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Les doléances particulières à la Ville de Saint-Malo en 1789

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Aux réclamations que nous venons de voir par ailleurs et que, le plus souvent, ont un caractère général, les rédacteurs de notre cahier ajoutèrent quatre articles, quatre chefs de demandes que les mémoires particuliers des différentes corporations étaient unanimes à formuler et qu'ils réunirent sous le titre de « Réformes particulières à la ville de Saint-Malo » (Cahiers de doléances, t. III, p. 40 et suiv.).

Un premier article (art. LXXVI) du cahier général de la ville, comprenait trois points :
1° La constitution vicieuse du corps municipal.
2° La contribution à la garde de la ville dont les exemptions que se sont attribuées les habitants les plus riches, ont fait, d'un privilège honorable, un impôt accablant pour la classe la moins aisée et la plus pauvre.
3° La manière abusive dont jusqu'à présent il a été procédé à la répartition des impositions et notamment de la capitation, par des répartiteurs qui devraient toujours être pris dans chaque corporation, qui seule peut connaître les moyens et les besoins de ses membres.

Un deuxième article (art. LXXVII), aux termes duquel il était demandé « que la charge de miseur soit remboursée et supprimée, comme inutile et onéreuse à la ville. On est bien persuadé que l'homme honnête et vertueux qui en est actuellement pourvu applaudira lui-même à cette demande » (Le miseur ou trésorier de la ville était alors M. Duhautcilly fils. (Arch. com., CC 40)).

Un troisième article (art. LXXVIII), ainsi conçu : Que le privilège des habitants de Saint-Malo, qui n'a été suspendu que depuis deux ans, d'arrêter, à l’usement de la ville, leurs débiteurs non domiciliés, jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait ou donné caution à leurs créanciers, soit rétabli et maintenu comme intéressant dans une ville qui reçoit et fait commerce avec beaucoup d'étrangers et qui est à la proximité des îles de Jersey et Guernesey, où un débiteur de mauvaise foi à la facilité de passer tous les jours et frustrer ses créanciers.

Enfin un quatrième et dernier article (art. LXXIX) : Que les clefs de la ville, qui ont élé déposées au château sous les prédécesseurs de M. le lieutenant du Roi actuel, lui soient restituées, comme devant être le gage le plus précieux de son amour et de sa fidélité. Le bon Henry IV, dont le souvenir ne nous fut jamais plus cher que depuis que son descendant nous en retrace toutes les vertus, nous les avait confiées sans réserve. Louis XVI craindrait-il de les rendre à ses sujets fidèles, qui tous sacrifieraient leur vie pour sa gloire, comme il sacrifie son repos pour leur bonheur ? Puisse le résultat des Etats généraux mettre le comble à l'une et à l'autre ! C'est le voeu par lequel la ville de Saint-Malo termine son cahier.

Et ce cahier portait les signatures suivantes : Michel de la Morvonnais, J. Guillon l'aîné, Chenu, de Brecey, Proust fils, Gautier, J.-F. Laurand, Le Mesme, Ohier père, J. Bodinier, M. Delastelle, Besnard, Georges Tennevet, Poisselle, Josseaume, Duault, Bauchemin, Hovius, Pierre Desmares, Pierre Bautin, J.-B. Delot, Fanonnel, Georges Mandous, Thomas, P. Courneuve, Duchesne Saint-Verguel, Louis Amy, Moulin, Bennaben, Le Garnisson, Dufrêne, Rousselin, F. Guyot, Le Mesle, Jacquinet, Jacques Billy, J. Fichet, Bossinot du Vauvert, La Fontaine Le Bonhomme, Loiset, J.-François Dolé, Le Marié, Louvel, Cor. Bertrand, Brault l’aîné, J. Boucouët, François Hallot, dit la Fontaine, J-F. Corbillé, Pierre Bercet, François Bourgogne, Francois Vigot, Chaumont, Chifoliaux, Le Baillif, Duparc, Le Coq, G. Thomine, J. Tondic, Huard, Marion, Hinet Lavalée, Perruchot de Longeville, F. Fougueux, Desmoulins, G. Lecoufle, Duclos-Guyot, J.-C. Cousin de Courchamps, G. Duparc-Louvel.

Laissant de côté le deuxième et le troisième articles, auxquels il n'y a rien à ajouter, de ces « Réformes particulières » nous étudierons successivement le bien-fondé des réclamations concernant :

A) La constitution vicieuse du corps municipal.
B) L'abolition des exemptions de la garde de la ville.
C) La répartition des impositions.
D) La restitution des clefs à la ville.

 

A) La constitution vicieuse du corps municipal.

Nous avons vu par ailleurs comment la municipalité s'était transformée au cours du 18ème siècle, l'arrêt du Conseil d'Etat fixant la composition de l'assemblée, puis l'autorité que s'attribuait le chapitre devenant gênante, les réclamations nombreuses qui finissent par provoquer le nouvel et définitif arrêt de 1751 aux termes duquel les anciens édits rentraient en vigueur ; le maire reprenait sa vraie place, le chapitre gardant seulement le droit de présence aux assemblées. De plus, par ce même arrêt, les officiers de la juridiction étaient exclus de l'assemblée de la communauté. Peut-être cet éloignement forcé des affaires municipales explique-t-il le ton véhément que la juridiction ordinaire donne à sa protestation contre l'acquisition de la municipalité ? Son cahier, à part quelques réclamations d'ordre général, n'est qu'une longue réclamation contre sa constitution.

Que lui reprochait-on ? D'abord de n'être pas assemblée élective « de n'être qu'une association de délégués qui, pour la commune et au nom de la commune, régit la propriété publique. Elle ne peut être légalement composée que par la volonté de la commune et par des représentants élus par chaque corporation, lesquelles, réunies, forment seules en masse la communauté générale » (Cahiers de dol., t III, p 45).

« Peut-on bien nommer municipalité, disait le procureur fiscal à la réunion du 30 mars 1789, une assemblée composée d'une trentaine d'armateurs et capitaines de navire, qui s’établissent eux-mêmes les représentants d'une population de vingt-cinq mille personnes ? Peut-on se dire, sans le plus étonnant abus des termes, les agents d'une ville et d'un faubourg considérable sans qu'aucun des habitants ait été même consulté sur l'élection ? Les charges municipales sont, en quelque sorte, héréditaires : cinq ou six familles qui se croient sans doute patriciennes, sont en possession depuis bien des années de former cette extraordinaire aristocratie » (Cahiers de dol., t III, p 63). Il résulte, en effet, de la séance du mercredi 28 janvier 1789 (Arch. com., BB 40, fol. 25) que les membres de la communauté étaient choisis par leurs pairs et qu'ainsi des citoyens que leurs connaissances désignaient pour ces fonctions en étaient exclus. « M. Sébire l'aîné, maire, y représentait que MM. Potier de la Houssaye et Meslé de Grandclos, échevins, ainsi que MM. Magon de la Villehuchet fils et Gardin fils, assesseurs. demandaient à être remplacés dans leurs fonctions. » ... L'Assemblée nomma alors, pour trois années à l'échevinat, MM. Herbert de la Porte-Barrée et Brignon de Léhen, puis il fut procédé par voie de scrutin à l'élection de quatre sujets pour remplir les places vacantes d'assesseurs et « la pluralité des suffrages s'étant trouvée pour MM. Hercouët, Guillemaut, Marion l’aîné et Maugendre, ils ont été nommés pour en remplir les fonctions pendant trois années ». M. Sébire rappela à l'assemblée que MM les Avocats de la ville lui avaient présenté il y a quelque temps requête tendant à être admis parmi les officiers de la municipalité, ajoutant que MM. les Docteurs en médecine se plaignaient également de ce qu'aucun d'eux n'y était appelé. Cette situation était particulièrement critiquable et faisait dire au procureur fiscal (Cahiers de dol., t. III, p. 63) : « Il est des professions qui exigent plus d'études, plus de connaissances, plus d'application et par cela même, elles rendent ceux qui les exercent plus capables et plus propres à la conduite des affaires. Tels sont les magistrats, les avocats, les médecins, les notaires, les procureurs, les chirurgiens, et dans toutes les communautés de villes du royaume non seulement ils sont admis, mais recherchés avec empressement ; à Saint-Malo, ils sont exclus, au moins par le fait ».

Pourquoi donc, reprenait le mémoire (Cahiers de dol., t. III, p. 45), « une assemblée de mandataires publics, qui, pour la commune entière, gouverne la chose universelle, n'est-elle formée que d'une seule classe de citoyens ? Et pourquoi cette assemblée de simples procurateurs choisit-elle, à l'exclusion de la commune, les sujets nécessaires pour remplacer ceux qui sortent d'exercice ? Il faut en convenir, c'est un double abus qui mérite réforme. La classe de citoyens qui composent la municipalité actuelle mérite sans doute des égards et de la considération ; qu'elle conserve dans l'administration un nombre de représentants proportionné à l'étendue et même à l'importance de cette classe dans l'ordre social ; mais aussi qu'elle n'exclue pas de la régie d'une propriété commune des citoyens utiles, qui ont un intérêt égal et qui supportent, en majeure partie, la subvention qui forme cette propriété même ». Et le mémoire indique le remède. « Il n'est qu'un seul moyen d'éteindre sans retour cet usage défectueux, de revenir au droit naturel qui doit être la base de toute administration populaire surtout, c'est que chaque corporation ait le droit de choisir et nommer son représentant à la municipalité, que ce représentant soit élu librement et par le choix propre de la corporation ; que sur cette nomination, il soit reçu par la municipalité membre de ce corps public ; qu'il soit convoqué aux diverses assemblées, afin qu'il ait voix délibérative aux différents arrêtés quelconques ».

On reprochait encore à la municipalité « de ne pas imprimer (Cahiers de dol., t. III,  p. 49) annuellement le compte de recette et de dépense générale, dont il devait être envoyé un exemplaire à chaque corporation, et, d'un autre côté, de ne pas communiquer, sans déplacer, à l'hôtel de ville, dans un délai convenable, les pièces qui peuvent ou soutenir ou inficier le compte ». — Toute comptabilité est suspecte, ajoutait le cahier de la juridiction, du moment qu'elle est secrète : quiconque administre les deniers publics doit afficher aux yeux de tous l'état de la recette et de la dépense ; sur trente municipaux. il n'y en a pas, dit-on, six qui sachent en quoi consistent les revenus de la ville et encore moins leur emploi (Cahiers de dol., t. III,  p. 67). « Les comptes de la municipalité doivent être soumis à l'examen de tous les citoyens qui, pendant un délai fixe, auront la faculté de les voir dans un dépôt public et de faire leurs observations ensuite, en présence des juges ordinaires. C'est à ceux-ci qu'il appartient d'inspecter cette comptabilité, si enfin les règles du bon sens et de la justice succèdent aux nombreux travers de l'arbitraire ». 

Ce cahier d'une juridiction qui ne pardonnait pas, quoiqu'elle en dise, son exclusion des affaires municipales, s'élevait enfin contre la présence à l'assemblée du lieutenant pour le Roi à Saint-Malo (Cahiers de dol., t. III,  p. 66). « Il est sur la liste, à la tête des officiers municipaux ; il n'est pas là seulement pour empêcher qu'il soit pris aucune délibération contraire à l'autorité du monarque et à ses droits ; il est vraiment le premier membre de la municipalité ; il donne sa voix avant les autres sur les affaires les plus minces comme sur les plus importantes. — On ne sait « qu'admirer le plus, ou de la complaisance d'un militaire décoré, qui représente le Roi dans la ville et qui veut bien en être le premier échevin, ou de la faiblesse de nos tuteurs qui ont bien voulu associer à l'administration municipale un étranger, dont les intérêts sont nécessairement en opposition avec les nôtres ». Les assemblées étaient en effet tenues en présence du lieutenant du roi qui était à cette époque, nous l'avons vu, Jean-François Picault, chevalier des Dorides.

Les vœux des corporations en général et de la juridiction ordinaire de Saint-Malo en particulier devaient être comblés. Cette juridiction demandait « que tous les corps et corporations soient désormais assemblés de trois ans en trois ans, et toutes les fois que besoin en sera dans la forme prescrite par les anciens règlements et celui du 24 janvier 1789, pour élire les membres qui doivent composer l'assemblée municipale ». Or, dès le 28 juillet 1789 (Arch. com., BB 40, fol 41), des commissaires des corporations, MM. Rocher, Chifoliau fils, Le Baillif, Blaize de Maisonneuve, Jh Fichet, Brault l'aîné, Saint-Verguet père, Marion l’aîné, Chenu-Villanger, Ohier père, Proust fils, Kergomaux, Rousselin, Bertrand l'aîné, Duparc-Le Coq, Hallot-La Fontaine, etc., sont reçus par la municipalité qui émet le vœu de se réunir aux communes, représentées par la généralité des députés électeurs, pour qu'à l'avenir, tous ne forment qu'un seul corps jusqu'à ce qu'il ait été établi par l'assemblée nationale un ordre permanent dans l'organisation des corps municipaux de l'universalité du royaume. Les communes furent consultées et le soir même, à l'hôtel de ville, les commissaires des corporations prenaient place parmi les membres de la municipalité.

C'était en attendant le décret de l'assemblée nationale, organisateur du nouveau régime administratif, un concours amiable des députés et du corps municipal.

A la tête de cette assemblée nombreuse et sur la proposition de M. l'abbé de Carheil (Arch. com., BB 40, fol 41) une Commission permanente fut instituée à l'effet de s'occuper des affaires alors particulièrement délicates et les diriger. Les membres de cette commission devaient être élus à la pluralité des suffrages. Elle comprenait 13 membres, y compris le président. Celui-ci resterait en exercice pendant quinze jours et serait toujours désigné à l'élection, sauf pour les quinze premiers jours pour lesquels la présidence serait déférée à M. Sébire, maire. Les 12 membres adjoints au président resteraient aussi en exercice quinze jours ; à l'expiration de ce délai, 6 sortiraient d'exercice par la voie du sort et seraient remplacés de même. De semblables commissions permanentes avaient été réunies à Saint-Malo dans des circonstances difficiles, notamment en 1585 et 1589, au temps de la Ligue. Les 12 membres nommés furent MM. Le Baillif, Rocher, l'abbé Launay de Carheil, des Moulins, Le Coufle, Blaize de Maisonneuve, Deshayes, Dessaudrais-Sébire, Hercouët, Ohier, Quesnel et Grand-Maison-Gillot.

Aux députés des corporations adjoints à la municipalité vinrent, le 12 août, s'ajouter ceux de la milice nationale (Arch. com., BB 40. fol. 63). Enfin, le 18 décembre 1789 paraissait le décret de l'assemblée nationale (Arch. com., LL 10 - A 10), sur la constitution des municipalités.

Aux termes de ce décret, les municipalités subsistant en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté sous le titre d'hôtels de ville, mairies, échevinats, consulats et généralement sous quelque titre et qualification que ce soit sont supprimées et abolies ; cependant, les officiers municipaux actuellement en exercice, devaient continuer leurs fonctions jusqu'à leur remplacement ; ces officiers devaient être nommés par voie d'élection ; tous les citoyens actifs de chaque ville, bourg, paroisse, communauté pourront concourir à l'élection des membres du corps municipal.

ART. 6. — Les citoyens se réuniront en une seule assemblée dans les communautés où il y a moins de 4.000 habitants, en deux assemblées dans les communautés de 4.000 à 8.000 habitants, en trois assemblées dans les communautés de 8.000 à 12.000 habitants et ainsi de suite. — Les assemblées se formeront par quartiers.

Les articles 8 à 12 fixaient la procédure des élections, 12 à 16 les conditions d'éligibilité, l'article 25 le nombre des conseillers : 12 de 10.000 à 25.000 habitants. Il y aura un procureur de la commune dans chaque municipalité et dans les communes de plus de 10.000 habitants, un substitut du procureur de la commune.

ART. 30. — Les citoyens actifs de chaque communauté nommeront par un seul scrutin de liste et à la pluralité relative des suffrages un nombre de notables double de celui des membres du corps municipal qui formeront le conseil général de la commune. Chaque corps municipal de plus de trois membres devait être divisé en conseil et en bureau. Le bureau sera composé du tiers des officiers municipaux, y compris le maire, qui en fera toujours partie ; les deux autres tiers formeront le conseil.

Les officiers municipaux étaient élus pour deux ans, renouvelés par moitié chaque année. Le maire devait rester en service deux ans.

ART. 49. — Les fonctions des corps municipaux étaient doubles : les unes propres au pouvoir municipal, les autres propres à l'administration générale de l'Etat et par elle déléguées aux municipalités. Les premières étaient : régir les biens et revenus communs des villes, bourgs, paroisses et communautés ; régler et acquitter celles des dépenses locales qui doivent être payées de deniers communs ; diriger et faire exécuter les travaux publics qui sont à la charge de la communauté ; administrer les établissements qui appartiennent à la commune, qui sont entretenus de ses deniers, ou qui sont particulièrement destinés à l'usage dont elle est composée ; faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. Les secondes étaient : la répartition des contributions directes entre les citoyens dont la communauté est composée, la perception de ces contributions, le versement de ces contributions dans les caisses du district ou du département, la direction immédiate des travaux publics dans le ressort de la municipalité ; la régie immédiate des établissements publics destinés à l'utilité générale ; la surveillance nécessaire à la conservation des propriétés. publiques ; l'inspection directe des travaux de réparation ou de reconstruction des églises, presbytères et autres objets relatifs au service du culte religieux. Ce décret fut imprimé chez Hovius par les soins de la municipalité.

Conformément au dit décret sanctionné par le roi, le conseil permanent de Saint-Malo, chef-lieu de district, fit procéder en février 1790 aux élections municipales.

Il fallut d'abord former un rôle de la population exacte de la ville, afin de la diviser par quartiers et en autant de sections d'assemblées primaires que la population l'exigeait (Arch. com., LL 21 (D 1), fol. 70). MM. Desguets l'aîné, Brault l'aîné, Le Mesle, Duguen, Gonard. Rousselin et Foucher sont désignés pour former cet état général de population et donner la liste des « citoyens actifs ». Etaient électeurs (Arch. com., LL. 121 (K 1)) les citoyens payant la valeur de trois journées locales de travail déterminé à Saint-Malo à 1 livre 16 s. ; étaient éligibles aux assemblées administratives du département, de district et municipalité, ceux payant la valeur de dix journées locales de travail, ainsi 6 livres ; éligibles à l'assemblée nationale, ceux payant la valeur d'un marc d'argent et ayant en outre une propriété foncière. Il y avait ainsi dans l'ensemble 960 citoyens électeurs, 555 éligibles aux assemblées administratives et 140 à l'assemblée nationale.

L'ouverture des assemblées primaires pour l'élection de la municipalité de la ville, du faubourg de Saint-Servan et dépendances fut fixée par le conseil au 10 février 1790 (Arch. com., LL. 21 (D 1), fol. 88). L'annonce en fut faite aux prônes des messes paroissiales le 31 janvier et affichée.

La population avait été divisée en 6 sections, 3 pour la ville et dépendances et 3 pour le faux-bourg ; un commissaire fut nommé pour ouvrir chaque section [Note : MM. de L'Homme, Morvonnais et Bossinot fils pour les trois sections de la ville, Sébire-Dessaudrais, Ameline, avocat, et Le Roux-Desrochettes pour celle de Saint-Servan (Arch. com., LL. 21 (D 1))] ; mais Saint-Servan n'ayant pas mis le conseil en état de connaître sa population, on divisa approximativement le faux-bourg en 3 quartiers, et M. Corbet, huissier, fut chargé de bannir la réunion des habitants de ces quartiers aux jours et heures désignés (Arch. com., LL. 21 (D 1), fol. 92).

Les sections de Saint-Malo se tenaient à Saint-Benoist, à Saint-François et à Saint-Sauveur. Saint-Servan, qui tenait énergiquement à maintenir sa demande de municipalité indépendante, ne vit pas un seul citoyen pour former la section. Toutefois, comme la majorité absolue avait été atteinte sur un nom, celui de M. Duparc-Louvel père, il fut élu maire de la municipalité de Saint-Malo et du faux-bourg (Arch. com., fol. 93).

Puis, successivement, furent élus (Arch. com., fol. 96, 97, 98), comme procureur syndic de la commune, Michel de la Morvonnais ; comme substitut du procureur, M. Gouët ; comme officiers municipaux, M. Le Couffle, MM. Duchesne Saint-Verguet, Conan, Tréhouard, de Beaulieu, Danycan, Apuriel de Kerloguen, Gauttier le jeune, Deshais, l'abbé de la Grézillonnais, Bossinot de Ponphily, Bougourd et Guillemaut-Dudemaine ; enfin, comme notables, MM. Marestin, Hallot-Le Fontaine, Cannevas l'aîné, Fromy, Dupuy, Le Saout curé, Meslé de Grand-Clos, Harrington, Peltier-Duverger, Le Roux-Desrochettes, Guillemaut-Despechers, Seré, Sébire-Dessaudrais, Le Breton de la Vieuville, Coz, Boucouët père, Le Fer de Beauvais, Porchaër, Marchand, Revol, Jouanjan. Fournier-Dumanoir. Foucher et Chenu-Piednoir, Chifoliau fils. Mais comme ce dernier était colonel de la garde nationale - fonction incompatible avec celle de notable, - il opta pour le titre de colonel et fut remplacé par M. Bautain.

L'installation de la municipalité fut très solennelle. Elle eût lieu le dimanche 28 février 1790, à deux heures, sur la place Saint-Thomas, en présence de la commune (Arch. com., fol. 99). Municipaux et notables y prêtèrent serment à la commune, « dans les mains de son conseil permanent » qui se déclare dissous et désormais sans activité. Un Te Deum fut chanté à la cathédrale, en action de grâces et un feu de joie sur la place de la cathédrale termina la fête. Le nouveau maire, M. Louvel, avait l'après-midi prononcé un discours et le procureur-syndic Michel de la Morvonnais un autre dont nous extrayons quelques passages : « Depuis longtemps on aspirait dans toutes les parties du royaume à la formation de municipalités. On regardait partout l'époque de leur établissement comme devant être celle de la renaissance parfaite du calme et de la tranquillité publique. On fondait avec raison cette espérance sur l'influence toujours certaine d'une autorité légalement constituée. C'est aussi, Messieurs, un des premiers objets qui ait fixé l'attention, les soins et la sollicitude de l'assemblée nationale. Elle s'est occupée dès les premiers temps de ses travaux, de l'organisation de ces établissements qui doivent faire la base de l'édifice politique, le fondement de la nouvelle constitution. Bientôt toutes les communes de France, établies sur les mêmes principes, ne vont plus présenter que le spectacle consolant d'une grande famille, unie par les mêmes intérêts, subordonnée à la même loi et dirigée par les mêmes vues, celles du bonheur commun.

Vous venez, Messieurs, d'exercer pour la première fois le droit le plus digne d'un peuple libre, celui de nommer ses magistrats, ses administrateurs publics....

Aujourd'hui tout nous annonce que nous n'avons plus rien à redouter, le concert le plus parfait règne pour jamais entre le Roi et les représentants de son peuple ; il n'est point de puissance humaine qui puisse désormais troubler une si riante harmonie.

Rappelons-nous l'engagement solennel que le prince vertueux a pris devant l'assemblée nationale de la seconder dans ses travaux et de soutenir de tout son pouvoir une constitution qui doit faire la gloire de son règne et le bonheur de son peuple....

Proscrivons surtout, avec sévérité, cette foule de libelles dont les ennemis de la Révolution ont inondé le public pour le tromper ; ce sont, n'en doutez pas, tous ces écrits incendiaires qui dans plusieurs parties du royaume et de la province ont égaré le peuple au point de le porter à des violences et à des excès que l'on a peine à réprimer et qui affligent tous les bons citoyens….

Que la postérité puisse dire de nous : — Dans une révolution à jamais mémorable, les Malouins furent les plus zélés défenseurs de la liberté, mais ils furent aussi les ennemis de la licence.

Ne perdons jamais de vue que le plus puissant moyen de consolider la nouvelle constitution, c'est de la faire aimer à ceux mêmes dont elle a pu contrarier les intérêts et les préjugés. Que cette grande vérité soit toujours présente à notre pensée ».

Cette belle confiance devait, hélas ! peu durer.

 

B. — L'abolition des exemptions de la garde de la ville.

Le cahier général de la ville (Cahiers de dol., t. III, p. 42) demandait « qu'il y ait enfin une loi formelle et impérative qui assujettisse tous les habitants, sans distinction de rang, de qualité et profession, au paiement de la garde de la ville, et qui ne permette plus à aucun citoyen, de quelque condition qu'il puisse être, de se soustraire à cette contribution à laquelle les femmes, veuves et filles. jouissant d'un patrimoine, seront soumises comme les hommes ».

Renchérissant encore, le cahier de la juridiction ordinaire, voyant dans ces exemptions une nouvelle faiblesse de la municipalité, de dire : « Ce privilège si honorable et si flatteur de se garder soi-même, qu'est-il devenu ? Ils (les municipaux) en ont fait un fardeau pour la classe la plus indigente des citoyens.

Diront-ils que c'est à leur zèle que nous devons la conservation de ce privilège que le militaire voit subsister avec un œil d'envie et dont il a sollicité la destruction ? Hé ! Messieurs, vous avez conservé le privilège de faire garder les murs par vos perruquiers, pour vos cordonniers et autres artisans, ou, pour mieux dire, par des vieillards infirmes qu'ils payent pour cela : Vous gardez, dites-vous, votre ville et vous n'en gardez pas les clefs ? C'est à l'autorité militaire que doivent s'adresser pour entrer ou sortir, dans les nécessités les plus pressantes, des citoyens qui jouissent du droit de se garder eux-mêmes.

Comment le peuple ne regarderait-il pas comme une surcharge un privilège dont les officiers municipaux et tous ceux qui sont destinés à entrer un jour dans la communauté de ville se disent exempts ? Exempts d'un privilège : l'expression n'est pas française au moins, et il y a bien d'autres reproches à lui faire ; on peut dire que tel homme est incapable ou indigne de jouir d'un privilège aussi honorable, mais non exempt.

S'il pouvait exister une liste de gens non contribuables à la garde de la ville, elle ne devrait être composée que de ceux qui avoueraient ne pas se sentir disposés à repousser par eux-mêmes l'ennemi en cas d'attaque. ll y a bien des années que je me récrie hautement contre cette étrange exemption et j'ai offert, tant pour vous que pour moi, de contribuer à ce service, non pas personnellement en temps de paix, puisque nos fonctions ne le permettent pas, mais par hommes en état de porter un fusil et s'en servir, qui seraient à notre solde.

Dernièrement encore, chez le seigneur évêque, où il y avait une nombreuse assemblée, je frondais la prétendue exemption et notre digne prélat déclara vouloir contribuer, comme tous les autres habitants, au service de la garde, soit en proportion de ses facultés pécuniaires, soit à raison du nombre des gens qui composent sa maison [Note : Une lettre de l'évêque de Saint-Malo, adressée à M. l'abbé de Launay de Carheil, chanoine et syndic du chapitre de la même ville, donne son consentement à la contribution de la charge de la garde : « Je vous prie, Monsieur, et vous autorise à en faire la déclaration en mon nom, à l'assemblée de la communauté ……… » (Arch. com BB 40, fol. 35)].

Messieurs du chapitre ne furent pas plutôt instruits de ce projet que par délibération capitulaire du ... (en blanc), ils chargèrent leur député à la maison de ville de souscrire en leur nom la renonciation à une exemption aussi onéreuse à la classe des citoyens qui n'a d'autre ressource pour vivre que son travail journalier et d'en faire déclaration à l'assemblée municipale.

Cette déclaration eût été faite, en conséquence, devant les municipaux s'ils avaient paru disposés à suivre le bon exemple qui leur était donné. Quelques-uns d'eux, mais en très petit nombre et hors l'assemblée, souscrivirent la renonciation. Mais les autres ont fait preuve qu'ils tiennent encore à l'ancien usage ; ils ne sentent pas combien il est révoltant de charger sept ou huit cents journaliers, qui n'ont rien à garder, de la conservation des personnes et des biens de sept à huit mille citoyens ayant des héritages et coffre-forts à mettre en sûreté, et qui refusent d'y veiller par eux-mêmes ou par gens à leur solde ».

Enfin, le cahier général de la sénéchaussée de Rennes (Cahiers de dol., t. IV, p. 280) prenant en considération la plainte qui lui était apportée demandait « que la garde bourgeoise de la ville ne soit plus rejetée sur les citoyens qui ont précisément le moins à conserver, que tous les habitants sans aucune exception et sans distinction de rang, de qualité, de profession, de sexe même, soient assujettis à la payer ».

C'est Henri IV qui avait donné aux habitants de Saint-Malo le droit de se garder eux-mêmes (Arch. d’Ille-et–Vilaine, C 444).

L'article 2 de l'édit d'octobre 1594 indiquait : « Nous ne pouvons fier ni mettre la garde de la ville entre les mains d'autres qui puissent répondre plus fidèlement de la sécurité d'icelle que ceux qui l'ont, parmi tant de troubles et de désordres non sans grande peine, travail et danger de leur personne si bien préservée des prétentions et entreprises pernicieuses de nos ennemis ; nous ne voulons autre garnison pour la sûreté de la dite ville que la bonne volonté et affection que les dits habitants ont à notre service ».

Ce privilège avait été confirmé consécutivement avec plusieurs autres dont les habitants jouissaient, en vertu de lettres patentes de juin 1610 et août 1643, accordées par les rois successeurs d'Henri IV. Les Malouins avaient joui de ces privilèges paisiblement et sans interruption ; leur zèle et leur fidélité n'avaient point fait défaut ; ils en avaient donné des preuves en 1693 et 1695 lorsqu'ils furent assiégés par les troupes navales d'Angleterre et de Hollande, et plus récemment en 1758 lors des deux descentes des Anglais (Saint-Malo historique, p. 136).

La milice bourgeoise comprenait 14 compagnies dont les capitaines étaient nommés par la communauté de la ville. A la tête de cette milice se trouvait un connétable colonel, un lieutenant-colonel pourvus des dits offices en titres héréditaires el d'un aide-major. Chaque compagnie comprenait son capitaine, trois lieutenants, un enseigne, quatre sergents, un tambour ; les soldats variaient en nombre ; en moyenne : 45 hommes (Arch. com., BB 49 fol. 35).

En temps de paix, chaque compagnie devait monter la garde à son tour, au jour et heure indiqués ; la garde durait vingt-quatre heures. La milice était sous les ordres du gouverneur de la ville et en son absence du lieutenant du roi.

La garde s'assemblait dans son quartier (les compagnies étaient réparties par quartiers de la ville), se rendait sur la place d'armes, vis-à-vis le château où se faisait la distribution des postes ; on faisait l'appel et lorsqu'un habitant sujet à la garde y manquait sans raison légitime, on le remplaçait par un locatif, auquel le défaillant devait verser 12 sols pour son remplacement. Souvent il arrivait qu'il y avait plus de défaillants que de localifs. On faisait à ceux-là payer ces 12 sols comme s’ils avaient été effectivement remplacés. Le compte de ces sortes d’amendes devait être tenu jour par jour ; l'officier de garde devait en signer l'enregistrement. L'écrivain des gardes, tous les ans, rendaît ce compte au connétable et colonel de la milice qui lui en donnait décharge. Les petits frais concernant le service, achat, entretien des capotes se prenaient sur cet argent : s'il y avait un solde actif, il était laissé à l'administration de l'hôtel-Dieu au profit des pauvres.

Régulièrement les choses devaient se passer ainsi, mais il y avait des abus fréquents. Les amendes qu’on devait distribuer à l'hôtel-Dieu se distribuaient souvent dans les corps de garde, entre camarades de poste. Dans ces corps de garde, le bois de chauffage était fourni par la communauté depuis la Toussaint jusqu'à Pâques ; il arrivait parfois que l'aide-major autorisait les bas-officiers à coucher chez eux, à la condition qu'ils lui laissent leur bon de bois.

Les invalides acceptaient aussi la garde et concurrençaient les locatifs en accomplissant ce service pour trois sols. Il n'y avait par famille qu'une seule personne soumise à la garde, sauf en cas de présence de l'ennemi.

Sur sept portes, quatre seulement étaient gardées en temps de paix. La fermeture des portes avait lieu à six heures du soir (Arch. com., BB. 41 fol. 5), l'ouverture à six heures du matin. La patrouille commençait à dix heures, le soir.

Comme on voit, le service était assez répété, assez dur : aussi comprend-on tout l'effort fait par les habitants de la ville pour essayer de s’en exempter, Les demandes d'exemption affluent dans les registres de la communauté. C'est le sieur Valais imprimeur et Vincent de Latelle, débitant des poudres et salpêtres qui essaient de s'en exempter. On leur refuse cet avantage (Arch com., BB. 52), MM. Thomazeau père et fils, négociants et marchands à Saint-Malo, réussissent, malgré les protestations de l'assemblée communale, à se faire exempter de la garde (Arch. com., BB. 57 fol. 35). M. Besné de Haute-ville, avocat au Parlement, se plaint qu'on le condamne à monter la garde (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 444) ; il proteste en disant qu'il peut être exempt au même titre que médecins, chirurgiens, et tant d'autres dont l'état n'approche pas de la noblesse, de la profession d'avocat et qui peuvent s'en dispenser. Un autre avocat, M. Pointel de la Corderie, fait aussi des difficultés pour monter la garde en qualité de jeune lieutenant ; le collège des avocats saisi de l'incident décida que la garde de la ville étant un privilège honorable pour elle-même, nul de ses habitants ne peut s'en dire exempt : « les membres du collège se feront toujours un devoir de la monter lorsque tous les citoyens y seront assujettis, » et il prenait parti finalement pour le jeune confrère.

En fait, étaient exempts de cette garde : les ecclésiastiques dans les ordres ou pourvus de bénéfices exigeant résidence dans le lieu, les officiers au service militaire ou retirés avec la Croix militaire de Saint-Louis ou une pension de Sa Majesté, les officiers des maisons royales chargés d'un service annuel dans les dites maisons, les conseillers secrétaires de S. M., les maire, échevins et autres composant le corps de ville, pendant leur administration, les employés du bureau de la marine, les juges et consuls, leurs greffiers et premiers huissiers, les juges de l'amirauté et des traites avec leurs greffiers et premiers huissiers, les juges de la juridiction ordinaire et commune de la ville avec leurs greffiers et premiers sergents, les employés des fermes du roy, de la province et de la ville, tant qu'ils sont dans leurs emplois, les receveurs des deniers de S. M. de la province et de la ville, les directeurs, administrateurs et receveurs de l'hôpital général et de l'hôtel-Dieu, ainsi que leur greffier, pendant le temps de leur administration, les médecins et chirurgiens servant dans les hôpitaux pendant le temps de leur service, les commissaires des poudres, les changeurs, les étapiers et les commis chargés de la fourniture des lits dans les garnisons, les directeur et contrôleur du bureau des lettres, le maître des postes, les jeunes gens qui n'auraient pas atteint l'âge de 16 ans postes, les jeunes gens qui n'auraient pas atteint l'âge de 16 ans accomplis, les septuagénaires et infirmes, les invalides de la marine et les domestiques de toute qualité qui serviront auprès de leurs maîtres et maîtresses ; naturellement, toutes ces exemptions tombaient en cas d'attaque de l'ennemi.

A diverses reprises, les habitants refusent de prendre les armes, bien que la générale ait été battue. C'est, par exemple, à l'occasion de l'entrée d'un nouvel évêque, le jour de la procession de la Fête-Dieu. Le ministre de la guerre, en 1780 (M. de Martbarey ou Martbarcy ?), dut intervenir et faire ordonner que les soldats de la milice bourgeoise de Saint-Malo ne fissent plus de difficultés, sous aucun prétexte que ce puisse être, de monter la garde et de remplir à leur rang les fonctions militaires qui leur furent confiées ou de se faire suppléer lorsqu'ils ne pourraient pas les remplir eux-mêmes ; « en cas de désobéissance de leur part, Sa Majesté autorisait le colonel, le lieutenant-colonel et les capitaines de compagnies à les punir de prison ou à les faire consigner aux portes de la ville. suivant que les circonstances l'exigeront, à la charge d'en informer sur le champ le commandant de la place, pour qu'il confirme la punition ou la fasse cesser, s'il la juge infligée injustement ». Pour donner le bon exemple, les municipaux montent eux-mêmes la garde (Arch. com., BB 40, fol. 33). Les commissaires des communes font aussi leurs efforts pour amener les habitants à se soumettre à ce service ; l'assemblée de la communauté arrête « qu'il sera journellement affiché à la porte du corps de garde de Saint-Vincent une liste des noms des personnes qui auront été commandées pour monter la garde, ainsi que leurs représentants », que les capitaines seront invités et même stimulés de monter leur garde (Arch. com., BB 40, fol. 35).

Mais ces mesures n'arrêtaient pas les abus. Le 15 aoüt 1789 (Arch. com., BB 40, fol. 65), les fusiliers de la 6ème compagnie déclarent que c'est la dernière fois qu'ils montent la garde si tous les habitants n'y sont pas assujettis. Le conseil de la commune avisé exhorte tous les habitants à s'enrôler dans la milice nationale qui avait remplacé nominalemet la milice bourgeoise et à y faire le service nécessaire avec exactitude et zèle...

Si les protestations s'élevaient nombreuses et fréquentes contre l'exemption, elles l'étaient peut-être davantage contre l'inégalité de la charge. En effet, si les habitants de Saint-Malo étaient soumis à la garde de la ville, ils étaient dispensés par là même de l'impôt de casernement et cela procurait à la cité une économie de 9.000 livres par an environ (Arch. com., BB. 40, fol. 137). Il était donc juste d'employer pour lever cet impôt le mode de contribution du casernement dans les autres villes. Il fallait répartir relativement aux facultés de chaque citoyen comme addition à la captation et même aux vingtièmes. Il en résulterait que le citoyen sans propriété immobilière, soumis à la capitation seulement, ne contribuerait à la garde que proportionnellement à sa cote d'imposition.

Un rapport en ce sens ayant été présenté à l'assemblée de la communauté, le 17 octobre 1789, il y fut décrété : 1° qu'il sera formé une compagnie de 60 hommes, sains et vigoureux, sous la dénomination de Compagnie soldée, à la suite de la garde nationale, légion de Saint-Malo, laquelle sera chargée du service militaire, du guet intérieur de la ville, de la conservation et du maniement des pompes à feu, sous les ordres de l'état-major de la garde nationale et sous l'inspection journalière des officiers et bas-officiers de chaque compagnie ... ; les qualifications anciennes de milice bourgeoise et milice représentative demeurent supprimées ; 2° cette compagnie soldée de 60 hommes…. aura un traitement journalier de 12 sols [Note : Les hommes portaient, comme une troupe réglée, veste et culote de drap bleu, revers et parements de drap jaune, le collet de drap rouge à la prussienne, la doublure de serge écarlate et le bouton blanc militaire aux armes de la ville] ; 3° sur ces 60 hommes, 45 seulement seront chaque jour en activité ; 4° une somme de 15.540 livres étant nécessaire pour soudoyer et habiller cette troupe, il sera réparti sur la généralité des habitants, sans exemption quelconque, ( ecclésiastiques, nobles et roturiers, magistrats municipaux, etc.), une somme de 9.000 livres sous le mode d'une contribution qui se lèvera par un rôle général additionnel sur capitation et vingtième, proportionnellement à la cote de chaque contribuable ; 5° le supplément de 6.540 livres sera réparti dans une proportion égale, sans égard à la fortune de chacun, « comme étant représentative de la partie du secours qui est regardé comme personnel ». 6° MM. de l'Etat-Major, les officiers et bas-officiers de la garde nationale ne pourront, sous prétexte de leur service personnel, s'exempter de la contribution .... ; 7° une seule exception à ces régles est faite en faveur des invalides de marine qui n'ont pour vivre que leur demi-solde.

Comme on le voit, sur ce point encore le voeu des Malouins était comblé.

 

C. — La répartition des impositions.

Nous avons étudié par ailleurs dans quelles conditions se faisait la répartition des impôts et fait ressortir leur inégalité entre les villes et plus encore contre les particuliers. Pour y échapper, les habitants de Saint-Malo sont obligés d'agir de ruse ; l'on vit ainsi au cours du XVIIIème siècle (Adm. mun., op. cit. p. 169) de riches négociants ou armateurs qui menacent de se retirer à la campagne pour être moins imposés et que la communauté retient dans la ville en concluant avec eux des abonnements fixant leur imposition à un taux invariable. Naturellement, le reste des habitants en supporte les conséquences et se plaint amèrement de ces faveurs.

Le cahier général de la ville demande donc « que les égailleurs et répartiteurs de tous subsides et impôts dans la ville de Saint-Malo soient désormais pris dans chaque corporation et profession, afin qu'ils puissent en faire une répartition plus juste sur leurs membres dont les facultés leur sont connues. Qu’il n'y ait qu'un seul et même rôle pour tous les citoyens sans distinction et qu'il soit rendu public, afin que chacun puisse en vérifier les cotes » (Cahiers de dol., t, III, p . 43).

D'autre part, le mémoire des abus s'exprimait ainsi à ce sujet : « La municipalité est dans la possession d’élire seule annuellement les commissaires répartiteurs des diverses impositions. Ce corps ayant éprouvé une réforme, la possession peut être respectée, mais sous la modification, bien intéressante pour la commune entière, que jamais répartiteur, ne pourront être choisis dans le nombre des membres de la municipalité, afin d'éviter le plus possible la réunion de divers pouvoirs dans une même main.

Non seulement cette modification importe essentiellement à l'universalité de la commune mais il importe encore davantage que les commissaires soient pris dans les diverses corporations unanimement, de manière qu'elles se trouvent toutes, sans exception, sous le même régime, qu'elles aient l’intérêt uniforme d'une répartition parfaitement exacte, afin que l'une ne puisse pas se plaindre de l'autre. Ce système est le seul propre à mettre un terme à l'arbitraire dans la répartition. D'un côté, qui peut mieux calculer la fortune soit réelle, soit d'industrie des divers individus d'une corporation, qu'un membre de cette partie de la masse générale ? D'un autre côté, qui prémunira plus contre toute inégalité oppressive qu'une assemblée de commissaires, dont chacun d'une corporation distincte, qui se surveilleront respectivement ?. S'il se trouvait qu'un député de chaque corporation formât un ensemble excédant le nombre usuel des commissaires répartiteurs, dans une proportion si haute qu'il serait convenable d'abandonner ce régime, qui empêche alors que chaque corporation alterne pour ce commissariat, encore que la première qui en aura joui ne puisse être appelée que lorsque chacune l'aura obtenue successivement, ce qui assurera le même avantage d'une répartition fidèle, puisque toutes seront sous l'influence immédiate l'une de l'autre, à des espaces périodiques et que toutes auront conséquemment le seul intérêt réciproque d'une égalité parfaite, pour n'être pas victime tour à tour d'une opération contraire ? » (Cahiers de dol., t, III, p. 46). Et l'on ajoutait qu'il importait « d'obliger la municipalité à fournir deux rôles de chaque imposition personnelle et réelle, en sus de la quantité ordinaire, qui seront revêtus des mêmes formes par les commissaires et remis, l'un au chef d'une corporation d'art libéral et l'autre au chef d'une corporation d'art mécanique, qui seront convenues, lesquels chefs en donneront communication sans déplacer, aux membres des diverses corporations, chacun de leur classe, qui les requerront » (Cahiers de dol., t, III, p. 49).

Pour se rendre compte de l'effet produit par ces réclamations, il suffit de comparer les rôles de la capitation de 1787, 1788 et 1789.

En 1787, 4 commissaires seulement établissent ce rôle. Ce sont : MM. Gardin, Rouxel, Bossinot et Dolley (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4097).

En 1788, on en compte 6, les mêmes qu'en 1787 plus : MM. Huard et Le Breton (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4097).

Enfin, en 1789 (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4098) le rôle de la capitation est fait et arrêté, le 2 novembre, par de nombreux délégués des communes et corporations : MM. Brault l’aîné, Poizel, Duguet, Duchesne-Saint-Verguet, Bossinot, Blaize de Maisonneuve, Boucouët, Le Mesle, Le Baillif, Dolley, Brignon de Léhen, L. Rouxel. Grandchamp-Chevalier, Amy de l'Isle, Rousselin, François Halot La Fontaine, Desrochettes, Le Roux, Mettrie-Offray fils et Bautain le jeune.

Là encore les doléances ont porté.

 

D. — La restitution des clefs à la ville.

La demande formulée sur ce point par le cahier de Saint-Malo peut être considérée comme le pendant de celle relative à la suppression des exemptions de la garde. En même temps qu'il confiait aux Malouins le soin de se garder eux-mêmes, l'édit d'Henry IV leur octroyait le dépôt des clefs de la cité. Et c'était là un privilège auquel ils entendaient ne pas renoncer. C'était, à leurs yeux, un droit (Arch. com., LL 88 (H 3), n° 27) inséparable du premier.

Jusqu'à la fin du XVIIème siècle les habitants de Saint-Malo, avaient eu la disposition de ces clefs, soit dans la personne du maire, soit dans celle du procureur syndic. L'insouciance ou le despotisme d'un chef de l'administration commune les en avait dépouillés. Elles avaient été remises aux mains du lieutenant pour le roi au château, qui sentait si bien qu'il les tenait indûment « que dans les cérémonies d'éclat, il n’a jamais prétendu être ostensiblement ce dépositaire ». En effet, il laissait le maire présenter lui-même ces clefs aux personnages de qualité venant à Saint-Malo (Arch. com., BB 40, fol. 33). De plus, de cet abus de pouvoir résultaient pour les habitants des inconvénients sérieux. Il fallait, pour obtenir l'ouverture d'une porte de la ville, tout un cérémonial entraînant un retard nuisible.

Le lieutenant du roi était retiré dans une forteresse, le château, il fallait obtenir l'entrée de la forteresse ; si le citoyen n'était pas connu du chef de poste, il lui arrivait souvent de voir sa demande refusée ; le poste ne la transmettait pas au lieutenant. Ou bien, le lieutenant du roi était endormi ; enfin, si l'habitant qui le requérait obtenait satisfaction, il perdait un temps souvent précieux avant que les clefs ne soient aux mains d'un chef de poste et qu'un détachement pour l'accompagner n'ait été formé. Des exemples malheureux comme le naufrage de 1779 qui ne put être évité par suite du retard apporté à l'assistance de l'équipage et un incendie dont on ne put enrayer les progrès et qui ruina un propriétaire, montrent à quel point ces réclamations étaient fondées.

De plus, le commerce qui avait souvent profiter de la marée de nuit était gêné dans ses opérations par les formalités résultant du dépôt des clefs au château. Aussi décida-t-on, avant même que l'assemblée nationale ne se soit prononcée sur ce point, de se faire justice soi-même et, le 20 juillet 1789, les clefs furent reprises au lieutenant du roi.

M. Chifoliau, colonel de la milice nationale, fut chargé d'aller chez M. Desdorides, commandant du château pour lui faire part de la décision des habitants « assemblés en milice nationale », le prier, le sommer même de rendre les clefs de la ville. Alors qu'il se disposait à aller chez M. Desdorides, M. Chifoliau rencontra celui-ci et lui fit part de cette demande. A quoi le commandant répondit « qu’il lui était impossible de remettre les clefs de la ville et qu'il périrait plutôt que de souffrir qu'on l'en dépossédât ». Puis, comme le colonel et les personnes qui l'accompagnaient insistaient près de lui et lui représentaient que ce refus pourrait avoir des suites fâcheuses, le lieutenant pour le roi déclara que pour les empêcher, il ne ferait pas fermer les portes de la ville. La dixième heure passée et les portes n'ayant pas été fermées, MM. Fichet-Desjardins et Dupuy-Fromy l’aîné, capitaine et lieutenant d'une compagnie de milice, furent députés vers M. Desdorides pour le sommer de faire de suite fermer les portes. Après discussion, celui-ci promit de le faire. A dix heures et demie, un caporal du régiment de Forez vint fermer la porte Saint-Vincent où les opposants étaient assemblés ; on aida le caporal, puis, au lieu de lui rendre les clefs, on les déposa au corps de garde entre les mains de M. Bourno, capitaine commandant de la compagnie qui se trouvait de garde.

M. Bonissent prévint M. Desdorides qui « fit avec honnêteté les plaintes les plus touchantes » ; on lui assura que la communauté des habitants à qui les clefs allaient être remises prendrait tous les moyens possibles pour qu'il ne reçut auncun reproche de ses supérieurs.

Le 21 juillet, les clefs furent portées en grande pompe à l'assemblée commune (Arch. com., BB 40, fol. 38). On ouvrit les deux battants de la porte de la salle d'assemblée et M. Chifoliau « présenta les clefs des portes de la ville dont la milice nationale s'était fait une gloire et un honneur de se ressaisir ».

Le dimanche suivant, pour commémorer cet heureux événement, un feu de joie fut allumé sur la place Saint-Thomas, trois salves de canon de neuf coups chaque furent tirées sur les tours de la grande porte et les habitants illuminèrent leurs maisons.

Enfin, le 29 juillet (Arch. com., BB 40, fol. 49), M. Fichet apportait au conseil cinq clefs de la porte du Secours que le lieutenant du roi, cédant au vœu des habitants, lui avait remises. C'était la capitulation complète.

(Yves Bazin).

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