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L'EGLISE DE SAINT-GILDAS-DE-RHUYS 

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Chassé de Grand-Bretagne par les Saxons, saint Gildas, s'il faut en croire la tradition et la chronique, se réfugie en Armorique, où il fonde, vers 536, le monastère de Rhuis, sur le haut des grandes falaises qui dominent l'Océan, à la lisière de la forêt qui couvrait toute la presqu'ile. Mort en 565, son corps, abandonné dans une barque au gré des flots, comme il l'avait ordonné, aurait été rejeté, quelque temps après, par la mer, dans la baie du Croisty et enterré dans l'église du monastère, où il ne cessa d'attirer les foules. Saint-Gildas de Rhuis fut, aux époques mérovingienne et carolingienne, grâce au prestige de son fondateur, patriote et homme de grand sens politique, l'un des principaux centres de bretonnisation de l'Armorique.

La vie monastique, à la mode de la Grande-Bretagne, que saint Gildas y avait établie, fut remplacée, au IXème siècle, sur l'ordre de Louis le Débonnaire, par la règle de saint Benoît.

En 919, les moines durent fuir devant les bandes normandes qui dévastaient tout le littoral. L'abbé Daoc partit avec tous ses religieux, emportant une partie du corps de Saint Gildas, après avoir caché les autres ossements sous terre, derrière l'autel. Les fugitifs, auxquels le clergé de Vannes avait aussi confié les reliques de saint Patern et à qui s'étaient joints les moines de Saint-Sauveur de Locminé, ne s'arrêtèrent qu’à Déols, près de Châteauroux, où ils fondèrent une abbaye qui subsista jusqu'en 1622, sans avoir jamais renoué les relations avec la Bretagne.

Le monastère de Rhuis était resté complètement ruiné depuis près d'un siècle, quand, vers l'an 1008 [Note : Les renseignements sur les origines du monastère jusqu'au XIIème siècle, nous sont donnés par l'auteur anonyme du Chronicon Ruyense, publié par dom Morice, Preuves, I, 250-251], le duc Geoffroy Ier fit appel à Gauzlin, abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, pour qu'il voulût bien lui envoyer le moine Félix, Breton, originaire de l'île d'Ouessant, qui, pour se rapprocher des reliques de saint Pol, évêque de Léon, avait pris l'habit dans le grand monastère orléanais. Gauzlin fit droit à cette demande et Félix, après maintes vicissitudes, causées par la mort de Geoffroy et par les troubles qui régnèrent en Bretagne pendant la minorité de ses enfants, réussit, néanmoins, à construire le monastère et à restaurer l'église. Le 30 septembre 1032, Judicaël, évêque de Vannes, la consacrait solennellement. Saint Félix mourut le 12 février 1038.

Son fidèle compagnon, saint Goustan, mourut deux ans après, à Beauvoir-sur-Mer, en Poitou, au cours d'un voyage qu'il y faisait pour les affaires du couvent.

Abélard fut abbé de Saint-Gildas en 1125. Ce n'est pas ici le lieu de rappeler en détail ses doléances, — qui sentent, à vrai dire, la rhétorique, — sur le pays, la langue, les habitants et les moines. Après avoir essayé de réformer les mœurs sauvages de ses religieux, chasseurs d'ours et de sangliers, il dut s'enfuir dans une barque pour échapper à la mort dont il se croyait menacé.

En 1182, Guéthenoc, évêque de Vannes, visite solennellement l'abbaye.

En 1184, les reliques de saint Gildas sont relevées de terre en grande pompe. Cinq ans plus tard, la duchesse Constance, veuve de Geoffroy Plantagenêt, y fait un pèlerinage et accorde des privilèges au monastère.

En 1506, l'abbaye est mise en commende et, comme partout, ce régime marque pour elle le déclin. Dès 1575, les bâtiments menacent ruine. La toiture de la nef est tombée, par suite de l'écartement des murs, et la charpente est brisée. On construit un mur provisoire entre le carré du transept, et ce qui reste de la nef.

En 1580, l'abbé Jean de Quilfistre fait commencer la reconstruction du mur méridional, qui s'était écroulé, et consolider par des contreforts le mur du nord. A sa mort, les travaux sont interrompus et son héritier est condamné à payer 7.500 livres pour réparations omises.

Le visiteur des Bénédictins passe une revue des bâtiments en 1598 et ses constatations sont les mêmes : la nef et le porche qui la précède n'ont plus de charpente ni de couverture ; tout le collatéral sud est en ruines ; le collatéral nord, encore debout avec sa voûte, présente un mur goutterot déversé en dehors. Le transept, dont le carré est surmonté d'un clocher, se trouve en meilleur état, ainsi que le chœur, et pourtant les chapelles ont leurs voûtes « couleupvrées » en plusieurs endroits. Le couvent est presque inhabitable (Procès-verbal de visite, cité par Le Mené).

Pendant un siècle, l'état ne s'améliore guère. Abbés commendataires et moines résidants se renvoient la balle. Ceux-ci accusent les abbés de ne pas consacrer en réparations une équitable portion de revenus ; ceux-là vont jusqu'à prétendre que les moines ont démoli la maison abbatiale pour embellir leur couvent et rendre la résidence impossible à l’abbé. Lors de la grande réformation de 1679-1682, l'abbé Henri de Roquette, rendant aveu au roi, réédite ces accusations, et de plus, il avance que « la nef de l'esglise abbatialle a este desmolie par les ennemis de l’Estat et de la Relligion et l'abbaye pillée et saccagée » (Archives de la Loire-Inférieure, B. 2241, f° 1). Nous n'avons trouvé, nulle part ailleurs mention de ces dégâts causés par des troupes. En un pays qui fut si bouleversé par les guerres religieuses, le fait n'aurait, d’ailleurs, rien d'étonnant.

Dubuisson-Aubenay, visitant la Bretagne en 1636, constate que « l'abbaye n'a que le chœur, la croisée élevée et couverte. La nef n'a que le côté boréal achevé avec colonnes à chapiteaux gothiques et portans marques de cinq ou six cens ans de vétusté ».

En 1649, la réforme de Saint-Maur est introduite et, dès lors, un soin plus grand préside à l'administration de l'abbaye. Peu à peu, les bâtiments conventuels sont réparés. Un procès-verbal de visite, daté de 1678, montre qu'à cette époque le cloître actuel était terminé, ainsi que la plupart des constructions nécessaires à la résidence des moines ; le chœur et le chevet de l'église avaient été remis en état.

Il restait à refaire la nef et aussi un clocher, car, en 1668, la foudre avait abattu de fond en comble celui que s'élevait, sur le carré du transept. Marché fut passé à cet effet, le 19 septembre 1699, avec Olivier Delourme, entrepreneur à Vannes, et la tour était terminée en 1705. On ne laissa malheureusement rien subsister de la nef romane ni du porche. La maison abbatiale fut reconstruite en 1746, telle que nous la voyons aujourd'hui, au fond de la cour d'entrée du couvent.

Les anciens bâtiments de l'abbaye sont devenus, au XIXème siècle, la propriété des religieuses de la Charité de Saint-Louis. Le 28 mars 1836, une terrible tempête abattit le pignon du croisillon sud, qui fut reconstruit assez médiocrement et en diminuant sa hauteur. La restauration du chevet de l'église, faite par le service des Monuments historiques, à été à la lois trop radicale et bien peu esthétique, pour ne pas dire plus.

Eglise de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Intérieur. — Tel qu'il nous est parvenu, cet édifice comprend une nef, dont la façade, à pilastres et fronton classiques, est surmontée d'une courte et massive tour carrée, deux bas-cotés, un transept, dont le croisillon nord est flanqué d'une absidiole, un chœur et un déambulatoire entouré de trois chapelles rayonnantes.

Nous avons vu que toute la partie antérieure, jusqu'à la croisée, date seulement du XVIIIème siècle. Les dispositions de l'église romane étaient sensiblement les mêmes. Toutefois, les procès-verbaux de visite, dressés au XVIème et au XVIIème siècle et qui nous permettent d'en reconstituer les principaux caractères, révèlent, en avant de la façade, l'existence d'un porche, probablement analogue, toutes proportions gardées, à celui de Saint-Benoît-sur-Loire, et prouvent que la nef et les collatéraux de l'église romane étaient plus larges et plus longs que ceux de l'église actuelle. L'examen du monument suffirait, d'ailleurs, à s'en rendre compte. Les arrachements des anciens murs goutterots se voient à l'extérieur des croisillons et l'on suit parfaitement, sur la place, la trace des fondations primitives.

L'ancienne nef n'était pas voûtée, mais recouverte d'une charpente lambrissée, qui s'écroula au milieu du XVIème siècle. Les murs qui la soutenaient reposaient, comme à Saint-Savin, en Poitou, sur de grosses colonnes de granit, surmontées de chapiteaux de même matière, dont la corbeille cubique s'ornait, à la base, d'une collerette de petites feuilles plates et, au-dessus, de rinceaux, de crossettes, de volutes terminées en palmettes, le tout entremêlé d'animaux ou de têtes fantastiques. Deux de ces chapiteaux subsistent et servent de bénitiers, de chaque côté de la porte d'entrée. Les deux collatéraux, assez étroits, étaient voûtés, probablement en quart de cercle, mais les contreforts extérieurs n'étant pas assez puissants, la poussée de ces voûtes fut cause, au XVIème siècle, de l'écartement des murs et de la ruine de la nef.

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Le carré du transept était recouvert d'une coupole sur pendentifs, soutenue par quatre grosses piles cruciformes qui portaient, comme on peut le voir encore à Saint-Sauveur de Redon, une tour surmontée d'une flèche en charpente et flanquée d'une tourelle d'escalier.

Les deux croisillons n'ont jamais été voûtés. Leur charpente fut refaite, ainsi que la pointe des pignons, à une date qui semble être la fin du XIVème siècle, si l'on en juge par l'aspect d'une porte en arc brisé, à moulure torique, qui donne accès au croisillon nord et qui dut être percée lors de cette réparation. Cinq fenêtres en plein cintre éclairaient chaque croisillon et s'ouvraient : deux dans chacun des murs est et ouest, la cinquième sous le pignon. Tandis que les premières, aujourd'hui aveuglées, mais encore très visibles dans la maçonnerie extérieure, étaient, longues étroites, sans colonnettes à l'intérieur pour recevoir la retombée de l'arc, celle du pignon, d'après ce qu'on peut voir au croisillon nord, resté intact, était beaucoup plus large et flanquée intérieurement de colonnettes, dont les chapiteaux, en pierre calcaire, sont décorés de palmettes et de crossettes et dont les bases sont constituées par une série de cinq tores de plus en plus gros, avec griffe aux angles du socle.

Contre le mur de fond du croisillon nord est appliquée, sans liaison, une constructidn épaisse, qui en prend toute la largeur et qui se compose de deux voûtes profondes formant deux grands enfeus géminés. Le pilier massif qui les sépare est surmonté d'un tailloir fruste. La retombée des deux arcs se fait sur quatre colonnettes trapues, surmontées de chapiteaux à triple rang de feuilles d'acanthe plus ou moins développées, qui se terminent, sous les angles du tailloir, en volutes corinthiennes. Le chapiteau de droite présente de petites crossettes mélangées à l'acanthe. Il est en pierre calcaire, ainsi qu'un autre de ces quatre chapiteaux. Nous dirons plus loin quelle hypothèse cette observation nous suggère.

Le croisillon sud fut-il jamais flanqué d'une absidiole, comme l'est encore le croisillon nord ? Seul, l'examen du mur oriental fournirait la réponse, mais il est recouvert d'un enduit et masqué, à l'intérieur, par un monumental retable, à l'extérieur, par les boiseries de la sacristie. Aucun document ancien ne fait mention de cette absidiole. En revanche, les archéologues modernes, séduits par le goût de la symétrie, en ont affirmé l'existence, Elle aurait été détruite par la chute du pignon, en 1836. Ce serait très vraisemblable, si nous ne savions, par les procès-verbaux de visite ; que la place de la sacristie actuelle, qui s'appuie au mur du croisillon, était occupée par la salle capitulaire du couvent, surmontée du dortoir des moines. P. Mérimée, qui visita Saint-Gildas en 1835, c'est-à-dire l'année qui précéda l'accident, ne signale que la chapelle du croisillon nord. Ce n'est donc pas l'ouragan qui supprima celle du croisillon sud, si jamais elle exista, mais le désir de mettre à sa place la salle du chapitre conventuel. Il convient, au surplus, de remarquer que le plan de Landévennec (Finistère), si semblable à celui de Saint-Gildas, ne comporte pas non plus de chapelle au croisillon sud.

Le chœur se compose de deux travées droites, voûtées en berceau et limitées par des piliers cruciformes dont les quatre colonnes engagées reçoivent la retombée des arcs-doubleaux du chœur et du déambulatoire et des grandes arcades. L'abside, voûtée en cul-de-four, est entourée de quatre colonnes reliées par des arcs en plein cintre très surhaussés, à doubles claveaux nus : au-dessus règne un rang de sept arcades aveugles, sans moulures.

Le déambulatoire est couvert de voûtes d'arêtes : chaque doubleau retombe, d'un côté, sur l'une des colonnes engagées des piliers cruciformes du chœur ou sur l'une des colonnes isolées du rond-point, de l'autre, sur des colonnes engagées dans le mur goutterot. Les fenêtres que correspondent aux arcades du sanctuaire sont en plein cintre, ébrasées à l'intérieur, et à double archivolte, sans moulures ni colonnettes d'angle. Du côté méridional, la première fenêtre est aveuglée, la seconde donne dans la sacristie et n'est pas du même type que les autres. Le mur où elle est percée étant très épais, comme nous le verrons tout à l'heure, elle est beaucoup plus profonde et s'ébrase aussi fortement à l'extérieur qu'à l’intérieur.

Les trois chapelles rayonnantes sont voûtées en cul-de-four et éclairées par trois fenêtres plein cintre, à double archivolte ; mais, tandis que les baies de la chapelle nord ne sont ébrasées qu'à l'intérieur, celles de la chapelle sud présentent les mêmes dispositions des deux côtés. La chapelle centrale est identique aux autres, à cette différence près que son cul-de-four est précédé d'une petite travée droite, éclairée par deux fenêtres et couverte d'un berceau, dont l'arc d'entrée retombe sur deux colonnes engagées.

Nous parlerons plus loin des chapiteaux et des bases.

 

Extérieur. — Si nous passons à l'extérieur, nous constatons, en nous en tenant à la partie romane, c'est-à-dire au transept et au chevet, d'abord que la restauration moderne, en couvrant le chœur et le déambulatoire d'une même lourde toiture d'ardoise en éteignoir, n'a pas seulement nui gravement à l'aspect esthétique d'un chevet aux dispositions et proportions harmonieuses, mais a privé le visiteur de la possibilité d'étudier l'appareil extérieur du chœur et son raccord avec le déambulatoire. Ayant eu la curiosité de monter, à l'aide d'une échelle, par le passage des couvreurs, sous le comble, nous nous sommes rendu compte que les parties hautes du chevet ont été presque entièrement refaites à neuf. Deux ou trois témoins subsistent seulement et prouvent que l'appareil du mur qui surmonte les arcades du chœur était exactement le même que celui des croisillons et du déambulatoire.

On peut done dire, d’une manière générale, que l'église romane était construite en blocage de gneiss, la pierre de la presqu'île de Rhuis, où manquent les belles carrières de granit. Des chaînes d'appareil en épi se voient aux deux croisillons, au mur du déambulatoire et, dans les combles, au mur du chœur. Celles qui apparaissent dans les parties hautes des chapelles nord et est sont d'une facture moderne, facilement reconnaissable, et datent de la restauration.

Dans le mur de chapelle du chevet sont encastrés trois morceaux de pierre calcaire sculptés, représentant, celui du sud, un ours qui semble flairer ou manger quelque chose à terre ; celui du milieu, un homme vêtu d'un bliaud court et marchant d'un pas déterminé, en portant une hache ou quelque autre objet sur l'épaule ; celui du nord, deux cavaliers qui s'élancent l'un contre l'autre. Le cavalier de droite paraît avoir la tête nue, tandis que celui de gauche est coiffé d'un casque épousant la forme de la tête. Un gorgerin de mailles enveloppe le cou et se raccorde à un haubert qui tombe au-dessous du genou, mais laisse la plus grande partie de la jambe en dehors ; les pieds entrent, en se cambrant fortement, dans des étriers et l'on distingue la chaîne qui retenait les éperons. Le cavalier de droite présente son bras gauche, qui porte un écu en amande couvrant la moitié du corps. En passant la main sur la pierre, on perçoit, malgré l'usure, des divisions en creux et en relief, qui semblent partager cet écu en carrés, losanges, besans, mâcles ou autres signes héraldiques à forme géométrique. Les deux combattants tiennent de la main droite une longue-lance, qui passe sous le bras et ressort largement en arrière. Les chevaux se cabrent et viennent s'affronter.

Des modillons sculptés, dont un petit nombre seulement sont anciens, soutiennent la corniche des chapelles, excepté de la chapelle sud. Ils représentent surtout des têtes d'hommes ou d'animaux. L'un deux figure un ours qui cherche à enlever sa muselière avec ses pattes. Le sculpteur avait vu des nomades montreurs d'ours. On y trouve aussi le fameux modillon « à copeaux », dont on a longtemps voulu faire, bien à tort, une particularité de l'école d'Auvergne, alors qu'on le rencontre en Poitou et dans la vallée de la Loire, croire même en Normandie.

Des contreforts en grand appareil de granit épaulent ces trois chapelles et montent directement jusqu'à la corniche, comme ceux du croisillon nord. Les fenêtres, sans aucun ornement, s'ouvrent au nu du mur, sans ébrasement ; mais, comme elles ont été fortement retouchées, sinon refaites, à l'extérieur, lors de la restauration, il est permis de croire qu'elles n'avaient pas les mêmes proportions, d'autant plus que le plan des archives des Monuments historiques, dressé avant les travaux, indique un léger ébrasement extérieur, qui n'existe plus.

La chapelle sud diffère totalement des autres, à tous points de vue. Nous allons en parler. Elle nous servira à élucider un problème délicat.

 

Campagnes. — Il est temps, en effet, de nous demander à quelle époque attribuer le monument que nous venons de décrire.

Deux opinions, très nettes et aussi absolues l'une que l'autre, ont seules été émises jusqu'ici.

La première, généralement adoptée, conforme à la tradition déjà mentionnée en 1636 par Dubuisson-Aubenay, et développée à nouveau par M. le chanoine Abgrall, dans son Cours d'architecture bretonne, à propos de Landévennec et de Loctudy, et par M. le chanoine Le Mené, dans sa monographie historique, très documentée, de l'abbaye de Saint-Gildas de Rhuis, consiste à voir dans la partie ancienne de l'édifice les restes de l'église bâtie par saint Félix et consacrée par l'évêque Judicaël en 1032.

La seconde, soutenue par M. de La Monneraye en 1846, reporte, au contraire, la construction à la fin du XIIème siècle, en se basant principalement sur la richesse de la décoration des chapiteaux et sur la comparaison avec les monuments bretons datés certainement. L'auteur ne voit dans l'église qui fut consacrée en 1032 qu'une restauration — ainsi que l'indique le texte de la Chronique anonyme — du monument carolingien saccagé par les Normands. Cette église aurait été complètement rebâtie cent cinquante ans plus tard.

Ces deux théories prêtent le flanc à la critique, pour avoir voulu, l'une et l'autre, faire un tout de l'église romane telle que nous la voyons aujourd'hui. Cet édifice n'est pas homogène et, s'il est vrai que certaines parties de son appareil, certaines bases, les arcatures aveugles du chœur, ont un caractère trop archaïque pour ne pas remonter au delà de la seconde moitié du XIIème siècle, il est certain, d'autre part, qu'il est impossible d'attribuer au début du XIème siècle la sculpture des chapiteaux, des modillons, des bas-reliefs, le plan des piles du chœur et le type de certaines fenêtres, en particulier de celle du fond du croisillon nord.

Ni l'une ni l’autre de ces théories ne rend surtout compte des différences sensibles qu'un examen attentif de l'appareil et de la décoration permet de constater dans les diverses parties de l'édifice et ne donne la raison des reprises et des collages.

Nous distinguerons trois campagnes bien distinctes. La première comprend le mur sud du déambulatoire, depuis son intersection avec le croisillon jusqu'à l'absidiole sud, et cette absidiole elle-même. Cette partie de l'église diffère totalement de tout le reste. Le fait a passé inaperçu jusqu'à présent et cela tient probablement à ce que ce côté n'est visible qu'en entrant dans le jardin de la communauté et dans la sacristie. La maçonnerie, formée d'un blocage de schiste, est très grossière ; le mur présente, à la base, un fort empattement et son épaisseur est doublé de celle des autres murs. Les fenêtres, retouchées peut-être au XVIIème siècle dans leur encadrement extérieur, sont à double ébrasement, l'ébrasement extérieur égal à l'autre. Trois baies éclairent l'absidiole, une autre, du même type, se voit dans la sacristie, au fond d'un placard qui surmonte la porte d'entrée. Contrairement aux autres chapelles, la chapelle sud est dépourvue de contreforts et soudée au mur du déambulatoire sans le secours de chaînes d'angle en grand appareil. Enfin, sa corniche, très fruste, n'est pas soutenue par des modillons.

La seconde campagne englobe les croisillons et le chevet, à l'exception des chapelles. Elle est caractérisée, à l'extérieur, par l'emploi de l'appareil en épi, par les petites fenêtres longues et étroites, par l'archaïsme des tailloirs, simplement biseautés, et des bases ornées du chœur et du déambulatoire. Ces bases, qui ressemblent à des chapiteaux renversés sont garnies, les unes de tores et de câbles superposés, les autres d'entrelacs en sautoir inscrits dans les carrés ou dans les quatre-lobes. Au-dessus des angles de quelques socles, des losanges en saillie jouent le rôle de griffes.

Enfin, à la troisième campagne se rattachent : le double enfeu du croisillon nord, placage manifeste ; la fenêtré qui est au-dessus, d'un type tout différent des autres, avec ses petites colonnettes d'angle dont les chapiteaux en pierre calcaire rappellent ceux de l'enfeu ; la sculpture des chapiteaux du chœur, d'un art visiblement plus avancé que celui des bases et étroitement apparentés à ceux de l'enfeu et de ladite fenêtre ; les contreforts du croisillon nord et du déambulatoire du même côté ; peut-être une réfection des fenêtres de ce déambulatoire, devenues plus larges que celles des croisillons ; enfin, les chapelles rayonnantes du nord et de l'est avec leur corniche à modillons et leurs contreforts. Avec quelque attention, on perçoit très bien, dans le mur du déambulatoire, la trace des relancements nécessités par le collage de ces chapelles, qui sont reliées à la maçonnerie en blocage par des chaînes d'angle en grand appareil de granit.

A quelle date attribuer chacune de ces campagnes ?

Il semble tout naturel de faire remonter la première à saint Félix. Il faut en déduire que l'église consacrée en 1032 avait déjà un chœur à chapelles rayonnantes ; mais cela n'a rien qui doive nous étonner. En effet, saint Félix arrivait de la vallée de la Loire et, dans cette région, comme M. l'abbé Plat l'a établi [Note : La Touraine, berceau des églises romanes du Sud-Ouest, dans le Bulletin Monumental, 1913], le plan roman complet existait dès l'aurore du XIème siècle.

Cette église, construite péniblement, au milieu de mille vicissitudes, céda la place, vers la fin du XIème siècle, à celle qui fut l'objet de la seconde campagne, église non voûtée, avec transept, déambulatoire, chapelles rayonnantes représentées par les anciennes chapelles, qui furent conservées, appareil en épi. Nous ne cherchons à tirer aucune autre conclusion, que celle d'une campagne bien distincte de la précédente, de l'emploi de cet appareil spécial, que l'on regarde généralement comme une preuve, quand il n'est, en réalité, qu'une présomption de haute antiquité. On en trouve, en effet, des exemples isolés jusqu'aux temps modernes [Note : Le mur de clôture du parc ducal de Sucinio, construit par Jean le Roux à la fin du XIIIème siècle, en présente des morceaux, d'après Rosenzweig. A Vannes, on peut en observer dans le mur d'une maison du XVIème siècle qui fait l'angle de la rue du Port et de la rue du Drézen] et, de nos jours encore, dans les localités où l'on manque de grosses pierres, les paysans bretons s'en servent parfois pour la confection des talus de clôture. Les bases furent sculptées et les chapiteaux simplement épannelés et peints ou très superficiellement sculptés.

Enfin, dans le cours du XIIème siècle, voulant offrir à saint Félix, leur premier abbé, et aux frères Rioc et Goustan une sépulture digne de leur grande réputation de sainteté, les moines firent venir du Poitou ou de la Saintonge des chapiteaux de pierre calcaire finement fouillés, pour orner les enfeus qu'ils venaient de faire construire dans le croisillon nord. La chose leur fut facile, étant donné, les relations maritimes constantes qui unissaient les deux côtes. Une fois en possession de ces pierres, que leur grain infiniment plus tendre et plus fin que celui du granit avait permis de travailler plus délicatement que tout ce qu'ils voyaient en Bretagne, ils entreprirent de refaire la décoration de leurs chapiteaux, en s'en servant comme de modèles. Il n'y a pas, semble-t-il, d'autre manière d'expliquer à la fois la présence de ces pierres étrangères au pays, leur imitation en granit dans les chapiteaux du chœur, qui procèdent tous de la même inspiration, l'élégance, la richesse de cette sculpture, à peu près unique en Bretagne à cette époque, et enfin la différence frappante entre les bases ou les tailloirs, très archaïques, et les chapiteaux, d'un art infiniment plus avancé.

Nous avons décrit plus haut le type des chapiteaux de pierre blanche. Les sculpteurs locaux, en les imitant, nont presque jamais omis le rang inférieur de feuilles rudimentaires qui forme une sorte de collerette au-dessus de l'astragale. Toutefois, sur les deux chapiteaux qui reçoivent le premier arc-doubleau du côté sud du déambulatoire, il est remplacé par une torsade. La partie supérieure des chapiteaux, évidemment inspirée du même type, comporte de nombreuses variantes et procède d'une plus grande liberté d'interprétation. Le signe de prédilection des sculpteurs a été la crossette ou la spiralé, sujet cher aux populations celtiques et qui, traité de mille façons différentes, forme le fond de la décoration bretonne à l'époque romane.

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Ces chapiteaux sont presque cubiques (0m 73 x 0m 71).

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Les plus remarquables par leur riche décoration sont ceux du côté nord du déambulatoire et ceux du rond-point ; non pas ceux refaits à neuf — on se demande par quelle aberration, — qui surmontent les quatre colonnes, toutes neuves aussi, qui limitent le rond-point, mais leurs prototypes, très bien conservés, qui ont été déposés, le premier dans le croisillon nord, le second devant la façade et deux autres près des fonts baptismaux. L'un de ces derniers montre, au milieu de feuilles d'acanthe et de crossettes, un motif vermiculé qui rappelle l'art irlandais. L'interprétation celtique se retrouve d'une façon frappante dans les chapiteaux qui soutiennent la retombée des- arcs-doubleaux du déambulatoire, à droite et à gauche de la chapelle sud. L'un d'eux, le plus archaïque de toute l'église et qui pourrait bien n'avoir pas été retouché au XIIème siècle, porte une série de lignes concentriques, en faible relief, très analogues à celles qui ornent les pierres du tumulus de Gavrinis et que l'on peut comparer aux lignes du pouce.

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Les quatre angles sont soulignés par une grossière volute. L'autre présente, au-dessus d'un double rang de petites feuilles rudimentaires, une série de simples filets terminés aux angles en volutes corinthiennes trés frustes.

Si nous avons insisté sur la question de la décoration des chapiteaux, c'est que son intérêt dépasse la portée d'une simple description occasionnelle et pose pour la première fois le problème de la répercussion des relations maritimes sur le développement de l'art en Bretagne et, parallèlement, celui de l'interprétation bretonne des types importés.

Vers le même temps, l’architecte qui avait reconstruit les chapelles rayonnantes, seuls témoins de la construction primitive, fit encastrer dans le mur de la chapelle centrale les bas-reliefs de pierre blanche, dont la matière, aussi bien que la facture pleine de vie, de mouvement et de modelé, indiquent la provenance étrangère et la date avancée dans le XIIème siècle.

M. de La Monneraye, s'appuyant sur ce que les reliques de saint Gildas auraient été relevées de terre en 1184, y voit la cause de la reconstruction de l'église. C'est possible. Nous y verrions du moins volontiers le motif de son embellissement. A l'extérieur du mur méridional de la chapelle centrale, on aperçoit un arc en plein cintre qui amortissait, une baie aujoud’hui aveuglée et à demi enterrée. Cette baie n'aurait-elle pas été l'entrée d'une petite crypte ou d'un caveau situé sous la chapelle ? Les fouilles dirigées sans succès, au XIXème siècle, en vue de retrouver la confession de saint Gildas, n'ont porté que sous le chœur, d'après le, rapport de M. Rosenzweig. Une fouille dégageant, à l'intérieur, la base du mur ci-dessus indiquerait au moins la raison d'être de cette baie.

L'exhumation du corps de saint Gildas donna sans doute l'idée d'ouvrir les tombes qui étaient l'objet de la plus grande vénération, et c'est ainsi qu'on construisit l'enfeu de saint Félix et de Rioc, pour lequel on fit venir quatre colonnettes, dont deux servirent à la fenêtre qui domine l'enfeu.

L'abbaye jouissait, alors de la protection toute particulière de la duchesse Constance, qui avait perdu son mari, le duc Geoffroy II. Plantagenêt, mort à Paris, en 1186, dans un tournoi donné par Philippe Auguste en son honneur. Elle parcourait la Bretagne pour rallier les sympathies a la cause de son fils Arthur, né quelques mois après la mort de son père. Nous avons vu que le tombeau de saint Gildas reçut sa visite, comme elle le rappelle dans une charte qu'elle octroya, en 1189, à l'abbaye. On peut d'autant mieux supposer qu'elle s'intéressa aux travaux de l'église qu'une inscription, gravée sur une pierre du mur intérieur de la chapelle centrale à gauche, où l'on a voulu voir à tort une allusion au duc Geoffroy Ier, mort en 1008, revenant de Rome, semble rappeler le souvenir de son époux [Note : Une autre inscription, en lettres absolument semblables, se lit, à l'extérieur, au bas du mur est du croisillon nord, prés de l'angle : V Idus septeris obiit Simon puer et moni[chus] Sci Gildasii] :

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Le forme des lettres indique, le XIIème ou le XIIIème sicle. Serait-il même impossible de voir dans le groupe des deux cavaliers, qui représente une scène de tournoi, et dont les costumes correspondent au temps de Philippe Auguste, un souvenir commémoratif de l'accident qui coûta la vie à Geoffroy ?

Ainsi donc, après avoir accordé aux partisans de la construction par saint Félix une très petite portion de l'édifice actuel, dont l'ensemble doit être attribué à la fin du XIème siècle, abstraction faite, naturellement, de la façade et de la nef qui sont du XVIIIème, nous tombons d'accord pour reconnaître, avec M. de La Monneraye, qu'une grande partie de la décoration et certains détails du croisillon nord et du chevet, dénotent la fin du XIIème siècle.

Dans son dernier état, Saint-Gildas, qui paraît avoir inspiré Loctudy, où l'abbé exerçait encore, au XIIIème siècle, un droit de patronage (Accords de 1220 et 1224, publiés par Rosenzweig : Cartulaire du Morbihan, p. 207 et 250), Landévennec et peut-être la cathédrale romane de Vannes, s'apparente étroitement aux monuments de la vallée de la Loire : cathédrales romanes de Nantes et d'Angers, Beaulieu-lès-Loches. Notre-Dame-du-Pré, au Mans, Cunault, Selles-sur-Cher, Saint-Étienne de Nevers, etc., et à ceuux du Poitou, comme Saint-Savin, Saint-Jouin de Marnes, Airvault, etc., mais non pas, si l'on considère autre chose que l'absence de voûte sur la nef et les croisillons, à ceux de Normandie, auxquels on a trop longtemps rattaché toutes les églises romanes de Bretagne, faute de les avoir méthodiquement étudiées.

 

Mobilier. Tombes. Trésor. — Dans le croisillon sud, on a placé, lors de la restauration, un retable monumental en pierre blanche de Loire, qui formait le fond du chœur, dont il épousait la forme en hémicycle. Constitué par deux ordres superposés, dorique et corinthien, encadrant des niches à fronton que séparent de petits pinacles en pyramide, il date du commencement du XVIIème siècle.

Plusieurs pierres tombales ont été dressées le long des murs du déambulatoire. C'est une collection fort intéressante, qui va du XIème siècle au XVIIIème siècle. La description de chacune d'elles nous entraînerait trop loin ; le cadre restreint de cette étude ne nous le permet pas.

Signalons surtout les tombes de saint Félix et de Rioc, sous les enfeus du croisillon nord ; recouvertes de dalles à double rampant, qui peuvent dater du Xlème siècle et qui portent en tête une croix pattée ; celle de saint Goustan, dont le couvercle, pris récemment sur une autre tombe pour remplacer celui qui était brisé, est analogue aux précédents mais orné, en plus, de deux quinte-feuilles et d'une bordure en dents de scie ; celle de saint Gildas, derrière l'autel, simple dalle épaisse, légèrement bombée, sans aucune inscription ni ornement, si ce n'est un simple liseré sur le bord ; celle de saint Gingurien, de même type, dans la chapelle centrale ; celles de plusieurs abbés, dont trois, du XIVème siècle, d'un fort beau dessin, représentant une grande croix ; enfin, celles des enfants de Bretagne, morts en bas âge au château de Sucinio : Thibaut Ier, + en 1246 ; Aliénor, + en 1248 ; Thibault II, + en 1251 ; Nicolas, + en 1251 ; Jeanne, + en 1388. Les quatre premières sont des dalles plates portant, gravée au trait, l'image conventionnelle de l'enfant supposé adolescent ; la dernière est sculptée en haut-relief et représente une jeune fille, les mains jointes, les pieds sur une levrette, la tête sous une couronne ducale que tiennent deux anges.

L'église de Saint-Gildas-de-Rhuys (Bretagne).

Le trésor, conservé dans la sacristie, contient plusieurs objets d'art très précieux que nous nous bornons à signaler en suivant l'ordre chronologique, mais qui mériteraient une description plus détaillée :

1° Une châsse en bois recouverte de cuivre, toit à double rampant orné de bandes de cuivre à rinceaux repoussés ; aux deux pignons : le Christ en croix entre Jean et Marie. Un écu chargé de six hermines indique que la chasse est un don d'un duc de Bretagne (XIVème siècle) ;

2° Le bras-reliquaire de saint Gildas, même travail, même décoration, mêmes armoiries et certainement même, provenance que la châsse (XIVème siècle) ;

3° Le genou de saint Gildas, curieux exemple de reliquaire dont la forme dérive du contenu ; âme de chêne garnie de lames d'argent doré, décorées de fleurettes et de cabochons ; porte simulant une fenêtre flamboyante finement découpée (XVème siècle) ;

4° La jambe de saint Gildas, de même travail et sortant probablement du même atelier que le reliquaire précédent (XVème siècle) ;

5° Le chef de saint Gildas, représentant la tête et les épaules du saint. Argent rehaussé d'or par endroits. Tête de moine, rasée, encadrée d'une couronne de cheveux ; expression grave, beau modelé (XVIème siècle) ;

6° Une mitre brodée, où sont figurés, d'un côté, la Vierge et saint Jean ; de l'autre, saint Gildas et saint Félix. Faussement attribuée à Abélard par la tradition, elle n'est pas antérieure au XVIème siècle ;

7° Un petit calice assez simple, monté sur un pied polylobé (XVIème siècle) ;

8° Une grande châsse en argent repoussé, portant cette inscription : Faite en 1731, à Vannes.

(Par Roger GRAND).

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