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L'EGLISE DE SAINT-JEAN-DU-DOIGT
** Notes pour servir à son histoire **

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Les pages qui suivent ne sont ni une histoire, ni une description de l'église de Saint-Jean-du-Doigt : ce sont de simples notes prises dans la belle série decomptes de fabrique des années 1553 à 1790 qui est conservée à la mairie de Saint-Jean. Dans cette collection, la plus considérabla qui existe dans le Finistère, nous nous sommes attachés à relever les noms des artistes et des « ouvriers d'art » qui de 1553 à 1790 concoururent à la construction, à l'ornementation et à l'ameublement de l'église et de ses annexes. On a beaucoup écrit sur les monuments de Basse-Bretagne, mais on n'a guère étudié leur histoire et on a bien rarement cherché à découvrir le nom des architectes qui les édifièrent, des verriers, des « imaigiers », des peintres, des orfèvres qui les meublèrent: Cependant, dès 1877, Le Men, dans sa Monographie de la Cathédrale de Quimper, avait montré qu'il n'était pas impossible de découvrir le nom et même la biographie d'auteurs d'œuvres très importantes ; mais depuis 1877, il n'a été publié qu'une seule description d'église dans laquelle l'auteur a voulu donner des renseignements de ce genre : c'est l'excellente Monographie de l'Église de Saint-Thégonnec de M. l'abbé Quiniou ; ce petit livre a fait connaître les noms de deux véritables artistes l'architecte du magnifique ossuaire, Le Bescond, et celui du sculpteur de la chaire, Lerrel.

L'égise de Saint-Jean-du-Doigt (Bretagne)

Les comptes conservés à Saint-Jean ne constituent pas malheureusement une « source » d'informations aussi abondante que les actes étudiés par MM. Le Men et Quiniou, car le plus ancien est postérieur de quarante ans à l'achèvement de la chapelle. Ces documents n'apprennent donc rien sur la construction de cet édifice non plus que sur l'origine des magnifiques objets d'orfèvrerie qui constituent le trésor : ce sont donc — il faut en avertir le lecteur — les pièces concernant ce qu'il y a de plus remarquable à Saint-Jean qui manquent.

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L'histoire de Saint-Jean-du-Doigt antérieurement au XVIème siècle est peu connue ; on sait seulement que dans le vallon situé à l'est de l'église de Plougasnou existait dès une époque très ancienne une chapelle dédiée à saint Mériadec. Le chef de ce saint y est encore conservé, ainsi que le bras de saint Maudet, mais la célébrité de ces reliques fut complètement éclipsée lorsqu'on eut apporté dans la chapelle une phalange d'un doigt de saint Jean-Baptiste on ne sait rien sur l'origine de cette relique et sur les circonstances qui accompagnèrent sa venue à Saint-Jean, sinon une extraordinaire légende insérée dans la Vie des saints de la Bretagne armorique d'Albert le Grand ; la date de la translation est inconnue mais elle est antérieure à 1429. Sur la construction et sur l'histoire primitive de la chapelle on n'est pas mieux renseigné : tout ce qu'en on dit divers auteurs est tiré du récit d'Albert Le Grand, mais il n'est aucune des assertions de cet écrivain qui résiste à l'examen [Note : Une intéressante notice sur Saint-Jean-du-Doigt par M. F. de Kergrist est insérée dans le tome LXII (année 1896) des congrès tenus par la Société française d'Archéologie de France (congrès tenus à Morlaix et à Brest). — On doit aussi consulter le 6ème fascicule du Livre d'Or des Eglises de Bretagne, de M. le chanoine Abgrall ; la Vie des saints d'Albert Le Grand annotée par Kerdanet ; les Mélanges d'histoire et d'archéologie de La Borderie et Delabigne-Villeneuve]. Miorcec de Kerdanet, quelque respectueux qu'il fut du texte qu'il annotait, n'a pu se dispenser de remarquer que les dates données par Albert Le Grand (dates de l'arrivée de la relique, de la pose de la première pierre etc.) sont toutes inexactes. Albert Le Grand a composé son « histoire de la translation miraculeuse du doigt de saint Jean-Baptiste de Normandie en Bretagne », comme tous ses autres récits : les données fournies par les documents ou les textes anciens ont été copieusement augmentées à l'aide de prétendues traditions locales, et comme ces traditions étaient bien singulières et difficilement acceptables, l'auteur a voulu donner à toute son histoire une apparence de vérité en semant au milieu de son récit quelques dates et quelques noms de personnage historiques.

C'est aussi dans le livre d'Albert Le Grand que l'on trouve de minutieux et merveilleux détails sur le pèlerinage accompli à Saint-Jean par la reine Anne le 1er avril 1506. Pendant les vingt-six années de son règne (1488-1514) la reine visita une seule fois la partie occidentale de son duché : la Basse-Bretagne. Le chroniqueur Alain Bouchard a raconté ce voyage en termes charmants, « et estoit quasi chose miraculeuse de veoir par les champs, chemins et boys si grant multitude d'hommes, femmes et petis enfans qui accouroyent pour veoir leur dame et maistresse, regraciant et merciant Dieu de quoy il luy avoit pleu envoyer ladite dame, pour visiter sa contrée et duché, pour ce qu'ils n'avoient pas accoustumé de la veoir ». Les villes que visita la souveraine sont nommées par Bouchard : elle passa à Vannes, Hennebont et Quimper, suivit le bord de la mer jusqu'au Folgoët, descendit au sud jusqu'à Brest et revint au Folgoët. Elle y accomplit un vœu, puis se rendit à Saint-Pol, Morlaix et Tréguier où elle pria près du tombeau de saint Yves. Elle visita ensuite Guingamp et rentra dans le royaume par Saint-Brieuc, Lamballe, Dinan et Vitré. Bouchard ne mentionne pas le pèlerinage à Saint-Jean raconté avec tant de détails cent trente ans plus tard par Albert Le Grand : il se peut que le chroniqueur ait commis un oubli, et il serait téméraire de tirer de son silence cette conclusion que le pèlerinage ne fut pas accompli. Mais on ne saurait accepter les assertions d'Albert Le Grand, reproduites et amplifiées par la plupart des écrivains qui se sont occupés de l'histoire de Saint-Jean, assertions d'après lesquelles la chapelle, la fontaine, la « maison du gouvernement », le trésor, les bannières et les chemins mêmes qui conduisent à Saint-Jean seraient dus à la libéralité d'Anne de Bretagne.

Si la générosité de la duchesse s'exerça en ce lieu, ce fut sans doute au profit de la chapelle qui fut en partie construite pendant son règne, mais cette église elle-même, les œuvres d'art qui s'y trouvent, les biens qu'elle possédait jadis furent presqu'intégralement payés ou donnés — l'examen des comptes le prouvera — par les offrandes de la foule de payssans et de pèlerins qui venaient prier à Saint-Jean.

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Les comptes de la chapelle correspondent aux années 1553-1556, 1562-1568, 1591-1595, 1596-1598, 1599-1600, 1647-1650, 1660-1674, 1680-1682, 1684-1693, 1694-1695, 1697-1699, 1700-1701, 1702-1744, 1707-1708, 1710-1711, 1714-1715, 1719-1724, 1725-1726, 1727-1728, 1729-1732, 1734-1737, 1745-1746, 1748-1749, 1754-1756, 1758-1761, 1764-1769, 1771-1774, 1778-1779, 1784-1785, 1789-1791 [Note : On trouve à la mairie de Plougasnou le compte de 1762-1763, et aux Archives du Finistère ceux de 1692-1693 et 1777-1778 (incomplet)].

Pendant ces deux siècles et demi, le mode d'administration des biens de la chapelle subit quelques modifications, mais le trait caractéristique fut toujours que Saint-Jean était une simple chapelle succursale de la paroisse de Plougasnou, et non une trêve, quoiqu'elle possédât dès le XVIème siècle des fonts baptismaux et qu'un vicaire y exerçât les fonctions curiales. Au XVème siècle, le patrimoine de Saint-Jean était administré par un « gouverneur » ecclésiastique et un gouverneur laïc (Mss. Clech) ; au siècle suivant, d'après un arrêt du Parlement du 28 août 1560, le tiers des offrandes était, suivant l'usage, perçu par le recteur ; les deux autres tiers étaient employés à l'entretien de l'église sous la direction d'un prêtre et d'un gentilhomme élus par les habitants et confirmés par l'archidiacre de Plougastel [Note : Copie du XVIIIème siècle conservée aux archives de la mairie de Plougasnou]. Cette organisation fut modifiée au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, mais les paroissiens de Plougasnou conservèrent la haute main sur la gestion des biens de la chapelle ; ils élisaient les marguilliers, et ceux-ci au bout d'un an, à l'époque de Pâques, présentaient leurs comptes à deux prêtres, deux gentilshommes et deux roturiers, désignés au prône de la messe paroissiale ; les comptes étaient ensuite soumis, suivant la règle ordinaire, au général de la paroisse, puis à l'évêque. Les habitants de la section de Plougasnou, qui étaient sous la juridiction spirituelle du vicaire de Saint-Jean, ne paraissent pas avoir songé à former une paroisse ou une trêve distincte avant 1780 ; leurs réclamations devinrent très vives quatre ans plus tard ; elles ne furent complètement exaucées qu'en 1790 [Note : Sur les velléités séparatistes des habitants de Saint-Jean, voir à la mairie de Plougasnou les registres des délibérations et surtout un mémoire de 1784].

Les habitants de Plougasnou avaient le plus grand intérêt à conserver sous leur dépendance l'opulente chapelle ; ses finances servirent plusieurs fois à combler les vides de la caisse paroissiale. Quant, au recteur la perception du tiers des offrandes rendait sa cure une des plus lucratives du diocèse de Tréguier.

Plusieurs fois des intrigants cherchèrent à faire ériger à leur profit la chapellé de Saint-Jean-du-Doigt en bénéfice. L'évêque de Tréguier se laissa même aller en 1552 à prononcer cette érection (Mss. de Clech), qui lésait gravement les droits de Plougasnou. Le bénéficiaire était probablement un certain Pierre Chouart, recteur de Saint-Aubin, souvent nommé dans les premiers comptes ; les paroissiens soutinrent contre lui un procès dispendieux, mais Chouart étant devenu vers 1555 recteur de Plougasnou, put jouir légitimement du tiers des offrandes ; il se joignit dès lors à la résistance opposée par ses ouailles aux prétentions d'un nouveau chapelain, Jean Eudes du Vivier. C'était un normand de Honfleur qui, de 1574 à 1577, fut associé à d'aventureuses expéditions maritimes que ses compatriotes organisaient à destination des côtes de Guinée et du Brésil. Il avait été pourvu de plusieurs bénéfices en Basse-Bretagne, qu'il dilapida sans scrupule. Il était doyen du Folgoët et vendit en 1565 quelques propriétés de la collégiale ; il était abbé de Saint-Maurice de Carnoët, et ses moines lui reprochèrent entre autres choses, d'avoir vendu les cloches de l'abbaye « pour envoyer à La Rochelle fondre du canon » [Note : Bréard, Documents relatifs à la Marine normande, Rouen, 1889, in-8°, p. 150, 100-161, 204. — Arch. du Finistère, H. 189 (Saint-Maurice). — Kerdanet, Vies des Saints, p. 157. — Arch. de Plougasnou et de Saint-Jean. — Richard Eudes succéda à son frère en qualité d'abbé de Saint-Maurice]. Il aurait vraisemblablement dissipé les biens de la chapellenie de Saint-Jean, qui lui avait été donnée par le Roi et par l'Evêque, si les habitants de Plougasnou ne s'étaient résolus à plaider, puis à lui payer une très grosse somme de 1000 livres, pour le déterminer à renoncer à ses prétentions (Accord du 9 juin 1559 et quittance de Richard Eudes, recteur de Moëlan, frère et procureur de l'abbé de Saint-Maurice) [Note : Les paroissiens firent le 11 juin 1559 un premier payement de 300 livres représentées par 5 écus d'or sols, 6 croisades, 18 doubles ducats, 9 angelots et 80 pistolets (Arch. de la mairie de Plougasnou)].

L'arrêt du Parlement du 28 août 1560, cité ci-dessus, confirma les droits de Plougasnou ; cependant vers 1627 I. Fouquet, doyen du Folgoët, fut encore pourvu de la chapellenie de Saint-Jean ; les habitants furent dans l'obligation d'engager un nouveau procès. Pendant près de trois quarts de siècle, ils furent ainsi contraints de défendre en justice leur chapelle contre les prétentions des intrus. Ce furent presque les seuls procès qu'ils soutinrent ; les gouverneurs et fabriques de Saint-Jean ne furent pas possédés par l'esprit de chicane comme tant de corps politiques de l'ancien régime, et ils gérèrent toujours leurs finances avec sagesse et économie.

Chaque compte comprend deux chapitres, la charge et la décharge. Au chapitre de la décharge les dépenses sont inscrites sans ordre on ne sépare même pas les dépenses ordinaires des dépenses extraordinaires. Au contraire, à la charge, on distingue toujours les recettes provenant du revenu des terres et constituts du produit des offrandes ou aulnices. Les comptables n'inscrivent jamais que les deux tiers des offrandes et ne font pas état du tiers appartenant au recteur qui lui était remis sans passer par les coffres de la fabrique. Le montant des offrandes était extrêmement variable : il atteignit (déduction faite du tiers remis au recteur) 288 livres en 1553, 386 en 1662, 621 en 1672, 276 en 1692, 850 en 1748, 695 en 1764, 1003 livres — le chiffre le plus élevé — en 1791. Nous nous bornerons à donner les recettes et les dépenses pour quelques années prises au hasard [Note : Nous omettons de noter les sous et les deniers. Les recettes comprenaient parfois un reliquat de l'exercice précédent].

1577-1578. — Recettes : 922 l. — Dépenses : 740 l.
1584-1585. — Recettes : 1016 l. — Dépenses : 846 l.
1591-1592. — Recettes : 558 l. — Dépenses : 617 l.
1597-1598. — Recettes : 196 l. — Dépenses : 337 l.
1599-1600. — Recettes : 741 l. — Dépenses : 697 l.
1647-1648. — Recettes : 2641 l. — Dépenses : 1206 l.
1662-1663. — Recettes : 826 l. — Dépenses : 824 l.
1672-1673. — Recettes : 1363 l. — Dépenses : 1335 l.
1692-1693. — Recettes : 714 l. — Dépenses : 651 l.
1721-1722. — Recettes : 3251 l. — Dépenses : 5974 l.
1748-1749. — Recettes : 1556 l. — Dépenses : 556 l.
1758-1759. — Recettes : 1270 l. — Dépenses : 823 l.
1664-1765. — Recettes : 1264 l. — Dépenses : 613 l.
1768-1769. — Recettes : 1256 l — Dépenses : 1231 l.
1791-1792. — Recettes : 1119 l. — Dépenses : 1527 l.

On remarque le fléchissement dans les recettes qui se produisit à l'époque des guerres de religion : c'est le seul événement historique qui ait laissé trace dans nos documents. Au XVIème siècle, la Bretagne était paisible ; une seule dépense de caractère militaire se trouve dans les comptes antérieurs à 1591 : l'achat en 1553, moyennant 30 livres, de deux pièces d'artillerie, qui à ce prix ne devaient pas être bien redoutables. Elles étaient destinées à la défense de la chapelle et des côtes voisines ; Bernard du Val reçut 25 sols pour faire « les molles (moules) à faire les boulets ». La Basse-Bretagne ignora les discordes religieuses plus longtemps que le reste du royaume, la guerre ne commença qu'après l'assassinat d'Henri III ; mais, dès lors, on trouve dans les comptes le reflet de la misère qui désola le pays : le pardon cessa d'être fréquenté et la chapelle ne reçut plus d'offrandes, l'insécurité fut complète, les terres ne furent plus cultivées et par suite les fermages et les rentes dues à la fabrique demeurèrent impayés ; les recettes annuelles qui atteignaient 1016 livres en 1585, tombèrent à 558 livres en 1592, à 386 en 1593, à 250 en 1594, à 206 en 1595 ; elles remontèrent à 317 l. en 1596 pour redescendre à 205 l'année suivante, et à 196 en 1598. Toute les dépenses somptuaires furent supprimées ; la chapelle ne fut plus réparée, les prêtres et l'organiste furent à peine payés et cependant la « décharge » dépassa la « charge » en 1592 : 658 l. ; en 1593 : 392 l. ; en 1596 : 322 l. ; en 1597 : 327 l. et en 1598 : 337 l.

Une partie des dépenses fut consacrée à mettre en sûreté les reliques et les vases sacrés de l'église, ou à aller demander du secours aux gentilshommes voisins les marguilliers firent ainsi plusieurs voyages de 1591 à 1594 : l'année suivante le péril devint plus menaçant ; une nuit le gouverneur alla avec un maçon « percer en ung endroit pour mettre et maçonner lesdits ustensiles » (du trésor) ; puis cette précaution paraissant insuffisante on les mit en dépôt au château du Taureau ; ce fut la source de plusieurs menues dépenses, frais de voyage et gratifications données au capitaine et aux soldats ; des calices furent mis en gage à Morlaix. La précaution n'était, pas inutile, car Saint-Jean fut visité par les gens de guerre du comte de la Maignanne, un des chefs ligueurs du pays ; on remboursa 6 l. 5 s. aux marguilliers « parce qu'ils furent occupés à curer et nettoyer la chapelle après les chevaux des gens de guerre du comte de la Maignanne quand ils furent sur le château de Primel au mois de mai ». Roland Keruolet reçut 25 sous pour avoir porté sept calices à bénir à Lantréguer « parce qu'ils avaient été polluz pair les gens de guerre » (compte de 1594-1595). Les comptables de l'année suivante s'excusèrent de ne pas représenter les vases sacrés qui étaient cachés au Taureau et ailleurs ; « il fut advisé de les lesser où ils estoient à cause des gens de guerre qui hantoient pour lors en ladite paroisse et entendu aussy que partye des lingeries de ladite chapelle avoient esté emportées auparavant par les gens de guerre du comte de la Maignanne qui arrivèrent audit bourg sans y penser ». Après les gens de guerre du ligueur La Maignanne, vinrent les « souldarts » du royaliste Goesbriant qui commirent des dégats dans une maison appartenant à la chapelle [Note : Les comptes de Plougasnou citent des dépenses semblables 68 s. 4 d. pour avoir nettoyé l'église après qu'elle eut été fortiliéc par des mottes et attraits par des gens de guerre qui y faisaient la garde contre les espagnols de Prime! ; 40 s. pour avoir caché les contrats, vêtements, accoutrements de l'église, et avoir été plusieurs fois de jour et de nuit occupé à les cacher et parfois à les sortir de leur cachette pour les mettre à l'air ; 10 s. pour voyage au château du Taureau ; 12 s. 6 d. au comptable et au recteur, députés par les paroissiens pour aller à Morlaix devers M. de Coetnisan lui demander permission de fréquenter les Espagnols de Primel (Notes sur le compte de 1595-1596 communiquées par M. le chanoine Peyron)]. La grande armée royale ne visita pas Saint-Jean, mais pendant qu'elle assiégeait le château de Morlaix occupé par les ligueurs, le maréchal d'Aumont demanda trois vaches grasses à la paroisse de Plougasnou qui furent payées, l'une par la mère-paroisse l'autre estimée 10 l. 12 s. 6 d. par la fabrique de Saint-Jean et la troisième par la confrérie du Sacre (comptes de 1592 à 1596). Les comptes présentés avec quelque irrégularité pendant les années suivantes énumèrent de nombreuses dépenses du même genre, mais après que le duc de Mercœur eut fait sa paix avec le Roi, la situation s'améliora très vite. Les recettes de Saint-Jean remontèrent en 1599-1600 à 741 livres, somme supérieure de 44 livres au chapitre de la « décharge » quoique les marguilliers eussent fait plusieurs dépenses pour réparer les maux de la guerre : par exemple des payements de 36 l. au peintre Pezre Barazer qui avait nettoyé et peint les statues de la chapelle, et de 40 s. à Yves Bégar, prêtre, qui avaient porté deux calices à « Chasteau Pol » (Saint-Pol-de-Léon) pour les faire bénir.

L'orage avait été violent mais il avait passé vite et les maux qu'il avait causés furent assez vite réparés. Ces guerres cependant laissèrent un très vif souvenir, peut-être parce que la Basse-Bretagne n'avait été depuis le XVème siècle le théâtre d'aucune guerre et parce qu'elle ne devait plus connaître ce fléau.

Saint-Jean-du-Doigt ne vit plus d'autres soldats que les gardes-côtes. En 1702-1703 les comptables demandèrent allocation de 2 l. 45 en remboursement du vin qu'ils avaient laissé boire aux gens du guet, le capitaine, M. de Penanvern, « leur ayant remontré qu'un pot de vin était très peu de chose entre quarante personnes ». Cette remarque de M. de Penanvern était judicieuse ; cependant les paroissiens n'accordèrent que 20 sols comme les années précédentes. En 1704, les comptables exposèrent en termes émus et prolixes qu'ils n'avaient pu refuser aux exigences de M. de Penanvern le renouvellement de cette dépense : 40 sous leur furent alloués mais sans tirer à conséquence.

Les autres petits faits historiques que l'on pourrait glaner dans les comptes concernent des épidémies ou pestes, en 1567 et 1599. Citons encore une aumône en 1567 pour le rachat d'un jeune homme captif chez les turcs (Mss. Clech) et une aumône analogue en 1581 à quatre femmes de la paroisse « pour les aider à payer la rançon et rachat de leurs maris estant pris et détenus en captivité par les turcs infidèles ».

Un examen méthodique des comptes fournirait des renseignements précieux sur l'histoire économique : prix des denrées, salaires, valeur de l'argent. Il faut souhaiter qu'un érudit entreprenne cette étude ; on y trouverait aussi la révélation de bien des petits faits concernant l'histoire de Tréguier : en 1586-1587 création de deux foires et d'un marché à Saint-Jean grâce à l'intervention de Guy de Scépeaux, seigneur de Plougasnou, et payement par les marguilliers d'une gratification ou d'un pot de vin de 100 livres au sieur de la Combe, secrétaire de Guy de Scépeaux [Note : Les foires et le marché furent établis par lettres patentes données à Saint-Maur-les-Fossés en juin 1586 (comptes de 1587-1588)] ; — en 1599 et années suivantes, destruction de loups et payement d'une taxe de 20 sols par bête abattue au veneur du seigneur de Coetnisan [Note : En Tréguier comme en Cornouaille (cf. la Relation du chanoine Moreau), les loups se multiplièrent à l'époque des guerres de religion ; les comptes de la chapelle du Christ en Guimaec (Arch. Finistère, G. 538) et ceux de Plougasnou citent plusieurs payements au veneur du seigneur de Coetnisan « du devoir du loup » : cette taxe fut payée six fois en 1599-1600 par les fabriques de la chapelle du Christ] ; — en 1672, frais de chancellerie à l'occasion de la délivrance de lettres d'indulgence.

Certaines dépenses sont reproduites dans tous les cahiers : frais du culte, nettoyage de l'église après le grand pardon, payement des prêtres chargés de desservir les fondations, salaires des bedeaux, de l'horloger, de l'organiste, frais des missions données par les capucins ou les récollets, traitement (depuis 1553) des maîtres qui, dans-la chapelle Saint-Georges, tenaient école pour les enfants de Plougasnou et ceux de Saint-Jean, célébration en la chapelle de Saint-Sébastien de Kermouster d'une messe fondée par les paroissiens pendant une épidémie, frais de voyage du prêtre envoyé à Tréguier pour rapporter les saintes huiles, payement des décimes, des droits d'amortissement, etc., etc.

Quelques dépenses sans avoir le caractère de dépenses ordinaires se produisent presque tous les ans : réparations aux vitraux, aux canaux de la fontaine, aux chemins et payement d'un salaire aux personnes qui portaient la croix d'argent doré aux pardons des sanctuaires voisins, à Saint-Jacques de Locquirec, Kernitron, Chapel-Christ, Saint-Georges, Saint-Antoine, Plouézoch (Comptes de 1647-1648).

La « nourriture » des enfants trouvés est inscrite dans un certain nombre de cahiers : on sait que ces enfants étaient élevés aux frais de la paroisse sur le territoire de laquelle ils étaient découverts : or on en trouvait assez fréquemment à Saint-Jean, non pas que la moralité fut plus relâchée qu'ailleurs, mais parce que les « mères dénaturées » qui voulaient abandonner leur enfant avaient du moins cette précaution de ne pas l'exposer sur le territoire d'une paroisse dénuée de ressources. Lorsqu'un enfant était trouvé près de la chapelle, les marguilliers s'empressaient de faire des recherches diligentes pour découvrir la mère coupable ; leurs recherches furent poussées parfois jusqu'à Tréguier et Saint-Pol (Comptes de 1564, 1578, etc.).

Le pardon était jadis comme aujourd'hui la grande fête du pays de Plougasnou : à la fin du XVIIIème siècle on commença à l'accompagner d'une mise en scène qui a été décrite en 1794 par Cambry et qui subsiste encore de nos jours, En 1760-1761 on paya 9 livres à M. Lesné, recteur de Plougasnou, « pour la matière à faire le feu d'artifice », qui fut renouvelé les années suivantes et coûta 13 l. 10 s. en 1768 et 20 en 1771. Le compte de 1771-1772 inscrit en outre 4 l. 6 s. « pour des rubans pour garnir les habits des anges et enfants destiner pour le feu [Note : On comprend que le marguillier a voulu dire pour la procession du feu... Le feu de joie est allumé la veille de la fête en plein jour. En 1771, était-ce aussi en plein jour qu'était tiré le feu d'artifice du recteur Lesné ?] la veille de saint Jean ; 38 l. 8 s. pour une corde pour le feu d'artifice, 7 l. au tailleur pour les habits des anges, 3 l. pour la collation des enfants qui sont destinés et appelés pour orner la procession le jour de la veille. (sic) de saint Jean, 3 l. pour attacher le guidon de saint Jean ».

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Mais un examen plus détaillé des comptes nous entraînerait trop loin du but que nous nous sommes fixé. Nous revenons donc à l'histoire monumentale de la chapelle et après avoir rappelé que commencée dans les dernières années du XVème siècle, sur un plan qui fut très certainement remanié au cours de la construction, elle fut dédiée par Antoine de Grigneaux, évêque de Tréguier, le 18 novembre 1513. Les comptes de fabrique ne remontant qu'à 1553, nous n'aurons que peu de choses à dire de cet édifice. Les jolies constructions qui l'entourent : oratoire, fontaine, portail... nous retiendront plus longtemps, ainsi que les objets mobiliers qui ornent le sanctuaire [Note : Presque tous les renseignements qui suivent sont extraits des comptes de Saint-Jean. Quelques indications sont empruntés à la copie obligeamment communiquée par M. Le Guennec, de Morlaix, d'un manuscrits de notes prises dans les archives de Saint-Jean à la fin du XVIIIème siècle par un travailleur anonyme qui était probablement l'archiviste de Saint-Jean, J.-F. Clech. M. l'abbé Le Roy, recteur de Saint-Jean, nous a prêté des documents intéressants nous tenons à lui exprimer ici toute notre gratitude].

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Ville de Saint-Jean-du-Doigt (Bretagne)

Flèche de l'église. — Les comptes de 1566 à 1571 renferment de nombreuses mentions relatives à la construction de « l'hoguillon » c'est-à-dire de la flèche de charpente recouverte de plomb qui s'élève au-dessus de la tour. Ce ne fut pas une simple réparation mais une réfection complète qui coûta plusieurs milliers de livres. Ce travail fut fait, sur le devis et sous la direction de Fiacre Hamon, maître pintier ou plombier à Morlaix. Une flèche existait antérieurement à 1566 mais elle était peut-être recouverte d'une simple toiture d'ardoises. L'élégante aiguille édifiée par Fiacre Hamon été bien des fois réparée et il est présentement difficile de reconnaître ce qui faisait partie de l'œuvre primitive : les clochetons placés à la base de la flèche sont des œuvres récentes et médiocres : la grande flèche est au contraire très élancée, trop svelte même ; elle paraît grêle quand on la compare à la chapelle et à la tour monumentale qu'elle couronne. M. F. de Kergrist croit que les marguilliers préférèrent une flèche de plomb à une flèche de pierre pour des raisons d'économie : si tel fut leur calcul il fut assez maladroit car toute la série des comptes atteste que des réparations fréquentes et coûteuses dureut être faites au clocher qui se désagrégeait et se disloquait sous l'effort du vent marin. — D'autres flèches de plomb furent construites à cette époque celle de la chapelle de Saint-Gonéry subsiste encore ; d'autres plus importantes qui avaient été édifiées à Saint-Corentin de Quimper et à Saint-Trémeur de Carhaix, sont depuis longtemps détruites.

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Oratoire. — Tous les écrivains qui ont étudié Saint-Jean-du-Doigt ont décrit le joli « oratoire » du cimetière : c'est une construction gracieuse et très originale un soubassement de granit orné de quelques reliefs dans le goût de la Renaissance porte des piliers en gaine qui eux-mêmes soutiennent une frise sculptée et le toit [Note : On trouve la description détaillée de l'oratoire, de la fontaine, de l’arc de triomphe, dans les ouvrages de MM. de Kergrist, Palustre, Abgrall, cités supra]. On célébrait probablement la messe dans cet édifice les jours de grande fête : les fidèles qui n'ayant pu entrer dans l'église s'entassaient dans le cimetière pouvaient ainsi assister au Saint Sacrifice [Note : D'après Palustre, l'oratoire n'aurait servi qu'un jour par an : « c'est tout simplement un oratoire destiné à célébrer la messe le jour des morts » (Renaissance, p 19)]. Les comptes donnent les renseignements les plus complets sur la construction de ce charmant monument.

Compte de 1576-1577. — Dépense de 20 sols pour frais d'un acte notarié constatant que le dimanche 26 août 1576, les paroissiens résolurent de fonder un oratoire au bout « susain » du cimetière.

71 s. 8 d. « payé à Me Michel Le Borgne, architecte, pour salaire d'avoir, luy et Yvon Tanguy, son compaire, esté par deux jours l'un visiter le lieu de l'œupvre et délivrer ausdits paroissiens en leur prosne le pourtraict et prothocole que ledit Borgne avait faict dudit œupvre ».

50 s. au même Le Borgne, architecte, à raison de 12 s. 6 d. par jour, « pour avoir été quatre jours, tant à prendre la place dudit oratoire, que donner instruction et pourtraicture aux autres ouvriers pour y besoigner ».

118 s. 11 d. « pour ce que dès le... jour de mars dernier lesdits comptables par l'advis de certains apparans personnaiges de ladite paroisse firent marché vers lesdits Mes Michel Le Borgne et Pierre Texier de parachever l'oratoire susdit... pour 200 l. monnaie, laquelle somme auraient lesdits paroissiens, ayant agréable ledit marché, ordonné entre payée aux ouvriers.... payèrent en despens ausdits personnages et ouvriers, tant en concluant le marché et en dressant l'acte d'icelluy... que en vins et despens ausdits ouvriers le jour qu'ils commencèrent et meirent les pierres fondamentales d'icellui oratoire la somme de 118 s. 11 d. ».

Comptes de 1577-1578. — Le maître architecte Michel Le Borgne n'est plus appelé que tailleur de pierre, ainsi que son compagnon Pierre Guyader, dont le nom avait été traduit en français (Pierre Texier) par les comptables de l'année précédente. Les marguilliers demandèrent qu'une indemnité de 20 l. fut accordée à Le Borgne et Guyader « parce qu'il fut trouvé par les députés à voir le renable du dit œuvre que iceux ouvriers avaient fait plusieurs honnêtes décorations entour icelluy oratoire oultre leur marché ». La gratification qui avait été d'abord accordée fut plus tard réduite à 10 l. Le renable (procès-verbal de réception de l'ouvrage) fut dressé en présence du Scholastique de Tréguier, de trois gentils-hommes Penanguern, Thoumelin et Kerlaziou, et de deux tailleurs de pierre Paul Bégat et Yvon Guillesser [Note : Guillesser travailla à la construction de la tour de Plougasnou, en 1604 ; un de ses parents, Jean Guillasser, était menuisier et sculpteur]. La maçonnerie de l'oratoire était terminée : on dépensa 55 sous « en despens ausditz Le Borgne et Guyader et leurs compaignons après la perfection d'icelle maçonnerie pour leur vin de parachèvement ».

Yvon Le Lavyec vint dresser le devis de la charpente qui fut adjugée à un ouvrier du pays, Rabul Bégyvin. Les sablières et les poutres de l'oratoire ont grandement souffert de l'humidité ; les frises sculptées par- Le Lavyec et Bégyvin ont en partie disparu ce qui subsiste est cependant encore fort remarquable et donne une haute idée du talent de ces imagiers.

L'édifice fut couvert en ardoises et comme la couverture est très haute, on eut soin de l'orner en employant des ardoises de forme et de natures diverses et de les disposer de façon agréable à l’œil. Il reste quelque chose de cette recherche ornementale mais aujourd'hui toute la couverture est formée de grosses ardoises du pays. En 1578, on employa aussi des ardoises bretonnes tirées de la perrière de Jehan Henry au Dourdu, mais les dessins et les imbrications furent formés d'ardoises beaucoup plus fines apportées d'Angleterre [Note : La pierre nécessaire à la construction fut, extraite des carrières de l'île Grande et de Trévezvor ; la chaux fut apportée de Roscoff, le bois fut acheté à Kerancras, à Kerlémarec et à Kermadeza ; l'ardoise d'Angleterre, achetée à Morlaix, coûta 50 sous le mille, celle du Dourdu valait seulement 40 sous].

Compte de 1578-1579. — Sur le sommet du toit s'éleva un clocheton. Maître Aubin Morin, pintier, couvrit « l'aiguillon » avec des lames de plomb qui furent en partie dorées, ce qui coûta environ 80 livres plus quelques frais accessoires : on paya dix sous pour le transport des « timbres et plomb doré que Aubin ne vosulait être porté par mer à cause de la dorure ».

Une cloche payée 18 livres, fut placée dans le clocheton, qui ne fut jamais destiné, comme on l'a dit, à abriter un fanal. — Un chaudronnier vendit pour deux réaux (8 s. 4d.) une croix et une girouette en forme de croissant. Salaun Geffroy, peintre-verrier, plaça une vitre dans la petite fenêtre circulaire qui est au fond de l'oratoire — coût 5 livres 5 sols. — Une somme plus importante 36 l. 5 s. fut versée « à Jacques Chrétien, statuaire à Morlaix, tant pour deux imaiges audit oratoire, l’une de Notre-Dame, l'autre de Saint-Jean-Baptiste, que pour avoir doré lesdits imaiges, timbres ou autres choses dudit oratoire ».

Quelques détaillés que soient les comptes il est impossible de s'avoir de façon précise ce que coûta la construction de l'oratoire. Le total ne dut guère dépenser 1100 livres. Le revenu annuel de la chapelle était à cette époque d'environ 900 livres.

Ce petit monument fut sans doute fort admiré dans ce pays ; car peu après les paroissiens de Plougasnou construisirent un oratoire près de leur église et en 1611, Jeanne de Kerédan fit bâtir dans le champ des Méjou le petit oratoire de Notre-Dame de Lorette qui est encore plus élégant et plus original que celui de Saint-Jean-du-Doigt [Note : Un oratoire beaucoup plus simple fut construit à Plouzélambre au XVIIème siècle : on l'appelle le Reposoir. En Cornouaille et en Léon nous ne connaissons aucun édifice de ce genre : la chapelle de Notre-Dame des Fontaines à Daoulas qui s'en rapproche un peu n'est ouverte à l’air libre que d'un seul côté. — L'oratoire de Saint-Jean fut reproduit en 1900 au « Village Breton » de l'Exposition Universelle].

Il est heureux que les comptes nous aient conservé les noms des auteurs de ce petit chef-d'œuvre, l'architecte Michel Le Borgne, le tailleur de pierre, Pierre Le Guyader, les charpentiers-sculpteurs, Avon Le Lavyec et Raoul Bégyvin.

Michel Le Borgne fui en 1581 et 1582 « maître de l'œuvre » de la tour de Saint-Mathieu de Morlaix. Le dessin de ce monument avait été donné en 1548, par Yves Croazec qui dirigea la construction pendant quelques années seulement. Les maîtres qui lui succédèrent modifièrent son plan de façon fâcheuse ; Michel Le Borgne paraît avoir été particulièrement mal inspiré : la construction de l'oratoire montre que cet architecte était cependant un homme de talent.

Le charpentier, Yvan Le Lavyec ou Le Layec qui vint donner le dessin de la charpente, était probablement un Morlaisien ou un Trécorrois. On doit cependant remarquer qu'il portait le même nomn que le charpentier-sculpteur Jehan Le Layec, auteur de remarquablese sculptures exécutées de 1524 à 1545 pour la chapelle de Saint-Nicolas-des-Eaux en Pluméliau, de Notre-Dame de Burgo en Grandschamps et de Saint-Yvi en Moréac [Note : Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, Paris, 1863, in 4°, col. 77, 112, 185. — Au siècle suivant on trouve André Lavyec de Kerbleuzinou, orfèvre à Brest]. Lavyec ne donna peut-être que le dessin général de la charpente ; Raoul Bégyvin fut en grande partie chargé de l'exécution matérielle ; il appartenait à une famille qui est encore représentée dans le pays.

Le sculpteur J. Chrétien sera plusieurs fois cité au cours de cette étude, car de 1562 à 1581 il ne cessa d'être employé par les marguilliers de Saint-Jean-du-Doigt. Nous retrouverons aussi plus loin le nom du peintre-verrier Geffroy.

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Fontaine du Cimetière. — Ce monument est plus célèbre que l'oratoire. Quelques écrivains en attribuent la construction aux libéralités de la Reine Anne. Le chevalier de Fréminville écrit « La belle et élégante fontaine qui se voit près de cette église, parait avoir été faite vers la même époque, c'est-à-dire dans les premières années du XVIème siècle. A la grâce de ses ornements et à la correction de leur style, on croit y reconnaître l'œuvre de quelques-uns de ces artistes que Louis XII et la reine, son épouse, firent venir à grands frais de l'Italie pour enrichir la France des monuments du meilleur goût ». M. Palustre déclare que la fontaine « ne saurait appartenir qu'aux dernières années du XVIème siècle » [Note : Note de Fréminville, p. 91 du Voyage dans le Finistère, de Cambry. — Palustre, La Renaissance en France]. M. de Kergrist est moins affirmatif : « Elle doit être d'une époque beaucoup plus récente (que la Reine Anne). Les formes pesantes du bassin inférieur et les mascarons qui la décorent appartiennent au XVIIème siècle. D'un autre côté, les figurines représentant la scène du baptême, ne me paraissent rappeler en rien les œuvres des artistes qui vivaient en 1505. Si je ne me trompe, si la fontaine de Saint-Jean est contemporaine de la Reine Anne, c'est qu'alors l'artiste italien qu'on dit en être l'auteur, aurait apporté dans ce pays un art bien en avance de celui qu'on y pratiquait dans les premières années du XVIème siècle ».

Il est certain qu'une fontaine existait à Saint-Jean dès avant 1520, car plusieurs inventaires anciens des archives de la chapelle citent une « Transaction du 15 juillet 1520, convenue au bourg de Guicaznou, par laquelle J. Guéguen, au nom de Rollande ar Fornier, sa femme, consentit pour 30 sous 6 deniers, que François Le Habasque, sieur de Kerjescar, procureur de la fabrique de Saint-Jean-Tromériadec, fit réédifier, construire et réparer la plombe et conduite d'eau de précédent construite du consentement de ladite Fornier au Parc dit Truchou ». Cette plombe ou fontaine est-elle celle que l'on admire aujourd'hui ? Nous verrons qu'il n'est guère possible de le croire.

Des documents aujourd'hui perdus, mais qui ont été analysés à la fin du XVIIIème siècle par J.-F. Clec’h, font connaître une première reconstruction de la pompe en 1556, par Fiacre Hamon, le maître pintier de Morlaix qui construisit la flèche du clocher [Note : Mss. Clech. Le même document apprend qu'en 1566 une fontaine fut construite à Kergaradec par Yves Calvez et Fiacre Bégat]. Dès 1575 il fallut faire des réparations très importantes (Compte de 1575-1576) et pendant tout les XVIème et XVIIème siècles, la fontaine fut une des plus grosses charges de la fabrique. Albert Le Grand l'admira en 1636 : « Dans le cimetière se voit une belle fontaine partie de taille, partie de plomb, laquelle est une des rares pièces du pays, jetant grande abondance d'eau ». Elle était alors en bon état. Tourfeur, maître plombier de Morlaix, la répara en 1680 (Compte de 1680-81). Huit ans plus tard, tout était à recommencer et il semble bien que la fontaine fut alors complètement refaite. L'Evêque de Tréguier autorisa une « renderie » de fil pour subvenir aux frais de construction d'une sacristie, de réparations de l'église en partie ruinée par le tonnerre et de réfection de la pompe. La renderie procura 1159 livres, qui furent ajoutées aux recettes ordinaires de l'Église, environ 1000 livres par an. La part affectée à la fontaine fut particulièrement importante. Il fut payé 333 livres 15 sols à Yves Logeat, architecte et maître picoteur de pierre de Plestin, pour construction de la sacristie, démolition du bassin de la pompe et sculpture de l'écusson de Mlle de Kercabin placé sur les murs de la sacristie nouvelle. Le texte du compte n'apprend pas si l'architecte-picoteur qui avait démoli le bassin fut chargé de le reconstruire, mais le style de cette lourde vasque est bien de cette époque. Le plomb fut fourni par Nicolas Noruays, maître plombier ou « pompier » de Morlaix [Note : Ce nom est parfois écrit Nervois et plus tard Norois ou Noroy. En 1722, Noroy fit des orgues pour Sainte-Melaine de Morlaix]. Il fut mis en œuvre sous la direction d'un sculpteur du pays ainsi que l'atteste le compte de la « renderie » de 1691 : « A Jacques Lespaignol, maître sculpteur de Morlaix, qui est occupé pour former les figures en bois servant de moles aux images et ornements de plomb apposés au tour des bacins de la pompe, durant l'espace de 35 jours, à ses dépens, ont payé 52 livres 10 sols, à raison de 30 sous par jour dont ils apparaissent quittance ». Il faut donc restituer à l'obscur sculpteur, maître Jacques Lespaignol, demeurant près le Pont-aux-choux, paroisse de Saint-Melaine de Morlaix, l'honneur d'avoir exécuté les délicates figurines et les mascarons que le chevalier de Fréminville attribuait aux artistes que « Louis XII et la reine son épouse firent venir à grands frais d'Italie pour enrichir la France des monuments du meilleur goût » ; mais l'ouvrier bas-breton s'inspira peut-être des sculptures de pierre ou de plomb qui décoraient l'ancienne fontaine. Les documents étudiés par M. l'abbé Quiniou apprennent que ce fut ce même Jacques Lespaignol, qui exécuta pour l'église de Saint-Thégonnec la mise au tombeau (1697-1703), le retable du Rosaire (1697) et une partie du retable du Maître-autel (1724) ; il fut choisi comme expert en 1712 par les marguilliers de Landivisiau qui venaient de recevoir un retable sculpté par Guillaume Lerrel [Note : F. Quiniou. L'Eglise de Saint-Thégonnec, p. 114 à 130. — Le Men. Documents sur les artistes bretons, dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, T. VII, p. 35. — Jacques Lespaignol signa comme témoin à un enterrement à Saint-Jean, le 22 décembre 1692 ; sa signature est presque celle d'un illettré]. Il appartenait à une famille de bons ouvriers : Jean Lespaignol fit en 1710 d'importants travaux pour l'église de Notre-Dame-du-Mur. Olivier Lespaignol sculpta en1722-1723 pour Saint-Jean-du-Doigt, un autel dont il sera parlé plus loin.

Le plomb est une matière malléable qui, au contact de l'eau, se désagrège et se déforme assez rapidement : les pièces exécutées en 1690 furent plusieurs fois réparées pendant le XVIIIème siècle ; quelques unes ont été, croyons-nous, complètement refaites au XIXème siècle ; il subsiste probablement peu de chose de l'œuvre originale de Jacques Lespaignol.

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Portail du cimetière. — Deux portails donnent entrée dans le cimetière : l’un à l'ouest, est de construction récente et n'a aucun caractère architectural ; l'autre au sud, est au contraire un des plus jolis et des plus anciens arcs de triomphe de Basse-Bretagne ; il se compose d'une grande baie de style gothique qui remonte au XVème siècle ou aux premières années du XVIème siècle, accompagnée à droite d'une petite porte cintrée, destinée aux piétons, moins jolie et certainement plus récente que la porte principale.

En 1584-1585, il fut dépensé environ 110 livres pour construire le « portal devers le pavé sur le cimetière ». Jehan Le Taillanter, maître tailleur de pierre, dirigea les travaux. Il est possible qu'il s'agisse ici de la petite porte cintrée comprise dans l'arc de triomphe ; il se peut aussi que cette dépense s'applique à un édifice que l'on appelait « le parapet du cimetière » et dont un habitant de Plougasnou demandait en ces termes la destruction à la fin du XVIIIème siècle : « Ce parapet est un colosse antique plus qu'inutile, que l'on doit plutôt abattre que réparer, car ce seroit perdre de l'argent que de tenter d'y faire des réparations » [Note : Lettre conservée aux archives de la mairie de Plougasnou].

Le nom de l'architecte qui dirigea les travaux de 1584-1585 mérite d'être retenu, car Jehan Le Taillanter fut l'architecte de deux monuments intéressants, la tour de l'église de Ploubezre, construite en 1577 [Note : On lit cette inscription au-dessus du portail de l'église de Ploubezre : Ceste tour fust comen. pi. Letaillanter m. le 8 may et le f. Le Bihan, procureur pour la paroisse lors en lan 1577. (Gaultier du Mottay. Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuç, 1883, in-8°, p. 278)], et la tour de Plougasnou. A la base de ce monument, une inscription existe encore qui rappelle ses travaux : « Le 8e jour doctobre 1583. M. I. Taillanter a faet le fondement et en lonneur de Diu conduit jusq, a présent. 1584 ». La construction de cette tour marcha très lentement quoique la chapelle de Saint-Jean fournit à la mère paroisse des subsides qui, de 1582 à 1592, atteignirent 1661 livres 12 sols. Interrompue par les guerres de religion, elle fut enfin terminée vers 1610. Ce n'est pas un édifice parfait ; les balcons qui existent aux trois étages ont peut-étre été inspirés des jolies galeries de la tour de Saint-Jean, mais l'imitation est bien lourde et bien maladroite : la flèche, en maçonnerie, est aussi grèle que l'aiguillon de plomb construit par Fiacre Hamon : elle est placée sur une plate-forme trop large et flanquée de quatre clochetons.

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Maison du Gouvernement ou Grande Maison de Saint-Jean et voies d’accès à la Chapelle. — Tout auprès du cimetière s'élève une maison qui conserve d'intéressantes parties des XVIème et XVIIème siècles : elle était jadis appelée la Maison du Gouvernement ou la Grande Maison de Saint-Jean. Ces deux noms reviennent très fréquemment dans les comptes et dans les inventaires anciens qui citent les baux à ferme consentis par les fabriques ou les dépenses pour réparations — par exemple lorsque « les souldarts de M. de Goezbriant » se logèrent dans cette maison en 1591 et y commirent quelques dégâts. D'après l'auteur de l'article consacré à Saint-Jean-du-Doigt dans la nouvelle édition du Dictionnaire d'Ogée, ce vieux logis était « une auberge que Anne de Bretagne avait fait construire dit-on, pour servir d'asile aux dévots adorateurs du doigt de saint Jean », mais un acte prônal du 18 février 1603 analysé dans un inventaire ancien renfermait l'exemption accordée à cette date à la « maison de la chapelle » des tailles et fouages ordinaires dus au Roi ; cette pièce a inspiré cette judicieuse remarque à l'archiviste Clech. « L'acte concernant cette exemption prouve assez la fausseté des prétentions de ceux qui soutiennent que la reine Anne de Bretagne fit don de cette maison » — en effet si la maison avait été un don royal, les paroissiens de Saint-Jean n'auraient pas eu à se charger en 1601 de la part afférante à cet immeuble dans le rôle paroissial des tailles ou des fouages.

Le 21 vendémiaire an IV, la Grande Maison de Saint-Jean et ses dépendances furent vendues comme bien national à François Pezron, négociant à Morlaix, place du Peuple, qui les paya 54 200 livres (assignats) ; Pezron était locataire de cette maison pour une somme annuelle de 211 livres.

Nous citerons comme dernière « annexe » de la chapelle de Saint-Jean-du-Doigt, les voies pavées qui y donnaient accès dans les directions de Morlaix et de Lanmeur. Les chemins pavés étaient bien rares en Basse-Bretagne : le pavage était un luxe presque inconnu et comme ce pavage s'étendait très loin, que par conséquence il avait coûté fort cher, on n'a pas manqué d'en attribuer la construction à la reine Anne : « je veux ajouter un mot, écrit M. de Kergrist, au sujet d'une libéralité d'un autre genre (que la construction de l'église) due à la bonne reine. Elle fit paver avec des galets les deux routes qui aboutissaient à Saint-Jean. Ce fait n'est mentionné ni par Albert Le Grand, ni par M. de Kerdanet, mais il m'a été affirmé par un homme qui connaissait toute les vieilles chroniques de Basse-Bretagne... ». Cette fois encore la prétendue tradition est contredite par l'analyse d'un acte de l'ancien chartrier de Saint-Jean « 1573 : la délibération du 23 novembre apprend que les pavés d'entre Saint-Jean et Morlaix et entre Lanmeur et Saint-Jean, les pavés en Plougasnou aux endroits du Pont-angler, du Pont-coz, etc. ont tous été faits aux frais de la fabrique de Saint-Jean pour l'utilité des paroissiens et commodité des pèlerins » (Mss. Clech).

Suivant un usage qui existe encore en Bretagne des croix avaient été établies aux carrefours voisins du sanctuaire ; les marguilliers payèrent en 1684, 5 livres 10 sols à Guéguen, charpentier, « pour la croix neuve sur le grand chemin de Saint-Jean à Morlaix proche des Corvès pour servir de guide aux pèlerins ». En 1755, des croix furent placées près de la fontaine Saint-Jean et dans le cimetière ; trois ans plus tard Guillaume Corre, tailleur de pierre, en fit deux pour 25 livres qui furent érigées l'une près de la fontaine et l'autre sur le chemin de Morlaix (Comptes).

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Intérieur de l’Eglise ; les Autels. — Les architectes inconnus [Note : Un cul de lampe qui jadis soutenait une statue porte l'inscription : M. P. Chevalier fist faire. On a dit que c'était le nom de l'architecte : c'est certainement le nom du donateur de cette statue] qui construisirent la chapelle paraissent avoir voulu réaliser un véritable tour de force en donnant à l'édifice une élévation extraordinaire ; la grande nef large de 5m 66. seulement est haute de 16m 20 ; la chapelle n'a que 36m 20 de long [Note : Voir dans l'étude de M. Kergrist les dimensions de la chapelle et sa description]. Cette hauteur exagérée des voûtes surprend quand on entre dans l'église qui est cependant un des édifices les plus remarquables que l'art gothique à son déclin, ait laissé en Bretagne.

Un procès-verbal dressé le 18 août 1627 par les juges de la sénéchaussée de Lanmeur [Note : Document communiqué par M, le Recteur de Saint-Jean] permet de constater que Saint-Jean possédait alors un riche mobilier ; ce document énumère douze autels placés dans le haut de l'église, des croix et de nombreux chandeliers de cuivre, les fonts baptismaux surmontés d'un « tabernacle » (dôme) de menuiserie, un « chantereau » (tribune) au-dessus de la porte d'entrée occupé en partie par les orgues ; deux autels dédiés à saint Divy et à saint Fiacre étaient construits au bas de la nef ; le clocher renfermait quatre grosses cloches et le timbre de l'horloge ; à l'entrée du chœur devant l'autel de saint Jean était un grand chandelier de cuivre à douze cierges que l’on allumait pendant la consécration, en face devant l'autel « de Jésus » était un autre chandelier à seize cierges.

Dans le mobilier qui subsiste actuellement on ne pourrait reconnaître qu'un petit nombre des objets décrits en 1627 : les fonts bâptismaux et quelques statues. L'art religieux du XIXème siècle est représenté par de jolies stalles, par la chaire lourde et sans style, par d'affreux confessionnaux, et par un déplorable groupe sculpté représentant le Baptême du Sauveur par saint Jean-Baptiste.

Tout le reste du mobilier date de l'époque à laquelle correspondent les comptes. Nous y trouverons l'histoire des principaux objets.

En 1646, les paroissiens traitèrent avec le sculpteur Jean Bertouloux qui s'engagea à faire un autel et à fournir deux tableaux pour 1500 livres : l'autel fut mis en place au commencement de 1647 (Comptes de- 1647-1648). mais il ne subsista intact que pendant peu d'années ; au pied du retable monumental construit en 1670 par Olivier Martinet, on voit encore une partie du petit retable de Bertouloux : le tabernable, les bas-reliefs représentant l'Annonciation et la Visitation [Note : D'après les comptes de 1647-1648, Bertouloux avait livré deux tableaux représentant la Décollation de saint Jean-Baptiste et l'Annonciation ; il n'est pas impossible que le mot « tableaux » désigne ici non pas des « tableaux de plate peinture » mais des bas-reliefs ; comme son retable devait comprendre quatre médaillons avec bas-reliefs, on peut supposer que le tableau de la Décollation de saint Jean:Baptiste se trouvait sur un des médaillons qui furent supprimés lorsqu'on mit en place le retable de Martinet. — Le maître-autel de Roscoff, qui présente une certaine analogie avec celui de Saint-Jean, comprend un petit retable placé au bas d'un grand retable à tableau et colonnes] et des statuettes qui sont des œuvres délicates et charmantes : on en trouvera la description et la figuration dans le 23ème fascicule du Livre d'or des Eglises de Bretagne de M. l'abbé Abgrall. Le nom du sculpteur Bertouloux qui habita Morlaix et plus tard Brest est cité dans les archives de Saint-Melaine : il fit en 1639 « une pièce sur l'autel de Madame Sainte-Anne en l'église de Monsieur Saint-Melaine audit Morlaix ».

Son joli retable de Saint-Jean parut sans doute trop petit ou trop mesquin car en 1670 on le remplaça par un autel plus considérable ; les paroissiens s'adressèrent en 1670 à Olivier Martinet, « architecte-sculpteur » de Laval. Cet artiste appartenait au curieux petit groupe de sculpteurs qui se forma aux XVIIème et XVIIIème siècles dans le Bas-Maine et l'Anjou. On sait, qu'aux environs de Laval et de Sablé (Sarthe) existent des carrières de marbre propre à la sculpture : ce fut dans cette région que furent exécutés la plupart des autels de marbre qu'achetèrent, à partir du XVIIème siècle, les plus riches églises de Bretagne : Jean Martinet, de Laval, fit des autels pour Notre-Dame de Vitré (1625-1626) et Saint-Etienne de Rennes. La clientèle de son fils, Olivier Martinet, s'étendit plus loin encore vers l'ouest car après avoir fait un tombeau pour la cathédrale de Nantes en 1647, il livra des autels à Saint-Colomban de Quimperlé (1650), Port-Louis et l'abbaye de la Joie (1653), Saint-Jean-du-Doigt (1668-1672) et l'abbaye de Beauport (1672) [Note : Cf. J.-M. Richard, Notes sur quelques artistes lavallois du XVIIème siècle, les constructeurs de retables, extrait des tomes XXI et XXXII (1905-1906) du Bulletin de la Commission historique de la Mayenne. Nous sommes redevables à MM. Dubreil et P. Hémon d'intéressants renseignements sur les autels de Quimperic et de Beauport]. Les statues placées dans les niches du retable furent faites par Delabarre, du Mans, qui à la même époque travailla pour les églises de la Gouesnière, de Sainte-Anne d'Auray et de Beauport. La plupart des autels que nous venons de citer ont été détruits et remplacés par des autels pseudo-gothiques, cependant les statues livrées en 1660, par Delabarre à l'église de la Gouesnière existent encore, et le retable de Saint-Jean-du-Doigt est intact ; c'est une construction curieuse et intéressante, mais ce n'est pas un chef-d'œuvre. Haut de plus de dix mètres, il ne présente pas ce seul défaut de masquer la magnifique fenêtre de l'abside ; il est formé d'un entassement d'éléments assez disparates, statues, niches, frontons brisés, guirlandes, bouquets et corbeilles de fleurs et cornes d'abondance, et comme couronnement au-dessus des frontons qui eux-mêmes surmontent les niches, de grosses et lourdes balustrades. Martinet s'est visiblement inspiré des façades des églises du style italien ou jésuite qui florissait au XVIIème siècle : ces façades sont parfois fort jolies et s'harmonisent agréablement avec les constructions contemporaines, par exemple la façade de la chapelle de l'hôpital de Guingamp construite de 1699 à 1709 qui présente de curieuses analogies avec l'autel de Saint-Jean ; mais quand cette pseudo-façade se voit au fond d'une église gothique, l'effet est moins heureux.

M. de Kergrist, qui a remarqué ce désaccord, parait désirer que disparaisse et que la grande fenêtre soit garnie de vitraux. Nous ne saurions nous associer à ce vœu. Comme nous venons de le dire l'autel de Martinet n'est pas parfaitement « à sa place », mais s'il était détruit, il serait remplacé par un de ces pastiches des autels du Moyen-Age, doré ou non, sans mérite et sans caractère comme on en a tant mis dans nos églises. Quant, aux vitraux, tous ceux qui ont été placés depuis cinquante ans dans le Finistère font vivement désirer qu'on ne livre pas aux verriers une fenêtre qui a onze mètres de haut. Il est toutefois une restauration qui est bien désirable : le très grand tableau qui forme le centre du retable est complètement noirci par le temps ou par la fumée des cierges ; cette vaste surface noire au milieu des somptueuses architectures est du plus fâcheux effet. Jadis, sans doute, on voyait là quelque tableau au brillant coloris de l'école de Rubens ou une pompeuse composition imitée de Lebrun dans le strie des grandes colonnes et des lourds frontons ; si on nettoyait et si on restaurait ce tableau, si on lui rendait son éclat ancien, l'aspect général du retable serait très heureusement modifié [Note : On devrait aussi nettoyer les statues du Sauveur et de saint Jean ; la barbe de l'une et de l'autre ont été facheusement peintes en noir, d'un noir beaucoup trop vif].

Aucun des historiens de Saint-Jean n'a attribué l'autel à la générosité de la reine Anne, mais d'après un ouvrage récent, il aurait été donné par le marquis de Locmaria. Il se peut que ce gentilhomme, qui était fort riche, ait fait quelqu'offrande à Saint-Jean, qu'il ait par exemple fait sculpter à ses frais l'écusson à ses armes qui jusqu'à la Révolution exista sur le cul-de-lampe placé au-dessous de la statue de la Vierge, mais les comptes paroissiaux de 1668 à 1672 prouvent que toute la dépense fut payée par les petites gens, paroissiens et pèlerins, qui au XVIIème siècle aussi bien qu'au XVème, furent les grands bienfaiteurs de Saint-Jean. Les frais furent considérables : Martinet et Delabarre touchèrent 4.000 livres ; il y eut en outre à payer les frais de transport du monument de Laval à Primel par rivière et par mer, la construction d'un soubassement en maçonnerie, d'importantes modifications au chantereau (jubé) et d'autres frais accessoires. Les comptes donnent les noms de deux aides de Martinet : le statuaire Millet et un certain Antoine Robereau, sieur de la Violette, qui était peut-être l'auteur du tableau. Les frais qui avaient été en partie avancés par le sieur de Morizur lui furent remboursés lorsqu'une grande mission eut fait tomber d'abondantes offrandes dans le tronc de Saint-Jean.

En 1723, Olivier Lespaignol fit pour 700 livres le retable de l'autel Saint-Mériadec (Comptes de 1723-1724). Ce joli autel existe encore ; l'auteur était quelque frère ou parent de Jacques Lespaignol dont il a été parlé ci-dessus. — Les comptes ne font aucune mention de l'autel de Sainte-Elisabeth qui présente de grandes analogies avec l'autel de Saint-Mériaciec : l'un et l'autre sont problablement sortis du même atelier.

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Vitraux, Statues et Peintures. — Les plus anciens comptes mentionnent fréquemment les vitraux qui dès le XVIème siècle devaient être en très mauvais état. Le vent marin lorsqu'il s'engouffrait dans le val de Saint-Jean, venait heurter les verrières mal assujetties entre les meneaux trop hauts et causait de véritables désastres. La manie des droits honorifiques qui sévissait en Basse-Bretagne contribua à hâter leur ruine ; d'après un mémoire de Jean Le Bel, prieur des Dominicains de Morlaix, le seigneur de Goesbriant profita du désordre causé par les guerres de religion pour faire mettre de force ses armes dans les verrières de toutes les églises du pays ; le seigneur de Bodister faisait de même et des documents apprennent que l'église de Saint-Jean fut parfois le théâtre de scènes scandaleuses : les gens du duc de Retz, seigneur de Bodister, enlevaient les écussons de familles rivales, qui à leur tour brisaient les armes de Bodister et sans doute aussi quelques panneaux de vitraux voisins [Note : Arch. du Finistère : E. 759, 796 (procès de 1613 à 1619 et enquête de 1630). — Procès-verbal des prééminences dressé le 29 septembre 1629, publié par M. De Lisle du Dréneuc dans la Reine historique de l'Ouest, tome II années 1886-1887, p. 21-26 (La description des armoiries existant à Saint-Jean manque dans le registre A. 19 des archivés du Finistère qui renferme les procès-verbaux des prééminences des ressorts de Morlaix et de Lanmeur)].

Les verriers qui exécutèrent des réparations sont cités dans les comptes de fabrique. Charles Capt ou Cap, de Morlaix, parent peut-être du célèbre Alain Cap, de Lesneven, est nommé dans le compte de 1553. Nous avons dit ci-dessus que Salaun Geffroy fit un vitrail pour la petite fenêtre de l'oratoirà (Compte de 1578-1579). L'année suivante une modique somme de 15 livres fut payée à Salaun et à Laurent Geffroy, « vitriers et peintres, pour avoir selon le marché réparé en plusieurs endroits la grande vitre en ses couleurs ». Ces Geffroy étaient une famille d'artistes ; nous citerons bientôt les œuvres des peintres et sculpteurs Jehan et Hervé Geffroy. Un autre Jehan Geffroy fit son apprentissage chez son oncle Salaun Geffroy en 1619, âgé de 64 ans et demeurant à Térennez en Plougasnou, il racontait au cours d'une enquête que, vers 1574, il avait aidé son oncle à placer les armes de la famille de Goesbriant dans des fenêtres des églises de Ploujean et de Saint-Jean. A la même époque Pierre Geoffroy ou Geffroy, verrier à Saint-Brieuc, répara les vitraux de l'abbaye de Beauport.

D'autres ouvriers sont cités dans les comptes, mais les mentions sont trop brèves pour qu'il soit possible de reconnaître s'il s'agit de simples vitriers ou de peintres-verriers. Cependant on ne peut refuser cette dernière qualité à Jean Baradec qui en 1647 reçut 110 livres pour avoir accomodé la grande vitre. Ce Baradec travailla en 1679 à la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon et refit en partie le vitrail de Saint-Laurent.

L'art du statuaire d'église se confondait en partie avec l'art du peintre de statues ou peintre doreur et on voit assez souvent les mêmes ouvriers appelés tantôt maîtres sculpteurs et tantôt maîtres peintres.

Jacques Chrétien « tailleur d'images » de Morlaix qui en 1561 avait sculpté un tabernacle pour l'église de sa paroisse, Saint-Melaine, travailla l'année suivante à Saint-Jean en qualité de peintre : il reçut 40 livres pour avoir « taint quatre imaiges » (statues). En 1571, il est appelé « maître imaigeur de Morlaix » : il sculpta et peignit « une imaige de crucifix » cette statue payée 300 livres devait être de grande dimension car il fallut une charrette pour l'apporter de Morlaix (Compte de 1571-1572). La même année il fit pour Plougasnou un tabernacle sur le modèle de celui de Saint-Melaine. En 1575-1576 il n'est plus que peintre : il fut payé 30 livres « pour avoir peint l'imaige de Monsieur saint Jehan estant au porchet et mis des vitres ès-chas. (châssis) à l'entour..... et peint l'image de saint Aulbin au bas de ladite chapelle » (Compte de 1575-1576). Trois ans plus tard il est qualifié « maître statuaire » : il sculpta en effet deux statues de l'oratoire (Compte de 1578-1579). Ce titre lui est maintenu ainsi que celui de peintre lorsqu'en 1581 il fit moyennant 165 livres les images et peintures de la porte neuve du cimetière.

Hervé et Jehan Geffroy paraissent n'avoir été que peintres : Hervé, en 1572, peignit les statues de saint Laurent, saint Yves, saint Eloy, saint Fiacre et saint Roch et fit « la pourtraicture de la teste de Monseigneur saint Jehan » (compte de 1572-1573 et 1583-1584).

Pezre Barazer, de Morlaix, peignit en 1593 à la chapelle de Notre-Dame des Joies (paroisse de Guimaec) des fresques dont quelques parties existent encore : il travailla en 1597 à Plougasnou et en 1599 à Saint-Jean en qualité de peintre de statues. Sa visite à Saint-Jean suivit l'évacuation de la chapelle par les gens de guerre : la liste des statues qu'il nettoya ou peignit est intéressante car elle complète celle qui se trouve dans le compte de 1572-1573 cité ci-dessus : elle apprend qu'il existait au-dessus du maître autel des statues de Notre-Dame et de saint Jean, sur le chantereau (jubé) Notre-Seigneur et Notre-Dame, dans la chapelle de Lisle saint Jean l'Evangéliste, dans le porche une troisième Notre-Dame et dans diverses parties de la chapelle les images de saint Maudet, saint Laurent, saint Aler, saint Sébastien, saint Roch, saint Jean-Baptiste, saint Mériadec, saint-Yvan.

En 1657 Gélin, peintre, reçut 6 livres pour avoir doré la tête de saint Jean, exposée dans l'église pendant le pardon, et l'image saint Jean du « porchet ». Il travailla en 1683 pour Lampaul-Guimiliau, et il est peut-être le même personnage que le sculpteur Gellin, auteur d'œuvres importantes exécutées à Plouguerneau (1681-1686) et que le vitrier ou verrier Geslin employé à la Martyre de 1687 à 1697.

On paraît avoir renoncé au XVIIIème siècle à peindre les statues, mais en 1745-1746 on dépensa plus de 1600 livres pour peindre en bleu céleste le « lambris » (la voûte en lambris) de l'église.

Les menuisiers bretons étaient souvent de véritables artistes ; mais les prix payés pour quelques travaux au XVIIème siècle et au XVIIIème indiquent qu’ils ne firent pas à Saint-Jean des travaux considérables :

63 livres en 1657 à Jean Guillasser et Stéphan pour faire les balustres à l'entour du maître autel.

27 livres en 1689 à Yves Henry, maître menuisier à Plestin, pour l'ameublement de la nouvelle sacristie.

66 livres en 1710 à Nicolas Le Saout pour une balustrade en bois.

25 livres en 1745 à Etienne Lainé pour une cassette de bois destinée à renfermer le doigt de saint Jean.

294 livrés en 1759 et en 1764 pour les balustres des autels de la Décollation de saint Jean et de saint Zacharie.

Quelques-unes des œuvres citées dans ce chapitre existent encore : les statues de l'oratoire, le Christ du jubé et les deux statues qui l’accompagnent, et trois autres statues dispersées dans l'église. Sous « le porchet », on voit encore une vieille « imaige » placée dans une très jolie niche de bois sculpté que ferment des « chas » vitrés ; mais cette statue que l'on donne comme une image de saint Jean-Baptiste n'a aucune des caractéristiques du Précurseur. Le saint fortement barbu tient un livre de la main gauche et relève de la main droite un pan de sa longue tunique pour découvrir sa cuisse nue. Cette statue nous paraît l'image de saint Roch qui se trouvait en 1572 dans l'intérieur de l'église.

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Orgues, Horloges, Cloches. — Le payement de l'organiste est un article qui figure dans tous les comptes, depuis 1553 jusqu'à 1789. En 1563, Salomon Le Trévou remplissait ces fonctions ; parfois il recevait quelques indemnités supplémentaires à raison des réparations qu'il savait faire à son instrument.

On trouve ensuite les organistes Nicolas Garnier, prêtre (1562), Jehan Nédélec (1564), François Madec (1572), Yves Prigent, prêtre (1581), Jean Kerilfin, prêtre (1647), Duval (1691), Jean Le Bideau (1725), Gilles Loyer (1768). Au XVIème siècle, le salaire annuel était peu élevé : 15 ou 20 livres seulement ; en 1594, à raison des malheurs du temps, Yves Prigent refusa tout traitement et l'année suivante il se contenta de 12 livres 10 sols ; en 1647, le salaire s'élevait à 45 livres ; en 1768, à 102 livres et en 1778, à 150 livres. Gilles Loyer, qui fut le dernier organiste de la chapelle fut le premier maire de Saint-Jean.

Les orgues furent plusieurs fois réparées ou renouvelées ; celles que touchaient S. Le Trévou et J. Nédélec furent remplacées en 1585 : au prône du dernier dimanche de juin les marguilliers exposèrent qu'il était « séant d'avoir une nouvelle paire d'orgues » et qu'un marchand de Flandres, Arnould Smidt, qui était de passage à Morlaix, en avait de belles paires ; le marché fut conclu quelques jours plus tard moyennant 180 livres (Compte de 1585-1586) ; le marchand vendit cette même année des orgues à Saint-Melaine de Morlaix.

Michel Thépault de Rumen, chanoine et grand pénitencier de Tréguier, fondateur du grand, séminaire et l'un des grands bienfaiteurs du diocèse, fut pendant quelques années recteur de. Plougasnou (1650-1655) ; il fonda une mission à Saint-Jean et, en 1652, dota la chapelle de nouvelles orgues payées 1320 livres à un facteur, dont le nom se trouve dans les comptes d'un grand nombre de paroisses de Basse-Bretagne : Robert Dallam, gentilhomme anglais, que son attachement à la religion catholique avait éloigné de sa patrie. Il arriva en Bretagne muni de lettres de recommandation de la reine Henriette de France et de l'évêque de Chalcédoine, vicaire apostolique en Angleterre, et fut immédiatement employé par les églises les plus riches du pays ; ses fils, Thomas et Toussaint Dallam de la Tour, l'aidèrent dans ses travaux, puis lui succédèrent. Cette famille fit les orgues de la cathédrale de Quimper (1643-1646), de Brasparts (1648), Saint-Jean-du-Doigt (1652), Saint-Houardon de Landerneau (1656), de la cathédrale de Saint-Pol (1657-1660), de Daoulas (1699), Locronan (1672), Audierne (1673), Pont-Croix (1675 et 1690), Saint-Melaine de Morlaix (1680), Pleyben et Sizun (1688), Saint-Thomas de Landerneau (1690), La Martyre (1693)

Le vieil orgue de Saint-Jean-du-Doigt fut donné à l'église de Plougasnou.

L'œuvre de Dallam fut réparée en 1657 par Jean Boivaux et Thomas Bunel, facteurs ambulants comme les Dallam. On trouve Jean Boivaux du Mesnil à Sainte-Croix de Quimperlé en 1666 et à Saint-Houardon de Landerneau, en 1668. T. Bunel, originaire de Guérande, travailla avec lui à Landerneau et fit seul trois ans plus tard les orgues de La Martyre.

Aucun compte ne rapporte la construction du buffet des orgues ; on ne trouve non plus aucun renseignement sur l'origine de vieilles peintures représentant sainte Cécile jouant de l'orgue et le Roi David jouant de la harpe, qui ornent le modeste buffet de Saint-Jean. Le 9 messidor an III, le facteur Joseph Gardett expertisa, par ordre du district de Morlaix, les orgues de Saint-Jean ; elles étaient peu importantes et ne furent estimées que 400 livres [Note : Arch. Finistère. L. 318. — Les facteurs Dallam se chargeaient parfois de l'exécution du buffet ; il se peut que le buffet de Saint-Jean ait été exéçuté sous leur direction].

M. Le Men remarque dans sa Monographie de la cathédrale de Quimper que le Chapître était ordinairement obligé de faire venir de fort loin un horloger lorsque l'horloge avait besoin de réparations. A Saint-Jean-du-Doigt, qui possédait une horloge dès le XVIème siècle (Compte de 1553-1555), on trouvait généralement les ouvriers nécessaires à Plougasnou ou à Morlaix : Alain Soubigou en 1553, Henri Quotton en 1573, René Huet en 1585, André Le Chevalier en 1694. Ces réparations étaient une lourde charge pour la fabrique. En 1778 elle acheta à Grégoire Le Choquer, une horloge neuve qu'elle paya 400 livres.

Dans toute la série des comptes on trouve une seule mention de fondeur de cloches : Julien Troussel, qui en 1714-1715 fit un coussinet. Nous sommes redevable à M. le chanoine Peyron de la transcription des inscriptions des deux cloches qui subsistent actuellement dans la tour de Saint-Jean, inscriptions curieuses qui rappellent le culte du patron de la paroisse en même temps que « l'aurore des temps nouveaux ». La plus grosse cloche porte « L'an 1791, second de la Liberté, a été nommée la Constitution, par les reprêsentants de la Société des amis de la Constitution établie à Morlaix, par les soins de M. C. Loyer, maire, et de MM. Troadec le Coz, U. Geffroy, G. Le Chat, et Primot, officiers municipaux, et Guillou, prêtre de la commune. — M. Le Jeune et J,-M. Mahé, fabriques. — [Fondu] par J.-F. Guillaume ». L'inscription se termine par une croix fleurdelisée.

Sur l'autre cloche on lit « L'an 1791, second de la Liberté, j'ai été nommée Jean-Baptiste par les représentants de la Société des amis de la Constitution... » et la suite comme sur l'autre cloche.

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Trésor. — La Sacristie de Saint-Jean renfermait jadis un trésor d'une admirable richesse. Un inventaire dressé en 1569, le procès-verbal de la visite de l'église faite en 1627 par les magistrats de Lanmeur et plusieurs inventaires rédigés au XVIIème siècle, énumèrent « le doigt de Monseigneur saint Jehan, enchassé en argent doré, la teste de Monsieur saint Mériadec, aussi enchassée en argent, le bras de Monsieur saint Maudette, aussi enchassé en argent, ung image d'argent de Monsieur saint Jehan Baptiste, une face avec deux oel d'argent, une custode d'argent pour porter ledit doigt, deux autres chasses aussi d'argent pour porter ledit doigt, une custode d'argent pour porter le Saint-Sacrement avecq une bouette d'argent... seize calices d'argent... trente-deux chandeliers de cuivre... deux croix, l'une d'argent doré et l'autre de cuivre.. » plus une dizaine de calices d'étain, des encensoirs et des bénitiers, douze missels à l'usage de Paris ou de Rome, deux graduels de vélin, un antiphonaire de vélin d'Angleterre, deux manuels, l'un vélin et l'autre papier. La liste des ornements d'église est interminable : On y trouve des ornements de drap d'or, de drap d'argent, de velours noir, de velours rouge, de velours noir et rouge, de velours jaune, de satin blanc, de camelot roux, de damas noir…

Saint-Jean-du-Doigt a eu le rare bonheur de conserver les pièces les plus précieuses de son trésor ; un grand calice et sa patène en argent doré, un autre calice plus petit et sa patène en argent, la croix de procession en argent doré, l'étui en cristal renfermant le doigt de saint Jean, le chef en argent de saint Mériadec, le bras en argent de saint Maudet. Parmi les pièces que les anciens inventaires citent comme les plus précieuses, on n'a à déplorer la perte que de cette énigmatique « face avec deux ell (yeux) d'argent », de la petite image de Saint-Jean et des custodes de même métal et d'une lampe aussi en argent qui avait été donnée vers 164O.

Le savant auteur de « La Renaissance en France » s'étonne que de nombreux archéologues bretons aient avancé « contre toute vraisemblance » que la Reine Anne avait donné la Croix et le Calice : cette assertion est en effet inadmissible ; tous les objets qui composent le trésor sont les uns antérieurs, les autres postérieurs à l'époque du pèlerinage de la bonne duchesse [Note : M. Palustre se déclare « très porté à attribuer » la grande patène à Guillaume et François Mocam, orfèvres à Quimper, parce cet objet porte une marque aux initiales G. F. M. ; cette attribution nous paraît plus que douteuse : si la patène n'a pas été faite par un orfèvre de Paris ou d'une grande ville, elle vient de Morlaix, de Guingamp ou de Tréguier. Les comptes montrent que les marguilliers n'allaient pas acheter en d'autres villes les objets dont ils avaient besoin. — Sur le calice et la patène, voir une notice de A. Darcel, publiée dans le tome XIX des Annales archéologiques].

Nos comptes ne fournissent malheureusement aucun document sur l'origine de ces magnifiques objets ; ils nous donnent seulement les noms d'orfèvres qui vendirent à la chapelle d'autres vases sacrés ou réparèrent les reliquaires : ce sont Pierre Oriot (1575), Alain Trocler (1585-1587), Pierre Bellec (1599), Lapous (1647), Olivier Le Roy (1689), La Hougue (1787), Jean-Pierre Le Goff (1765-1771), Le Goff fils (1789). Tous ces artistes habitaient Morlaix : les noms de plusieurs d'entre eux se rencontrent dans les comptes d'autres églises de la région : Jean Bellec à Saint-Melaine de Morlaix en 1617 et à La Martyre en 1618, et O. Le Roy, à Saint-Melaine en 1674, Landivisiau en 1675, à La Martyre en 1675-1677, à la cathédrale de Saint-Pol en 1684-1686 et à Saint-Thomas de Landerneau en 1687. Les deux derniers orfèvres cités, Le Goff, père et fils, appartenaient à une famille d'artistes qui, pendant près d'un siècle, exerça avec succès l'art de l'orfèvrerie. Leur maison, à l'enseigne de La Couronne d'or, étendit sa clientèle dans les diocèses de Léon et de Tréguier. On trouve les noms de Pierre, de Jean-Pierre et de Paul Le Goff dans les comptes de Pencran (1754), Pleyber-Christ (1764), Saint-Jean (1765-1771), la cathédrale de Saint-Pol (1776-1785), Langoat (1777), Squiffiec, Plourin et Plouvorn (1778), Loqueffret et Loguivy (1782), Pleumeur-Gautier (1783), Botsorhel et Saint-Melaine de Morlaix (1785), Plougasnou, Saint-Dominique de Morlaix et Pleyber-Christ (1789), Guimaec (1807), Lanmeur (1812), Plouigneau (1832).

On ne peut ranger parmi les orfèvres, niais plutôt parmi les dinandiers, Louis Larvor, qui, en 1774, livra la croix du tabernacle et six chandeliers de cuivre. Peut-être serait-il possible de les retrouver en quelque coin de la sacristie. Dans presque toutes les églises du Finistère, les autels sont encombrés de grands chandeliers en métal argenté ou doré, qui portent d'interminables faux-cierges en fer d'un blanc douteux. Chandeliers et cierges dessinent de grandes lignes verticales qui coupent de la façon la plus fâcheuse l’architecture des vieux retables ; ces disgracieux ustensiles ont remplacé les vieux chandeliers de cuivre, bas et trapus, ornés de profondes moulures qui existaient au XVIIIème siècle dans la plupart des églises de Basse-Bretagne ; il serait sans doute exagéré de qualifier ces objets d'œuvres d'art, mais ils ont cependant plus de mérite que les instruments qui leur ont été préférés.

Les plus anciens inventaires ne citent pas de bannières ; cependant en 1862 l'église en possédait encore trois, mais en très mauvais état. L'une était en velours jaune semé de fleurs de lys et d'hermines ; on y reconnaissait les figures brodées du Christ et de Saint-Jean ; aux franges du bas pendaient six clochettes. Il est inutile de dire que « la tradition » faisait de cette bannière et des deux autres, un don de la duchesse Anne [Note : Description par Delabigne-Villeneuve, p. 77-78 du Tome IV (année 1852) des mémoires de l'Association Bretonne. — Guillotin de Corson, Mélanges historiques sur la Bretagne, 2ème série, Rennes, 1888, in-8°, p. 258. — Kerdanet, p. 452. — Kergrist, p. 261]. Elles ont été malheureusement vendues, mais l'une d'entre elles a été donnée au musée de Morlaix par l'amateurqui l'avait acquise, Mme Le Flo. Sans remonter jusqu'à la Reine Anne, on pourrait peut-être trouver dans les comptes l'origine de ces objets une bannière de velours noir fut achetée à Tréguier en 1575, une autre fut acquise en 1654 et payée 200 livres. Les comptes citent d'autres dépenses relatives aux ornements d'église, mais il est impossible de savoir si Landois, qui reçut 209 livres en 1703 pour un parement d'autel, et Pierre Branda, qui vendit pour 814 livres d'ornements en 1730, étaient des brodeurs ou de simples marchands. Le compte de 1789-1790, qui cite pêle-mêle des dépenses religieuses et d'autres qui sont d'un caractère purement civil, fait connaitre que Riou, marchand brodeur à Morlaix, fournit à la municipalité, par ordre du maire Loyer, des écharpes aux couleurs nationales qui furent payées 81 livres.

On ne peut, quitter la sacristie sans rappeler que Saint-Jean posséda jadis quelques livres précieux, mais il ne reste rien des volumes vélin ou papier cités dans les anciens inventaires, rien de l'antiphonaire en vélin donné en 1575 par Jehan Rousseau de Moriaix (Compte de 1575-1576), rien des cinq volumes que Jean Jacquelin, de Morlaix, avait reliés et en partie écrits (Compte de 1685-1686). Il est particulièrement regrettable qu'on ait perdu « ung tableau estant en ladite chapelle faisant mention de l’advènement du doigt de Monseigneur saint Jehan en icelle », qui fut écrit en 1575 par Maurice Gourmil, maître d'école (Compte de 1574-1575), et les litanies de Saint-Jean sur vélin, et le tableau des fondateurs qui furent imprimés en 1655 par Du Brayet, de Morlaix (Compte de 1655-1656).

Les archives même de l'Eglise se sont singulièrement appauvries : elles avaient été soigneusement classées quelques années avant la Révolution par l'archiviste Clec'h, mais pendant près d'un siècle elles ont été dilapidées au profit de collections particulières [Note : Voir les notes de Kerdanet, p. 446, 449, 453, 455 de sort édition de la Vie des Saints d'Albert le Grand]. Les quelques anciens inventaires qui subsistent permettent de constater que même au XVIème siècle la fabrique ne possédait aucun document contemporain de la découverte de la relique et de la fondation de la chapelle. Les titres les plus nombreux étaient des fondations de messes ou de prières. La plus ancienne dont nous ayons trouvé trace avait été faite le 4 octobre 1483, par Jean de Plusquellec, seigneur de Bruillac ; à la même époque remontait une rente créée par Guyomarc’h de la Haye, sieur de Kericuff, recteur de Plougasnou (avant 1490). Les autres anciens fondateurs cités dans les répertoires des XVIème et XVIIème siècles, étaient Christophe de la Forêt (1504), Bertrand André et Louis de Penmarc’h, protonotaire apostolique et archidiacre de Marseille (1505), Jean Tréoret (1511), Even Trémoign, prêtre (1528), Jeanne de Kercrist, douairière de Pont-plancouet (1542), François Le Habasque, sieur de Kerezcar (1545), Jean Roux, prêtre (1579), Yves Jégaden, prêtre (1582), les paroissiens de Plougasnou (1587), le seigneur de Kerlessy (1589), Hervé Mahé, prêtre de Plougasnou, et ses paroissiens (1589), le seigneur de Penanguern (1591). Plusieurs autres fondations avaient été faites à une date inconnue, mais probablement dans les premières années du XVIème siècle, par exemple celle de Yvon Le Déan, de Kerjézéquel. Tous ces noms sont ceux de prêtres, de gentilshommes ou de bourgeois du pays : les archives ne possédaient pas de documents attestant la libéralité de la duchesse Arme, ni d'aucun Duc ou Roi, ni des grands seigneurs de Bretagne.

Les fondations étaient très peu importantes ; l'une des plus considérables était celle d'un espagnol, Ferrante Rodrigues, qui avait donné 100 sous à la chapelle. Au XVIIIème siècle, lorsque le pouvoir de l'argent eut diminué, aucune des rentes léguées avant le XVIIème siècle n'était assez élevée pour payer la célébration d'une seule messe [Note : Tableau des messes de fondation dressé le 15 décembre 1706 (archives de Plougasnou)].

La plupart des églises de Bretagne n'étaient pas mieux dotées au XVIème siècle : ce fut seulement au siècle suivant que les fondations se multiplièrent provoquées par la création de nombreuses confréries et que les marguilliers prirent l'habitude de placer en achats de terre ou en constituts les économies réalisées sur la recette annuelle des églises.

A la lin de l'ancien régime, suivant les déclarations qui furent faites le 15 septembre 1790 par Barvet, curé, J.-M. Pape et M. Le Court, prêtres chapelains, et par Gilles Loyer, maire, le revenu annuel appartenant au clergé était de 1882 livres et celui de la fabrique d'environ 800 livres ; mais le clergé était obligé de desservir 298 messes basses, 237 messes hautes sans nocturne, 157 messes solennelles avec nocturnes : il payait quelques impôts et supportait en outre quelques frais. Les 800 livres de rente de la fabrique suffisaient à peine à subvenir aux réparations de l'Eglise, au payement de l'organiste et des sacristains [Note : Archives du Finistère L. 379 bis].

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Une grande partie des immeubles que possédait la fabrique furent vendus pendant la Révolution, mais la chapelle elle-même et les richesses qu'elle renferme furent respectées. Sauf les écussons du marquis de Locmaria et de l'évêque A. de Grignaux qui furent piqués, Saint-Jean-du-Doigt ne subit aucun dommage.

Nous avons vu que les marguilliers avaient réussi à dérober le trésor à l'avidité des gens d'armes et souldarts, ligueurs ou royaux, mais comment purent-ils éviter les perquisitions plus exactes, plus méthodiques des agents du gouvernement Révolutionnaire ? Ni les documents conservés à Saint-Jean et à Plougasnou, ni ceux que possèdent les archives du département ne permettent de résoudre cette petite énigme historique. — La flèche de plomb de l'église fut respectée ainsi que les figures de plomb de la fontaine, la cloche Constitution ne fut pas envoyée aux fonderies de canons en compagnie de la cloche Jean-Baptiste, et l'on ne jeta pas dans le creuset de l'Hôtel des Monnaies les calices, les reliquaires, la croix du célèbre trésor. L'existence de ces richesses était cependant bien connue : le voyage que Cambry fit à Saint-Jean en 1794 le prouve. Si elles furent épargnées ce fut peut-être parce que la population de Saint-Jean se montra disposée à les garder. Le bon archiviste Clec'h, dont le dévouement à sa chapelle émut Cambry, et l'organiste-maire Loyer furent sans doute les organisateurs de la résistance. Le maire avait eu la prudence de donner un témoignage de déférence aux ordres du gouvernement en envoyant en 1790 à l'Hôtel des Monnaies de Nantes 10 marcs 6 onces d'argenterie [Note : Archives de la mairie de Saint-Jean. — Sur la vente des biens immeubles de l'église, aux Archives du Finistère, voir registres Q. 15, 17, 102, 185] ; ce sacrifice permit de sauver les pièces les plus précieuses et les plus importantes.

Le XIXème siècle n'a ajouté aucun chef-d'œuvre nouveau à ceux que possède Saint-Jean-du-Doigt ; on s'est contenté d'entretenir et de restaurer l'église et ses dépendances. Cette église et la fontaine sont inscrites sur la liste des monuments historiques ainsi que le maître-autel, les fonts baptismaux, la croix processionnelle, les deux anciens calices et leurs patènes, les reliquaires de saint Maudet, de saint Mériadec et de saint Jean [Note : Il est regrettable que l'arc de triomphe et l'oratoire ne soient pas classés]. Des réparations très importantes ont été faites au clocher et à la fontaine ; d'autres travaux seront prochainement entrepris pour consolider l'église [Note : Un travail bien peu coûteux rendrait à la façade occidentale son aspect ancien : il suffirait de débarrasser les baies de l'ossuaire des pierres qui y sont entassées]. Il est à souhaiter que les secours de l'État, du département du Finistère et de la commune s'ajoutent aux offrandes des pèlerins de Saint-Jean, pour assurer la conservation d'un des plus jolis groupes de monuments que possède la Basse-Bretagne.

(Henry Bourde de la Rogerie).

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