait voir combien peu les officiers des milices bourgeoises se faisaient obéir et quels malheurs pouvaient produire leur indiscipline et leur confusion, lorsque celles-ci se hasardaient à quitter les murailles de leur ville.

En somme, Saint-Malo a retiré de ses négociations les avantages que s'étaient promis ses gouvernants, une sécurité relative, la conservation de son commerce. Tout cela est bien ; mais enfin ces chambres du Conseil, cette organisation fédéraliste des villes, tout comme la coalition des seigneurs de la Ligue, avaient été créées à Saint-Malo comme ailleurs et avaient pour seule raison d'être, d'obtenir la réalisation des vœux du Saint Parti. Que fait-on ici pour la Ligue ? En tant que Ligueurs, les Malouins remplissent leur devoir d'une façon très mesquine, en marchandant. C'était dans leurs mœurs et ne doit peut-être pas être attribué à la mauvaise volonté. Par ailleurs, quels singuliers ligueurs ! Les Etats de la Ligue se réunissent à Nantes, à Vannes, aucun député malouin n'y paraît... On les relance. On leur fait des remontrances que vont porter à Saint-Malo les personnages les plus accrédités spécialement délégués Compadre, le maire de Saint-Brieuc (26 août 1592), en 1593, Jean Seguin, théologal de Cornouaille, Jean Juhel , abbé de Melleray ; le Procureur général requiert contre eux. Toutes les sessions des Etats de la Ligue se terminent avant qu'ils aient rien répondu. Bien entendu, il n'est pas question qu'ils acceptent les pancartes d'impôts sur les denrées et marchandises mises par les Etats et qu'ils les mettent à exécution. Par contre et pour comble, le gouvernement de Mercœur apprend avec stupeur qu'ils utilisent à leur profit la pancarte arrachée en 1588 à la faiblesse de M. de Fontaines, qu'ils s'en font même une nouvelle sur les marchandises entrantes et sortantes et la lèvent avec rigueur ; mieux, qu'ils courent les navires et barques de la rivière de Dinan pour taxer à des taux exorbitants les vins et denrées... Mais que dire à des gens qui pouvaient prétendre défendre mieux que personne la Ligue, en exécutant les ordres de Mayenne, le chef suprême, qui put, grâce à eux, conserver Dol, Avranches, le Mont-Saint-Michel et Tombelaine, en fortifiant leur ville et leur château, en augmentant leur artillerie, en entretenant leurs propres troupes. Par le fait, l'argent était moins perdu.

 

II. La Population.

Il ne faisait pas mauvais vivre cette année-là à Saint-Malo. Le commerce se rétablissait, la ville reprenait sa vie normale, vie d'une activité et d'une animation incessante dont nous pouvons difficilement aujourd'hui nous faire une idée. La population du Saint-Malo du XVIème siècle ne dépassait peut-être pas les 10.647 habitants du dernier recensement (avant 1913) ; mais elle était entraînée par la nécessité de l'action, les besoins de sa seule industrie la marine de commerce et de course. Aussi l'intensité du mouvement dans cette petite ville, pleine de rudes marins et d'allants et venants de tous pays, étonnait-elle toujours les contemporains. Au fond, ce peuple si remuant ne s'occupait que d'affaires pratiques. Il était très réfractaire aux agitations politiques ou religieuses. Il avait fallu cette grande crise de la disparition momentanée de la monarchie traditionnelle et l'impulsion des Ligueurs du dehors pour le mettre en branle. Rassurés maintenant contre tout danger immédiat, confiants dans leur Conseil, les Malouins redeviennent eux-mêmes et ne montrent que leur caractère de tous les temps. A l'intérieur de la ville, l'ordre public n'a jamais été moins troublé. Les rapports des commis au police en font foi. Point de rixes motivées par des querelles de parti ; à peine, à l'audience de la juridiction, quelques paroles injurieuses d'avocats adverses. On n'y voit que les contraventions ordinaires. On peut y noter un plus grand souci de réprimer les blasphèmes, d'interdire les cabarets pendant les offices, d'appliquer les règlements sur la vente des boissons, sur les mœurs, les salles où l'on danse, les jeux de paume et d'armes, les femmes « de mauvais gouvernement », ce qu'on appelle les lieux rebous, et enfin sur la recherche des libelles et livres hérétiques Le Conseil se fait apporter des listes des pauvres qu'il secourt de temps en temps, de gueux qu'il envoie travailler aux terre-pleins des murs, et enfin celles des étrangers. Ceux-ci sont en nombre considérable et croissant de jour en jour. Il en vient de partout ; mais surtout de Fougères, de Vitré, de Dinan.

Dès le commencement des troubles, beaucoup ont été amenés à se réfugier à Saint-Malo. Le Conseil surveille leur entrée, enquête sur leurs opinions et les refuse souvent. Mais comment priver les habitants d'une hospitalité qui leur est si profitable, et le receveur des deniers communs des taxes qui leur sont imposées ? Les admissions au séjour se multiplient, il vient un moment où une commission de la communauté doit se transporter de maison en maison pour assurer le logement des habitants pauvres chassés de leurs demeures par les surenchères des courtiers (Délib. 16 mai, 2 septembre 1591).

On voit par cette mesure combien le conseil ménageait sa popularité. Les dirigeants par ailleurs étaient bien sûrs que les trois quarts des habitants leur formaient une clientèle dévouée, tenue par mille liens d'intérêt personnel, ne voyant que par leurs yeux, n'écoutant que ses armateurs. L'intérêt commun d'une ville comme celle-ci se confond avec l'intérêt commercial dont les enseignements ont sur tous les autres l'avantage d'être aussi clairs et aussi positifs pour la riche bourgeoisie que pour ceux qu'elle emploie. Le Conseil est assez habile, assez prévoyant pour ne jamais vouloir se passer des ratifications de la masse populaire. Il sait trop bien les inspirer pour négliger de les demander. Le compte du miseur (Arch. de Saint-Malo, CC 18, 19), à défaut d'autres documents, permet d'établir que les assemblées générales furent convoquées aussi fréquemment à partir de 1592 que dans les années précédentes. Ces gens ne s'aveuglaient pas et n'étaient pas fâchés de couvrir le plus souvent possible les responsabilités de leur pouvoir de circonstance.

On peut se demander ce qui restait ici dans le petit peuple de ce grand mouvement religieux et démocratique de la Ligue qui agitait encore Paris et les grandes villes. Avait-il disparu avec les prédicateurs étrangers ? Qu'en subsistait-il ? Nous n'en trouvons d'autres manifestations que dans une série de faits qui paraissent émaner de l'esprit ligueur : l'essor et la réorganisation de toutes les corporations de métiers, depuis 1592 [Note : Registre d'office de la Juridiction, sous les 19 mars, 11, 30 mai, 5 juin 1592 et aux années suivantes], la présentation au Chapitre de leurs nouveaux statuts, les serments de toutes les confréries, leur assistance aux processions en ordre réglé avec leurs torches et leurs enseignes. On y voit défiler charpentiers, menuisiers, couturiers, chaussetiers, cordonniers, pelletiers, boulangers, pintiers, cordiers, bouchers, portefaix.

De sages mesures avaient montré à tout ce peuple comment il était gouverné. La sagesse de la bourgeoisie au pouvoir était surtout sensible en ce qui concernait les questions de vivres. Le difficile n'était pas de s'assurer de la quantité de farine qu'il y avait chez les boulangers ou de vin chez les marchands, et de maintenir les approvisionnements comme cela avait toujours eu lieu. Mais il fallait, au milieu d'une population méfiante et de tout temps en proie à la crainte d'être affamée, conserver le commerce de denrées dont la ville était l'entrepôt. Aussi le Conseil surveillait-il, autant pour écarter les soupçons que par crainte de ravitailler les ennemis, l'enlèvement des denrées et les permissions de tirer. Plus hardi que les administrateurs de villes plus grandes telles que Rennes, il avait défendu temporairement aux grossiers les accaparements et les ventes en gros [Note : Délib. 8 avril 1591. Cette mesure, signalée dans l'ouvrage de M. Carré, Le Parlement de Bretagne après la Ligue, p. 505, avait déjà été prise plusieurs fois à Saint-Malo pour différentes raisons, notamment les 24 novembre 1579 (Délib. BB. 6) et 27 juin 1589 (Reg. d'office)]. Il multipliait les états de subsistances. Il inventoriait les greniers et les caves et constatait sans cesse ce qu'il y avait. Le prix du boisseau de grain monta pendant la Ligue de 28 sous à 56 [Note : Reg. d'Office de Saint-Malo, 1587-91. Tous ces renseignements sont extraits de la série de ces registres qui est complète pour ces années. Un résumé des aprécis complets sur le taux des grains, tel qu'il est relaté aux registres d'office d'après les rapports des boulangers, ne paraîtra pas sans intérêt. Il ne s'agit dans ce tableau que du boisseau de froment : - 1589, plus bas 28 sous plus haut 48 ; - 1590, plus bas 30 sous plus haut 40 ; - 1591, plus bas 30 sous plus haut 56 ; - 1592, plus bas 30 sous plus haut 50 ; - 1593, plus bas 36 sous plus haut 50 ; - 1594, plus bas 42 sous plus haut 50 ; - 1595, plus bas 46 sous plus haut 75 ; - 1596, plus bas 58 sous plus haut 4 livres ; - 1597, plus bas 70 sous plus haut 7 livres ; - 1598, plus bas 45 sous plus haut 4 livres ; - 1599, plus bas 40 sous plus haut 65 s. ; - 1600, plus bas 33 sous plus haut 40 ; - 1601, plus bas 26 sous plus haut 38]. Les années qui suivirent 1594 furent éprouvées par un renchérissement énorme ; la diminution ne commença qu'en 1598. Il est à noter que, lorsque le prix s'élevait trop haut au gré du Conseil, il provoquait des détentes par des mesures arbitraires accueillies avec joie. Ainsi le 12 mars 1591 il saisissait au port de la Blasterie un navire chargé de blé et en mettait en vente les sacs au prix de 45 sols le boisseau, quoique les boulangers déclarassent qu'il en valait au moins 56 (Reg. d'office, 12 mars 1591).

Le Conseil n'intervenait pas moins dans la fixation du prix des vins. On en permettait le plus souvent l'exportation, sauf bien entendu pour les gens du parti contraire. Il venait à Saint-Malo énormément de vins ; vins de Gascogne, les plus estimés, nombreux vins dits de la Rochelle, vins d'Anjou. Toutes les contrées voisines, le plat pays qui en manquait, se fournissaient à Saint-Malo ; ainsi faisaient les garnisons des places et châteaux mal pourvues et fort altérées. Néanmoins, il en restait toujours de grandes quantités au moment de l'arrivée de la flotte des vendanges. C'était affaire aux administrateurs malouins, jaloux de faire vider les vieux tonneaux, de ne permettre qu'à bon escient la vente des nouveaux vins qui faisaient prime. C'était une source de sérieux conflits que cette question d'ouvrir ou de fermer ce marché, d'accrocher ou de retirer les brandons ; puis fixer le prix du vin était d'un intérêt capital dans ces vieux temps. C'est un organisme de la vie publique, tout un parlementarisme strict et méticuleux. Il était de règle de convoquer les trois états ; ici le château, le chapitre et ses officiers, les bourgeois, les avocats, les avocats surtout ; puis venaient les taverniers à la fois témoins et parties. On discutait longtemps, souvent pour quelques deniers, sur le prix du pot, après avoir établi le revient de la barrique de cent pots, coûts et frais. En somme, pendant la Ligue, si l'on ne revit pas les taux légendaires du milieu du XVIème siècle, deux et quatre sous le pot de vin, on put à peu près tout le temps maintenir le prix de huit sous. Ce qui ne dut pas laisser aux contemporains un trop mauvais souvenir, car les impôts nécessaires au roi Henri le portèrent tout de suite à dix sous.

Enfin le Conseil n'encourut jamais le reproche que l'on faisait souvent aux officiers de la juridiction qui avaient le dernier mot et promulguaient la taxe, de conniver avec les taverniers et d'engarier le peuple par des majorations arbitraires.

On est étonné, en parcourant les déclarations et évocations qui figurent aux registres, de la quantité des taverniers, il n'y a pas moins de 112 noms en 1598. On y voit ceux des personnalités les plus notables de la ville. C'est que tous pouvaient vendre au détail. L'armateur qui recevait par ses navires du vin, le fret le plus ordinaire, avait son guichet pour s'en défaire bouteille à bouteille, comme les seigneurs italiens en avaient à la basse porte de leurs palais. On peut croire qu'il ne s'assimilait point au cabaretier qu'il fournissait et chez lequel on s'arrêtait pour boire en dépit des arrêts.

Nous avons retrouvé les noms de ceux qui firent partie du Conseil en 1593 et 1594. La liste nous en est donnée dans un recueil original de procédure [Note : Il figure sans cote au milieu des registres des Délibérations dans l'Inventaire des Archives de Saint-Malo (B. B. 9). C'est en réalité un registre des arbitrages et jugements en appel rendus par le Conseil en matière civile et commerciale. Il va du 17 novembre 1592 au 18 mai 1594. Il a pour titre Papier du Conseil auparavant la réduction à l'obéissance du Roi. Il est signé du greffier Desnos. — Ce répertoire établit que le Conseil, non content de l'établissement du Consulat, ne craignait pas d'usurper pleinement le pouvoir judiciaire sans se soucier de la juridiction du Chapitre ni de celle du Parlement de Nantes. Il n'empêchait pas les parties de s'adresser directement à celui-ci, mais elles le faisaient rarement] pris à tort pour le registre des Délibérations de 1592 à 1594, qui manque malheureusement. Nous voyons groupés autour du nouveau procureur-président Bertran Le Fer Limonnay, les fondateurs de la constitution malouine, les anciens procureurs Gicquelaie et Fougeray, Josselin Frotet Landelle, Michel Frotet Bardelière ; d'autres qui ont déjà paru : Thomas Porée les Chesnes, Allain Maingard Planchette, Gilles Eberard Colombier, Jean Martin Guéraudaie, Etienne Richomme la Cour, Etienne Salmon sr de Porte-Charles, Jean Boullain Rivière, Jean Le Large la Barre, Thomas Gravé Bouteveille, Henri Boullain sr du Vivier. Les nouveaux sont : Josselin Frotet Ville-ès-dus, 0llivier Richomme Préravilly, Nicollas Moreau Gervesaie, Nicollas Baudran sr de la Massuère, Jullien Crosnier sr. de Toussan, Jean Boullain Grand-pré.

On ne rencontre pas parmi ces noms celui d'un des grands chefs, Jean Pepin, sieur de la Belinaie. C'est qu'en effet, malgré tous les efforts et en dépit de touchantes réconciliations ménagées par le Conseil, Belinaie affectait de ne plus s'occuper de la ville, depuis sa brouille avec Gicquelaie. Un tour de corsaire les avait désunis. Au moment où Gicquelaie, prévenu du passage du comte de la Moussaye et de M. de Saint-Denoual dans les parages de Saint-Malo, s'apprêtait à expédier le vaisseau de la ville, Belinaie avait armé rapidement un navire et amené au port cette prise qui devait valoir d'énormes rançons. La communauté finit par en profiter ; et on ne put ramener Belinaie au Conseil. Mais quoiqu'il eût mal agi envers ses compatriotes, ceux-ci le nommèrent cependant un de leurs délégués près du Roi et Procureur syndic en décembre 1594 [Note : La Landelle racontant cette histoire n'a pas voulu citer le nom de Belinaie].

 

III. Les adversaires du Conseil.

Les succès obtenus par le parti dominant, que les calamités du dehors sembleraient devoir rendre appréciables par tous, ne peuvent cependant faire taire ses ennemis intérieurs. Il en a beaucoup, ceux qui de parti pris ne trouvent pas bon l'état des affaires. Ils sont de deux catégories.

D'abord, les royalistes et les politiques. Il n'y a plus de protestants déclarés. On ne peut guère apprécier le nombre des partisans de Henri IV. Mais ils ont été annihilés par les expulsions de la première heure et sont peu redoutables. Depuis que la primitive ardeur de la Ligue s'est assoupie, on les laisse tranquilles, quoiqu'ils irritent souvent le Conseil par leurs propos, les femmes politiques surtout qui manifestent bruyamment leur joie à chaque succès du roi de Navarre (Délib., 16 mai 1591). Mais les royalistes ne conspirent pas, ils attendent les événements, prêts à applaudir aux conséquences de l'abjuration déjà prévue.

D'autres mécontents sont plus à craindre, ce sont ceux que l'on désigne dans le parti de l'autonomie provisoire sous le nom de la petite Ligue. Cette faction se composait des partisans de Mercœur et de l'Espagnol. Le Chapitre en était le noyau. Les officiers de sa juridiction le secondaient ; puis le connétable Jean Jocet, sieur de Cremeur. Ce dernier, personnellement dévoué au Duc [Note : On voit Mercœur parrain par procuration d'un de ses enfants le 11 mai 1589. (Bpt. Saint-Malo.)], était très dangereux. Il informait le Conseil de Dinan de tout ce qui se faisait à Saint-Malo, et malgré les arrêtés d'expulsion, il s'obstinait à rester dans la ville, déclarant qu'il n'en sortirait que par pièces. Les grands meneurs du Chapitre étaient Pierre Rihouey que l'on appelait Saint Nicolas, car il était recteur de Saint-Nicolas de Montfort, et le théologal Fallon. Rihouey avait presque aussitôt après la prise du château dénoncé les usurpations des Conservateurs et avait protesté contre l'élection de Gicquelaie comme chef et président. Il ne cessait d'attaquer le Conseil et de blâmer hautement dans ses prédications tous les actes de la Communauté. L'expulsion de Saint-Nicolas fut la grande affaire qui porta le conflit avec le Chapitre à l'état aigu et amena les chanoines, seigneurs temporels et spirituels de Saint-Malo, à revendiquer plus énergiquement leurs droits méconnus par la nouvelle organisation. La Landelle en a traité amplement sans cacher son hostilité à l'égard des adversaires du Conseil. La défense du Chapitre est moins connue. Elle a son manifeste dans un cahier de ses griefs que nous avons retrouvé dans les papiers de M. Robidou. Elle fut envoyée, dans sa minute authentique, par son secrétaire Olivier Dupré, à Mercœur, à Mayenne. Les députés des Malouins près de celui-ci en eurent promptement connaissance. Elle fut seulement signifiée aux habitants le 10 mai 1593, date qui établit que l'hostilité du Chapitre durait toujours avec la même intensité. Ce document est inédit, mais les Bénédictins l'ont analysé dans leur recueil manuscrit [Note : Fragments du Mémorial du chapitre de Saint-Malo, Bibi. Nat., Fonds Français, 22.311, f° 98 ; 22.322, f° 517 ; copie des Blancs-Manteaux]. Quelques extraits ont ici leur place ; d'abord un témoignage de l'unité de vue du clergé et du peuple malouin au moment de la prise du château.

Le lande 19e mars aud. an 1590, presens, Messieurs : Doien, La Choue, Le Charpentier, Gouret, Michel Le Fer, Bergeot, Gaultier, Claude de la Salle, François de la Salle, Mathurin La Choue, Eon, Sarcel, Durant.

Procession généralle et perpétuelle au jour Sainct Grégoire.

Messieurs ont conclud et arresté que le jour St Grégoire [Note : Le 12 mars, jour de la prise] par chascun an au temps advenir sera faict unne procession generalle en commemoration de la victoire qu'il a pleu à Dieu donner aux bourgeois et habitans de ceste ville de la prinse du chasteau de ceste dicte ville par les d. habitans. Lequel chasteau estait tenu par monsieur le baron de Fontaines, gouverneur dud. chasteau, lequel par cas fortuict fut tué d'un coup de balle d'harquebouze et de son vivant tenoict le parte du roy de Navarre tenu, censé et reputté heretique et fauteur d'heresie.

Rapport faict par les depputez du chappitre.

Ledict vendredy unzeiesme jour de may 1590, Messieurs Le Charpentier sr de l'Isle, Rihouey, recteur de Saint-Nicollas par cy davent deputté et commis pour assister aux assemblées de ville, ont ce jour faict rapport que des le 14e, avril dernier en l'assemblée generalle de ceste ville assistez des principaux officiers de la justice, sçavoir Messieurs Sennechal, alloué et procureur fiscal, se seroinct opposez au nom de l'Eglise et Chappitre de ceans aux establissemens, nouvelles errections et entreprinses des habittans de cested ville faictes tant contre les droicts du Souverain et aucthoritté de Monseigneur le duc de Mercœur gouverneur de ceste province que pour le grand preiudice, mespris, torts et usurpations faictes contre lad. eglise et chappitre, mesme pour la preseance leur deniée en lad. assemblée par ce que toutte la seigneurie en cetted. ville leur appartient, excepté les droicts de souveraineté, neantmoings les remontrances et exhortations faictes ausd. habittans, tant ledit jour en lad. assemblée generalle que de paravant par led. sieur de Saint-Nicollas, ne rien entreprendre contre les droicts du Souverain et aucthoritté de Mgr le gouverneur, droicts et libertez de lad. eglise, affin de n'encourir aucune note de rebellion contre le Prince, comme quelzques autres villes de ce royaume, ny de hayne ou mauvaise affection contre lad. eglise et chappitre comme aucuns particulliers de cested. ville par leur entreprinse et conspiration contre lad. eglise, comme se justifira par acte de l'an 1561 escripte et signée d'eux [Note : Il s'agit de la Requête présentée par les habitants au roi, le 27 avril 1561, pour obtenir la réunion de la juridiction du chapitre au domaine royal. Arch. S.-M. FF. 1-2], de quoy lesd. commissaires requierent Me Julien Le Sieu et Ollivier Dupré, notaires royaux lors presens en lad. assemblée leur en rapporter acte.

De ce jour, mesd. sieurs, apprès avoir entendu le rapport desd. commissaires et sur ce meurement deliberé, ont loué, ratiffié, aprouvé et eu aggreable lesd. remonstrances et exhortations faictes par lesd. sieurs de l'Isle et de Saint-Nicollas, soict en la maison de ville et, assemblée generalle ou ailleurs ; ont aussi pour agreables, ratiffient et approuvent lad. opposition et autres précédentes faictes et formées par eux et autres commissaires du chappitre et touchant lesd. entreprinses et usurpations desd habittans, et ont esté commis Mrs Gaultier, Medréac [Note : Claude de la Salle, recteur de Médréac, 1573-1603 (Pouillé, v. p. 182)] et Eon pour retirer desd, nottaires opposition et où ils en feroinct reffus les y faire contraindre par justice. Ce que a esté ordonné par Messieurs estre enregistré par moy secretaire soubz signant au present registre, ainsin signé : par commandement de Messieurs, O. Dupré.

Vendredi, 14 juin 1591. — Remonstrance du Promoteur et du Théologal.

Sur la remonstrance, plainctes et dolleances verballement faictes à Messieurs du Vennerable Chappitre de Sainct-Malo capitullairement assemblez par Messieurs le promoteur de Chappitre et Fallon, docteur theologal de l'eglise de ceans, respectivement, sçavoir duc. Fallon comme aucuns des bourgeois de ceste ville disants estre envoiez de la part du Conseil d'icelle l'auroinct par plusieurs et diverses fois reprins et taxé d'avoir avancé plusieuils propos tendans à sedition popullaire, speciallement et encore de recente memoire en unne predication qu'il fist mercredy dernier au chœur de ceste eglise, luy faisant prohibition à l'advenir d'en user de mesure sur peine d'estre mis hors ceste ville comme seditieux et perturbateur du repos publicq, jaczoict que icelluy Fallon comme il a presentement declaré aud. chappitre et dont il veult croire le germeral et les particulliers pour thesmoins et tous gens de bien, s'il a jamais dict ou mis en avant aucuns propos tendant a aultre fin ny parlé sur autre subiect preschant son Evangille et la saincte parolle de Dieu que de ce qui concerne et regarde l'avancement de son honneur et gloire, manutention de son eglise, conservation de la Couronne et de l'estat general de ce roiaurne, recongnoissance par effect des princes, des supperieurs en reglise et magistracts en la justice, mesmes de la refformation des mœurs et correction des vices qui regnent en tous estats, suppliant tres humblement mesd. sieurs d'interposer l'aucthoritté que Dieu leur a donnée pour le conserver en la continuation de sa charge et function, ayant mesme esgard que puix quelques temps en çà aucuns desd. particulliers se seroinct temerairement adressez à Monsieur nostre maistre Seiche-espée [Note : Aux décès de Saint-Malo, 8 octobre 1593, Frère Pierre. Aridiensis de l'O. des Jacobins, docteur en théologie et théologal de Saint-Brieuc ; service solennel, son corps porté à Dinan. On trouve au Registre d'office la déclaration de sa succession en faveur de Catherine Seiche-espée (23 octobre 1593)], docteur en la faculté de theologie Paris, homme d'une eminente doctrine et vieillesse vennerable, qui a eu l'honneur d'assister au sainct Concile de Trante et d'y accompagner Monsieur l'evesque de Dol, et luy montant en lad, chere de cested, eglise fut attacqué par iceux particulliers qui luy tinrent plussieurs propos fort impudans, plains de menaces et intimidations et finallement qu'ils luy dirent qu'il eust bien regardé et advisé ce qu'il diroict.

Led. sieur Promoteur, pour le debvoir de sa charge et acquit de sa conscience, de sa part a remontré que de jour en autre par les menées et praticques de quelzques particuliers, il se faict plussieurs Erections entreprinses et innovations contre les droictz du Souverain et aucthoritté de monseigneur le gouverneur de ceste province, mesmes au très grand prejudice des droictz et libertez de lad. eglise, abusant tellement de la force et du manteau d'une communaulté, non seullement que de limitter la predication des docteurs et pasteurs de l'eglise, insollence du tout insupportable et dont les rois mesmes sy aucuns se sont tant oubliez en ont esté blasmez et justement punit de Dieu ; mais qui pis est ils taschent et recerchent les moiens de chasser et mettre hors de la ville lesd. docteurs, predicateurs, pasteurs et chanoines qui sont mesmes leurs seigneurs temporelz et spirituelz et autres signaliez gens de bien, d'aultant plus promptement et viollentement que lesd. gens d'eglise et chappitre s'efforcent de maintenir la religion et l'estat en union [soubzl l'aucthoritté, obeissance et recongnoissance par effect des princes cathollicques et speciallement de Mgr le gouverneur de ceste province, estant très necessaire que led. chappitre s'oppose par tous moiens à telles entreprinses, viollances et oultraiges qui se font directement contre l'honneur de Dieu et en intention de suprimer et abollir l'aucthoritté, droictz et libertez de son eglise, ensemble la recongnoissance et obeissance deue par effect au souverain et à Mgr le duc de Mercœur qui le represente en cested. province, nonobstant les desguisemens et pretextes envenimez desquelz ces particulliers taschent de couvrir leurs pernitieux desseigns et sinistres intentions lorsqu'ilz prennent le manteau des princes affin de s'establir, pour puis après mesmes rebuter et mesconnoitre par effect leur aucthoritté, ainsin qu'il s'est praticqué en plussieurs villes au dedans et dehors de ce Royaulme.

D'abondant led. sieur promoteur a requis qu'on face entendre le contenu de ce que dessus et de ce qui en despend à nosseigneurs les princes cathollicques, speciallement à Mgr le gouverneur de ceste province, et par ce qu'ilz sont protecteurs de l'eglise implorer et requerir leur faveur et assistance, mesmes requerir le clergé de ceste province à ce que luy plaise intervenir et se joindre avecq le corps dud. chappitre attandu l'importance des affaires.

Mesdictz sieurs après avoir sur ce meurement deliberé et prins l'advis de plussieurs theollogiens presens et expressement appellez pour cest effect, a esté conclud et resollu unanimement et assemblement, de commun et mutuel consantement, promis et juré par serment solennellement preste par l'un et chaicun de mesd. sieurs doien et chanoines presentz en ceste assemblée, de se joindre et unir assemblement pour empescher à tout leur pouvoir telles entreprinses ou effortz faictz ou à faire tant contre les predicateurs que ceux de messieurs de l'eglise et de leurs compaignies que lesd. habittans s'efforceroinct de mettre dehors cested. ville et qu'au cas que par force et viollence ilz y mettroinct quelqu'un d'eux, ilz ont aussi tous assemblement juré et protesté de s'en departir et sortir, et requerir de nostre Sainct Père, son Legat ou autre supperieur, interdict entre interjecté sur lesd. citoiens au cas qu'à la sommation dud. chappitre ilz ne voudroinct ou differeroinct revocquer et reparer le tort et injure par eux faicte en l'expulsion et bannissement d'aucuns predicateurs, chanoines et chappitre, leurs seigneurs spirituelz et temporelz ; le tout suvvant la forme de droict et des sainctz Canons, et aultrement se pourveoir ainsin qu'il appartiendra et voiront l'avoir faire, d'aultant qu'en attentant pour ce subiect en la personne d'aucun d'eux, c'est en effect attanter contre le corps, estantz tous confreres et comme membres d'un mesure corps ; et ce pendant tous nosseigneurs les princes catholliques et particullierement Mgr le duc de Mercœur gouverneur de ceste province seront dilligemment advertiz de tout ce que dessur pour les supplier en toute humilité y apporter les remedes necessaires avecq leurs faveur et protection.

Mesmes sera presenté requeste au clergé de ceste province pour requerir et demander son intervention et de se joindre avec le corps dud. chappitre estant ceste presente cause commune et appartenant à l'université de l'eglise de toute la province. Par commandement de Messieurs, O. Dupré.

Ce fut désormais une série d'assemblées capitulaires, de protestations en forme, de députations à la Communauté de ville. Les chanoines ne cessèrent de représenter l'étrangeté de la conduite de ces hommes, leurs sujets laïques, « qui abusaient de la force qu'ils avaient en main » à l'égard de leurs supérieurs et pasteurs, leurs seigneurs temporels et spirituels, encourant par leur insoumission les censures ecclésiastiques d'après les canons et aux termes de la bulle De cœna Domini. Ils exaltaient Saint-Nicolas, ses services, ses vertus, son dévouement au Saint Parti de l'Union et au duc de Mercœur. On condamnait quelques chanoines dissidents qui soutenaient secrètement le parti du Conseil... On défendait à Rihouey d'obéir à l'ordre d'expulsion. Ce qu'il y eut de curieux, c'est que l'évêque, Mgr de Bourgneuf, qui jusque-là n'avait point été reconnu par le chapitre et vivait à Saint-Malo quasi prisonnier, en dehors de son manoir épiscopal, vint contresigner cette défense ; et cela lui valut sa réception officielle et sa prestation du serment canonique, et peu après son renvoi définitif de Saint-Malo.

Saint-Nicolas finit enfin par être expulsé (19 juin 1591) [Note : C'était un Bas-Normand de Granville ou d'Avranches. En mars 1593, il était aux Etats de la Ligue à Vannes avec les pouvoirs de l'Evêque de Saint-Brieuc, Nicolas Langelier. Il reparut au Chapitre de Saint Malo dès le 23 juin 1594, au moment où se préparait la réduction de la ville. Puis on ne l'y revoit plus. Il mourut en 1598, après avoir été quelques mois chanoine commensal de Mgr du Bec]. Deux mois après ce fut le tour du connétable Jocet.

Le Conseil n'était pas heureux dans le choix de ses prédicateurs. A peine avait-il fait sortir Fallon et Rihouey, que le nouveau docteur qu'il avait fait venir de Paris dès le mois d'août 1591 par son chargé d'affaires, La Planche, se montra un intrigant des plus dangereux. Il est bien probable que le jeune La Planche avait été dupe d'une machination ourdie à Paris par les grands chefs du parti. En tout cas, il ne connaissait pas du tout le caractère du personnage qu'il amena à Saint-Malo. Celui-ci était lié avec le fameux ligueur Rose, l'évêque de Senlis, qui, on ne sait pourquoi, s'occupait des affaires de Saint-Malo. Nous supposons que cela se rattachait aux projets de Péricard, évêque d'Avranches, zélé pour la Ligue. Il y a une lettre de Péricard demandant aux Malouins, sans souci des Canons et même du bon sens, de le substituer à Bourgneuf alors leur prisonnier. Quoi qu'il en soit, à peine en Bretagne, Cormerais alla se présenter à Mercoeur qui était au camp de Jugon.

Depuis ce moment il se dévoua entièrement au duc et devint tout de suite suspect aux Malouins. Il se compromit presque aussitôt par des lettres qui tombèrent aux mains du Conseil. Les unes étaient destinées à être remises en haut lieu à Paris, d'autres à Mercœur. On y réclamait du Légat des condamnations contre une ville qui s'était emparée du patrimoine de l'Église en lésant la seigneurie ecclésiastique de Saint-Malo ; Cormerais désavoua l'écriture de ces lettres. Le Conseil enquêta et reconnut bientôt qu'il les avait au moins composées et rédigées conjointement avec les officiers de la juridiction et fait écrire en partie par un jeune homme du même bord, Servan Picot Saint-Bue. Ces machinations parurent abominables, mais les gouvernants avaient un tel parti pris de ne rien heurter de front, qu'ils se bornèrent à inviter le Procureur à ne plus recevoir Cormerais à sa table. Ce fut la seule punition apparente de ses mauvais offices. Mais bientôt on lui signifia qu'on ne tenait aucun compte de la promesse de la chaire pour l'avent et le carême que le Chapitre lui avait faite afin de conserver à Saint-Malo ce précieux auxiliaire. Le miseur réglait ses dépenses le 6 octobre avec Servanne Pépin, femme du procureur Jonchée Fougeray, chez qui il logeait encore (Délib., 19 août, 6 octobre 1591). Il était parti. Il ne manqua pas à trouver sa voie avec l'appui de Mercœur. Il revint à Nantes, d'où il était sans doute originaire, pour y faire, pendant les premiers mois de 1593, de très nombreux et très brillants sermons à la Cathédrale et à Saint-Nicolas. On apprit alors que le cardinal de Plaisance, légat, venait de le nommer vicaire général de l'évêché de Nantes (6 avril 1593). Quoique le collateur n'eût aucun droit, qu'il y eût des obstacles de toute sorte (Travers, Histoire de Nantes, III, p. 73), le docteur Cormerais ne finit pas moins par être reconnu en cette qualité et administra l'évêché et Nantes en particulier pendant cinq années jusqu'en 1598, tout le temps que l'évêque Philippe du Bec, qui était royaliste, n'y put résider, la ville étant toujours au pouvoir du Lorrain.

Le Conseil avait longtemps différé à se débarrasser des partisans les plus notables de Mercœur, toujours afin d'éviter une rupture ouverte. On éloigna avec certains égards le sénéchal Charles Cheville sr du Val, le procureur fiscal Nicolas Jocet [Note : Il résigna ses fonctions le 2 juin 1593 et fut remplacé par Pierre Pépin sr de la Planche, auquel le Chapitre ne refusa pas sa commission] et son substitut Servan Picot. Le Sénéchal avait longtemps marché avec les habitants, reçu leurs serments d'union et fait partie de leur Conseil. Mais il n'avait pu souffrir que le Procureur syndic passât avant lui dans les processions, au préjudice de ses anciens privilèges, comme il le faisait maintenant en sa nouvelle qualité de capitaine du château. Il est à remarquer que l'alloué Me Guillaume Lesné sr de la Huperie, resta invariablement fidèle au parti des habitants.

Quand tous ceux-là furent partis, la petite Ligue, la cabale, ce groupe mystérieux de gens d'intrigue qui poussait les chanoines à des manifestations peu redoutables, n'en subsista pas moins. Leurs mauvais propos circulaient et ébranlaient l'autorité des dirigeants, mais ils ne se montraient point. On ne peut savoir les noms de ceux qui faisaient partie de cette opposition. Le Conseil les surveillait avec vigilance. Il était instruit de leurs menées par les billets secrets qu'il trouvait déposés dans une boite sur son bureau, moyen d'information qu'il avait établi de bonne heure. Il savait que la puissance matérielle de ses ennemis était faible, qu'ils n'avaient aucune action sur la masse, et il tenait peu de compte des dénonciations. Il les croyait cependant, et avec raison, capables de conspirer contre la sûreté de la ville. Il pouvait craindre qu'à un moment donné ces correspondants secrets de Mercœur ne surprissent Saint-Malo en s'aidant de secours venus du dehors. Comme nous le verrons, ils conspiraient en effet et ils conspireront jusqu'à la fin. Ils feront même une réelle tentative au lendemain de la soumission de la ville à Henri IV.

 

IV. L'Arrêt.

L'année 1592 débuta mal pour les Malouins. Le Parlement de Rennes n'était point resté inactif. Il avait agi autant qu'un pouvoir dépourvu de tout moyen de sanction pouvait le faire. Après une enquête commencée dès le 7 avril 1590 et qui dura huit jours, il avait établi avec indignation ce qui s'était passé à Saint-Malo lors de la prise du château et du meurtre de Fontaines. Un Arrêt de prise de corps fut rendu le 18 mars 1590 contre les Malouins coupables de ces attentats, puis la procédure par défaut se continua : onze arrêts furent rendus pendant un an et demi. Le Conseil de Saint-Malo en était toujours bien informé ; mais il fit la sourde oreille et se borna à tenir les arrêts de Parlement pour non avenus. Pas un mot, pas une protestation ne vint inquiéter ses adhérents, ni sa clientèle populaire, lorsqu'il reçut le terrible Arrêt du 11 janvier 1592 [Note : Cet arrêt est conservé aux Archives de Saint-Malo dans une copie du commencement du XVIIème siècle (E E 4-121) ; à la Bibi. Nat., Fonds des Blancs Manteaux, Fonds Français 22311 f° 29 ; aux Archives d'Ille-et-Vilaine, Villes S à V ; dans les papiers de l'abbé Manet à la date (Archives de Saint-Malo). — Il a été imprimé in-extenso avec quelques erreurs de noms par M. B. Robidou (Histoire el Panorama d'un beau pays) (1861) 2ème édition, in-4°, p. 209-11. Ne pouvant l'insérer à cause de sa longueur, nous donnons en supplément le relevé alphabétique des Malouins qui y sont cités. — Nous avons cherché inutilement aux Archives du Parlement le texte original de cet Arrêt du 11 janvier 1592 ; ainsi que celui des autres Arrêts et pièces de procédure qui y sont relatés. — Par contre, nous avons rencontré parmi les inventaires des charges de sacs de la procédure criminelle la mention de la remise du sac de Morillon, inculpé à propos de l'assassinat de M. de Fontaines, à M. de Martines, conseiller rapporteur, et la date de l'exécution de Morillon, le 10 avril 1590. (Archives du Parlement, Tournelle)]. Ils y étaient tous, désignés sans erreur par des gens qui les connaissaient bien et savaient leurs parentés compliquées. 123 complices sont nommés, les Pépin, les Picot, les Frotet, les Grout, les Lefer, les Porée et les femmes de plusieurs d'entre eux ; ils sont condamnés à être trainés sur la claie, roués jusqu'à ce que mort s'en suive, supplices décrits avec complaisance par les greffiers surtout dans les Arrêts dont l'exécution est douteuse. Celui-ci porte en effet que pour le moment ces punitions auront lieu à Rennes par tableaux et effigies.

Ce n'était point assez pour effrayer les gens qui avaient la direction des affaires malouines. Ils continuèrent d'agir comme si rien n'était survenu. Ils ne manquèrent pas cependant d'emprisonner un certain Gohory, un de ces bons sergents de justice, qui, avec leur courage habituel, s'était risqué à signifier à Saint-Malo les exploits du Parlement.

 

V. La guerre maritime. La course.

Sur mer, les Malouins sont maîtres désormais des Portes et des avenues maritimes de leur estuaire. Ils tiennent, comme nous l'avons dit, Mercœur en échec en commandant la rivière de Dinan. Ils vont librement sur toute la côte nord de la Bretagne. Ils sont liés intimement, plutôt, il est vrai, par un échange de services que par une confédération officielle, avec les autres villes du littoral qui sont du Saint parti, Saint-Brieuc, Morlaix, Roscoff. La reprise de Bréhat, son abandon à temps, l'heureuse arrivée de leur flotte d'Espagne, ont montré avec quelle légèreté ils évoluent au milieu des plus grands périls. Les Granvillais sont maintenus par une croisière permanente dirigée par la patache de la ville armée en course à son profit, les Granvillais ont perdu plusieurs navires et renoncent à courir sur leurs redoutables voisins. Leur animosité n'est plus autant soutenue par les réfugiés royalistes malouins qu'ils avaient accueillis.

De ces réfugiés, les uns, les Le Fer, ont succombé ; les Arthur vont continuer la guerre maritime. Frotet de la Landelle a fait connaître d'une façon partiale les entreprises de ces bannis. La tentative de ce navire qui croisait sous le fort La Latte près des bonnes passes, menaçant en vue de la ville tout le commerce, est plus qu'un fait de piraterie. Michel Le Fer était un belligérant en règle. Les Bourgeois purent s'en assurer quand ils l'eurent pris, en trouvant dans ses papiers de bord une lettre de marque délivrée contre eux par le roi de Navarre dès le 26 mars 1590, au lendemain de la mort de Fontaines et sous le coup de cet événement. Son oncle Etienne Le Fer, tué ainsi que lui à l'abordage du 13 mars 1591, était certainement capitaine de navires pour le service du roi. Les Le Fer s'étaient proposés pour organiser à Granville la contre-course et avaient été agréés comme d'utiles auxiliaires ; mais la pénurie du roi de Navarre laissait Michel, âme de l'entreprise, réduit à ses propres ressources. Il équipa ou cueillit sur mer quelques petites embarcations. Avec elles il captura un grand voilier, un Olonnois. Il arma celui-ci en vaisseau de guerre et le porta au bon endroit ; malheureusement il se fit surprendre par ses adversaires et disparut avec son équipage, entreprenant sans doute, mais homme de mer insuffisant. La croisière de La Fleur d'Olonne dont il avait eu l'idée, pouvait être de si dangereuse conséquence pour ses compatriotes, qu'il s'attacha à son souvenir un fond de rancune dont la Landelle se fait l'écho [Note : Servan Le Fer, leur frère, avait dû quitter Saint-Malo comme suspect aux habitants d'es 1589. Aucun Le Fer n'était protestant].

Après cette catastrophe, les Le Fer royalistes ne se manifestèrent plus que par l'hostilité des deux chanoines Michel et Charles, fils du capitaine Etienne, réfugiés à Rennes, où ils représentèrent aux Etats tenus dans cette ville le chapitre de Saint-Malo, sans son aveu, dévoués à la royauté, même avant la conversion du roi. Telle était la profonde division produite dans les familles par les événements, que Bertran Le Fer Limonnay, cousin germain des précédents, était un des principaux champions de la fédération ligueuse, puis de l'autonomie malouine. Il s'employa et employa les siens au service de cette cause jusqu'à faire du jeune clerc Guillaume, son fils, celui qui fut plus tard pendant quarante ans curé de Saint-Malo (1599-1642), le gardien de l'Evêque retenu contre son gré dans sa ville épiscopale. D'autres collatéraux, les Le Fer sieurs de Graslarron, ne cessent pas de résider à Saint-Malo où ils soutiennent secrètement les intérêts de Mercœur.

Le Conseil de ville avait été très dur pour les bourgeois royalistes qu'il avait dû expulser. Il ne leur permit de partir qu'après leur avoir fait payer de grosses sommes, c'est ce qu'établit une requête au roi présentée le 26 novembre 1593 [Note : Dom Morice, Pr. III, col. 1579. — Deux expulsés notables, Robert Boullain Contrie, précédent syndic, taxé à 300 livres, et Etienne Chaton sr de la Jannaie, neveu de Jacques Cartier, ne sont pas cités dans cette requête].

Les expulsés énùmérés sont presque tous des hommes de barreau, loyalistes à l'exemple de leurs confrères de Rennes, parmi eux, un protestant avéré le notaire Prébieux. Le plus remarquable est Julien Artur La Motte [Note : Né en 1541, mort en 1607, épousa en 1564 Guillemette Baffart, père d'Etienne Artur La Motte, le plus grand armateur de Saint-Malo en 1631], l'auteur de la requête. C'était un marin. Il en appelle sans doute à la justice du roi pour les trois mille écus dont a été spolié, mais il demande surtout des Lettres de représailles qui lui permettent de recouvrer lui-même sur des prises malouines le montant de ses pertes et de celles des autres expulsés. Il put en effet armer un navire de guerre, fit une première capture aux environs du Hâvre et assista, en y participant peut-être, au naufrage du bateau malouin, vaniteusement appelé Le Pontbriant. Ceci inquiéta fort les gouvernants de Saint-Malo et entraîna l'entière confiscation de ce que Julien Artur pouvait avoir laissé dans la ville. Comme bien d'autres, il ne devait jamais obtenir des Malouins aucune restitution. D'ailleurs ses fils Etienne et Pierre, son neveu Bertrand continuèrent la guerre de course et le commerce sur le Royal-Malouin et le Cerf-Volant portant pavillon royal [Note : Lettres de Henri IV, 22 avril 1594 (D. Morice, Pr. III, col. 1589)]. Moins lucrative était la guerre judiciaire que les Artur poursuivaient aussi contre leurs compatriotes. Ils y obtenaient cependant les plus grands succès. Lettres du roi, arrêts du Conseil d'État, arrêts de Parlement, tous favorables ; rien ne leur manqua, jusqu'au jour où leurs justes plaintes furent écartées sur l'annonce des pourparlers de Saint-Malo avec le Maréchal d'Aumont ; bientôt il n'en fut plus question. Mais le 11 septembre 1597, Etienne Artur La Motte reçut le brevet de capitaine de marine entretenu au service du roi [Note : D. Morice, Pr. III, col. 1647]. Il ne tarda pas à revenir à Saint-Malo. Une vengeance bien bourgeoise de ses concitoyens fut de le nommer dès le mois d'avril 1598, malgré ses protestations, égailleur et receveur de leur emprunt de 12.000 écus.

Nous ne sommes plus à l'époque où la Ligue avait suscité toute une campagne de course de la part des Malouins. On avait vu partir de Saint-Malo, pendant les premières années, des escadres qui avaient opéré dans l'intérêt de la Ligue. Elles avaient été à la prise du Pontbriant, au siège de Pontorson. Jean Jonchée, sieur des Portes, avait occupé avec sa flottille les parages de la Basse Normandie, annihilé les Granvillais royalistes, conservé à l'Union : Avranches, le Mont-Saint-Michel et Tombelaine. Pierre Gravé, sr de la Belle-Chaussée, avait pris une première fois et Jonchée des Portes repris l’île et le fort de Bréhat [Note : L'île de Bréhat sous la Ligue, De la Borderie, Revue de Bretagne et Vendée, 1880, II, p. 139-145, p. 175-183], le 3 juin 1591. François Grout sr de Boisouze, avait été au secours de Rouen (20 janvier 1592). Ces expéditions ordonnées par le Conseil de Saint-Malo ont pris leur place dans l'Histoire de la Marine française [Note : Voyez le bel ouvrage de M. de la Roncière, Tome IV, 1910, p. 230, 231, 242]. Le détail de ces armements et des petites captures qui s'en suivirent a été donné par La Landelle. Pendant cette période, les Malouins s'affranchirent de tout rapport avec l'Amirauté. Ils ne tinrent aucun compte de l'ordonnance de Mercœur prescrivant de prendre commission de lui pour la course et de verser une caution de quatre mille écus [Note : Dom Morice, Pr. III, col 1536, art. XXXVI. 16 avril 1591]. Le Conseil, prétextant au début la diffiçulté des chemins, délivre de sa propre autorité des permissions d'armements, dont la principale condition est de ramener les prises à Saint-Malo. Par suite il institua un tribunal pour les juger, écartant la juridiction du Chapitre et celle de Dinan. Un certain Blaise Simon, avocat de Rennes, ligueur réfugié à Saint-Malo, en fut le président. La procédure se faisait régulièrement devant lui après requête suivie d'ordre d'informer, d'audition des parties, capteurs et capturés, de rapport. Puis le premier juge ordonnait ou refusait équitablement suivant les cas, la mise aux enchères et l'adjudication des navires, biens saisis ou prisonniers. S'il y avait opposition ou contestation, l'appel était porté devant le Conseil qui tranchait séance tenante en dernier ressort, comme il s'en était arrogé le droit dès le début. Toutes ces questions de prises étaient traitées honnêtement et suivant les lois et coutumes de la guerre. Quand la ville avait fait l'armement, fourni ses pataches, elle touchait la moitié de la valeur de la prise, sinon un simple huitième pour son droit. Les particuliers, armateurs ou marins, se partageaient le surplus sans débat, dans les proportions de coutume.

On s'attendrait à voir en temps de guerre civile la lutte sur mer tourner, comme il arrivait souvent sur terre, au pillage et à la méconnaissance de tous les droits : mais non, ici du moins parmi ces marins peu dégrossis, d'une violence irrésistible, tout se passe selon les formes ordinaires de la législation en matière de course. La légalité surabonde ; seulement elle s'exerce au nom et au profit de l'autonomie malouine.

Devant ce Blaise Simon, on juge les prises de quatre navires de Granville : le Pierre, la Barbe capturés par Henri Salmon, le Croissant, par Allain Duchesne, la Bonne Adventure, à Terre-Neuve, par Hancelin et Guillaume Hervé sur le Charles, dont les armateurs sont Michel Frotet Bardelière et Frotet Ville-es-Ducs. Il y a encore d'autres prises moins importantes, faites sur les Granvillais, amenées surtout par les barques de Bréhat. Toutes sont déclarées légitimes et adjugées comme faites sur des ennemis de l'Union. L'Arondelle, de Caen, est capturée par une escadre malouine composée du Colardin, capitaine Jullien Crosnier Buhen, du Château d'Or, capitaine Gilles Martin, du Croissant, capitaine Jacques Pépin Prélambert, stationnée dans la baie du Conquet, pour guetter les leurs, en retour d'Espagne, et elle subit le même sort. Par contre, le Pierre de Dieppe, amené par Paul Heurtault, est renvoyé indemne, après vérification de ses passeports.

Les commissions d'armement sont délivrées après enquête et avec discernement. On les refuse aux gens douteux ; on les retire à ceux qui en ont mésusé [Note : Permission retirée le 29 octobre 1590 (Délib.)]. Tel est le cas de Michel Maingard, corsaire trop hasardeux, auquel le Conseil retire sa commission, mais qui la reçoit de nouveau, en 1591, au fort de la guerre de course, sans doute à cause de ses aptitudes reconnues.

Les principaux corsaires, en dehors de ceux que nous avons cités, sont : Guillaume et Charles Hancelin, Pierre et Alain Gravé, cousins du fameux Belle-Chaussée ; Robert Brignon, Jean Martin Rouaudaye. Une nuée d'autres petits écumeurs de mer sortirent encore de Saint-Malo ; particulièrement au moment des affaires de Bréhat. La plupart avaient des commissions du Conseil. Tous viennent faire juger leurs prises au port d'attache.

Les petites captures furent surtout le fait des marins de Bréhat. Les Malouins ayant eu le bon esprit de patronner leurs représailles et de leur accorder une commission, dès le 17 juin 1591 (Délib., 17 juin 1591). Deux d'entre eux surtout, Bernard Le Guéré et Robert Le Drehenec, acharnés à la rescousse des pertes de l'île, assurèrent, après le départ de la flotte anglaise, dans ces parages, la maîtrise de la ville qui les soutenait. Les petites barques ne leur échappaient pas ; ils prirent même des navires mieux chargés (Délib., 27 juin 1591).

Le défilé des captures malouines est intéressant. On y voit le souci de ménager les petits ports et les pauvres pêcheurs. Ceux-ci sont relachés sans amende, à moins qu'ils n'aient résisté à l'ordre d'amener [Note : Mise en liberté de Cancalais, de Faguet pêcheur de Paimpol, de Piguelier de Saint-Plancher, d'autres de Perros, d'un pêcheur des Sept-Iles. — Restitution d'un bateau de Saint-Pol chargé de fil ; d'autres de Saint-fast, de Portrieux, du Légué]. On fait facilement restituer les denrées et les grains saisis sur des caboteurs, soit par esprit d'humanité, soit par désir de ne pas exaspérer les populations du littoral, mais il faut bien se montrer impitoyable pour les captures de soldats et d'adhérents du parti contraire. On remarque qu'aucune prise d'Irlandais, d'Hirois, n'est validée ; ils sont catholiques et de tout temps bien venus à Saint-Malo. Leur franchise est même expressément renouvelée (Délib., 18 mars 1591).

En 1592, c'est la fin de la course pour les Malouins du XVIème siècle. Quelques particuliers s'étant licenciés à préparer des pataches de guerre sans permission, ce que la venue des navires de commerce de tous pays rendait maintenant dangereux, le Conseil jugea à propos, le 23 mars, de renouveler les défenses d'armer en course sans congé. Nous croyons qu'il n'en accorda plus. Les Malouins, occupés de leur commerce renaissant, n'en demandèrent point désormais.

Le Conseil continua sans doute à armer de temps en temps la patache de la ville. C'était une nécessité. Il y avait dans le voisinage des pirates : le capitaine de Rais, commandant au Guildo, qui se ravitaillait sur mer au moyen d'un petit bâtiment sans aveu ; et surtout, tant que le Plessix-Bertrand ne fut pas définitivement livré aux Malouins, les capitaines qui l'occupèrent successivement pour la Ligue. Le capitaine Launay et le capitaine Roger furent, sur terre et sur mer, un fléau pour les habitants. Ils ravageaient la campagne ; ils frétaient à Cancale, dès que l'occasion s'en présentait, des embarcations qui enlevaient toute sécurité aux navires, de plus en plus nombreux, allant et venant à Saint-Malo. On compte parmi leurs méfaits le pillage d'un bateau de Plancoët et l'enlèvement d'une riche cargaison à des marchands de Coutances . Jamais le Conseil de Mercœur à Dinan n'écouta les plaintes des Malouins à leur sujet. Ce fut pour s'en débarrasser qu'ils achetèrent le Plessis-Bertrand.

 

VI. Les Anglais.

Si l'on étudie de près les relations de Saint-Malo avec l'Angleterre, on reconnaît que l'on a fait beaucoup trop d'état de l'ordonnance du Conseil du 28 septembre 1590 interdisant aux Malouins tout rapport avec les Anglais, tout voyage en Angleterre. Cette mesure de circonstance, prise au lendemain d'un départ de marins vers cette destination, devait nécessairement être édictée pour proclamer les principes de la Ligue et obéir à ses règlements qui défendaient tout rapport avec les hérétiques. On la renouvela à chaque infraction connue. Ce qui démontre qu'en fait elle était peu observée. Nous voyons d'ailleurs après cette ordonnance deux malouins, Alain Duchesne et François Martin Guéraudaye, un des principaux du Conseil, armer à Jersey deux navires, le Guy pour faire la course sur nos côtes, le Diamant destiné d'abord à un voyage d'Irlande (Délib., 9 novembre 1590 ; 8 juin, 29 août 1591). Il est probable que les départs pour un pays prohibé et où le séjour était dangereux, se restreignirent à des passages occultes de particuliers et de matelots, à Jersey ou à Guernesey. Le ralentissement du négoce poussait malgré tout beaucoup de marins à aller chercher des engagements sur les navires anglais. Cela surtout inquiétait le Conseil. De là des enquêtes au retour des Iles, l'interrogatoire des capitaines, les serments pour attester la catholicité des équipages. Mais en somme dans cette ville, les catholiques qui reviennent de pays protestants ne sont poursuivis que si on les dénonce pour quelque fait grave, tel que d'être allé au prêche de Jersey pour voir ce qui s'y fait. Ils s'en tirent avec une admonestation, un court emprisonnement au château, et au plus leur expulsion de la ville (Délib. 20 avril 1591).

Les navires de Saint-Malo ne font la chasse qu'aux autres ennemis de l'Union. Le Conseil n'accorde de congé de course qu'en faisant jurer aux corsaires de ne pas courir sur les Anglais, Irlandais, Ecossais, Allemands, Flamands. On renouvelle cette condition au grand marin Jean Jonchée des Portes au moment où il va se trouver au milieu de la flotte britannique autour de Bréhat. Aucune prise anglaise n'est donc amenée dans le port pendant la Ligue. A peine pourrait-on citer un fait contradictoire. Un navire de Saint-Brieuc portant des marchands et des marchandises anglaises est capturé. La juridiction établie par les habitants déclare tout le chargement légitimement pris, et le vend au profit du capteur, mais on relâche les marchands anglais. Ce navire était accompagné d'une petite barque anglaise. Elle est dévolue à Michel Maingart qui s'en est emparé. Il est douteux du reste qu'elle eût un équipage anglais. Cette rencontre due aux hasards de la guerre sur mer n'empêche pas qu'il ne soit prouvé que les Malouins aient eu pendant toute la Ligue le parti-pris de ne jamais attaquer les Anglais. En échange de ces égards, ceux-ci ne donnent rien du tout. Ils ne se privent nullement de capturer, d'arrêter les vaisseaux malouins qui surviennent dans leurs ports [Note : Le Flibot à Thomas Gravé venant de Biscaye (Délib. 20 avril 1591)]. Mais force était de prendre cela en patience et de passer au bilan des sacrifices pour le Parti, les pertes que Saint-Malo éprouve de la sorte. En 1592 la malveillance des Anglais n'arrive pas encore à ces actes iniques qui coïncideront, chose étrange, avec le retour des Malouins sous le drapeau royal et le renouveau de leur prospérité commerciale. Henry IV aura fort à faire, sa correspondance le prouve, pour obtenir la restitution des prises faites indûment sur les habitants de Saint-Malo [Note : V. Xivrey, Table des Lettres missives, et les relations des ambassadeurs de Henri IV : de Harlay de Sancy, de Boissise, etc. — Cf. la liste des pertes à la suite de cet article].

La contre-partie, c'est-à-dire le commerce anglais à Saint-Malo pendant toute la Ligue, est d'un intérêt particulier. On voit d'abord qu'après la prise du Château, dans l'enivrement de leur victoire, les Malouins inventorient et saisissent les biens de ces hérétiques. Mais bientôt ils réfléchissent aux conséquences de leur acte, et, avec une précipitation significative, ils donnent main-levée complète aux personnes et aux propriétés anglaises. Puis ils déclarent leur ville port franc pour la nation anglaise, pour les Iles de la Manche en particulier. Cette franchise sera maintenue après que la reine d'Angleterre sera intervenue directement en faveur du roi de Navarre. Les navires, les commerçants, pourront en effet venir librement pendant tout ce temps. Ils importent, ils exportent. On leur garantit la sûreté du port, leur sécurité dans la ville. On défend de les injurier. La licence d'aller et venir, celle de trafiquer, leur est renouvelée chaque année. Ce n'est pour la plupart qu'un laisser-passer à prendre chez le greffier de la Communauté à un prix fixe et minime (Délib., 19 juillet 1591).

Quelques-uns, moins bien traités à cause de quelque suspicion, doivent rester sur leurs navires et n'ont chaque jour qu'une permission de deux heures. A peine sont-ils inquiétés par quelque rare visite d'équipages étrangers à Saint-Malo. La Conimunauté les indemnise s'ils éprouvent quelque perte, fit-elle du fait des ennemis. Leur vole-t-on quelques pièces de bas de chausse, le Conseil multiplie les enquêtes et les recherches et finit par solder, à leurs dires, la valeur des objets dérobés. S'agit-il de quelque contestation de droit commun, le même Conseil qui s'est attribué la justice suprême, pèse de toute son influence sur les particuliers qu'il oblige à des transactions désastreuses, sous prétexte que leurs adversaires sont étrangers, venus avec passeports du Conseil et sur la foi des licences accordées [Note : Affaires de Balthazar Carne, marchand, de Droudal, et de G. Valleton sieur de Champrousé, 18 mars 1591 ; de Jean Boulain sieur du Vivier, contre Philippes Roche de Quinquesalle, aussi en Irlande, 2 mai 1591. (Délib.)].

Il n'y a pas lieu de s'étonner de cette complaisance à l'égard des Anglais ; cette petite ville exposée à tant de dangers ne pouvait se fermer la mer. Elle avait besoin pour vivre de son commerce avec les insulaires. Ce n'était point le moment de harceler l'Anglais. Ils savaient que la reine Elisabeth n'hésitait pas à délivrer contre les Malouins ses Lettres de marque ou de représailles dès que l'occasion s'en présentait. Il n'y avait pas longtemps en septembre 1585 (Délib., 3 septembre), que pour faire lever la dernière, il avait fallu consentir à d'énormes dépenses, envoyer le plus capable d'entre eux, Bertran Le Fer Limonnay, près de Henri III pour en obtenir des Lettres de faveur et aller poursuivre à la cour d'Angleterre de difficiles négociations, De fait, cet incident avait clos pour longtemps les hostilités et elles ne recommencèrent pas pendant la Ligue. Anglais et Malouins s'entendirent tacitement pour vivre, malgré la guerre des partis rivaux, dans le même état. Ils s'en trouvent fort bien les uns et les autres. La ville est heureuse de recevoir leurs marchandises, armes, munitions les poudres surtout. La marine anglaise bénéficie d'un arrangement à peu près unilatéral qui tourne à son profit les interdictions des Ligueurs en lui assurant le monopole du fret et de la vente dans le seul lieu qui reçoive ses navires.

Notons encore que les guerres de religion n'interrompirent point les relations avec les villes renommées pour la construction des vaisseaux. On continua pendant toute cette époque à acheter, à louer, à faire construire et équiper des bâtiments à Dantzick, en Danemarck, ainsi qu'en Angleterre. Les armateurs ne subissaient que peu de pertes de ce chef malgré les événements (Délib., 4 juillet 1591).

 

VII. Le négoce en Espagne.

Au XVIème siècle, l'Espagne était l'obstacle au commerce des autres nations et l'ennemi commun. Les Anglais éprouvaient alors de grandes difficultés pour trafiquer sur les territoires qui dépendaient de Philippe II : Espagne, Flandres, colonies, et bientôt le Portugal. Beaucoup d'entre eux trouvaient sous le couvert des marins de Saint-Malo le moyen de les éluder en partie. Ceci même engendra de telles fraudes que le roi d'Espagne ne dédaigna pas d'envoyer à Saint-Malo un député spécial pour les faire cesser. Il faut attribuer au mécontentement causé par ces connivences secrètes et insaisissables, au moins autant qu'à la malveillance de Mercœur alléguée par Frotet de la Landelle, les embarras que les Malouins éprouvèrent dans leurs relations avec les Espagnols pendant la Ligue, époque où Philippe II cherchait à se faire bien venir des villes de l'Union. Il était dur de se voir privé du trafic des vins liquoreux et des denrées coloniales, source des plus gros bénéfices, d'autant plus que le gain devenait énorme par le drainage de l'or et de l'argent, des douros et des lingots, que l'on opérait dans les possessions espagnoles en dépit des édits et au préjudice du pays des galions. Le change, de tout temps source de grand lucre pour les banquiers et marchands malouins, était à ce moment encore plus profitable par l'établissement fait par Mercœur d'une nouvelle Monnaie à Dinan [Note : Elle avait été transférée par Mercœur de Rennes à Dinan le 12 septembre 1589. L'acte fut enregistré au Parlement de Nantes le 3 mars 1590]. On pouvait y céder avantageusement les métaux précieux. Il s'en suit que le roi d'Espagne ne facilitait guère le commerce de ses alliés ligueurs, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'aller chercher dans les Flandres des poudres ou des armes. Des navires voyageant de conserve sont arrêtés au Brésil, à Madère, à Bilbao, à San Lucar de Barraméda, pour des questions de passeports, et subissent pour le moins de longs retards [Note : Requête de Jean Clément à la Communauté demandant attestation de bon et fidèle catholique de l'Union, ainsi que pour les marins du navire le Saint-Louis lui appartenant arresté à Fernanbouc, terre du Brésil, pour n'avoir de passeports de Messieurs de ceste ville. Accordé. (Délib., 22 juillet 1591). En même temps le Pierre, le Fleurissant, sont arrêtés aux Canaries, et le navire de Thomas Gravé l'est en Espagne]. Les Bourgeois de Saint-Malo paraissent avoir espéré mieux du protecteur déclaré du Saint Parti. Dès 1590, ils sollicitaient du duc de Mayenne et du prince de Parme des lettres de recommandation auprès de Philippe II (Voir les Lettres de Mayenne), ils en obtinrent d'autres par la suite, et s'évertuèrent à tirer de faveurs de cour des avantages réels. Ils accréditent un des leurs, Julien Crosnier sieur de la Briantaye, pour une mission en Espagne. Ils se promettent de ses négociations un tel résultat, qu'ils consentent à avancer de l'argent aux troupes espagnoles et se contentent de billets qui leur paraissaient dès lors mal recouvrables et ne furent en effet jamais recouvrés.

M. Buret a publié récemment, dans les Mémoires de la Société historique et archéologique de Saint-Malo [Note : Année 1911, p. 73. — L'analyse de la Lettre du 7 mars a été donnée par M. de Carné dans la Correspondance des Ligueurs bretons, I, p. 219, n° 137], deux documents originaux constatant que cette mission du sieur de la Briantaye avait été bien accueillie. L'un est une lettre de courtoisie de la cour d'Espagne du 7 mars 1592 ; l'autre une adresse des Bourgeois et du procureur syndic G. Jonchée Fougeray, rendant grâce à Philippe II pour sa bienveillance envers leur député. En réalité celui-ci n'obtint que des paroles. Il resta longtemps à grands frais en Espagne sans parvenir à d'autre résultat pratique qu'à un renouvellement de permission d'achat de poudres [Note : Instructions de Pépin La Planche — et sous le 11 février 1592]. Les plus grands armateurs avaient tremblé en mai 1591, lors des dangers courus par le Grand Croissant et le Dauphin qui revenaient porteurs de plus de trois cent mille écus. Ces deux navires retournèrent pourtant en Espagne, en septembre 1591, accompagnés du Saint Pierre, du Charles et du Ceytie [Note : Délibérations, 19 septembre 1591], grand armement pour lequel le Conseil redoubla de précautions afin de s'assurer de la catholicité des marins et de non connivence avec les Anglais. A peine osa-t-on envoyer en 1592 quelques flibots aux côtes espagnoles. Il n'en revint que trois en 1593, parmi eux le Petit Croissant, L'Espérance au syndic Jonchée Fougeray. Tout à la fin de cette année, on voit reparaître dans les comptes du receveur des taxes quelques quantités d'amandes, d'oranges, de raisins, et de ces merveilleux vins d'Alicante et de Perrochimène, arrivées on ne sait comment. Cela même dura peu, car la soumission prompte à l'obéissance de Henri IV vint y mettre fin malgré tous les efforts des Malouins. Et il fallut attendre la paix avec l'Espagne pour retrouver une partie des anciens bénéfices de ce commerce [Note : Il y eut toujours pendant la Ligue des Malouins fixés en Espagne. Ainsi Pierre Colin L'Ourme-blanc, s'y étant habitué sans esprit de retour envoie à la Communauté 120 écus, amassés dans son trafic, pour l'augmentation de la cathédrale alors projetée, mais qui n'eut lieu qu'après octobre 1594. (Délib., 29 août 1591)].

 

VIII. Armements et arrivées de navires.

Cette vaillante petite ville avait alors une importance commerciale dont nous ne pouvons guère nous faire une idée. Palma Cayet en parle comme du premier port de Bretagne pour le trafic. Quel pouvait être le commerce en ce moment ? On se demande en vérité comment le négoce de mer, particulièrement le cabotage, pouvait subsister au milieu de tous les périls, échapper à ces guetteurs toujours prêts à sortir de villes ennemies trop bien renseignées. C'est que d'une part il le fallait, car Saint-Malo ne vivait que de la mer, et que d'autre part on n'était pas gâté au XVIème siècle en fait de sécurité commerciale. La piraterie était incessante même en temps de paix. Puis ce qui fait venir les navires en nombre, ce qui amène les trafiquants de toute espèce, ce n'est ni la sécurité de la mer, ni la commodité, ni le bon aménagement des ports, c'est le gain. Les anciens papiers de commerce, les vieux déaux qui nous restent, montrent que si l'on échappait aux diverses aventures de la navigation, il y avait gain et gain considérable : on faisait de grands bénéfices, dût-on payer les droits et impôts sur les marchandises entrantes et sortantes. Il n'en fallait pas plus pour animer l'esprit d'entreprise .des armateurs et décupler l'audace des capitaines. On trouvait d'ailleurs en surcroît des prêteurs à la grosse aventure et des assureurs fort empressés, il est vrai, de faire constater les heureux retours [Note : 17 janvier, 4 mai 1593. (Reg. d'office)].

Il existait aussi différents subterfuges qui permettaient d'augmenter les chances heureuses. Le plus fréquent était l'usage des doubles passeports. Ainsi Le Pierre de Dieppe, ville alors du parti du roi, est capturé en janvier 1591 par deux navires de Saint-Malo. On lui trouve des passeports de Mayenne du 21 octobre 1589, de Villars, gouverneur du Hâvre pour la Ligue du 30 juillet, et de Henri IV du 6 mars 1590. Il est relâché. L'Hirondelle de Caen, ville aux ligueurs, avec laquelle le commerce était licite, subit un sort contraire dans les mêmes circonstances, ayant un passeport de Villars, pour en avoir eu deux autres du roi de Navarre et de M. de Matignon. Les doubles passeports simultanément présentés étaient d'une utilité douteuse. Mais les habiles en tiraient un merveilleux parti s'ils savaient reconnaître leurs adversaires et jeter à temps par dessus le bord la passe nuisible.

La morue occupe une place prépondérante dans la vie malouine depuis longtemps déjà. Que devient la pêche de Terre-Neuve ? Elle paraît, comme nous l'avons dit ailleurs [Note : Jacques Cartier, Documents Nouveaux Paris, Picard, 1888. — Les chapitres XLIII, XLIV, sont un relevé de pièces inédites sur cette matière, peu utilisé dans les ouvrages de seconde main], s'exercer presque aussi régulièrement qu'avant la guerre civile. On a distrait exceptionnellement des équipages qui allaient partir au moment de la prise du Château, un grand nombre de jeunes marins ; mais cette retenue n'a pas lieu les années suivantes. La ville ne court plus de danger immédiat, et la pêche est d'un intérêt vital. Le Conseil, qui a d'abord autorisé ou laissé faire quelques captures de navires rivaux, a le bon sens d'interdire, dans ces parages éloignés, toute tentative contre les pêcheurs et baleiniers du parti adverse (Délib., 7 mars 1591), tels que les Basques et les Rochellois. Cette modération ne s'étend pas aux Granvillais qu'on laisse tranquilles sur les bancs, mais que l'on guette au retour au moment où ils rapportent les produits d'une heureuse campagne. Le commerce au Canada n'avait jamais eu jusque-là beaucoup d'importance. Ce n'était qu'un accessoire des expéditions de Terre-Neuve. Quelques navires plus audacieux que les autres allaient chercher dans la Nouvelle-France presque abandonnée un chargement supplémentaire de fourrures ou de dents de la « grande becte du Canada ». Quant au négoce du Levant, il était, en ce moment, paralysé par suite d'événements étrangers à la Ligue.

Traitant d'une ville de connrnerce, nous voudrions permettre de juger avec quelque précision l'état du trafic en 1592. Les affaires reprenaient déjà visiblement. Les affaires, non la course, comme nous l'avons dit.

Rien ne peut mieux faire juger de la situation que l'analyse d'un de ces documents, heureusement conservés, qui sont intitulés : Comptes de Jacques Porée Quatrevais ou Déaux des Nouvelles impositions pour 1592-93. Le receveur y insère méthodiquement les arrivées de navires, les sorties de marchandises sujettes aux droits. C'est long, mais substantiel. Livrons-nous un peu à l'histoire statistique si à la mode aujourd'hui.

Dans les six premiers mois de 1592, rentrent 45 navires malouins dont nous avons les noms [Note : L'un se nomme Le Conseil]. Ils sont chargés de morues, de vins, de sel, de toiles, de draps, de brésil, d'huiles ou sains, d'aluns, etc. Puis viennent des caboteurs : 8 du Conquet, 7 d'Ouessant, 4 de l'Aber-Ildult, 1 de Roscoff, 1 de Bréhat ; ils amènent du sel, de la toile, des poissons secs ; 1 de Binic avec de la résine, des harengs ; un de Saint-Brieuc avec des vins.

Puis ce sont cinq navires de Saintonge, de Talmont, de Retz, d'Olonne, de Saint-Gilles, vins et sel. Un seul de Normandie, de Bricqueville. Le commerce se rétablit avec les Granvillais ; ils viennent s'approvisionner, mais leurs navires ne se montrent pas. Quatre de Jersey, Guernesey, frétés de coutils, de toiles, de bimbeloterie (camelots), de charbon.

Un bateau de Biscaye apporte du fer ; un autre du pays de Galles des toiles, du cuir.

La prépondérance est à l'Ecosse dont arrivent 17 navires. Il s'y trouve de la toile, de la quincaillerie ; ils viennent chercher des vins.

Enfin de la Flandre, de Flessingues, un dernier plein de toiles, de brai et surtout d'armes.

En somme, c'est, dans ce court espace de six mois, un arrivage incessant de 53 navires du dehors. Désormais cela ne va que croître ; il va venir des trafiquants anglais, de plus en plus nombreux. On revoit des gens de Laval, de Vitré, longtemps dégoûtés par les emprunts forcés [Note : Ç'avait été de tout temps un procédé courant de la Communauté malouine dans ses besoins d'argent d'arrêter temporairement les deniers dus aux marchands de Vitré. Cela allait de soi en ce temps, puisqu'ils étaient présumés hérétiques] et les séquestres que leur a fait subir le Conseil pendant les premières années. Mais maintenant reviennent en confiance les Jean de Gennes, les Montalembert, les Le Gouverneur.

On compterait difficilement les navires venant de la côte sud de la Bretagne, du Croisic, de la Saintonge. Entre tous, les navires flamands, richement chargés, se multiplient. Autre symptôme à la fin de 1592. Le grand commerce plus défiant, plus compromis par le passé, et aussi moins pressé par la nécessité du gain, reprend les armements. Il court chercher la dernière vendange. Enfin le total de la recette des droits de la nouvelle coutume s'élève pour 1592 et 1593 à 90.512 livres 15 s. suivant le compte approuvé par le Conseil le 2 décembre 1593.

Le commerce vit donc toujours pendant ces années ; il est même très lucratif. Les événements ont fait de Saint-Malo un entrepôt de contrebande de guerre, de munitions, d'armes, de vivres, apportés par l'étranger neutre, allié ou ennemi. Bien avant les pourparlers de la Réduction, il y a en Angleterre un groupe de Malouins dont le plus notable est Guillaume Michelot [Note : Cf. Noël Valois, Arrêts du Conseil d'Etat, I, n° 358, 13 janvier 1594] qui s'est donné pour fonction de procurer des poudres à Henri IV, dût-il attendre longtemps le règlement de ses avances. Il y réussit à la grande satisfaction de son royal client. Personne à Saint-Malo ne songe à entraver ces opérations.

Quand les corps d'armée du Parti, les soldats de Dom Juan de l'Aquila en particulier, cherchent à se ravitailler en vivres ou en deniers, à Saint-Malo, la ville se trouve parfois, par prudence politique, forcée d'accepter des créances qu'elle sait détestables. Mais les particuliers ne fournissent leur marchandise qu'à beaux deniers comptants ou sur billets de leur communauté très solvable et trouvent évidemment moyen de gagner quelque chose dans ces avances.

Il y a bien encore une autre sorte de lucre auquel la guerre civile a ouvert la porte [Note : Voir à ce sujet les Mémoires de Frotet, passim.]. Il se faisait partout en ce moment dans des villes qui n'étaient pas corsaires de profession. Nous voulons parler du trafic qui se pratiquait aux dépens des biens de ceux du parti contraire, avec toutes les formes de la légalité. Il ne s'agit pas d'immeubles dont les confiscations ou les mises sous séquestre tournaient au profit de la Ligue ou de ses représentants. Les particuliers ne trouvaient pas là une source d'enrichissement [Note : Nous n'en trouvons qu'un seul cas à Saint-Malo le sieur de la Moussaye, huguenot, vend sa terre de La Motte-Rouxel au sieur de Graslarron, et celui-ci obtient de Mercœur le don de 24.000 livres qui restaient dues. (Cf. Travers, III, p. 71)]. Mais les meubles restaient il leur portée. Saisis d'office ou sur dénonciations où on les pouvait trouver, et portés avec autorité de justice chez le Dépositaire général, ils étaient adjugés à l'encan non sans de grands bénéfices pour les acheteurs. Ces ventes avaient ici un caractère particulier. Les bourgeoises malouines y mettent une ardeur qui montrent bien des femmes de corsaires habitués aux bonnes prises. Elles n'ont aucun souci des responsabilités ni des réclamations possibles, heureuses de l'aubaine que leur offrait imprudemment le Conseil. Cela commença dès les jours qui suivirent la prise du Château. Une foule de malouines, des plus notables, accoururent se disputer à l'enchère les meubles du seigneur de Fontaines, l'admirable mobilier, les coffres d'objets précieux déposés avant la rébellion par feu M. de Châteauneuf dans le château qu'il croyait si sûr pour lui. On vendait ces derniers biens sans aucun prétexte. M. de Châteauneuf ne s'était montré de son vivant ni royaliste, ni ennemi des Malouins. Ce dépôt de meubles était tellement considérable qu'il dépassa l'appétit des acheteurs et que la vente en dura plusieurs années. Le procès-verbal de ces adjudications est fort curieux. Elles amusèrent les bourgeois pendant longtemps, car elles ne se terminèrent que le 16 janvier 1593 (Arch. S. Malo, EE 4, 123, pièce 9).

 

IX. La Trêve générale de 1593.

Les bons chefs Malouins ne pouvaient espérer conserver leur attitude expectante vis-ii-vis du régime organisé par cette Ligue qu'ils avaient jurée. Leur temporisation de plus en plus significative, leur silence voulu, étaient irritants pour l’assemblée parlementaire des Etats de l'Union, pour le Parlement de Nantes, qui était un des rouages de ce gouvernement ; machine fonctionnant un peu à vide, n'ayant point de moyens pratiques de faire exécuter ses décisions. Les habitants de Saint-Malo méritaient d'autant mieux l'animadversion de la figuration officielle ligueuse que, comme Communauté et comme particuliers, ils n'avaient point hésité à lui demander et à en recevoir des faveurs, à en appeler au Parlement de Nantes. Ils ne durent pas être fort étonnés quand ils reçurent la sommation suivante :

Arrêt rendu par le Parlement de Nantes contre les habitants de Saint-Malo à la requête des Etats de la Ligue.

Sur la requeste presentée à la Court par les gens des troys estatz de ce pays de Bretaigne, par laquelle ils remonstrent comme les habitans de la ville de Sainct Malo aiant faict profession de foy des catholicques et juré l'union d'icelle, recongneu estre du corps des Estatz dudict pays et promis de se trouver en l'assemblée des Estatz generaulx d'icelle, lorsqu'ils en seroient sommez et interpellez, et que recongnoissans l'aucthorité lad. Court, ilz se seroient pourveus en icelle pour la veriffication de certain edict d'erection de juges consuls en lad. ville de Sct Malo, et mesmes plusieurs particulliers d'icelle [auroient] relevé les appellations de sentences données en la jurisdiction d'icelle ville qui auroient esté terminées par Arrests de lad. Court ; ce neantmoings les habitants de lad. ville contre leurs promesses auroient de leur aucthorité estably des juges, ung conseil, et faict deffences à toutes personnes de se pourveoir par appel ou aultrement en lad. Court qui est seulle souveraine aud. pays, auroient emprisonné et excellé les magistrats, huissiers et sergens executans les arrestz d'icelle, faict levée d'hommes et gens de guerre sans commission du sieur duc de Mercueur, gouverneur d'icelle province, avec lesquelz ils ont commis plusieurs actes d'hostillité jusques à avoir essayé de defaire des regimens de ladicte Union, n'aiant respect ni modération, auroient rendu les villes de Dol, de Dinan et aultres de ladicte Union tributaires, empeschant la liberté du commerce, traicte de bleds et aultres marchandises par la Riviere, ne permettant d'en sortir sans payer les nouveaux tributz, daces et peages excessifs qu'ilz ont imposez sur toutes marchandises qui se conduisent et menent esdictes villes de l'Union, ne faisant le semblable à ceulx de Rennes, Pontorson et aultres villes du party contraire, et pour monstrer leur animosité auroient mis sur chascun tonneau de vin qui seroict conduict es villes de Dinan, Dol et aultres la somme de dix escus sol., reiectant et ne voulant recepvoir la pancarte ordonnée par lesd. des troys estats faicte en leur assemblée generalle ; lesquelles actions on peut juger ne tendent qu'à se distraire du corps de cetted. province et duché aux despens des villes voisines et establir une domination et seigneurie, former et establir une petite republicque en ced, pays, requérant qu'il pleust à ladicte Court ordonner que par le premier des conseillers d'icelle, juges royaulx de Dinan et aultres royaulx, il sera informé des cas mentionnez en la dicte requeste, pour les informations veues et rapportées en lad. Court et communicquées au Procureur general du roy, estre pourveu aux supplians ainsi que de raison ; et cependant que deffances soient faictes ausd. habitans de Sainct Malo empescher le commerce libre desd. villes de Dinan, Dol et aultres villes de l'Union, et perception des deniers et devoirs de la pancarte desd. Estatz, et ne prendre et lever aucuns aultres debvoirs sur les marchandises qui se tirent de lad. ville de Sct Mato ou qui passent par mer et par terre par devant d'icelle et ailleurs, aultres que ce qui est contenu en la pancarte desd. Estatz Veu les conclusions du Procureur general du roy et tout consideré ; — La Court faisant droict sur les conclusions du Procureur general du roy a ordonné et ordonne que par le premier conseiller d'icelle qu'elle a commis et commet à cette fin il sera informé du contenu en lad. requeste pour l'information veue, rapportée et communicquée aud. Procureur general, estre ordonné ce que de raison ; et ce pendant a faict et faict inhibition et deffences à toutes personnes de quelle qualité et condition qu'elles soient d'empescher le commerce et traffic des marchans es villes de l'Union des catholicques, de faire aucune levée de deniers sur iceux ou leurs marchandises sans commission du sieur de Mercueur, gouverneur de cette province, à peine d'estre declarez infracteurs des Arrestz de lad. Court. Faict à Nantes en Parlement le XVème jour de novembre 1593. P. CARPENTIER, GABRIEL BITAULT [Note : Minutes du Parlement de la Ligue, 1593, aux Arch. du Parlement].

Ce document, par sa tournure comminatoire, acheva de dégoûter les Malouins de la Ligue et de les brouiller avec Mercœur. Ils sentaient qu'il était temps de rompre avec leurs alliés. Les motifs religieux qui avaient fait établir l'Union des catholiques, le Saint Parti, n'avaient plus de raison d'être. Le roi étant converti (28 juillet 1593), on sent qu'ils n'occupaient plus l'opinion. Ce qui, ici surtout, porta le coup fatal à la Ligue, ce fut la trêve générale consentie dès le commencement d'août 1593 et prolongée jusqu'au 1er janvier 1594. Tous y prirent un goût invincible pour la paix et les affaires ; cette période qui suivait l'abjuration d'Henri IV, fit entrevoir la possibilité d'une pacification générale. Il pouvait rester, autour de Mercœur, tout son groupe d'adhérents quand même, de gens qui s'étaient compromis pour lui, de capitaines à ses gages, de professionnels qui préféraient piller sous ses enseignes. Mais ceux qui n'étaient pas sous la coupe immédiate du pseudo-gouverneur de Bretagne, et les gens de Saint-Malo n'y étaient pas, n'y avaient jamais été pour la plupart, jetèrent les yeux de l'autre côté.

 

X. Pourparlers.

Nous ne doutons pas que le Conseil n'ait commencé les pourparlers de la soumission dès la fin de la trêve générale ou dans les premiers jours de 1594 (Pichard, ap. D. Marice, Pr. III, col. 1739). Aussi le bruit en courait-il à Rennes le 9 avril de cette année. Le maréchal d'Aumont y était depuis quelque temps. En juin, il s'y débattait encore afin d'obtenir l'argent dont il avait besoin pour entreprendre la belle campagne qui devait délivrer de Mercœur la plus grande partie de la Bretagne. Mais en attendant, aussi habile diplomate que grand capitaine, il négociait fructueusement avec Saint-Malo.

Un document de la collection Godefroid (Bibl. de l'Institut, Fonds Godefroid, CCLXII, f° 131) qui n'a pas été produit, fait envisager d'une manière nouvelle la conduite des Malouins dans ce moment critique. Cette lettre non signalée de d'Aumont à Henri IV est instructive. Elle porte ce titre :

Lettre du Maréchal d'Aumont au Roi sur la tentative des Espagnols contre S. Malo.

« Ceulx de St-Malo ont passé de grandes traverses depuys troys sepmaynes ; tant de la part des Espagnols qui ont surgy à veuë avecq nombre de vaesseaulx, esperans que les meschans qui avaient traité en Espagne de la vente de leur ville seroyent assez fortz pour tenir main de les y faire recevoir, comme de la part de Monsieur de Mercueur qui a seiourné à Dynan plus de six sepmaines exprès pour faire reuscir les practiques et intelligences qu'il avait là dedans ; jusques à avoir trouvé moyen d'y faire rentrer ceulx qu'on en avoit chassez auparavant pour estre reconnus ses partisans ; toutefois, le reste des gens de bien et qui ont encore quelque ressentyment du nom francoys, avec tout ce que i'ay peu soubz main y practiquer pour vostre service, y ayant faict entrer des hommes qui ont parlé, ont prevalu, en sorte qu'ils sont demeurez à ne vouloir jusques à present escouter personne de toutes ces pars, pour se conserver en leur entier pouvoir de traiter d'eulx mesmes ; mays, sy reconnoit-on que la plus grande, et sayne partye inclinent à la reconnaissance de vostre Majesté, mesmes par le moyen d'un homme de creance et fort vostre serviteur, Sire, qui y est, nommé le sr Thomas Gravé, en quoy j'ay pris toute la peyne qu'il m'a esté possible de le confirmer et à le pousser à vous y faire un bon service, en sorte qu'il m’a escrit la lettre que ie vous envoye, Sire, par laquelle V. Mté poura juger de l'estat et disposition des choses et de ce qu'il est besoing qu'elle face, qui est d'escrire une bonne et gracieuse lettre ausd. habitans en corps et deulx mots fort affectionnez aud. Gravé, et envoyer quelqu'un de Vre part qui puisse parler tant sur ce que V. Mté advisera de leur faire entendre, que sur l'instruction que ie luy en donneray, car il est nécessaire de le faire passer par moy. En quoy est besoing de diligence, et que cela soyt tenu couvert, et j'espère qu'il en succedera quelque chose de favorable. Mais ne renvoyez pas, Sire, s'il vous plaist, ce controlleux Doullé sir vous ne desirez qu'on se mocque de luy et de son ambassade, pour la seconde foiz, car il n'est pas tenu de deçà pour profete. Je prie Dieu, Sire, qu'il conserve Vostre Majesté en très parfaicte santé, très heureuse et longue vie. A Rennes, ce 3 juillet 1594. Vre très humble et très obeissant suiect et serviteur, DAUMONT. (Sign., autographe).
Sire, je supplie très humblement Vre Mté de vouloir bien commander particulièrement ceste depesche à Monsr de Revol affin qu'elle soit plus secrette, car il y va fort de vostre service que cela ne se connaisse point »
. Sur le repli : au Roi.

Il faut rapprocher cette lettre des pièces concernant Saint-Malo publiées par M. de Carné dans la Correspondance des Ligueurs bretons (Bibl. Bretons, De Carné, II p. 35, 39, 51, 72). En somme, voici comment nous expliquons ces faits singuliers, mais certains, de deux négociations simultanées avec le roi d'Espagne et avec le représentant du roi de France, missions de Saint-Malo à l'Escurial et députation à Rennes. Le Conseil avait le défaut des habiles ; il ne craignait pas de jouer un double jeu, bien dangereux, car il ne pouvait tabler à cette heure sur l'admirable sens politique de Henri IV qui les sauva. Leur république autonome se sentait complètement isolée. Ils ne voulaient rien de Mercœur et de son gouvernement. Mayenne, leur protecteur nominal pendant un temps, ne leur donnait depuis dix mois aucun signe de vie. Il avait déjà ses raisons pour ne plus se compromettre. Comme beaucoup d'autres, à ce moment où l'Espagnol redoublait ses prétentions et ses intrigues, ils songèrent à Philippe II. On voit dans les mémoires de F. Marcellin Cornet combien leur ancien prédicateur de 1590 les avait desservis près de ce monarque, mais ils l'ignoraient.

Voici ce que celui-ci disait d'eux au roi d'Espagne (De Carné, Corresp. p. 119) à la fin des remontrances qu'il faisait au roi d'Espagne de la part de Mercœur :

« Mondict seigneur m'a aussi commandé de faire entendre à V. M. que la mauvaise volonté de cinq ou six bourgeois de Saint-Malo, qui tachent de retirer le peuple de l'obéissance du gouverneur de la province et separer ceste ville du corps d'icelle, pour establir entre eulx un gouvernement populaire, s'accroist et augmente de plus en plus. Iceulx ne demandant aultre chose que de se servir du malheur des temps pour faire leur fortune et veoir, à mesure que tous les aultres sont en peine, comme toutes choses se passeront et se donner aux plus forts. Combien que mondict seigneur sçaict assez que V. M. leur a commandé de luy obeir comme à leur gouverneur, tellement qu'au lieu de satisfaire au desir de V. M. en consideration des grâces et faveurs qu'elle leur a faict, c'est en cela mesures qu'ils prennent occasion de faire le contraire.

Partant mondict seigneur supplie V. M. d'y donner ordre, affin que la malice de cinq ou six factionnaires n'apporte la perte d'unne si bonne ville et d'un bon nombre de gens de bien qui y sont et n'appreuvent leurs depportementz ».

Il y avait donc lieu de s'assurer sa protection, de là, la continuation de ces missions, peut-être plus politiques que commerciales, de Crosnier Briantaye et de François Martin Chapelle, un des plus influents de leur Conseil. Que désiraient-ils ? que pouvaient-ils espérer ? N'est-il pas singulier de voir, signaler par d'Aumont a ce moment même la présence d'une flotte espagnole dans les eaux de Saint-Malo ? Ces tentatives incomplètes n'étaient-elles pas dans la manière de Philippe ? On ne peut oublier que quelques mois plus tard, le 19 novembre 1594, une conspiration espagnole devait encore troubler Saint-Malo (Affaire des Renard. Arch. de Saint-Malo, E E 4, 125). En tout cas, cette survenue de navires ennemis eut pour résultat d'activer chez d'Aumont le désir d'en finir avec les Malouins, et chez ceux d'entre eux qui étaient bons français, comme Thomas Gravé sieur de la Bouteveille, celui de prendre carrément le parti du roi.
On lit dans le journal de Pichard (Ap. Dom Morice, Pr., III, col., 1742) :

« Le sabniedy 16 juillet audit an [1594], il est arrivé en ceste ville trois habitans de Saint-Malo qui sont députés de leur ville pour venir conférer et conclure touchant la réconciliation d'iceulx avec S. M. et remise de leur ville en son obeissance.

Le mercredy 20 Juillet audit an, les deputez de Saint-Malo s'en retournerent. Monsieur de la Bouteillerie les alla reconduire. On tient qu'ils ont pris le temps de deux mois avecq M. le mareschal d'Aumont pour envoyer vers S. M. pour se remettre en son obeissance. Et ce pendant ont main levée de tous leurs biens ».

Toul ceci était bien exact et les trois députés de Saint-Malo, Jean Pépin sieur de la Belinaie, Jean Picot sieur de la Gicquelaie, et Jean Boullain Rivière, emportaient en effet en attendant mieux un engagement de trève particulière bien signé.

17 juillet 1594.
ACCORD FAIT ENTRE LES HABITANTS DE SAINT-MALO ET LE MARÉCHAL D'AUMONT (a), POUR LE ROI DE NAVARRE (b).

Articles accordez soubz le bon plaisir du Roy par Mgr le maréchal d'Aumont, lieutenant general pour S. M. en Bretaigne, aux sieurs deputez de la ville de Sainct Malo.

Note a : « Se disant lieutenant général du roy de Navarre en son armée en Bretagne ». Ce titre est sans doute une cote du greffier Desnos.

Note b : Cf. Corresp. des Ligueurs bretons, De Carné, II, p 35-36.

Premier. Cessation d'armes et de tous actes d'hostilité contre les bourgeoys et habitans dud. Sainct Malo et refugiez en lad. ville, à quatre lieues près d'icelle, pour deux moys, à commancer du XXVème du present, pendant lesquels ils envoyront devers le Roy ; comme aussi lesd. habitans et leurs gens de guerre feront de leur part semblable cessation sur les serviteurs de S. M.

Jouiront lesd. habitans et refugiez de tous leurs biens tant meubles que heritaiges, quelque part qu'ils soient sis et situez, sans qu'ilz en puissent estre empeschez ny leurs personnes prinses ou arrestées, desquelz refugiez actuellement residans en lad. ville sera faict roolle et icelluy envoyé dedans huict jours à mond. seigneur le Mareschal ; et jouiront en pareil les serviteurs du Roy de leurs biens et revenuz qui pourvoient avoir esté saisiz et afermez par les officiers de la justice dud. Sainct Malo ou à la requeste des habitans.

Et au cas que le traitté qu'ils deliberent faire envers S. M. pour leur réduction à son obeissance ne viendroit à sortir effect, ils seront tenuz à rendre et restituer le pris à quoy montent les fermes de leurs heritages saisiz. Ce que lesd. deputez au nom de tous lesd. habitans ont promis et juré à mondit Seigneur le Mareschal qui s'en est contenté et a voulu recevoir leur parolle en cet endroit pour toutte obligation.

Et où aucun desd. refugiez ne vouldroient se soubzmettre au traitté general qui sera faict par lesd. habitans, lesd. refugiez, en ce cas, ne se pourront aider de la presente cessation d'armes, ny ne seront comprins soubz le benefice d'icelle, soit pour leurs personnes ou biens.

Les prisonniers dud. Sainct-Malo prins devant le fort de Verdelet, au nombre de dix ; Guillaume Gouverneur et Jean Jolif, prins sur mer et retenus à Brest, seront renduz et mis en liberté.

Faict et accordé à Rennes, entre le seigneur Mareschal et lesd, deputez, le dimanche XVIIème jour de juillet mil cinq cens quatre vingtz quatorze.

Ainsi signez : Daumont, J. Picot, Jean Pepin, Jean Boullain ; Ceberet, secretaire du Roy et de Mgr. le Mareschal.

Par coppie collationnée à l'original par moy soubz signé greffier de la ville et communauté de Sainct Malo le 15ème jour d'aoust mil Vc IIIIxx quatorze ainsi signé Desnos greffier.

 

XI. Les articles.

A la suite de cet accord, on jugea bon d'adresser au roi une sorte de lettre d'excuse et de demande de pardon où l'on invoquait les promesses qu'il avait faites dans la déclaration du 29 mars 1594. C'était une circulaire envoyée, après l'entrée à Paris, à Saint-Malo comme aux autres villes. Nous n'avons pas retrouvé cette lettre, ni cette requête des Malouins (Robidou, Hist. et Panor., p. 211). Malgré cette démarche nécessaire, leur traité était un accord et non une capitulation. Ils l'avaient librement proposé. Ils s'étaient remis volontairement en l'obéissance du roi. C'en était assez pour que Henri IV leur permit de faire leurs conditions. Le Conseil se mit alors à rédiger un cahier d'articles pour lui présenter, tout comme eût pu faire un pouvoir régulier vis-à-vis d'un autre pouvoir. Il fut lu et approuvé en assemblée solennelle le 1er août 1594 et porté par une députation choisie quelques jours après.

En la congregation et assemblée generalle des bourgeoys et habittans de ceste ville de St-Malo a esté par honorable homme Bertran Le Fer sr de Limonnay, procureur sindicq desd. bourgeois et habitants, dit et remonstré que par cy davent il auroit esté par le corps de ceste ville pour le repos et bien general d'icelle et pour autres bonnes et justes causes à ce mouvans, conclud et arresté qu'il servit poursuivy vers le roy une tresfve particuliere pour lesd. bourgeoys et habitans, pour au deport d'icelle tresfve traicter d'une paix avecq Sa Majesté selon et aux fins des cahyers et articles cy davent que lesd. habitans auroint ordonné entre drecez. Ce que du depuis auroit esté faict par les commissaires à ce deputez, lesquels auroint présenté iceux cahiers au corps de cested. ville qui les auroit ratifiez, et d'autant qu'il reste en poursuivre l'exécution vers sad. Majesté, et pour ce fere nommer, convenir et deputer personnes qui ad ce soint dignes et capables, a requis desd. habitans sur ce voulloir deliberer, et après avoir esté par lad. assemblée sur ce que dessus meûrement deliberé, et les voix d'un chacun prises par led. sieur procureur, lad. assemblée a nommé, député et convenu d'honorables personnes Jan Picot ss de la Gicquelaye, Jan Pepin sr de la Belinaye, Gilles Eberard sr du Colombier, Thomas Gravé sr de Bouteveille, bourgeoys de cette d. ville, ausquels ils ont donné charge et pouvoir de se transporter et plus tost que fere se poura vers sad. Majesté, la part qu'elle sera, à fin de la suplier comme dès à present lesd. habitans la suplient très humblement, voulloir accorder ausd. habitans lad. tresfve particuliere pour le temps qu'il luy plaira, et, au deport et soubz le benefice d'icelle tresfve, lesd. deputez traicter avecq sad. Majesté de lad paix desirée par lesd. habitans selon et aux fins des poincts et conditions raportez ausd. cahiers et articles, desquelz à ceste fin sera baillé aultant ausd. deputez pour les presenter à Sa Majesté et la suplier les vouloir accorder et sur ce donner ses Lettres au cas necessaires ; promectans lesd. bourgeoys et habitans, sur hipothecque et obligation du bien general de ceste d. ville et communaulté, tenir et avoir agreable tout ce qui sera en ce que dessus par lesd. deputez suivant et aux fins dud. cahier et articles conclud et arresté avecq sad. Majesté et n'en fere revocation. En tesmoing de quoy a esté par lad. communaulté ordonné estre délivré la presente commission aus sieurs deputez soubs le seign dud. sieur procureur et celluy de Xpistofle Desnos greffier de lad. ville et y faict aposer le scel d'icelle, Ce sabmedy 13e jour d'aougst mil Vc IIIIxx XIV. BERTRAN LE FER, procureur sindicq. Par commandement de Messieurs les habitans, DESNOS, greffier (Arch. Saint-Malo, EE 4-126. — Voir plus loin, p. 175, le texte des articles).

Qui le croirait si l'on n'avait sous les yeux des textes certains et irréfutables, au moment même où se faisaient avec Henri IV et son représentant, des négociations si franches et, si généreuses de la part du roi, le député de Saint-Malo, François Martin Chapelle, remettait au roi d'Espagne une lettre du même Le Fer Limonnay, procureur syndic, datée du 14 août ; et le 12 septembre il déposait à l'Escurial un long mémoire tendant à excuser les Malouins de la trève qu'ils venaient de conclure. Il sollicitait aussi pour eux la protection du roi très chétien pour la conservation de la religion dans leur ville et son amitié pour commercer dans ses états. Cette supplique n'eut, comme on le comprend, aucune réponse. Chapelle l'envoya une seconde fois, le 11 janvier 1595, alors que Saint-Malo, Morlaix, Quimper étaient réduites depuis longtemps. Que pouvait-il, ce député, espérer du roi d'Espagne ? M. de Carné se le demande (II, page 72, note), et nous aussi. Mais nous croyons plutôt à des desseins secrets, à de ténébreuses prévisions, qu'à l'ineptie du Conseil.

On se demandait encore si Henri IV triompherait de ses ennemis. Il pouvait disparaître, comme-il s'en fallut de peu plusieurs fois.

 

XII. L'Edit de Réduction.

Ces articles eux-mêmes, que nous donnons en appendice, sont restés inédits. Ils sont à rapprocher de l'Edit de réduction. Ils le complètent et sont peut-être plus curieux. L'expédition de l'Edit devant être assez longue, Henri IV promulgua une seconde trêve de deux mois, le 2 septembre 1594 (Arch. Saint-Malo, AA 1-71). Cependant ce fameux Edit, spécimen des complaisances royales, ne se fit pas attendre, il fut rendu en octobre 1594. Il comblait les désirs des Malouins. L'Edit amplifiait, développait en tous sens les articles. C'est d'abord dans le préambule un éloge complet des habitants, de leur conduite dans les événements, et de leurs vertus. Ils ont été entraînés par leur foi à ne point reconnaître leur souverain ; après sa conversion, ils sont venus à lui les premiers ; ils se sont d'eux-mêmes entièrement retirés de l'association des chefs qui ont introduit ses ennemis dans son royaume. Suivent les longs articles entièrement octroyés, précisés et augmentés à leur profit. C'était la volonté expresse du roi ; Parlement et Cour des comptes homologuèrent l'Edit de réduction sans difficulté. Henri IV devait en maintenir les clauses avec une rigueur absolue. La ville posséda désormais un titre inattaquable, aussi précieux que l'avait été en son temps la charte de la reine Anne, unique pour la conservation de ses droits et facilement exploitable contre ceux des autres. La formule finale, sauf notre droit et l'autrui, n'y était que de style, car les droits du roi y étaient sacrifiés et ceux des particuliers n'y étaient pas sauvegardés [Note : Les Archives de Saint-Malo possèdent une expédition originale de l'Edit de Réduction, beau parchemin, muni de son sceau de cire verte à lacs de soie rouge (AA). Elles en ont aussi une copie sur papier portant cette mention présentée à la Communauté par Limonnay (Bertrand Grout, procureur syndic) le 29 novembre 1594. (Ibid. N°). Les Archives d'Ille-et-Vilaine et différents dépôts en possèdent également des doubles. L'Edit a été nombre de fois imprimé. La première édition parait être celle de Michel Logeroys (Rennes, 1595). La plus curieuse est celle de Pierre Marcigay (Saint-Malo, 1602), première œuvre du premier imprimeur malouin. Ce document avait été donné en 1600 dans le recueil des Edits du roi pour la réduction de ses sujets, 2ème partie de l'Histoire des anciens troubles de P. Mathieu (Bibl. Nat. L A 24 5h), et depuis une foule de fois dans des collections de traités et d'ordonnances : Fontanon et autres. Il est dans Dom Morice, Pr. III, col. 1603-1612. Il est compris dans les impressions de Leconte, ordonnées par la municipalité de Saint-Malo en 1732. Il a été publié en partie dans la Ligue en Bretagne de M. Grégoire, p. 293-96 et encore réédité par Robidou (Hist. et panor. Ed, in-4° p. 211-212)].

Lorsque les députés en cour arrivèrent à Saint-Malo le 20 novembre 94, de retour de leur heureuse mission, la ville était en émoi par la découverte d'une conspiration. On récompensait en ce moment les dénonciateurs qui étaient deux soldats du château, deux mortepaies appelés les Renart. Ils avaient accusé le connétable Jean Jocet Crémeur, le sénéchal et son frère, revenus en ville comme les autres bannis en vertu des clauses de l'Edit, d'avoir voulu surprendre la ville et le château.

Quelques jours plus tard, le 10 décembre, Me Charles Cheville, sénéchal, à la suite d'une assemblée générale où on avait proposé d'entrer par quelque manifestation en reconnaissance officielle de Sa Majesté, et de crier Vive le Roy, verbalisait contre des enfants qui avaient commencé à pousser ce cri (Reg. d'office, 10 décembre).

On ne l'expulsa pas, et ce ligueur incorrigible fut un des premiers avec les autres conspirateurs, à profiter du bienfait de l'édit de réduction et d'apaisement.

Ce que l'on avait déjà reçu, peut-être avant la signature du glorieux traité, c'était la nouvelle pancarte des impôts qui devait fonctionner dès le 1er janvier 1595. Elle ne pouvait plus se percevoir comme précédemment à l'unique avantage de la Communauté. Ses produits étaient applicables maintenant, d'après une concession bien favorable de l'Edit, moitié aux dépenses des guerres du roi, moitié à la ville. Dans le but, chimérique d'ailleurs, de protester contre cette levée, le Conseil produisit un document très curieux : le Brief estat des pertes des habitans de Saint-Malo pendant qu'ils ont tenu le parti de la Ligue. Nous l'insérons plus loin [Note : Ce document fait connaître l'importance de la guerre de course organisée à Brest par Sourdéac. Elle devrait être étudiée comme l'a été celle de Villars, gouverneur du Hâvre]. Le total se solde par 264.766 écus deux tiers. Il n'y est point question des recouvrements qu'on avait pu faire par prise ou autrement dont beaucoup, tels que les énormes rançons du marquis de La Moussaye et de M. de Saint-Denoual, et autres rentrées dont la perception est avérée.

Saint-Malo est au roi, maintenant. Et voilà qu'il va lui falloir fournir un réel concours à la cause royale et faire actes d'un vrai loyalisme. Mercœur continue à excéder la Bretagne. Il tient toujours Dinan. La guerre va se rapprocher, se reporter dans le Clos Poulet, à Saint-Suliac, au Plessis-Bertrand. Elle finira à Dinan, et la prise de Dinan, le 31 janvier 1598, sera en grande partie l'œuvre des bons Français de cette petite ville.

Cette république malouine dont on leur faisait un grief auprès du roi d'Espagne, semble ne plus exister. Mais les mêmes hommes sont au pouvoir ; Henri IV n'en a pas changé un seul, l'idée ne lui en est même pas venue. Bien mieux, il a expressément loué, approuvé et continué leur Conseil (Edit, art. IX. - Morice, Pr. III, col. 1609) ; car ses contemporains n'attachaient guère d'importance aux mots et lui-même ne craignait pas la liberté.

Désormais, pendant plus de quinze ans, le Conseil de Saint-Malo, toujours le même, à part les disparitions [Note : Belinaie mourut le 3 janvier 1602 ; il était né le 22 décembre 1545. G. Jonchée Fougeray, né le 17 novembre 1543, mourut le 8 octobre 1600. Le Fer Limonnay, né le 22 mars 1540, décéda le 8 janvier 1606. Michel Frotet Bardelière périt en 1603 dans l'expédition aux Moluques. Enfin, Gicquelaie, né le 20 mars 1550, vivait encore, croyons-nous, en 1624] de personnes, va se mettre à une nouvelle tâche aussi ardue que celle du temps des troubles, celle de la liquidation de l'indépendance. Les procès vont surgir en foule. Il faudra se montrer procédurier consommé, il faudra trouver de grandes sommes ; mais cette remarquable réunion d'hommes suffira à tout et finalement tirera sa ville de tous ses embarras. Elle la mettra à même de profiter de l'essor que va donner Henri IV au commerce et aux lointaines navigations.

(F. Joüon des Longrais).

 

APPENDICE.

Liste par ordre alphabétique des Malouins compris dans l'Arrêt de 1592 (Arch. Saint-Malo, EE 4, 121).

Augustin, v. Fallon. Avril (Laurent). Basse-contre, choriste. Baudran (Pierre), son fils. Bergeot (Me Tristan), chanoine. René, chirurgien. Boullain Jean, dit Grand-Pré. Boullain Bernard, dit Rivière. Boullain Jacques, dit Sainte-Anne. Bret (Jacques le), dit Briselaine. Chesne (Le) s. d. Porée Le C. Cheville Charles, sénéchal, gendre de Josselin Frotet Landelle. Cheville, s. de Lande-Greslan. Cornet, prédicateur. Courtin (Anthoine), gendre et fils. Guyon Courtin. Crosnier (Julien), Tarerie. Desnos (Christofle). Dupré (Guillaume). Durand, chanoine. Eberard Jean E. Champ-rond. Eberard Gilles E. Colombier. Eon (Guillemette), son gendre. Even (Richard). Fallon, Augustin, théologal. Faynel (Jean). Frotet Michel Bardelière. Frotet Josselin F. Landelle. Frotet Nicolas, fils Landelle. Gaillard (Jacquin). Gaultier, Geffroy G. Boisjoli. Gaultier Guillaume. Gaultier Estienne G. Corgnaye. Gedouin, charpentier. Girard Jacques. Girard Gilles fils Charles. Girard neveu Charles fils Michel. Girard (Charlotte). Girard, fils Charlotte. Goret (Estienne). Gouverneur Macé G. Villespoix. Gouverneur Jean G. Saint-Estienne. Gravé Pierre (Belle-chaussée). Gravé autre Pierre. Gravé Guillaume. Gravé Bernard. Greslan (s. de) V. Cheville s. d. Grout François G. Closneuf. Grout Jean G. Villesnouveaux. Grout François G. Boisouse. Hancelin Charles, marinier. Hardy (Jean), fourbisseur. Hascoul (Jean). Haye (Me Jullien de la). Heurtault Robert. Heurtault Nicolas et Raoul, frères. Jacobin, prédicateur paravant led. Cornet. Jamect (Jean), dit Vieuxville. James (Jean). Jean (Michel, Guillaume). Jocet, procureur fiscal. Joliff (Jean, Pierre). Jonchée Guillaume J. Fougeray. Jonchée Guillaume J. Les Croix. La femme de G. F. Fougeray. La Veuve Hamon Jonchée. Jonchée Robert J. La Tasse. Jonchée V. Saint-Plancheix. Lambert (Jean) Baschemin. Launay Olivier de Launay. Launay Guillaume L. Le Fer Guillaume L. F. Graslarron. La femme de Graslarron. Bertran Le Fer Limonnay et son fils. Le Large dit La Barre. Le Mere ou Le Maire. Le Mere Louis dit Chapelle. Le Sac (Me Jullien), médecin. Le Sieu Jullien (receveur du chapitre). Lesné, alloué. Maillard (François) dit Bellestre. Maingard Allain M. Planchette. Maingard Jean M. Villeguguen. Martin Jean M. Gueraudaie. Martin Allain et ses deux fils. May (Servan), official, recteur de S. Servan. Moreau (Nicollas). Normand (la femme d'un capitaine Normand). Oréal (Estienne) dit Villeguerin. Pepin Jean Pepin Belinaye, capitaine de S. Malo. Pepin Jacques P. Prélambert. Pepin Jullien P. Chipaudière. Pepin Guillaume P. La Cour. Picot Jean Picot s. de la Gicquelaie, procureur des bourgeois. Picot, substitut. Picot François P. Rocabay. Servan P. Saint Buc. Picot, marinier. Porcon (Pierre, 0llivier). Porée Michel (La Tour). Porée Thomas (Les Chesnes). Autre Porée. Richomme Estienne (La Cour). Richomme Ollivier (Préravily). Roland (Jean). Roy (Georges le). Saint Plancheix, gendre d'Hamon Jonchée. Simon, charpentier de Normandie. Toustin (Gilles). Vainnard (Charles). Valleton Guillaume V. Champrousée. Vignau (Le) secrétaire de l'abbé de Saint-Melaine. Les deux fils de Hierosme Vivien.

 

II.

Bref estat des pertes que les habitans de la ville de St-Malo ont receuës pendant qu'ils ont tenu le party de la Ligue (Arch. Saint-Malo, Inventaire imprimé BB 1).

Premier. En l'an 1590, ung navire de Dartmue (Darmouth. — Plus loin Malgues, Malaga), pais d'Angleterre (aiant esté fretté et chargé par Gilles Eberard Coulombier, duquel navire estoit maistre Jacques Clemant et Jullien de la Motte marchant facteur dudit Eberard) fuct pris venant de Malgues pais d'Espagne, par des navires de Brest qui estoint Monsieur de Sourdeac. La charge duquel navire qui estoit de 64 tonneaulx de vin de Perrochimene (Pedro-Ximenès), valloit avecq 2000 escus qui aussi estoint dans ledict navire en deniers contans 4266 escuz 40 sols, cy : …… 4266 livres 40 s.

Audict an, fuct aussy pris par deulx navires de guerre l'un d'Angleterre et l'aultre de Porsac deulx barques appelées l'une le Mouton et l'aultre l'Aigneau chargées de vins et sucres apartenans audict Eberard et ses consors et furent menées l'une en Angleterre et l'aultre aud. lieu de Porsac et valloict ladicte prise du moigns 4000 escuz, cy : 4000.

Item audict an, fuct pris par les Anglois aultre barque venante de Lisbonne chargée de fer apartenante audict Eberard et à Michel Anne Tramblaye et fut icelle barque avecq sa dicte charge menée au pais d'Angleterre et valloit 500 escuz, cy : 500.

Daventaige audict an et jucq'en l'année 1593, led. Eberard a faict perte en son particulier de la somme de 11400 escus tant au pais d'Angleterre que à Dansic pour et à cause dud. navire que led. Eberard avait faict bastir aud. lieu de Dansic et lequel aurait esté presque tout perdu avecq nombre de marchandises pour et à cause dud. party, cy : 11400.

Au mois d'octobre dud. an 1590, fuct pris par Milor Combrelan, ung navire appellé la Tour, du port de 200 tonneaulx, chargé de poissons mollues et thoilles appartenans à Jocelin Crosnier, Jan Gouverneur St-Estienne et Jullien Crosnier Buhen, tout quoy valloit 12000 escus, cy : 12000.

Item fuct pris par les Anglois, une barque appellée la Barbe, venant des Canaries, chargée de bois et sucres apartenans a Francois Martin la Vigne et ses consors et valloit 4500 escus, cy : 4500.

En l'an 1591, fuct pris par le cappitaine Perlé de Isle de Ré, une barque appellée la Bonn' adventure du port de 40 tonneaux de laquelle estoit maistre Estienne Salmon et Charles le Blanc marchant pour luy et ses consors, chargée de sucres et confitures ; elle fut menée à la Rochelle et vallait le tout dix mille escus, cy : 10000.

Audict an au mois d'apvril fut pris par ung flibot de Granville, ung navire dud. St-Mato nommé le Guy, du port de 50 tonneaux duquel estait Me Guy Tumberel, il estoit chargé de poissons et valloit 3000 escuz, cy : 3000.

Item audict an, les capitaines dud. sieur de Sourdeac prindrent une barque chargée de bledz, de laquelle Hierosme Cochin estoit maistre et marchand, elle alloit en Espaigne et valloit 1500 escuz cy : 1500.

Et oultre lad. prise et perte, led. Cochin paia pour sa ranczon 300 escuz cy : 300.

Six mois après ledict Cochin fuct pris par le capitaine comte Vaudoré, de la Rochelle, dans une barque du Conquet affrettée par Gilles Eberard et Jan Guillaume, elle venoit d'Espaigne chargée de vivres et valloit 3200 escuz cy : 3200.

Plus audict an, led. Eberard avecques aultres ses consors fist perte de 4000 escuz cy : 4000.

En l'an 1592, Paul Heurtault, Bertran Jonchée, Jocelin Crosnier, Thomas Lachoue et autres furent pris prisonniers de guerre à Pontorson et paierent pour leurs ranczon : 2500.

Au mois d'octobre aud. an, fuct pris par ceulx de Fescan une barque chargée de 40 tonneaulx de vin de Charante apartenans à François Martin, Charles Buisson et consors et valloit led. vin 1500 escuz, cy : 1500.

Audict an 1592, les Anglois prindrent et menerent en Angleterre une barque nommée l'Ange de St-Malo venant de Lishonne chargée d'espiceries et autres marchandises, de laquelle estoit maistre Pierre Menier, elle valloit 3000 escus, cy : 3000.

Plus lesdicts Anglois prindrent et menerent audict Angleterre ung navire nomme le Nicodesme venant d'Espaigne chargé de 40 tonneaux vin de Perrochimene et de 4000 escus en deniers, le tout apartenoit à Jan Picot Giquelaye et ses consors et valloit 7000.

Et oultre paia led. Picot 2000 escus pour la ranczon de Charles Picot son fila et Pol Heurtault qui avoint esté pris dans led. navire et estoint retenus prisonniers aud. pais d'Angleterre, cy : 2000.

Item audict an 1592, une patache Angloise print ung batteau allant à Morlaix auquel estoit M. Jaques Guguen, dans lequel batteau y avoit 9700 escuz apartenans à Nicollas Frotet Landelle, lesquels avecq. led. batteau furent pris et menez en Angleterre, cy : 9700.

Daventaige fuct par ung navire de Dieppe appellé le Tresville pris une barque appellée la Louyse venant de Madere chargée de sucres et confitures apartenans à Jan Nouel la Barre, Thomas Chenu et leurs consors et valloit 10000 escus, cy : 10000.

En l'an 1593, au mois de Feuburier, fuct pris par les navires de monsieur de Sourdeac ung navire chargé de sucres et vins apartenant audict François Martin et ses consors ; il s'appelloit le Pontbriand dont estoit maistre Nicollas Pitreson, et valloit 6000 escuz, cy : 6000.

Audict an et mois, le navire le petit Pierre duquel estoit maîstre Jan Locquet, chargé de vins de Perrochimene et nombre de deniers le tout vallant 5000 escuz apartenans à la veusve Geffroy Gaillard, Jacques Locquet et aultres fuct pris par le capitaine Bontemps l'un des capitaines dud. Sieur de Sourdeac, cy : 5000.

Au mois de juign dud. an 1593, le navire appellé le Marsouyn du port de 250 tonneaulx duquel Jan Cochon estoit maistre, Regné Gravé capitaine, chargé de vins d'Espaigne et de 20 mil escus en or et argent, vallant le tout 96.000 escuz fuct pris par le Milor Combrelan anglois et mené en Angleterre : 96000.

Au mois de juillet dud. an, le navire nominé le Levrier du port de 200 tonneaux retournant d'Italye et d'Espaigne, chargé de soiries, aultres marchandises et deniers à la valleur de 70000 escus apartenant audict François Martin et ses consors fuct pris et mené en Angleterre par led. Milor Combrelan, cy : 70000.

Audict an, fuct pris par un Diepoix, ung navire nommé le Jan, venant de Terreneusve chargé de poissons mollues qui valloit 4000 escuz, cy : 4000.

Item audict an, fuct pris par ung appellé Yvon Jacques, de Brest, dix pacqués de crées estans en ung batteau en la chaussée de Roscou qui appartenoint audict Nicollas Frotet et valloint 1600 escus, cy : 1600.

En septembre aud. an, le capitaine conte Vaudoré, de la Rochelle, print une barque nommée la Florissante du port de 40 tonneaux dont estoit maistre Pierres Duclos ; elle venoit de Canarie chargée de sucres et confitures apartenans à Jean Nouel, Christolle Besnard et Thomas Chenu et valloit 6000 escuz : 6000.

Audict an, le navire appellé la Motte Leglée apartenant à Jan Picot et consors chargé de thoilles allant en Espaigne fuct prise par les Anglois et valloit 10000 escuz cy : 10000.

Au mois d'apvril 1594, le capitaine d'Oberard, de Brest, print une barque appellée l'Heruyne allant en Espaigne avecq sa charge de thoilles appartenant à Guillaume Gouverneur, Jacques le Fer et Jan Gouverneur Villepiron, valloit 4000.

Audict an, fuct pris en la rivière de Cascai, païs de Lisbonne, ung navire d'Aulonne nommé le Jaques, chargé d'espiceries pour led. Jehan Picot et consors laquelle prise fuct faite par les Anglois et valloit 8000 escuz, cy : 8000.

Plus audict an 1594, au mois d'octobre, le navire le Charles apartenant à Jocelin Frotet et ses consors fuct pris par l'admirai Fourbisseur [Note : Frobisher, le grand navigateur, mort en novembre 1594], general de l'armée d'Angleterre, qui le fist mener en Brest, et cousta pour le rachapt dud. navire 25000 escus, cy : 25000.

Fuct oultre pris en l'an 1592 par Bernard Cochon natif dudit St-Malo se tenant pour lors à Grandville du parti du roy, la somme de 800 escus que les habitans dud. St Malo envoyoint à leurs deputez estans pour lors pres monsieur le duc de Maienne, et fuct la dicte prise faicte en mer par une patache dont ledit Cochon estait capitaine, cy : 800.

Sans comprendre plusieurs aultres pertes qui ne sont mentionnées au memoire cy desus.

Lequel present memoire se monte la somme de deulx centz soixante quatre mil sept centz soixante six escus deux tiers d'escu, cy : 264766 2/3.

On lit à la suite : le present memoire m'a esté envoyé par lesd. habitans de St.-Malo. BODIN [Note : Avocat des Malouins dans la plupart des procès qui eurent lieu après la Ligue].

 

III. (Arch. S. Malo, E E 4, n° 126)

Articles présentés au Roi.

C'est le cahyer d'articles que les Bourgeois et habittans de la ville de St-Malo ont mis entre les mains des honorables personnes Jan Picot sr de la Giquelaye, Jan Pepin sr de la Belinaye, Guillaume Eberard sr du Colombier, et Thomas Gravé sr de la Bouteveille, bourgeois de lad. ville, pour presanter au Roy et supplier très humblement Sa Majesté voulloir recepvoir lesd. bourgeois et habittans en ses bonnes graces, et leur octroyer le contenu desdits articles.

Assavoir
Que Sa Majesté conservera lesd. habittans en leur anxienne religion catholicque, apostolicque et rommaine, sans qu'il soit tolleré ny permis en lad. ville ny à troys lieues près d'icelle exercice d'aucune aultre religion pour quelques personnes, occasions ou pretexte que ce soict, ny ne seront soufferts s'habittuer aucuns en lad. ville qui soinct d'aultre religion que la catholicque, apostolicque et rommaine, encore qu'ilz fussent nattifz et originaux de lad. ville.

Que les ecclesiastiques estans en lad. ville et hors icelle soubz les trois lieuës seront maintenuz et conservez en la celebration du divin service et en la jouissance de leurs benefices, droictz, rantes et revenuz et en leurs anxiens previllaige et immunittez.

Sa Majesté sera tres humblement supliée en consideration que lesd. habittans n'ont rien regardé durant les troubles que la conservation de la religion catholicque, apostolicque et rommaine et l'estat du royaume sans se soubzmettre en puissance d'aultruy, que ce soit le plaisir et bon voulloir de Sa Majesté de relaisser ausdits habittans le gouvernement, garde et fidelle conservation de la ville et chasteau de S. Malo et tour de Solidor, et ce pour dix ans, faisantz et prestantz le serment en tel cas requis à sad. Majesté de fidellement garder et conserver lesd. ville et Chasteau et tour de Sollidor soubz son obeissance et authoritté ainsin que vrays et fidelles subiectz doivent à leur roy, et que led. temps expiré, au cas que Sa Majesté vouldroit establir un gouverneur et cappitaine en lad. ville et Chasteau autre que des dits liabittans,-il sera de la religion catholicque, apostolicque et rommaine et aggreable ausd. habittans et sans qu'il se puisse en temps advenir mettre aucune garnison ni gens de guerre en lad. ville.

Et affin que lesd habittans ayent le moyen de maintenir, garder et conserver et entretenir lad. ville et Chasteau et tour de Sollidor pendant led. temps de dix ans, tant pour satisfere et payer les garnisons que gaiges d'officiers de lad, ville, que reparations necessaires tant de lad. ville, Chasteau et tour de Soulidor que pour se dequitter des empruncts et doibttes en quoy la ville est constituée aux particulliers, lesquelz en ont fait les advances pendant ces troubles ; Sa Majesté permettra ausd. habittans lever sur eux et sur les negotians en icelle, fins et mettes d'icelle, les debvoirs imposez sur les marchandises entrantes et sortantes de lad. ville selon et aux fins de la Commission leur en accordée dès le temps du défunct roy Henry IIIe, que Dieu absollve, par le feu sieur de Fontainnes selon la pancarte qui pour cest effect en fut faicte lors et dès le 15e de juillet 1589, et que les comptes tant en recepte que despanse s'en rendent au corps et communaulté de lad. ville ou devant ceulx que par eulx seront commis à cest effect, sans qu'en soinct tenuz les rendre en la Chambre des Comptes ny ailleurs.

Que les habittans en consideration des grandes pertes qu'ils ont receues tant en leurs personnes que leurs biens estans aux champs, que par prinses en mer par les Angloys et aultres, ruynes et incommoditez qu'ils en ont receues tant en leurs personnes que leurs biens et souffertes pendant ces troubles, ils demeurent pendant le temps de dix ans exemptz de tailles et emprunctz, sans qu'ils soinct cotissez ny taxés en quelque maniere que ce soict.

Que la memoire de toutes choses qui se sont passées en lad. ville et hors icelle durant les presants troubles soict entre lesd. habittans ou des partiz seront estainctes et assopies sans qu'il soict loysible d'en fere suilte ny subcitter aucunes querelles à paine de punition, pour estre occasion à tous lesd. habittans de se desunir les ungs des aultres.

Ne seront lesd. habittans recherchez de l'entreprinse par eux faicte sur le chanteau de lad. ville, prise d'iceluy, mort du sieur de Fontaines et aultres estans aud. Chasteau, prinse, pillaige et butin general des biens y estans à quelque valleur que ce soict, appartenant tant aud. sieur de. Fontaines qu'aultres, et de tout ce ne s'en fera aucune recherche contre lesd. habittans en general ny contre ceux en particullier qui ont fait lad. entreprinse, icelle favorissée, et presté la main, que contre ceux qui en ont faict l'execution, soict qu'il y fussent de la garnison dud. Chasteau ou aultres, imposant Sa Majesté toute silance perpetuelle à ses procureurs generaulx et particuliers, et touz aultres ses officiers et subiectz, et speciallement à la dame veufve, hoirs, successeurs et causeans dud, feu sieur de Fontainnes et autres, veufves et heritiers de ceux qui sont mortz à lad. prinse, y estans lesd. habittans poussez pour le zelle de leur religion et pour la conservation de lad. ville et Chasteau à ung roy très crestien et catholicque. Et en consequence de ce tous arretz, sentences et jugemens donnez contre lesd. habittans et leurs biens, en general ou en particulier, leurs adherans et favorisants durant les presantz troubles tant aux cours des Parlement de Bretaigne, Tours que par tout ailleurs, seront par Sa Majesté revocquez, cassez et anullez.

Que tout ce qui a esté faict par lesd. habittans ou faict fere par le corps, communaulté et conseil d'icelle durant les presantz troubles, soit en la prinse des armes, establissement de garnisons, tant dedans que dehors lad. ville, compaignies mises aux champs, peuple assemblé en armes, impositions et nouvelles daces, continuation des anxiennes, creües et augmentations d'icelles, deniers pris des receptes de Sa Majesté que autres deniers levez et impostz, tant sur les personnes mises lors lad. ville que sur les refugiez estans en icelle, que de tous autres deniers imposez en icelle, les formes gardées ou non gardées, de quelque nature et valleur qu'ils soinct et en quelque maniere qu'ilz aient esté levez, tant en lad. ville que sur le plat païs, employ d'iceulx par ordre desd. habittans, meurtres, emprisonnements, ranczons, vante et adjudication de biens meubles, or et argent pris, soict en lad. ville ou hors icelle de quelque nature ou quallité qu'ils puissent estre, et dont le corps et communaulté se seroict saesy et beneficié, les personnes faictes se retirer hors lad. ville de quelque estat, quallité, et condition qu’ils fussent, faitz d'armes tant dedans que dehors lad. ville, entreprises, sieges de ville, chasteaux et maisons fortes, rasemens, demollitions et dementellement des chasteaux de Chasteauneuf et le Plessis Bertrand que aultres maisons ; reparations et fortifications faictes par lesd. habittans, tant dans lad. ville que hors icelle, prinses d'artillerye et munitions, soict aux magazins du roy qu'aulx particuliers, fonte de canons couleuvrines que aultres artilleryes, confection de pouldre et salpestres, voyages, deputations tant dedans que dehors le royaume, transport et convoy de gens de guerre tant francoys qu'estrangers de lieu et province en aultre tant par mer que par terre, assistance de gens et munitions tant aux princes, villes et communaultés, que estrangers tenant le party de l'Union, armement de navires ou vaisseaux, prises faictes en mer par lesd. habittans, ouvertures de lettres ou pacquetz, et generallement de tous actes d'hostillité quelconques faictes et exercées par lesd. habittans, soict contre l'un et l'autre party, dedans et dehors la ville, durant les presantz troubles, combien que le tout ne fust icy particullierement speciffié ny exprimé, seront par Sa Majesté abollyes, estainctes et asoppies, sans que par cy après lesd. habittans en puissent estre recherchez ny inquiettez en general ny en particullier, et en imposera le mesme silance perpetuel à ses Procureurs generaulx, particuliers et autres ses officiers, et subiectz.

Que lad. ville et tous lesd. habitans d'icelle seront gardez et maintenuz aux franchisses, droictz et libertez de la province de Bretaigne et en leurs anciennes et particulliers privillaiges, franchisses et libertez ; et, en ce faisant, les droictz, dons et octroys leur accordez par les predecesseurs roys confirmés et, en tant que besoingn sera, de nouveau concedés.

Que toutes levées de deniers faictes depuis les presens troubles jucq'à ce jour, dedans et dehors la ville et toutes commissions, ordonnances, descharges et expeditions faictes par les habittans pour le mainctien desd. deniers de quelque nature qu'ils soinct, encores qu'ils ayent esté employés à autres usaiges qu'ils n'estoinct destinez, seront par Sa Majesté ratisfiées et approuvées, et les receptes et depances des comptables seront validdées et authorisées de Sa Majesté, sans que les comptables soinct tenuz randre et tenir leurs comtes que en la forme qu'ils ont accoutumé par davent les habittans de lad. ville, sans estre contrainctz les aller tenir en la Chambre des Comptes.

Que le trafic et commerce libre soict et demeure en lad. ville avecq toutes personnes de quelque party et pays qu'ils soinct, et qu'il soict loisible et permis auxd. habittans faire leur negoce et traficq de marchandises en tout païs et royaumes quelsconques.

Que l'abort ou descente de toutes marchandises de quelque sorte, quallité et genre qu'ils puissent estre soict permise auxd. habittans en leur ville, sans qu'ils soinct subiectz en fere declaration aux lieux où sont les bureaulx establiz pour les drogueryes et espisseryes ny en payer les droictz synon lorsqu'ilz en feront descharge aux lieux et endroitcz où les devoirs s'en levent.

Que l'institution, establissement et continuation d'un Conseil estably par lesd. habittans en lad. ville, soict continué et que la congnoissance qu'ils auroinct par cy davent pris des procès et la retantion d'iceux tant civilz que criminelz, et ce que sur iceulx ils auroinct jugé en dernier ressort, saesyes, descharges, adjudications de biens meubles faictz par led. Conseil, comme aussy les jugements desdictz procès par eulz donnez contradictoirement demeureront vallidez et sortiront leur plain et entier effect.

Que tous passeportz donnez par le magistract et Conseil de lad. ville, soubz l'authorité de Sa Majesté, soinct receuz tant par mer que par terre aux nations amyes, alliez et confederez de sad. Majesté.

Sa Majesté sera très humblement supliée voulloir suprimer, abollir et revocquer toutes lettres de dons, recompances ou repetitions qu'elle auroit octroyées à quelques personnes et de quelque quallité ou condition qu'il y soinct durant les presens troubles et à l'occasion d'iceux contre lesd. habittans en general et particullier, comme aussy d'en voulloir escripre à la serenissime royne d'Angleterre et aultres ses alliez et confederez à ce qu'ilz cassent, annullent et revocquent toutes lettres de marques, contremarques et represailles qu'ils auroinct octroyé à leurs subiectz contre et sur lesd. habittans, devant et durand les presantz troubles, sans que lesd. habittans ny leurs biens en puissent estre arrestez, incommodez ny molestez par mer ny par terre, ausd. pays, terres et seigneuries de leur obéissance.

Qu'il plaise à sad. Majesté octroyer ausd. habittans ses Lettres patentes pour la creation d'un prieur et deux consulz pour juger, decider et congnoistre en premiere instance des procès et differentz concernant le traficq, commerce et negoce des marchans et navigation, à la samblance et similitude de la ville de Roüan et aultres villes de ce royaume, selon que lesd. habittans l'ont par cy devant obtenus du desfunct roy Henry, que Dieu absolve, et ce neantmoings oppositions ou appellations quelzconque, et sans prejudice d'icelles, la conguoissance à Sa Majesté reservée.

Comme aussy il plera à sad. Majesté donner sesd. lettres à ce que les juges et procureurs de la jurisdiction de lad. Ville de S. Malo apartenante aux sieurs evesques et chanoynes de lad. ville puissent congnoistre en premiere instance de tous cas royaux qui surviendront en lad. juridiction, sans que lesd. habitans soinct tenuz requerir en ce cas leur justice ailleurs, neanmoings oppositions ou appellations quelconques, la congnoissance à sad. Majesté reservée.

Que les gentilshommes et habittans des villes et du plat païs de ceste province, lesquels durant ses troubles sont demeurez reffugiez en lad. ville pour y conserver leurs biens et personnes, qu'il leur soit loisible se retirer en leurs maisons, soubz le bon plaisir de sad. Majesté, et mainctenuz en la jouissance de leurs biens, sans que, pour les choses passées, ils en puissent estre recherchez, inquiettez ny molestez, quelque part qu'ils soinct ny contraincts au payement des taxes qui auroinct esté faictes sur eux pendant leur absance par qui que ce soit.

Que la fonte d'artillerye soit par Sa Majesté permise ausd. habittans en lad. ville pour le service et maintien d'icelle ville et Chasteau, de leurs navires et vaeseaux.

Que lesd. habittans seront à l'advenir payez des rantes constituées sur le domaine du roy, attandant le rembourcement de leurs deniers et des deniers d'octroy leur accordez par les desfunctz roys.

Que le debvoir de guet ne se puisse lever par le connestable de lad. ville sur les habittans d'icelle que selon et aux fins des ordonnances royaulx et qu'il ne puisse repeter le passé, en tant que lesd. habittans d'icelle ont faict le guect de lad. ville et Chasteau en personne durant les presantz troubles.

Et d'aultant que durant les presantz troubles, les artisans et gens de mestier demeurant en lad. ville ont receu plussieurs incommoditez et faticgues en la garde et conservation de lad. ville et Chasteau et en la desfence d'icelle. Sa Majesté sera très humblement supplyée voulloir trouver bon que à l'advenir il ne se puisse habituer en icelle aucuns artizans ou gens de mestier estrangers de quelque art, qualité ou condition qu'ilz soinct, sans la vollonté du corps et communaulté de lad. ville et par requeste presantée en assemblée generale desd. habittans et n'y puissent lever boutique sans leur consentement faisant leur chef d'œuvre.

Que les habittans lesquelz ont terres et maisons nobles en la province subiectes au ban et arrière-ban ne soinct contrainctz sortir de lad. ville pour fere le service deu à l'occasion de leurs dictes terres nobles, ains demeureront, ainsin que de tout temps ils ont accoustumé estre, de la retenue et garde de lad, ville.

Que les artilleryes, pouldres, balles et aultres munitions et atirail de guerre estans en lad. ville et Chasteau ne se pourront tirer hors d'icelle ville et Chasteau pour estre transportées ailleurs que ce soict, ains demeureront pour la garde et conservation de lad. ville et Chasteau.

Que sa Majesté donnera exemption ausd. habittans des rechapts luy deus de trante en trante ans pour les francqs fieffz et nouveaulx acquests par lesd. habittans faictz en terres, fiefz et maisons nobles.

Lesd. articles ci davent ont esté concludz et arrestez en la congregation et assemblée generalle desd. habittans tenue le lundy premier jour d'aoust MCc IIIIxx XIV.

Thomas Gravé, Jean Piquot, Jean Pepin, Gilles Eberard.

© Copyright - Tous droits réservés.