Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

DÉLIBÉRATIONS DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE DE SAINT-MALO EN 1788 et 1789

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Saint-Malo 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

SAINT-MALO.

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 12 novembre 1788.

Note : Les passages imprimés en italique sout empruntés à l’Arrêté des officiers municipaux de la ville de Nantes, du 4 novembre 1788.

(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40 [Registre des délibérations de la communauté de ville], fol. 12 v°-17 v°.. — Impr. en deux brochures in-4°, chez VALAIS, à Saint-Malo : la première, comprenant le début de la délibération, jusqu'aux mots « Après avoir conclu et arrêté la délibération précédente... » exclusivement, sous le titre Délibération et arrêté de la communauté de ville de Saint-Malo concernant les représentations des ordres aux Etats généraux et leur composition, 5 pages [Arch. commun. de Saint-Malo, AA 3 ; Bibliothèque du château de la Hamonais, à M. de La Grimaudière, exemplaire provenant de la collection de M. de La Borderie ; collection de M. G. Saint-Mleux, président de la Société archéologique de Saint-Malo] ; la seconde, comprenant la fin du texte, sous le titre Délibération et arrêté de la communauté de ville de Saint-Malo concernant la représentation des ordres aux Etats particuliers, 12 pages [Arch. Nat., H 563, n°. 169 ; Biblioth. Nat., Lb39 689 ; Arch. commun. de Rennes, Cartons des Aff. de Bretagne, E ; Bibliothèque du château de la Hamonais, exemplaire provenant de la collection de M. de La Borderie ; collection de M. G, Saint-Mleux, à Saint-Malo]).

M. Sébire l'aîné, maire, a dit :
« Messieurs. La France touche bientôt au moment heureux de voir la nation assemblée en Etats généraux que le Roi a bien voulu accorder au voeu de ses peuples. Il en a fixé la convocation dans le courant du mois de janvier prochain par sa déclaration du 23 septembre dernier, et Sa Majesté est maintenant environnée des notables de son royaume, qu'Elle a appelés auprès d'Elle pour délibérer avec eux sur leur composition.

C'est le premier objet qui a fixé son attention et sa sollicitude ; en portant ses regards sur les tenues qui ont eu lieu en différents temps, sous ses augustes prédécesseurs, Elle a vu que, si la majeure partie de ces assemblées n'avait pas toujours produit tout le bien et les avantages qu'on en devait attendre, c'est qu'elles étaient mal composées et surtout que l'influence que chaque ordre devait naturellement y avoir n'était pas suffisamment balancée ; que la dernière tenue de 1614, peut-être la moins vicieuse dans sa formation, laissait encore beaucoup de choses à désirer à cet égard ; que l'ordre de l’Eglise, par exemple, n'était représenté que par des prélats, des abbés et des députés des chapitres, sans aucun membre pris dans la classe des curée et recteurs ; que l'ordre du Tiers était encore composé d'une manière moins régulière et plus incomplète, puisqu'il n'était représenté que par des officiers de justice et de finances, dont la plupart même étaient nobles, anoblis ou sollicitants de l'être ; pas un négociant, pas un marchand, et surtout pas un représentant des laboureurs et des habitant des compagnes.

Sa Majesté a bien senti qu'une assemblée formée sur ce pied ne pouvait jamais remplir ni ses vues paternelles, ni les espérances de la Nation ; que, pour en recueillir tous les avantages que l'on doit en attendre, il fallait y appeler des citoyens de toutes les classes et surtout établir de la proportion dans l'influence que chaque ordre doit avoir.

C'est pour y parvenir que, par arrêt de son Conseil du 5 juillet dernier, Sa Majesté a bien voulu manifester l'intention de s'aider, dans un préliminaire aussi important, des connaissances et des lumières de tous ses sujets ; qu'elle a, à cet effet, prescrit aux différentes provinces, à tous les corps, à toutes les communautés, à tous les particuliers même, de lui faire connaître le vœu de ses peuples et de lui faire parvenir tous mémoires et délibérations à cet égard, afin de rendre cette assemblée (pour se servir des termes si touchants de Sa Majesté) la réunion générale d'une grande famille ayant pour chef le père commun.

Dans cet état, la communauté de la ville de Saint-Malo croirait manquer à ses devoirs et mal répondre à la confiance des citoyens qui la composent, si elle différait plus longtemps de prendre une délibération pour adresser le voeu du Tiers Etat à M. le Garde des Sceaux, en conformité de l'arrêt du Conseil du 5 juillet ».

Sur quoi l'assemblée, délibérant, a arrêté de demander à Sa Majesté et de la supplier très humblement :

Premièrement, que les curés ou recteurs, tant des villes que des campagnes, cette classe utile et nombreuse d'ecclésiastiques qui remplissent, pour ainsi dire, toutes les fonctions pénibles du sacerdoce, qui voient de plus près les besoins et la misère des peuples, qui la soulagent et l'adoucissent à chaque instant et trop souvent la partagent avec eux, soient appelés aux Etats généraux dans l'ordre de l'Eglise, pour y avoir suffrages et voix délibérative, à l'effet de quoi il leur sera permis d'élire entre eux des députés, au moins en nombre égal à ceux des évêques, abbayes et chapitres, lesquels députés ne pourront être que des curés ou recteurs roturiers.

Secondement, que l'ordre du Tiers, qui compose les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la Nation et qui supporte la majeure partie des subsides et des charges de l'Etat, soit représenté par un nombre de députés au moins égal à ceux réunis du clergé et de la noblesse, seul moyen de parer à la trop grande influence de ces deux ordres et de proportionner celle que le Tiers doit naturellement avoir. Que ses députés soient choisis par lui seul, en pleine liberté, entre gens indépendants de toute influence étrangère, et qu’en conséquence, dans le nombre de ses représentants, non plus que pour son président, dont il aura également la libre élection, il ne puisse étre nommé aucun noble, anobli ou même jouissant des privilèges des nobles ou anoblis sans l’être, subdélégués du commissaire départi, sénéchaux et procureurs fiscaux des seigneurs, régisseurs, receveurs, agents ou fermiers de la noblesse et du clergé, employés dans les fermes ou régies du Roi ou de la province, de quelques dignités, charges ou offices qu’ils soient revêtus. Qu’au surplus les députés du Tiers ne soient pas seulement pris dans les villes, mais qu’il en soit pris en nombre suffisant parmi les habitants des campagnes, classe la plus nombreuse, la plus importante et la plus chargée de la nation, à l'effet de quoi ils s'assembleront par district pour en faire l'élection ; enfin, que tous les dits députés soient pris, autant que faire se pourra, dans toutes les classes des citoyens du Tiers Etat.

Et, pour faire parvenir la présente délibération à Sa Majesté, l'assemblée a arrêté qu'il en serait adressé copie à M. le Garde des Sceaux conformément à l'arrêt du Conseil du 5 juillet dernier, même à M. le Contrôleur général des finances, M. Laurent de Villedeuil et M. de Malesherbes et à toutes les communautés de ville de la province, avec prière de faire part à celle de Saint-Malo des délibérations qu'elles pourront prendre de leur côté pour l'intérêt général, à l'effet de quoi la présente sera imprimée pour en tirer le nombre d'exemplaires suffisant.

Après avoir conclu et arrêté la délibération précédente, l'assemblée continuant, M. Sébire l'aîné, maire, a dit :

« Messieurs. Depuis quelque temps, on s'est occupé plus que jamais de rechercher les causes de la misère des peuples. La principale n'en était déjà que trop connue : elle existe, sans doute, dans le fardeau excessif de subsides et de charges qu'ils supportent. Mais on n'a pas eu de peine à se convaincre, en même temps, que le peuple serait infiniment soulagé si, d'un côté, on ne voyait pas avec peine que l'on a rejeté sur lui seul la majeure partie des charges publiques, telles que la corvée, les casernements, les collectes de tous les genres, les fouages mêmes, etc. et que, dans celles auxquelles la noblesse contribue, telles que la capitation et les vingtièmes, il existe depuis longtemps une inégalité révoltante.

On est forcé de convenir que c'est en Bretagne surtout que ces abus se font sentir d'une manière plus frappante que partout ailleurs. Pourquoi donc, dans une grande province qui jouit du précieux avantage de voir tous les deux ans ses affaires et intérêts traités dans ses Etats particuliers, où les lumières ne sont pas moins répandues que dans les autres et où les différents ordres doivent être disposés à balancer avec équité la contribution de toutes les classes à la chose publique, pourquoi la portion la plus nombreuse, la plus malheureuse et l'on ose dire la plus intéressante se trouve-t-elle ainsi surchargée et écrasée ? En en recherchant la cause, on la trouve aisément dans la composition même de ses Etats, où l'influences des ordres n'est pas balancée, où celui de la noblesse, par exemple, est composé de dix-huit cents familles, qui toutes ont la faculté d'y assister et d'y voter ; où celui du Tiers, qui comprend deux millions d'individus, n'est représenté que par quarante-deux membres votants, dont souvent il s’en trouve plusieurs nobles ou anoblis, et dont beaucoup tiennent leur état de la noblesse et du clergé ; dans lequel d'ailleurs plusieurs villes sont sans députés et où l'on ne voit, surtout, aucun représentant des laboureurs et des habitants des campagnes, cette classe importante, qui forme le principal soutien de l'Etat et qui est sans contredit la plus grevée ; où enfin l'ordre du clergé n'est composé que d'évêques, d'abbés commendataires, dont la plupart ne tiennent à la province que par les revenus considérables qu'ils en retirent, et de députés de chapitres, sans qu'on y voie aucun représentant des curés ou recteurs, cette classe utile et nombreuse d'ecclésiastiques qui remplissent, pour ainsi dire, toutes les fonctions pénibles du sacerdoce ; qui voient de plus près les besoins et la misère des peuples ; qui la soulagent et l'adoucissent à chaque instant de la vie et qui ne la partagent que trop souvent avec eux ; qui sont si mal partagés dans les fruits temporels de l'Eglise, au point que l'on voit avec étonnement en Bretagne qu'ils n'ont pas encore pu parvenir à jouir de la légère augmentation de portion congrue que la bienfaisance du Roi leur a accordée il y a plusieurs années et dont ils jouissent dans les autres provinces ; qui, enfin, ont à tous les titres tant de droits aux égards, on ose dire aux respects de toutes les classes de citoyens.

Il est temps que, dans un siècle où les lumières heureusement répandues ont dissipé l'erreur des préjugés, tous les ordres se réunissent pour remédier à des abus qui calomnient l'esprit de justice et l'amour du bien public dont ils sont également animés. La misère du peuple est au point qu'il serait aisément tenté de jeter un regard sur la nouvelle constitution des Etats du Dauphiné, si généralement et si justement applaudie, s'il n'était retenu par une suite de son respect pour la forme antique de ceux de sa province. Mais, en y témoignant son attachement, il a le droit d'espérer de la justice des ordres que ses plaintes y seront prises en considération, que ses griefs y seront redressés et qu'on y fera droit sur les différents objets de ses justes réclamations.

C’est dans cette confiance que toutes les communautés de ville de la province doivent se réunir pour les porter à l'assemblée prochaine des Etats particuliers ».

En conséquence, la communauté de ville de Saint-Malo, sur ce délibérant, a arrêté de charger ses députés aux dits Etats, comme de fait ils demeurent par la présente chargés de se réunir à ceux des autres villes pour réclamer et soutenir avec fermeté les droits et intérêts du Tiers ETat dans toutes les circonstances et notamment de demander :

1° Que le président du Tiers soit toujours électif et qu'il soit librement choisi par les députés de cet ordre, sans aucune influence des deux autres ; que dit président ne puisse jamais être, ni un noble, ni un anobli, ni un ecclésiastique. Qu’il soit toujours tenu d’énoncer l’avis de son ordre dans les termes qu’il aura été arrêté à la Chambre, à l’effet de quoi il y sera rédigé par écrit, pour être par lui lu à l'assemblée générale des trois ordres. Et, lorsqu'il votera au théâtre et que ledit président recueillera les avis, il sera toujours accompagné d'un commis du greffe, comme l'est le président de la noblesse, pour prendre note des voix et rédiger l'avis en conformité, par écrit, pour être lu et énoncé tel.

2° Qu'afin que la représentation du Tiers, qui jusqu'à présent n'a guère été qu'un vain fantôme de représentation, souvent plus nuisible qu'avantageuse, par la facilité d'en abuser, cesse désormais d'être illusoire, et que cet ordre, qui forme les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population de la province et en supporte presque toutes les charges, acquière enfin une consistance suffisante pour soutenir ses droits avec une sorte d'égalité, puisse résister avec fermeté aux entreprises qui tendraient d'y porter atteinte, en un mot balancer l'influence des deux autres ordres ; il sera composé d'un nombre de membres plus considérable ; à l'effet de quoi, les villes qui ont pris de l'accroissement auront la faculté d'ajouter de nouveaux députés à ceux qu'elles ont jusqu'à présent délégués ; que celles qui n'ont pas encore joui de cet avantage auront la faculté d'en nommer ; et qu'il en sera pris surtout, en nombre suffisant, parmi les habitants des campagnes qui, à la honte de notre constitution, ont jusqu'à présent été écartés d'une assemblée dont les délibérations portent principalement sur eux. Tous lesquels députés, nommés par districts, dans la proportion au moins d'un sur dix mille individus, seront choisis par l'ordre du Tiers seul, en pleine liberté et entre gens indépendants de toute influence étrangère. En conséquence, dans le nombre de ses représentants, ainsi que pour son président, il ne pourra jamais être nommé aucun noble, anobli, ou même jouissant des privilèges des nobles ou anoblis sans l'être, subdélégués du commissaire départi, sénéchaux, procureurs fiscaux, régisseurs, receveurs, agents ou fermiers de la noblesse et du clergé, employés dans les fermes ou régies du Roi ou de la province, de quelques dignités, charges ou offices qu'ils soient revêtus ; parce que, pour représenter le peuple, il faut être vraiment de la classe et ne tenir à rien de ce qui peut altérer ou refroidir le zèle que l'on doit à ses intérêts, à rien de ce qui oblige à des égards, tant pour tout autre que pour lui ; à rien enfin de ce qui peut faire craindre ou espérer.

3° Que, pour procéder à l’élection et nomination des dits députés du Tiers aux Etats, objet pour lequel il est intéressant d'établir un ordre simple sans confusion, tous les généraux des paroisses, tant de la ville que la campagne, situé dans le même district, les sièges présidiaux et royaux, l’ordre des avocats, les facultés ou collèges de médecine, les chambres ou généraux de commerce , les communautés des notaires et procureurs, les corps de milice bourgeoise, chirurgiens, artistes, artisans, etc., etc., soient autorisés à nommer un ou plusicurs députés, selon le nombre des individus de chaque général de paroisse ou corporation, qui s'assembleront ensuite avec les officiers municipaux du chef-lieu du district, pour nommer les dits députés, dans le nombre proportionnel ci-dessus expliqué, lesquels députés qui auront voix délibérative, bien qu'il s'en trouve plusieurs d'une même ville, seront pris, autant que faire se pourra, dans toutes les classes, en sorte que toutefois il en sera pris deux à l'ordinaire parmi les officiers municipaux de cette ville, et deux dans le général du commerce. Bien entendu qu'il ne pourra voter à l'élection des dits députés aucuns nobles ou anoblis.

4° Que, dans les commissions intermédiaires, ainsi que dans les bureaux de commissions particulières qui ont lieu pendant les Etats assemblés, le nombre des commissaires dans l'ordre du Tiers soit égal à ceux réunis des deux ordres du Clergé et de la Noblesse, et que les voix continuent à s'y compter par têtes.

Que MM. les recteurs des paroisses, tant des villes que des campagnes, soient appelés et admis aux Etats dans l'ordre de l'Eglise, en nombre au moins égal au surplus de cet ordre, pour y avoir voix délibérative. A l'effet de quoi ils s'assembleront par districts pour nommer entre eux librement leurs députés, qui ne pourront être que de condition roturière.

6° MM. les procureurs-généraux syndics des Etats actuellement en exercice ont de si grands droits à la reconnaissance de leurs concitoyens par les services importants qu'ils ont rendus à la province dans le danger de la chose publique que l'ordre du Tiers, qui la partage aussi vivement que les deux autres, les verra toujours avec plaisir, et sans la moindre inquiétude, remplir les fonctions de ces deux places. Mais, lorsque l'une d'elles viendra à vaquer par mort ou démission, il est dans l'ordre des choses qu'il y soit pourvu en faveur d'un membre du Tiers et que ledit emploi reste toujours attaché à cet ordre ; de sorte que désormais ces deux officiers des Etats seront constamment, l'un du Tiers, l'autre de la Noblesse, ce point étant de la plus grande importance pour les intérêts du Tiers.

Que la première nomination qui aura lieu d’un greffier en chef des Etats soit également en faveur d’un membre du Tiers, et qu’à l'avenir cette place soit alternativement remplie par la Noblesse et le Tiers.

8° Que la perception des fouages, qui, contre toute justice, s’est faite jusqu'à présent sur le Tiers seul, sera répartie sur les trois ordres, avec restitution des fouges extraordinaire à celui du Tiers de ce qui a été indûment levé par le passé.

9° Qu'il sera pris des mesures pour assurer à l'avenir une contribution plus égale dns le paiement des vingtièrnes, dans la répartition desquels les Tiers Etat est généralment grevé, et la Noblesse favorisée par l’effet de son influence.

10° Que la corvée en nature, cet impôt désastreux et accablant, qui jusqu'à présent a porté exclusivement sur les malheureux habitants des campagnes ; qui enlève à la culture un père de famille, dont le travail fait souvent la seule ressource, pour aller arroser de ses sueurs, et quelquefois de ses larmes, des grands chemins qui ne sont pas faits pour lui, dont il ne retire pas les avantages, et sur lesquels il n'est encore que trop souvent traité avec dureté par les surveillants de son travail ; que la corvée en nature soit définitivement et irrévocablement supprimée, et qu'il y soit suppléé par une imposition sur les propriétés appartenant aux trois ordres. Ils en ont eux-mêmes manifesté le vœu. Le Roi n'a cessé de faire connaître, à cet égard, ses intentions. Elles sont exécutées dans le reste du royaume ; et l'on voit avec étonnement qu'en Bretagne la réformation de ce cruel abus a, jusqu'à présent, éprouvé des entraves insurmontables. Le moment est venu de le faire cesser.

11° Que la répartition de la capitation soit faite dans une proportion égale entre les ordres de la Noblesse et du Tiers, et qu'à cet effet, il n'y ait qu'un seul et même rôle pour les deux ordres, seul moyen de parer aux injustices en mettant chaque individu à lieu de les vérifier aisément par des comparaisons relatives. N'est-il donc pas révoltant que, dans une somme de plus de deux millions cinq cent mille livres, la Noblesse, qui possède plus de moitié des biens et qui recueille plus de moitié des produits de la province, ne paie que cent vingt-cinq mille livres, et qu'un roturier qui jouira, par exemple, de cent pistoles de revenu paie une cote aussi forte qu'un noble avec quinze mille livres de rentes ? Comparaison vraiment affligeante, mais malheureusement réelle.

12° Que, pour le soulagement du peuple, et spécialement de celui des villes, il sera construit des casernes dans les villes et principaux lieux de la province où il y a ordinairement garnison ; pour la construction et l'établissement desquelles les fonds sont levés par forme d'impôt également réparti sur tous les ordres, à moins qu'il ne soit jugé plus expédient aux Etats de continuer à subvenir au casernement par des impositions pécuniaires, lesquelles seront pour lors supportées par le Clergé et la Noblesse, comme par les Tiers [Note : Il n’y avait pas, à Saint-Malo, de casernes proprement dites, mais les troupes de la garnison étaient logées au château et dans les forts de la côte et de la rade (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1150-1155).].

13° Que tous les établissements, dons et pensions en faveur de la Noblesse et de ses enfants, qui jusqu'à présent ont été à la charge de la province, demeureront désormais à la propre charge de l'ordre de la Noblesse qui en retire seul les avantages, sans utilité pour l'ordre du Tiers, lequel sera chargé de son côté de faire face à quelques légers bienfaits dont quelques-uns de ses membres peuvent jouir.

La justice de tous les points de réclamation ci-dessus est si sensible et si frappante que l'on croirait faire injure aux deux premiers ordres de douter de leurs dispositions à les adopter et de penser qu'ils puissent y apporter opposition. L'antiquité des abus serait-elle donc une raison pour en laisser subsister le cours ? Une pareille maxime, à peine excusable dans un siècle de barbarie, n'est plus faite pour le siècle de lumières où nous vivons. Jamais un peuple libre ne peut avoir plus de droits à en demander la réforme que lorsqu'il y a longtemps qu'il les supporte et qu'il en souffre. On se plaît à penser que les vertus de l'ordre du Clergé et la loyauté de la Noblesse bretonne lui en assureront le succès.

Mais si, contre toute vraisemblance, des préjugés de corps et des intérêts personnels, qui doivent être bannis dans une cause aussi importante et aussi juste, pouvaient étouffer les bonnes dispositions qu'ils ont eux-mêmes manifestées et les empêcher de se porter d'eux-mêmes à y faire droit, ce qu'on n'a pas lieu de présumer, MM. les députés aux Etats sont très expressément chargés de ne s'en départir, soue tel prétexte que ce puisse être, et, dans ce cas, de refuser formellement de concourir à la tenue des Etats, jusqu'à ce qu'ils n'aient obtenu le dit redressement sur tous les points ; d'en donner avis et d'en instruire exactement la communauté de ville, afin qu'avec le général des habitans, il puisse être pris des mesures ultérieures pour recourir directement au Souverain. On doit attendre toute justice d'un Roi bienfaisant qui aime autant ses peuples qu'il en est aimé, et qui, sentant avec douleur toute l'étendue des maux et des abus sous lesquels ils gémissent, s'exprime, dans sa Déclaration mémorable du 23 septembre dernier, dans ces termes si consolants : « Le bien est difficile à faire, nous en acquérons chaque jour la triste expérience ; mais nous ne nous lasserons jamais de le vouloir et de le chercher ».

Au surplus, MM. les députés de la ville aux Etats sont autorisés et, en tant que besoin, chargés de se concerter avec les autres députés du Tiers pour la rédaction et la publication d'un mémoire, commun et général, dans lequel tous les griefs et doléances du Tiers Etat seront développés avec fermeté, pour servir où besoin sera.

Arrêté que la présente sera imprimée, pour en tirer le nombre suffisant d'exemplaires ; que copie au long en sera ramise à MM. les députés de la ville aux Etats, pour leur servir de charge spéciale, dont ils ne pourront s’écarter et dont, à cet effet, ils donneront leur récépissé sur les registres de la communauté ; et que des exemplaires certifiés en seront adressés par M. le maire ou par le greffier partout où besoin sera et notamment à toutes les autres communautés de ville de la privince, aux généraux de paroisse et à tous MM. les resteurs du diocèse, afin qu’ils puissent faire valoir et soutenir leurs droit, avec prière de donner connaissance à cette communauté de tous les arrêtés et délibérations qu’ils pourront prendre de leur part et de toutes les démarches qu’ils jugeront convenable de faire ce touchant.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 15 décembre 1788.
(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40, fol. 18).
[L'assemblée prie] M. Sébire l'aîné, maire, et M. de Jallobert de Monville fils, ses députés aux Etats de Bretagne, de se rendre à Rennes huit jours avant l'ouverture des Etats, afin qu'avec MM. les députés des autres villes de la province ils puissent prendre les mesures qu'ils jugeront convenables pour obtenir le redressement des griefs du Tiers Etat, conformément à la délibération et arrêté de cette communauté du 12 novembre dernier, dont ils sont chargés de faire valoir, autant qu'il dépendra d'eux et que les circonstances le leur permettront, les plaintes et doléances, en y ajoutant la demande du retrait de l'arrêt du Conseil du 11 juin 1763 portant règlement pour l'élection des maires [Note : L’arrêt du Conseil du 11 juin 1763 prescrivait que le maire de Saint-Malo serait élu par la Communauté de ville, sur une liste de trois candidats proposée par elle et préalablement approuvée par une liste de trois candidats proposée par elle et préalablement approuvée par le gouverneur de la province. Cette réglementation avait déjà soulevé les protestations de la municipalité, notamment en 1765 et en 1770, et on ne l’appliquait jamais sans accompagner l'élection d’une déclaration de non-préjudice aux privilèges de la ville et de la province (Arch. d’Ille-et –Vilaine. C 432)], .................

Il a été présenté à l'assemblée un mémoire signé des membres et députés des différentes classes et corporations des habitants de cette ville, ayant pour titre « Réquisitoire fait par toutes les classes de citoyens de la ville de Saint-Malo à l'assemblée de la commuenauté de cette ville du 15 décembre 1788 ». Lecture faite au long dudit réquisitoire, l'assemblée, le prenant en considération et sur ce délibérant, a arrêté que l'original en restera déposé aux archives de ladite communauté, qu'il en sera remis copie certifiée aux deux députés de cette ville aux Etats pour leur servir de charge spéciale et additionnelle à celles qui leur ont été données par délibération du 12 novembre dernier, et qu'au surplus ledit réquisitoire sera imprimé en tête de la présente pour en être adressé des exemplaires à toutes les municipalités de la province.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 5 janvier 1789.
(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40, fol. 20-21).

M. Bossinot, lieutenant de maire, a dit à l'assemblée : « Messieurs, je vous ai convoqués à la réquisition de plusieurs membres du corps de ville, qui vont vous en déduire les motifs ». Alors il s été remontré que, vu ce qui résulte des bulletins des Etats actuellement assemblés à Rennes, ainsi que de diverses nouvelles qui circulent en ce moment si décisif, il serait à propos de former un comité pour tenir la correspondance que les circonstances actuelles ne peuvent manquer de multiplier en proportion des objets qui intéressent l'ordre du Tiers Etat.

Sur quoi l'assemblée a dit qu'elle voyait avec peine le refus opiniâtre que MM. du Clergé et de la Noblesse ont fait d'entendre même la lecture des justes réclamations du Tiers Etat, qui n'avait pas lieu d'attendre de ces deux ordres un procédé qui serait humiliant si les injustices humiliaient celui qui les reçoit, mais qui doit être regardé comme un déni formel de justice ; que, quoi qu'il en soit, on ne craint pas que ces refus diminuent la fermeté de notre ordre, et, quelles que soient les injonctions que pourrait rapporter de la Cour l'exprès dépêché par M. le comte de Thiard, la communauté ne croit pas MM. les députés autorisés en aucune manière à y obtempérer ni même à délibérer sur quoi que ce soit qu'au préalable il n'ait été fait droit aux justes demandes du Tiers Etat.

Si les ordres qu'on attend sont tels que la Noblesse l'insinue et semble le promettre, l'avis de la communauté serait qu'en refusant d'obtempérer il fût fait une députation nombreuse, soit de MM. les députés aux Etats, soit de MM. les adjoints, agrégés, co-députés, ou même de députés que chaque ville nommerait pour porter au Roi le vœu de venir efficacement au secours de l'Etat, demandant seulement que la composition des Etats, des commissions intermédiaires et autres chargées de la répartition des impôts soit plus propre à assurer dans tous les temps l'égale répartition de ces mêmes impôts, et qu'en conséquence ces assemblées soient formées d'un sixième du Clergé, d'un sixième de la Noblesse et de trois sixièmes du Tiers Etat (sic), lesquels voteront tous par tête et non par ordre. Cette députation serait chargée de présenter en même temps la nombreuse collection des délibérations des paroisses, réclamant toutes contre cette inégalité et plusieurs contre l'influence abusive de la Noblesse, qui en est le principe, influence qui a même eu le pouvoir d’arrêter les délibérations d'un grand nombre de ces paroisses ................

Et, pour transmettre le vœu de cette communauté à MM. les députés aux Etats et correspondre avec eux, a nommé MM. Bossinot, lieutenant de maire, Duhautcily fils, Deshais, Quesnel et Apuril de Kerloguen, auxquels elle a donné les pouvoirs nécessaires à cet effet.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 7 janvier 1789.
(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40, fol 21-22 v°).

[L’assemblée entend la lecture d’une letter de M. Sébire aîné, député aux Etats, qui fait connaître l’inaction des Etats, envoie le texte d'un mémoire des avocats au Parlement et celui de la délibération du Tiers du 27 décembre et] demande l'avis de cette communauté sur la différence des sentiments, qui règnent dans l'ordre du Tiers, de voter par ordre et non par tête lorsqu'il s'agit des impôts, des demandes du Roi, de gratifications et de tous les objets relatifs à la disposition des fonds publics...

La communauté, considérant ; 1° que, dans le nombre des membres du Tiers qui ont signé la déclaration du 27 décembre dernier, il se trouve plusieurs anoblis, sénéchaux, procureurs fiscaux et autres peu libres ; 2° que la question sur laquelle on lui demande son avis est aussi délicate qu'embarrassante ; 3° que chaque incident peut faire naître de nouveaux embarras, et en même temps l'impossibilité où l'on serait d'y répondre à temps ; par tous ces motifs, l'assemblée a autorisé M. Sébire l'aîné, maire et son premier député, ainsi que M. de Jallobert de Monville fils, son second député aux Etats, à suivre l'avis du plus grand nombre des députés de l'ordre du Tiers.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 19 janvier 1789.
(Arch, commun. de Saint-Malo, BB 40, fol. 23 v°-24 v ; — extrait ms., Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1804, — extrait impr., s. l. n. d., 4 p. in-4°, Arch. commun. de Rennes, Carton des Affaires de Bretagne, F1).

[L'assemblée nomme deux députés à Paris pour se joindre à la députation générale du Tiers Etat : M. Quesnel, ancien prieur consul, et Me Jean Duguet, ancien procureur du Roi au Consulat de cette ville. Elle décide aussi de répondre à la lettre de l'intendant de Bretagne, du 14 janvier, qu'elle ne peut rien changer au cahier des demandes et réclamations du Tiers Etat et des charges communes données à ses députés à Rennes. Elle proteste enfin du dévouement des Malouins aux intérêts du Roi et de l'Etat, et déclare que,] malgré le malheur des temps et la décadence incroyable du commerce de cette ville, ses habitants ne mesureront jamais leurs sacrifices sur la faiblesse de leurs moyens.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 28 janvier 1789.
(Arch. commun. de Saint–Malo, BB 40, fol. 25).

… Lecture faite de l’arrêt du conseil [du 20 janvier] et de la lettre de M. l’intendant [du 26], l’assemblée a nommé, conformément audit arrêt, pour ses nouveaux députés aux Etats de la procvince, M. Michel de la Morvonnais et M. Danycan l’aîné et l’avis de l’assemblée est que lesdits nouveaux députés délibérent seulement dans les assemblées du Tiers, hors les Etats, à l'Hôtel de Ville de Rennes sans se présenter à l'assemblée des Etats pour y assister, soit comme votants, soit comme simples agrégés, à moins toutefois qu'il n'en soit autrement délibéré par l'ordre du Tiers assemblé à Rennes.

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 29 janvier 1789.
(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40, fol. 25 v°-27 v°).

[L'assemblée proclame son dévouement au Roi, proteste contre l'opinion qui considère l'attitude du Tiers « comme tendante à mettre obstacle à l'expédition des affaires de Sa Majesté », donne son consentement à la levée des impositions ordinaires pour l'année 1789, autorise ses députés à participer de nouveau aux travaux des Etats, « le tout sans nuire ni préjudicier aux demandes et réclamations du Tiers et sous toutes réservations ce touchant », et demande que, dès la rentrée, une députation solennelle de l'ordre du Tiers soit envoyée aux commissaires du Roi pour obtenir le règlement rapide des demandes du Roi et l'examen immédiat du cahier des griefs du Tiers].

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 13 février 1789.
(Arch, commun. de Saint-Malo, BB 40, fol. 28 v°-29).

[Après avoir entendu la lecture de lettres de ses députés aux Etats,] l'assemblée a déclaré persister dans son arrété du 29 janvier dernier et a, en conséquence, chargé derechef MM. ses députés aux Etats de s'y conformer en votant les impôts et demandes du Roi, et néanmoins les a autorisée, dans le cas où les délibérations de l’ordre du Tiers seraient à la majorité contraires à leurs avis et charges, à y adhérer cependant et à les souscrire comme les autres, sentant toute l'importance de l'union dans cet ordre...

 

DÉLIBÉRATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VILLE du 28 mars 1789.
(Arch. commun. de Saint-Malo, BB 40 , fol. 31).

[Après avoir pris connaissance des instructions relatives à la convocation des Etats généraux,] l’assemblée a nommé MM. Apuril de de Kerloguen, Deshais et Jallobert fils commissaires pour, concurremment avec M. Sébire l’aîné, maire s’occuper de suite des moyens de remplir les vues bienfaisantes de Sa Majesté ainsi que les dispositions de l'ordonnance de M. le sénéchal de Rennes, leur a donné tous les pouvoirs de faire tout ce qu'ils jugeront nécessaire pour cette fin, et l'assemblée générale a été fixée au 1er avril prochain, aux neuf heures du matin.

Sur ce qu'il a été remarqué que, par l'effet de l'ordre établi par le règlement particulier pour la nomination des députés aux Etats généraux pour la province de Bretagne, la ville de Saint-Malo, qui n'a point de sénéchaussée royale, se trouvait exposée à n'avoir pas un seul député tiré de son sein, il a été unanimement délibéré de faire partir un courrier exprès pour porter à M. Necker et à M. de Villedeuil les représentations de cette communauté et supplier ces ministres de mettre sous les yeux du Roi le vœu des habitants de Saint-Malo, afin qu'il plaise à Sa Majesté ordonner que cette ville soit autorisée à nommer au moins un de ses citoyens pour député aux Etats généraux et que cette nomination sera faite devant les officiers municipaux par les électeurs choisis par les différentes classes des habitants de la ville et de ses faubourgs, à moins que, pour ne rien déranger de l'ordre général, Sa Majesté ne jugeât plus convenable d'ordonner que, sur les sept députés qui seront nommés à Rennes dans l'assemblée générale de la sénéchaussée, il y en aura au moins un tiré des citoyens de Saint-Malo.

(H. E. Sée).

© Copyright - Tous droits réservés.