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Les événements de Rennes et leur répercussion à Saint-Malo

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Les derniers Etats de Bretagne en 1789.

Les événements de Rennes et leur répercussion à Saint-Malo.

Les édits de mai 1788 que Louis XVI venait de prendre concernant l'organisation judiciaire, et dont les innovations principales consistaient dans la suppression des tribunaux d'exception et la création de cours inférieures, avaient déchainé dans le royaume une agitation considérable. La Bretagne, à cette occasion, se fit remarquer par sa ténacité, et soutenant, en ce faisant, le Parlement directement atteint par ces édits qu'il avait refusé d'enregistrer, les principales villes de la province manifestèrent leur vif mécontentement. L'on sait le coup de force que le gouverneur, M. le comte de Thiard, fut obligé d'employer contre le Parlement et l'indignation qu'il souleva.

Saint-Malo épousa la querelle du Parlement de Rennes et les corps constitués de la ville témoignèrent véhémentement de leur attachement à la tradition. Les membres de la juridiction ordinaire se réunirent en assemblée extraordinaire le 10 mai 1788 (Archives d’Ille-et-Vilaine. Parlement de Bretagne, B 81). Les édits venaient d'être enregistrés sous la pression de la force et le procureur fiscal fait entendre sa protestation :

« Ces édits portent atteinte, dit-il, aux droits, franchises et libertés de la province, comme aux maximes fondamentales et constitutionnelles de la monarchie. Peut-on croire que ces actes soient l'expression de la volonté de notre Souverain ? Si l'ordonnance sur l'administration de la justice était exécutée, vos fonctions, Messieurs, seraient réduites ; nous ne serions plus que les simples spectateurs de l'administration de la justice, car la nouvelle ordonnance nous soumet au présidial du grand baillage ».

Le 7 juin, le procureur ajoutait : « On ne peut lire sans douleur et sans indignation la suite des outrages et des vexations exercées contre les chefs de la magistrature par des gens de guerre stipendiés par la nation pour veiller à sa défense et qu'on rassemble au milieu de la paix, comme s'il s'agissait de subjuguer un pays ennemi... Le temple de la justice est transformé en caserne, on en a fait un arsenal... Toute la conduite personnelle de notre Souverain annonce son respect pour les lois, son désir de rendre son peuple heureux et de s'en faire aimer ; il est trompé comme tant d'autres rois l'ont été, mais il ne nous est pas pour cela moins cher ».

Les avocats déclarent « qu'ils ne sauraient accepter quelque place que ce fût dans les tribunaux créés sur les ruines des privilèges du pays ».

Les intentions royales étaient des meilleures pourtant ; cette réforme qui soulevait l'opinion et surtout le monde judiciaire était tentée dans un but généreux. Le roi voulait, disait-il (Arch. d'Ille-et-Vilaine, série II. 2, n° 58), « que les juges soient rapprochés des justiciables, que les degrés de juridictions et de tribunaux ne soient pas indiscrètement multipliés ; enfin que les pauvres ne soient pas dans l'impossibilité de tenir justice par l'impossibilité d'y avoir recours ».

L'assemblée de la communauté de la ville présidée par M. Sébire soutint aussi dans l'occurence les protestations de la magistrature et du barreau (Arch. com., BB. 40). « Vous avez, dit M. Sébire, partagé les alarmes et les craintes qu'ont fait naître dans tous les cœurs l'anéantissement de la magistrature, la subversion totale de nos lois et les atteintes portées à l'ancienne constitution de la France et singulièrement aux droits, franchises et libertés de la Bretagne. Le silence que nous avons gardé dans ces circonstances affligeantes ne peut pas être envisagé comme un défaut de zèle patriotique de notre part. La ville de Saint-Malo en a donné de tous temps de fréquentes preuves ; si nous avons gardé le silence, notre amour et notre inviolable fidélité pour le meilleur des Rois nous ont suggéré les vœux que nous ne cessons de former pour que la vérité parvienne enfin jusqu'au trône, que Sa Majesté éclairée par elle sur ses véritables intérêts et ceux de la nation qui en sont inséparables, fasse, dans sa justice et dans sa bonté, cesser l'anarchie en rétablissant notre ancienne constitution, les lois et la magistrature ».

Mais si la connaissance des édits jeta le trouble dans la province, la véritable agitation populaire se fit sentir principalement lors de l'emprisonnement des douze gentilshommes bretons chargés de porter aux pieds du trône les réclamations de la province contre ces édits (Les origines de la Révolution en Bretagne, t. I, p. 231 et suiv. B. Pocquet). Une commission avait été établie à Saint-Malo en vue de la correspondance des gentilshommes du diocèse de Saint-Malo et des autres évêchés de la Bretagne pour appuyer ces douze députés. Elle comprenait MM. de Robien et de Lys, MM. de la Grezillonnais, Vousselin, Sébire et Bossinot (Arch. com., Grandes recherches. Manet).

Ces douze députés furent, on le sait, arrêtés dans la nuit du 13 au 14 juillet 1788 et enfermés à la Bastille. L'émotion causée par cette nouvelle fut énorme ; les femmes de ces députés, douze membres du Parlement, puis dix-huit nouveaux gentilshommes veulent essayer d'obtenir la délivrance de ces « héros de la Bretagne » : leurs efforts furent vains (Les origines de la Révolution en Bretagne, t. I, p. 238 et suiv. B. Pocquet). Les commissaires de la correspondance pour l'évêché de Saint-Malo (Arch. com., GG 298) envoyèrent aux députés une lettre-circulaire ainsi conçue : « Le tribut de l'estime, de l'amour et de la reconnaissance de tous les ordres est le seul prix que l'on puisse offrir à des patriotes qui se sont si généreusement dévoués pour la cause commune... La gloire que vous vous êtes acquise dans votre auguste mission, et dont l'éclat vous a environnés, même dans l'obscurité des prisons, sera pour vous et votre postérité un titre immortel.. ».

Mais il fallait pourtant obtenir la liberté des détenus et l'on décida l'envoi au roi de cinquante-trois députés chargés de la réclamer une dernière fois. Les gentilshommes de l'évêché de Saint-Malo élirent pour cette mission : MM. de Montmurau et du Chastel ; le tiers : MM. Sébire, Bossinot [Note : M. Jallobert fils, anciens consul de Saint-Malo à Paris, remplaça MM. Sébire et Bossinot à cette députation] ; le clergé : MM. de Launay de Carheil et Collet. L'on sait la ténacité avec laquelle ils soutinrent devant le roi leur demande et le résultat de leur démarche. Ils eurent gain de cause sur toute la ligne puisque, non content d'ouvrir aux douze premiers députés les portes de la Bastille, le roi promit une prochaine tenue d'Etats, la levée de lettres de cachet, le retrait des édits, le rappel du Parlement.

Quand l'heureuse nouvelle de l'élargissement des détenus fut connue à Saint-Malo, la municipalité fit tirer des tours de la Grande-Porte une volée de coups de canons (Arch. com., GG 298), et la commission de correspondance s'empressa de rendre grâces aux cinquante-trois députés des trois ordres « pour avoir aussi généreusement contribué au bonheur de leur nation et à celui de leur province ... ». L'annonce de la convocation des Etats généraux pour le 7 janvier 1789 et du rappel du Parlement fut accueillie encore avec plus de joie. Le procureur du roi près le siège de l'amirauté (Arch. du Trib. de com., Registres d'audiences. 1788-1792) après avoir, le 4 octobre 1788, fait un saisissant tableau de la période troublée qu'on venait de traverser, se félicita de la disgrâce dont avaient été victimes les douze gentilshommes bretons, « puisque cette disgrâce devait se résoudre en une révolution si consolante ; elle a éprouvé les courages, elle a réveillé le patriotisme ; elle a ranimé l'amour des lois dans les cœurs des citoyens et serré les nœuds qui unissent les trois ordres de la province ; elle a manifesté les sentiments paternels de Sa Majesté qui a bien voulu retirer ses édits dès qu'on lui a fait connaître qu'ils étaient en opposition avec l'équité et la justice... ». Et le siège invita, en l'honneur de la rentrée du Parlement, « tous propriétaires, capitaines, consignataires et préposés à la garde des vaisseaux et bâtiments de mer, même les conducteurs de bateaux dans les ports et havres de Saint-Malo à les orner de leurs pavillons, flammes et autres décorations d'usage aux jours de fête et de réjouissance pour le mercredi 8 octobre, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil ». Une députation du siège fut envoyée porter au Parlement ses compliments.

De son côté, la municipalité manifesta publiquement sa satisfaction (Arch. com., GG 298). Elle fit tirer neuf coups de canon à 8 heures du matin et répéter cette salve à 5 heures du soir ; puis le corps municipal, précédé de ses gardes, se rendit en cérémonie sur la place Saint-Thomas, accompagné des députés du chapitre et précédé de M. l'abbé Collet, un des cinquante-trois députés à Paris, et de MM. les Commissaires de la correspondance du diocèse de Saint-Malo. Sur la place Saint-Thomas. M. Sébire, maire, présenta un flambeau à MM. de l'ordre de l'Eglise qui le déférèrent à M. Collet, et un autre à M. le chevalier de Robien, membre de la commission ; ces messieurs mirent le feu au bûcher préparé à l'avance. Cette cérémonie se termina « aux cris d'acclamations du peuple et à l'alleluia sonore des canons des remparts ». A 9 heures, illumination générale de la ville ; la juridiction de la seigneurie avait placé au frontispice de son auditoire un transparent représentant Thémis avec ses attributs foulant aux pieds un gros dragon et un long serpent avec les mots tirés de Tacite : « Majora legum quam hominum imperia ». A l'occasion de cette fête, le chapitre donna 300 livres pour les pauvres et la communauté leur fit distribuer 12 à 13.000 livres de pain.

Les trois ordres, on le remarquera, manifestent en cette occurence une parfaite unité. Cette union est de surface et spéciale à une question d'organisation judiciaire. Si le peuple de Bretagne appuyait ici le Parlement dans sa lutte contre le pouvoir royal, c'était bien moins pour affermir la puissance de ce grand corps que pour manifester son désir d'atteindre la Constitution. D'autres questions commençaient d'agiter les esprits : c'étaient surtout celles du doublement du tiers et du vote par tête que, sans se lasser, la bourgeoisie n'allait plus cesser de réclamer.

Les Etats de Bretagne, fixés d'abord au 29 octobre, furent renvoyés au 29 décembre 1788. Durant cette période d'attente, il y eut dans la province un mouvement important en faveur des desiderata de l'ordre du tiers. Une multitude de brochures fut répandue à travers la province, semant trop souvent, avec de justes idées, des erreurs néfastes. Voici quelques titres de ces brochures (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 3900) : Formes et causes de la convocation des Etats généraux. — Réflexions d'un magistrat sur la question du nombre et celle de l'opinion par ordre ou par tête. — Pétition des citoyens domiciliés à Paris. — Ce qu'on n'a point dit. — Lettres véhémentes, la première au clergé par un ancien prélat ; la deuxième à la noblesse par un gentilhomme citoyen, la troisième au Tiers-État par un franc-bourgeois. — Qu'est-ce que le Tiers-Etat. — Serait-il trop tard ? Aux trois ordres. — Le peuple instruit par les faits. — Avis au Tiers-Etat (publié à Londres, 1788), etc... La Sentinelle du Peuple, en particulier, imprimée à Rennes, se livre contre la noblesse à des attaques extrêmement violentes…

Dans son assemblée du 12 novembre (Arch. com., BB 40, fol. 12), la communauté de Saint-Malo exposa longuement les réclamations qu'elle chargeait ses députés de porter aux Etats de Bretagne, en vue de la tenue des Etats-Généraux annoncés pour le mois de janvier suivant. Cette délibération étant reproduite entièrement par MM. Sée et Lesort (Cahier de doléances…), nous ne faisons que la résumer.

La communauté demandait  :
1° Que le président du Tiers soit électif et librement choisi par le député de cet ordre ;
2° Que la représentation du Tiers cesse d'être illusoire et que cet ordre qui forme les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population de la province et en supporte presque toutes les charges, puisse balancer l'influence des deux autres ordres, et soit pour cela composé d'un nombre plus considérable de députés... dans la proportion au moins d'un sur mille individus. Aucun noble ou anobli ne pourra être nommé parmi ces représentants... parce que pour représenter le peuple, il faut être vraiment de sa classe et ne tenir à rien de ce qui peut altérer ou refroidir le zèle que l'on doit à ses intérêts ;
3° Que pour procéder à l'élection des dits députés du Tiers aux Etats, les généraux des paroisses ou corporations nomment un ou plusieurs députés qui s'assembleront avec les officiers municipaux du chef-lieu de district pour nommer les dits députés, pris autant que possible dans toutes les classes ;
4° Que, dans les commissions intermédiaires, ainsi que dans les bureaux de commissions particulières des Etats assemblés, le nombre des commissaires dans l'ordre du Tiers soit égal à ceux réunis des deux ordres du clergé et de la noblesse, et que les voix continuent de s'y compter par têtes ;
5° Que MM. les Recteurs des paroisses de villes et campagnes soient admis aux Etats dans l'ordre de l'Eglise, en nombre au moins égal au surplus de cet ordre, pour y avoir voix délibérative. Leurs députés ne seront que de condition roturière ;
6° Que l'une des places de procureurs généraux syndics soit remplie par un du Tiers ;
7° Que la première nomination qui aura lieu d'un greffier en chef des Etats, soit également en faveur d'un membre du Tiers, et qu'à l'avenir cette place soit alternativement remplie par la noblesse et le Tiers ;
8° Que la perception des fouages faite sur le Tiers seul soit répartie sur les trois ordres ;
9° Que le paiement des vingtièmes soit mieux réparti ;
10° Que la corvée en nature soit définitivement et irrévocablement supprimée ;
11° Que la répartition de la capitation soit faite dans une proportion égale entre les ordres de la noblesse et du Tiers, et qu'il n'y ait qu'un seul et même rôle pour les deux ordres ;
12° Qu'il soit construit des casernes pour le soulagement du peuple ;
13° Que les établissements, dons et pensions en faveur de la noblesse et de ses enfants, jusqu'à présent à la charge de la Province, demeurent à la propre charge de l'ordre de la noblesse [Note : Ces demandes s’inspiraient d'une déliberation des officiers municipaux de Nantes, B Pocquet, Origine de la Rev., op. cit., p 7] ;

De plus, la communauté ajoute que ces réclamations sont si justes que la noblesse et le clergé ne sauraient s'y opposer. Toutefois, si, contre toute vraisemblance, cette opposition se faisait sentir, le devoir des députés du Tiers est net. « Ils sont très expressément chargée de ne s'en départir, sous tel prétexte que ce puisse être et, dans ce cas, de refuser formellement à concourir à la tenue des Etats jusqu'à ce qu'ils n'aient obtenu le dit redressement sur tous les points » ; puis, se retournant vers le roi, la communauté continue : « d'en donner avis…. afin qu'il puisse être pris des mesures ultérieures pour recourir directement au Souverain. On doit attendre toute justice d'un roi bienfaisant qui aime autant son peuple qu'il en est aîmé, et qui, sentant avec douleur toute l'étendue des maux et des abus…, s'exprime dans sa déclaration mémorable du 23 septembre dernier dans ces termes si consolants : Le bien est difficile à faire, nous en acquérons chaque jour la triste expérience. Mais nous ne nous lasserons jamais de le vouloir et de le chercher ».

Dans cette délibération, enfin, les députés de la ville aux Etats étaient autorisés à se concerter avec les autres députés du Tiers pour la rédaction et la publication d'un mémoire commun et général comprenant tous les griefs et doléances du Tiers-État.

Ces députés furent nommés, le 15 décembre 1788 (Arch. com., BB 40, fol. 18), par la communauté. C'étaient MM. Sébire l'aîné, maire, qui avait été déjà appelé à cette fonction, en octobre, alors que la réunion des Etats était encore fixée pour le 29 du mois, et M. de Jallobert, remplaçant M. du Hautcilly. L'assemblée priait ses députés de se rendre à Rennes huit jours avant l'ouverture des Etats, afin qu'ils puissent prendre des mesures conformes à la délibération du 12 novembre, avec charge d'adjoindre aux plaintes la demande du retrait de l'arrêt du Conseil du 11 juin 1763, portant réglement pour l'élection des maires [Note : Cette mission confiée à M. Sébire l'empêcha, malgré sa fatigue, de donner se démission de maire. C'eût été illogique, en effet, de faire cette réclamation et de présenter en même temps pour sa succession trois sujets au choix des Etats]. Un mémoire des différentes corporations de la ville fut remis encore à ses députés pour qu'il soit lu également aux Etats [Note : Il eût été intéressant de connaître ce mêmoire intitulé : « Réquisitoire fait par toutes les classes des citoyens de la ville de Saint-Malo à l'assemblée de la communauté de cette ville, du 15 décembre 1788 ». Il n'est pas aux archives].

Pendant les six jours qui précédèrent les Etats, les députés du Tiers, réunis à Rennes, établirent le cahier de leurs revendications communes. Puis, le 25 décembre, les Etats s'ouvrirent solennellement.

Tout faisait prévoir que la première séance serait très orageuse. D'une part, le parti bien arrêté des députés du Tiers de faire aboutir leurs réclamations avant toute discussion des affaires courantes, la promesse qu'ils avaient faite dans leurs villes respectives de refuser leur concours aux Etats tant qu'ils n'auraient pas reçu satisfaction, et, d'autre part, l'opposition présumable de la noblesse permettaient de penser que l'habileté même du commandant comte de Thiard ne saurait triompher de ces difficultés. L'on sait ce qui advint (Arch. com., Grandes recherches. Manet) ; la plupart des membres des deux ordres privilégiés ayant refusé d'entendre même la lecture des réclamations du Tiers avant qu'on ait terminé le règlement des affaires générales de la province, l'animosité la plus ardente se fit jour dans l'ordre du Tiers dès la deuxième séance. L'insurrection, les risques en furent le triste résultat, de telle sorte que le roi jugea à propos de suspendre, le 3 janvier, les Etats jusqu'au 3 février suivant. Le comité établi à l'effet de correspondre avec les députés regrette cette décision et il écrit (Arch. com., BB 57) à M. Dufaure, intendant, « que si le dit arrêt (3 janvier), au lieu de suspendre le travail des Etats, avait ordonné à l'ordre du Tiers de se conformer au règlement des Etats, en nommant des commissions intermédiaires pour la chiffrature du registre et fait injonction (ce préalable rempli par le Tiers), à ceux de l'Eglise et de la noblesse d'entendre la lecture du cahier des réclamations du premier de ces ordres, nous ne serions pas dans la situation embarrassante dans laquelle nous nous trouvons ».

La noblesse résolut de ne pas désemparer et, s'étant cantonnée dans la salle des Etats, s'engagea par serment solennel à ne rien changer à la constitution de la province. D'où conflit aggravé, exaspération et bientôt émeutes. Les journées des 26 et 27 janvier virent de sanglantes luttes qui prirent naissance au champ de Montmorin. Les étudiants en droit et les jeunes Rennais prennent parti pour le tiers et font appel à leurs camarades de la province. De nombreux jeunes gens de Saint-Malo et Saint-Servan partent, le 29 janvier, pour Rennes, aux cris de « Vive le Roi ! Vive le Tiers ! » : ils vont aider leurs frères, « à faire rentrer — selon leur expression — dans le devoir de l'humanité, les maîtres et les valets ». Nantes et Lorient envoient aussi des délégations, si bien qu'en quelques jours Rennes comptait de huit à neuf cents confédérés. Sur ces entrefaites, les députés de la noblesse se séparaient.

Au retour des jeunes Malouins, le 6 février, tous ceux de leurs camarades qui n'avaient pu les accompagner, allèrent au devant d'eux jusqu'à Saint-Jouan, escortés d'une troupe de comédiens et de musiciens montés sur un char. On les reçut au son des tambours. Le soir, tous se rendirent à la salle de spectacle où l'on donnait le Maréchal-Ferrant ; en leur honneur on fit chanter, au cours de la représentation, quatre couplets où Louis XVI était béni comme l'appui de la France. Quelques jours plus tard, on reçut avec enthousiasme de jeunes députés de Rennes et de Nantes qui venaient faire signer un acte de « Confédération capable d'en imposer à l'ordre de la noblesse ».

De leur côté, les membres de la communauté de ville manifestaient leurs sentiments (Arch. com., BB 40, fol. 20 et suiv.). « L'assemblée voit avec peine le refus opiniatre que MM. du Clergé et de la Noblesse ont fait d'entendre même la lecture des justes réclamations du Tiers-Etat, mais elle ne craint pas que ce refus diminue la fermeté de l'ordre. Quelles que soient les injonctions que pourrait rapporter de la Cour l'exprès dépêché par M. le comte de Thiard, la communauté sait que les députés ne peuvent y obtempérer, ni même délibérer sur quoi que ce soit, avant qu'il n'ait été fait droit aux justes demandes du Tiers. Au cas où les ordres qu'on attend seraient tels que la noblesse l'insinue » (c'est-à-dire le mépris des volontés du Tiers), l'avis de la communauté était qu'il fut fait une députation nombreuse, soit de MM. les Députés aux Etats, soit de MM. les Adjoints agrégés, co-députés ou même de députés que chaque ville nommerait, pour porter au roi le vœu de venir efficacement au secours de l'Etat, demandant seulement que la composition des états, des commissions intermédiaires et autres chargées de la répartition des impôts soit plus propre à assurer dans tous les temps l'égale répartition de ces mêmes impôts et, qu'en conséquence, ces assemblées soient formées « d'1/6 du clergé, d'1/6 de la noblesse et de 3/6 du Tiers-Etat (sic), lesquels voterait par tête et non par ordre ».

Pour transmettre ce voeu de la communauté aux députés, aux Etats, et correspondre avec eux, furent nommés : MM. Bossinot, lieutenant du maire, Duhautcilly, Deshais, Quesnel et Apuril de Kerloguen. Ces délégués n'eurent pas à intervenir.

M. Sébire, député aux Etats, qui correspondait avec les officiers municipaux, les met au courant de la situation faite au Tiers et comme il leur demande leur avis sur la question de savoir s'il devait céder sur ce qui concerne le vote par tête quand il s'agit des impôts, des demandes du roi, des gratifications et de tous les objets relatifs à la disposition des fonds publics, les membres de la communauté se contentent « de l'autoriser, ainsi que son collègue, M. de Jallobert, à suivre prudemment l'avis du plus grand nombre des députés du Tiers ».

Mais la noblesse fait agir auprès du roi et essaye d'obtenir par son intermédiaire le retrait des réclamations de l'ordre du Tiers. M. Quesnel, ancien prieur consul, et Duguen, ancien procureur du roi du consulat de Saint-Malo, sont nommés par la communauté à l'effet de se joindre à la députation générale du Tiers-Etat de Bretagne chargée de porter au pied du trône ses réclamations et protestations. De son côté, l'intendant de la province écrit à la communauté pour appuyer l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi, tendant à ce qu'il soit donné de nouvelles charges à ses députés de la province. Comme de juste, l'assemblée y répond en déclarant qu'elle ne peut rien changer aux cahiers des demandes du Tiers, « parce que ces cahiers ne sont pas seulement l'ouvrage des municipalités des villes, mais le résultat d'un arrêté général de tous les corps, classes, corporations et communes de toutes les parties de la province et, conséquemment l'expression du vœu unanime de toute l'assemblée du Tiers, parce que, d'autre part, toutes les villes et communautés de la province, ayant formé une députation générale en cour, pour porter aux pieds du trône les griefs du Tiers et réclamer une justice, la communauté de Saint-Malo, comme celle des autres villes, ne peut qu'en attendre le résultat avec confiance et respect ». Puis, protestant toujours de sa fidélité au roi, l’assemblée, l'organe de tous les citoyens, « déclare que cette ville s'est toujours distinguée par son attachement et son amour inviolable pour les rois, que ces sentiments sont innés dans tous les cœurs de ses habitants, etc... qu'aucune ville du royaume ne l'emportera jamais sur elle pour l'amour, le respect, l'attachement et le dévouement le plus parfait à la personne sacrée de Sa Majesté..., qu'en défendant et comme hommes libres et comme Bretons des droits imprescriptibles qui reposent sur les bases d'une justice éternelle et inaltérable, les Malouins auront toujours devant les yeux ce qu'ils doivent à leur roi, dans la justice et la bonté duquel ils fondent tout leur espoir ». La reprise des Etats ayant été fixée au 3 février, M. Michel de la Morvonnais et Danycan l’aîné furent élus à l'effet de représenter la ville à l'assemblée du Tiers ; ce qui portait à quatre le nombre des députés de Saint-Malo.

Pour répondre aux attaques dont le Tiers était l'objet et à l'inculpation portée contre lui devant le roi de mettre obstacle à l'expédition des affaires de Sa Majesté, la communauté déclarait, le 29 janvier, qu'elle n'avait jamais entendu empêcher ses députés aux Etats de délibérer provisoirement sur toutes affaires du roi et sur toutes demandes pouvant être faites en son nom par MM. les Commissaires aux Etats ; elle consent que toutes impositions ordinaires pour l'année 1789 soient levées à la manière accoutumée, afin que les engagements de l'Etat et le service de S. M. n'en puissent souffrir de façon quelconque. Elle donnait pouvoir et procuration à ses députés, en reprenant le travail au point où les Etats ont été suspendus « de concourir à la nomination des commissaires pour la chiffrature du registre, de consentir de continuer les pouvoirs des commissions intermédiaires pendant la durée de la tenue seulement ; le tout sans nuire ou préjudicier aux demandes et réclamations du Tiers et sous toute réservation ce touchant ».

Conformément à l’arrêté du roi du 20 janvier et à la lettre de l'intendant, M. Dufaure chargé de l'exprimer, deux nouveaux députés — ce qui faisait six en tout — sont élus par l'assemblée. C'étaient : MM. Corbillet et Bourdas.

Pour en imposer aux émeutiers et parer à la guerre civile que ne devait pas manquer de provoquer la reprise des Etats, le 3 février, le commandant de Thiard fit venir de Saint-Malo deux cents hommes et six pièces de canon (Origines de la Révolution, op. cit., t II, p. 284 et suiv.). Puis sentant au dernier moment que la force même n'aurait pas suffi à éviter de nouveaux malheurs, il obtint du roi la suspension indéfinie des Etats de Bretagne. Le Tiers-Etat s'était réuni à l'hôtel du ville en nombre accru, nous l'avons vu ; sur les instances du commandant de Thiard, il vota les impositions déjà reconnues par les deux autres ordres, puis après avoir tenu quelques autres séances sans intérêt, se sépara le 21 janvier 1789.

Et ce furent les derniers Etats de Bretagne, la suprême manifestation de sa représentation provinciale.

(Yves Bazin).

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